L'unité
du genre humain
Par Louis Hénuzet
(érudit baha'i)
Le but fondamental et spécifique de la révélation baha'ie est la fondation d'une
civilisation dont le principe est l'unité du genre humain. Les différentes étapes
franchies par l'humanité dans un processus d'interaction sociale, économique et
politique "continuera d'opérer jusqu'au moment où il culminera dans l'unification
du monde entier, objet final et couronnement glorieux de l'évolution humaine sur
cette planète... Dans chaque dispensation, la lumière de la providence divine
s'est focalisée sur un thème central... Dans cette révélation merveilleuse, ce
siècle glorieux, le fondement de la foi de Dieu et la caractéristique distinctive
de sa loi, est la conscience de l'unité de l'humanité." (1)
Toutes les religions avaient pour objet de promouvoir une civilisation de paix,
grâce au type d'éducation qu'elles dispensaient aux hommes. "Dieu, en lui (au
prophète) confiant cette mission, a un double objectif : il se propose d'abord
de libérer les enfants des hommes des ténèbres de l'ignorance, de les guider vers
la lumière de la vraie compréhension, et ensuite d'assurer la paix de l'humanité,
en lui fournissant les moyens par lesquels cette paix peut être établie (2)".
L'homme en a été rendu capable. "Ayant créé le monde et tout ce qui y vit et s'y
meut, Dieu a voulu conférer à l'homme, en privilège unique, par l'opération directe
de sa volonté libre et souveraine, la capacité de le connaître et de l'aimer,
le dotant ainsi d'une faculté dont l'exercice doit être regardé comme la raison
d'être, la fin principale et dernière de toute la création... Sur l'essentielle
réalité de chaque chose créée, il a répandu la lumière d'un de ses noms, et de
chacune d'elles, il a fait le siège de ses attributs. Mais sur la réalité de l'homme,
il a concentré l'éclat de tous ses noms et attributs et il en a fait le miroir
de sa propre personne. Seul entre toutes choses créées l'homme a été choisi comme
objet d'une si grande faveur (3)". Toutefois ce privilège conféré à l'homme est
latent en lui. "Le Grand Etre dit : Voyez en l'homme une mine riche en gemmes
d'une inestimable valeur. Mais, seule, l'éducation peut révéler les trésors de
cette mine et permettre à l'humanité d'en profiter (4)"
Les religions précédentes n'avaient cependant pas pour objectif la paix universelle.
La paix universelle est 1'aboutissement d'un processus d'évo1ution par bonds successifs.
"La compréhension d'une transformation non-linéaire comme élément de base de l'évolution,
dans la nature et dans l'histoire, dut attendre l'émergence des sciences des systèmes
en non-équilibre, dans les années soixante-dix et quatre-vingts. Pourtant, cette
idée fondamentale fut exposée par un prophète relativement peu connu au XIXe siècle.
Ce noble persan, qui prit le nom de Baha'u'llah et fonda la Foi baha'ie, proclama
l'unité de l'humanité. Une unité qui se réalise par étape évolutives, non sans
luttes, chaos et confusion. Ce développement historique, écrivit-il, commença
avec la naissance de la famille, qui évolua en société tribale pour se constituer
en cités-états et autres unités politiques. Récemment, celles-ci sont devenues
des nations indépendantes et souveraines. Baha'u'llah déclare, ensuite, que la
construction des nations est parvenue à son terme. Ces nations doivent abandonner
leurs prétentions à la souveraineté et se réunir en une société mondiale fondée
sur l'unité dans la diversité (5)".
Selon les enseignements baha'is, le cycle universel qui concerne notre humanité
et qui s'étend sur des centaines de milliers d'années, se divise en deux parties,
dont la première s'est achevée par l'avènement de l'ère baha'ie. On l'appelle
le cycle prophétique ou adamique. C'est au cours de ce cycle que des "dispensations
(6)" se sont succédées selon plusieurs lignées, inaugurées par des personnages
à qui le Coran donne le titre de nabi (prophète) ou rasul (messager). Muh?ammad,
le prophète de l'islam, fut le dernier d'entre eux. La deuxième partie du cycle
universel s'appelle cycle de l'accomplissement ou cycle baha'i car il est inauguré
par les deux "dispensations" jumelles formant l'ère baha'ie et sera suivi de nombreuses
"dispensations" pour conduire l'humanité dans des degrés de plus en plus élevés
de spiritualité. Pour marquer cette différence entre les deux cycles, le Bab qui
est l'auteur de la première "dispensation" de l'ère baha'ie, se donne un titre
nouveau, celui de
Dhikru'1lah (Souvenir de Dieu). Quant à Baha'u'llah, il se réfère à la notion
de Z?uhur (manifestation) car il est celui qui est annoncé par le Bab sous le
nom de Man-yuz?hiruhu'llah (Celui que Dieu doit manifester).
