Hermétisme et foi baha'ie,
pour une contribution commune
Par Marc Soudon
pour Agnès et Rodolphe Dufau, ce témoignage de fidèle amitié
L'alchimie spirituelle : "Alors seulement le plomb se change en or et le hasard
s'écroule, quand je suis avec Dieu métamorphosé par Dieu en Dieu." (Angélus Silesius - Premier Livre - Le Pèlerin Chérubinique. - Collection Spiritualités
vivantes - N° 124 - Editions Albin Michel.)
Ayant accédé au degré de "Supérieur Inconnu", Gabriel de Sacy avait achevé le
cycle complet de sa formation initiatique au sein de l'Ordre Martiniste. Son itinéraire
spirituel sera pourtant bouleversé par la rencontre de Mirza Abu'l-Fadl et les
nombreuses Tablettes que 'Abdu'l-Baha lui adressa. Dès 1898, le destin de Gabriel
de Sacy se situe en dehors du Martinisme. De cette rencontre dans le domaine des
idées et de la foi, est-il possible d'entrevoir des espaces communs ? Ou, pour
être plus précis, dans quelle mesure la Foi Baha'ie consacre -t'elle une dimension
ésotérique ?
Tout ordre initiatique repose sur trois grands principes: une connaissance ésotérique,
un maître spirituel ayant accédé à ce degré de savoir intérieur et un rituel permettant
aux néophytes de progresser dans cette connaissance. Avec fermeté, Baha'u'llah
condamne ce triptyque volontiers séduisant. La rudesse du ton surprend. Elle traduit
une inquiétude fondamentale car, en donnant à un maître extérieur le soin de le
guider, l'adepte se coupe de la Révélation de Dieu. Pour la Beauté Bénie, il est
inconcevable de reconnaître simultanément deux maîtres sans pervertir d'emblée
sa propre recherche:
"O ami en parole,
Réfléchis un instant. As-tu jamais entendu dire qu'un coeur pouvait contenir à
la fois l'ami et l'ennemi ? Chasse donc l'étranger pour que l'ami puisse rentrer
chez lui." (Baha'u'llah - N° 26 - Deuxième partie - Les Paroles Cachées - Page 31.)
Si l'on tient compte de cette première condamnation, il n'est pas étonnant de
voir comment Baha'u'llah dans le Kitab-i-Aqdas, livre mère de Sa Dispensation,
s'adresse à tous ceux qui se proclament investis d'une connaissance ésotérique:
"Il y a parmi les hommes celui qui prétend à la connaissance intérieure, et même
à une connaissance plus profonde cachée dans celle-ci. Dis: Tu mens, par Dieu
! Tu ne possèdes que les restes que Nous t'avons laissés, comme on abandonne des
os aux chiens." (Baha'u'llah - Le Plus Saint Livre - Paragraphe 36 - Pages 32 & 33.)
La porte est définitivement close. Pour La Gloire des Gloires, il ne peut être
question que l'homme forge ses propres méthodes de recherche pour atteindre un
savoir supérieur en dehors et indépendamment des ordonnances prescrites par la
Manifestation de Dieu:
"Combien d'hommes se sont retirés dans les régions de l'Inde, se refusant les
choses que Dieu a décrétées licites, s'imposant austérités et mortifications et
dont Dieu, le Révélateur des Versets, ne s'est point souvenu ? Ne faites pas de
vos actes des nasses pour piéger l'objet de votre aspiration et ne vous privez
pas de cet objet ultime qui fut toujours le désir de tous ceux qui se sont approchés
de Dieu. Dis: La réalité même de tous les actes est mon bon plaisir, et tout dépend
de mon acceptation." (Baha'u'llah - Le Plus Saint Livre - Paragraphe 36 - Page 33.)
Autrement, le risque est grand de tomber dans l'idolâtrie. Est-il folie plus désastreuse
que, sous prétexte d'atteindre à la spiritualité, le chercheur aboutisse à son
contraire ?
"Ceux qui sont les adorateurs de l'idole gravée par leur imagination et qui l'appellent
Réalité intérieure, de tels hommes sont, en vérité, comptés parmi les idolâtres." (Baha'u'llah - Le Plus Saint Livre - Note 60 - Page 209.)
Cette perversion, Baha'u'llah n'aura de cesse de la combattre avec d'autant plus
de fermeté qu'elle se nourrit de la sincérité du néophyte. La manipulation est
donc totale. Pour restaurer le chercheur dans l'ordre intime du monde, le Seigneur
de Gloire rappelle que la première étape est la reconnaissance de Son Rang:
"Le premier devoir que Dieu a prescrit à ses serviteurs est de reconnaître celui
qui est l'Aurore de sa révélation, la Fontaine de ses lois, et qui représente
la Divinité, à la fois dans le royaume de sa cause et dans le monde de la création." (Baha'u'llah - Le Plus Saint Livre - Paragraphe 1 - Page 21.)
Sans remettre en cause l'existence administrative des ordres traditionnels, les
institutions de la Cause ont toujours estimé les deux démarches incompatibles
et, en cas d'une double appartenance, ont demandé aux croyants de se déterminer
dans un sens ou l'autre. De fait, les espaces communs que nous proposions de découvrir
entre les enseignements martinistes et la Révélation baha'ie ne se situent pas
dans une similitude de structure ou de mode opératoire. L'approche initiatique
est fondamentalement étrangère à l'esprit de la Foi qui pose pour fondement l'égalité
entre tous les croyants, la relativité du savoir humain, la suppression des rites
ou la collégialité dans la prise de décision pour ne pas concentrer le pouvoir
en une seule personne.
