La naissance de la foi baha'ie peut se placer dans le contexte de l'attente millénariste
du XIXe siècle. C'est au début de ce siècle que Miller aux Etats-unis, entre autres,
annonce le retour imminent du Christ en basant ses calculs sur certains passages
de l'Ancien Testament, notamment le Livre de Daniel. Il en est de même d'un mouvement
allemand qui se donne le nom de "Templiers" Ceux-ci vont s'établir au pied du
Mont Carmel, en Terre sainte, où ils fondent une colonie dont certaines maisons
existent encore aujourd'hui, portant sur leur fronton des inscriptions comme:
"Der Herr ist nahe".
L'islam possède également ses courants eschatologiques. Le jugement dernier, pour
les sunnites, sera annoncé par le Mahdi, suivi du retour du Christ. Quant aux
chiites, ils attendent le Qa'im qui précédera le retour de l'Imam Husayn. C'est
cette dernière perspective qui intéresse surtout l'histoire de la foi baha'ie,
puisque celle-ci est née en Iran, donc en milieu chiite.
Le chiisme se distingue principalement du sunnisme par le fait qu'il prolonge
la révélation que dispensa le prophète Muhammad, par l'enseignement des Imams
qui lui ont succédé. Ces Imams sont les descendants de 'Ali qui épousa Fatimih,
la fille de Muhammad. Onze Imams se sont succédé, connaissant pour la plupart
des morts violentes ordonnées selon la tradition par les califes. Le douzième
Imam est réputé être entré en occultation pour ne revenir qu'à la fin des temps
sous le nom de Qa'im, de Sahibu'z-Zaman , etc...
Au début du XIXe siècle apparaît en Iraq, dans la région de Karbila une école
connue sous le nom de Shaykhisme, fondée par le Shaykh 'Ahmad-i-Ahsa'i, dont le
successeur Siyyid Kazim-i-Rashti précisa encore la doctrine. Dans cette doctrine,
le Shaykhisme insiste sur le fait que le jour du jugement dernier sera précédé
de l'apparition de l'Imam caché. Celui-ci régnera pendant quelques années pour
combattre l'injustice et le mal. Ensuite viendra la résurrection du Christ et
de l'Imam Husayn. Pour le retour de l'Imam caché, on ne parle pas de résurrection
(raj'a), mais de manifestation (zuhur) ou d'élévation (qiyam). Siyyid Kazim déclara
à ses disciples que l'événement du retour de l'Imam était proche, qu'en fait,
celui-ci était déjà vivant parmi eux. Il incita donc les disciples à partir à
sa recherche, ce que firent bon nombre d'entre eux, après sa mort.
2. Le babisme
Un disciple de Siyyid Kazim, Mulla Husayn-i-Bushrui, se dirigea avec quelques
compagnons vers la ville de Shiraz, en Perse, dans la région appelée Elam dans
l'Ancien Testament. Arrivé aux portes de la ville, il rencontra un jeune homme
qu'il connaissait parce que celui-ci avait assisté à quelques cours donnés par
Siyyid Kazim. Celui-ci avait d'ailleurs fait preuve d'une attitude étrange aux
yeux de ses disciples, chaque fois qu'il avait rencontré ce jeune homme. C'était
une attitude d'extrême révérence, inattendue de la part d'un maître comme Siyyid
Kazim, à l'égard d'un tout jeune homme apparemment tout à fait insignifiant.
Ce jeune homme s'appelait Siyyid 'Ali Muhammad-i-Shirazi. Il est né le 20 octobre
1819 à Shiraz dans une famille de marchands. Il était Siyyid à la fois par son
père et par sa mère. Comme son père était décédé peu après sa naissance, il fut
élevé par un oncle maternel qui le confia à un précepteur pour lui donner une
instruction élémentaire.
Celui-ci, après quelques leçons, reconduisit l'élève à son tuteur car il estimait
n'avoir rien à lui apprendre. Le jeune 'Ali Muhammad n'eut donc aucune instruction
théologique comme en recevaient ceux qui se destinaient à être mulla ou mujtahid.
Son oncle l'associa rapidement à son commerce où il fit preuve d'une exceptionnelle
honnêteté. À l'âge de 20 ans, il ferma son commerce pour se rendre en pèlerinage
dans les cités saintes d'Iraq.
C'est à cette occasion qu'il fréquenta sporadiquement l'école shaykhi où il attira
l'attention par son extrême piété. Après environ un an d'absence, il retourna
à Shiraz où il se maria avec une cousine germaine de sa mère. Ils eurent un fils
qui mourut en bas âge. Dans les années 1843 et 1844, il fut l'objet d'expériences
mystiques où s'imposait de façon dramatique la vision de l'Imam Husayn dont le
sang coulait goutte-à-goutte vers ses lèvres.
Cette expérience, il la décrivit plus tard: ma poitrine était pleine de versets
convaincants et de prières puissantes... et les mystères de la révélation de Dieu
se déployaient dans toute leur gloire devant mes yeux. La rencontre avec Mulla
Husayn eut lieu le 23 mai 1844. Au cours de la nuit, Siyyid 'Ali Muhammad se proclama
le Qa'im attendu, en prenant le titre de Bab. Mulla Husayn, d'abord étonné, fut
rapidement convaincu.
Quand, le matin, il quitta son hôte pour rejoindre des compagnons qui l'attendaient
dans une mosquée, il était devenu le tout premier disciple de celui à qui il allait
offrir sa vie. Toutefois le Bab lui avait demandé de garder le secret car d'autres
personnes devaient trouver cette même voie par leur propre initiative. Rapidement
pendant les jours qui suivirent, dix-sept autres personnes reconnurent le Bab
formant un groupe de disciples connus sous le nom de "Hurufu'l-Hayy" (les dix-huit
Lettres du Vivant).
Le Bab et ses dix-huit disciples forment la première Vahid (unité). Parmi ces
18 disciples, il y avait une femme, Fatimih Bigum Baraghani, appelée aussi Umm-i-Salamih,
la nièce et la belle-fille d'un théologien qui avait vigoureusement dénoncé les
doctrines shaykhi. Fatimih était pourtant devenue une disciple fervente de Siyyid
Kazim qui lui avait donné le titre de Qurratu'l-Ayn (Consolation des yeux). Baha'u'llah
plus tard lui donna le nom de Tahirih (la pure).
L'histoire du babisme est tumultueuse car il apparaît rapidement que le Bab n'est
pas un simple intermédiaire entre le peuple et l'Imam caché selon la conception
chiite ou shaykhi, mais qu'il est l'Imam lui-même ou plus encore une Manifestation
de Dieu apportant un nouveau livre et une nouvelle loi.
Le premier souci du Bab, après sa déclaration en mai 1844, fut d'envoyer ses disciples
en mission. Il retint près de lui Quddus, le dernier des dix-huit à l'avoir reconnu,
pour l'accompagner dans son pèlerinage à La Mecque ; il envoya plusieurs disciples
en Perse et dans la région de Karbila en Iraq pour annoncer sa proclamation sans
toutefois dévoiler son identité et surtout confia à son premier disciple la mission
de se rendre à Téhéran pour y découvrir un trésor caché qui, selon ses dires,
éclipserait la lumière répandue par le Hijaz et par Shiraz réunis.
Arrivé à Téhéran, Mulla Husayn fut mis en rapport avec celui qu'il cherchait sans
le connaître. Son nom était Mirza Husayn 'Ali Nuri, fils d'un ministre du Shah.
Mulla Husayn lui fit remettre un extrait du premier document révélé par le Bab,
celui dont le premier chapitre avait été révélé en présence de Mulla Husayn pendant
la nuit de sa déclaration. Dès qu'il eut jeté un coup d'oeil sur le document,
Mirza Husayn 'Ali qui n'est autre que le futur Baha'u'llah, accepta la nouvelle
révélation. Cela se passait vers septembre 1844. Dès qu'il fut informé de la nouvelle,
le Bab s'embarqua pour La Mecque avec Quddus car il devait se proclamer le Mahdi
devant le Shérif de La Mecque qui négligea de répondre à l'épître que le Bab lui
avait fait remettre par Quddus.
Le Bab rentra à Shiraz en février mars 1845. Pendant son absence, ses disciples
avaient parcouru la Perse pour annoncer sa proclamation, subissant souvent les
mauvais traitements que leur infligeaient les autorités politiques et religieuses.
Le Bab lui-même fut amené devant le gouverneur de Shiraz, frappé au visage, puis
relâché sur parole et remis à la garde de son oncle maternel. Après une année
ou deux d'accalmie, la fièvre qui avait saisi ses partisans se communiqua aux
membres du clergé, aux classes commerçantes et atteignit les couches les plus
élevées de la société. Le Shah décida de s'informer et envoya un homme de confiance,
Siyyid Yahyay-i-Darabi, surnommé Vahid (l'unique). Celui-ci embrassa rapidement
la cause du Bab et refusa de retourner à la Cour. Un autre éminent érudit, Mulla
Muhammad-'Aliy-i-Zanjani, surnommé Hujjat, prit la défense du Bab. Tous deux périrent
dans les massacres qui eurent lieu à Nayriz et Zanjan.
Entre-temps, Mirza Husayn 'Ali n'était pas resté inactif. Il avait converti plusieurs
membres de son illustre famille à la cause du Bab. En septembre 1846, le Bab quitta
Shiraz pour Isfahan où il reçut la protection du gouverneur, Manuchir Khan d'origine
grégorienne, au grand mécontentement des autorités religieuses qui rédigèrent
un document déclarant le Bab hérétique et le condamnèrent à mort. Le gouverneur
fit partir ostensiblement le Bab pour le ramener en secret dans sa résidence privée
où il fut à l'abri pendant quatre mois. La mort du gouverneur devait mettre fin
à cette période de relative tranquillité pour le Bab. Le vice gouverneur, Gurgin
Khan, obtint du Shah un ordre d'amener le Bab en sa présence. Muni d'une escorte,
le Bab partit pour Téhéran où il n'arriva jamais car le Premier ministre, Haji
Mirza Aqasi, craignait que le Shah ne tombe sous l'influence du Bab.
Il envoya un ordre au chef d'escorte de conduire le Bab dans le nord de l'Iran
et de l'enfermer dans la forteresse de Mah-ku où il allait rester prisonnier jusqu'au
10 avril 1848. Le gouverneur de la forteresse, 'Ali Khan, après avoir témoigné
de l'hostilité envers son prisonnier, tomba petit à petit sous son charme. Les
rigueurs de l'emprisonnement se relâchèrent et un flot croissant de pèlerins,
dont Mulla Husayn, put rencontrer le Bab. Cependant des agents secrets chargés
de surveiller 'Ali Khan informèrent le Premier ministre de la tournure des événements,
ce qui provoqua le transfert du Bab à Chiriq où il fut confié à la garde du beau-frère
du Shah. Celui-ci appliqua d'abord rigoureusement les consignes reçues de Téhéran,
mais il ne put résister longtemps à la fascination que son prisonnier exerçait
sur lui. Il en fut de même des villageois de Chiriq, pourtant de race kurde, et
farouches ennemis des chiites.
Les principaux disciples du Bab sous la conduite de Mirza Husayn 'Ali, Quddus
et Tahirih s'étaient réunis dans un hameau du nom de Badasht en juin et juillet
1848. Le but principal de cette réunion était de proclamer les lois nouvelles,
c'est-à-dire de rompre avec l'islam.
C'est au cours de cette conférence que Tahirih apparut devant tous, le visage
découvert. Des nouveaux noms furent attribués: Mirza Husayn 'Ali fut appelé désormais
Jenab-i-Baha, comme furent attribués les noms de Quddus et de Tahirih. C'est par
ces noms qu'ils furent appelés par le Bab dans les épîtres qu'il adressa à chacun
d'entre eux.
Le but secondaire de la conférence était d'étudier les moyens de libérer le Bab.
Cet espoir ne put se réaliser car les partisans du Bab, lorsqu'ils quittèrent
Badasht poursuivis par des militaires, furent forcés de se réfugier près du tombeau
d'un Shaykh, endroit qu'ils fortifièrent pour s'abriter contre l'animosité croissante
de la population. Entre-temps Jenab-i-Baha et Tahirih étaient rentrés à Téhéran
et Mulla Husayn avait rejoint Quddus à Shaykh Tabarsi. Jenab-i-Baha à son tour
voulut également les rejoindre, mais il en fut empêché par les troupes que le
gouvernement avait expédiées sur place.
La lutte contre les retranchés de Shaykh Tabarsi ne dura pas moins de onze mois
et il fallut plusieurs régiments pour venir à bout des quelque 300 partisans du
Bab, qui réussissaient à mettre les troupes en fuite au cours de sorties audacieuses.
C'est lors d'une de ces sorties que Mulla Husayn fut mortellement blessé et ramené
dans le camp pour expirer dans les bras de Quddus. Finalement les assiégeants
eurent recours à la ruse pour en finir. Ils promirent la vie sauve aux survivants
en le jurant sur le Coran.
Quddus et ses compagnons ne furent pas dupes, mais ils acceptèrent par respect
pour le Coran. Ils furent presque tous massacrés et Quddus mourut dans d'horribles
souffrances. Ces événements de Tabarsi plongèrent le Bab dans un profond chagrin
au point que pendant six mois il fut incapable d'écrire ou de dicter. D'autres
massacres allaient suivre à Nayriz et à Zanjan. Le siège de cette dernière ville
était encore en cours que le Premier ministre, se passant d'un ordre du Shah,
ordonna au gouverneur de l'Adhirbayjan de procéder à l'exécution du Bab. Celui-ci
fut amené à Tabriz pour y subir un simulacre de procès et être condamné à mort.
L'exécution du Bab eut lieu le 9 juillet 1850 dans la cour de la caserne de Tabriz,
en présence d'une foule nombreuse tassée sur les toits. Un régiment arménien,
composé de 750 hommes et commandé par un chrétien, Sam Khan, fut chargé de cette
mission. Sam Khan s'était confié au Bab en le suppliant qu'on le libérât de cette
tâche imposée. Le Bab lui répondit: Suivez les instructions reçues, et si vos
intentions sont pures, le Tout-Puissant pourra certainement vous délivrer de votre
angoisse.
Quand le moment de l'exécution fut arrivé, le serviteur en chef vint chercher
le Bab en interrompant la conversation que celui-ci avait avec son secrétaire,
Siyyid Husayn. Le Bab déclara: Tant que je ne lui aurai pas dit tout ce que je
désire, aucune puissance terrestre ne pourra me réduire au silence. Le monde entier
serait-il armé contre moi qu'il serait impuissant à m'empêcher d'aller jusqu'au
bout de mon dessein. Le Bab n'en fut pas moins emmené dans la cour et suspendu
à un poteau avec l'un de ses disciples, Mirza Muhammad 'Alyi-i-Zunuzi, surnommé
Anis (compagnon).
Le régiment s'aligna sur trois rangs. Chaque rang, tour à tour, ouvrit le feu
jusqu'à ce que tout le détachement ait déchargé ses balles. Quand la fumée, intense
au point d'obscurcir le ciel, se fut dissipée, la foule vit avec stupeur que le
compagnon du Bab était indemne et brandissait les cordes qui avaient été coupées
par les balles. Quant au Bab, il avait disparu. On le retrouva dans la pièce d'où
on l'avait tiré, occupé à terminer l'entretien qu'il avait avec Siyyid Husayn.
Sam Khan refusa de recommencer l'exécution et quitta la cour de la caserne. Le
colonel du corps de garde s'offrit pour le remplacer et prit la tête d'un autre
régiment qui cribla les corps de balles et les déchiqueta. Cependant, leurs visages
ne furent que légèrement abîmés. Les corps furent transportés le soir même au
bord du fossé situé à l'extérieur des portes de la ville. Au milieu de la nuit
suivante, un disciple du Bab, Haji Sulayman Khan réussit à enlever les corps et
à les cacher. Sur l'ordre de Baha'u'llah, ils furent amenés à Téhéran et cachés
dans différents endroits jusqu'au jour où 'Abdu'l-Baha, le fils de Baha'u'llah,
put les faire acheminer jusqu'à Haïfa, en Terre sainte, où ils reposent maintenant
dans un mausolée construit à leur intention.
L'oeuvre du Bab est considérable. Seuls quelques-uns de ses écrits peuvent être
mentionnés ici. La nuit de sa déclaration, fut révélé le premier chapitre du Qayyumu'l-Asma',
un commentaire de la sourate de Joseph que Baha'u'llah appela "le premier, le
plus grand et le plus puissant de tous les livres" de la révélation babie.
Pendant presque tout le ministère du Bab, ce livre fut considéré par les babis
comme le nouveau Coran. Le Joseph du commentaire est la préfiguration de celui
qui sera l'auteur de la révélation suivante et qui aura à souffrir des machinations
de son propre frère. Pendant son incarcération à Mah-ku et à Chiriq, le Bab rédigea
les deux versions de son Bayan, appelé Livre-mère de sa révélation. La première
version est en persan et la seconde, plus courte, est en arabe. On y trouve les
lois de la nouvelle révélation, que le Bab déclara soumettre à l'approbation de
celui qu'il appelle "celui que Dieu rendra manifeste".
C'est ainsi que le Bab se présente non seulement comme une nouvelle "porte" vers
Dieu mais aussi comme la "porte" vers cette nouvelle figure eschatologique. Ô
confrérie des fidèles du Bayan et de tous ceux qui en font partie ! Acceptez les
limites qui vous sont imposées, car un être tel que le Point du Bayan lui-même
a cru en celui que Dieu rendra manifeste, avant que toutes choses ne fussent créées.
C'est véritablement de cela que je me glorifie, devant tous ceux qui sont dans
le royaume des cieux et sur la terre ; ou encore Si, au jour de sa révélation,
tous ceux qui sont sur la terre lui prêtent serment, la joie entrera au plus profond
de mon être puisque tous auront atteint le sommet de leur existence.
