Médiathèque baha'ie

La science en quête d'éthique ?
Une réponse baha'ie


Dr Farhan Yazdani


Table des matières:

I. UNE ETHIQUE PRAGMATIQUE
I.1. La "bonne" façon
I.2. Planète en Péril
I.3. Le "bon" choix
I.4. Evolution des Idéologies de la Science
I.5. Une nouvelle Ethique
I.6. Une Visée de l'Homme

II. LA SOURCE D'ETHIQUE
II.1. La Morale naturelle
II.2. La Morale scientifique
II.3. Le Pourquoi
II.4. La Science réunifiée
II.5. L'Interdisciplinarité

III. RELIGION ET ETHIQUE
III.1. L'Ethique Self-Service
III.2. La Réconciliation
III.3. Complementarité de la Science et de la Religion

IV. L'ETHIQUE ET L'ORDRE
IV.1. La Science du "Bien"
IV.2. Une Ethique constructive
IV.3. L'Adoration active
IV.4. La Concorde, un Trait distinctif
IV.5. La Religion, point de Ralliement
IV.6. La B.A. dans le Désordre.
IV.7. Une Vision structurante
IV.8. L'Ethique, Le Bien-être et La Motivation
IV.9. Sommet du Materiel, Debut du Spirituel.
IV.10. L'Entropie de la Matière
IV.11. L'Amour néguentropique
IV.12. Le Ciel fendu

V .ETHIQUE ET MUTATION
V.1.L'Ethique déboussolée
V.2. Ethique, Mondialisme et Diversité
V.3. Un Arbitrage planétaire
V.4. L'Entropie historique
V.5. Le Choc du Futur
V.6. Ethique et Circonstance
V.7. L'Ethique et sa Réaction
V.8. Le Choix

Journée d'étude de l'Association européenne francophone pour les études Baha'ies,
Charleroi, Belgique, November 1987;.Berne, 198
8


I. UNE ETHIQUE PRAGMATIQUE

I.1. La "bonne" façon

Si étymologiquement les mots morale, d'origine latine et éthique, d'origine grecque sont synonymes, le premier a pris une connotation inhibante alors que le second est devenu la bonne façon de faire, un mode d'emploi pour la vie. Un jeune musulman m'expliquait un jour les cinq piliers de l'Islam. Selon lui, le Hadj, pélerinage qui incombe à tout musulman devait se faire tard dans la vie, pour purifier des péchés afin d'entrer sans souillures au paradis. Pour moi la religion devait inspirer les actes, et ce, au début de la vie. Sans rejeter diverses motivations spirituelles, nous nous intéresserons à ce même aspect pratique de l'éthique, evitant une casuistique futile.


I.2. Planète en Péril

Tout en déclarant la science impartiale et amorale, les scientifiques en cherchent la "bonne" utilisation. Un nombre croissant d'intellectuels lance des avertissements pressants sur l'avenir sombre de la planète si la formidable puissance technologique n'est pas correctement manipulée. Les appels urgents émanent de tous côtés; la vulgarisation scientifique abonde en éléments de réflexion sur l'éthique. Un moratoire est demandé sur la recherche biologique par Jacques TESTARD. La page de garde d'une thèse(1) sur la dissuasion nucléaire illustre par ce passage biblique (Ez33,6-7) l'accablante accusation de négligence qu'éprouvent les scientifiques:

Si le guetteur a vu venir l'épée et n'a pas sonné du cor,
Si bien que le peuple n'a pas été averti,
Et que l'épée survienne et fasse chez eux une victime,
Celle-ci périra victime de sa faute,
Mais je demanderai compte de son sang au guetteur.

On ne dressera pas ici la liste déconcertante des menaces car la prédication catastrophiste pousse à l'insouciance démissionnaire. Un ami écologiste le compare à celle d'un optimiste qui tombe d'un gratte-ciel de cent étages. Au cinquantième il se dit: "voilà que la moitié du chemin est déjà faite; la chute n'est pas si désagréable!"

Le développement exponentiel de la science en un siècle et demi a induit une mutation complète de notre vie. A peine réveillée, la conscience découvre d'innombrables problèmes qui requierent des nouvelles valeurs éthiques. Aux éléments de réponse Baha'ie nous apporterons une réflexion qui n'engage que notre compréhension personnelle.


I.3. Le "bon" choix

Le choix d'un code d'éthique implique outre les intérêts particuliers, le fondement de notre société et le salut global de l'humanité. Ce n'est pas le respect de préceptes théologiques pour satisfaire une divinité exigeante, mais la survie de notre planète qui est en jeu. Une mutation suppose de grands bouleversements. Une illustration de cet enjeu parmi tant d'autres est l'énergie nucléaire: source de richesse à court terme, elle peut en cas d'accident, entraîner un désastre frappant plusieurs continents pendant 20 000 ans.

Or on redoute plus le désordre économique qui résulterait de son arrêt. Le public, mal informé, ne peut se prononcer faute de critères cohérents pour choisir une société à léguer à la postérité. Les scientifiques sont soumis aux impératifs de rendement et les élus aux résultats économiques à brève échéance, véritable "carnet de notes" pour la reconduction de leurs mandats. Entre la méfiance systématique et la confiance aveugle c'est la résignation qui prévaut.


I.4. Evolution des Idéologies de la Science

Résumons l'esquisse de J.ELLUL(2) en quatre périodes :

-1860-1900: Scientisme enthousiaste: la science découvrira toute la vérité. Elle obéit aux lois stables et prévisibles, et ne se trompe jamais. En son nom il faut détruire les fausses idées, les religions et les traditions culturelles. Ces produits de l'imagination dans les âges obscurs doivent être remplacés par la Lumière de la Science.

-1900-1918: L'Habitude: les pensées de Marx se propagent et dans ses oeuvres, Anatole France maintient une vue parfaitement scientiste. On ignore les implications de la théorie d'Einstein; la préoccupation majeure reste la guerre 14-18.

-1918-1945: Science, Instrument de Bonheur: Grands progrès en médecine et en chirurgie, dus à la technologie. Les voies de la communication se développent. Le rapprochement matériel des peuples dit Hugo, conduira à leur connaissance mutuelle, éliminant la haine et la guerre. Malgré la crise de 1929, les biens de consommation se multiplient. Huxley expose un aspect inattendu de cette évolution, mais son mysticisme n'est pas pris au sérieux. La psychologie, la sociologie et l'économie utilisent la même méthodologie et sont acceptées comme sciences; la dernière sort du flou politique pour conduire les peuples vers une organisation plus rationnelle, garante du bonheur. L'abondance mène à la liberté; la consommation apporte le bien-être et le confort, sources de bonheur.

-1945-1975: La Crise des Idéologies: La pénicilline n'a pas compensé le traumatisme d'Hiroshima. On assiste à un début de doute et de défiance vis à vis de la science: attitude de repli malgré la croissance économique foudroyante de ces années dites "les trentes glorieuses". Les scientifiques eux-mêmes commencent à se demander si la science est vraiment "self-sufficient" (gnose de Princeton). On se préoccupe des dangers de la guerre chimique et bactériologique, de la puissance technologique, de l'expérimentation génétique (demande de moratoire); craintes d'ordre écologique et d'atteinte à la vie privée par l'informatique. On hésite sur les budgets de la recherche, notamment spatiale.

Une Nouvelle Idéologie se dévéloppe alors: les réponses viendront de la science elle-même. Seule voie de salut porteuse d'avenir, elle vaincra le SIDA, rendra la guerre et la pollution impossibles, alors que les traités s'avèrent inopérants. Il faut se convaincre ainsi que ses enfants, de la prééminence de la science en se préparant à la technologie de demain. Le couple "Recherche-Developpement Economique" (formule R-D) devient vital pour les nations, les profits à court-terme plus impérieux que les menaces à long-terme. L'homme n'ose plus y penser; il se réfugie dans l'évasion, les jeux, les distractions et le rêve. Indécis, il s'en remet à la science en laquelle il ne peut que croire.


I.5. Une nouvelle Ethique

Cette situation unique dans son histoire, permet à l'homme de détruire la vie sur sa planète des milliers de fois et de multiples façons. Il ne peut ni avancer de façon irréfléchie, ni rejeter les bienfaits salutaires de la science et sombrer dans l'obscurantisme. Une révision rapide des concepts sur l'auto-correction de la science s'impose. Il sera difficile à remédier à un désastre de 20 000 ans ou de trouver une autre planète aussi accueillante !

L'O.N.U., auprès de laquelle la Communauté Intérnationale Baha'ie est accréditée en tant qu'organisation non-gouvernementale, soulève ce problème que l'éthique traditionnelle ignore. l'UNESCO(3), organise plusieurs colloques. Dès Juin 1975, à Varna en Bulgarie, biologistes et moralistes étudient les enjeux problématiques face aux menaces démographiques, génétiques, écologiques, alimentaires, de stress, et de structure sociale.


I.6. Une Visée de l'Homme

On insiste sur l'urgence d'une étude rigoureuse afin de définir des mots tels que "bienfait" (pour qui?), "utile" (à qui?), "amélioration" (de quoi?) S'agit-il de l'homme en tant qu'être biologique ou humain? Comment opérer un arbitrage? Longtemps, l'éthique s'est référée implicitement ou explicitement à des systèmes philosophiques ou religieux aujourd'hui critiqués ou débordés. L'humanité, se donnera-t-elle une visée de l'homme? D'où et comment la tirer pour ne pas hypothéquer son devenir dans la poursuite du seul mieux-être?

Soulignant l'effort que doit faire la philosophie pour tenir compte de la nouvelle vision du monde, on insiste sur le besoin impérieux d'une éthique mettant la science au service des droits de l'homme. Dix recommandations sont adressées au Directeur Général de l'UNESCO, dont:

--La création d'un programme d'étude permanent vue l'évolution constante des rapports entre la science et l'éthique.

--L'encouragement des recherches en matière d'éthique.

--L'établissement, en relation avec l'OMS et le CIOMS, d'un comité permanent d'hommes de science et de philosophes chargés de surveiller les applications de la biologie.

--L'enseignement d'une éthique fonctionnelle et moderne appliquée aux découvertes scientifiques dans les programmes de l'UNESCO, encourageant l'organisation de cours d'éthique dans les universités.

--Atténuer l'anxiété du public et le renseigner de façon plus complète sur les découvertes biologiques.

--Favoriser la collaboration entre biologistes, philosophes et spécialistes de la science sociale en vue d'améliorer la qualité de la vie. (3)

Cordoue en 1979, Tsukuba en 1984(3), Venise en 1986(65): ce précieux travail de réflexion se poursuit sans pour autant dégager un système de valeurs ni en identifier la source.


II. LA SOURCE D'ETHIQUE

Pour jouer au bridge il faut des règles communes, pour une symphonie, un même accord et un seul maestro; de même, la vie commune requiert une convention, un code d'éthique admis de tous. Les aléas de la politique intérieure des differents pays viennent souvent empoisonner les relations internationales, notamment sportives. Pour envisager une éthique commune il faut accepter l'autorité, l'arbitrage d'une même source.

II.1. La Morale naturelle

Citons ceux qui comme MOORE(4), voient une morale innée, gravée dans les instincts, permettant de distinguer par goût esthétique le "bien" du "mal". Or, un enfant élevé avec des animaux sauvages n'acquiert pas de bonnes manières.(5)

Le comportement animal est dirigé par le paléocéphale et malgré une certaine aptitude à la domestication, les traits principaux sont dictés génétiquement. Chez l'homme le néocéphale subordonne le paléocéphale, substituant au reflexe instinctuel l'acte délibéré, lui permettant comme dit Arthur RIMBAUD(6), d'échapper "au monde horrible de l'instinct". Le réflexe automatique cède à la décision réfléchie. Ici l'indispensable apprentissage s'acquiert par mimétisme au contact de la réalité sociale. Les retards subis dans l'enfance seront difficiles à rattraper. A l'âge adulte, l'homme se trouve loti d'un comportement civique non pas par instinct, mais par imprégnation dans un milieu culturel riche d'un patrimoine cumulé depuis des millénaires. Un comportement, non sciemment choisi, est dicté par le milieu.

Au lendemain de Mai 68 nous avions reçu à la maternité une jeune hippie en difficulté voulant accoucher dans le maquis corse. Le SAMU est intervenu dans des circonstances périlleuses grâce à la diligence des paysans. La mère et l'enfant sauvés, on a appris que ces jeunes subsistaient grâce aux chèques des parents et aux pommes de terre chapardées dans les champs. Ils étaient dépendants, et même parasites de la société de consommation qu'ils fuyaient!

De même, on peut vivre au sein d'une démocratie, protégé par un consensus de valeurs, sans en connaître la source d'inspiration. Ainsi, la philosophie grecque a profondement marqué la culture occidentale, après avoir été elle-même largement inspirée par les prophètes d'Israël.