Ce règne de la justice n'arrivera que progressivement. Car l'appel de Baha'u'llah
aux responsables et aux peuples du monde n'a pas été entendu. C'est par la S?uriy-i-Muluk,
adressée d'Andrinople aux souverains et aux peuples du monde, que Baha'u'llah
lance cet appel qu'il confirme encore en 1873, dans son très saint Livre. "Ô Rois
de la terre, celui qui est le souverain Seigneur de tous est venu. Le royaume
est à Dieu, le Protecteur omnipotent, l'Absolu. N'adorez que Dieu et, d'un coeur
battant de joie, tournez vos visages vers votre Seigneur, le Seigneur de tous
les noms... Ô Roi de la terre, en ce lieu, site d'une transcendante splendeur,
a été révélée la plus grande loi... Levez-vous et servez celui qui est le Désir
de toutes les nations, celui qui, d'un mot, vous a créés et vous a désignés pour
être, en tous temps, les emblèmes de sa souveraineté (7)".
Baha'u'llah appelait les souverains à le reconnaître comme le Promis de toutes
les révélations antérieures pour inaugurer le règne de la justice ou le Royaume
de Dieu sur la terre, une époque que Baha'u'llah évoque en l'appelant la plus
grande Paix. La description de cette plus grande Paix a été faite par Shoghi Effendi,
dans ses lettres aux croyants occidentaux, appelées lettres de l'Ordre Mondial,
notamment dans l'une de celle-ci, traduite sous 1e titre Vers l'apogée de la race
humaine (8). En voici le résumé : La plus grande Paix envisagée par Baha'u'llah
suppose un système mondial comprenant un parlement, un exécutif et un tribunal.
Ces institutions, inspirées par la reconnaissance de la révélation nouvelle, auront
pour objet d'assurer la liberté individuelle. Elles mettront en place des systèmes
mondiaux d'intercommunication, de langage, d'écriture, de poids, de mesures et
de devises. Elles seront installées dans une métropole mondiale. Elles s'appuieront
sur la science et la religion qui seront en harmonie. Elles réorganiseront l'économie,
coordonneront les marchés, réguleront la distribution, étendront les inventions,
la technologie et la recherche scientifique, maîtriseront les maladies, ce qui
augmentera les standards de la santé et raffineront l'intelligence de l'homme.
Cette description se conclut par les mots suivants : "Un système de fédération
universelle qui régira la terre entière et exercera sur ses ressources, d'une
inestimable ampleur, une autorité à l'abri de toute discussion, qui incarnera
tout ensemble l'idéal de l'Orient et celui de l'Occident, qui sera affranchi de
la malédiction de la guerre et de ses misères, et qui tendra à l'exploitation
de toutes les sources d'énergie disponibles à la surface de la planète ; un système
dans lequel la force sera mise au service du droit et dont la vie sera soutenue
par la reconnaissance universelle de Dieu et l'obéissance à une seule révélation,
tel est le but vers lequel les forces unifiantes de la vie poussent l'humanité
! (9)".
Tout cela paraît encore un rêve. Mais c'est celui que nous ont laissé tous les
prophètes des âges antérieurs et qu'ils ont prédit pour la fin des temps des nations.
"La Très Grande Paix... telle que Baha'u'llah l'a conçue - une paix qui doit inévitablement
suivre, comme sa conséquence pratique, la spiritualisation du monde et la fusion
des races, croyances, classes et nations - ne peut reposer sur d'autre base ni
être préservée par d'autre moyen que les divines ordonnances édictées dans ce
plan du Monde nouveau, associé à son saint Nom (10)".
Cet appel pour promouvoir ce plan conduisant à la très grande Paix, lancé par
Baha'u'llah, à partir de 1867 jusqu'en 1873, confirmé ensuite par de nombreux
écrits qui le commentent, ne devait pas être entendu par les souverains de l'époque,
pas plus que par les peuples du monde, auxquels
Baha'u'llah s'était aussi adressé. C'est pourquoi, il écrivait déjà dans la lettre
à la Reine Victoria : "Puisque vous avez refusé la paix suprême, attachez-vous
du moins à maintenir une paix imparfaite qui vous permettra peut-être d'améliorer
quelque peu votre propre condition et celle de vos sujets. Ô Souverains de la
terre, réconciliez-vous, afin de n'avoir à vous armer que dans la mesure nécessaire
à la défense de vos territoires et de vos empires... Soyez unis, ô Rois de la
terre, car ainsi la tempête de la discorde s'apaisera parmi vous, et vos peuples
trouveront le repos, si vous êtes de ceux qui comprennent (11)".
