Téhéran, la capitale de la Perse, repose au fond d'une cuvette en forme de soucoupe,
au pied des versants sud des montagnes de l'Alborz. À l'arrière plan, de grandes
collines encerclent la ville : au nord-est, le sommet conique et enneigé du Mont
Damâvand fait le guet, tandis qu'au sud, le vaste désert aride de la Perse centrale
vient déposer ses vagues de sable au pied même de la cité.
Ici, coucher et lever du soleil arrivent sans crier gare. Les clairs matins d'hiver,
[le soleil] apparaît brusquement derrière les versants nord de Damâvand et soudain,
éclatant, le jour se lève. Les longues et sonores invocations de l'appel à la
prière s'élèvent alors des mosquées de la ville et résonnent à travers ses rues
piétonnes, invitant les fidèles à la prière matinale.
Le 12 Novembre 1817, entre l'aube et le lever du soleil, un enfant naît à Téhéran.
C'est le fils d'un noble de Nur, Mirza Abbas, connu sous le titre de Mirza Buzurg
le Vizir [le Ministre], et de sa seconde femme, de noble lignée elle aussi, Khadijih
Khanum.
L'enfant naît dans une vaste demeure près de la porte de Shémiran, à l'extrémité
orientale de la ville, où Mirza Buzurg et sa famille ont coutume de passer l'hiver.
En cette aurore [du mois] de novembre, la famille et l'ensemble de la maisonnée
célèbrent, dans la joie, la naissance réussie du fils et la bonne santé de sa
mère, Khadijih Khanum.
Les parents, qui ont déjà une fille et un fils, appellent leur troisième enfant
Husayn 'Ali [ se prononce : Hossèyn-'Ali ]. Plus tard, le Bab lui confèrera le
titre de "Baha'u'llah", sous lequel nous le connaissons, et qui signifie : "Lumière,
Gloire et Splendeur de Dieu".
En 1817, il y a peu d'enfants nés en Perse ou ailleurs qui peuvent jouir d'un
sort aussi enviable que celui du fils du Vizir. Khadijih Khanum est une épouse
et une mère dévouée et ses enfants héritent richesse et noblesse. Dès leur plus
jeune âge, ils sont habitués à tous les conforts, l'élégance de vie et les raffinements
culturels que la Perse de l'époque peut offrir. En outre, le Vizir est un homme
droit et honorable, qui occupe un poste élevé au sein du Gouvernement et jouit
d'une grande estime auprès du Souverain et de ses compatriotes.
Sa remarquable érudition et ses superbes talents de calligraphe lui valent une
large renommée. Son sens marqué de la Justice et la compassion qu'il porte à ceux
qui sont moins fortunés que lui, le tiennent à l'écart des flatteries et de l'égoïsme
de la Cour royale.
Déjà veuve quand elle épouse le Vizir, Khadijih Khanum a trois enfants d'un premier
mariage tandis que Mirzà Buzurg a deux fils d'une union initiale. Leur petit dernier,
Mirza Husayn 'Ali, stupéfait ses parents. Il ne pleure jamais, ne s'agite ni ne
gémit comme les autres enfants. Il est vif, calme et serein. Mirza Buzurg, qui
n'a jamais vraiment accordé d'attention au reste de ses enfants, se consacre très
vite à [Husayn 'Ali, futur] Baha'u'llah.
Un jour que ce dernier avait sept ans et marchait non loin de ses parents, sa
mère fit remarquer qu'il était de petite taille, ce à quoi son père répliqua :
"Quelle importance! As-tu conscience de ses capacités, de ses talents ? Quelle
intelligence! Et quelle perception! Il est comme la flamme du feu. Déjà, à son
âge, il surpasse les hommes mûrs." (...)
La coutume chez la noblesse persane veut que les enfants de sexe masculin reçoivent
des cours particuliers à domicile, et que leur éducation soit strictement limitée.