Ce qu'il nous faut établir est autre car Baha'u'llah impose une rupture de nos
mentalités, radicale dans son essence mais progressive dans son mode d'expression.
Prendre la mesure de cette rupture dans le paradigme du temps sera notre fil conducteur
pour appréhender la dimension fondamentalement ésotérique de la Foi Baha'ie et
découvrir des analogies parfois étonnantes avec le Martinisme.
Plus jeune religion monothéiste, la dispensation Baha'ie s'inscrit pleinement
dans la lignée du Judaïsme, du Christianisme ou de l'Islam. Pour autant, elle
se situe à un moment charnière du destin de l'humanité puisque, clôturant le cycle
des Révélations religieuses du passé ou cycle adamique, elle ouvre un nouveau
cycle dont la portée de 500 000 ans dépasse notre compréhension humaine:
"Ainsi se termina une vie (1) que la postérité reconnaîtra comme située au confluent
de deux cycles prophétiques universels: Le cycle d'Adam qui remonte aux premières
lueurs de l'aube de l'histoire religieuse connue, et le cycle baha'i, destiné
à se déployer à travers le temps à venir pendant une période d'au moins cinq mille
siècles." (Shogi Effendi - Dieu passe près de nous - Page 52.) (1) Il s'agit de la vie de Sa Sainteté Le Bab qui s'acheva le 9 juillet 1850
par son exécution dans la cour des casernes de Tabriz en Iran.
La Beauté Bénie inaugure un nouvel aiôn (Aiôn est le terme grec désignant un
cycle universel). Tout ce qui a pu animer le précédent cycle universel est
donc aboli, en particulier la spiritualité telle qu'elle a été vécue par les hommes.
Une perspective totalement neuve est offerte à l'humanité:
"Une révélation saluée comme la promesse et la gloire suprême des âges et des
siècles passés, comme la consommation de toutes les dispensations du cycle d'Adam,
qui inaugure une ère d'au moins mille ans et un cycle destiné à durer au moins
cinq mille siècles, qui marque la fin de l'ère prophétique et le commencement
de l'ère de l'accomplissement, révélation jamais surpassée, à la fois par la durée
du ministère de son auteur et par la fécondité et la splendeur de sa mission,
une telle révélation était née..." (Shogi Effendi - Dieu passe près de nous - Page 95)
L'ouverture d'un cycle universel est d'une importance décisive. Un phénomène aussi
incomparable ne pouvait avoir qu'une origine spirituelle forte. Nous touchons
là une autre réalité essentielle car, avec la révélation de la Gloire des Gloires,
la structure intime des mondes spirituels se trouve profondément renouvelée. Il
est difficile d'appréhender leur nature exacte sans entrer dans de trop longs
développements. Pour simplifier, le monde du Royaume est un univers intermédiaire
entre Dieu, totalement transcendant dans son essence et le monde de la création
physique qui intègre les règnes du minéral, du végétal, de l'animal et de l'homme
dans son expression corporelle.
Cet univers est d'essence spirituelle, dans l'acceptation bien précise où il est
habité par des réalités essentielles comme, par exemple, l'âme de l'être humain.
Pour appréhender sa dimension, nous pourrions dire qu'il est caractérisé par la
qualité d'être: plus l'être a développé ses capacités spirituelles, plus il occupera
une position privilégiée, c'est-à-dire à proximité de la Manifestation de Dieu
qui joue dans cet univers la même fonction que le soleil rayonnant à travers le
monde de la création. A partir de ce schéma volontiers réducteur, il est aisé
de comprendre que les premiers apôtres sont en quelque sorte au sommet de cette
qualité d'être et, qu'à ce titre, ils occupent le ciel du Monde du Royaume et
entourent la Manifestation de Dieu.
La terminologie baha'ie résume cette réalité métaphysique sous le terme d'assemblée
ou de zodiaque céleste. A l'image du ciel terrestre, la voûte du monde du Royaume
est divisée en douze constellations; chacune d'elles caractérisant un état d'être
ou de sainteté réalisé par l'un des douze apôtres:
"Sache que, selon des principes mathématiques, le firmament de l'astre du jour
de cette terre a été divisé en douze constellations, que l'on appelle les douze
signes du zodiaque. De la même manière, le Soleil de Vérité brille et déverse
ses munificences à travers douze états de sainteté, et ces célestes signes représentent
ces personnages immaculés qui sont les sources mêmes de sainteté et les aurores
de la proclamation de l'unicité de Dieu. " (Sélections des Ecrits de 'Abdu'l-Baha - N° 142 - Page 164.)
Nous sommes très proches de la notion de cycle; que ce soit le cycle propre à
la Manifestation de Dieu ou le cycle universel dans lequel il vient s'intégrer
comme le cycle adamique que nous évoquions tout à l'heure. 'Abdu'l-Baha établit
une analogie très forte entre ces deux rythmes fondamentaux qui gouvernent autant
le règne de la Création que le monde du Royaume:
"Les cycles spirituels du Soleil de Vérité sont donc comme ceux du système solaire:
ils sont continuellement en train d'évoluer et de se renouveler. " (Abdu'l-Baha - Les Leçons de Saint Jean d'Acre - Preuves spirituelles - Page
81.)