Shoghi Effendi a appelé "moindre paix" cette paix imparfaite dont parle Baha'u'llah
dans cette épître et que celui-ci évoque à nouveau dans les Bonnes nouvelles.
"La sixième bonne nouvelle est l'établissement de la moindre paix dont les détails
furent jadis révélés par notre Plume très exaltée (12)". Shoghi Effendi a clairement
indiqué que la recherche de cette moindre paix incombait aux pouvoirs politiques
et que la communauté baha'ie et ses institutions, n'y étaient qu'associées, même
si Baha'u'llah précise que cela doit être une préoccupation importante de la Maison
universelle de justice. "Il incombe aux ministres de la Maison de justice de promouvoir
la moindre paix afin que les peuples de la terre puissent être délivrés du fardeau
des dépenses exorbitantes. Ce principe est impératif et absolument essentiel,
car les hostilités et les conflits sont les racines de l'affliction et du malheur
(13)". Cette implication, qualifiée de principe impératif et absolument essentiel,
de la Maison universelle de justice n'amoindrit pas la responsabilité de toute
l'humanité. "Nous avons enjoint à l'humanité tout entière d'établir la moindre
paix, le plus sûr de tous les moyens de protection pour l'humanité. Les souverains
du monde devraient, d'un commun accord, y adhérer fermement, car elle est l'instrument
suprême qui peut assurer la sécurité et le bien-être de tous les peuples et de
toutes les nations (14)".
Que la responsabilité d'établir la moindre paix incombe en premier lieu à l'humanité
et à ses institutions politiques est tout à fait logique puisque ce processus
doit se déployer avant que les peuples ne reconnaissent dans leur grande majorité
le rang et la mission de Baha'u'llah. Shoghi Effendi a appelé ce processus le
"plan majeur" de Dieu. Ce chemin ne sera pas facile, car les nations n'abandonneront
que contraintes et forcées les prérogatives acquises au cours des XIXe et XXe
siècles et répondre ainsi aux injonctions de Baha'u'llah. "Le temps doit venir
où la nécessité impérieuse d'une vaste assemblée qui embrasse tous les hommes
sera universellement reconnue. Les rois et les dirigeants de la terre devront
impérativement y assister et, en prenant part à ses délibérations, ils devront
considérer les voies et moyens de poser les fondements de la grande paix du monde
parmi les hommes. Une telle paix nécessitera de la part des grandes puissances
la résolution de se réconcilier complètement, au nom de la tranquillité des peuples
de la terre. Et si un roi prend les armes contre un autre, tous conjointement
devraient se lever et l'en empêcher (15)".
Quant aux institutions baha'ies, elles se sont engagées rapidement pour prendre
leur part de responsabilité. Dès la constitution des Nations Unies, considérées
comme la deuxième tentative (16) de mettre en place la "vaste assemblée" dont
parle Baha'u'llah, Shoghi Effendi a encouragé la communauté baha'ie à se faire
reconnaître par celles-ci, comme Organisation Non Gouvernementale et à obtenir
le statut consultatif auprès de certains de ses organes, même si ces Nations Unies
ne constituent qu'une étape ne répondant pas encore totalement à la vision de
Baha'u'llah.
Les institutions baha'ies ont déjà fait plusieurs contributions significatives.
En 1977, la Maison universelle de justice publie une série d'extraits des Lettres
de Shoghi Effendi dans une brochure intitulée Appel aux Nations (17). En 1985,
elle adresse un message aux peuples du monde La promesse de la paix mondiale (18)
et en 2002, elle en appelle à tous les dirigeants religieux pour la réconciliation
des religions par l'abandon des préjugés religieux. En 1995, l'Office de relations
publiques du Centre mondial publie Vers une humanité prospère (19), résumant les
données fondamentales pour une justice économique dans le monde et la même année
la Communauté internationale
baha'ie publie à New-York en anglais et en français à l'occasion du 50e anniversaire
de la création des Nations Unies Tournant pour les nations où elle indique les
réformes nécessaires au sein de cet organisme.
'Abdu'l-Baha a décrit l'objectif à atteindre : "La vraie civilisation déploiera
son drapeau au centre même du monde aussitôt qu'un certain nombre de ses souverains
éminents et altruistes - exemples insignes de dévouement et de détermination -
se lèveront, animés d'une ferme résolution et d'une vision claire, pour le bien
et le bonheur de toute l'humanité, afin de servir la cause de la paix universelle.