Cette nouvelle révélation, le Bab l'annonce pour très bientôt. Dans l'année neuf,
vous atteindrez au bien suprême. Dans l'année neuf, vous arriverez à la présence
de Dieu... Après Hin (68), une cause vous sera révélée que vous serez amenés à
connaître... Ce n'est qu'après l'expiration de neuf années après la naissance
de cette cause que les réalités des choses créées seront rendues manifestes. Par
ailleurs, il annonce un autre délai de 19 ans: Soyez vigilants depuis la naissance
de la révélation jusqu'au nombre de Vahid (19)... Le Seigneur du Jour du règlement
sera manifesté à la fin de Vahid et au commencement de quatre-vingts (1280 A.H)..
En conclusion, le Bab est accepté par les baha'is comme l'auteur d'une révélation
nouvelle. Il est une Manifestation de Dieu à part entière et a le même rang que
tous les autres messagers divins. Mais en même temps, il se présente comme le
précurseur d'une révélation plus importante que la sienne, Tout ce qui a été révélé
dans le Bayan n'est qu'une bague à mon doigt, et en vérité je ne suis moi-même
qu'une bague au doigt de celui que Dieu rendra manifeste... Sois témoin que, par
ce livre, j'ai conclu une alliance avec toutes choses créées, concernant la mission
de celui que tu rendras manifeste, avant d'établir le covenant concernant ma propre
mission.
3. La naissance de la révélation baha'ie
Le porteur de cette nouvelle révélation n'est autre que Mirza Husayn 'Ali Nuri,
déjà appelé Jenab-i-Baha par le Bab et qui prendra plus tard le titre de Baha'u'llah,
la Gloire de Dieu. Par souci de simplification, nous l'appellerons dorénavant
Baha'u'llah.
Il est né le 12 novembre 1817 dans une famille riche et importante. Son père Mirza
Abbas-i-Nuri, appelé aussi Mirza Buzurg-i-Vazir, est un descendant de Yazdigird
III, dernier empereur sassanide. Baha'u'llah a donc une origine zoroastrienne,
mais il a aussi une origine sémitique car sa famille remonte à Ketura, la troisième
femme d'Abraham. La famille provient de la ville de Takur, dans le district de
Nur de la province de Mazindaran.
C'est un enfant exceptionnel. Il passait plusieurs mois de l'année dans le palais
de Takur où il reçut l'éducation habituelle des gens fortunés. Il fut confié à
des tuteurs qui lui apprirent la calligraphie et la lecture du Coran. Toutefois,
il ne fréquenta pas les écoles théologiques ; son savoir sera donc inné comme
le fut celui du Bab. Vers 5 ou 6 ans, il rêva qu'il était entouré par des oiseaux
qui ne lui faisaient aucun mal, puis dans la mer par des poissons qui s'accrochaient
aux mèches de ses cheveux. Son père demanda qu'on interprète ce songe. La mer
est le monde et les poissons sont les peuples du monde. À 14 ans, sa réputation
était déjà grande pour ses commentaires et ses interprétations inédites du Coran
et des traditions, ainsi qu'en témoigne le Shaykh Muhammad Taqi, un mujtahid très
fameux de la région de Nur.
En 1835, à l'âge de 18 ans, il épousa Asiyih Khanum, aussi connue sous le nom
de Umu'l-Kainat, à qui Baha'u'llah donna le titre de Navvab. Ils eurent sept enfants
dont trois seulement survécurent. Navvab décéda en 1886 quelques années avant
Baha'u'llah. Comme il était d'usage dans son milieu, il prit une deuxième femme
en 1849, du nom de Fatimih Khanum, appelée aussi Mahd-i-'Ulya et qui était sa
cousine. Elle vécut jusqu'en 1904. De ce mariage naquirent trois fils et une fille.
Cette deuxième famille était destinée à jouer un rôle néfaste dans l'histoire
de la foi.
Nous avons vu comment Baha'u'llah accepta la déclaration du Bab à l'âge de 27
ans. Il abandonna tout pour se consacrer à la cause du Bab. Il fit de nombreuses
conversions dans sa propre famille et aussi parmi des personnages importants.
Après le meurtre du beau-père de Tahirih par un shaykhi fanatique, le mari de
Tahirih essaya d'accuser les babis dont plusieurs furent arrêtés. Baha'u'llah
n'hésita pas à leur rendre visite et à les aider. Il fut lui-même arrêté mais
rapidement relâché.
Après la conférence de Badasht où l'influence de Baha'u'llah fut prépondérante,
les babis furent attaqués à Niyala. C'est encore Baha'u'llah qui réussit à les
protéger et à leur faire rendre ce qui leur avait été dérobé. Baha'u'llah retourna
vers Nur en visitant les villes et les villages.
Le Premier ministre, Mirza Aqasi, avait réussi à obtenir de Muhammad Shah un ordre
d'arrestation de Baha'u'llah. Cet ordre parvint à Baha'u'llah alors qu'il était
l'hôte de notables à Bandar-Jaz où l'agent consulaire russe lui offrit un passage
sur un bateau qui se rendait en Russie. Mais Baha'u'llah refusa. C'est alors qu'un
messager apporta la nouvelle de la mort du Shah, ce qui rendait l'ordre caduc.
Quand il apprit que les babis s'étaient retranchés à Tabarsi, Baha'u'llah leur
rendit visite où il fut reçu avec un profond respect par Mulla Husayn. À ce moment,
Quddus était retenu prisonnier à Sari. Baha'u'llah obtint sa libération ce qui
permit à Quddus de rejoindre Mulla Husayn à Tabarsi, Baha'u'llah quitta la forteresse
en promettant de revenir bientôt. Mais la tentative de cette deuxième visite échoua
alors que Baha'u'llah n'était plus qu'à neuf miles de Tabarsi.
Baha'u'llah fut conduit à Amul par une troupe importante. Le vice gouverneur obtint
sa libération et Baha'u'llah put repartir pour Nur et ensuite Téhéran où il reçut
plusieurs babis importants tels que Vahid avant le départ de celui-ci pour Nayriz,
Mirza 'Aliy-i-Sayyah, le courrier du Bab, Mulla 'Abdu'l-Karim-i-Qazvini, qui lui
apportait l'écritoire que le Bab lui avait léguée, Mulla Muhammad-i-Zarandi, connu
sous le nom de Nabil-i-A'zam et qui écrivit une histoire du Bab et de Baha'u'llah.
Ce dernier joua aussi un rôle important pour sauver les restes du Bab.
Après le martyre du Bab, Baha'u'llah fut reçu par le nouveau Grand Vizir, Mirza
Taqi Khan. Celui-ci était persuadé que les babis résistaient à cause du soutien
accordé par Baha'u'llah. Il lui offrit donc un poste important, celui de Chef
de la Cour, mais Baha'u'llah refusa. Le Premier ministre lui demanda alors de
s'éloigner pour un temps. Baha'u'llah accepta et il se rendit en pèlerinage dans
les villes saintes d'Iraq. Il arriva à Karbila en octobre 1851, où il rencontra
Shaykh Hasan-i-Zunuzi qui avait servi de secrétaire au Bab à Mah-ku et à Chiriq
et à qui le Bab avait promis qu'il rencontrerait à Karbila le Husayn promis.
En Perse, le Premier ministre, Mirza Taqi Khan, déchu, avait été remplacé par
Mirza Aqa Khan. Mirza Taqi Khan est le grand responsable des massacres des babis
à Tabarsi, Nayriz et Zanjan et de la mort du Bab. Il fut sans doute un réformateur
zélé et efficace, introduisant en Perse plusieurs systèmes occidentaux d'éducation
et de journalisme. Il n'avait cependant rien d'un démocrate car c'était un véritable
tyran. Mirza Aqa Khan, le nouveau Premier ministre, n'était pas hostile à Baha'u'llah.
Il lui écrivit pour le prier de rentrer à Téhéran.
Entre-temps un groupe de babis irresponsables forma le projet d'assassiner le
Shah, projet qui échoua lamentablement, tellement les conjurés étaient mal préparés.
Ils se rendirent à Niyavaran où le Shah chassait et le 15 août 1852, les conjurés
qui étaient trois certainement, peut-être plus car on ne connaît pas leur nombre
exact, tentèrent leur coup avec des pistolets et des poignards mal adaptés. Le
Shah ne fut que légèrement blessé.
Quant aux trois babis, ils furent massacrés sur place. Ce fut le signal d'une
chasse générale aux babis, à l'instigation surtout de la mère du Shah. Trente-huit
babis importants furent arrêtés dans la maison de Haji Sulayman Khan et emprisonnés
dans le Siyah-Chal à Téhéran.
Baha'u'llah qui était rentré de Karbila séjournait à Afjih chez le frère du Premier
ministre. Celui-ci le fit prévenir et l'informa aussi de l'hostilité particulière
de la Reine Mère à son égard. Les amis de Baha'u'llah s'offrirent de le cacher,
mais il refusa. Au contraire il partit pour se rendre à la Cour en vue de disculper
les amis. Il s'arrêta d'abord chez son beau-frère qui était secrétaire du Prince
Dolgorouki, ministre plénipotentiaire russe. Celui-ci offrit à Baha'u'llah l'hospitalité
de la Russie qui fut également déclinée.
Lorsque le Shah apprit où se trouvait Baha'u'llah, il ordonna de l'arrêter et
c'est ainsi que Baha'u'llah, fut traîné, nus pieds et sans couvre chef par une
chaleur intense jusqu'à la Cour. Il fut lui aussi jeté dans la fosse noire du
Siyah-Chal où se trouvaient déjà une quarantaine de babis, mais aussi une centaine
de prisonniers de droit commun.
La Reine Mère voulait l'inculpation de Baha'u'llah, mais le prince Dolgorouki
obtint qu'une enquête soit menée qui établît l'innocence de Baha'u'llah dans cette
tentative d'assassinat. Le séjour de Baha'u'llah dans cette prison dura quatre
mois dans des conditions d'hygiène et de souffrances inimaginables.
Baha'u'llah portait autour du cou des chaînes pesant jusqu'à cinquante kilos.
Il en conservera la marque jusqu'à la fin de ses jours. L'angoisse aussi était
indescriptible car on venait chercher de temps en temps un prisonnier pour l'exécuter
sans autre forme de procès. Le fils aîné de Baha'u'llah, 'Abdu'l-Baha, avait neuf
ans à cette époque et chaque jour, il se rendait à la prison, mandé par sa mère,
pour aller s'enquérir si Baha'u'llah vivait encore.
Un jour il fut autorisé à entrer dans la prison accompagné d'un garde. Dès que
Baha'u'llah aperçut l'enfant descendant les marches de l'escalier qui était l'unique
voie d'accès et de lumière, il cria qu'on l'emmène immédiatement car il ne voulait
pas être vu par son fils dans l'état où il se trouvait. C'était trop tard, l'enfant
avait eu le temps de voir son père et cette image restera marquée dans sa mémoire
pour le restant de ses jours.
Ce séjour dans la prison du Siyah-Chal est un des événements majeurs de la vie
de Baha'u'llah. C'est au cours de ce moment d'intense désespoir que la révélation
descendit sur lui, comme il en témoigne lui-même dans la Suratu'l-Haykal (Sourate
du Temple) et dans la lettre à Nasiri'd-Din Shah:
"O Roi ! Je n'étais qu'un homme comme les autres, endormi sur ma couche, et voici
que les brises du Très-Glorieux ont soufflé sur moi et m'ont donné la connaissance
de tout ce qui a été. Cela ne vient pas de moi mais de Celui qui est tout-puissant
et omniscient... Tandis que je sombrais sous le poids des afflictions, j'entendis
au-dessus de ma tête, une voix merveilleuse et infiniment douce qui m'appelait.
Levant les yeux, j'aperçus une créature virginale, personnification du nom de
mon Seigneur, qui flottait dans l'espace devant moi... montrant ma tête du doigt,
elle s'adressa à tous ceux qui sont au ciel et à tous ceux qui sont sur la terre,
en ces termes:
Au nom de Dieu, voici le Bien-aimé des mondes et cependant vous ne le comprenez
pas. Voici la Beauté de Dieu parmi vous, et la puissance de sa souveraineté en
vous, si seulement vous pouviez le comprendre. Celui-ci est le mystère de Dieu
et son trésor, la cause de Dieu et sa gloire pour tous ceux qui sont dans les
royaumes de la révélation et de la création, si vous êtes de ceux qui perçoivent.
En vérité, nous te rendrons victorieux par toi-même et par ta plume. Ne t'afflige
pas à cause de ce qui t'est arrivé et ne sois pas effrayé, car tu es en sécurité.
Bientôt Dieu fera paraître les trésors de la terre: des hommes qui t'aideront
par toi-même et par ton nom, avec lesquels Dieu a ranimé les coeurs de ceux qui
l'ont reconnu."
On ne sait pas à quel moment précis, cette certitude d'être celui que Dieu a choisi,
c'est-à-dire celui que Dieu doit manifester selon les termes employés par le Bab,
s'est imposée à Baha'u'llah. On sait seulement que cela s'est passé pendant le
séjour de quatre mois dans le Siyah-Chal.
Le Shah dut se résoudre à libérer Baha'u'llah après les résultats de l'enquête
exigée par le représentant russe. Il n'en ordonna pas moins le bannissement à
vie de Baha'u'llah qui avait un mois pour quitter la Perse.
Mirza Aqa Khan envoya chercher Baha'u'llah qui refusa le manteau qu'on lui offrait
et choisit de comparaître dans ses habits de prisonnier devant le Premier ministre.
Tous les biens de Baha'u'llah avaient été confisqués, il n'avait donc plus de
maison et il était trop faible pour prendre le chemin de l'exil. Il se rendit
chez son demi-frère, l'époux de sa cousine Maryam qui devint plus tard une fidèle
disciple et qui était aussi la soeur de sa deuxième femme. Quant à la famille
de Baha'u'llah, elle avait trouvé refuge dans un quartier obscur de la capitale.
Le 12 janvier 1853, Baha'u'llah et sa famille, son frère Mirza Musa et son demi-frère
Mirza Muhammad Quli accompagnés d'un représentant du gouvernement persan et d'un
officiel de la légation russe, prirent la route de Bagdad où ils arrivèrent le
3 avril 1853 après un voyage éprouvant au coeur de l'hiver et à travers les montagnes
du Kurdistan.
4. Le séjour à Bagdad
À peine installé à Bagdad, Baha'u'llah est rejoint par son demi-frère, Mirza Yahya,
de treize ans son cadet. Celui-ci avait été élevé par Baha'u'llah, car leur père
était mort alors que Mirza Yahya était encore un enfant. Baha'u'llah lui avait
enseigné la cause du Bab et c'est Mirza Yahya, qui sur le conseil de Baha'u'llah,
avait été désigné nominalement par le Bab pour prendre la tête de la communauté
après sa mort qu'il savait imminente.
Le mystère de la désignation de ce jeune homme n'était connu que de deux personnes
en dehors du Bab: Baha'u'llah qui en était l'inspirateur et Mulla 'Abdu'l-Karim-i-Qazvini
qui avait servi de secrétaire au Bab et qui avait apporté l'écritoire du Bab à
Baha'u'llah. Il s'agissait de détourner de Baha'u'llah l'attention des autorités
pour protéger ce dernier devenu trop célèbre à Téhéran. Mirza Yahya était un être
craintif, très soucieux de se protéger. Depuis la mort du Bab et les persécutions
dont faisaient l'objet les babis, il se cachait dans les montagnes. Il s'empressa
de rejoindre son frère à Bagdad en lui demandant que son incognito soit sauvegardé.
Cette attitude privait de direction une communauté déjà tellement éprouvée par
la disparition des principaux disciples. Ceux qui cherchaient à obtenir des directives
ne les trouvaient pas auprès de Mirza Yahya. Ils s'adressaient donc à Baha'u'llah
dont le prestige et l'autorité étaient communément acceptés, bien que le véritable
rang de Baha'u'llah fut encore un secret pour tous. La révélation de Lawh-i-Kullu't-Ta'am
(épître de toute nourriture) en est une parfaite illustration.
Un babi éminent, Haji Mirza Kamalu'd-Din s'était adressé à Mirza Yahya pour obtenir
un commentaire d'un verset du Coran où il est question de la nourriture interdite
aux Juifs. Mirza Yahya répondit d'une manière si banale que Kamalu'd-Din faillit
en perdre sa foi dans le Bab. Heureusement, il s'adressa à Baha'u'llah qui lui
révéla cet écrit dans lequel il commente les mondes spirituels évoqués par les
grands penseurs soufis, et indique que le mot "nourriture" a de très nombreuses
significations, comme par exemple, l'accès à la connaissance ou la reconnaissance
de la Manifestation de Dieu.
Mirza Yahya en fut jaloux, mais il aurait sans doute supporté cette situation
s'il n'avait pas été influencé par un petit groupe d'ambitieux qui supportait
mal l'ascendant que prenait Baha'u'llah sur tous ceux qui l'approchaient. Parmi
ces gens, d'ailleurs très peu nombreux, il faut retenir le nom de Siyyid Muhammad-i-Isfahani
car il sera le principal instigateur de l'opposition à Baha'u'llah, opposition
qui prendra plus tard une tournure dramatique.
Baha'u'llah supportait très mal cette jalousie de son demi-frère car il y voyait
l'amorce d'une scission dans les rangs des babis. Aussi décida-t-il de quitter
Bagdad pour vivre en solitaire dans les montagnes du Kurdistan. Le 10 avril 1854,
Baha'u'llah quitta Bagdad sans dire à personne où il allait. Les habitants de
ces montagnes l'appelèrent Darvish Muhammad-i-Irani et son souvenir est encore
présent aujourd'hui parmi les descendants de ces populations. Baha'u'llah attira
malgré lui l'attention de certains ordres soufis établis dans cette région proche
de Sulaymaniyyih. Ce fut l'occasion de la révélation de quelques écrits d'une
grande profondeur spirituelle où Baha'u'llah évoque la gloire du très grand Esprit
de Dieu qui descend sur lui.
À Bagdad, la situation de la communauté babie se dégradait de plus en plus. Par
une série de circonstances, la famille de Baha'u'llah eut connaissance de l'existence
de ce darvish au savoir exceptionnel vivant en ermite dans les montagnes. Elle
dépêcha des émissaires pour prier Baha'u'llah de rentrer à Bagdad, ce qu'il fit
le 19 mars 1856, soit après une absence de deux années.