A partir de là, il devient plus facile de relier entre elles ces deux grandes
réalités métaphysiques. A chaque dispensation religieuse correspond un cycle mineur
qui est gouverné par une assemblée céleste réunissant la Manifestation de Dieu
et ses premiers apôtres. Il y a donc autant d'assemblées célestes que de révélations
divines. Nous touchons du doigt le principe de la révélation progressive et l'une
de ses implications les plus majestueuses. Loin d'être aboli par la dispensation
suivante, le zodiaque du cycle antérieur continue d'officier dans le monde du
Royaume. De ce premier niveau que nous appellerons le zodiaque mineur, il est
important de comprendre que, durant le cycle adamique, les assemblées célestes
se sont déployées sur un schéma unique à douze maisons:
"Dans chaque cycle, les élus et les saints ont été au nombre de douze. Au temps
de Jacob, il y avait ses douze fils; au temps de Moïse, il y avait douze têtes
ou chefs de tribu; au temps du Christ, les douze apôtres; au temps de Muhammad,
les douze imans. " ('Abdu'l-Baha - Les Leçons de Saint Jean d'Acre - Révélations de St Jean -
Page 65.)
Cette vision un peu statique va se mettre en mouvement au niveau du cycle universel.
Nous nous apercevons alors que la Réalité de Dieu parcourt successivement chaque
cycle attaché à une dispensation religieuse:
"Par exemple, une fois, le Soleil de Vérité lança ses rayons du zodiaque d'Abraham;
puis il se leva au signe de Moïse et embrassa l'horizon; après cela il se leva
au signe du Christ avec la puissance, la chaleur et l'éclat les plus grands. " ('Abdu'l-Baha - Les Leçons de Saint Jean d'Acre - Preuves spirituelles - Page
81.)
Ceci est déterminant pour comprendre qu'au niveau du cycle universel, chaque Révélation
occupe une position bien spécifique et participe elle-même à la structure du zodiaque
majeur:
"Le Soleil de Vérité est comme l'astre des cieux, lequel a des orients et des
levers nombreux; un jour il se lève au signe du Cancer, une autre fois à celui
de la Balance, une fois c'est au zodiaque du Verseau qu'il brille, un autre jour
c'est du signe du Bélier qu'il diffuse ses rayons. " ('Abdu'l-Baha - Les Leçons de Saint Jean d'Acre - Preuves spirituelles - Page
81.)
Cette étape est décisive. Tout comme le temps se déploie sur deux épaisseurs -
les cycles individuels attachés aux Manifestations de Dieu et le cycle universel
qui vient les totaliser; de la même façon, se projette dans le monde du Royaume
une série de zodiaques mineurs opérant dans le zodiaque majeur du cycle universel:
"Saluts et louanges à ces lumineuses et resplendissantes étoiles qui diffusent
leurs rayons du plus haut des cieux, depuis les assemblées célestes qui entourent
le zodiaque du royaume d'Abha. " (Sélections des Ecrits de 'Abdu'l-Baha - N°19 - Page 38.)
Il est maintenant temps de relier entre eux ces deux événements. D'une part, nous
avons l'ouverture d'un nouveau cycle universel dont la durée de 500 000 ans témoigne
du rang transcendant de la Beauté Bénie. De l'autre, nous avons mis en lumière
cette structure gigogne du zodiaque qui architecture le Monde du Royaume. Dans
un hommage rendu à son Père, 'Abdu'l-Baha confirme ces deux réalités métaphysiques
à propos du nouvel ordre céleste:
"La révélation du Bab peut être comparée au soleil, dont la position correspond
au premier signe du zodiaque - le signe du Bélier - et que le soleil atteint à
l'équinoxe du printemps. La position de la révélation de Baha'u'llah est, par
ailleurs, représentée par le signe du Lion, position la plus haute du soleil à
la mi-été. Cela signifie que cette sainte dispensation est illuminée par la clarté
du Soleil de Vérité, rayonnant de son point le plus élevé et dans la plénitude
de son éclat, de sa chaleur et de sa gloire. " ('Abdu'l-Baha cité par Shogi Effendi - Dieu passe près de nous - Page 95.)
A ce point sans pareil de l'illumination où la densité d'être atteint son paroxysme,
il fallait que la configuration des mondes célestes soit rénovée pour accueillir
sans dommage ce surcroît de lumière. Quittant le cycle adamique dans lequel le
plérôme du zodiaque mineur se déployait en douze constellations, le zodiaque rattaché
à la Gloire des Gloires se dédouble dorénavant en vingt-quatre maisons:
"Mais dans cette manifestation glorieuse, il y a vingt-quatre disciples, soit
le double, car la grandeur de cette manifestation l'exige. " ('Abdu'l-Baha - Les Leçons de Saint Jean d'Acre - Révélations de St Jean -
Page 65.)
Sans conteste, à travers les siècles, s'accomplissait une prophétie que Saint
Jean Le Divin reçut en extase et consigna dans l'Apocalypse:
"Quand il l'eut pris, les quatre Vivants et les vingt-quatre Vieillards se prosternèrent
devant l'Agneau, tenant chacun une harpe et des coupes d'or pleines de parfums,
les prières des saints... " (Apocalypse 6:8 - La Bible de Jérusalem - Les Editions du Cerf - Page 1787.)
Il est important de bien identifier les perspectives. La Dispensation Baha'ie
est en soi un moment incalculable de l'histoire humaine. Quittant le cycle adamique
dont la durée est évaluée à 6000 ans, l'humanité a basculé dans un nouveau cycle
universel. Mais cet événement, déjà prodigieux en soi, est décuplé par ce temps
véritablement démesuré de 500 000 ans. Il ne peut faire le moindre doute qu'une
vision complètement différente anime en profondeur le paradigme du temps et qu'une
puissance spirituelle sans précédent en précipite la réalisation.