Ils auront à faire de la cause de la paix l'objet d'une consultation générale
et à chercher, par tous les moyens en leur pouvoir, à établir une union des nations
du monde. Ils devront conclure un traité à caractère obligatoire et instituer
une alliance dont les clauses seront solides, inviolables et bien définies. Ils
devront la proclamer au monde entier et lui obtenir la sanction de toute la race
(sic) humaine. Cette suprême et noble entreprise - la véritable source de la paix
et du bien-être du monde entier - devra être tenue pour sacrée par tous les habitants
de la terre. Toutes les forces de l'humanité devront se mobiliser pour assurer
la stabilité et la permanence de cette très grande alliance. Dans ce pacte universel,
les limites et les frontières de tous les pays devront être clairement fixées,
les principes régissant les relations réciproques entre gouvernements exactement
stipulés, et toutes les obligations et tous les accords internationaux dûment
précisés. De même, l'importance des armements de chaque gouvernement devra être
strictement limitée car, si l'on permettait à une nation d'augmenter ses préparatifs
de guerre et ses forces militaires, la suspicion des autres États s'éveillerait
aussitôt. Le principe fondamental à la base de ce pacte solennel devrait être
établi de telle sorte que si, par la suite, un gouvernement violait l'une de ces
dispositions, tous les gouvernements de la terre devraient se lever pour le réduire
à la plus complète soumission ou, mieux encore, l'ensemble de la race humaine
devrait se résoudre à détruire ce gouvernement par tous les moyens en son pouvoir.
Que ce remède, le plus grand de tous, soit appliqué au corps malade du monde,
et il guérira assurément de ses maux et restera éternellement à l'abri de tout
danger (20)".
La marche vers ce but ne sera pas une sinécure, car elle sera longue et pleine
d'embûches pour atteindre sa consommation dans la plus grande Paix. Qualifié de
tortueux, ce chemin vers la paix devra connaître un processus de "mûrissement
au cours d'une longue période avec ses épreuves, ses retours en arrière et ses
conflits inéluctables (21)". Le processus connaîtra une série d'étapes dans lesquelles
la communauté baha'ie jouera son rôle. "La moindre paix passera par diverses phases
; au début, les gouvernements agiront de leur propre initiative sans avoir conscience
du concours de la Foi. Plus tard, lorsque Dieu jugera le temps venu, la Foi exercera
sur elle une influence directe selon les modalités indiquées par Shoghi Effendi
dans Le but d'un nouvel ordre mondial (22).
Les objectifs de la moindre paix sont rappelés par 'Abdu'l-Baha dans une tablette
appelée "Tablette des Sept Flambeaux":
-Unité dans le domaine politique,
-Unité de pensée dans les entreprises mondiales,
-Unité dans la liberté,
-Unité dans la religion, considérée comme le pivot central,
-Unité des nations,
-Unité entre les races,
-Unité de langue et des divers moyens de communication (23)
'Abdu'l-Baha, répondant à une question d'un journaliste, aurait déclaré, selon
un article paru dans le Montreal Daily Star : "elle (la paix) sera établie dans
le courant de ce siècle, elle sera universelle au cours du XXe siècle. Toutes
les nations y seront contraintes (24)". Toutefois dans les Écrits de 'Abdu'l-Baha,
nous relevons les éléments suivants : "La cinquième lumière est l'unité des nations,
qui sera solidement établie en ce siècle, et par laquelle tous les peuples du
monde en viendront à se considérer comme les citoyens d'une patrie commune (22)".
Interrogé sur cette question, Shoghi Effendi a répondu : "C'est l'étape dont le
monde s'approche à présent, l'étape de l'unité du monde, qui, comme nous l'a affirmé
'Abdu'l-Baha, sera solidement établie en ce siècle". La Maison universelle de
justice nous précise qu'il ne faut toutefois pas "considérer l'unité des nations
comme étant synonyme de l'établissement de la moindre paix". Elle rappelle que
Shoghi Effendi a clairement dit dans une lettre datant de 1946 que : "Nous savons
tous que la moindre paix et la plus grande paix viendront, mais nous n'en connaissons
pas la date exacte". Outre cette distinction à faire entre le concept d'unité
des nations dont la date est donnée et la moindre paix dont la date est inconnue,
la Maison universelle de justice précise aussi les commentaires de Shoghi Effendi
au sujet du premier flambeau, l'unité dans le domaine politique. "L'unité dans
le domaine politique est une unité que les états souverains et indépendants établiront
entre eux par des mesures à caractère politique". Quant à l'unité des nations,
le cinquième flambeau, il est précisé qu'il s'agit de la prise de conscience par
les peuples du monde d'appartenir à une patrie commune, un concept dont la majorité
des peuples ne doute plus aujourd'hui. (25) Ajoutons enfin que Shoghi Effendi
a encore précisé que l'ordre dans lequel 'Abdu'l-Baha a mentionné les sept flambeaux
ne devait pas être compris comme devant se réaliser dans cet ordre. Chaque flambeau
aura sa propre histoire et sa propre évolution.