Nous n'avons trouvé qu'une poignée d'âmes, faibles et déprimées, et même complètement
perdues et mortes. La cause de Dieu n'était plus sur aucune lèvre, et nul coeur
n'était réceptif à son message... Par Dieu, au-dessus duquel il n'est pas d'autre
dieu, si je ne m'étais pas rendu compte du fait que la cause bénie du Point premier
était à la veille de disparaître complètement, et que tout le sang sacré répandu
sur le chemin de Dieu serait versé en vain, je n'aurais nullement consenti à retourner
parmi le peuple du Bayan, et je l'aurais abandonné au culte des idoles que son
imagination avait créées.
Certains babis éminents, déçus de ne trouver aucun soutien dans leur chef désigné
qu'ils ne pouvaient même pas approcher, allèrent jusqu'à déclarer qu'ils étaient
celui que le Bab avait annoncé. On en dénombra au moins vingt cinq, ce qui provoqua
des factions se heurtant les unes aux autres. Dès son retour, l'autorité spirituelle
de Baha'u'llah ne tarda pas à se faire sentir tant sur les membres de la petite
communauté que sur ceux qui avaient l'habitude de conspuer les babis lorsqu'ils
s'aventuraient dans le bazar.
Quelques-uns de ceux qui s'étaient proclamés "Celui que Dieu doit rendre manifeste"
confessèrent leur erreur et se rangèrent parmi les compagnons les plus fervents
de Baha'u'11ah. Plusieurs personnalités de haut rang, dont des princes persans
et des officiels ottomans recherchèrent la présence de Baha'u'llah. Deux gouverneurs
de Bagdad, Mustafa Nuri Pasha et Namiq Pasha, le tenaient en très grande estime.
Beaucoup de 'ulama' reconnaissaient le savoir inexplicable de Baha'u'llah du fait
qu'il n'avait reçu aucune instruction pour justifier un tel savoir, mais ils refusaient
d'accepter la religion nouvelle. Seul un miracle pourrait à leurs yeux justifier
son rang. Baha'u'llah leur répondit que personne n'avait le droit de tester Dieu
en demandant un miracle. Pourtant il était prêt à accéder à leur demande à condition
qu'ils se mettent d'accord sur le miracle à accomplir et s'engagent à reconnaître
la vérité de la nouvelle cause. Les 'ulama' n'osèrent pas prendre un tel engagement.
Cet ascendant que prenait Baha'u'llah sur la plupart de ceux qu'il rencontrait
rendait très nerveux le consul persan à Bagdad, Mirza Buzurg Khan, d'autant plus
qu'un personnage intrigant venait d'arriver, Shaykh 'Abdu'l-Husayn-i-Tihrani,
envoyé sous le prétexte de veiller à la réparation des tombeaux des Imams, en
réalité pour l'éloigner de la Cour où ses intrigues n'étaient plus supportées.
Ces deux êtres ambitieux unirent leurs efforts pour nuire à Baha'u'llah. Ils essayèrent
d'abord d'obtenir l'appui du gouverneur, Mustapha Nuri Pasha, qui refusa d'intervenir.
Ils essayèrent aussi de faire assassiner Baha'u'llah, mais le brigand recruté
fut incapable d'accomplir son forfait dès qu'il fut en sa présence. Ils s'adressèrent
alors à l'ambassadeur persan à Istanbul, Haji Mirza Husayn Khan, en faisant valoir
qu'il était dangereux d'avoir un personnage de l'influence de Baha'u'llah si près
des frontières de la Perse à cause surtout du nombre de personnes qui venaient
de la région mais aussi de la Perse pour rencontrer Baha'u'llah. L'ambassadeur
s'adressa au ministre des Affaires étrangères à Téhéran pour obtenir des instructions.
Le sultan de Turquie fut approché. Les autorités persanes espéraient que la Turquie
renverrait Baha'u'llah en Perse où elles pourraient en finir, mais le sultan avait
reçu du gouverneur de Bagdad, des rapports favorables à Baha'u'llah.
Finalement le sultan, 'Abdu'l-Majid, forcé de donner une certaine satisfaction
aux Persans, invita Baha'u'llah à venir à la Cour à Istanbul. C'était apparemment
une invitation, mais en fait il s'agissait d'un ordre impérial qui embarrassa
le nouveau gouverneur, Namiq Pasha, au point qu'il se passa près de trois mois
avant qu'il ne se résolve, après avoir reçu plusieurs rappels, à en informer Baha'u'llah.
La communauté de Bagdad s'était rassemblée pour fêter le Naw Ruz de l'année 1863.
Dix ans s'étaient écoulés depuis l'arrivée à Bagdad. Les babis étaient joyeux,
ils avaient un guide, ils étaient bien considérés par la plupart des gens et étaient
unis dans leur amour pour Baha'u'llah. Les petites intrigues de Mirza Yahya et
de Siyyid Muhammad ne les affectaient pas beaucoup.
Pourtant au cours de la fête de Naw Ruz, Baha'u'llah révéla une épître, Lawh-i-Mallahu'l-Quds
(épître du saint Nautonier) qui, après une évocation mystique de l'action de l'Esprit
Saint, fait allusion à des souffrances à venir. C'est alors que l'émissaire du
gouverneur se présenta avec l'ordre du sultan ; le gouverneur n'avait pas eu le
courage de venir lui-même. Baha'u'llah indiqua d'abord qu'il se rendrait seul
à l'invitation de la Cour, ce qui consternait son entourage, mais les autorités
insistèrent pour que toute la famille soit du voyage, ainsi que des compagnons.
Il était clair que c'était un voyage sans retour, en quelque sorte un nouveau
bannissement, malgré le ton affable et courtois du document et l'aide qui était
offerte pour les dépenses du voyage. Baha'u'llah refusa la somme offerte. Forcé
d'accepter, il la distribua aux pauvres de la ville. Outre la famille, quelque
vingt-cinq personnes devaient être du voyage. Ainsi se terminaient les dix premières
années de l'exil de Baha'u'llah.
Ce furent des années fertiles car la littérature baha'ie est riche de nombreux
écrits datant de cette époque. Quatre ouvrages cependant sont à mettre en avant
parce qu'ils touchent des aspects importants de l'enseignement baha'i: la mystique
avec les Sept Vallées et les Quatre Vallées ; la spiritualité, l'éthique et la
morale avec les Paroles cachées ; la théologie avec le Livre de la Certitude:
Haft-Vadi (Les Sept Vallées) sont une réponse aux questions posées par
le Shaykh soufi Muhyi'd-Din. Elles décrivent le voyage mystique de l'âme à la
recherche de son bien-aimé à travers sept conditions spirituelles, symbolisées
par des vallées à l'instar de l'ouvrage écrit au XIIIe siècle par le mystique
soufi, Faridu'd-Din-i-'Attar. Baha'u'llah n'en précise pas moins que ces évocations
mystiques font appel à des connaissances spéculatives, dont sont férus les philosophes,
alors que le vrai chemin vers Dieu est celui de l'acceptation de sa révélation
dispensée par ceux qui sont porteurs du Verbe divin.
Chihar-Vadi (Les Quatre Vallées) sont également une réponse à un Shaykh,
Abdu'l-Rahman-i-Karkuki, supérieur d'un ordre mystique sunnite ; elles décrivent
les chemins parallèles que l'âme peut emprunter dans sa recherche du Divin. Kalimat-i-Maknunih (Les Paroles cachées) furent révélées en 1858 sur les
bords du Tigre, avec des additions ultérieures. Elles furent d'abord connues sous
le titre: "Livre caché de Fatimih" en souvenir des paroles révélées par l'archange
Gabriel à la fille de Muhammad en consolation pour la mort de son père, selon
une tradition chiite. Ces conseils et ces admonestations guident l'homme dans
sa vie éthique et spirituelle afin de l'aider à rester fidèle à l'alliance éternelle
de Dieu. Kitab-i-Iqan (Le Livre de la certitude) fut révélé en 1862, il répond à
la préoccupation de Haji Mirza Siyyid Muhammad, un des oncles maternels du Bab,
qui ne pouvait accepter que son neveu puisse être un Messager divin puisque Muhammad
avait déclaré être le Sceau des prophètes. Baha'u'llah décrit la puissance spirituelle
des prophètes du passé en dépit de l'opposition qui leur a été faite, démontre
comment le Bab a vécu la même situation, explique la signification de la "Présence
divine" ainsi que celle des notions de résurrection et de jugement, notamment
celle du "jugement dernier" évoqué dans le Coran. Il donne les clés nécessaires
à la compréhension des prophéties des Écritures sainte du passé et évoque en termes
voilés, sa propre manifestation.
Parmi les nombreux écrits de cette période, on peut signaler:
Sahifiy-i-Shattiyyih (le Livre de la rivière) dans lequel Baha'u'llah parle
de la puissance irrésistible de la cause de Dieu et de sa souveraineté, une cause
qui poursuit sa marche en avant comme le Tigre qui traverse Bagdad.
Madinatu'l-Rida (la Cité de l'acquiescement radieux). Le vrai croyant trouve
le bonheur dans l'accomplissement de la volonté divine et dans le fait d'avoir
accepté la révélation du Bab, mais il perd cet état radieux dès l'instant où il
s'attache au monde. Madinatu'l-Tawhid (La cité de l'unité) dans laquelle Baha'u'llah affirme
l'unité de toutes les Manifestations de Dieu.
Lawh-i-Huriyyih (Tablette de la Vierge), dans laquelle Baha'u'llah donne
une description merveilleuse de la Révélation divine, où la Vierge céleste symbolise
les attributs glorieux de Dieu qui n'ont pas encore été dévoilés à l'humanité.
Dans tous ces écrits, on peut déceler des allusions par Baha'u'llah à sa propre
mission sans toutefois qu'il la révèle explicitement.
5. La déclaration dans le jardin de Ridvan
Les préparatifs du départ furent finalement entrepris. Baha'u'llah quitta sa maison
de Bagdad le 22 avril 1863 pour se rendre sur les berges du Tigre où une embarcation
l'attendait pour le transporter sur l'autre rive et gagner le jardin mis à sa
disposition par Najib Pasha car trop de personnes se pressaient à la porte de
sa maison qui était trop petite pour les recevoir tous.
Ce jardin porte le nom de Najibiyyih et sera appelé plus tard jardin du Ridvan
(Paradis). Avant de s'embarquer Baha'u'llah s'adressa à ses compagnons: Ô mes
compagnons, je vous confie la tâche de garder cette ville de Bagdad dans l'état
où vous la voyez aujourd'hui, alors que, comme les pluies au printemps, des pleurs
coulent des yeux des étrangers et des amis qui se pressent sur les toits des maisons,
dans les rues et sur les marchés et que je m'en vais. Il vous appartient maintenant
de veiller afin que vos actes et votre conduite n'affaiblissent pas la flamme
d'amour qui brille dans le coeur de ses habitants.
Baha'u'llah était accompagné de trois de ses fils: 'Abdu'l-Baha (18 ans), Mirza
Mihdi (14 ans) et Muhammad 'Ali (10 ans), ainsi que de son secrétaire, Mirza Aqa
Jan. Il y avait aussi d'autres croyants dont l'identité n'est pas toujours clairement
établie. Nabil-i-A'zam donne une liste de 20 personnes, mais elle ne semble pas
être complète.
Sur le trajet de la maison au jardin, une foule se pressait pour faire ses adieux.
La plupart de ces gens n'avaient aucun lien avec les babis ou les baha'is. Tous
déploraient le départ de celui qu'ils vénéraient, certains accusant ouvertement
le Shah, Nasiri'd-Din, d'être responsable de l'exil de Baha'u'llah. Tout se passait
contrairement à ce que les ennemis de Baha'u'llah avaient espéré ; les autorités
marquaient une déférence exceptionnelle.
C'est ainsi que lorsque 'Abdu'l-Baha et Mirza Musa, Aqay-i-Kalim, le frère de
Baha'u'llah, rendirent visite à Namiq Pasha, sur les instructions de Baha'u'llah,
ils reçurent une réception vraiment royale. Namiq Pasha lui-même écrivit à Baha'u'llah
au sujet de l'attitude du Consul général persan et à ses acolytes: Auparavant
ils insistaient pour que vous partiez, maintenant ils insistent davantage pour
que vous restiez.
Baha'u'llah resta douze jours dans le jardin au cours desquels il reçut la visite
de nombreux disciples et admirateurs. C'était le printemps et le jardin était
rempli de fleurs, des roses notamment que Baha'u'llah évoquera fréquemment dans
ses écrits. Chaque jour, en effet, il révélait une épître que Mirza Aqa Jan chantait
aux amis rassemblés.
Nous ne connaissons pas les détails de la déclaration de Baha'u'llah, cependant
selon une causerie donnée par 'Abdu'l-Baha à Bahji le 29 avril 1916, Baha'u'llah
déclara sa mission à ses compagnons dès le premier jour et annonça avec beaucoup
de joie l'inauguration de la fête de Ridvan Cette déclaration était attendue par
beaucoup de compagnons de Baha'u'llah, non seulement à cause des nombreuses allusions
qui se trouvent dans les écrits de la période de Bagdad comme les Sept vallées,
les Paroles cachées ou le Livre de la Certitude, mais aussi parce que le comportement
de Baha'u'llah s'était modifié au cours des derniers mois.
Selon une épître écrite par Mirza Aqa Jan, adressée à Aqa Muhammad-Rida, Baha'u'llah
fit également trois déclarations importantes le premier jour de son séjour dans
le Jardin de Ridvan:
- Il interdit le port de tout type d'armes.
- Il annonça qu'il n'y aurait pas de nouvelle Manifestation de Dieu avant une
période d'au moins mille ans. Cette déclaration fut confirmée plus tard dans le
Kitab-i-Badi' et dans le Kitab-i-Aqdas.
- Il déclara que maintenant tous les noms et attributs de Dieu étaient pleinement
manifestés dans les choses créées, ce qui impliquait l'avènement d'un nouveau
Jour et d'une nouvelle capacité en toutes choses.
La signification de la déclaration fut soulignée plus tard par Baha'u'llah dans
une épître appelée épître du Ridvan: Dis, Il est la manifestation de celui
qui est l'Inconnaissable et l'Invisible, puissiez-vous le comprendre. C'est lui
qui est le Bien-Aimé de toutes choses, tant du passé que de l'avenir. Puissiez-vous
mettre en lui votre coeur et vos espérances !... Attire à toi, par la voix de
celui qui est l'unique Bien-Aimé, les coeurs de tous les hommes. Dis: Voici la
voix de Dieu, si vous pouvez l'entendre. Voici l'aurore de la révélation de Dieu,
si vous pouvez la voir. Voici l'aube de la cause de Dieu, si vous êtes capables
de la reconnaître. Voici la source des commandements de Dieu, si vous pouvez en
juger avec équité.
Le séjour dans le jardin de Ridvan dura douze jours. Ce n'est que le neuvième
jour que le reste de la famille de Baha'u'llah le rejoignit et le départ fut fixé
pour le douzième jour. Namiq Pasha, le gouverneur, promit qu'il protégerait les
compagnons de Baha'u'llah, restés à Bagdad. Il rédigea aussi une lettre à l'intention
de tous les officiels pour que ceux-ci accordent toute l'aide possible aux voyageurs
sur leur longue route vers Constantinople.
Siyyid Muhammad devait rester à Bagdad en raison de toutes les intrigues qu'il
avait fomentées pour inciter Mirza Yahya à s'opposer à Baha'u'llah. Mais, selon
Aqa Rida, il en appela à 'Abdu'l-Baha pour intervenir auprès de Baha'u'llah afin
d'être autorisé à se joindre à la caravane. Finalement Baha'u'llah donna son consentement.
Siyyid Muhammad, ainsi que Mulla Muhammad-Ja'far-i-Naraqi avaient été désignés
comme "témoins du Bayan" par Mirza Yahya, alors qu'ils tenaient Mirza Yahya en
peu d'estime. Mirza Yahya, une fois informé du prochain départ de Baha'u'llah,
prit peur comme à son habitude et s'enfuit de Bagdad, sans en informer ses "témoins".
Mirza Yahya rejoignit la caravane aux environs de Mosoul et fut finalement autorisé
par Baha'u'llah, à se joindre aux exilés.
'Abdu'l-Baha donne un récit du voyage: Souvent, de jour ou de nuit, nous parcourions
la distance de 25 à 30 miles. Aussitôt un caravansérail atteint, chacun s'allongeait,
mort de fatigue et s'endormait. Chacun avait atteint un état d'épuisement tel
qu'il était incapable de tout mouvement. Mais lui-même n'avait souvent que très
peu ou même pas du tout de repos car il prenait sur lui de veiller à ce que le
groupe important, animaux inclus, soit nourri et pourvu de tout ce qui était nécessaire.
Le trajet de Bagdad à Samsun sur la mer Noire fut couvert en 22 étapes et en quelque
cent dix jours. À Salahiyyih (4e étape), le Qa'im-Maqam et d'autres notables vinrent
au-devant de la caravane non seulement pour accueillir et saluer les voyageurs,
mais pour les inviter à une véritable fête en leur honneur.
À cause de la chaleur de la journée, la caravane cheminait souvent la nuit. Parfois
il faisait si noir que certains s'égaraient comme Aqa Rida, qui, une nuit entre
Salahiyyih et Dust-Khurmatu, s'endormit d'épuisement sur le bord de la route.
S'étant réveillé cinq heures après, il se retrouva tout seul. Personne ne s'était
rendu compte de son absence en raison de l'obscurité. Il déambula pendant des
heures avant de retrouver la caravane. À Karkuk, ils atteignirent le pays kurde.
Des personnages importants vinrent saluer Baha'u'llah, à la grande perplexité
de quelques-uns comme Siyyid Muhammad-i-Isfahani.