II.2. La Morale scientifique

Rares sont aujourd'hui les savants éclairés qui comme Jacques MONOD(7), s'aventureraient à affirmer que la science porte en elle sa propre et unique source d'éthique: thèse qu'Alfred KASTLER(8) rejetait et que Jean ROSTAND(8) a vu comme la vieille thèse scientiste à laquelle il adhérait à douze ans. On ne peut qu'applaudir MONOD(9), lorsqu'il constate qu'à la place de l'épanouissement prodigieux offert par les richesses de la science, un gouffre de ténèbres s'ouvre devant nous; quand il défend avec éloquence l'honnêteté intellectuelle, "l'éthique de la connaissance", réclamant une révision totale des fondements de l'éthique pour remplacer la tradition animiste hostile à la science.

On ne peut plus le suivre lorsqu'il ne propose d'autre source à l'éthique que l'éthique de la connaissance elle-même, l'assimilant à la connaissance de l'éthique, comme si le maître du cheval, pouvait être en même temps le cheval du maître! Et pourtant, en parfaite équité il admet ignorer si cette éthique qu'il qualifie lui-même d'austère, d'abstraite et d'orgueilleuse, peut calmer l'angoisse, assouvir l'exigence sans doute génétique d'une explication totale:

"Aucun système de valeurs ne peut prétendre constituer une véritable éthique à moins de proposer un idéal qui transcende l'individu au point de justifier, au besoin, qu'il s'y sacrifie."(9)

L'information rigoureuse, objective et rationnelle est un élément indispensable de l'éthique. Mais nous verrons que le cerveau humain n'a que faire de cette information si un vecteur affectif ne l'accompagne. Or le rationnalisme, par hypothèse de travail, exclut de son raisonnement la subjectivité. Dans l'ardeur louable pour purifier l'éthique des valeurs hypocrites et discordantes, MONOD rejette la foi en bloc avec les superstitions, évacuant le bébé avec l'eau du bain. Sans l'amalgame de la science avec l'obscurantisme, on doit admettre que toute la vérité n'est pas accessible à la raison. Si l'affectivité, part subjective de la réalité est refoulée, isolée en quarantaine, sans être étalonnée par la raison, elle peut ressurgir de l'inconscient pour dicter les actes sous une forme monstrueusement incontrôlée.


II.3. Le Pourquoi

En plaidant une reconciliation entre la raison et les sentiments de l'homme, Jean FOURASTIE(10) voit:

"... une humanité qui sait de plus en plus de choses sans importance et de moins en moins l'essentiel; à une époque où les pouvoirs croissants de l'homme sur lui-même et sur la nature en viennent à engendrer plus d'angoisse que d'espoir..;à l'heure où abondent les moyens, mais où les fins pâlissent, où le désarroi donc gangrène la puissance."

Les intellectuels, déplore-t-il:

"...donnaient à ce qu'ils croyaient savoir une telle prépondérance, une telle priorité, qu'ils ne pouvaient en apercevoir ni les lacunes, ni les erreurs."

L'effondrement des conceptions du monde en une crise culturelle sacrifie le long terme à venir, au court terme, alors que:

"...les valeurs qui font durer les groupes ne sont pas les mêmes que celles qui les font progresser."(11)

Il constate enfin que:

"...la science, si efficace dans sa découverte du comment, est impuissante à éclairer le pourquoi; elle n'a pas donné de signification au cosmos, ni à la vie de l'homme;..."(12)

L'indispensable rationnalité est donc insuffisante à l'éthique. Ses solutions arriveront trop tard si un choix de société n'est pas effectué dès le départ; faute de composant subjectif, de signification ou de valeur, elles ne seront pas assimilées par la masse et ne fourniront pas un terrain d'entente collective. La science évoluant, ses frontières et ses conceptions se transforment. Pour André FROSSARD, elle croit de plus en plus aux miracles, et la religion y croit de moins en moins!


II.4. La Science réunifiée

Près de vingt années après la vision éthique de Jacques MONOD, les acquisitions en physique montrent les conceptions scientistes insuffisantes. La communauté scientifique se voit poussée à plus d'humilité et d'ouverture. Derrière la porte géniale que Monod et Jacob ont entrouverte, élucidant l'organisation de la vie par l'information génétique, d'autres portes se présentent sur notre voie dans le labyrinthe du savoir. Sous l'impulsion de Niels BOHR, fils de médecin, la théorie quantique appréhende la nature éphémère des particules sub-atomiques65 et bouleverse la vision de la matière que l'on voulait inerte. S'écartant des principes de la mécanique newtonienne, la physique des particules impose des méthodes expérimentales que Claude Bernard prônait voici un siècle et demi pour l'étude de la matière vivante.

Une solide passerelle est jetée entre la physique et la biologie, rejoignant la jonction amplement établie par les psychanalystes et psychosomaticiens entre l'homme biologique d'une part, sa pensée, son comportement et sa vie sociale de l'autre. L'unité des règnes de l'existence, du minéral jusqu'au monde des pensées s'offre à nos yeux.


II.5. L'Interdisciplinarité

Dans sa vision prolifique, Edgar MORIN (13) voit les idées comme des êtres "aux frontières cérébrales de la vie", se greffer "...sur un code culturel pour transduire une information créatrice ou mortelle..," à la façon d'un virus qui se fixe sur un code génétique.

"...Mais à la différence des virus, les idées s'unissent, s'assemblent en séquences organisées, deviennent mythes, idéologies, êtres anthropomorphes, ce qui les rend plus analogues encore aux êtres vivants que les virus. Il est donc possible de considérer les idées, les mythes, les dieux comme des "existants"..."

Dans cette perspective qu'il partage avec Monod9, le monde impalpable qui dirige nos options et nos actes, serait une auto-organisation, une sécrétion autonome de l'esprit; une échelle projetée, sondant l'inconnu avant d'y frayer un chemin, pas à pas à l'aide de la raison, transformant l'a priori en a posteriori selon Claude Bernard. Or pour le monothéisme, un "ferment" ou une "graine" vient guider, articuler et étalonner la subjectivité depuis une source supranaturelle. (voir IV.9)

Morin demande une restructuration de la configuration générale du savoir, avec des liens plus que diplomatiques et commerciaux entre les disciplines où chacun se confirme dans sa souveraineté. Il appelle à une interdisciplinarité des disciplines articulées et ouvertes avec une théorie, une pensée transdisciplinaire, faisant non seulement naître la science de l'homme, mais une nouvelle conception de la science, une Scienza Nuova, articulant la physique et la vie, la complexité microphysique et la complexité biologique (auto-organisation), la néguentropie et l'anthropologie.

Il voit la science s'introduire dans le jeu incertain de la conscience qui apparait aujourd'hui comme le préalable nécessaire à la nouvelle complexification sociale:

"...La dialectique...science-conscience-politique n'est pas close, puisqu'elle se situe au sein de la dialectique gigantesque de la désorganisation/réorganisation historique qui travaille planétairement toutes les sociétés et le corps global de l'humanité."

"...dans la crise gigantesque qui rend peut-être possible une quatrième naissance de l'humanité, le problème de l'ambiguïté et de l'incertitude entre l'erreur et la vérité est porté à son paroxysme."

Il affirme ensuite:

"La science n'en est pas à ses ultimes développements, elle en est à son recommencement. Elle n'apporte pas la Vérité par rapport aux dogmes religieux, métaphysiques, politiques: elle n'a pas résolu ses problèmes élémentaires de vérité, d'éthique, de liaison avec les finalités sociales. Elle bégaie et balbutie dès qu'elle sort de ses équations qui manipulent de formidables pouvoirs. Nous sommes au début de la connaissance, de même que nous sommes...au début de la conscience."

Pour Morin, enfin,

"...la science qui a fondé son efficacité sur la séparation entre le sujet et l'objet, les faits et les valeurs, a échappé...au contrôle des savants eux-mêmes devenus fonctionnaires." (13)


III. RELIGION ET ETHIQUE

La science n'offre pas de solution-miracle. Elle s'est ouverte aux humanistes et aux moralistes qui ne peuvent laisser agoniser l'humanité, pour débattre leurs dogmes favorits. A un moment si critique, il faut gommer les querelles d'école pour une collaboration interdisciplinaire étroite, usant tous les moyens aptes à améliorer le sort de la planète, sans crainte d'amalgame entre les domaines traditionnellement cloisonnés. Dans son message du 3 Mars 1986 au Colloque de Venise(65), Sa Sainteté, le Pape Jean-Paul II, apprécie que soit reconnue:

"...la distintion des domaines de la science et de la foi dans leur autonomie bien comprise et dans leur complémentarité..."

N'accusons plus la machine scientifique, mais l'homme, son conducteur négligeant. Cette interface d'ergonomie entre la conscience humaine et la science est un domaine naissant, d'avenir certain qui ne peut s'étudier qu'en envisageant les deux simultanément.


III.1. L'Ethique Self-Service

Dans une remarquable vision planétaire, Joël de ROSNAY14 compare de façon lucide et didactique, les interactions des différents systèmes (machine-organisme-entreprise-société-écosystème) à la cybernétique des êtres vivants et leur homéostasie15,16 que l'homme devrait imiter: démarche non plus analytique, mais synthétique. Il aborde ainsi un thème fréquemment développé dans les écrits Baha'is.(67)

L'émergeance des valeurs, "la nouvelle pensée", nécessite pour lui transition, juxtaposition, coexistence et complémentarité avec les valeurs traditionnelles qui, globalement critiquées, mettent en cause la légitimité des garde-fous de l'autorité. Les neuf piliers de ce dernier seraient: l'Etat, l'Eglise, la Famille, l'Ecole, la Justice, l'Armée, la Police, l'Entreprise et le Corps médical.

Comparant judicieusement les valeurs émergeantes avec les attitudes traditionnelles en politique, dans l'autorité, le travail, la raison et les rapports humains, il voit une nouvelle religion naître: non plus fondée sur une vérité révélée, mais résultant d'une création collective, compatible avec la connaissance objective du monde et acceptant l'immergence de l'esprit dans la matière.

Cette morale "démocratique" est bien mieux qu'un code de valeurs discordant, rétrograde et rigide: une structure vide de toute éthique. La réflexion et la consultation sont indispensables pour adapter l'éthique aux circonstances nouvelles que la science affronta au cours de son histoire. Elle suppose une information librement disponible, des critères cohérents de choix de société et un idéal commun en fonction duquel seront prises les décisions. La structure législative doit par ailleurs, jouir de la confiance de la planète, mosaïque de cultures diverses et interdépendantes. Une telle structure ne peut se réaliser sans déstructurer celle établie. L'évolution vers de nouvelles valeurs met en branle l'équilibre déjà précaire d'un ordre vacillant. Le changement ne suivra pas une croissance homéostasique, mais plutôt un cycle de déstructuration / restructuration comparable à celui de la mutation saisonnière de la nature.

Le temps de réaction entre le constat du problème, la recherche d'une solution et son assimilation par la masse est trop long vu l'urgence de la situation mondiale. Malgré l'audio-visuel, il est difficile d'obtenir l'adhésion du public à des campagnes parfaitement rationnelles sans qu'un investissement affectif ne vienne la motiver. L'échec de la récente campagne contre le tabac en témoigne.

L'éthique "self-service", pilotée à vue est donc un ingrédient indispensable mais insuffisant de l'éthique. Ni structurante, comme l'éthymologie "religare" du mot religion laisse entendre, ni porteuse d'un engagement affectif, sa dialectique n'est accessible qu'à un nombre infime d'élites parmi la population mondiale. Elle suit l'homme mais n'est pas suivie par lui; au mieux elle constitue une prothèse à son manque d'éthique, une jambe de bois et non la force vivante et vivifiante décrite plus loin (IV.9).


III.2. La Réconciliation

La crise précipitée par la croissance technologique exponentielle trouve ses origines dans le mutisme, sinon le divorce entre l'activité scientifique et un engagement spirituel désuet, incohérent ou absent. La distinction cartésienne entre la réalité subjective et la réalité objective a permis de fonder la science sur un postulat rationnel, libre du carcan d'obscurantisme dont le pouvoir religeux l'avait chargée. Les chemins de la science et de la religion ont divergé: le dialogue s'est tu, l'incohérence est devenue une institution, un postulat de travail.

Les cendres du bûcher de l'Abbé Giordano BRUNO(17), brûlé vif en 1600, sont encore tièdes dans nos souvenirs. Il avait soutenu les thèses du chanoine COPERNIC sur les mouvements planétaires, persistant à croire la vérité biblique comme symbolique, le soleil comme une étoile parmi tant d'autres, chacune entourée de ses planètes. Les misères subies par GALILEE, récemment réhabilité, n'ont pas été oubliées(18). Les monstruosités commises au nom de la religion resteront gravées dans les mémoires comme la forme la plus hideuse d'intolérance et de sauvagerie.

Or les prophètes ne peuvent être tenus comme responsables de l'usage perverti de leur foi: Jesus n'a jamais prôné l'inquisition, pas plus que Darwin n'a voulu le nazisme, ou que Marie Curie, Einstein, Fermi et Oppenheimer n'ont la paternité des horreurs d'Hiroshima et de Nagasaki. Il n'en reste pas moins malaisé dans un travail scientifique d'envisager la contribution des grandes religions monothéistes à l'éthique. Ces enseignements spirituels attirent quelques remarques:

-Ils ont été modestement attribués à une source surnaturelle par leurs auteurs qui, pour étayer leur discours sur la nature accessoire de cette vie comparée à celle à venir, ont même accepté la mort. Pourquoi ces êtres par ailleurs géniaux et purs, auraient-ils menti ?(19),(53)

-Ces messages d'unité ont été largement en avance sur leur temps. Celui du Christ a mis trois siècles pour être ouvertement accepté, sans avoir pu bénéficier d'un désirata populaire pour "se propager dans un milieu propice"(9): ce n'est pas le christianisme qui s'est élu un Christ.