Parallèlement à ce processus impliquant le plan majeur de Dieu, un autre processus,
appelé le "plan mineur" est du ressort de la communauté du plus grand Nom. Il
implique la proclamation du message de Baha'u'llah à tous les peuples du monde
afin qu'ils reconnaissent sa mission, acceptent sa révélation et adhèrent à sa
communauté. Outre cette activité d'enseignement qui développera la communauté
par phases successives - adhésions individuelles, adhésions de groupes, entrée
en troupe, conversion de masse - l'ordre administratif initié par Baha'u'llah
dans son très saint Livre sera mis en place et ses institutions seront implantées
dans le monde entier.
Shoghi Effendi a appelé "âge de formation" cette période de mise en place des
institutions baha'ies et leur apprentissage à fonctionner dans l'esprit des lois
révélées. Il a déclaré que cette période a débuté en 1921, avec l'ascension du
Maître, mais que sa durée ne pouvait être déterminée. "Sa durée est inconnue et
gît, cachée, dans les trésors de la connaissance divine. Sa fin coïncidera avec
l'établissement en Occident comme en Orient de cet Ordre très puissant et parfait,
avec l'émergence resplendissante de l'unité organique parmi les parties constituant
la société humaine et avec la consolidation des éléments de la moindre paix parmi
les gouvernements et les nations du monde (26)".
Le développement de la communauté devra "passer par les étapes successives de
l'obscurité non mitigée, de la répression active et enfin de l'émancipation complète
qui mènera, elle à son tour, à sa reconnaissance en tant que foi indépendante
jouissant du statut d'égalité complète avec ses religions soeurs, ce qui entraînera
son établissement et sa reconnaissance comme religion d'État qui, à son tour,
ouvrira la voie pour assumer les droits et prérogatives associés à 1'État baha'i,
fonctionnant dans la plénitude de ses pouvoirs, un stade qui en fin de compte
atteindra son apogée dans l'apparition d'un "Commonwealth" mondial baha'i entièrement
animé de l'esprit et procédant uniquement en conformité directe avec les lois
et les principes de Baha'u'llah (27)"
Tout cela suppose une évolution profonde de l'humanité au cours des siècles à
venir, qui verront se développer parallèlement les deux plans divins, le plan
majeur et le plan mineur jusqu'à ce que les deux plans convergent pour fusionner
en un seul système.
Le premier - le plan majeur - poursuivi par le monde, avec la collaboration des
baha'is et de leurs institutions, réalisera en partie cette vision de Shoghi Effendi.
"Quelle autre signification pourraient avoir ces graves paroles (28) si ce n'est
d'indiquer que la réduction inévitable d'une souveraineté nationale libre de toute
contrainte est le prélude indispensable à la formation de la future fédération
de toutes les nations du monde ? Une certaine forme de super État mondial devra
absolument être élaborée, un super État en faveur duquel toutes les nations du
monde auront volontairement abandonné toute prétention à faire la guerre, certains
droits à lever des impôts et tout droit à maintenir des armements, si ce n'est
pour le maintien de l'ordre dans les territoires relevant de leurs autorités respectives.
Un tel État devra inclure dans son orbite un pouvoir exécutif international capable
d'imposer son autorité suprême et incontestable à tout membre récalcitrant de
la Fédération ; un Parlement mondial dont les membres seront élus par les peuples
dans leurs pays respectifs, avec ratification de cette élection par leurs gouvernements
respectifs ; et un tribunal suprême dont les jugements auront force de loi, même
dans l'éventualité où les parties concernées n'auraient pas volontairement consenti
à soumettre leur cas à son examen. Une communauté mondiale dans laquelle toutes
les barrières économiques auront été définitivement abattues, et l'interdépendance
du capital et du travail explicitement reconnue ; dans laquelle les clameurs des
luttes et du fanatisme religieux auront été apaisées pour toujours; dans laquelle
la flamme de l'animosité raciale aura été définitivement éteinte; dans laquelle
un seul code de droit international - issu du jugement réfléchi des représentants
fédérés du monde - disposera, pour appliquer sa sanction, de l'intervention immédiate
et coercitive des forces conjuguées des unités fédérées; et finalement une communauté
mondiale dans laquelle l'acharnement d'un nationalisme militant et capricieux
aura été converti en une conscience permanente de la citoyenneté mondiale; voici,
en vérité, comment se présente dans ses très grandes lignes l'ordre prévu par
Baha'u'llah, un ordre qui en viendra à être considéré comme le fruit le plus beau
d'un âge qui arrive lentement à maturité (29)."