Mirza Yahya, déguisé et accompagné d'un arabe du nom de Zahir, se trouvait déjà
à Mosoul. Baha'u'llah avait dit à Mirza Yahya qu'il était prêt à intervenir auprès
du gouverneur à Mosoul. Baha'u'llah avait dit à Mirza Yahya qu'il était prêt à
intervenir auprès du gouverneur, Namiq Pasha, pour qu'il puisse l'accompagner
à condition que ce soit au grand jour. Mirza Yahya qui était trop effrayé par
la perspective d'être découvert et d'être l'objet de mesures de la part des autorités
persanes et ottomanes avait décliné cette offre, préférant s'enfuir caché sous
un faux nom et sous un déguisement. Seuls Mirza Aqa Jan et Siyyid Muhammad-i-Isfahani
savaient qui il était. Tout le monde le prenait pour un voyageur juif qui s'était
joint à la caravane pour voyager en sécurité.
La caravane atteignit la mer Noire à Samsun. Arrivé en vue de la mer, Mirza Aqa
Jan supplia Baha'u'llah de leur faire l'honneur d'une nouvelle révélation. Ce
fut la Suriy-i-Hawdaj qui mettait une fin digne et puissante à cet exode.
Baha'u'llah a lié cette épître à l'épître du Saint Nautonnier en faisant allusion
aux épreuves et aux souffrances qu'il faut savoir endurer dans le service de Dieu
car celles-ci nous aideront à comprendre les mystères de la cause de Dieu et à
rester ferme dans la Foi. Ils restèrent huit jours à Samsun attendant le vapeur
qui devait les conduire à Istanbul. Celui-ci jeta l'ancre dans le port d'Istanbul
après trois jours de traversée, le dimanche 16 août 1863.
6. Constantinople
Après leur débarquement, Baha'u'llah et sa famille furent conduits dans une maison
de Shamsi Big, près de la mosquée Khirqiy-i-Sharif où était conservé un manteau
qui était sensé avoir appartenu au prophète Muhammad et ramené d'Egypte en 1517
par Salim I. Ce manteau était le signe de l'autorité du calife. La maison de Shamsi
Big était trop petite pour accueillir toute la famille bien que Shamsi Big fasse
de son mieux pour remplir ses devoirs d'hôte.
Le lendemain de leur arrivée, un représentant de l'ambassadeur de Perse qui était
Haji Mirza Husayn Khan, vint présenter les respects de l'ambassadeur qui s'excusait
de ne pouvoir venir en personne. D'autres hauts dignitaires vinrent également
et l'on fit remarquer à Baha'u'llah qu'il était de coutume qu'un visiteur important
se présente au Ministère des Affaires étrangères dans les trois jours. Celui-ci
l'introduirait auprès du Premier ministre qui, à son tour, obtiendrait pour lui
une audience du sultan. Baha'u'llah s'y refusa catégoriquement en disant qu'il
n'avait rien à demander, ni à proposer. Il était venu à leur invitation et il
attendrait donc qu'on lui fasse signe si on souhaitait quelque chose de lui.
Beaucoup de personnalités venaient voir Baha'u'llah, notamment un certain Haji
Mirza Safa qui se prétendait être un murshid et à qui Baha'u'llah parla avec beaucoup
d'autorité, car ce Mirza Safa se révéla peu sincère et était une connaissance
intime de l'ambassadeur.
Après un mois environ, une autre demeure plus importante put être mise à la disposition
de Baha'u'llah et de sa famille. C'était un palais de trois étages possédant un
biruni (quartier des hommes) et un andaruni (quartier des femmes), avec un jardin
intérieur et dans le biruni, un bain turc.
Les visiteurs continuaient à affluer, des notables, même des ministres, certains
en secret. Mirza Yahya et ses complices suppliaient Baha'u'llah de solliciter
des faveurs et de se prosterner devant l'oppresseur. Plus tard l'ambassadeur lui-même
rendit témoignage de l'attitude digne de Baha'u'llah et déclara qu'il aurait souhaité
voir ses compatriotes se comporter comme Baha'u'llah car à cette époque, des princes
et des descendants Qajar se présentaient à la Sublime Porte pour obtenir de l'argent
et des pensions, si bien que les autorités ottomanes en vinrent à considérer les
Persans comme ne sachant pas se conduire.
Le 19 octobre 1963, lors de l'anniversaire de la déclaration du Bab, Baha'u'llah
révéla, à la suite d'une demande de Aqa Muhammad-'Aliy-i-Tambaku-Furush transmise
par 'Abdu'l-Baha, le merveilleux poème, Lawh-i-Naqus (tablette de la cloche),
capable de provoquer une atmosphère d'extase lorsqu'il est chanté, en raison de
la beauté et de la majesté de son rythme. O moine de l'Incomparable ! Sonne les
cloches car le Jour du Seigneur brille de tout son éclat et la Beauté du Tout-Glorieux
monte sur son trône saint et resplendissant.
C'est aussi pendant le séjour à Constantinople que Baha'u'llah écrivit ce chef
d'oeuvre de poésie persane, le Mathnaviy-i-Mubarak dont le contenu rappelle
les "Paroles cachées", car Baha'u'llah dévoile les mystères de l'être humain et
indique comment l'homme peut atteindre les sommets de gloire car il est, en réalité,
une manifestation du Divin, puisqu'en lui se reflète la lumière de Dieu et qu'en
lui sont déposés les signes et les attributs de Dieu, même si ceux-ci restent
latents attendant qu'ils se manifestent grâce aux efforts de l'homme pour purifier
son coeur.
Un jour, Shamsi Big apporta la nouvelle d'un transfert possible à Andrinople.
Il s'agissait, en fait d'un bannissement, ordonné par le sultan 'Abdu'l-Aziz et
ses ministres, 'Ali-Pasha, le Premier ministre et Fu'ad Pasha, le ministre des
Affaires étrangères, ainsi que l'avait suggéré avec insistance l'ambassadeur de
Perse. Baha'u'llah s'insurgea contre cet acte injuste et déclara notamment avec
autorité à Haji Mirza Safa, qui faisait partie du complot contre Baha'u'llah:
Nous ne sommes qu'un petit groupe, mais nous sommes prêts à connaître la mort
des martyrs.
Comme Mirza Safa essayait de lui expliquer qu'on ne s'opposait pas à un ordre
du gouvernement, Baha'u'llah lui répondit: Vous essayez de m'intimider... Je me
vois assis sur le trône de Puissance et d'Autorité. Ce fut toujours le lot des
Manifestations de Dieu de connaître l'injustice et l'oppression, mais les mesures
répressives n'ont jamais pu les empêcher de délivrer le message qui Dieu leur
avait confié.
Baha'u'llah envoya une communication au sultan dont nous ne possédons malheureusement
pas le texte et qui peut être considérée comme la première proclamation de Baha'u'llah.
Ce document fut remis par Shamsi Big au Pasha 'Ali, le Premier ministre. J'ignore
ce que contenait cette lettre, raconta plus tard Shamsi Big, mais à peine le grand
vizir en eut-il pris connaissance qu'il devint pâle comme un mort et qu'il remarqua:
c'est comme si le Roi des rois donnait ses ordres à son vassal le plus humble
et lui dictait sa conduite.
C'est alors que Mirza Yahya, Siyyid Muhammad et Mirza 'Ahmad cherchèrent à sauver
leur vie, en déclarant que l'attitude de Baha'u'llah entraînait leur famille dans
le martyre. Comme Baha'u'llah se rendait compte qu'une division risquait de se
produire parmi son entourage, il consentit à quitter Istanbul, mais déclara: Ils
nous ont appelés ici, en qualité d'invités et bien que nous soyons totalement
innocents, ils se tournent contre nous avec un esprit de vengeance. Si nous avions
persisté dans notre attitude de souffrir le martyre, l'effet de ce martyre aurait
été ressenti dans tous les mondes de Dieu. Peut-être même que rien ne nous serait
arrivé.
Pendant le séjour à Constantinople, Baha'u'llah mentionna pour la première fois
la nécessité de choisir une langue universelle comme deuxième langue. Il le déclara
à Kamal Pasha (un ancien Premier ministre), ainsi qu'il nous le rapporte dans
l'épître au Fils du Loup.
7. Andrinople
Pour Baha'u'llah, Andrinople est la prison lointaine (the most remote prison),
ainsi qu'il l'appelle dans l'épître à 'Ahmad. La cité d'Andrinople, conquise à
des tribus thraces par les Macédoniens, fut rebâtie sous Hadrien et appelée Hadrianopolis,
elle fut finalement capturée par les Turcs en 1362 et devint la capitale de l'empire
ottoman de 1413 à 1458.
Le trajet dut s'accomplir par un froid rigoureux et certains périrent des suites
du gel. À leur arrivée, les exilés furent logés dans un caravansérail, le Khan-i-'Arab,
où ils restèrent pendant trois nuits dans des conditions de confort très rudimentaire.
Baha'u'llah et sa famille furent ensuite logés dans une maison du quartier Muradiyyih,
près de la mosquée construite par le sultan Murad. La plupart des compagnons de
Baha'u'llah durent rester au caravansérail où il fallait leur apporter des repas
préparés dans la maison de Baha'u'llah. Le froid était toujours intense, comme
on n'en avait pas connu depuis quarante ans. Les bains publics étaient fermés
et les sources étaient gelées. Pour obtenir de l'eau, il fallait allumer des feux
et attendre que la glace fonde.
La première maison étant trop petite pour toute la famille ; celle-ci fut transférée
dans une maison plus grande dans le même quartier, à proximité d'un Takyih de
Maw-lavis, ce qui permit à ceux qui avaient dû rester dans le caravansérail d'occuper
la maison que Baha'u'llah quittait. Dans le même quartier, une troisième maison
fut louée pour Aqay-i-Kalim, Mirza Yahya et leur famille. Toutes ces maisons étaient
vieilles, sans confort et difficiles à chauffer.
De nombreux écrits furent envoyés aux babis de cette maison du quartier Muradiyyih.
Beaucoup de babis reconnurent Baha'u'llah à l'exception de quelques-uns comme
Siyyid Muhammad-i-Isfahani et Mirza 'Ahmad-i-Kashani qui incitaient Mirza Yahya
à affirmer sa propre autorité.
Après une dizaine de mois, Baha'u'llah dit à Mirza Mahmud-i-Kashani: priez pour
que Dieu nous permette de trouver une maison plus spacieuse. En quelques jours,
une autre maison fut trouvée dans le quartier de la mosquée du sultan Salim, au
coeur même de la ville, une maison appelée Amru'llah (la cause de Dieu). Baha'u'llah
déclara que c'était la réponse aux prières de Mirza Mahmud. L'andaruni (quartier
intérieur) avait trois étages et trente pièces. Baha'u'llah et sa famille occupèrent
le troisième étage. Mirza Muhammad-Quli, le second tandis que plusieurs serviteurs
occupaient le rez-de-chaussée.
Le biruni (quartier extérieur) avait quatre ou cinq belles pièces à l'étage. Elles
servirent de réception et de pièces pour la préparation des rafraîchissements.
Le reste des compagnons occupa l'étage moyen. Deux autres maison furent louées
à proximité, l'une pour Aqay-i-Kalim et sa famille, l'autre pour Mirza Yahya et
les siens.
Baha'u'llah conseilla à ses compagnons d'ouvrir des magasins et de s'engager dans
le commerce afin de gagner leur vie et d'avoir une occupation utile. Quelques-uns
restèrent exclusivement au service de Baha'u'llah. Ceux qui avaient des occupations
vaquaient à celles-ci pendant la journée, puis se réunissaient le soir auprès
de Baha'u'llah. Une fois de plus, Siyyid Muhammad-i-Isfahani et Mirza 'Ahmad-i-Kashani
s'abstinrent de suivre les conseils de Baha'u'llah et restèrent inactifs. Leur
véritable nature perverse commençait à se dévoiler.
Les amis qui se réunissaient le soir dans le biruni chantaient des prières révélées
par le Bab. Les signes de la rébellion de Mirza Yahya devenaient de plus en plus
évidents. Environ une année s'était écoulée lorsque celle-ci éclata au grand jour.
Mirza Yahya se résolut à éliminer Baha'u'llah par le poison. Il se mit à inviter
Baha'u'llah chez lui, contrairement à son habitude. Il s'informa auprès de Aqay-i-Kalim,
sous divers prétextes, de l'effet de certaines herbes et substances médicinales.
Un jour il concocta une mixture qu'il servit dans le thé de Baha'u'llah. Celui-ci
faillit en mourir et selon les dires de Baha'u'llah lui-même, son médecin, le
Dr Shishman, un chrétien, offrit sa vie pour que celle de Baha'u'llah soit épargnée.
Le médecin mourut effectivement après avoir indiqué que le Dr Chupan prendrait
la relève.
Baha'u'llah resta malade près d'un mois et conserva un tremblement des mains jusqu'à
la fin de ses jours. Cela est visible dans les écrits de sa main après cette période.
Par la suite, Mirza Yahya essaya d'empoisonner le puits qui alimentait la famille
en eau, ainsi qu'en a témoigné une de ses femmes (Badri-Jan). Pour essayer de
se justifier, Mirza Yahya expliqua que Baha'u'llah s'était empoisonné lui-même
en prenant par inadvertance des aliments qu'il avait empoisonnés et que Mirza
Yahya avait refusés lorsqu'ils lui avaient été présentés.
La maladie de Baha'u'llah privait les amis de sa présence car ils n'osaient pas
demander l'autorisation de lui rendre visite. Ce fut Baha'u'llah qui les appela
à son chevet alors qu'il était encore très faible. Un jour qu'ils étaient venus
le voir, il leur demanda des nouvelles d'un de leurs compagnons qui était malade.
Ils répondirent qu'ils étaient venus directement sans lui rendre visite. Baha'u'llah
leur dit qu'ils avaient tort et qu'ils auraient dû rendre visite d'abord à leur
ami avant de venir le voir. Baha'u'llah voulait leur enseigner l'art de s'inquiéter
les uns des autres et de s'entraider.
L'animosité de Mirza Yahya grandissait car les affronts ne lui étaient pas épargnés.
Un jour Shaykh Salman lui demanda de faire un commentaire sur un vers de Sa'di.
Ce commentaire était tellement vide que cela rendait Mirza Yahya ridicule, même
aux yeux de Siyyid Muhammad qui ne se cachait pas pour se moquer de lui. Mirza
Yahya continuait d'ailleurs à essayer de cacher son identité. À Shamsi Big, qui
avait été leur hôte officiel à Istanbul, il se présentait comme un serviteur de
Baha'u'llah. Souvent, il résidait dans les quartiers des serviteurs bien qu'il
eut une maison à sa disposition.
N'ayant pas réussi par le poison, Mirza Yahya tenta d'acheter le barbier de Baha'u'llah
pour que celui-ci l'assassine. Le barbier, Ustad Muhammad-'Aliy-i-Salmani, décrivit
l'incident dans ses mémoires. Pendant près de trois mois, Mirza Yahya essaya de
se concilier Salmani en se plaignant de Baha'u'llah, avant de demander ouvertement
au barbier de lui trancher la gorge. Salmani fut si furieux qu'il voulut exécuter
Mirza Yahya sur le champ. Ce fut Baha'u'llah lui-même qui dut le calmer en lui
demandant de taire l'incident. Mais Salmani ne put se taire. Il prit tous les
écrits de Mirza Yahya en sa possession et les brûla ostensiblement devant les
compagnons étonnés. J'avais de l'estime pour Mirza Yahya, dit-il. Maintenant,
il est moins qu'un chien pour moi.
C'est alors que Baha'u'llah prit la décision de signifier à son demi-frère son
rang de "celui que Dieu doit manifester", annoncé par le Bab. Il révéla Suriy-i-Amr
(épître du commandement) qu'il fit porter à Mirza Yahya par Mirza Aqa Jan. Mirza
Yahya demanda une journée de réflexion. En réponse Mirza Yahya déclara que c'était
lui qui était porteur d'une révélation indépendante en indiquant d'une révélation
indépendante en indiquant l'heure et la minute à laquelle la révélation lui avait
été faite.
Cette crise consacrait la séparation définitive de Baha'u'llah et de son demi-frère.
Baha'u'llah appelle ces jours, les jours de détresse (Ayyam-i-Shidad) pendant
lesquels "le voile le plus atroce" fut déchiré et "la plus grande séparation"
fut décrétée.
Pour marquer celle-ci, Baha'u'llah quitta la maison d'Amru'llah pour s'installer
ailleurs, dans la maison de Rida-Big (10 mars 1866). Pendant deux mois, Baha'u'llah
refusa de rencontrer qui que ce soit, y compris ses compagnons.
Mirza Yahya essaya tout d'abord d'obtenir le soutien des babis en Perse. Il envoya
Haji Ibrahim-i-Kashi avec des lettres et des instructions en ce sens. Très vite,
Haji Ibrahim se rendit compte de l'ineptie des arguments avancés par Mirza Yahya
et de la haine que contenaient ces écrits. Il regretta son association avec Mirza
Yahya et rejoignit les compagnons de Baha'u'llah.
Voyant que ses efforts ne produisaient aucun résultat, Mirza Yahya envoya une
de ses femmes chez le gouverneur pour se plaindre que Baha'u'llah les laissait
mourir de faim Cette accusation était sans fondement car chacun recevait sa part
de la pension versée par le gouvernement, y compris Siyyid Muhammad-i-Isfahani.
Lorsque plus tard, on reprocha à Mirza Yahya d'avoir entrepris une telle démarche
sans fondement, il déclara que cela s'était fait à son insu et à l'initiative
de Siyyid Muhammad.
Mirza Yahya essaya en vain de se concilier le nouveau gouverneur, Khurshid Pasha
ainsi que le vice gouverneur, Aziz Pasha. Celui-ci était un admirateur de 'Abdu'l-Baha
qui était encore un jeune homme d'une vingtaine d'années. Cette admiration continua
plus tard lorsque Aziz Pasha fut nommé Vali à Beyrouth d'où il rendit deux fois
visite à Baha'u'llah pour lui présenter ses hommages. Les lettres pleines de flatterie
répugnante, adressées par Mirza Yahya au gouverneur furent montrées à 'Abdu'l-Baha.