Pour aider l'être humain à appréhender ce temps quasiment infini qu'Il nous ouvre,
Baha'u'llah a posé des repères. Dans l'ouvrage maître de Sa Dispensation - Le
Livre le Plus Saint - La Beauté Bénie nous révèle les deux signes de maturité
de ce nouvel Age d'or. Il y a tout d'abord l'adoption d'une langue universelle
et d'une écriture commune par les peuples de la terre. Le second est quant à lui
bien mystérieux:
"Nous avons désigné deux signes pour la maturité de la race humaine: le premier,
qui est la fondation la plus solide, Nous l'avons inscrit dans d'autres tablettes,
alors que le second a été révélé dans ce Livre merveilleux. " (Baha'u'llah - Le Livre le Plus Saint - Paragraphe 189 - Page 88.)
Une note explique ce verset énigmatique de Baha'u'llah:
"Le premier signe de la maturité de la race humaine dont il est question dans
les Ecrits de Baha'u'llah, est l'émergence d'une science décrite comme cette "philosophie
divine "qui comprendra la découverte d'une approche radicalement différente de
la transmutation des éléments. C'est là une indication des splendeurs du développement
prodigieux de la connaissance dans l'avenir. " (Le Livre le Plus Saint - Note N° 194 - Page 276.)
Cette note fait probablement référence à une Tablette où la Gloire des Gloires
confirme l'existence de l'alchimie et son champ d'expression au règne minéral:
""Est-il possible, demandent-ils, de changer le cuivre en or ? "Dis: Certes, par
mon Seigneur ! cela est possible. Mais c'est un secret de notre Science. Nous
le révélerons à qui Nous voudrons. Quiconque doute de notre pouvoir, qu'il demande
au Seigneur, son Dieu, de lui découvrir ce secret et de l'assurer de son authenticité.
Mais si le cuivre peut être changé en or, l'or peut de la même façon être changé
en cuivre, si vous êtes de ceux qui peuvent comprendre cette vérité. A tout minéral
on peut faire acquérir la densité, la forme et la substance de chacun des autres
minéraux. La science de ceci, que Nous possédons, se trouve dans le Livre caché.
" (Extraits des Ecrits de Baha'u'llah - N° XCVII - Page 130.)
Ainsi se retrouve au coeur du projet baha'i l'un des thèmes de prédilection du
Martinisme, d'autant plus que cette transmutation des éléments s'applique essentiellement
à la réalité intérieure de l'homme. Cette alchimie mène à l'initiation. Dès son
premier acte opératif, elle est initiation au sens du mot initier qui, dans son
étymologie latine, signifie rapprocher, unir au principe. Pour Baha'u'llah, elle
est union, par le Verbe, à la Volonté et au Dessein de Dieu. Plus qu'une simple
reconnaissance de la Manifestation Suprême, l'alchimie est le signe de cette métamorphose
radicale qu'opère l'élixir de la Parole Divine:
"Je Te prie, Ô mon Dieu, par Ta parole très exaltée dont Tu as fait un divin Elixir
prescrit à tous les habitants de Ton royaume, un élixir dont la puissance a transmué,
en l'or le plus pur, le métal grossier de la vie humaine, je Te prie, Ô Toi qui
tiens en Tes mains les mondes visibles et les mondes invisibles, d'ordonner que
mon choix se conforme à Ton choix et mon désir à Ton désir. " (Baha'u'llah - Foi mondiale Baha'ie - Page 130.)
Cette transfiguration personnelle, Baha'u'llah en donne une description saisissante
à propos des premiers croyants de l'Islam:
"Il faut vraiment que ces gens aient été changés du tout au tout pour accomplir
des actes aussi contraires à leur ancienne condition et à leur instinct naturel.
Il est évident que, sans l'oeuvre de Dieu, jamais un pareil changement de caractère
n'aurait pu être constaté chez les mêmes individus. Par l'effet de l'élixir divin
qui, en un instant, métamorphose l'âme humaine, leur inquiétude fut changée en
repos, leur doute en certitude, leur crainte en courage. " (Baha'u'llah - Le Livre de la Certitude - Pages 75 & 76.)
Elle est donc un événement spirituel majeur, en ce sens d'abord qu'elle se produit
dans le Monde du Royaume - bien au-delà de notre monde physique et, qu'en suite,
elle sublime la réalité intérieure de l'homme. A travers l'union mystique au Verbe
de Dieu, l'âme sort définitivement de son exil et réintègre sa nature primordiale.
Elle vit là un moment privilégié de son destin où la rénovation radicale de l'individu
sert en retour la puissance rénovante qu'est la nouvelle Manifestation de Dieu:
"De même ces hommes, par l'élixir divin, sont instantanément passés du monde de
poussière dans celui de la sainteté, et d'un coup d'aile, de la contingence ils
se sont envolés dans l'infini. Mais il faut de nombreux efforts pour obtenir cet
élixir qui transporte subitement de l'occident de l'ignorance à l'orient du savoir,
transforme la nuit obscure en jour lumineux, conduit aux sources de l'approche
et de la certitude celui qui est égaré dans les déserts de l'éloignement, et fait
entrer les mortels aux jardins de l'immortalité ! " (Baha'u'llah - Le Livre de la Certitude - Page 76.)
Dès lors, le véritable croyant se découvre comme l'Enfant de la Rénovation dont
l'être céleste trouve son pôle dans la figure du Nouvel Envoyé. Il devient, à
ce titre, dépositaire de l'unio mystica:
"Si on croit que le cuivre est de l'or, on peut aussi penser que ces gens sont
les mêmes avant et après avoir reçu la foi... Que Dieu, par son invisible confirmation,
te fasse dépouiller l'ancien vêtement, et t'accorde la nouvelle et immortelle
parure ! " (Baha'u'llah - Le Livre de la Certitude - Page 76.)