On leur apprend à monter à cheval, à chasser, à manier armes et épées et à observer
les manières raffinées et courtoises de leur classe. Les fondements de la calligraphie,
un peu de poésie persane et la lecture du Coran leur sont aussi enseignés.
La rumeur se répand bientôt à la ronde que le fils du Vizir n'a nul besoin d'un
précepteur. En effet, sans avoir rien appris, il sait répondre à n'importe quelle
question difficile qui lui est posée et se plonge avec bonheur dans la discussion
de sujets considérés comme relevant de la sphère exclusive des théologiens, des
philosophes et des docteurs de la loi religieuse. (...)
Ses pouvoirs intellectuels remarquables, sa sagesse et son intelligence peu ordinaires
stupéfient parents, amis et étrangers tout à la fois. Ses vastes connaissances,
sa maîtrise inégalée de l'argumentation et l'éloquence de son discours auraient
pu dresser un mur entre lui et les autres; il n'en est rien, car elles s'assortissent
d'un charme inexplicable, de beaucoup d'humilité et d'une grande douceur. Son
coeur chaleureux et le plaisir immense que lui procure la compagnie des autres,
son sens vivant de l'humour, et sa nature patiente et généreuse, incitent tous
à le chérir et lui attirent l'affection des gens de toutes classes et de tous
âges.
Pendant les mois d'été, les habitants fortunés de Téhéran ont coutume de fuir
la chaleur et la poussière malsaines de la capitale pour leurs propriétés provinciales
ou leurs résidences d'été, accrochées aux versants surplombant la ville. Le Vizir
possède une maison à Shémiran, un village situé sur la pente boisée d'une colline
juste au-dessus de Téhéran, mais comme sa femme et lui sont originaires de la
Province du Mazindarân, c'est là qu'ils aiment à se rendre à la moindre occasion.
Le Mazindaran se trouve niché entre la courbe de la rive sud de la Mer Caspienne
et les montagnes de l'Alborz. Pendant des siècles, les poètes persans ont chanté
cette terre chaleureuse et tempérée, recouverte de vergers, de bois et de ruisseaux;
ils en ont célébré les forêts [habitées par] des biches, le ciel traversé de faucons,
les cours d'eau limpides et poissonneux, et les prairies colorées et embaumées
du parfum des hyacinthes et des tulipes. On raconte que les roses y fleurissent
et les rossignols y chantent tout au long de l'année.
Le contraste est extrême entre l'humidité des étendues boisées et fertiles des
plaines du Mazindaran et la sécheresse du plateau de Téhéran. (...)
Mirza Buzurg [le Père de Baha'u'llah] appartient à l'une des familles les plus
anciennes et les plus distinguées du Mazindaran. C'est un descendant de Zoroastre,
le Messager de Dieu apparu en Perse il y a [3000] ans. C'est aussi un descendant
de Yazdguérd III, le dernier roi de la Dynastie des Sassanides qui dirigea la
Perse pendant 800 ans avant la conquête islamique.
Quant à Khadijih Khanum, elle descend d'Abraham et de sa femme Kéturah.
Mirza Buzurg s'est fait construire un imposant manoir à Takur, son village ancestral.
Il a fait appel à des artisans et des artistes qualifiés pour le décorer et l'embellir
et l'a paré des tapis les plus beaux et de précieuses oeuvres d'art. C'est là
que Baha'u'llah va séjourner quelque temps chaque année et qu'il va [flâner] des
heures et des jours durant dans les vergers et les prairies de Nur. Il développe
ainsi, très jeune encore, une profond et durable amour pour le monde de la nature.
Il préfère de loin la campagne à la ville, et la Cour royale n'exerce aucun attrait
sur lui. Au contraire, il passe ses jours à aider les pauvres et les opprimés,
prodiguant de la nourriture, un toit, du réconfort et des conseils à tous les
nécessiteux qui viennent à Lui.
(Extraits de "Day of Glory - The life of Baha'u'llah", de Mary Perkins - George
Ronald, Oxford, 1992 - traduction de courtoisie)