Ce fut pour Baha'u'llah le signal de la fin de sa réclusion. Nous nous sommes
imposé cette retraite afin que le feu de l'hostilité puisse s'éteindre et que
des actes honteux soient évités, mais ils se sont livrés à des actions plus virulentes...
Le temps ordonné est fini.
Entre-temps, les compagnons avaient trouvé des maisons dans le voisinage. On pouvait
ainsi accueillir les pèlerins venant de Perse en nombre de plus en plus grand.
Baha'u'llah annonça cependant que cette situation n'allait pas durer, que l'on
verrait aussi la défaite de tous les opposants et ennemis de la cause. Il doit
être évident pour tous que nous n'avons accepté ces calamités et de devenir captif
que pour la gloire de la cause de Dieu et que pour témoigner de la vérité de sa
parole.
De nombreux écrits furent révélés pendant ces jours, si nombreux que les fils
de Baha'u'llah et Mirza Aqa Jan ne suffisaient pas à les retranscrire. En voici
les principaux:
Lawh-i-Baha, sans doute avant la retraite dans la maison de Rida Big, dans
laquelle Baha'u'llah exprime tout son chagrin devant l'attitude de son demi-frère
et annonce son intention de se retirer de la communauté.
Lawh-i-Ruh (épître de l'esprit), dont la première partie est consacrée
à la proclamation de sa mission et à la révélation de son rang sublime. Quant
à seconde partie, elle évoque les souffrances provoquées par la trahison des babis
qui se sont joints à Mirza Yahya.
Lawh-i-Laylatu'l-Quds (épître de la sainte nuit), révélée pour Darvish
Sidq 'Ali et dont le thème principal est l'unité des croyants.
Suriy-i-Ashab (épître aux compagnons), adressée à Mirza Aqay-i-Munib, l'enjoignant
de se détacher de toutes choses et de se lever pour réveiller le peuple du Bayan.
Lawh-i-'Ahmad en arabe, adressée à Ahmad de Yazd, souvent lue comme
prière par les croyants en raison du pouvoir dont l'a investie Baha'u'llah pour
ceux qui la chantent avec sincérité. C'est, en réalité, une remarquable proclamation
par Baha'u'llah de son rang de Promis du Bab.
Lawh-i-'Ahmad en persan, adressée à Haji Mirza 'Ahmad-i-Kashani,
dans laquelle Baha'u'llah prodigue ses conseils aux babis en général et à 'Ahmad
en particulier, et par-delà ceux-ci à l'humanité tout entière, pour qu'ils bénéficient
de l'amour et de la mansuétude de la Manifestation de Dieu. Cela n'empêchera pas
cet 'Ahmad et quelques autres babis de trahir Baha'u'llah et de se ranger aux
côtés de Mirza Yahya.
Suriy-i-Damm (épître du sang), adressée à Nabil-i-A'zam, exhortant celui-ci
à voyager pour proclamer la Cause.
Suriy-i-Hajj (deux épîtres de pèlerinage), adressées à Nabil avec les instructions
pour effectuer les pèlerinages aux demeures de Shiraz et Bagdad, révélant ainsi
une des premières lois de la nouvelle révélation. Lawh-i-Nasir, adressée à Haji Muhammad-Nasir de Qazvin en réponse à ses
questions au sujet de l'attitude de Mirza Yahya. Baha'u'llah explique la raison
de la nomination de Mirza Yahya comme chef de la communauté babie, raison connue
uniquement de Mirza Musa, frère de Baha'u'llah et de Mulla 'Abdu'l-Karim, Lettre
du Vivant. Une grande partie de cette épître est adressée au peuple du Bayan leur
rappelant les nombreuses prophéties et exhortations du Bab au sujet de celui que
"Dieu doit rendre manifeste".
Lawh-i-Khalil, adressée à Haji Muhammad-Ibrahim de Qazvin, en réponse à
sa perplexité d'avoir reçu des lettres de Mirza Muhammad 'Ali, fils de Baha'u'llah,
prétendant avoir reçu une révélation directe de Dieu à l'instar de son père. Dans
cette épître, Baha'u'llah distingue son rang de celui de ses enfants qui ne restent
des "branches et des feuilles" que dans la mesure où ils restent fermes dans l'alliance
et ne créent pas de division. Baha'u'llah évoque la conduite exemplaire de 'Abdu'l-Baha
à cet égard.
Lawh-i-Siraj, adressée à Mulla 'Ali-Muhammad-i-Siraj. Dans cet écrit, Baha'u'llah
réfute les machinations de Mirza Yahya et de ses supporters, indique comment il
n'y a pas plus grande injustice dans le monde que la nécessité dans laquelle se
trouve la Manifestation de Dieu d'apporter les preuves de sa révélation alors
qu'il est, lui-même, aussi évident que le soleil.
Suriy-i-'Ibad (épître aux serviteurs), adressée à Siyyid Mihdiy-i-Dahiji
qui fut l'un des grands instructeurs de la Cause pendant la vie de Baha'u'llah,
si bien que celui-ci lui donna le titre de Ismu'llahul-Mihdi (Le nom de Dieu,
qui est guidé). Siyyid Mihdi n'en rompit pas moins l'Alliance en rejoignant les
partisans de Muhammad 'Ali, le demi-frère de 'Abdu'l-Baha. Dans cette épître,
Baha'u'llah exhorte ses disciples à une rectitude de conduite, à la fermeté dans
son amour et à l'unité entre eux.
Lawh-i-Salman ; Shaykh Salman fut un disciple dévoué de Baha'u'llah, voyageant
constamment pour porter son message aux babis. C'est dans cette épître que Baha'u'llah
commente la profession, de foi coranique: Il n'est d'autre dieu que Dieu. Dans
celle-ci, dit-il, la négation précède l'affirmation. Cette négation symbolise
ceux qui ne restent pas fidèles à l'alliance particulière de la Manifestation
de Dieu. C'est ainsi que, dans le passé, ces gens ont souvent eu préséance sur
les vrais croyants. Mais dans la nouvelle révélation, l'affirmation Il est Dieu,
fera en sorte que ces gens déloyaux ne parviendront plus à briser l'unité de la
communauté.
La maison d'Amru'llah avait été louée par Aziz Pasha. Lorsqu'elle redevint libre,
Baha'u'llah s'y installa à nouveau, mais pour peu de temps car elle fut vendue
par le propriétaire. Baha'u'llah s'installa finalement dans la maison de 'Izzat
Aqa. Ce fut la dernière résidence de Baha'u'llah à Andrinople.
C'est à cette époque (Septembre 1867) que se place l'incident de la confrontation
avortée. Un certain Mir Muhammad avait éussi à convaincre Siyyid Muhammad de la
nécessité d'une confrontation entre Baha'u'llah et Mirza Yahya. Ce dernier, persuadé
que Baha'u'llah refuserait, fixa la rencontre dans la mosquée du Sultan Salim.
Aussitôt informé, Baha'u'llah se rendit à pied vers cette mosquée, accompagné
de Mir Muhammad, de Mirza Aqa Jan et de quelques autres compagnons, tout en récitant
des versets à haute voix. Mirza Yahya ne vint pas au rendez-vous, mais fit savoir
qu'il demandait que la réunion soit postposée de quelques jours.
Baha'u'llah rentra chez lui et révéla une épître qu'il confia à Mulla Muhammad-i-Tabrizi,
par l'intermédiaire de Nabil, afin qu'elle soit remise à Siyyid Muhammad. Dans
cette épître, Baha'u'llah demandait un engagement écrit de Mirza Yahya de comparaître
ou de reconnaître que toutes ses assertions étaient fausses s'il ne venait pas
à la rencontre. Siyyid Muhammad promit que le document serait envoyé dans les
quelques jours à suivre. Mais il n'y eut aucune suite. Mirza Yahya eut encore
l'audace d'affirmer par la suite que c'était Baha'u'llah qui ne s'était pas présenté
à la rencontre projetée.
Parmi les admirateurs de Baha'u'llah se trouvait le gouverneur, Khurshid Pasha.
Celui-ci espérait que Baha'u'llah accepterait son invitation de venir au palais
du Gouvernement. Le gouverneur avait organisé une soirée à l'intention des religieux
et des personnalités importantes. Il demanda à 'Abdu'l-Baha d'intervenir pour
que son père accepte d'honorer la fête de sa présence, ce qui fut accordé. Tous
furent sous l'emprise de la majesté et du savoir de Baha'u'llah à qui les plus
grands érudits posèrent leurs questions avec humilité et respect. Tous reçurent
une réponse pleine d'autorité et de puissance.
Pendant le séjour de Baha'u'llah à Andrinople, des épîtres importantes furent
révélées:
Suriy-i-Muluk (épître aux Souverains). C'est une véritable admonestation
aux rois, empereurs, dirigeants et peuples de l'époque. Baha'u'llah s'adresse
aux chrétiens, aux citoyens de Constantinople, au sultan de Turquie et à ses ministres,
aux ambassadeurs de Perse et de France, aux religieux et aux philosophes en leur
signalant les conséquences du rejet de sa mission. Il enjoint aux souverains de
promouvoir plus de justice envers leurs peuples, d'éloigner les ministres corrompus,
d'accorder attention aux réfugiés, de ne pas s'engager dans la course aux armements,
en bref de préparer une paix durable.
Kitab-i-Badi' est une réponse aux attaques de Mirza Mihdiy-i-Gilani contenues
dans une lettre envoyée à un compagnon de Baha'u'llah. C'est une véritable apologie
pour démontrer la véracité et la validité de sa mission. Elle est pour la foi
baha'ie ce qu'est le Kitab-i-Iqan pour la foi babie.
Lawh-i-Sultan (lettre à Nasiri'd-Din Shah). C'est une très longue lettre
impossible à résumer en quelques lignes, mais où Baha'u'llah décrit d'une manière
magistrale la signification de sa révélation. Elle fourmille également de conseils
au Souverain pour promouvoir la justice et redonner à la Perse la gloire qui était
la sienne.
Lawh-i-Napulyun (première épître à Napoléon III) qui est un véritable test
pour la sincérité de l'empereur car celui-ci avait déclaré vouloir secourir les
faibles et les opprimés de Crimée.
Suriy-i-Ghusn (épître de la Branche), adressée à Mirza 'Ali-Riday-i-Mustawfi,
personnage important dans le gouvernement de la province du Khurasan malgré son
appartenance à la foi de Baha'u'llah. Il n'hésitait pas, malgré sa position sociale,
à venir en aide à ses coreligionnaires en difficulté. Le thème principal de l'épître
est l'exaltation du rang particulier de 'Abdu'l-Baha célébré comme "la Branche
de sainteté", le "Bras de la loi de Dieu", la "Confiance de Dieu", "descendue
sous la forme d'un temple humain"...une tablette qui peut être considérée comme
l'annonciatrice du rang qui devait lui être conféré dans le Kitab-i-Aqdas.
8. D'Andrinople à Acre
Les convulsions apportées dans la communauté par l'attitude de Mirza Yahya, ajoutées
à d'autres facteurs, furent le prélude à un nouvel exil pour Baha'u'llah. Des
changements importants s'étaient produits à l'intérieur de la communauté. C'est
à cette époque que la salutation Allah-u-Akbar (Dieu le plus grand) fut remplacée
par Allah-u-Abha (Dieu le plus glorieux).
À Bagdad, plusieurs baha'is furent arrêtés et exilés à Mosoul. À Andrinople, le
nombre des baha'is augmentait par l'arrivée de plusieurs fidèles dont Mirza Zaynu'l-'Abidin,
un des érudits de la communauté baha'ie. Cette augmentation du nombre des croyants
commença à inquiéter les autorités.
C'est alors que vint la nouvelle de l'arrestation en Egypte de Haji Mirza Haydar-'Ali
et de son exil au Soudan. Baha'u'llah envoya Nabil-i-A'zam au Caire où il fut
également arrêté et déporté. Celui-ci venait de rentrer de ses deux pèlerinages
à Shiraz et à Bagdad. À Shiraz, Nabil avait rencontré Mulla Baqir-i-Tabrizi, une
des dernières Lettres du Vivant encore en vie, ainsi que la veuve du Bab. Tous
deux reconnurent Baha'u'llah comme le Promis du Bab.
Mirza 'Aliy-i-Sayyah, Mishkin-Qalam et Aqa Jamshid-i-Gurji quittèrent Andrinople
pour Istanbul où leur renommée leur permit de devenir proches de l'ambassadeur
de Perse, Haji Mirza Husayn Khan. Ils eurent l'imprudence de parler trop ouvertement
de la Cause, ce qui joua aussi un rôle dans les événements qui vont suivre.
Baha'u'llah avait reçu trois chevaux d'un disciple de Bagdad. Comme leur entretien
eût coûté trop cher, il envoya les chevaux à Istanbul pour les vendre. La délégation
était composée de Darvish Sidq-'Ali, Aqa Muhammad Baqir et 'Ustad Muhammad-i-Salmani.
Siyyid Muhammad-i-Isfahani, aidé d'un ancien officier de l'armée turque, Aqa Jan
Big, répandait de faux bruits à la Cour, en rédigeant des lettres anonymes. Ceci
provoqua l'arrestation des deux groupes de baha'is, celui de Mishkin-Qalam et
celui de Salmani. Au début les deux groupes furent interrogés séparément surtout
sur la question de savoir si Baha'u'llah prétendait être le Mahdi. Leur réponse
négative, - ce rang était celui du Bab et non celui de Baha'u'llah rendit les
autorités perplexes. Leurs papiers et leurs livres furent examinés et rien de
séditieux ne fut trouvé.
Entre-temps, Siyyid Muhammad et Aqa Jan Entre-temps, Siyyid Muhammad et Aqa Jan
Big furent également arrêtés, tombant victimes de leur propre machination.
À Andrinople, la situation se dégradait également. Des baha'is étaient appelés
par les autorités dans les quartiers gouvernementaux et n'étaient jamais sûrs
de rentrer chez eux. Aussi Baha'u'llah conseilla-t-il à beaucoup de ses compagnons
de quitter Andrinople car il ne servait à rien de se faire arrêter. Le propriétaire
de la maison où habitait Baha'u'llah, le Pasha 'Izzat Aqa, était sans doute un
espion à la solde du gouvernement et renseignait celui-ci sur les allées et venues
trop nombreuses. Le ministre des Affaires Etrangères se rendit sur place car on
avait répandu la calomnie que Baha'u'llah préparait une insurrection avec la complicité
des Bulgares. Le rapport de Fu'ad Pasha fut défavorable, car il constata le rayonnement
qu'avait Baha'u'llah auprès du gouverneur, des représentants de Puissances étrangères
et des notables d'Andrinople.
Tous ces facteurs conjugués amenèrent les autorités à décréter un exil tant pour
les baha'is que pour les azalis. Baha'u'llah fut banni à Acre et Mirza Yahya à
Chypre. Lorsqu'il apprit cette décision, Kurshid Pasha refusa de s'y associer
et en informa Baha'u'llah. Il quitta Andrinople, laissant au vice gouverneur la
tâche de régler cette question. Un matin, des soldats vinrent cerner la maison
de Baha'u'llah. Le même jour les baha'is qui avaient des magasins et des commerces
furent arrêtés et conduits au Palais gouvernemental où ils furent interrogés pour
leur faire déclarer qu'ils étaient baha'is. Leurs biens furent confisqués et vendus
aux enchères.
Toute cette agitation ameuta les gens du quartier qui s'étonnaient qu'on puisse
inquiéter des personnes qui n'avaient fait preuve que d'honnêteté, de piété et
de fraternité. Des consuls de Puissances étrangères se présentèrent et furent
admis en présence de Baha'u'llah. Ils promirent de faire intervenir leur gouvernement
pour que justice soit faite, mais Baha'u'llah déclina cette offre: Vous désirez
que je vous donne l'autorisation de m'apporter secours, mais mon secours est dans
les mains de Dieu. Mon recours est Dieu et vers lui seul, je me tourne.
Les baha'is étaient désespérés de ne pouvoir accompagner Baha'u'llah dans son
nouveau bannissement et de devoir rester éloignés de lui. Haji Ja'far se trancha
la gorge car il préférait mourir plutôt que d'être séparé de Baha'u'llah, ainsi
qu'il le déclara après avoir été soigné et sauvé. Certains furent forcés d'abandonner
leurs femmes dont les familles ne permettaient pas qu'elles les accompagnent en
exil. Quant à leurs biens, ils furent vendus à des prix dérisoires. Au bout d'une
semaine environ, les bagages avaient été rassemblés et le départ pouvait être
organisé.
Baha'u'llah sortit de la maison et alla à la rencontre de ses voisins et des gens
du quartier qui s'étaient rassemblés pour lui faire leurs adieux. Ils vinrent,
l'un après l'autre, pour lui baiser la main ou le pan de son vêtement, pour exprimer
leur chagrin. On était le 12 août 1868. La caravane se mit en route et gagna Gallipoli
en cinq étapes. Baha'u'llah quittait "la plus lointaine prison" et "le pays du
mystère".
À Gallipoli, Baha'u'llah et sa famille furent logés à l'étage d'une maison, tandis
que certains de ses compagnons trouvaient refuge au rez-de-chaussée. Mirza Yahya
et Siyyid Muhammad se virent attribuer une autre maison et plusieurs disciples,
dont Sayyah et Mishkin-Qalam, arrivés d'Istanbul, furent logés dans une auberge.
Quant à Salmani et Aqa Jamshid, ils furent déportés en Perse, conduits à la frontière
et remis aux mains des Kurdes qui les libérèrent aussitôt. Ils se mirent immédiatement
en route pour rejoindre Acre par un autre chemin.
C'est sur le chemin de Gallipoli, à Kashanih, que fut révélée la Suriy-i-Ra'is
(épître aux chefs), en l'honneur de Haji Muhammad Isma'il, appelé aussi Dhabih
(sacrifice) et Anis (compagnon) et adressée au Grand Vizir, 'Ali Pasha. Le jour
approche où le Pays du mystère (Andrinople) et tout ce qui s'y trouve seront changés,
et seront enlevés des mains du Roi. Des troubles vont survenir, la voix de lamentation
sera élevée et les preuves du méfait seront révélées de toutes parts.