La source de l'élixir divin, c'est le Verbe agissant dans le corps de la création
et le traversant comme une onde pour susciter, dans chacun des mondes, la densité
d'être préétablie par la Volonté de Dieu. Nous sommes dans l'acte des théophanies
primordiales. Il fait éclore l'essence des lumières inhérente à chacune des qualités
d'être. Est-il étonnant de voir la Source des Sources traversée par le Verbe Suprême
qui est confronté à la transcendance irréductible de Dieu et que, seul, le point
focal de la Création est à même de recevoir pour ensuite se condenser, suivant
onze degrés (1), dans le Temple de la Divinité qu'est le corps spirituel
de la Manifestation de Dieu ? (1) Le Bab - Le Livre des Sept Preuves - Traduction A.L.M. Nicolas - Page
43 - Ed Maisonneuve - Paris 1902.)
"En vérité, partout autour de cette Porte, Dieu a créé des océans d'élixir divin,
teintés de pourpre avec l'essence de l'existence et vivifiés par le pouvoir stimulant
du fruit désiré; et Il les a pourvus d'arches de rubis, tendres, colorées de pourpre,
dans lesquelles nul autre ne naviguera que le peuple de Baha. " (Extraits du Qayyumu'l-Asma' - Sélections des écrits du Bab - Page 52.)
A ces hauteurs, la moindre transgression ne peut être acceptée, que ce soit pour
une alchimie spirituelle ou, peut-être plus encore, une alchimie minérale. Pour
Baha'u'llah, il est essentiel de distinguer ces prétendues recherches alchimiques,
où règne une évidente confusion, d'une science proprement divine témoignant son
authenticité dans sa capacité à opérer une mutation radicale sur l'élément de
base:
"Certains croient que le cuivre n'est que de l'or qui, se solidifiant trop rapidement,
n'est pas arrivé à son entier perfectionnement et que, si la matière qui forme
le cuivre pouvait être mise, pendant soixante-dix ans, à l'abri de la solidification,
elle deviendrait de l'or. Quoi qu'il en soit, l'élixir idéal changerait instantanément
le cuivre en or, sans qu'il soit besoin de soixante-dix années. " (Baha'u'llah - Le Livre de la Certitude - Page 76.)
De fait, Baha'u'llah n'aura de cesse de dénoncer les abus qui, sous le couvert
du noble Art, servent une ambition et un désir de pouvoir:
"Une des sciences que cet homme prétendait connaître est l'alchimie. Je voudrais
qu'un roi ou un homme suffisamment autorisé lui demandât de prouver ses affirmations
autrement que par des paroles, par des actes; et moi, pauvre ignorant qui ne prétends
pas à un tel savoir, et qui ne juge pas la science d'un homme sur de pareilles
connaissances, j'entreprendrais la même épreuve et l'on verrait de quel côté se
trouve la vérité. " (Baha'u'llah - Le Livre de la Certitude - Page 91.)
Souillée par cette volonté de puissance et, peut-être plus encore, de domination
sur les esprits, cette alchimie pervertie est rangée par la Gloire des Gloires
dans la catégorie des sciences réprouvées:
"Je vis qu'il disait que, pour comprendre cette Ascension (à propos de l'Ascension
de Muhammad, le Sceau des Prophètes.), il fallait posséder à tout prix une
vingtaine de sciences au moins, de sorte que celui qui ne saurait pas à fond la
philosophie, l'alchimie, la magie et toutes ces sciences réprouvées, ne pourrait
comprendre le saint et immortel mystère ! " (Baha'u'llah - Le Livre de la Certitude - Page 89.)
Une fois évacué ce danger de manipulation, il importe de comprendre que les recherches
hermétiques nourrissent l'archétype dont le nouveau cycle universel est porteur
pour le conduire jusqu'à une complète réalisation. Il s'agit en l'occurrence d'un
signe de maturité dont la puissance sera reconnaissable par chacun et s'exprimera
dans l'ensemble des composantes de la future civilisation pour en signifier l'apogée.
Or cette vision alchimique qui pourrait prêter à de graves malentendus dans notre
société matérialiste illustre cette Science Divine qui transcende en soi toute
dimension temporelle et dont la Manifestation de Dieu devient cependant l'héritière
en ouvrant son cycle. Aussi n'est-il pas surprenant de remarquer combien l'alchimie
suscita de brillantes expressions dans les dispensations antérieures dont la Beauté
Bénie fait écho dans ses Tablettes. Deux figures emblématiques se détachent: Hermès
Trismégiste et Apollonius de Tyane. Toutes les deux sont bien connues des milieux
ésotériques.
A l'évidence, Baha'u'llah éprouve pour Hermès Trismégiste un amour et un respect
qui témoignent de son rang éminent atteint dans la philosophie:
"La première personne à se consacrer à la philosophie fut Idris. Ainsi fut-il
appelé. Certains l'appelèrent aussi Hermès. Dans chaque langue, il avait un nom
particulier. Il est celui qui a formulé, dans toutes les branches de la philosophie,
des énoncés précis et convaincants. " (Tablette de la Sagesse - Note 4 - Les Tablettes de Baha'u'llah - Page 155.)
De cette pluralité des noms donnés à Hermès Trismégiste, il est intéressant de
savoir que dans la tradition judaïque et chrétienne,il est identifié au prophète
Hénoch par des érudits comme Henry Corbin (Henry Corbin - En islam iranien
- Tome II, page 227 - Tome III, page 37 - Gallimard.), Michel Chodkiewicz
(Les illuminations de La Mecque par Ibn 'Arabi - Introduction page 64 - Albin
Michel.) et Stéphane Ruspol (L'alchimie du bonheur parfait - Mohyiddin
Ibn'Arabi - Traduction et présentation par Stéphane Ruspoli - Note 1 - Page 76
- Berg International.).