-Enfin l'humanité n'ayant aucunement atteint le sumum de la sagesse, rien n'indique que la révélation religieuse soit définitivement close, et "les mains de Dieu désormais chaînées."(20)


III.3. Complementarité de la Science et de la Religion

Le concept Baha'i d'éthique tourne autour d'une vérité émanant d'une source supranaturelle et révélée à l'homme de façon périodique. Les religions monothéistes apportent une information complémentaire à la connaissance rationnelle et fournissent un point de ralliement à une éthique collective. Cet éloge d'Abdu'l-Baha souligne l'attitude Baha'ie envers la science:

"Les vertus de l'humanité sont nombreuses, mais la science est la plus nobles d'entre elles...La science est une splendeur du Soleil de Réalité, le pouvoir de rechercher et de découvrir les vérités de l'univers, le moyen par lequel l'homme trouve un chemin vers Dieu." (21)

Engagée sur la voie des mystères de l'univers, la science s'achemine d'énigme en énigme vers une Perfection inaccessible, Cause des Causes ou Dieu. Chaque porte ouverte en recèle une autre. L'information révélée et celle acquise par la raison doivent évoluer harmonieusement. Ainsi, la science et la religion comme les deux ailes d'un oiseau, permettent à l'intelligence de l'homme de s'élever. Sans équivoque dans ses exigences envers la religion, Abdu'l-Baha(22) déclare à Paris en 1911:

"Toute religion qui contredit la Science ou qui lui est opposée n'est que de l'ignorance...La religion qui comporte uniquement des rites et des cérémonies routinières n'est pas la Verité..."

"La religion devrait unir tous les coeurs et faire disparaître les guerres et les dissensions de la surface de la terre...si une religion devient une cause d'inimitié de haine ou de division, mieux vaudrait qu'elle n'existât pas. Abandonner une telle religion serait un veritable acte religieux..."

Quant aux aléas de la science, l'ambassadeur du Japon, en visite à Paris cette même année en est averti de ces mots prophétiques(22):

" Il existe une force stupéfiante que l'homme n'a heureusement pas encore découverte. Supplions Dieu, le Bien-Aimé, que la science ne découvre pas cette force tant que la civilisation spirituelle ne dominera pas l'esprit humain. Entre les mains de l'homme d'une nature matérielle inférieure, ce pouvoir pourrait détruire la terre entière."

Les démêlés entre les hommes de science et les hommes de religion ne signifient pas que ces deux pôles de la pensée humaine doivent être indéfiniment écartelés, pas plus que les querelles de ménage ne présagent que le rôle du couple dans la famille soit dépassé. Bien au contraire, tout mène à croire que les facultés affectives et rationnelles localisées sur deux hémisphères cérébraux distincts en constante interaction, assument des fonctions complémentaires. La religion s'adresse à l'affectivité, la science à la raison. L'une ne peut contredire l'autre sans entraver les structures de la personnalité.

L'affectivité, de surcroît, est un facteur déterminant dans les mécanismes de l'apprentissage. Tel ouvrage ou les propos de tel enseignant sont assimilés avec passion alors qu'un blocage affectif entrave par ailleurs. Bien d'automobilistes téméraires ne se modèrent qu'en comprennant "par le coeur" qu'ils peuvent occasionner la mort d'un enfant.


IV. L'ETHIQUE ET L'ORDRE

IV.1. La Science du "Bien"


L'éthique, selon le dictionnaire, est "la science de la morale" et la morale, "la science du bien et du mal". Que de bûchers et d'exorcismes n'ont tenté en vain d'extirper à ses racines le "mal" qui fait encore couler beaucoup de sang et d'encre! La position Baha'ie est résolument positiviste et pragmatique sur ce sujet aux vastes implications pratiques. Les écrits s'y réfèrent fréquemment: le "mal" existe non pas en tant qu'une entité indépendante, mais comme l'absence du bien. Lors de son séjour à Akka, Madame Clifford-Barney questionnait Abdu'l-Baha, notant ses réponses plus tard publiées dans "Les Leçons de St. Jean d'Acre". Un jour, en présence de son secrétaire-interprète23, elle demande: pourquoi Dieu a-t-il créé le mal ? Abdu'l-Baha répond(24):

"...Les qualités et les admirables perfections de l'homme sont exclusivement bonnes; elles existent, et le mal est leur non- existence. Ainsi, l'ignorance est la non-existence du savoir, ...la bêtise, la non-existence du bon sens.Toutes ces choses sont des néants et non pas des choses qui existent.

...Ainsi la cécité est le manque de vue, la surdité le manque d'ouïe, la pauvreté le manque de richesse, la maladie le manque de santé, la mort le manque de vie, la faiblesse le manque de force."

Puis, se tournant vers son secrétaire, avec son humour habituel il dit(23): tu verras, elle va me demander pourquoi Dieu a créé le scorpion. La question ne se fait pas attendre; il repond:

"...le scorpion est un mal, du moins par rapport à nous; de même le serpent. Mais par rapport à eux-mêmes, ils ne sont pas un mal, car leur venin est leur arme; par leur dard ils se protègent. Cependant, comme les éléments de ce poison ne conviennent pas à nos éléments, cela devient un mal; en contact les uns avec les autres, ces éléments sont un mal;.."

Et il continue:

"..tout ce que Dieu a créé, il l'a bien créé. Le mal est le néant: ainsi la mort est le néant de la vie...L'obscurité est le néant de la lumière,..La richesse existe, mais la pauvreté est un néant."

La nuit "existe" lorsque nous sommes dans l'ombre de la terre, cachés du soleil. C'est lui qui existe: sans lui, nous ne connaîtrions pas la nuit. On combat l'obscurité, en créant la lumière et on combat le "mal" en oeuvrant pour le "bien". Cette vision indique la voie du progrès sans nullement nous priver du mot "mal". Baha'u'llah parle du "Malin" comme l'entrave au développement de l'homme.(25)


IV.2. Une Ethique constructive

Notre mode de perception est par le contraste. On désigne le "froid" et le "chaud" relatifs à nos corps. On s'étonne donc qu'une couverture en laine garde une boisson fraîche, ou qu'un igloo en neige tienne chaud! Pour notre organisme, la couverture est "chaude" et la neige est "froide"! Cette perception convient aux usages élémentaires mais pour les températures du cosmos on applique l'échelle absolue de Kelvin et le "froid" n'existe plus. Il serait impossible de concevoir les lois de la thermodynamique, l'isolation, ou le réfrigérateur (une pompe à chaleur) en étudiant le "froid".

De même, habitué à l'harmonie, on ne décèle plus que ses manquements: les trains qui déraillent, et non ceux qui arrivent à l'heure. On s'insurge quand un enfant sur mille naît malformé, oubliant la fréquente perfection d'un organisme si complexe. On se révolte quand une catastrophe naturelle rompt notre quiétude, sans s'étonner que le système solaire si hostile puisse arborer une oasis comme la nôtre.

Indispensable aiguillon de la perfection, cette vision peut nous tromper si l'on s'imagine que pour progresser il suffit de maugréer, de revendiquer ou de chasser le "mal". On entend dire: "Je lui ai fait mille fois la remarque, mais il continue à fumer"... De toute évidence la critique n'a pas été un remède efficace. Trop souvent la motivation profonde du critiqueur, hélas, n'est pas d'aider sa victime, mais de soulager ses propres sentiments d'infériorité. Il est si bon de trouver une paille dans l'oeil du voisin quand on a une poutre dans le sien! C'est le penchant naturel à régresser vers l'état primitif des pulsions animales qui rend la critique, la vengeance et la haine

Or jamais on ne vaincra la haine et l'indifférence sans créer l'unité, la maladie sans investir dans la santé, la misère sans créer des richesses, la criminalité et l'ignorance, sans éduquer. Si la société doit se défendre en isolant les criminels, pour faire régresser la criminalité il est à terme plus rentable de construire des écoles que des prisons(26). En chaque criminel, un ange étiolé, n'a pu s'épanouir. Car l'amour engendre l'amour, la haine son semblable. Les sentiments, contagieux comme les virus de Morin (voir II.5) croissent, se reproduisent, se propagent. D'une vigilence journalière il faut les cultiver, les débroussailler comme des plantes. Baha'u'llah écrit dans "Les Paroles Cachées" lors de son exil à Baghdad vers 1858:

"O Ami! Dans le Jardin du coeur, ne plante que la fleur d'Amour..."

On comprend donc l'insistence avec laquelle les écrits Baha'is condamnent la critique négative. La médisance est dénoncée comme crime(35), combien plus la calomnie. Chaque Baha'i doit utiliser son énergie pour rémédier à ses propres défauts tout en suggérant des solutions positives au sein d'une institution qui sans lutte, "consulte" ses membres et au besoin intervient avec justice et amour pour rectifier les manquements. Le "mal" n'est pas une force maléfique qu'il convient de détruire chez autrui, mais un penchant à redresser, une pulsion à canaliser en nous-mêmes. Les saintes écritures n'ont jamais été conçues pour mieux mépriser son prochain! Si quelqu'un a dix défauts et une seule qualité, interéssez-vous à celle-là, oubliant ses défauts; une fleur est belle quelque soit le jardin où elle fleurit, disait Abdu'l-Baha. Ainsi nous invite-t-il à être les jardiniers d'un monde meilleur, et non les éboueurs et les fossoyeurs de la décadence.

Résumons cet aspect primordial de l'éthique qui dépasse notre étude: nos sociétés ne connaîtront jamais la paix et la prospérité tant que tout débat sera érigé en un combat manichéen entre "bien" et "mal", chassant les sorcières, partant en campagne contre des "moulins à vent", oubliant de chercher une solution concrète dans un esprit constructif.


IV.3. L'Adoration active

Dès 1844, le Bab(27) donne à ses premiers disciples, la note d'ouverture d'une ère nouvelle:

"Les jours où l'adoration passive était jugée suffisante sont révolus. L'heure est venue où seul les motifs les plus désintéressés, appuyés par des actes sans tache, peuvent s'élever jusqu'au Trône du Très-Haut et trouver grâce auprès de Lui. Seules les bonnes paroles suivies de bonnes actions seront exaltées ..."

Le travail, accompli dans un esprit de service, est élevé au rang d'un acte d'adoration; la prière étant l'étape préliminaire de l'action qu'elle inspire. Les écrits Baha'is parlent très peu du péché - notion de morale que nous sommes sensés avoir acquise en six mille ans de monothéisme élémentaire - et beaucoup des actes de service à ne pas manquer. Baha'u'llah dit qu'il a plus honte quand il voit les bonnes actions qui échappent à ses fidèles que lorsqu'il apprend leurs fautes(28). Sa description de la vie après celle-ci confirme amplement cette vérité:

"...Les âmes des infidèles- et cela je atteste- au moment de rendre à Dieu leur dernier souffle, prendront conscience de toutes les bonnes choses qu'elles auront négligé d'acquérir. Elles se lamenteront sur leur sort et s'humilieront devant Dieu, et elles continueront de le faire après qu'elles auront quitté leurs corps.

Il est clair et évident qu'après leur mort physique, tous les hommes prendront conscience de la valeur de leurs actes et comprendront pleinement ce que leurs mains ont forgé..." (29)

Au lieu de dissiper ses forces, satisfait d'une vie animale, l'homme est appelé à saisir la haute destinée créatrice qui peut être la sienne.


IV.4. La Concorde, un Trait distinctif

On ne peut résumer ici une "éthique Baha'ie" à partir des abondants écrits sur le comportement requis du vrai croyant. On lit cependant de la plume de Baha'u'llah(30) ce qui semble caracteriser cette éthique:

"O vous qui habitez la terre ! Le trait distinctif de cette révélation suprême est que Nous avons, d'une part, effacé des pages du saint livre de Dieu tout ce qui était parmi les enfants des hommes une cause de discorde et de malice,et que d'autre part, Nous avons posé les principes essentiels de la concorde, de la compréhension et de l'éternelle et parfaite unité. Heureux celui qui garde mes statuts."

Une étude approfondie confirme cette assertion car chaque phrase des écrits Baha'is peut être directement ou indirectement rapportée non pas au salut personnel, mais à une fin suprême, celle de l'établissement de la concorde et de l'unité parmi les hommes; la néguentropie sociale par excellence:

"...Renoncez à vos propres soucis, et que toutes vos pensées se concentrent sur ce qui est propre à rétablir la prospérité de l'humanité et à sanctifier les âmes et les coeurs. Des actes purs et saints, une vie vertueuse et une excellent conduite vous permettront d'y réussir au mieux. La vaillance des actes assurera le triomphe de cette cause, et leur sainteté en renforcera le pouvoir."