La confusion se répandra à cause de ce qui est advenu à ces captifs des mains
des hôtes de l'oppression. Le cours des choses sera changé, les conditions deviendront
si terribles que le sable même des collines désolées se lamentera, que les arbres
de la montagne pleureront et que le sang coulera de toutes choses. Alors tu verras
le peuple dans une détresse douloureuse. Dix ans plus tard, le sultan 'Abdu'l-Aziz
perdit son trône et sa vie.
La guerre russo-turque de 1877-78, qui amena les Russes et les Bulgares aux portes
de Constantinople, provoqua d'immenses souffrances dans ces territoires qui avaient
vu la captivité de Baha'u'llah. Deux conséquences importantes sont à signaler.
En Perse, un érudit de tout premier plan, Mirza 'Abu'l-Fadl-i-Gulpaygani, fut
convaincu de la vérité du rang de Baha'u'llah par l'accomplissement des prophéties
de Suriy-i-Ra'is et devint un ardent défenseur de Baha'u'llah. En Angleterre,
un jeune orientaliste, Edward Granville Browne, eut son attention également attirée
par ces événements et se mit à étudier l'histoire des babis et des baha'is.
Après trois jours à Gallipoli, le colonel 'Umar Effendi annonça que seuls ceux
qui étaient mentionnés sur la liste des exilés seraient envoyés ensemble aux frais
du gouvernement. Les autres étaient libres de se joindre en payant leur passage
et seraient donc des exilés volontaires. Les autorités furent surprises du nombre
de ceux qui présentèrent le billet de passage qu'ils avaient acheté pour ne pas
être séparés de Baha'u'llah.
La mer était très forte et la traversée dangereuse. Après deux journées de navigation,
on arriva à Alexandrie où Nabil-i-A'zam était prisonnier. Il avait été envoyé
par Baha'u'llah pour intervenir en faveur de Mirza Haydar 'Ali, emprisonné au
Soudan avec six autres croyants. Personne ne savait où était Nabil. Un des compagnons
de Baha'u'llah, envoyé à terre pour acheter des provisions, passa près de la prison.
Nabil qui se trouvait sur le toit le reconnut et l'appela. Il apprit ainsi que
Baha'u'llah se trouvait tout près de lui, ce qui le plongea dans une profonde
tristesse. Un médecin chrétien, Faris, que Nabil avait converti, le trouva en
pleurs et apprit ainsi la présence de Baha'u'llah. Ils décidèrent d'écrire et
chargèrent un jeune homme de remettre leurs lettres en mains propres à 'Abdu'l-Baha
ou à Mirza Aqa Jan. Le bateau avait déjà levé l'ancre et quittait le port lorsque
le capitaine le fit arrêter voyant une embarcation venir vers eux. C'est ainsi
que les lettres furent remises et qu'une réponse leur fut envoyée dans laquelle
le docteur Faris est particulièrement mentionné.
La prochaine étape était Port Sa'id. Le jour suivant au coucher du soleil, le
bateau atteignit Jaffa d'où il repartit à minuit en direction de Haïfa. C'est
de là qu'on embarqua Mirza Yahya vers Chypre. Quatre baha'is avaient été exilés
également à Chypre: Mishkin-Qalam, Mirza 'Aliy-i-Sayyah, Aqa Muhammad Baqir et
Aqa 'Abdu'l-Ghaffar. Ce dernier se jeta dans la mer avec l'intention de se noyer,
mais il fut sauvé. Il put ensuite s'échapper de Chypre et rejoindre la Syrie.
9. La période d'Acre
Un bateau à voile emmena les prisonniers de Haïfa à Acre où ils débarquèrent dans
l'après-midi du 31 août 1868. Ils furent dirigés vers la prison que Baha'u'llah
a appelé "la plus grande prison". Baha'u'llah et sa famille reçurent des chambres
dans la partie nord-ouest, tandis que les compagnons étaient logés dans d'autres
sections de la prison. Siyyid Muhammad et Aqa Jan Big, tous deux partisans de
Mirza Yahya, avaient été forcés par les autorités de se joindre aux baha'is sans
doute pour les espionner. Ils avaient d'abord été logés dans la prison puis ils
furent autorisés à occuper une chambre située près de la deuxième porte de la
ville. La liste des prisonniers comprend environ soixante-dix personnes.
La vie était extrêmement pénible pour les prisonniers, victimes de maladies, comme
la malaria ou la dysenterie. C'est surtout 'Abdu'l-Baha, aidé de Mirza Musa et
Aqa Rida, qui prenait soin de chacun veillant sur la nourriture et la boisson.
Trois exilés moururent rapidement, Aqa Abu'l-Qasim-i-Sultanabadi et les deux frères,
Ustad Baqir et Ustad Isma'il-i-Khayyat. Personne ne pouvait s'occuper de leurs
funérailles et Baha'u'llah dut vendre un tapis pour payer les dépenses réclamées
par les gardes, qui empochèrent l'argent et enterrèrent sans cérémonie les corps
dans leurs vêtements.
L'édit du sultan, daté du 26 juillet 1868, ordonnait le plus strict emprisonnement,
interdisant tout contact avec la population. Les autorités espéraient que Baha'u'llah
et sa famille ne survivraient pas à un tel régime. Un an après leur arrivée, l'ambassadeur
de Perse écrivait encore à Téhéran qu'il avait renouvelé les instructions et chargé
le consul général de Damas de vérifier si celles-ci étaient appliquées. Mais déjà
à ce moment, les autorités locales répugnaient de plus en plus à faire une stricte
application de ces instructions.
L'hostilité montrée par la population à l'arrivée des exilés faisait déjà place
progressivement au respect et à la révérence. Cela était dû surtout au comportement
de 'Abdu'l-Baha. Celui-ci attendait chaque jour à la porte de la citadelle, le
retour de ceux qui avaient été chargés d'aller acheter de la nourriture afin de
l'inspecter et de rejeter tout ce qui aurait pu nuire à la santé des prisonniers.
Il y eut des cas désespérés, comme celui de Mirza Ja'far-i-Yazdi. Un médecin chrétien
qui avait été mandé pour l'examiner prit son pouls et déclara qu'il était mourant.
Baha'u'llah révéla une prière et dit à Mirza Musa de ne pas désespérer et Mirza
Ja'far se rétablit. 'Abdu'l-Baha lui-même tomba si malade que tous désespéraient
de le sauver.
Les baha'is en Iran avaient finalement appris que Baha'u'llah était incarcéré
à Acre. Plusieurs d'entre eux entreprirent le voyage dans l'espoir de le rencontrer.
Dans la plupart des cas, ils étaient dénoncés par les deux azalis qui logeaient
à l'entrée de la ville et ils étaient expulsés. Le premier qui réussit à voir
Baha'u'llah, fut Haji Abu'l-Hasan-i-Ardikani, surnommé Amin-i-Ilahi, pour qui
une rencontre fut arrangée dans le bain public à la condition qu'il ne donne aucun
signe de reconnaissance.
Un autre croyant, Ustad Isma'il-i-Kashi, arrivé de Mosoul, ne put voir Baha'u'llah
de loin car sa vue était trop mauvaise et dut se réfugier à Haïfa chez Khalil
Mansur (Aqa Muhammad-Ibrahim Kashani) qui fut le premier baha'i à s'établir à
Haïfa. Ce jour-là, le neveu d'Abu'l-Hasan, Aqa Husayn se trouvait en présence
de Baha'u'llah et se lamentait sur le sort de tous ceux qui venaient et ne pouvaient,
comme son oncle, voir Baha'u'llah. Celui-ci le consola et promit que bientôt les
portes de la prison s'ouvriraient.
Plusieurs personnes vinrent s'établir à Haïfa ou dans les environs. Nabil-i-A'zam
avait été libéré en Egypte, il se rendit à Chypre où il apprit le sort des baha'is.
De là, il vint vers Acre, mais fut intercepté par les autorités. De loin, il put
apercevoir Baha'u'llah qui avait été prévenu de sa présence et qui lui faisait
signe de la main par la fenêtre de la prison.
Nabil séjourna à Haïfa, en Galilée et même à Hébron jusqu'au jour où il put être
admis dans la prison. Aqa Muhammad-'Aliy-i-Qa'ini avait rencontré Baha'u'llah
à Téhéran. Lorsqu'il fut informé de la déclaration de Lorsqu'il fut informé de
la déclaration de Baha'u'llah, il crut immédiatement en lui. Il avait été un personnage
riche et puissant, mais il abandonna tout pour rejoindre Baha'u'llah. Il s'établit
à Nazareth comme pauvre colporteur. Il convertit un jeune chrétien, 'Abdu'llah
Effendi qui fit une compilation d'écritures juives et chrétiennes concernant la
venue de Baha'u'llah. 'Abdu'llah Effendi occupa un poste important dans l'administration
et se laissa corrompre comme tous les fonctionnaires de l'époque, ce qui attrista
beaucoup 'Abdu'l-Baha.
C'est à cette époque (23 juin 1870) que Mirza Mihdi, la Branche la plus pure,
le frère cadet de 'Abdu'l-Baha, eut un accident qui lui coûta la vie. Absorbé
dans ses méditations, il tomba par une ouverture dans le toit et se transperça
les côtes sur un cageot en bois à l'étage inférieur. Un médecin italien fut appelé,
mais ne put rien faire. Le blessé reposait courageusement et s'excusait auprès
des visiteurs qui venaient à son chevet, de ne pouvoir se lever. Aqa Husayn-i-Ashchi
rapporte le court dialogue entre Baha'u'llah et son fils:
- Aqa, que désires-tu ? Dis-moi !
- Je désire que le peuple de Baha puisse accéder à votre présence.
- Ainsi en sera-t-il. Dieu accomplira ton voeu.
Mirza Mihdi rendit son dernier soupir quelque vingt-quatre heures après sa chute.
Shaykh Mahmud demanda à 'Abdu'l-Baha la permission de préparer le corps avec quelques
compagnons. Le chagrin de 'Abdu'l-Baha était indescriptible et pouvait se lire
sur son visage. Les notables d'Acre se joignirent au cortège pour les funérailles.
Mirza Mihdi avait été un secrétaire fidèle pour son père pendant les quelques
années de sa jeune vie terminée à 22 ans.
Dans une prière d'une signification profonde, qu'il révéla en mémoire de son fils,
Baha'u'llah élève sa mort au rang de ces grands actes de rachat correspondant
au sacrifice d'Abraham, à la crucifixion de Jésus-Christ et au martyre de l'Imam
Husayn. "J'ai sacrifié ô mon Dieu, ce que tu m'as donné, afin que tes serviteurs
puissent être ranimés et que tout ce qui demeure sur la terre soit uni".
Quatre mois après la mort de la "plus pure Branche", les portes de la prison s'ouvrirent.
Baha'u'llah et sa famille furent transférés dans la maison de Malik à Acre car
le gouvernement avait besoin des bâtiments de la forteresse pour loger des troupes.
La plupart des compagnons de Baha'u'llah furent logés dans un caravansérail à
proximité. Celui-ci servit de maison de pèlerinage pour les premiers pèlerins
qui vinrent à Acre. Des personnages importants y séjournèrent comme Mishkin-Qalam,
Zaynu'l-Muqarrabin, Mirza Haydar-'Ali.
Après trois mois, Baha'u'llah fut logé dans la maison située en face de la maison
de Mansur Khavvam pour un court séjour avant d'être transféré à la maison de Rabi'ih.
Après quatre mois, Baha'u'llah dut déménager à nouveau pour occuper la maison
de 'Udi Khammar. Celui-ci était un chrétien maronite, un notable de la ville d'Acre.
C'était une double maison dont la deuxième partie était occupée par le neveu de
'Udi Khammar, Ilyas 'Abbud. Ce dernier voyait d'un très mauvais oeil la proximité
de la famille de Baha'u'llah, d'autant plus qu'un événement tragique allait renforcer
ses appréhensions et l'inciter à renforcer la cloison qui séparait les deux parties
de la maison.
Deux azalis avaient été exilés à Acre avec les baha'is. Il s'agissait de Siyyid
Muhammad-i-Isafahani, qui avait été l'âme damnée de Mirza Yahya à Bagdad et Andrinople
et d'Aqa Jan-i-Kaj-Kulah qui avait aidé Muhammad-i-Isafahani dans les démarches
auprès du gouvernement à Istanbul, démarches qui avaient provoqué l'exil des baha'is
et des azalis. Comme ils logeaient à côté de la porte qui donnait accès à la ville,
ils dénonçaient aux autorités ceux qui voulaient approcher Baha'u'llah. Ils avaient
été rejoints par Mirza Rida-Quli, le frère de Badri-Jan, une des épouses de Mirza
Yahya qui avait refusé de le suivre à Chypre et s'était également jointe aux exilés
d'Acre. Rida-Quli rassembla une série d'écrits de Baha'u'llah et les falsifia
par des interpolations afin de les rendre en apparence hérétiques, antisociaux
et provocateurs.
Cette situation fut ressentie comme intolérable par les compagnons de Baha'u'llah.
Sept d'entre eux, passant outre des conseils de patience donnés par Baha'u'llah,
résolurent de faire périr ces trois ennemis. Cet assassinat eut des conséquences
désastreuses. Il provoqua un tel tumulte dans la ville qu'un groupe de personnes,
comprenant le gouverneur et le chef de la police, se dirigea vers la maison de
Baha'u'llah.
Un officier, accompagné d'Ilyas 'Abbud, pénétra dans la maison et pria 'Abdu'l-Baha
et ceux qui étaient avec lui de les accompagner au Palais du gouverneur. De même
Baha'u'llah fut invité à se joindre à eux. Quand Baha'u'llah pénétra dans la salle
du Palais, le gouverneur, Salih Pasha, le chef de la police, Salim Mulki, ainsi
que les autres officiels se levèrent avec respect.
Baha'u'llah alla s'asseoir à la place d'honneur dans un profond silence jusqu'à
ce que le commandant de la garnison demande: Est-il convenable que vos hommes
commettent un acte aussi honteux ? Ce à quoi Baha'u'llah répondit: Si un soldat
sous votre commandement enfreint un règlement, serez-vous tenu pour responsable
et puni pour cela ?
Baha'u'llah et 'Abdu'l-Baha, ainsi que vingt-cinq autres personnes, furent emprisonnés.
Le gouverneur de la ville demanda des instructions au gouverneur de Syrie après
avoir câblé le récit des événements. Le gouverneur de Syrie réprimanda le gouverneur
de la ville d'avoir pris de telles mesures à l'encontre de Baha'u'llah. Celui-ci
fut alors amené devant le gouverneur de la ville. Shoghi Effendi nous décrit l'événement:
"Lors de son interrogatoire, on lui demanda de décliner son nom et celui du pays
d'où il venait. Ceci est plus évident que le soleil, répondit-il. On lui posa
de nouveau la même question à laquelle il donna cette réponse: Je ne juge pas
à propos d'en parler. Reportez-vous au farman du gouvernement qui se trouve entre
vos mains.
Une fois de plus, avec une déférence marquée, ils réitérèrent leur demande, sur
quoi Baha'u'llah prononça, avec puissance et majesté, ces paroles: Mon nom est
Baha'u'llah (Lumière de Dieu), et mon pays est Nur (Lumière). Soyez-en informés.
Se tournant alors vers le Mufti, il lui adressa des reproches voilés, puis il
parla à toute l'assemblée dans un langage si véhément et si élevé que nul n'osa
lui répondre. Après avoir cité des versets de la Suriy-i-Muluk, il se leva et
quitta l'assemblée. Aussitôt après le gouverneur lui fit savoir qu'il était libre
de retourner chez lui, en exprimant ses regrets sur ce qui s'était passé.
Ces tragiques événements furent l'occasion pour Baha'u'llah de révéler la "Prière
du feu".
Les sept baha'is qui étaient responsables du meurtre furent emprisonnés et restèrent
sept ans en prison, tandis que seize autres compagnons de Baha'u'llah furent détenus
pendant six mois. Il en résulta un accroissement de l'hostilité des habitants
d'Acre envers les exilés qui se trouvèrent dans une situation humiliante, angoissante
et dangereuse. Même les enfants n'étaient pas épargnés.
Il fallut la patience et la générosité de 'Abdu'l-Baha envers la population pour
que progressivement l'innocence de Baha'u'llah fut acceptée par toutes les couches
de la population. Le gouverneur avait été remplacé par un homme perspicace et
humain, 'Ahmad Big Tawfiq et les fonctionnaires responsables du prolongement de
l'emprisonnement des seize compagnons innocents avaient été renvoyés. Le gouverneur
avait demandé de la littérature à la suggestion de gens mal intentionnés qui espéraient
que celle-ci indisposerait le gouverneur.
Au contraire, celui-ci fut favorablement influencé et se mit à fréquenter 'Abdu'l-Baha,
et lui confier son fils pour qu'il l'éclaire et l'instruise. Au cours d'une entrevue
que le gouverneur obtint de Baha'u'llah, celui-ci lui conseilla de faire réparer
l'aqueduc hors d'usage depuis trente ans. Le gouverneur s'empressa de suivre ce
conseil qui modifia l'état sanitaire de la ville.
Cette période connut la révélation d'épîtres importantes:
Suriy-i-Haykal (épître du Temple).en arabe.La plume du Très-Haut s'adresse
au Temple qui symbolise la personne de laz Manifestation et lui révèle la gloie
et la majesté dont il est investi.: Nous avons constuit le Temple avec les mains
de la puissance et du pouvoir. C'est le Temple que le Livre cous a promis.
Epître au Pape Pie IX. Dans cette épître révélée en arabe, Baha'u'llah
s'adresse au Souverain Pontife, avec l'autorité et la majeste de Dieu. Il s'identifie
au Seigneur des Seigneurs et proclame sans la moindre équivoque être le retour
du Christ dans la gloire du Père: Ô Pape ! Déchire les voiles. Le Seigneur des
Seigneurs est venu, entouré de nuages et Dieu a remplit son décret... Il est redescendu
du ciel de la même manière qu'il vint la première fois.
