BAHA'U'LLAH ET L'ÈRE NOUVELLE
Une introduction à la foi baha'ie


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4. ABDU'L-BAHA: LE SERVITEUR DE DIEU

"Quand l'océan de ma présence aura reflué et que le livre de ma révélation sera achevé, tournez vos visages vers celui que Dieu a désigné et qui est issu de l'Antique Racine." (BAHA'U'LLAH)

4.1. Naissance et enfance

'Abbas Effendi qui, par la suite, reçut le titre de 'Abdu'l-Baha (c'est-à-dire le serviteur de Baha) était l'aîné des fils de Baha'u'llah. Il naquit à Tihran le 23 mai 1844, peu avant minuit, le soir même où le Bab déclarait sa mission. [Jeudi, 5 jumadi I, 1260 A.H.].

Il avait neuf ans lorsque son père, auquel il était déjà tout dévoué, fut jeté dans la forteresse de Tihran. La foule mit leur maison à sac, la famille fut dépouillée de tous ses biens et abandonnée dans le dénuement. 'Abdu'l-Baha raconte qu'un jour il obtint la permission d'entrer dans la cour de la prison pour voir son père bien-aimé, alors que celui-ci faisait sa promenade quotidienne. Baha'u'llah avait terriblement changé. Il pouvait à peine marcher tant il était affaibli; les cheveux et la barbe en désordre, le cou tuméfié et enflé par la pression d'un lourd collier d'acier, le corps ployé sous le poids des chaînes. Cette affreuse vision imprima dans l'esprit de cet enfant sensible un souvenir pénible et inoubliable.

Pendant la première année de leur séjour à Baghdad, dix ans avant que Baha'u'llah ne déclarât publiquement sa mission, 'Abdu'l-Baha--qui n'avait que neuf ans--fut amené, par sa fine intuition, à la conviction que son père était réellement le Promis dont tous les disciples du Bab attendaient l'apparition. Environ soixante années plus tard, il décrit ainsi l'instant où cette certitude envahit soudainement tout son être:

"Je suis le serviteur de la Perfection bénie. À Baghdad, j'étais encore tout jeune. C'est là qu'il m'annonça alors qu'il était le Verbe et que je crus en lui. Aussitôt qu'il me fit cette proclamation, je me jetai à ses pieds sacrés, l'implorant et le suppliant d'accepter mon sang en guise de sacrifice dans son chemin. Sacrifice! Quelle douceur j'éprouve à prononcer ce mot! Il n'est pas de plus grande grâce pour moi que celle-là! Quelle gloire plus grande puis-je concevoir que celle de voir ce cou enchaîné en son nom, ces pieds mis aux fers pour l'amour de lui, ce corps mutilé ou jeté dans les profondeurs de la mer en offrande pour sa cause? Si nous sommes vraiment ses amis sincères, si réellement je suis son fidèle serviteur, je dois sacrifier ma vie et tout mon être à son seuil béni." (Journal de Mirza Ahmad Sohrab, janvier 1914.)

Vers cette époque, les amis de 'Abdu'l-Baha commencèrent à l'appeler le "Mystère de Dieu" titre donné par Baha'u'llah et sous lequel il fut généralement connu pendant le séjour à Baghdad.

Lorsque son père se retira dans le désert pendant deux ans, 'Abbas en eut le coeur brisé. Sa meilleure consolation consistait à copier et à apprendre par coeur les Tablettes du Bab et il passait la plus grande partie de son temps en méditation solitaire. Quand enfin son père revint, l'enfant fut transporté de joie.