Une double correspondance s'établit entre Hermès = Idris = Hénoch qui marque bien
sa position centrale dans la Connaissance. Pour la Gloire des Gloires, Hermès
Trismégiste est avant tout un précurseur. Dans la Tablette de la Sagesse, il est
gratifié du titre de "père de la philosophie":
"Je te parlerai aussi de l'invocation lancée par Balinus qui connaissait bien
les théories avancées par le père de la philosophie au sujet des mystères de la
création telles qu'il les a développées dans ses tablettes de chrysolithe. " (Tablette de la Sagesse - Les Tablettes de Baha'u'llah - Page 154.)
Pour un hermétiste, cette reconnaissance est magnifique car Baha'u'llah réintègre
d'office une connaissance primordiale dans le corpus de Sa Révélation. Le propos
est loin d'être innocent. En identifiant Hermès à Idris, la Gloire des Gloires
témoigne que les traités hermétiques sont une véritable philosophie liée au rang
prophétique, faisant allusion à ce verset du Coran où Idris est confirmé dans
sa qualité de prophète:
"Et honore Idris dans le Livre, car il fut un homme de vérité, un prophète; et
Nous lui avons accordé un rang élevé dans les cieux. " (Coran, Sourate XIX, versets 57 et 58.)
A partir de cette double confirmation, nous pouvons entrevoir comment l'oeuvre
d'Hermès Trismégiste est récurrente au processus de la révélation progressive
dont le cycle ouvert par Baha'u'llah signifie la restauration collective dans
le champ même de la société. Bien entendu, la connaissance hermétique appartient
au Savoir Divin et s'applique dorénavant à une double transformation; puisqu'aussi
bien elle travaille à rendre l'homme parfait qu'à établir un degré de civilisation
planétaire réellement paradisiaque qui attestera l'avènement de la Plus Grande
Paix:
"Une impiété corrosive ronge les forces vitales de la société: quoi d'autre que
l'élixir de cette puissante révélation pourrait la purifier et lui rendre la vie
? Est-il au pouvoir de l'homme, Ô Hakim, d'apporter aux éléments constituant les
molécules de n'importe quelle matière un changement tel, que cette matière soit
transmuée en or pur ? Eh bien, quelque troublante et difficile que paraisse cette
tâche, le pouvoir Nous a été donné d'accomplir la tâche bien plus ardue de convertir
les forces sataniques en puissances célestes. " (Extraits des Ecrits de Baha'u'llah - XCIX - Page 131 - M.E.B.)
Sous ce regard, le plus stupéfiant pour l'esprit est bien de comprendre que la
Science du Parfait Équilibre apportera une transformation radicale des relations
sociales et que les connaissances hermétiques exhausseront pleinement leur puissance
de sanctification selon ce que rappelait Hermès Trismégiste dans ses écrits:
"Alors, j'illuminerai de cette grâce ceux de ma race qui demeurent dans l'ignorance,
mes frères, tes fils. Oui, j'ai la foi et je rends témoignage: je vais à la vie
et à la lumière. Tu es béni, Père: celui qui est ton homme veut te prêter aide
dans l'oeuvre de sanctification, selon que tu lui as transmis toute la puissance.
" (Hermès Trismégiste - Poimandrès, Traité I - Page 19 - Editions Les Belles
Lettres 1991.)
Il y a plus. A propos de la correspondance Hermès = Hénoch, la Bible, que ce soit
l'Ancien ou le Nouveau Testament, garde la trace d'une théophanie primordiale.
Elle ne peut se déchiffrer qu'en regroupant les versets et en pratiquant un travail
d'exégèse nécessairement imparfait. Son interprétation est délicate car elle met
implicitement en jeu des mécanismes de réactualisation d'une vision dont Hermès
Trismégiste fut l'unique médiateur.
Dans un temps bien antérieur au christianisme, Hermès anticipe une expérience
de résurrection spirituelle qui annule la puissance de la mort. Trois caractéristiques
en précisent les traits. Tout d'abord, dans sa qualité d'être, Hénoch = Hermès
est bien identifié à un prophète. Qui est-il réellement ? Un patriarche de l'Ancien
Testament, le septième dans la descendance du Père de l'humanité - Adam, dont
la position nourrit déjà l'archétype du gnostique, du Vrai Croyant:
"C'est aussi pour eux qu'a prophétisé en ces termes Hénoch, le septième patriarche
depuis Adam. " (Epître de Saint Jude 14.)
Le second trait achève de caractériser sa personne. Deux indices nous montrent
la précellence d'Hénoch = Hermès tant sur ses contemporains que ses précurseurs.
Qu'il vécut trois cent soixante-cinq ans, nous ne devons pas retenir cette durée
en soi extraordinaire mais bien davantage le chiffre parfait correspondant au
nombre de jours dans une année solaire qui atteste une véritable plénitude en
Dieu:
"Toute la durée de la vie d'Hénok fut de trois cent soixante-cinq ans. Hénok marcha
avec Dieu... " (La Genèse V - 23 & 24.)
Il s'ensuit que par cette qualité d'être projetée dans sa réalité intime, Hénoch
= Hermès est devenu le compagnon - en - Dieu cheminant sur la Voie Droite. Par
sa fidélité, il sera élevé à un rang qu'aucune créature terrestre n'avait manifesté
avant lui:
"Personne sur terre ne fut créé l'égal d'Hénok. " (L'Ecclésiastique 49 - 14.)