"...Que votre vision embrasse le monde, au lieu de se confiner à vous mêmes...La gloire n'est pas à celui qui aime son pays mais pour celui qui aime le monde entier... Nul doute que les peuples et tribus de la terre - aujourd'hui divisés et ruinés par les flammes de l'inimitié et de la haine - ne se fondent dans l'unité au feu de votre amour.... Chacun des versets révélés par cette plume est un brillant portail qui montre les gloires d'une vie sainte et pieuses,et des oeuvres pures et sans tache." (30)


IV.5. La Religion, point de Ralliement

Pour Marx(4), la morale fait partie de la superstructure qui reflète et défend les intérêts de la classe dominante. Pour chaque société, le code d'éthique constitue un système de valeurs, véritables poids et mesures ou étalons de sa vie commune. Ce code de conduite, comparable à celui de la route, comporte des repères tels le calendrier, les fêtes et les lois qui structurent toute la vie collective (31). Les éléments subjectifs élaborés à partir des traditions, mythes et croyances, viennent motiver l'adhésion à cette convention collective.

Dans Le Livre de la Certitude(32), Baha'u'llah élucide le symbolisme des livres sacrés: épreuve pédagogique qui permet à l'homme de parvenir à la compréhension par ses propres efforts. Le soleil, la lune et les étoiles, représentent les points d'orientation spatiale et repères de mesure pour le temps et le calendrier. Ces lumières de la "compréhension" symbolisent l'indispensable code de valeurs de la "cité", où vie collective. Le "ciel" de chaque religion symbolise les lois, la direction et les institutions religieuses. Le "ciel fendu", la "chute des astres" annoncés par les écritures présagent une mutation de la loi et de sa codification structurée. (33)

Le "Sadratu'l-Muntaha"(32), l'arbre ultime qui en point de mire marque l'orientation dans le désert, désigne la voie, l'aspiration commune des croyants vers la Manifestation Divine. Celui-ci, "balance infaillible" (34),(68), fournit par ses prescriptions les étalons qui ne peuvent être pesés ou jugés selon les poids et mesures que possèdent les hommes. Autour de ce "point primal", le "ciel" de la civilisation gravite.

Baha'u'llah décrit le cheminement du vrai chercheur qui doit se détacher de tout a priori pour se trouver doté d'un oeil, d'une oreille, d'un coeur et d'un esprit nouveaux, apte à reconnaître la Cité de Certitude, qui n'est autre que la Parole de Dieu révélée dans chaque âge et renouvelée d'époque en époque dans chaque dispensation.(35)

Une telle structure protège l'homme. Etre social par excellence, il ne peut ni survivre isolé, ni sans protection par une éthique au sein d'une société qui s'élargit à toute l'humanité :

"De même que le corps de l'homme a besoin d'un vêtement pour le couvrir, le corps de l'humanité doit être orné du manteau de la justice et de sagesse, sa robe étant la Révélation qui lui est donnée par le Seigneur." (36),(37)

Ce texte rappèle qu'Adam et Eve ayant désobéi en mangeant de "l'arbre du bien et du mal", se découvrent "nus", ou encore: démunis d'une protection morale contre l'erreur à laquelle leur choix les a exposés.

Cette parure d'éthique marque l'identité des adhérents et l'appartenance à une cause commune. Elle constitue un facteur de cohésion indispensable à l'ordre social de la "cité", un modèle cohérent, un prototype conceptuel de civilisation qualifié de "paradigme" dans la philosophie platonicienne, également proche de la notion Baha'ie, de "dispensation". Baha'u'llah affirme:

"La religion est l'agent le plus puissant pour l'établissement de l'ordre dans le monde et pour le paisible contentement de ceux qui l'habitent. L'ébranlement des piliers de la religion a accru la force des ignorants et les a rendus hardis et pleins d'arrogance. En vérité, je vous le dis, tout ce qui tend à affaiblir la religion renforce la perversité des méchants et le résultat ne peut être que l'anarchie". (36)

"La religion est une radieuse lumière, et une forteresse imprenable pour la protection et le bien-être des peuples du monde, car le respect de Dieu incite l'homme au bien et l'éloigne du mal. Si la lampe de la religion faiblit, la confusion et le chaos s'ensuivent et les lumières de l'équité, de la justice, de la tranquillité et de la paix s'éteignent à la fois" (38)


IV.6. La B.A. dans le Désordre.

Une vérité primordiale s'impose: la Foi Baha'ie se démarque très nettement des philosophies pour lesquelles une vie sainte et sans péché suffit au salut. On est déjà loin des notions pédagogiques de paradis et d'enfer. Les "Bonnes Actions" ignorant une source structurante d'éthique, hors consensus, sont insuffisantes:

"Le premier devoir que Dieu prescrit à ses serviteurs est la reconnaissance de celui qui est l'Aurore de sa révélation, et la Fontaine de ses lois...quiconque en est privé s'est écarté du bon chemin, même s'il a accompli toutes les bonnes actions possibles...Ceux que Dieu a doués de clairvoyance reconnaîtront aisément que les préceptes qu'Il a édictés constituent les plus hauts et les plus puissants moyens de maintenir l'ordre dans le monde et la sécurité des peuples.." (39)

La religion n'est plus ici une recette de "B.A", une bondieuserie bigote et une bienséance béate pour gagner le ciel. Ici le "bon chemin" désigne une voie commune, structurée, empruntée par tous; un plan collectif, exécuté en équipe selon les directives d'un architecte. Toute déviation à ce plan compromettra l'oeuvre achevée. L'artisan le plus accompli est nuisible s'il ne suit pas le plan de l'architecte. Pour une symphonie, chaque virtuose s'accorde et se synchronise aux autres sous la direction d'un même maestro. La notion d'éthique collective, structurée, orchestrée se lie impérativement à la notion d'ordre.

Or si c'est justement la structure religieuse qui est aujourd'hui largement contestée, c'est pour l'aspect rétrograde et rigide de son ordre qui, parfaitement adapté à la conjoncture historique de son époque, entre en contradiction avec les impératifs de nos jours. Largement en avance sur la science de son temps, une menace pour l'ordre établi, chaque religion a été impitoyablement combattue dès sa naissance comme système délirant et subversif(voir IV.12, V.5).

Sans doute faut-il un savant dosage entre l'anarchie et la structure rigide étouffant toute créativité individuelle. Dans notre charnière historique, les uns ébranlent l'ordre par un "aggiornamento", d'autres, craignant le désordre, tentent de faire demi-tour pour arrêter la science et le cours de l'histoire. Or l'ordre évolue par mutations; il passe par un désordre transitoire vers une nouvelle structure.


IV.7. Une Vision structurante

MONOD(9) souligne cet aspect structurant de la religion:

"..la puissante armature sociale que constitue la religion n'est pas liée à cette structure elle-même, mais au fait que cette structure est acceptée, qu'elle s'impose...on voit bien que les idées douées du plus haut pouvoir d'invasion sont celles qui expliquent l'homme en lui assignant sa place dans une destinée immanente, au sein de laquelle se dissout son angoisse."

Ici l'information qui fournirait le pouvoir d'invasion en apaisant l'homme pour l'intégrer dans une armature sociale. Cette phrase de Baha'u'llah semble confirmer ce pouvoir du Verbe:

"...Par la seule puissance des paroles qu'Il a prononcées, la race humaine peut être, toute entière, illuminée de la lumière de l'unité, et le souvenir de son nom sacré suffit à embraser les coeurs des hommes et à brûler tous les voiles qui leur cachent sa gloire." (40)

Or ici l'affectivité intervient, car "le souvenir de son nom sacré" (constance), entraîne "l'embrasement des coeurs" (motivation), pour éliminer les "voiles" (idées non conformes à la réalité subjective fournie par la religion). Ainsi peut-on discerner, comme l'indique Baha'u'llah, la "Vérité" du "Mensonge":

"...Une double obligation s'impose à qui a reconnu l'Etoile du Matin de l'unité de Dieu et professé la vérité de Celui qui en est la manifestation. C'est d'abord rester ferme en son amour, d'une fermeté telle que ni les clameurs de l'ennemi ni les prétentions futiles de l'ambitieux ne le puissent détourner de son attachement à Celui qui est la Vérité éternelle...C'est ensuite d'observer les lois qu'Il a prescrites, qu'Il a toujours édictées et qu'Il continuera d'édicter, et par lesquels la vérité peut être distinguée et séparée du mensonge". (41)

On n'est pas loin de Joël de ROSNAY(14) qui entre la voie de finalité dans la cosmogenèse de Teilhard, et la voie du rationalisme de Monod, choisit une troisième voie, celle de la complémentarité des deux langages: la signification (art, poésie, religion) et le savoir (physique, mathématiques); l'information et la néguentropie étant pour lui à la charnière entre l'objectif et le subjectif.

La religion n'apaise pas comme un opiacé sédatif, bien qu'elle puisse agir ainsi. L'anxiété est une énergie en attente. Une vision existentielle cohérente apporte une signification au passage de l'homme dans ce monde et fournit une voie d'action, une motivation, permettant de liquider cette énergie au sein d'une structure sociale.

Pour l'homme qui sait la nature éphémère de cette vie, l'hédonisme est une bataille perdue d'avance: angoisse que l'animal poursuivant ses besoins primaires ignore. Investir dans une vie au-delà de celle-ci est le pari gagnant de l'agriculteur qui sacrifie ses semences confiant que les éléments fructifieront sa mise. C'est le pari des Messagers divins qui renoncent à leurs propres vies pour livrer leur message. Le rationalisme s'arrête au tangible et nie ce qui est imperceptible aux cinq sens. Crédible au présent, il est injuste à terme, car pourquoi sacrifier des graines sans la promesse d'une récompense? Si les peines de la vie s'anéantissent en une mort ultime, seul le profit à court terme mériterait une mise. Une telle perspective nihiliste annule les valeurs et leur hiérarchie. Le code d'éthique paraît incohérent et injuste. De l'incrédulité en démotivation, de l'ordre en anarchie, la répression sévit: car faute de carotte, le bâton grossit!

Ainsi, si la religion oriente et motive les actes, c'est par sa crédiblilité à terme. Sa stucture s'impose à l'homme en justifiant les bienfaits de la loi, intriquant étroitement les facultés de connaître et d'aimer; secret inimitable de son "pouvoir d'invasion", et motif indubitable de sa libéralisation récente sous des régimes athées.


IV.8. L'Ethique, Le Bien-être et La Motivation

L'éthique est un bien-être et non une entrave morale. C'est la communauté scientifique elle-même qui en demande la révision. Les commandements divins, dit Baha'u'llah, sont:

"...les lampes de ma tendre providence... les clefs de ma miséricorde....Ne croyez pas que nous ayons révélé un simple code de lois. Non, plus exactement, c'est le vin de choix que, par les doigts de la force et de pouvoir, Nous avons décacheté..." (42)

"L'objet qui se trouve à la base de la révélation de tout livre céleste, que dis-je ! de chaque verset de révélation divine est d'ouvrir le coeur des hommes au sentiment de justice et d'éveiller en même temps leur intelligence, afin que la paix et la tranquillité puissent fermement s'établir entre eux tous. Tout ce qui inspire confiance, tout ce qui exalte leur condition et accroît leur contentement est recevable aux yeux de Dieu. A quelles sublimes hauteurs l'homme se pourrait élever s'il se décidait à remplir sa destinée; mais à quelles profondeurs d'avilissement ne peut-il descendre, profondeurs que les plus infimes des créatures n'ont jamais atteintes." (43)

Voir le code de la route comme source de sécurité et de mobilité, induit son respect. On se souvient des axes urbains lorsque les feux de signalisation sont en panne... La vraie liberté est la soumission aux lois justes, sources de bien-être collectif...donc pour chacun.

Les lois religieuses, et en particulier la réglementation de la vie sexuelle peuvent être vécues comme un frein. En réalité, canaliser la pulsion sexuelle vers le mariage, favorise les relations pleinement humaines entre hommes et femmes tout en stabilisant le foyer, berceau de la génération naissante. La liberté sexuelle en privilégiant une communication physique, appauvrit le dialogue entre les deux moitiés de la race humaine. Les malentendus et rivalités qu'elle crée, ont souvent motivé une ségrégation des sexes peu propice au dialogue. Adoptant une position très nette, la Foi Baha'ie exclut les relations physiques hors du mariage, tout en encourageant la camaraderie entre hommes et femmes.44 Ainsi elle cultive les relations véritablement humaines au détriment des liens primaires. Le "péché" serait alors un penchant naturel vers l'état animal qui nous accompagne: tendance spontanée au désordre ou à l'entropie. C'est la fleur régressant à l'état quasi minéral d'une épine, ou l'animal se laissant vivre en légume...

Tendre vers"les sublimes hauteurs" , et non vers "les profondeurs d'avilissement" citées plus haut, c'est vouloir vivre dans le but de devenir plus "humain", plus "parfait": concept lié à un idéal. La mortalité par suicide en France dépasse de 25% à 100% celle due aux accidents de la route. A ce chiffre s'ajoute le comportement suicidaire sur route, dans la drogue, l'alcool et le tabac où aucun argument rationnel, ni aucune répression ne remplacera l'idéal, une foi dans l'avenir.