4.2. Jeunesse

Désormais, il fut le compagnon le plus intime de son père, sinon son protecteur. Encore adolescent, il montrait déjà une perspicacité et une sagesse étonnantes, et c'est lui qui était chargé de recevoir les visiteurs qui venaient voir son père. S'il voyait en eux de véritables chercheurs de vérité, il les présentait à son père; sinon, il ne leur permettait pas de l'importuner. En maintes occasions, il l'aida à répondre aux questions et à résoudre les problèmes posés par ces visiteurs. Par exemple, un des chefs soufis, nommé 'Ali Shawkat Pasha, demanda une explication de la phrase: "J'étais un mystère caché" qui figure dans un texte musulman bien connu [Ce texte est cité dans une Tablette de Baha'u'llah. Voyez chap. 5 de ce livre]. Baha'u'llah se tourna alors vers le Mystère de Dieu, 'Abbas, et lui demanda d'écrire l'explication. Le jeune homme, qui n'avait alors que quinze ou seize ans, composa sur-le-champ une importante épître fournissant une explication si lumineuse que Shawkat Pasha en fut stupéfait. Cette épître est aujourd'hui largement répandue parmi les baha'is et bien connue, même en dehors de la foi baha'ie.

À cette époque, 'Abbas visitait souvent les mosquées où il discutait de théologie avec les docteurs et les érudits. Il ne fréquenta jamais ni école ni collège et son seul maître fut son père. Sa récréation favorite était l'équitation, sport auquel il prenait un vif plaisir.

Après la déclaration de Baha'u'llah, qui eut lieu dans le jardin de Baghdad, la dévotion de 'Abdu'l-Baha pour son père ne fit que croître. Durant leur long voyage jusqu'à Constantinople, il s'attacha à protéger Baha'u'llah jour et nuit, chevauchant à côté du chariot ou montant la garde près de sa tente. Autant qu'il lui fut possible, il soulagea son père de tous les problèmes et de toutes les responsabilités domestiques et il devint le soutien et le réconfort de toute la famille.

Pendant les années du séjour à Andrinople, 'Abdu'l-Baha se fit aimer de tout le monde. Il enseigna beaucoup et fut alors appelé le Maître. À 'Akka, alors que presque toute la colonie était en proie à la fièvre typhoïde, la malaria et la dysenterie, il s'occupa des malades, les lava, les soigna, les nourrit, les veilla, ne prenant aucun repos jusqu'à ce que, épuisé, il fût terrassé lui-même par la dysenterie et restât en danger de mort pendant un mois.

À 'Akka comme à Andrinople, tous, du gouverneur au plus humble des mendiants, apprirent à l'aimer et à le respecter.


4.3. Mariage

Les détails suivants se rapportent au mariage de 'Abdu'l-Baha. Ils ont été fournis par un historien iranien de la foi baha'ie.

Pendant l'adolescence de 'Abdu'l-Baha, la question d'un mariage convenable pour lui constituait naturellement un problème d'un grand intérêt pour les croyants, et nombreux étaient ceux qui souhaitaient cette couronne d'honneur pour leur famille. Toutefois, 'Abdu'l-Baha ne montra pendant longtemps aucune inclination pour le mariage et personne n'en comprenait la raison. On sut par la suite qu'une jeune fille, dont la naissance était due à la bénédiction accordée par le Bab à ses parents à Isfahan, était destinée à devenir la femme de 'Abdu'l-Baha. Le père de cette jeune fille n'était autre que Mirza Muhammad 'Ali, oncle du "Bien-Aimé des martyrs" et du "Roi des martyrs"; elle appartenait à l'une des plus nobles familles d'Isfahan. Alors que le Bab se trouvait dans cette ville, Mirza Muhammad 'Ali se plaignit de n'avoir pu assurer sa postérité, bien que sa femme désirât vivement avoir un enfant. Apprenant cela, le Bab lui offrit une pomme, lui recommandant de la partager avec sa femme. Peu après l'avoir mangée, il se confirma que l'espoir longtemps déçu des parents serait réalisé; une fille leur naquit et elle fut appelée Munirih Khanum [Il est intéressant de comparer cette histoire avec celle de la naissance de saint Jean-Baptiste, LUC, chap.I.]. Plus tard, ils eurent un fils qu'ils nommèrent Siyyid Yahya et, par la suite, plusieurs autres enfants. Peu après, le père de Munirih mourut, ses cousins furent martyrisés par Zillu's-Sultan et les mullas; la famille connut alors l'adversité et les pires persécutions parce que tous étaient baha'is. Baha'u'llah permit à Munirih et à son frère Siyyid Yahya de venir chercher protection à 'Akka. Baha'u'llah et son épouse, Navvab, mère de 'Abdu'l-Baha, montrèrent tant de bonté et d'attention envers Munirih que tous comprirent leur désir qu'elle devînt la femme de 'Abdu'l-Baha. Le voeu des parents devint aussi celui de 'Abdu'l-Baha. Il éprouvait une profonde affection, un amour sincère pour Munirih, sentiment entièrement partagé et, peu après, ils furent unis par le mariage.