Le propos est capital. Il s'agit de comprendre combien Hénoch = Hermès est devenu
ici-bas un témoin-de-contemplation lorsque la théophanie dont il se découvre le
médiateur l'initie au mystère de la proximité en Dieu. Par cette instauration
primordiale de l'Esprit, Hénoch = Hermès est placé en tête des générations comme
témoignage irrécusable:
"Hénok plut au Seigneur et fut enlevé,
exemple pour la conversion des générations. " (L'Ecclésiastique 44 - 16.)
Il convient alors d'approfondir cette expérience spirituelle. L'essentiel tient
en ceci. L'élévation qui touche Hénoch = Hermès le projette dans la proximité
de Dieu sans qu'il ait besoin d'affronter la mort. A ce titre, il est possible
d'envisager Hénoch = Hermès comme un double précurseur annonçant l'Ascension du
Prophète Muhammad et la Résurrection du Christ par laquelle Il vaincut, pour l'ensemble
de l'humanité, la puissance de la mort:
"Par la foi, Hénoch fut enlevé, en sorte qu'il ne vit pas la mort, et on ne le
trouva plus, parce que Dieu l'avait enlevé. Avant son enlèvement, en effet, il
lui est rendu témoignage qu'il avait plu à Dieu. Or sans la foi il est impossible
de lui plaire. Car celui qui s'approche de Dieu doit croire qu'il existe et qu'il
se fait le rémunérateur de ceux qui le cherchent. " (Epître aux Hébreux XI - 5 & 6.)
Sans conteste, Hénoch = Hermès fut appelé à un degré de vie nouvelle dans les
mondes suprasensibles. Par cette réintégration à sa nature la plus profonde, il
se découvre ici-bas comme un Ange de la Résurrection dont le témoignage, en force
et en splendeur, irrigue dorénavant la Communauté des Fidèles:
"Mais voici des hommes de bien
dont les bienfaits n'ont pas été oubliés. " (L'Ecclésiastique 44 - 10.)
L'ascension d'Hermès = Hénoch, c'est la sanctification de l'être essentiel à la
source de la Lumière et de la Vie, celle que le Vrai Croyant reçoit en dépôt au
Sinaï mystique, près du Rocher d'émeraude sur le Mont Salvat.
Il serait prématuré de conclure sans aborder la figure majeure d'Apollonius de
Tyane. Dans le monde musulman, le philosophe néopythagoricien est connu sous le
nom de Balinus (Henry Corbin - En islam iranien - Tome II, page 301 ; Paul
Kraus - Jabir Ibn Hayyan - Editions Les Belles Lettres - Page 270 et suivantes.).
Il vécut au premier siècle de l'ère chrétienne et décéda en 97 à Éphèse. Le roman
de Philostrate retrace la vie du sage, ses voyages en Grèce, dans l'Inde où il
rencontre les Brahmanes et en Égypte, sur la terre natale d'Hermès Trismégiste.
Ses traités seront repris par de grands érudits comme Abû Hatim Hamdan-al-Razi
qui, dans sa défense de la théorie ismaélienne de la prophétie, se réfère à plusieurs
reprises au "Livre de Balinas "dont il cite l'introduction.
L'affiliation entre Apollonius de Tyane et Hermès Trismégiste typifie le parcours
de l'initié par excellence. Le presbytre de Néapolis, dans son commentaire de
l'oeuvre d'Apollonius de Tyane, indique que le maître des pratiques théurgiques
et des prodiges aurait découvert, à la suite d'une vision, le livre ainsi qu'une
tablette d'émeraude dans un souterrain situé au-dessous de la statue d'Hermès
Trismégiste à Tyane. Dans le Livre du Secret de la Création, Apollonius de Tyane
dévoila ce temps d'accomplissement où son être personnel atteignit sa réalité
céleste du Temps éternel:
"Alors, je me trouvais en face d'un vieillard assis sur un trône d'or, qui tenait
dans sa main une Tablette d'émeraude verte et sur laquelle était écrite: voici
l'Art de reproduire la Nature. Et devant lui se trouvait un Livre sur lequel était
écrit: voici le Secret de la Création et la science des causes de toute chose.
En toute confiance, je m'emparai du Livre et sortis du Souterrain. Et c'est alors
qu'à l'aide du Livre j'ai pu apprendre les Secrets de la Création et parvenir
à concevoir l'Art de reproduire la Nature. " (Balinus - Traduction de Ruska - Cité par Paul Krauss - Editions les Belles
Lettres - Page 303.)
La Tabula Smaragdina l'aurait initié aux mystères de la création et à l'art de
la Balance par laquelle toute constitution physique peut être soumise à des lois
de quantité et de mesure:
"Après lui, Balinus a tiré ses connaissances et sa science des tablettes hermétiques,
et la plupart des philosophes ont élaboré ensuite leurs découvertes philosophiques
et scientifiques à partir de ses paroles et de ses discours. " (Tablette de la Sagesse - Note 4 - Les Tablettes de Baha'u'llah - Page 155.)
La pratique opérative d'Apollonius de Tyane, c'est d'abord la mise en lumière
de la Nature Primordiale dont chaque être se trouve dotée afin d'initier une véritable
ascension dans les mondes suprasensibles pour atteindre à la Sagesse:
"S'il y a des hommes dont la nature ne se prête pas à écouter mes paroles, c'est
parce que l'obscurité s'interpose entre leur nature subtile et l'ascension dans
la lumière de la Sagesse, tel un nuage obscur qui empêche la lumière brillante
de l'oeil d'atteindre les lumières des étoiles. " (Balinus cité dans le traité de Jabir Ibn Hayyan "Maydan al-Aql "- Traduction
de Paul Krauss - Pages 282 - Editions Les Belles Lettres.)