En ouvrant les perspectives d'une épreuve formatrice, d'une pierre d'achoppement dont le franchissement pousse aux "sublimes hauteurs", la vision d'une finalité dont l'accès nécessitera des efforts, la religion ne se présente plus comme un sédatif, mais bien comme générateur de stress, un eu-stress(15) stimulant et bénéfique. De la force vivifiante dégagée par l'exemple du Christ, Baha'u'llah dit:

"Par son sacrifice, il avait insufflé dans toutes les choses crées une capacité nouvelle...La plus grande sagesse professée par les sages, le plus profond savoir qu'esprit posséda jamais, l'art qu'ont pu produire les mains les plus habiles,...ne sont que les manifestations de la puissance de Son transcendant...Esprit." (45)

A cette émulation s'ajoute un élan collectif, vital à la survie de la planète. Quel lien autre que celui du coeur pourrait apaiser le déchirement d'innombrables factions rivales? On lit d'Abdu'l-Baha:

"Les bases de toute la condition économique sont de nature divine, et liées au monde du coeur et d'esprit ...efforcez-vous de créer l'amour dans les coeurs, ...de devenir la cause d'attraction des âmes, plutôt que de contraindre les esprits..." (46)

L'intellect ne peut se substituer à ce lien. Abdu'l-Baha explique:

"...si l'amour de Dieu n'existait pas,... l'affection n'aurait pas remplacé l'indifférence, ...l'étranger ne serait pas devenu l'ami!...Cette transformation des moeurs, cette rectification de la conduite et des paroles sont-elles possibles autrement que par l'amour de Dieu ? Non par Dieu; si à l'aide de la science et de nos connaissances, nous voulions introduire ces moeurs et ces coutumes, certes cela prendrait mille ans, et elles ne se répandraient pas dans la multitude ." (47)


IV.9. Sommet du Materiel, Debut du Spirituel.

Divers courants de pensée, dont "l'hypothèse Gaïa" de Lovelock16, expliquent la planétisation de l'humanité par une convergeance de l'élaboration mythique des hommes: une auto-organisation de l'esprit de façon autonome. Les religions monothéistes, quant à elles, soutiennent l'idée d'une intervention depuis un niveau d'existence intangible d'un élan cohésif. La "construction mythique" de l'homme se ferait alors autour d'un fil d'Ariane, un indispensable souffle d'inspiration, ou encore un "virus" comme l'aiment dire Monod9 ou Morin13 faisant incursion dans le monde des idées. Sans nullement prétendre apporter le dernier mot à ce débat à la charnière des conceptions d'éthique, nous proposons quelques éléments de réflexion tirés des écrits Baha'is.

Le langage pédagogique des enseignements religieux n'est pas à confondre avec une démagogie. Il exprime à l'échelle humaine une réalité intangible: comme le sont le ciel et la mer pour le foetus. D'époque en époque, ce langage évolue, exprimant en termes accessibles une réalité abstraite ou "spirituelle". Le "monstre" de la rivière traduit pour un enfant la noyade. Cette vérité évoluera quand il apprendra à nager.

De même, la nature intime de la réalité Divine, origine première de la chaine de causalité qui mène à notre existence, est inaccessible à l'homme. Les qualités attribuées à Dieu, (puissance, omniscience, omnipotence), sont en réalité les extrapolations de notre compréhension restreinte.(48) Le monde spirituel serait un milieu intangible qui nous entoure tout en échappant à nos cinq sens. L'homme domine au sommet des perfections matérielles tangibles mais entame un monde spirituel intangible par son esprit. En commentant l'organisation de la matière pour le savant Suisse, Auguste FOREL, Abdu'l-Baha écrit en 1921:

"Le monde minéral ignore tout à fait ce qui concerne l'homme...mais ignorer une chose ne prouve pas qu'elle existe pas." (48)

Imaginons les règnes minéral, végétal, animal et humain se poursuivant en des règnes supérieurs en nombre infini(50). Suivons le vécu d'un atome du monde minéral qui perçoit vaguement, sans le comprendre, une racine du monde végétal l'emporter depuis le désordre de son fumier pour le combiner à d'autres atomes. Transposé dans une merveilleuse composition florale au soleil, comment vivrait-il cette unité par des liens "spirituels" avec des molécules si diverses, intégrées à un monde pour lui civilisé? A quelle force attribuerait-il cette transfiguration ?

Aurait-il une faculté rationnelle, il pourrait croire faute d'une preuve objective du contraire, que la composition découle d'une auto-organisation spontanée dont il serait l'unique protagoniste. L'assemblage en plante résulterait de ses labeurs confédératifs mus par une "morale naturelle" : "Si tous les atomes du fumier se donnaient la main, nous ferions une rose"... penserait-il.

Un atome plus perspicace remarquerait que le phénomène de composition coïncide, et fait suite à l'apparition de la graine dans son monde. Il en concluerait objectivement que c'est la graine qui doit manifester le pouvoir unificateur invisible poussant ses semblables à se réunir en molécules, puis en plantes. Il qualifierait de "spirituel" ce monde pour lui intangible, et nommerait "esprit végétal"51 la force unificatrice à l'origine de son progrès. Il déciderait d'appeler Dieu la cause première de la chaîne de causalité "créatrice" ou organisatrice .

Notre supposition est certes gratuite puisqu'elle ne tient pas compte du libre-choix de l'homme; Judas a choisi de ne pas troquer son existence quotidienne contre la voie de transformation que lui proposait le Christ. Il resta dans son "fumier". Saint Pierre, malgré quelques hésitations, s'est attaché à cette racine, se laissant emporter par ses forces vives vers un autre destin, sacrifiant celui de ce monde physique. Qui sait si les molécules du sol ont un pareil choix dans leur tropisme pour la graine? Mais on sait qu'aucune loi physique ne peut infirmer l'hypothèse de mondes hors de la portée de notre perception qui est dejà si restreinte pour saisir les mondes de la matière tangible!

L'orgueil anthropocentrique de l'homme le pousse à nier l'existence d'une réalité au-delà de sa perception. Sachant sa compréhension limitée, il ne peut exclure un tel monde. Connaissant la structure des règnes tangibles, il n'a aucune raison de croire que la complexification s'arrête avec lui. D'autres mondes peuvent exister; il serait même irrationnel de supposer cette vie physique au sommet de l'existence. Au Professeur Forel, Abdu'l-Baha écrit:

"L'aboutissement de cet univers infini, dans toute sa majesté et sa splendeur, c'est l'homme lui-même qui, en cette existence, peine et souffre quelque temps, endure chagrins et maladies puis, à la fin se désagrège...S'il en était ainsi,...cet univers infini, avec toutes ses perfections, aboutirait à une erreur, une disgrâce sans résultat, sans esprit de suite, sans aucune utilité...cette Entreprise grandiose avec toute sa puissance, son effarante splendeur et ses perfections sans limites, ne peut en fin de compte aboutir au néant. Qu'une autre vie existe, est donc certain et, de même que le règne végétal est inconscient de l'existence de l'homme, nous ne conaissons rien non plus de cette grande Existence dans l'au-delà, après la vie sur cette terre. " (48)

Ne lui en déplaise, l'homme n'a pas atteint ici-bas le terme de son accomplissement. Tout comme la plante, summum du minéral et au début du règne animal, il est aux confins de la matérialité et aux prémices de la spiritualité: monde intangible dont le rêve lui en révèle des lueurs.(42)

Ce monde "spirituel", source de notre éthique, doté d'un pouvoir organisateur, le "Saint Esprit"(49),(51), interviendrait donc dans nos vies: comme l'homme, l'animal et le végétal interviennent dans la vie du minéral. De cette alliance régénératrice Abdu'l-Baha dit:

"...pouvoir mystérieux - loin, très loin de la portée des hommes et des anges;... la cause de toutes les activités extérieures. Il émeut les coeurs. Il déchire les montagnes. Il administre les affaires complexes de la Cause. Il inspire les amis. Il brise en mille morceaux toutes les forces d'opposition. Il crée de nouveaux mondes spirituels." (52),

Ce monde qui nous enveloppe, en interaction avec le nôtre, que nous investissons comme le foetus investit le nôtre, recèle des âmes pures ayant abandonné la forme physique et qui représentent, dit Baha'u'llah:

"...le levain qui fait lever le monde de l'être et ils constituent les forces animatrices grâce auxquelles se manifestent les arts et toutes les merveilles de ce monde." (54),v.aussi (53)

Avouer humblement la limite de sa compréhension, est pour l'homme un préalable de la connaissance. Lorsqu'après mûre réflexion il admet ignorer la nature de la cause première de ces mondes nommée Dieu, cet aveu est selon Baha'u'llah :

"...l'apogée de l'intelligence humaine, marque le point culminant du développement de l'homme." (55)

Cet aveu ne dénote ni le fatalisme ni la démission, mais bien les prémices du savoir. L'insaisissable infini fournit des formules mathématiques aboutissant en avions qui volent, en moteurs qui tournent et en lignes de perspective qui s'harmonisent sur un dessin. De même, un point de convergence immatériel permet d'elaborer un ordre social dont la structure évolue de façon comparable à celle de la matière.


IV.10. L'Entropie de la Matière

Evitant l'énigme de l'oeuf et de la poule, on peut dire que la vie c'est l'organisation. Son évolution spontanée est vers l'entropie ou la décomposition. Le pouvoir organisateur ou la néguentropie de la matière vivante a toujours intrigué les savants. Selon Aristote, le principe actif agit sur le principe passif (matière), en l'informant selon un processus apparemment autonome appelé "la génération spontanée".

Le célèbre médecin bruxellois, Van Helmont(1577-1644), va jusqu'à donner une recette pour fabriquer des souris en vingt-et-un jours à l'aide de grains de blé et d'une chemise sale placés dans une caisse. La sueur humaine imprégnant la chemise jouerait le rôle de "principe vital"!56 Alors que Harvey, Descartes et Newton acceptent ces théories sans réticence majeure, le médecin et biologiste Francesco REDI (1626-98) explique l'apparition "spontanée" d'asticots sur la viande par la ponte des oeufs de la mouche. Le microscope d'Antoine van Leeuwenhoek (1632- 1723) révèle le monde des micro-organismes, et en 1862 Louis Pasteur fait enfin voler en éclats la théorie de la "génération spontanée".(56)

L'auto-organisation de la matière donne encore lieu de nos jours à des débats des plus savants. D'un abord très pédagogique, Hubert REEVES(57) expose la passionnante énigme de l'organisation néguentrope de la matière. La deuxième loi de Carnot montre que la matière, depuis les majestueux systèmes galactiques, jusqu'aux infinitésimales particules quantiques, tend spontanément vers le désordre. Alors pourquoi cette lente montée vers l'organisation ?

"Certains veulent y voir la preuve d'une intervention providentielle, d'un "coup de pouce" venu d'ailleurs.... j'essaierai de montrer que la matière possédait, dès les temps les plus lointains, toute l'information requise pour aborder et poursuivre cette ascension. Mais quand on demande, pourquoi la matière recelait-elle cette information ? La science ne nous donne pas (encore...) de réponse."(57)

Ce débat abordé par les écrits Baha'is (48) resurgit, trois siècles après REDI, à l'échelle cosmique. On voit l'homme désoeuvré à l'idée qu'il puisse y avoir un autre maître à bord. La source intangible d'ordre, comble de tout, s'identifierait à l'amertume d'inoubliables conflits avec ceux du clergé qui maniant l'irrationnel tel une arme, ont infligé les pires affronts à l'intelligence humaine: ce qui contribue à l'acharnement du scientisme qui veut l'homme seul dans l'univers9, libre de parenté avec un "père céleste" perçu comme autoritaire et despote, alors que les saintes écritures le décrivent comme généreux et aimant!


IV.11. L'Amour néguentropique

La parenthèse sur l'entropie du tangible close, regardons le monde intangible de l'esprit. Les écrits Baha'is se réfèrent abondamment aux notions d'ordre et de désordre pour illustrer à l'aide des cycles d'entropie saisonnière, la gloire et la décadence des civilisations. Le "principe actif", faute de la terminologie scientifique plus en vogue, pourrait s'appeler l'amour. Ce mot a le mérite d'être largement compris depuis les sociétés les plus démunies de l'Amazonie profonde où l'on ignore le génie de Carnot, jusqu'aux contemplatifs des Indes en passant par les rationalistes les plus accomplis. Cette dialectique qui remonte à la nuit des temps, pourraît encore tenir des siècles, lorsque des mondes plus infimes que celui des quanta, et plus vastes encore que les systèmes galactiques auront été mis à nu par la science.

Les "manifestations divines", sources de néguentropie dans le sens décrit plus haut, propagent l'idée de l'unité. Grâce à leurs enseignements et à l'exemple de leurs vies, l'amour du prochain fait son chemin. Une trame s'esquisse, les éléments disparates et polymorphes s'y intègrent. Sur cet édifice nouveau les activités humaines, dont la science, peuvent se déployer. Sans coordination, ces mêmes activités deviennent inefficaces, désordonnées, voire même nuisibles.