Epître à Napoléon III. (deuxième épître). On rapporte que Napoléon III,
à la réception de la première épître aurait déclaré: "Si cet homme est Dieu, je
suis deux Dieux". Dans cette deuxième épître, Baha'u'llah annonce à l'empereur
sa chute prochaine pour avoir rejeté l'appel son appel.
Epître au Tsar Alexandre II, en arabe. Baha'u'llah y proclame son rang,
s'identifie avec le Père céleste et décrit la nature prééminente de sa révélation.
Epître à la Reine Victoria, également en arabe. Dans cette épître, Baha'u'llah
félicite la Reine pour avoir aboli l'esclavage. Il fait aussi l'éloge du système
parlementaire instauré en Angleterre. Il s'adresse, par delà la Reine, à tous
les dirigeants du monde: Puisque vous avez refusé la très grande Paix, efforcez-vous
au moins de promouvoir une paix moins parfaite. Cette moindre Paix est une paix
politique que les dirigeants établiront indépendamment de l'action des baha'is,
même si ceux-ci y collaboreront activement.
Malgré la rigueur de l'édit du sultan, le gouverneur, 'Ahmad Big Tawfiq, s'opposa
à peine à la visite des pèlerins. Le Mufti d'Acre, Shaykh Mahmud, qui avait d'abord
été très hostile aux exilés, se convertit et fit une compilation des traditions
musulmanes relatives à Acre.
Les gouverneurs qui se succédèrent furent de plus en plus favorables aux exilés,
à l'exception du Pasha 'Abdu'l-Rahman qui décida de porter un coup décisif à la
réputation des exilés. Il reçut l'avis de sa destitution le jour même où il voulut
mettre son plan à exécution. Le Pasha Mustafa Diya, devenu gouverneur, déclara
à Baha'u'llah qu'il était libre de quitter la ville, ce que celui-ci refusa de
faire à cette époque.
Le Pasha 'Aziz, ancien gouverneur d'Andrinople, qui s'était attaché à Baha'u'llah,
devint gouverneur de Syrie. Il lui rendit deux fois visite pour lui présenter
ses respects. Ilyas 'Abbud fut conquis à son tour, il fit détruire la cloison
qu'il avait érigée entre les deux parties de la maison et mit même des chambres
supplémentaires à la disposition de la famille de Baha'u'llah, notamment pour
'Abdu'l-Baha qui venait de se marier. Finalement 'Abbud mit toute la maison à
la disposition de Baha'u'llah qui put occuper une chambre donnant sur la mer.
C'est dans cette maison de 'Abbud que Baha'u'llah, dans le courant de l'année
1873, termina son Très-Saint Livre, Kitab-i-Aqdas, qui contient l'essence
même de sa proclamation au monde, achève la série des lettres adressées aux Souverains
de l'époque, définit son rang de la Manifestation de Dieu, promise par toutes
les écritures, établit son alliance avec ses disciples par la désignation de 'Abdu'l-Baha
comme son successeur et interprète de ses écrits, jette les fondations de son
ordre administratif et énonce les lois de la nouvelle civilisation.
Depuis neuf ans, Baha'u'llah n'avait plus vu un coin de verdure alors qu'il disait
que la campagne est le monde de l'âme alors que la ville est le monde des corps.
'Abdu'l-Baha entreprit de convaincre son père de quitter la ville. Lui-même avait
plusieurs fois quitté les murs sans être inquiété. Un certain Muhammad Pasha Safwat,
petit-neveu de 'Abdu'llah Pasha et un homme déjà âgé, possédait un palais appelé
Mazra'ih qu'il laissait vide car il ne s'y plaisait pas et préférait vivre à Acre
près de ses amis. 'Abdu'l-Baha alla le trouver malgré le fait qu'il s'était jusque-là
montré hostile aux exilés et lui demanda de pouvoir occuper le palais. Le Pasha,
très étonné, finit par céder à la demande de 'Abdu'l-Baha et même loua le palais
pour cinq ans, moyennant une somme modique.
Le palais fut réparé et 'Abdu'l-Baha obtint finalement de Baha'u'llah qu'il accepte
de s'établir à Mazra'ih en juin 1877. C'était un endroit paisible, en dehors des
bruits de la ville. La propriété a été acquise par la communauté baha'ie et est
aujourd'hui un lieu de pèlerinage comme l'est un autre endroit situé un peu en
dehors de la ville d'Acre. Il s'agit du jardin de Na'mayn dans une petite île
entourée par les deux bras d'une rivière qui se jette dans la mer à l'est de la
ville. Une petite maison accueillait parfois Baha'u'llah lors de courts séjours
de repos. Baha'u'llah avait annoncé que les jours les plus sombres auraient une
fin et qu'il planterait un jour sa tente sur le mont Carmel.
En septembre 1879, 'Abdu'l-Baha put louer et plus tard acquérir une autre demeure
pour son père. Situé à mi-chemin entre Acre et Mazra'ih, le palais de Bahji (Délice)
avait été construit par 'Udi Khammar qui y mourut d'une épidémie en 1879. L'endroit
était renommé pour sa beauté et Baha'u'llah put y couler des jours paisibles.
Il lui arrivait aussi de planter sa tente dans des jardins remplis de fleurs qui
étaient situés dans les environs d'Acre, ou de rendre visite à son frère et à
son demi-frère qui résidaient à Acre.
Dr J.E. Esslemont nous décrit la vie à Bahji: Les offrandes de centaines de milliers
de disciples dévoués mirent à sa disposition des sommes importantes qu'il fut
appelé à administrer. Bien que sa vie à Bahji ait été décrite comme vraiment royale,
au sens le plus élevé du terme, toutefois il ne faut pas s'imaginer qu'elle l'était
par la splendeur matérielle et l'extravagance. La Perfection bénie et sa famille
vivaient d'une façon très simple, très modeste, et toutes les dépenses destinées
à satisfaire un luxe égoïste étaient exclues de la maison.
Pendant toute cette période, 'Abdu'l-Baha résidait à Acre dans la maison de 'Abbud
avec sa mère et sa soeur. Il y reçut notamment le Mufti de Nazareth, Shaykh Yusuf,
qui était venu à Acre pour accueillir le gouverneur de Syrie, vraisemblablement
Nashid Pasha. L'hospitalité que le Mufti avait reçue renforça son attachement
pour 'Abdu'l-Baha qu'il avait, quelque temps auparavant, reçu à Nazareth avec
beaucoup d'honneur et avec qui il entretenait depuis lors une correspondance amicale.
La qualité de la réception offerte par 'Abdu'l-Baha, ainsi que la situation des
baha'is qui vivaient dans son entourage, situation qui était due à leurs règles
de vie et qui contrastait par conséquent avec celle de beaucoup d'habitants d'Acre,
suscita la jalousie d'un nouveau gouverneur d'Acre, Muhammad Yusuf Pasha, qui
voulait obtenir le départ de 'Abdu'l-Baha de la maison de 'Abbud pour l'occuper
lui-même. C'était au moment où la mère de 'Abdu'l-Baha, Asiyih Khanum, était très
malade.
'Abdu'l-Baha garda tout son calme même lorsqu'un soi-disant ami, un certain As'ad
Effendi, offrit ses services pour régler la question moyennant une somme d'argent.
'Abdu'l-Baha répondit qu'il allait réfléchir et se retira pour prier. Lorsqu'il
revint auprès d'As'ad Effendi qui attendait dans l'espoir de recevoir l'argent,
il lui dit que l'argent n'était pas nécessaire car tout était arrangé. As'ad Effendi
retourna au siège du gouverneur où il apprit à son grand étonnement que le gouverneur
avait été démis de ses fonctions et qu'une commission d'enquête allait arriver
pour examiner les malversations auxquelles se livraient le gouverneur et ses assistants.
Les habitants d'Acre furent très surpris de voir comment la famille du gouverneur
qui avait été abandonnée à Acre reçut l'aide de Baha'u'llah et de 'Abdu'l-Baha.
Asiyih Khanum ne se remit pas de sa maladie et décéda en 1886 dans la maison de
'Abbud. Les notables d'Acre, les clergés musulman et chrétien suivirent le cortège
pendant que des enfants des écoles chantaient des versets sacrés et des poèmes.
L'année suivante survint le décès de Mirza Musa, le frère fidèle de Baha'u'llah.
Les mutasarrifs qui se succédèrent à 'Acre furent de plus en plus favorables aux
exilés, comme 'Ahmad Pasha qui passait beaucoup de son temps en compagnie de 'Abdu'l-Baha.
Baha'u'llah jouissait donc de plus en plus de liberté et beaucoup de personnalités
cherchaient à l'approcher. Toutefois, il ne recevait ces personnages que très
rarement, car il appartenait à 'Abdu'l-Baha de jouer ce rôle d'ambassadeur de
son père, ce qu'il faisait avec tant de courtoisie et d'hospitalité que tous étaient
à sa dévotion.
'Arif Effendi succéda à 'Ahmad Pasha. Son père avait connu 'Abdu'l-Baha à Andrinople
et avait été son admirateur. C'est à cette époque, 1890, que Baha'u'llah quitta
Bahji pendant trois mois pour séjourner une troisième fois à Haïfa.
Après un court séjour dans la maison de Zahlan, il planta sa tente au pied du
Mont Carmel, dans un jardin situé en face d'une maison appartenant à la colonie
des Templiers et connue sous le nom de maison d'Oliphant. Le premier séjour à
Haïfa n'avait duré que quelques heures lorsqu'en 1868, il débarqua du bateau l'amenant
d'Andrinople et se rembarqua à destination d'Acre. La deuxième visite eut lieu
en 1883 selon une épître datée de la main de Mirza Aqa Jan.
Baha'u'llah séjourna pendant quelques jours dans la maison de Fanduq, qui était
située dans la colonie fondée par les Templiers allemands. En 1890, Baha'u'llah
était à Haïfa pour sa troisième visite pendant qu'un orientaliste occidental,
le professeur E.G. Browne du Collège Pembroke à Cambridge, débarquait à Acre.
Browne s'était intéressé à l'histoire des babis. Il s'était rendu en Perse où
il avait séjourné pendant un an, côtoyant de nombreux babis. Il avait publié des
articles et des traductions de textes babis.
Au printemps 1890, il se rendit à Acre et put rencontrer Baha'u'llah, rentré de
Haïfa. Il décrivit cette rencontre dans son introduction à la traduction d'un
écrit de 'Abdu'l-Baha, " A Traveller's Narrative: "Le visage de celui que je contemplai,
je ne saurais l'oublier et pourtant je ne puis le décrire... Il eut été superflu
de demander en la présence de qui je me trouvais ; je me prosternai devant celui
qui fait l'objet d'une vénération et d'un amour que les rois lui envieraient et
auxquels les empereurs aspireraient en vain... Une voie douce, pleine de courtoisie
et de dignité, me pria de m'asseoir et continua: Loué sois-tu que tu sois parvenu
au but... Nous ne désirons que le bien du monde et le bonheur des nations... Ces
luttes, ces massacres, ces discordes doivent cesser et tous les hommes doivent
former une seule famille... Que l'homme ne se glorifie pas d'aimer son pays, mais
plutôt d'aimer le genre humain".
La quatrième visite de Baha'u'llah à Haïfa eut lieu en 1891 où il resta à nouveau
pour trois mois. Il rencontra des membres de la famille Afnan qui, en juillet
1891, avaient pu venir de Perse. Un jour qu'il se reposait sous un cyprès solitaire
à mi-hauteur de la montagne, il indiqua à 'Abdu'l-Baha l'endroit précis où devait
s'élever le mausolée destiné à abriter le corps du Bab qui avait été amené de
Perse.
Il visita la caverne d'Elie, surplombée par le couvent des carmélites. Il s'arrêta
à proximité du couvent sur un promontoire et révéla l'épître du Carmel
dans laquelle il décrit le destin de la montagne qu'il compare à l'arche d'alliance
et qui sera destinée à abriter les institutions internationales de la foi baha'ie.
Le terrain a été acquis par la communauté baha'ie qui projette d'y construire
dans l'avenir le temple baha'i en Terre sainte.
La renommée de 'Abdu'l-Baha s'affirmait de plus en plus. En 1879, il fut invité
à Beyrouth par le gouverneur de la province de Syrie. À cette occasion, Baha'u'llah
lui adressa une épître où il exprime toute son affection pour son fils (Lawh-i-Ard-i-Ba,
épître à la terre de Beyrouth). Cette invitation est significative. Le sultan
'Abdu'l-'Aziz, responsable de l'exil de Baha'u'llah, avait été déposé trois ans
auparavant tandis que 'Abdu'l-Baha, toujours prisonnier en droit, circulait librement
et rencontrait les personnages les plus éminents, comme le Shaykh Muhammad-'Abduh,
le futur grand Mufti d'Egypte. Ces événements préparaient 'Abdu'l-Baha à assumer
le rôle qui serait le sien après le décès de son père et que celui-ci avait déjà
défini dans son Très-Saint Livre, écrit en 1873.
Pour le moment, 'Abdu'l-Baha assumait toute l'administration de la communauté
naissante, libérant son père de beaucoup de soucis. Ceci permit à Baha'u'llah
de consacrer les dernières années de sa vie à la rédaction de nombreux écrits,
épîtres et traités de toute nature, mais plus spécialement orientés vers la spiritualité,
l'éducation et les principes devant régir une civilisation nouvelle dont l'ébauche
se trouvait dans le Très-Saint Livre.
En voici quelques uns:
Lawh-i-Aqdas, (la Très-Sainte Epître), écrite en l'honneur de Faris Effendi
et adressée spécialement aux chrétiens. Baha'u'llah y affirme sans équivoque être
la manifestation du Père promise par Jésus. Il admoneste les chrétiens pour avoir
négligé de le reconnaître et compare leur conduite à celle des juifs au temps
de Jésus. Il s'adresse aux prêtres, aux évêques et aux moines en leur disant qu'ils
sont des étoiles, qu'il voudrait qu'elles ne tombent pas sur la terre sans toutefois
pouvoir empêcher qu'il en soit ainsi selon la prédiction divine.
Bisharat (Les Bonnes Nouvelles), dont le destinataire n'a pu être identifié
jusqu'à présent. Quinze bonnes nouvelles sont annoncées aux peuples du monde.
Ceux-ci sont invités à s'associer en toute amitié quelle que soit leur religion.
Tarazat (Les Ornements), dont le destinataire est aussi inconnu, bien que
certains pensent qu'il s'agisse de Mirza Haydar 'Ali. C'est dans cette épître
que Baha'u'llah confirme des prescriptions déjà contenues dans des écrits antérieurs,
notamment de s'associer avec tous les peuples de la terre, d'étudier les arts
et les sciences. Il évoque la loyauté chez les croyants et demande à ceux-ci de
rechercher la justice en toutes circonstances.
Tajalliyat (les Effulgences), adressée à Ustad 'Ali-Akbar-i-Banna qui construisit
le Temple de 'Ishqabad. Dans cette épître, Baha'u'llah dévoile quelque peu la
splendeur de son rang dont la simple mention peut perturber et consterner le lecteur,
notamment lorsqu'il affirme: En vérité, Je suis Dieu et il n'est d'autre Dieu
que Moi, le Seigneur de toutes choses créées. Ceci confirme le premier paragraphe
du Kitab-i-Aqdas, où Baha'u'llah se présente comme le représentant de la Divinité
dans le monde de la cause et dans le monde de la création. Personne ne peut connaître
Dieu si ce n'est par lui, le porteur de ces noms sublimes: "le plus grand Nom,
le Mystère caché, Celui qui a parlé sur le Sinaï".
Ishraqat (Les Splendeurs), adressée à Jalil-i-Khu'i, dans laquelle Baha'u'llah
définit le concept de la très grande infaillibilité, réservée uniquement à la
Manifestation de Dieu. C'est dans cette épître que Baha'u'llah précise que tout
ce qui n'est pas réglé par la Révélation, devra être décidé par la Maison universelle
de justice.
Lawh-i-Burhan (Epître de la preuve), adressée au Shaykh Muhammad-Baqir
d'Isfahan, responsable de l'exécution de deux baha'is éminents appelés par Baha'u'llah
le Prince des martyrs et le Bien-aimé des martyrs.
Lawh-i-Dunya (Tablette du monde), révélée en 1891 après l'emprisonnement
de deux Maions de la Cause, Haji Amin et 'Ali Akbar, Elle est dédiée à Aqa Mirza
Aqa Afnan, à la suite de l'exécution des sept martyrs de Yazd, dans laquelle Baha'u'llah
exalte le rang des Mains de la cause.
Lawh-i-Hikmat (Tablette de la Sagesse), en l'honneur de Aqa Muhammad, connu
sous le nom de Nabil-i-Akbar-i-Qa'ini. Dans cette épître, Baha'u'llah exhorte
ses disciples à faire chaque jour un pas de plus dans l'élévation spirituelle
de leur âme ; Il exalte le rang des "savants en Baha" ; Il fait allusion aux philosophes
du passé et explique le processus de la création dont la première " cause" ne
peut se concevoir sans une réalité qui la précède et qui la transcende.
Kalimat-i-Firdawsiyyih (Paroles du Paradis), en l'honneur de Mirza Haydar
'Ali, dans laquelle Baha'u'llah exhorte le peuple de Baha à rendre le Seigneur
victorieux par le pouvoir de leurs paroles. Il demande aux hommes de produire
des fruits, de rejeter l'ascétisme, les croyances superstitieuses et indique que
certains mystiques se complaisent dans la paresse et la réclusion.
On peut aussi mentionner des écrits tout aussi importants qui ne sont pas de la
main de Baha'u'llah, mais des réponses adressées par son secrétaire Mirza Aqa
Jan à des questions posées. Ces réponses consistent toutefois en citations d'écrits
émanant de Baha'u'llah. Tel est le cas de Lawh-i-Maqsud, épître adressée
à Mirza Maqsud, un des premiers croyants vivant à Damas et à Jérusalem. Elle traite
de la nature de l'homme présenté comme le Talisman suprême de la création à condition
de recevoir l'éducation spirituelle adéquate. Celle-ci est dispensée par les Manifestations
de Dieu. Baha'u'llah adresse aux hommes de nombreux conseils, en affirmant qu'ils
produiront la paix et la stabilité du monde, s'ils sont suivis. On peut les résumer
en cette exhortation: Celui qui ne me possède pas, est privé de toutes choses.