Du Noble Art, Apollonius de Tyane acquit une maîtrise sans pareil dont la Beauté
Bénie se fait le témoin:
"Cet homme de sagesse devint informé des mystères de la création et perçut les
subtilités enfouies dans les écrits hermétiques. " (Tablette de la Sagesse - Les Tablettes de Baha'u'llah - Page 155.)
Loin de glorifier un savoir en lui-même, Baha'u'llah consacre dans Apollonius
de Tyane son art de la théophanie, qui est avant tout une aptitude à supplier
pour susciter l'épanchement de grâce. Il y a là une conjonction maîtrisée entre
la détresse ontologique qui caractérise les règnes moins subtils et la Générosité
de Dieu dont la nature innée est d'insuffler en permanence un surcroît de miséricorde:
"Cet homme disait: Je suis Balinus, le sage, le faiseur de prodiges, le producteur
de talismans. Il surpassa tous les autres dans les domaines des arts et des sciences
et s'éleva vers les plus hauts sommets de l'humilité et de la supplique. Écoute
ce qu'il a dit, en implorant celui qui possède tout, le Suprême... " (Tablette de la Sagesse - Les Tablettes de Baha'u'llah - Page 154.)
Cette évocation est capitale car l'on peut y voir un modèle de conjonction entre
le règne humain et le Royaume de Gloire d'où procèdent la connaissance et la maîtrise
opérative d'Apollonius de Tyane. Il serait intéressant de développer sur cette
effusion unitive une approche du Verbe Divin s'épanchant à partir du Jabarut du
Royaume jusqu'au Nasut de la Création. Nous touchons là au coeur du Noble Art,
à savoir l'herméneutique qui est tout autant cette capacité à questionner les
sens enfouis qu'un intense processus spirituel mettant en mouvement, au niveau
de la réalité essentielle de l'âme, le désir de Dieu à être connu et son attirance
originelle à se dévoiler dans le coeur du croyant:
"En exposant la Sagesse qui m'a été dispensée après que je fus sorti du Souterrain
et eus reçu le Livre et la Tablette, je déclare:
Ce qui embrasse toutes les choses, ce sont les Natures simples, et non pas les
composées. " (Apollonius de Tyane - Traduction de Ruska - Cité par Paul Krauss - Editions
les Belles Lettres - Page 286.)
C'est ici l'occasion d'esquisser brièvement ce que nous appellerions une herméneutique
du dévoilement, et dont l'élixir suprême est cette théophanie de la connaissance
qu'Apollonius de Tyane a façonnée dans ses propres recherches hermétiques. Au
fond, il a éprouvé puis pratiqué cette science de l'Appel qui est tout autant
un travail intérieur pour amplifier la capacité de son être céleste à recevoir
la lumière divine, illustrant ainsi la valeur inestimable au plan opératif de
ce verset de la Beauté Bénie:
"Mais dans chaque endroit où il luit, il accorde ses bienfaits selon les capacités
de ce lieu. Ainsi, dans un miroir, il reflète son disque, et cela est dû à la
sensibilité du miroir; dans le cristal, il fait apparaître du feu; et dans d'autres
objets, il ne fait voir que l'effet de sa brillance et non son orbe parfait. " (Baha'u'llah - Les sept vallées - Page 32.)
Pour autant, est-il possible de revendiquer un questionnement des Ecrits Saints
qui serait d'abord un dépassement du sens exotérique et ensuite une véritable
consécration au dévoilement des significations internes ?
"Entre, Ô peuple, sous l'abri du Verbe! Puis bois le vin choisi des significations
internes qui y sont contenues, car dans le Verbe est caché le Kawther (1)
du Trés-Glorieux et il est apparu dans une lumière merveilleuse, de l'horizon
de la Volonté de votre Seigneur, le Miséricordieux! " (Baha'u'llah - Foi mondiale baha'ie - Page 364.) (1) Le Kawther est un fleuve du Paradis dans la symbolique de l'Islam
Nous avons là assurément les conditions nécessaires à l'établissement de la Plus
Grande Paix qui est cette promesse merveilleuse déposée au coeur de chaque croyant
et que la Gloire des Gloires a inscrite comme le couronnement de son cycle universel.
Supplique d'Apollonius de Tyane:
Je me tiens en présence de mon Seigneur,
Exaltant ses dons et ses bontés
Et le glorifiant par ce dont Il glorifie son Être propre,
Afin que je devienne une source de bénédictions et de conseils
Pour les hommes qui reconnaissent mes paroles.
Ô Seigneur ! Tu es Dieu
Et il n'y a pas d'autre Dieu que toi.
Tu es le Créateur et il n'y a pas d'autre Créateur que toi.
Aide-moi par ta grâce et fortifie-moi.
Mon coeur est pris d'angoisse, mes membres tremblent,
J'ai perdu la raison, et l'esprit m'a fait défaut.
Accorde-moi la force et permets à ma langue de parler avec sagesse.
Tu es en vérité Celui qui sait, le Sage, le Puissant, le Compatissant. (Propos de Balinus repris par la Beauté Bénie dans La Tablette de la Sagesse
-
Les Tablettes de Baha'u'llah - Pages 154 & 155.)
Ainsi ferai-je
Pour suivre le sentier de Ton bon plaisir;
Ainsi chanterai-je
Pour louer Ta gloire;
Ainsi donnerai-je
Pour T'aimer et T'embrasser
Car Tu es mon Seigneur de Gloire et de Beauté.