Au fil de l'histoire(58), les grandes civilisations se sont élaborées autour des religions fournissant une éthique cohérente alliant les lois sociales (l'information, cognition) à un vecteur affectif. La loi d'Amour, dont le Christ a été le champion, est justement la force cohésive apte à souder les hommes en harmonisant leurs efforts. Le 16 Août 1912 aux U.S.A., Abdu'l-Baha affirmait:

"Nous déclarons que l'amour est la cause de l'existence de tout phénomène, et que l'absence d'amour est la cause de la désintégration ou de la non-existence. L'amour est le don conscient de Dieu, le lien d'affiliation dans tout phénomène. Lorsque nous regardons l'univers, nous voyons que tous les êtres composés ou phénomènes existants sont constitués à leur origine d'éléments simples liés par une force d'attraction...La force de cohésion exprimée dans le règne mineral, est en réalité l'amour ou l'affinité manifestés dans un degré inférieur selon les exigences du monde minéral. Montons d'un degré dans le règne végétal, nous trouvons qu'un pouvoir accru d'attraction s'est manifesté parmi les éléments....un mélange cellulaire se produit....Nous pénétrons dans le règne animal et découvrons la force d'attraction liant ensemble des éléments simples comme dans le minéral, plus le mélange cellulaire du végétal,plus les phénomènes de sentiments ou de sensibilités...

Nous arrivons finalement au règne humain. Comme c'est le règne supérieur,la lumière de l'amour est plus resplendissante...au-delà et au-dessus de toutes ces forces inférieures, nous découvrons dans l'existence de l'homme l'attraction du coeur, les sensibilités et affinités qui lient les hommes ensemble, leur permettant de vivre et de s'associer dans l'amitié et la solidarité. Si l'amour s'éteignait, si la force d'attraction se dissipait, si l'affinité des coeurs humains était détruite, le phénomène de la vie humaine disparaîtrait." (59)

L'exemple ne s'épuise pas là. Cette superposition des règnes d'organisation, du minéral jusqu'à l'esprit, dans un sens vertical est transposé par Abdu'l-Baha dans un sens horizontal à la complexification de la matière, depuis l'infiniment petit jusqu'à l'infiniment grand :

" L'Amour est la loi suprême dans ce grand univers de Dieu,...la loi de l'ordre entre les substances simples; la loi qui les sépare les réunit ensuite en substances composées dans ce monde matériel. L'Amour est le pouvoir essentiel et magnétique qui régit les planètes et les étoiles brillantes de l'éspace infini. C'est l'Amour qui donne l'impulsion à cette médiation intense et incessante qui révèle les mystères cachés de l'univers." (60)

Formulé dans un language inusité par la science actuelle, l'idée de néguentropie se dégage dans une voie de complexification distincte. Après celle de l'esprit: minéral, végétal, animal, humain et au-delà 51, voilà celle de la matière: atome, planète, système solaire, galaxie.

La gigantesque énigme de la réalité s'étale sous nos yeux. Mots croisés cosmiques dont on saisit quelques dimensions. Majesteuses sont les visions dévoilées par les écrits Baha'is depuis 140 ans: issues d'une société en pleine décomposition, ignorant les plus élémentaires des sciences, et pourtant en parfaite cohérence avec le savoir de nos jours. Mais essayez de résoudre des mots croisés aux définitions de la semaine précédente; colmatez-en les brèches, incohérences et vides; camouflez par dogmes, rites et mystères; étouffez les lucides, par menaces, violences et bûchers. Puis étonnez-vous qu'apostasient les savants éclairés! De "l'écoeurant mélange de religiosité judéo-chrétienne et de progressisme scientiste enseigné à bout de lèvre" Monod écrit:

"...Le divorce est si grand, le mensonge si flagrant, qu'il obsède et déchire la conscience de tout homme pourvu de quelque culture, doué de quelque intelligence et habité par cette anxiété morale qui est la source de toute création."

"...Cette contradiction, est mortelle. C'est elle qui creuse le gouffre que nous voyons s'ouvrir sous nos pas..."(9)


IV.12. Le Ciel fendu

L'apparente incompatibilité entre la science et la religion, découle donc du fait que chaque enseignement est dispensé dans un langage accessible à la compréhension de son temps, en parfait accord, sinon en avance sur la science du jour. La civilisation évoluant, le vocable et les besoins de l'homme changent. Le message initialement pur se charge en dogmes et en rites inintelligibles, devient incompatible avec les connaissances nouvelles. L'incohérence des valeurs mène à la désorganisation; la civilisation tombe en décadence. Seule l'impulsion d'un nouvel enseignement alliant le spirituel à une structure de lois adéquates permet de régénérer l'homme et de faire éclore une nouvelle civilisation. Ainsi, le message du Christ a su, sur les décombres de Rome, fonder une civilisation florissante, portant un coup de grâce au désordre établi. De la plume de Baha'u'llah61, nous apprenons :

"Toutes les fois qu'apparaissent mes lois, tel le soleil dans le ciel de ma parole, elles doivent être fidèlement obéies de tous, lors même que se fendrait, devant un tel décret, le ciel de toutes les religions."

La promesse d'une réapparition, d'une renaissance ou d'un retour cyclique, se retrouve dans toutes les grandes religions. On lit de Krishna, dans le Bhagavat Gita, (Chant des Bienheureux):

"Quand la justice tombe en désuétude et que l'injustice est renforcée, je viens sur terre pour faire triompher le bien et réprimer le mal. Je renais d'âge en âge." (62)

Notons que la Foi Baha'ie ne reconnait pas la réincarnation physique, à contre-sens des lois d'entropie. Chaque messager Divin se dit le "retour" du précédent. Son message ne diffère qu'en mesure de l'évolution de ses destinataires. Les pâquerettes cette année sont le "retour" de celles de l'an dernier, mais les atomes qui les composent sont autrement distribués; il ne peut s'agir d'un retour en arrière.

Chaque année la graine organise les molécules du sol en une plante. Avec la décomposition, les nouvelles graines et le compost, se préparent à entamer une nouvelle composition. Ces cycles naturels d'entropie, loin d'être des répétitions futiles, sont porteurs du mécanisme de l'évolution. Les pâquerettes de cette année seront génétiquement plus évoluées que celles de l'an dernier: il ne s'agit pas d'une régression, mais d'un cycle de perfectionnement renouvelé.

Or si l'animal reçoit génétiquement ce fruit de son héritage, l'homme, pour autant qu'il veuille s'en donner la peine, peut puiser dans les richesses de son patrimoine culturel, évitant les écueils de ses ancêtres pour contribuer au savoir cumulé. Voilà pourquoi depuis des siècles le singe est resté singe et l'homme, lui, a su se raffiner.

De même, chaque religion parachève les précédentes. Le message de Baha'u'llah, est pour ses adeptes, l'étape actuelle mais non l'ultime de cette interminable évolution. Il répond aux nombreuses interrogations de notre science dans un langage adéquat, proposant des lois et des préceptes aptes à établir une civilisation planètaire.

On voit déjà poindre une pousse de cet ordre planétaire qui germe dans les esprits. Baha'u'llah en écrit(36):

"Bientôt le présent ordre des choses sera révolu et un nouvel ordre prendra sa place...le jour approche,ou nous aurons établi un Monde Nouveau en place de l'ancien. Car le pouvoir Divin s'étend sur toutes choses...L'équilibre du monde, a été renversé par les puissantes vibrations de ce très grand, de ce nouvel ordre de choses. Par l'action de ce merveilleux, de ce système unique dont l'oeil mortel n'en avait jamais contemplé de semblable, le mode de vie de l'humanité a été révolutionné...L'ordre des choses qui maintenant prévaut s'avérant d'une lamentable insuffisance, les signes de convulsions et d'un chaos imminent peuvent être discernés."

Peut-on construire un nouvel ordre par syncrétisme? "Certes non", fut la réponse que j'entendis d'un paysan africain: "On ne peut faire revivre un mouton en recollant les morceaux." C'est l'embryon qui a le pouvoir néguentrope. Le christianisme est né lorsque Simon le pêcheur a choisi de suivre le Christ, devenant "un pêcheur d'hommes", source d'attraction, bâtisseur de civilisation, transfiguré en Saint Pierre, se mesurant aux plus grands philosophes de son temps. Une nouvelle "cité" requiert un nouveau "ciel" pour se structurer(voir IV.5) auquel Saint Jean fait allusion dans son Apocalypse:

"Je vis un nouveau ciel et une nouvelle terre, car le premier ciel et la première terre avaient disparu... et je vis descendre du ciel, d'auprès de Dieu, la ville sainte, la nouvelle Jérusalem, prête comme une épouse qui s'est parée pour son époux. J'entendis du trône une forte voix qui disait : Voici le tabernacle de Dieu avec les hommes " (21:1-3)

Il faut noter que le "tabernacle", dit la "tente d'assignation" chez les anciens hébreux, était le lieu où l'on attribuait des qualités, des propriétés, des valeurs aux choses. L'autre appellation, la "tente du rendez-vous", dénote un terrain d'entente et d'union. Le "tabernacle" peut donc désigner un code de référence, une éthique. Saint Jean continue ce récit en présageant une mutation dans l'éthique:

"...Celui qui était assis sur le trône dit: Voici, je fais toutes choses nouvelles. " (21:5)


V .ETHIQUE ET MUTATION

V.1. L'Ethique déboussolée


"Nos vielles boussoles s'affolent et nous n'en avons pas de nouvelles", dit Jean IMBERT63. Albert JACQUARD(64), se demande à quoi bon aller vite si l'on ignore la direction. Un vieux rafiot vers une bonne destination vaut mieux qu'un luxueux paquebot en dérive. Alors comment diriger l'humanité dont le vaisseau spatial La Terre, dit Morin, est co-piloté par les membres de la race humaine toute entière?

Le code de valeurs, la "Cité" ou le "Tabernacle" fournit une indispensable structure dont la multiplicité entrave la communication. Or, peut-on envisager une inter-relation pluriculturelle sans désordre, tout en sauvegardant la diversité, notre patrimoine de richesse planétaire?

L'affaire Nestlé a montré que les règles de marketing valables aux U.S.A. pouvaient être désastreuses dans le tiers monde. "The American Way of Life" n'apporte pas que des bienfaits aux esquimaux. Faut-il faire machine-arrière et refermer les frontières? Peut-on relier la circulation à gauche de nos amis britanniques, celle de la Chine, le cinquième de nos frères humains qui démarrent au feu rouge, avec celle du continent europeén? Notre mutation est d'abord géographique, découlant du retrécissement virtuel de la planète et le brassage culturel conséquent, elle est ensuite historique, rançon de la marche inexorable du temps.


V.2. Ethique, Mondialisme et Diversité

Nos ancêtres vivaient leurs traditions ignorant les autres cultures. Le transport et l'audio-visuel ont révélé d'innombrables modes de vie, ébranlant la certitude de chacun pour le sien. Une pratique horrifiante ici peut être un élément d'intégration indispensable ailleurs.

Les pieds bandés des chinoises, l'immolation des hindoues sur le catafalque funéraire de leurs époux et l'excision des africaines sont des exemples de pratiques ancrées dans les traditions et qui constituent un support majeur à l'identité. Les féministes européennes, battant campagne contre l'excision, ont été stupéfaites de l'indignation de leurs soeurs africaines devant l'ingérence dans leurs coutumes. L'interdiction du port du tchador en Iran par Reza Chah, père du souverain dernièrement déchu, conduisit de nombreuses femmes, se sentant "nues", à ne plus se montrer en public! On comprend Jean DAUSSET(65) qui ne voit pas l'éthique comme universelle, mais fonction de la culture. Le Conseil National de l'Ordre des Médecins, sous la plume de Raymond VILLEY66 remarque:

"..la morale en médecine soulève à notre époque des grandes controverses du fait du pluralisme philosophique de notre société, dont une fraction montre une tendance à nier la morale, une autre s'invente une morale de commodité, une autre encore n'admet plus que des morales individuelles."

"Laissons aux philosophes le soin de discourir sur les fondements de la morale, je désire rester pragmatique, parce que la médecine l'est forcément. Nous avons le droit de penser qu'il existe une éthique, au moins comme une esthétique: la cruauté, la lâcheté, l'égoïsme, sont laids..."

Il nous renvoie ensuite à la morale naturelle, "qui parle au-dedans de nous", pour conclure modestement:

"...la science n'est pas tout, elle n'apporte pas tout. Son domaine est le VRAI qui ne coïncide pas forcement avec le BIEN."66

La balle restera dans le camp des moralistes tant que les comités auxquels ils participent ne disposent des règles d'une éthique générale. L'indispensable tolérance à l'égard d'autres cultures est insuffisante. La vie c'est d'abord la diversité: un corps aux éléments dissemblables fonctionnant en parfaite harmonie. C'est ensuite la communication et non la tolérance magnanime et le chacun pour soi. Les constituants d'un objet uniforme et homogène se tolèrent éminemment bien mais ne collaborent pas. Le cancer est un parfait exemple d'une structure autonome dépourvue de réciprocité. Dans une fureur d'extension totalitaire, il dévie à son actif le métabolisme du sujet investi. L'expansion de sa structure monolithique aboutit à une nécrobiose auto-destructive à moins qu'elle n'achève d'abord l'organisme hôte, source même de sa vie!