Quant au second - le plan mineur - il se développera d'abord de façon tout à fait
indépendante. Au fur et à mesure de son expansion, il influencera le plan majeur
par la diffusion de ses idées et aussi, sans doute, par la perspective de voir
certaines des institutions du plan majeur adopter les procédures de fonctionnement
des institutions du plan mineur. Quant à la convergence des deux plans, où le
"sacré" et le "profane" se rejoindront, elle prendra certainement un temps long,
voir des siècles et ne pourra pas intervenir avant la constitution d'États baha'is,
prémices de l'apparition de l'âge d'or de la "dispensation" baha'ie. 'Abdu'l-baha
a clairement déclaré dans une causerie donnée lors de sa visite aux États-Unis
et au Canada en 1912 que la Maison universelle de justice "a une fonction politique
aussi bien qu'une fonction religieuse, union finale et fusion de l'église et de
l'état (30)". En attendant, la séparation de l'Église et de l'État restera la
règle. La communauté baha'ie n'est pas une Église au sens actuel du terme et la
fusion du "sacré" et du "profane" aura donc un sens nouveau lors de l'émergence
des États baha'is et surtout lors de la formation du "Commenwealth" baha'i. Les
institutions de l'Ordre administratif baha'i deviendront les institutions de l'Ordre
mondial de Baha'u'llah.
Les lettres de Shoghi Effendi mentionnent deux étapes dans le développement d'un
gouvernement mondial. La première étape est l'émergence d'un "super-état mondial"
associé à l'établissement de la moindre paix. "Il adviendra par les efforts politiques
des états et nations d'une manière indépendante de tout plan ou action directe
baha'ie (31)". Le Parlement mondial sera donc un organe élu par les peuples lorsque
l'évolution du système actuel des Nations Unies le permettra. Les lois qui seront
édictées par ce Parlement seront appliquées par un exécutif international et une
Cour de justice internationale aura à connaître des conflits internationaux. De
plus, les gouvernements nationaux devront se soumettre à cette législature internationale.
Une seconde étape interviendra bien plus tard lors de la constitution du "Commonwealth"
mondial. La législature mondiale (32), dans cette perspective, est un terme qui
s'applique à l'institution investie de la fonction législative dans le "Commonwealth"
mondial baha'i.
"L'État baha'i fonctionnera dans toutes les matières religieuses et civiles, en
accord avec les lois et ordonnances du Kitab-i-Aqdas (33)" car nous trouvons dans
ce Livre des lois à caractère religieux et des lois à caractère civil. Se pose
dès lors la notion du respect des minorités non baha'ies dans ce type d'état.
La Maison universelle de justice a répondu à un croyant : "Il est clair selon
les Écrits de notre Foi que, dans un système baha'i, les droits des minorités
de toute nature doivent être respectés et sauvegardés. De même que les baha'is
aujourd'hui doivent obéissance et loyauté à leur gouvernement, mais refusent de
s'incliner devant la majorité lorsqu'on leur demande de renier leur Foi, de même
dans l'avenir lorsque la majorité sera représentée par la Foi, les baha'is n'auront
pas le droit d'obliger les minorités de devenir adeptes de Baha'u'llah, mais ils
pourront attendre des minorités la même obéissance et la même loyauté (34)". En
d'autres termes, l'observance des lois religieuses du Kitab-i-Aqdas ne pourra
être requise que des baha'is et seules les lois civiles seront applicables à tous.
Le Testament de 'Abdu'l-Baha prévoit que "cette Maison de justice édicte les lois
et le gouvernement les applique. Le corps législatif doit renforcer l'exécutif,
l'exécutif doit aider et assister le corps législatif afin que, grâce à l'union
et l'harmonie de ces deux forces, les bases de la justice et de l'équité puissent
devenir solides et résistantes, et que toutes les régions de la terre soient semblables
au paradis lui-même (35)". Ce passage a été interprété par Shoghi Effendi : "Par
gouvernement,... il faut comprendre l'organe exécutif qui mettra les lois en application
lorsque la foi baha'ie aura atteint le stade où elle sera pleinement reconnue
et acceptée par une nation en particulier (36)".