Détachez-vous de tout ce qui est terrestre, et ne cherchez que Moi.
Il n'est pas possible de citer toutes les épîtres adressées par Baha'u'llah à
des croyants. Mentionnons encore les épîtres envoyées à 'Abdu'r-Razzaq et à 'Abdu'l-Vahhab
dans lesquelles il évoque les conditions de l'âme après la mort: Quand l'âme sera
en la Présence divine, elle prendra la forme la plus convenable à son immortalité...
Son existence, toutefois, est contingente et non pas absolue, en tant que le contingent
dépend d'une cause, tandis que l'absolu en est affranchi.
Les deux derniers écrits importants qu'il faut encore mentionner sont d'une part
le Kitab-i-'Ahd et l'Epître au fils du Loup. Le Kitab-i-'Ahd (Livre de
l'alliance) est en quelque sorte le testament de Baha'u'llah par lequel il confirme
la position de Centre de l'alliance, définie par le Kitab-i-Aqdas, pour son fils
aîné, la plus grande Branche ; Baha'u'llah exhorte les croyants à rester unis
sous la protection de ce Centre d'alliance et à proclamer sa cause au monde entier.
Quant à Lawh-i-Ibn-i-Dhi'b (l'Epître au fils du Loup), révélée en 1891,
elle est adressée au fils de Shaykh Muhammad-Baqir, appelé Dhi'b (le loup) par
Baha'u'llah pour son rôle dans l'assassinat des deux martyrs d' Isfahan. Ce fils,
Shaykh Muhammad Taqi, était un ennemi aussi irréductible que son père envers la
cause de Baha'u'llah. Cet écrit important, non seulement cite de nombreux écrits
antérieurs, mais évoque le moment mystique de la descente de la révélation dans
le Siyah-Chal à Téhéran et définit très clairement ce qu'il faut entendre par
la "présence divine" ou "la rencontre de Dieu" dont parlent de nombreux versets
du Coran.
Contempler la "face de Dieu" ne peut avoir d'autre signification que de reconnaître
sa Manifestation lorsque celle-ci apparaît. L'épître décrit aussi les détails
de la révolte de Mirza Yahya et ses conséquences. Elle exhorte le Shaykh à reconnaître
ses erreurs, à obtenir son pardon et à se lever pour proclamer la Cause.
On estime à plus de 15.000, les écrits de Baha'u'llah, parfois de courtes missives,
mais plus souvent des épîtres importantes, des traités, sinon des livres. À l'heure
actuelle (1993), environ la moitié de ces écrits ont été identifiés et rassemblés
dans les archives au Centre mondial de la foi.
10. L'ascension de Baha'u'llah
Depuis un certain temps, neuf mois environ, Baha'u'llah faisait allusion à son
désir de quitter ce monde. À partir de ce moment-là, il devint de plus en plus
évident, d'après le ton de ses remarques faites à ceux qui parvenaient en sa présence,
que le terme de sa vie terrestre approchait, bien qu'il s'abstînt d'en parler
ouvertement à qui que ce soit.
Pendant la nuit qui précéda le 8 mai 1892, il contracta une légère fièvre qui,
bien qu'aggravée le jour suivant, baissa peu après. Il continua à donner audience
à certains amis et pèlerins, mais il fut bientôt visible qu'il n'allait pas bien.
La fièvre le reprit, plus violente que la première fois, son état général alla
en empirant, et des complications survinrent qui aboutirent finalement à son ascension,
dans sa soixante-quinzième année, à l'aube du 29 mai 1892, huit heures après le
coucher du soleil.
Sa dernière audience avait eu lieu six jours auparavant, pendant laquelle, étendu
sur son lit, il fit venir plusieurs pèlerins et leur dit: Je suis très satisfait
de vous tous. Vous avez rendu bien des services, et vous avez exécuté vos tâches
avec diligence. Vous êtes venus ici chaque matin et soir. Que Dieu vous aide à
rester unis. Qu'il vous aide à magnifier la cause du Maître de l'existence. Il
adressa des paroles semblables aux femmes de sa famille en leur disant qu'il les
avait confiées à 'Abdu'l-Baha qui prendrait soin d'elles.
La nouvelle du décès de Baha'u'llah fut communiquée au sultan 'Abdu'l-Hamid dans
un télégramme qui commençait par ces mots: "Le soleil de Baha s'est couché". Le
télégramme informait le sultan du projet d'enterrer les restes de Baha'u'llah
dans l'enclos du manoir de Bahji, souhait auquel le sultan donna son accord. Il
fut inhumé peu après le coucher du soleil, le jour même de son décès, dans une
pièce contiguë à l'une des maisons occupées par sa famille et qui est aujourd'hui
le tombeau sacré, objet de pèlerinage de milliers de croyants chaque année.
Pendant une semaine, un grand nombre de visiteurs, riches ou pauvres, vinrent
partager la douleur de la famille. Des notables de toute confession, chiites,
sunnites, druzes, chrétiens, juifs, des poètes, 'ulama' et fonctionnaires venaient
témoigner leur respect. Des hommages semblables parvinrent de villes lointaines,
telles Damas, Alep, Beyrouth et le Caire.
Ainsi se terminait la seconde période de l'âge apostolique de la foi baha'ie.
Le premier avait été la courte période de neuf années du ministère du Bab. Le
ministère de Baha'u'llah avait duré trente-neuf ans. Une troisième période allait
clôturer cet âge apostolique, les vingt-neuf années du ministère de 'Abdu'l-Baha,
désigné comme Centre de l'alliance de Baha'u'llah avec les croyants et l'interprète
de ses écrits. Au total cela fait soixante-dix-sept ans de révélations et d'interprétations
dont les écrits authentiques sont conservés pour servir de base à une communauté
qui allait s'étendre très rapidement à tous les pays du monde.
Notes
(1) La doctrine énoncée par Shaykh 'Ahmad présente un certain nombre de
points fondamentaux qui divergent avec les autres écoles islamiques.
La nature de Dieu est totalement incompréhensible, à l'inverse de la doctrine
professée par certains soufis, de l'unité existentielle et de l'union mystique
avec Dieu. Pour Shaykh 'Ahmad, Dieu a une connaissance essentielle inséparable
de son essence, celle-ci devient création lorsque Dieu agit dans la création.
Il en est de même pour tous les attributs.
Les Prophètes ont une nature différente de celle des hommes qui ne peuvent accéder
à cet état (contrairement à l'opinion de certains Soufis). Ils sont les intermédiaires
entre Dieu et les hommes.
Les Imams sont les lumières créées par la lumière de Muhammad, elle-même créée
par la Volonté première. Ils sont les agents de la création car ils en sont la
cause. C'est pour eux que la création a été créée. Shaykh 'Ahmad fut accusé d'hérésie
pour cette doctrine à cause de l'attribution d'attributs de Dieu à d'autres que
Dieu. Son admiration pour les Imams, l'amena à se prosterner aux pieds des tombeaux
des Imams et non à la tête comme les autres chiites. C'est à ce signe, notamment
qu'on reconnaissait les shaykhis.
Entre le monde physique et le monde spirituel, il y a un monde intermédiaire (Hurqalya)
ou Huvarqalya), appelé aussi monde des images, des archétypes ('Alam al-mithal).
Tous les humains ont non seulement un corps physique qui vit dans notre monde,
mais aussi un corps subtil qui vit dans le monde des archétypes. L'Imam caché
et les villes de Jabulsa et Jabulqa existent dans ce monde intermédiaire. Cette
doctrine sur le monde intermédiaire permettait à Shaykh 'Ahmad de présenter des
explications rationnelles au sujet des croyances superstitieuses de ses contemporains,
à savoir:
I. l'occultation du 12e Imam;
II. la résurrection des corps ;
III. l'ascension nocturne de Muhammad (Mi'raj), par le corps subtil de Muhammad
et non par son corps physique.
IV. le quatrième support:
Les cinq supports de l'islam sont:
a)Trois supports acceptés par tous les musulmans:
1. Tawhid: unité de Dieu,
2. Nabuwwa: l'état de prophète,
3. Ma'ad: résurrection.
b) Deux supports supplémentaires pour les chiites:
1. Imamat
2. Adl: Justice divine.
Shaykh 'Ahmad ramène ces cinq supports à trois en déclarant que l'unité de Dieu
et sa justice sont un même support. La croyance en les prophètes et en la résurrection
est également un seul support. Siyyid Kazim ajoute un quatrième support: la nécessité
d'un intermédiaire éclairé, le Shi'i parfait (ar-Rukn ar-Rabi ou Rukn-i-Rabi)
qui est inspiré par l'Imam caché. Par la suite, les écoles shaykhi enseignèrent
que ce quatrième support est représenté par l'ensemble des 'ulama'.
(2) La revendication du Bab lui assura immédiatement beaucoup d'adhérents,
surtout parmi les Shaykhi. Ceux-ci interprétaient le mot Bab dans le sens traditionnel
de porte vers l'Imam caché, ce qui les maintenait dans la shari'a islamique. Dès
1848, il devint évident que le Bab se prétendait le retour de l'Imam caché, et
non sa porte, et qu'en sa qualité de Qa'im, il abrogeait le cycle islamique en
inaugurant un nouveau cycle de révélation. Ô Qurratu' l-Ayn ! Dis: En vérité,
je suis la "Porte de Dieu" et, avec la permission de Dieu, la souveraine Vérité,
je vous donne à boire des eaux cristallines de sa révélation qui jaillissent de
l'incorruptible fontaine située sur la montagne sainte (Qayyumu'l-Asma', Extraits
des Ecrits du Bab, Maison d'Editions Baha'ies, Bruxelles 1984, page 45).
Selon Peter Smith, le babisme se caractérise par quelques motifs dont les quatre
principaux sont:
1) Le légalisme:
Une loi d'origine divine, constituant l'essentiel de la révélation, est une notion
fondamentale aussi bien dans le judaïsme que dans l'islam. Les shakhi, même s'ils
offrent des concepts doctrinaux en variance avec ceux de l'islam, restent fidèles
à la pratique orthodoxe de la Shari'a. Le babisme apporte une nouvelle shari'a
et en accentue l'importance ; il introduit des pratiques plus sévères et plus
exigeantes (la prière, le jeûne, la prosternation aux tombeaux des Imams, les
habits, les pratiques économiques, les lois de statut personnel, l'attitude envers
les non-croyants), qui font que les babis deviennent un groupe à part dans l'islam.
Selon Shoghi Effendi, cette sévérité visait "à réveiller le clergé et le peuple
de leur torpeur séculaire ainsi qu'à porter un coup soudain et fatal à des institutions
périmées et corrompues" (Dieu passe près de Nous, page 24, M.E.B, Bruxelles, 1976).
2) Ésotérisme:
Pour une série d'écoles islamiques, l'application des lois a une contrepartie
qui est la compréhension de la vérité intérieure cachée. Cette notion qui conduit
à la reconnaissance d'une élite est fortement affirmée dans le Shaykhisme. Au
début, le même ésotérisme est pratiqué par le Bab et ses disciples jusqu'à sa
déclaration publique. À ce moment, certains disciples considèrent qu'il y a lieu
de proclamer toute la vérité et qu'il faut renoncer à cacher sa foi par mesure
de prudence (taqiyya). C'est nettement l'attitude de Tahirih. Après les événements
de Tabarsi, Zanjan et Nayriz, où les babis résistèrent aux troupes gouvernementales,
les disciples adoptèrent une attitude inter-médiaire qui consiste à ne révéler
que prudemment et progressivement les vérités nouvelles. Cette attitude semble
avoir été encouragée par le Bab. Après la mort de celui-ci, les babis se renfermeront
à nouveau dans un ésotérisme prudent en pratiquant la taqiyya. Les textes babis
demeureront souvent difficiles à comprendre. L'interprétation litté-rale des écrits
sacrés est destinée au commun des mortels. Pour certaines écoles chiites, la véritable
signification est à chercher au-delà des symboles et des métaphores. Cette approche
est encore renforcée dans le Shay-khisme et dans le babisme. Chaque verset, chaque
lettre même, est chargé de savoir divin qui donne lieu à de savants commentaires.
3) Le centre d'autorité:
Pour les chiites, l'autorité était exercée par les Imams. Depuis la grande occultation,
l'autorité passe par l'ensemble des 'Ulama'. Pour les soufis, le centre d'autorité
est la relation entre le disciple et son maître. Pour les étudiants shaykhi, l'autorité
est représentée par les maîtres shaykhi. Pour les premiers disciples du Bab, la
conception shaykhi semble se continuer car le Bab est considéré comme la porte
vers l'Imam caché. Il devint rapidement évident que le Bab revendique pour lui-même
une autorité d'une autre nature, attestée par sa capacité de révéler, à une vitesse
extraordinaire, des écrits de la nature du Coran lui-même. Après 1848, ses disciples
le considérèrent comme l'auteur d'une nouvelle révélation qui mit fin à la dispensation
islamique. Ses propres écrits lui donne le titre de Point premier (Nuqtiy-i-Ula)
de la révélation, c'est-à-dire dans la terminologie chiite, un prophète ou messager
de Dieu.
4) Le millénarisme:
Cette doctrine consiste en l'attente d'un royaume de nature divine, attente qui
devait durer mille ans. Dans le chiisme, cette attente est centrée autour du retour
de l'Imam caché, Muhammad-al-Mahdi. Celui-ci reviendra aux derniers jours, vaincra
l'Antéchrist (Dajjal), ainsi que les forces du mal, rétablira le chiisme, remplira
la terre de justice, précipitera les événements liés à la résurrection et au jugement
dernier.
Cette doctrine est le pivot de l'enseignement de l'école shaykhi, puisque le retour
du Mahdi est imminent. Elle gagne encore en ferveur dans la période où le Bab,
malgré ses affirmations évidentes, est encore perçu comme la Porte envers l'Imam
caché. Après l'acceptation de sa position de Mahdi, la croyance en l'inauguration
du royaume des saints atteint son paroxysme. Les divergences avec les notions
chiites se révèlent progressivement. Les signes des temps de la fin reçoivent
des interprétations allégoriques. Une loi nouvelle est révélée abrogeant l'islam.
Le Mahdi n'assure donc pas le triomphe du chiisme, mais instaure une religion
nouvelle, et il conteste l'autorité religieuse en place. Néanmoins le principe
du millénarisme n'est pas remis en cause.
Après tout, la déclaration du Bab en mai 1844 survient exactement mille ans après
la dispari- tion du onzième Imam et l'entrée en occul- tation du douzième. Le
Bab possédait toutes les qualités et les caractéristiques qui étaient attribuées
au Mahdi par la tradition:
- Siyyid de pure lignée,
- d'un âge entre 20 et 30 ans, de taille moyenne, ne fumant pas, n'ayant aucune
déficience physique, ayant un grain de beauté sur le front,
- doué d'une science innée.
Lorsque le Bab revint de son pèlerinage à La Mecque sans passer par Karbila où
certains disciples l'attendaient pour prendre le pouvoir, beaucoup d'entre eux
furent déçus. Mais la majorité avait déjà été préparée par l'école shaykhi à une
autre destinée. Pour les babis, l'interprétation du concept du retour (raj'a)
pouvait revêtir deux
aspects:
- une eschatologie réalisée comme cela s'est passé dans les dispensations précédentes.
Le porteur de la dispensation est annoncé par des précurseurs. Il est entouré
de ses principaux disciples et les forces de négation se lèvent contre lui. Les
précurseurs sont les chefs shaykhi, les disciples sont les Lettres du Vivant,
l'antéchrist borgne est Haji Mirza Aqasi, accompagné de son sufyani, Karim Khan
Kirmani. Le drame personnel se joue à Tabarsi, en souvenir de celui qui eut lieu
à Karbila et la dynastie des Qajars rappelle celle des 'Umayyad. Cette position
fut celle d'une minorité parmi les babis.
- une eschatologie nouvelle où apparaît la figure de Man-Yuzhiruhu'llah (Celui
que Dieu doit manifester) et après lui, d'autres manifestations divines. La figure
de Man Yuzhiruhu'llah domine les derniers écrits du Bab à partir de la révélation
du Bayan persan dans la prison de Mah-ku, suivi du Bayan arabe à Chihriq, ainsi
que dans d'autres écrits. On peut toutefois se demander si cette figure n'est
déjà pas présente dès le début. En tout cas, selon Shoghi Effendi, le Joseph du
Qayyumu'l-Asma' en est la préfiguration. C'est la position baha'ie.
(3) Baha'u'llah avait épousé en septembre ou octobre 1835, à l'âge de 18
ans, Asiyih Khanum appelée Umu'l-Kanat et à qui Baha'u'llah donna le titre de
Navvab. Ils eurent sept enfants dont trois seulement survécurent:
- 'Abbas, la plus grande Branche, qui prit le nom de 'Abdu'l-Baha après la mort
de son père.
- Bahiyyih, la plus sainte Feuille.
- Mihdi (Mirza), la plus pure Branche.
Navvab décéda à Acre en 1886. Ses restes furent transférés dans les jardins de
Haifa où ils reposent aux côtés de sa fille et de son fils Mihdi.
En 1849, Baha'u'llah épousa sa cousine Fatimih Khanum, appelée Mahdi-'Ulya (décé-dée
en 1904), dont il eut plusieurs enfants. Survécurent:
- trois fils:
- Muhammad 'Ali,
- Badi'u'llah
- Diya'u'llah
- et une fille, Samadiyyih.
Pendant la période de Bagdad, Baha'u'llah, épousa une troisième femme Gawhar Khanum,
dont il eut une fille, Furughiyyih.
Gawhar Khanum resta à Bagdad, puis fut exilée à Mosoul avec son frère et Zaynu'l-Muqarribin.
Elle rejoignit 'Abdu'l-Baha à Acre après la mort de Baha'u'llah.
Liste des tablettes de Baha'u'llah citées
dans le texte