La diversité peut être sauvegardée, en protégeant la couleur locale dans le cadre d'une éthique générale. Aucune région du globe aussi éloignée soit-elle ne peut-être laissée pour compte en prétextant la non-ingérence. Le corps entier réagit quand l'orteil souffre. De cette homéostasie planétaire Baha'u'llah écrit:

"O vous, élus du peuple pour le représenter en chaque pays! Consultez vous, et dans toutes vos déliberations, n'ayez souci que de ce qui est profitable à l'humanité et de manière à ameliorer sa condition... Voyez dans le monde l'image du corps humain qui, parfaitement sain lors de sa création, se trouve ensuite, sous l'effet de causes diverses, affligé de désordres et de maladies graves. Pas un seul jour, les souffrances de ce corps malade n'ont été allégées et, pis encore son état s'est aggravé par le traitement des médecins ignorants, qui, donnant libre cours à leurs idées personnelles, se sont gravement trompés. Et si parfois, par les soins d'un médecin capable, la maladie était guérie en un point du corps, les autres parties restaient affectées par le mal." (67)


V.3. Un Arbitrage planétaire

Si tel aliment, habillement ou hébergement est adapté aux besoins des Esquimaux, Zoulous ou Indiens, telles autres pratiques ne sont plus tolérables sur une planète aux peuples intimement interdépendants. Ainsi, les "droits naturels" à l'anthropophagie, au cuissage, à la polygamie, à la morphinomanie ou à l'infanticide féminin... si elles s'avèrent nuisibles à l'intégrité physique ou morale de notre planète, doivent disparaître sous la direction d'un d'arbitrage planétaire.

Des fléaux, tels que la famine le terrorisme ou les menaces écologiques, ne trouveront jamais de remède sans une action concertée à l'échelle planétaire. Une activité nuisible aux voisins peut s'avèrer bénéfique à la survie d'un régime. Certaines économies subsistent grâce à la production de la cocaïne, de l'héroïne ou d'armes. A ces problèmes vitaux s'ajoutent les entraves à la communication tels les langues, les poids et les mesures, les monnaies, les normes audio-visuelles, et les diplômes...dont toute solution locale serait impensable.

Un consensus, soutenu par un organisme d'arbitrage planétaire est envisagé par la Foi Baha'ie. Ses institutions locales, nationales et internationales, déjà en place, canalisent l'information entre un centre mondial et chacune des quelques 120 000 localités à travers le monde: un Ordre Administratif, embryon du modèle prescrit par Baha'u'llah.

Un tel système exige un ingrédient spirituel d'unité dans la pensée, au moins dans les grandes lignes, sinon dans les détails. Jean Moulin, héros ici, fut un terroriste pour d'autres; un acte de dévotion pour les uns, est du fanatisme pour d'autres. Les pensées, les convictions, précèdent et orchestrent les actes; l'éthique planétaire implique un étalon, une "pierre de touche", un idéal de référence unifiant spirituellement la planète: mutation profonde, de longue haleine, mais inéluctable à terme.


V.4. L'Entropie historique

La mutation géographique se double de l'usure du temps; la structure vieillit et ne suit plus la croissance. Pour transformer un plan de circulation routière, on passe par des gros travaux, des déviations et le chaos. Plus le système est complexe, plus le désordre sera grand: on refait plus facilement la piste du désert que l'axe urbain.

De même, une mutation sociale détrône le consensus en vigeur et exige des efforts d'adaptation. La transformation physique requiert un changement des mentalités, entraîne une "crise de valeurs", un "ciel fendu". La société complexe se transforme plus difficilement qu'un territoire vierge. Les riches, les esprits élaborés, pénètrent plus difficilement au "Royaume de Dieu" que les "pauvres en esprit" ou "les enfants". Saint Paul a eu plus de mal que Saint Pierre.

Le thème de la mutation, largement développé dans les écrits Baha'is, est plus spécifiquement détaillé par Shoghi Effendi dans sa lettre du 11 mars 1936, publiée sous le titre "Vers l'Apogée de la Race Humaine". Ce fil conducteur de l'éthique Baha'ie, explique la mutation de notre monde par un double processus d'intégration et de désintégration. Il cite les écrits de Baha'u'llah:

"L'ordre de choses qui maintenant prévaut, s'avérant d'une lamentable insuffisance, les signes de convulsions et d'un chaos imminent peuvent être discernés....Bientôt le présent ordre des choses sera revolu et un nouvel ordre prendra sa place." (36)

"L'équilibre du monde a été détruit sous l'action vibrante de ce très grand, de ce nouvel ordre mondial. L'ordre sur lequel reposait jusque-là l'humanité a été révolutionné par cet unique et merveilleux système, dont les yeux mortels n'avaient jamais vu l'équivalent" (68)

Puis, Shoghi Effendi estime notre situation:

" ...au seuil d'un âge dont les convulsions proclament à la fois les affres de l'agonie d'un monde et les proches douleurs de l'enfantement de l'autre... Nous le sentons remuer dans le sein d'un âge en travail, qui attend l'heure déjà fixée où il sera délivré de son fardeau et portera son plus beau fruit."

Ensuite il cite à nouveau Baha'u'llah:

"La terre entière est en état de gestation.... l'homme lui-même a été investi des dons de l'intelligence et du savoir...le temps approche où toute chose créée aura rejeté son fardeau." (69)

Le déclin de la religion, responsable de la dégradation et de la perversité humaines, mène à la discorde et au chaos:

"Le caractère humain est avili,la confiance ébranlée, les muscles et les nerfs de la discipline sont relâchés, la voix de la conscience humaine est étouffée, le sentiment de la pudeur obscurci, les conceptions du devoir, de la solidarité, de la réciprocité et de loyauté entièrement faussées, et le sens même de la paix, de l'espoir et de la joie va peu à peu s'éteignant." (37)

Il exprime alors la néguentropie de la révélation divine:

" Le mouvement constructeur, qui se confond avec le développement de la Foi de Baha'u'llah, est le mouvement précurseur du Nouvel Ordre de Choses que cette Foi doit établir avant longtemps. Quant aux forces destructives qui caractérisent l'autre mouvement, elles se confondent, elles, avec une civilisation qui a refusé de répondre à l'attente d'un âge nouveau et qui, en conséquence, décline et tend vers le chaos." (36)


V.5. Le Choc du Futur


Toffler(70) désigne comme victimes du "choc du futur" ceux qui subissent les revers d'une adaptation difficile aux changements vertigineux de notre temps. Il s'est passé plus de choses depuis ma naissance, dit-il, qu'entre celle de Jules César et la mienne! Peu étonnant que l'écoulement du temps inflige un choc comparable au choc culturel que subirait un pygmée transplanté à New York!

Le désordre de cette transition historique, doit nous pousser vers la seule voie d'issue: une nouvelle structure. Or certains regrettent l'ordre précédent et souhaitent arrêter le progrès pour retourner à la bonne vieille structure d'antan. C'est le propre de l'intégrisme.

L'attachement légitime à la structure de la loi peut se faire au détriment de l'esprit de la loi; le récit du grand inquisiteur de Dostoievski dans "Les Frères Karamazov" illustre remarquablement bien cette vérité. Le Christ de retour, l'inquisiteur se prépare à l'exécuter, craignant qu'il ne perturbe l'ordre et le pouvoir établis!

Baha'u'llah rappelle la consternation des fidèles de Mahomet lorsqu'au cours d'une prière il change soudain l'orientation du point habituel d'adoration de Jerusalem vers le Ka'bih de la Mécque; épreuve qui mena à de nombreuses défections dans leurs rangs (32) Un bouleversement similaire, il y a à peine 140 ans, mit à l'épreuve les fidèles du Bab, dont certains renièrent leur foi, attentant même à leur propre vie pour avoir vu Tahirih "la pure", poétesse et première disciple féminine du Bab, se montrer publiquement sans tchador. Elle avait choisi lors du rassemblement de Badasht de sonner le glas de l'ordre ancien, annonçant l'émancipation féminine et l'ère nouvelle.

Autres événements comparables: Jésus renvoyant les marchands de la synagogue, ou bouleversant l'ordre établi en se déclarant Seigneur du Sabbath, institution qui structure le peuple d'Israël jusqu'à nos jours. Du choc qu'une telle mutation inflige, Baha'u'llah dit:

" Sache que l'essence de justice et la source d'où elle dérive s'incarnent dans les préceptes prescrits par Celui qui est la manifestation de Dieu Lui-même parmi les hommes...Même si sa loi devait semer l'épouvante dans les coeurs...cette loi ne serait encore que justice manifeste. Les troubles et la terreur que la révélation de cette loi peut jetter dans les coeurs sont comparables aux cris d'effroi du bébé privé du sein de sa mère....Si les hommes pouvaient pénétrer l'intention profonde de la révélation divine, ils rejetteraient toute crainte,et leur coeur se remplirait même d'allégresse et de gratitude." (71)

D'autres, trop bien adaptés au désordre, voient cet état comme le trait distinctif et final d'une société tolérante et évoluée. Plus de consensus, plus de structure, il faut interdire d'interdire, s'habituer au "chacun pour soi" et s'installer dans la "révolution continue".

Raymond Aron qualifiait d'hémiplégiques ceux qui se disaient de droite ou de gauche. L'ordre comme le changement sont nécéssaires. Le printemps et l'automne se caractérisent par l'intégration et la désintégration, entrecoupées d'un temps de stabilité relative. Ainsi évolue la vie, de façon cyclique. Les arbres gardent troncs et branches, le feuillage change. Pour la civilisation, La Vérité spirituelle subsiste immuable, la parure des lois et du langage se renouvelle. On peut souhaiter une mutation dans l'ordre, sans faire l'apologie du chaos.


V.6. Ethique et Circonstance


Le but de l'éthique étant le bien-être général, le "mal" désigne les circonstances qui nous sont défavorables. Pour le berger le loup est un "mal", mais s'il voulait élever des loups, les brebis seraient la nourriture de son élevage. Au Moyen Age, le "mal de Saint Antoine" faisait ravage, aboutissant à des amputations et des morts. Sa cause, l'ergot, parasite du seigle, démontra des vertus qui le placent aujourd'hui à la tête d'une grande famille pharmaceutique. D'un autre "mal", la pourriture des oranges, Flemming isola la pénicilline. Les "méchants" microbes, jadis ennemis "numéro un" de la santé publique, participent à une écologie intestinale vitale à notre survie. Les exemples de ce genre abondent. Rien n'est un "mal" en soi; les circonstances particulières déterminent l'effet néfaste ou bénéfique. Baha'u'llah, désigne la révélation divine comme l'étalon ou la "balance infaillible" déterminant le "bien" et le "mal" de la condition humaine:

"Lorsque la lumière de mon nom, l'Omnipénétrant a répandu son éclat sur le monde, toute chose créée a été, selon un décret immuable, douée de la capacité d'exercer une influence particulière. Considère, par exemple, les effets du poison. Encore que mortel, celui-ci, dans certaines conditions peut exercer une influence bienfaisante." (72)

Aucune technique n'est à condamner définitivement et irrémediablement car en des circonstances particulières, elle peut s'avérer utile. En temps de guerre ou de catastrophe naturelle on pratique parfois une amputation pour une blessure bénéficiant d'un traitement conservateur en temps normal. Cette décision qui découle des risques septiques vitaux liés aux conditions exceptionnelles serait autrement inconcevable. On peut imaginer des cas précis, à définir scrupuleusement, en fonction des circonstances ou du contexte social, où l'avortement, la congélation d'embryons, l'abstention thérapeutique, voire même le combat, pourront être acceptés dans l'intérêt de la race humaine.

Cette casuistique, dans le sens noble du terme, s'effectuera dans le cadre des limites explicitement établies par Baha'u'llah: l'ordre administratif dont il a clairement stipulé le fonctionnement, se "consultant" pour répondre aux exigences de chaque époque. Il écrit:

"Tout âge a son problème propre, toute âme son aspiration particulière. Le remède qui convient aux afflictions du présent jour ne saurait être celui que réclameront les maux d'un âge ultérieur. Enquérez-vous soigneusement des besoins de l'âge où vous vivez et que toutes vos délibérations portent sur ce que cet âge exige et requiert." (73)

Pour les Baha'is, c'est à La Maison Universelle de Justice, leur corps suprême, qu'il incombera d' estimer ces besoins et de légiférer en abrogeant, le cas échéant, les décisions prises antérieurement par elle-même ou par ses prédécésseurs:

"...Puisque chaque jour il y a un nouveau problème, et pour chaque problème il y a une solution appropriée, de telles matières doivent être transmises à la Maison de Justice pour que ses membres puissent agir selon les besoins et les exigences de l'époque." (74)


V.7. L'Ethique et sa Réaction

Le but de l'éthique c'est le bien-être, mais le code marque les mentalités. Les débats actuels sur la santé reflètent les problèmes économiques, mais les restrictions budgétaires coexistent avec un état de belligérance qui rend le monde exsangue malgré les richesses phénoménales offertes par la science. Des quelques 800 milliards de dollars engloutis chaque année en armement, 3% suffirait à nourrir notre planète dont les deux tiers meurent de faim. A ces chiffres ahurissants, il faut ajouter les pertes économiques collosales liées à la non-collaboration et au vieillissement de la population occidentale.