Toutes ces informations ne sont que fragmentaires, car la nature des relations
entre l'Ordre mondial de Baha'u'llah, en plein développement, avec les institutions
d'un "monde qui s'éveille lentement" demandera des élucidations futures par la
Maison universelle de justice. "Dès lors que les Écrits de la Foi contiennent
de nombreux passages avec des conseils pour les conditions changeantes dans lesquelles
les adeptes de Baha'u'llah travailleront au cours des siècles à venir,... il n'est
pas possible de concevoir à l'avance tous les détails de leurs modalités d'application
(37)".
Une conclusion s'impose toutefois. Chaque révélation religieuse a donné naissance
à une nouvelle civilisation. L'Ordre mondial de Baha'u'llah sera la civilisation
attachée à sa révélation. Elle s'établira tôt ou tard en dépit du scepticisme
du monde actuel et des obstacles qui seront sur son chemin. Il en fut ainsi dans
le passé, mais la Volonté divine a toujours fini par triompher et la vision des
prophètes du passé se réalisera. " Alors je vis un ciel nouveau et une terre nouvelle,
car le premier ciel et la première terre ont disparu et la mer n'est plus. Et
la cité sainte, la Jérusalem nouvelle, je la vis qui descendait du ciel, d'auprès
de Dieu, comme une épouse qui s'est parée pour son époux. Et j'entendis, venant
du trône, une voix forte qui disait : Voici la demeure de Dieu avec les hommes.
Il demeurera avec eux. Ils seront ses peuples et lui sera le Dieu qui est avec
eux. Il essuiera toute larme de leurs yeux, La mort ne sera plus. Il n'y aura
plus ni deuil, ni cri, ni souffrance, car le monde ancien a disparu (38)".
Cette vision prophétique est appelée millénarisme dans le vocabulaire religieux.
Ce terme provient de millénium, une période d'un millier d'années pendant laquelle,
selon l'Apocalypse de Jean, la justice règnera sur la terre. Les exégètes distinguent
deux sortes de millénarismes : le pré-millénarisme qui suppose que cette justice
règnera pendant un millier d'années avant que ne se produise le retour du Fils
de l'homme et le post-millénarisme qui croit que la période de justice suivra
ce retour. Une autre distinction apparaît quant à la forme de ce millénarisme.
Les uns ont une vue pessimiste et déclarent que ce millénium sera une ère de grandes
catastrophes (millénarisme apocalyptique), d'autres pensent que ces notions catastrophiques
sont internes à l'homme qui doit vivre une série de crises pour se spiritualiser
(millénarisme spiritualisant), d'autres, enfin, sont optimistes et conçoivent
cette ère comme une évolution vers la paix et la justice (millénarisme progressif),
Les baha'is se sont livrés à beaucoup de commentaires et d'interprétations en
se basant sur des notes de pèlerins lors de leur rencontre avec Shoghi Effendi
ou sur des allusions qu'ils ont cru trouver dans les discours de 'Abdu'l-Baha.
Il faut cependant s'en tenir aux Écrits authentiques qui seuls font autorité.
De ceux-ci on peut conclure que la foi baha'ie est un post-millénarisme et que
ce millénarisme est à la fois apocalyptique et progressif.
Les allusions faites en 1912 par 'Abdu'l-baha à la guerre qui s'annonçait, de
même que les commentaires de Shoghi Effendi dans les Lettres de l'ordre mondial
sur les événement de la deuxième guerre mondiale et de la période de guerre froide
qui s'en suivit, appartiennent en effet au genre apocalyptique, de même que la
prédiction de Baha'u'llah sur la catastrophe qui attend l'humanité pour avoir
refusé ses enseignements. "Nous avons fixé pour vous un temps déterminé, ô peuples
! Si, quand cette heure sonnera, vous négligez de vous tourner vers Dieu, il vous
saisira avec violence et suscitera de graves afflictions qui vous assailliront
de toutes parts. Terrible, en vérité, sera le châtiment que le Seigneur vous infligera
(39).". De même "Ô peuples de la terre, sachez qu'une calamité imprévue vous poursuit
et qu'un châtiment terrible vous attend. Ne croyez pas que ce que vous avez commis
soit effacé de ma vue (40)." Pour certains baha'is, cette période catastrophique
est passée et la paix peut désormais se construire. Pour d'autres, les événements
catastrophiques doivent continuer pour forcer l'humanité à établir la moindre
paix. Il me semble que cette dernière conception est celle que l'on peut conclure
des messages de la Maison universelle de justice.
La foi baha'ie présente donc un aspect apocalyptique qui se limitera sans doute
à ses débuts même si cela couvre plusieurs siècles, mais cet aspect apocalyptique
ne contredit pas l'aspect progressif. La dialectique permanente entre crises et
victoire est aussi une caractéristique de la Foi et l'humanité progresse vers
la paix en tirant leçon de ses expériences douloureuses jusqu'au jour où les principes
inclus dans les enseignements de la foi seront assez universellement acceptés
et vécus pour éliminer le caractère apocalyptique. En conclusion la foi baha'ie
est un post-millénarisme à caractère à la fois apocalytique et progressif (41).
Notes
1. Shoghi Effendi, The Promise of World Peace, pages 118 et 119.
2. Baha'u'llah, Extraits des Écrits, Maison d'éditions baha'ies, Bruxelles, 1979,
page 54.
3. Idem, page 44.
4. Idem, page 171.
5. Ervin Lazlo, La Grande Bifurcation, Tacor International,Paris, 1990, pages
134, 135.
6. Ce mot est pris ici dans le sens de "période qui sépare deux révélations religieuses".
7. Kitab-i-Aqdas, M.E.B., Bruxelles 1999, § 78, 81, 82, pages 49-51.
8. Il serait préférable de traduire "Vers l'apogée de l'espèce humaine".
9. Shoghi Effendi, Vers l'apogée de la race humaine, M.E.B., Bruxelles, 1969,
page 58.
10. Idem, page 7.
11. Baha'u'llah, Extraits des Ecrits, MEB, Bruxelles, 1990, page 167.
12. Baha'u'llah, Bisharat (Bonnes nouvelles), Les Tablettes de Baha'u'llah, MEB,
Bruxelles, 1994, page 23.
13. Baha'u'llah,, Lawh?-i-Dunyia (tablette du monde), Les Tablettes de Baha'u'llah,
MEB, Bruxelles, 1994, page 95.
14. Baha'u'llah,, Ishraqat (Spendeurs), Les Tablettes de Baha'u'llah, MEB, Bruxelles,
1994, page 130.
15. Baha'u'llah, Lawh?-i-Maqs?ud, Les Tablettes de Baha'u'llah, MEB, Bruxelles,
1994, page173.
16. La Société des Nations créée après la première guerre mondiale en est la première.
17. Traduction française publiée en 1979 par la MEB, Bruxelles.
18. Traduction française publiée en 1986 par la MEB, Bruxelles.
19. Traduction française publiée par la Librairie baha'ie, Paris, 1995.
20. Cité par Shoghi Effendi dans "Le but d'un nouvel ordre mondial", L'ordre mondial
de Baha'u'llah, MEB, Bruxelles, 1993, page 32.
21. Lettre du 29 juillet 1996 de la Maison universelle de justice à un croyant.
22. Messages from the Universal House of Justice, 1963-1986, Wilmette : Baha'i
Publishing Trust, 1996, pp. 655-656.
23. Sélection des Écrits de 'Abdu'l-Baha, MEB, Bruxelles, 1983, page 32.
24. 'Abdu'l-Baha in Canada, Ontario : Baha'i Canada Publications, 1987, page 35.
25. Citations tirées du memorandum de la Maison universelle de justice du 19 avril
2001, traitant de la moindre paix.
26. Message de Rid?van 105 aux amis de l'Orient.
27. Shoghi Effendi L'avènement de la justice divine, traduction provisoire.
28. Appel de Baha'u'llah aux souverains dans sa lettre à la Reine Victoria, pour
convoquer une vaste assemblée.
29. Shoghi Effendi, Le but d'un nouvel ordre mondial, dans L'ordre mondial de
Baha'u'llah, MEB, 1993, Bruxelles, page 35.
30. Promulgation of Universal Peace, Wilmette, Baha'i Publishing Trust, 1982,
page 455.
31. Lettre de la part de Shoghi Effendi du 14 mats 1939.
32. Shoghi Effendi, Le développement de la civilisation mondiale, dans L'ordre
mondial de Baha'u'llah, MEB, 1993, Bruxelles, page 197.
33. Messages to the Baha'i World, 1950-1957, Wilmette, Baha'i Publishing Trust,
1971, page 155.
34. Lettre du 9 mars 1977 de la Maison universelle de justice à un croyant.
35. Testament de 'Abdu'l-Baha, MEB, Bruxelles, 1984, page 32.
36. Lettre de la part de Shoghi Effendi, datée du 18 avril 1941.
37. Memorandum du Département de Recherche de la Maison universelle de justice,
10 septembre 1990.
38. Apocalypse de Jean, 21, 1-4. (Version TOB).
39. Extraits des Écrits de Baha'u'llah, MEB, Bruxelles, 1990, page 141.
40. Idem, page 138.
41. Pour une étude plus complète de cette question, voir William P. Collins "Apocalypse
and Millemnium : Catastrophe,
Progress and the Lesser Peace" dans The Journal of Baha'i Studies, Vol. 12-1/4,
Canada, Mars-Décembre 2002