Ce dernier traduit d'abord le fléchissement de la natalité, par crainte de responsabilité parentale et la baisse du pouvoir d'achat. Chaque enfant est vu comme un consommateur de plus, alors que l'être humain est d'abord un producteur. L'âge moyen s'élève aussi grâce à la baisse de mortalité, victoire de la prophylaxie et du progrès dans les soins de chirurgie et de réanimation du sujet âgé. Or les infrastructures d'accueil et d'intégration des personnes âgées sont côuteuses. Le financement des caisses devient malaisé: par diminution du nombre de cotisants en activité, et par l'augmentation du nombre des bénéficiaires en vie. Un choix économique s'impose car ce budget pourrait servir ailleurs. On voit poindre un débat sur l'opportunité de soins coûteux aux vieillards, les plus gros consommateurs de santé.

L'acharnement est condamnable; discuter la nature des soins aux handicapés, vieillards ou cancéreux est inévitable. Or l'argument économique rationnel, défendable à brève échéance, peut devenir néfaste s'il propage l'idée qu'il est licite de se décharger des foetus, handicapés ou vieillards encombrants, improductifs ou côuteux.

Un débat similaire réclame le droit de mourir sous prétexte d'un choix légitime de chacun à disposer de sa propre vie. En pratique journalière, ceux qui souhaitent mourir ne choissisent pas entre la vie et la mort, mais bien entre la misère, la souffrance, et la mort. Parfois, la demande d'euthanasie n'émane pas du malade, mais de son entourage. Elle viserait alors à abréger la souffrance du patient mais aussi celle d'une famille: affligée par l'insupportable spectacle de déchéance qui s'abbat sur l'être cher, par les charges financières et les lourdes contraintes de garde. Combien de fois n'a-t-on vu un brillant succès thérapeutique se solder par un drame au sein de la famille qui reçoit un vieillard diminué ? Il est alors plus aisé d'offrir un choix entre la misère et la mort qu'un réel soulagement physique et moral. Toute prise de position d'ordre éthique confirmerait ou endiguerait cette tendance. Une véritable interaction, un feed-back, s'établit entre l'éthique et l'état d'esprit qu'elle cultive au sein de la société.

La science dispose de moyens efficaces pour soulager la douleur. La société devrait s'en donner pour réduire la misère physique et affective; c'est là, la voie du progrès. Ouvrir une voie de facilité, serait mettre le doigt dans l'engrenage de la régression. Les médecins du monde entier devraient exiger le prélèvement du coût de soins aux vieillards et aux handicapés sur le budget militaire de leurs états respectifs. L'économie en serait supérieure à ce que l'abstention thérapeutique permettrait d'escompter!

Sans préjuger du devenir de l'âme ou du vécu du foetus, du vieillard, ou du dément, une vérité indéniable s'impose: l'éthique, ne fût-ce que l'attitude envers un cadavre ou l'esthétique vestimentaire, à des répercussions sur le vécu des témoins du spectacle. Abdu'l-Baha écrit:

"La propreté extérieure, quoique de nature strictement matérielle, a une grande influence sur la spiritualité" (75)

Ainsi, l'éthique collective et la conduite individuelle se consolident mutuellement, libérant les immenses richesses de la potentialité humaine augurées par l'étonnante promesse du Bab faite en 1844:

"Nul ne connaît encore le secret du Jour qui doit venir. Il ne peut être divulgué et nul ne peut s'en faire une idée.

L'enfant nouveau-né de ce Jour sera plus avancé que les hommes les plus sages et les plus vénérables de notre temps. Le plus humble, le plus ignorant de cette époque-là surpassera en connaissances les théologiens les plus érudits et les plus accomplis de nos jours."27


V.8. Le Choix

En guise de conclusion, nous pouvons citer cette phrase du Message de la Maison Universelle de Justice concernant le processus inéluctable de la Paix Mondiale:

"Tous les habitants de la terre doivent décider s'ils parviendront à cette paix en empruntant un chemin pavé d'horreurs inconcevables nées de l'attachement tenace de l'humanité envers d'anciens modèles de comportement ou bien, en optant spontanément pour la paix dans une affirmation de volonté conjointe." (76)

Face à cette mutation inexorable, l'enjeu de l'éthique est la survie de la race humaine au sein d'un nouvel ordre mondial, protégeant la diversité dans le cadre d'un arbitrage planétaire. Cette planétisation de l'humanité réclame un renouveau en esprit.

Pour les uns, cette restructuration, dont la naissance est saluée par divers courants de pensée, se ferait par une auto-organisation autonome de l'esprit humain. Pour les Baha'is, l'homme animé par une hypothétique "morale naturelle" ne peut parachever une telle entreprise. L'information et la force de néguentropie, artisans de telles mutations sociales, seraient données au monde d'époque en époque dans les messages des révélations monothéistes. Celui offert au monde par la Foi Baha'ie depuis près d'un siècle et demi, propose à la fois l'esquisse d'une civilisation mondiale et les lois et préceptes aptes à fournir les étalons d'une éthique universelle, sans exclure une adaptation aux besoins spécifiques de chaque culture et époque.

Ainsi reconciliées, la science et la religion prendront part à une nouvelle éthique, contribuant à créer des liens d'amour et d'unité au lieu d'alimenter les conflits.


BIBLIOGRAPHIE

1 GUICHERD Catherine, L'Eglise Catholique et la Politique de défence, Thèse Inst.Univ.de Htes Etudes, Genève 1987.

2 ELLUL Jacques, Pouvoirs de la Science, Un siècle de prise de Conscience,Centre de Recherche d'Histoire des Idées, Univ. de Nice, Librairie Philo. J.Vrin.

3 RIBES Bruno, Biologie et Ethique,UNESCO 1978.Voir aussi: Science et Symboles, Colloque de Tsukuba, Ed. Albin Michel, France Culture et egalement ibid 65.

4 Encycl. Brittanica

5 voir le film "L'enfant Sauvage" de Truffaut

6 in FOURASTIE Jean,Le Long Chemin des Hommes, Laffont,1976.

7 MONOD Jacques, Le Hazard et la Nécessité, Seuil, 1970, p186.

8 in ibid. 6, p212.

9 ibid. 7, pp177-194

10 ibid. 6, pp7,25.

11 ibid. p170

12 ibid. p203

13 MORIN Edgar, Le Paradigme perdu: La nature humaine, Seuil pp226-233

14 de ROSNAY Joel, Le Macroscope, Vers une Vision Globale, Seuil, Points, pp218-274

15 YAZDANI Farhan, Les Deux Ailes d'un Oiseau, ou une Introduction à la Conception Baha'ie de la Santé, Thèse Univ de Lyon, 1976.

16 LOVELOCK J.E., La Terre est un Etre Vivant, Ed.Rocher

17 BRUNO Giordano, L'Infini,l'Univers et les Mondes, Edit.Berg Internat.

18 NAMER Emile, L'Affaire Galilée, Gallimard, 1975.; voir aussi: MAURY J-P, Galilée, le Messager des étoiles, Découverts Gallimard.

19 BAHA'U'LLAH, Extraits des Ecrits, §LXXXI

20 BAHA'U'LLAH, Extraits des Ecrits, §XIII (M.E.B.)

21 ABDU'L-BAHA, Les Bases de l'Unité du Monde. (M.E.B.)

22 ABDU'L-BAHA, Causeries à Paris, 1911. (M.E.B.)

23 AFROUKHTEH Youness, Dr., Mémoires de Neuf Ans

24 ABDU'L-BAHA, Leçons de St Jean d'Acre, §LXXIV, P.U.F

25 BAHA'U'LLAH, Extraits des Ecrits, §XLIII

26 ABDU'L-BAHA, ibid 24,§LXXVIII

27 BAB, Epitre aux Lettres du Vivant. (M.E.B.)

28 BAHA'U'LLAH, Prayers and Meditations,§44 (M.E.B.)

29 BAHA'U'LLAH, Extraits des Ecrits, §LXXXVI.

30 BAHA'U'LLAH, Extraits des Ecrits, §XLIII

31 VERDET J.P, Le Ciel Ordre et Désordre, Gallimard

32 BAHA'U'LLAH, Livre de la Certitude, P.U.F.

33 BAHA'U'LLAH, Extraits des Ecrits,§CLV

34 BAHA'U'LLAH, Extraits des Ecrits, §XCVIII,§LXX

35 BAHA'U'LLAH, Extraits des Ecrits, §CXXV, ibid 32

36 SHOGHI EFFENDI, Vers l'Apogée de la Race Humaine(M.E.B.)

37 voir aussi: BAHA'U'LLAH, Extraits des Ecrits, §XXXIV

38 ibid. 36, p37

39 BAHA'U'LLAH, Extraits des Ecrits, §CLV

40 BAHA'U'LLAH, Extraits des Ecrits, §CXXXI, voir aussi §CXXXIX

41 BAHA'U'LLAH, Extraits des Ecrits, §CXXXIII

42 BAHA'U'LLAH, Extraits des Ecrits, §CLV

43 BAHA'U'LLAH, Extraits des Ecrits, §CI

44 SHOGHI EFFENDI,in Baha'i Mariage and Family Life, §43p14(M.E.B.)

45 BAHA'U'LLAH, Extraits des Ecrits, §XXXVI

46 BALUZI, Abdu'l-Baha, Biographie, p232; également dans Promulgation of Universal Peace,p233-34

47 ibid. 24,§LXXXIV.

48 ABDU'L-BAHA, Lettre au Prof.FOREL(M.E.B.)

49 ABDU'L-BAHA, Causeries à Paris, 18 Nov 1911. (M.E.B.)

50 BAHA'U'LLAH, Extraits des Ecrits, §LXXIX

51 ABDU'L-BAHA, ibid 24,§XXXVI.

52 ABDU'L-BAHA, Covenant of Baha'u'llah, p70, in: Pouvoir de l'Alliance, 1ère partie, ASN des Baha'is du Canada

53 BAHA'U'LLAH, Extraits des Ecrits, §LXXXI

54 BAHA'U'LLAH, Extraits des Ecrits, §LXXXII, voir aussi§LXXX

55 BAHA'U'LLAH, Extraits des Ecrits, §LXXXIII

56 de ROSNAY J., Les Origines de la Vie, Seuil.

57 REEVES Hubert,L'Heure de s'Enivrer,Seuil.

58 TOYNBEE Arnold, L'Histoire.

59 ibid. 21

60 ABDU'L-BAHA,Baha'i World Vol.II p50,in Baha'i Family Life,ibid 44 p98

61 BAHA'U'LLAH, Extraits des Ecrits, §CLV

62 HOFFMAN David,Renaissance de la Civilisation.

63 IMBERT Jean,in ibid 66

64 JACQUARD Albert, L'Héritage de la Liberté, Seuil,Sc.Ouvertes, 1986

65 DAUSSET Jean, in: La Science Face aux Confins de la Connaissance, Coll.International, La Déclaration de Venise, Ed.du Félin.

66 VILLEY Raymond,8 Novembre 1986, L'Ethique Vue par l'Ordre des Méd.

67 BAHA'U'LLAH, Extraits des Ecrits, §CXX

68 BAHA'U'LLAH, Extraits des Ecrits, §LXX

69 ibid. 36, p15

70 Toffler Alvin, Le Choc du Futur, Bibl. Méditations, Paris.

71 BAHA'U'LLAH, Extraits des Ecrits, §LXXXVIII

72 BAHA'U'LLAH, Extraits des Ecrits, §XCIII

73 BAHA'U'LLAH, Extraits des Ecrits, §CVI

74 BAHA'U'LLAH,Tab. Ishraqat, 8ème Ishraq(M.E.B.)

75 ESSELMONT J.E., Baha'u'llah et l'Ere Nouvelle, p134. (M.E.B.)

76 MAISON UNIVERSELLE DE JUSTICE, Message de la Paix

BIBLIOGRAPHIE COMPLEMENTAIRE:
(remerciements Mme Marlène JOSEPH, MJC de Novel, Annecy)

ATLAN H., A Tort ou à Raison, Ed. Seuil

CAZENAVE M., La Science et l'âme du monde, Imago

CLAUDE BERNARD, Introd. à l'Etude de la Méd. Experimentale, Laffont.

JACQUARD A.,Les Scientifiques Parlent, Ed.Hachette. Moi et les Autres, Ed. Seuil Inventer l'Homme, Le Genre Humain

LAGADEC P., La Civilisation du Risque, Ed. Seuil

LEVY LEBLOND J.M., Mettre la Science en Culture, A.N.A.I.S.

SCHWARZENBERG L., Requiem pour la vie, LGF.

TESTARD J., L'Oeuf Transparant, Ed. Flammarion

THEILHARD de CHARDIN P.,Le Phénomène Humain, Seuil Points

TOURRAINE J.L., Hors de la Bulle, Ed. Flammarion

Ethique corps et âme, Revue Autrement

La Science et ses doubles, Revue Autrement

( M.E.B.: Maison des Editions Baha'ies, 54, rue Stanley,1180 BRUXELLES)

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