Cette union fut extrêmement heureuse et harmonieuse. Des enfants qui leur naquirent, quatre filles survécurent aux rigueurs de leur long emprisonnement et, par leur vie magnifique de dévouement, elles surent conquérir l'affection de tous ceux qui eurent le privilège de les approcher.



4.4. Le Centre de l'alliance

Baha'u'llah fit savoir, de bien des manières, que 'Abdu'l-Baha devait prendre sa succession après sa propre ascension. Longtemps avant sa mort, il y fit certaines allusions dans son Kitab-i-Aqdas.

Se référant à 'Abdu'l-Baha, il l'appela "le Centre de mon alliance, la plus Grande Branche, le Rameau issu de l'Antique Racine". Habituellement, il l'appelait le Maître et insistait pour que toute la famille le traite avec une déférence toute particulière; de plus, dans son testament, il laissa des instructions explicites afin que tous se tournent vers lui avec obéissance.

Après l'ascension de la Beauté bénie (nom que la famille et les croyants donnaient généralement à Baha'u'llah), 'Abdu'l-Baha assuma les fonctions qui lui furent explicitement assignées par son père, de chef de la cause et d'interprète autorisé des enseignements baha'is. Ceci irrita certaines personnes de sa famille et de son entourage qui lui devinrent férocement hostiles comme le fut Subh-i-Azal à l'égard de Baha'u'llah. Elles tentèrent d'instaurer la discorde parmi les croyants et, comprenant leur échec, elles adressèrent au gouvernement turc d'injustes accusations contre 'Abdu'l-Baha.

Suivant les instructions de son père, 'Abdu'l-Baha faisait ériger une construction sur le versant du mont Carmel dominant Haïfa. Ce bâtiment était destiné à devenir le lieu de repos définitif de la dépouille du Bab; on y prévoyait aussi un certain nombre de locaux réservés aux réunions et aux prières. Ses adversaires portèrent plainte auprès des autorités, affirmant que cette construction était érigée dans le but d'en faire une forteresse où 'Abdu'l-Baha et ses disciples projetaient de se retrancher afin de défier le gouvernement et de conquérir toute la région avoisinant la Syrie.


4.5. L'emprisonnement strict reprend

À la suite de cette accusation ainsi que d'autres tout aussi peu fondées, en 1901, 'Abdu'l-Baha et sa famille--qui depuis plus de vingt ans avaient pu circuler librement dans un rayon de quelques lieues autour de 'Akka--furent de nouveau strictement confinés à l'intérieur de la ville fortifiée pendant plus de sept années. Toutefois, cela n'empêcha nullement 'Abdu'l-Baha de répandre avec efficacité le message baha'i à travers l'Asie, l'Europe et l'Amérique. Horace Holley écrit à propos de cette période:

"Des hommes et des femmes de toutes races, de toutes religions et de toutes nationalités vinrent vers 'Abdu'l-Baha comme vers un maître et un ami, l'interrogeant sur les questions sociales, spirituelles ou morales qui leur tenaient le plus à coeur, prenant place à sa table comme des hôtes aimés; et après un séjour variant de quelques heures à plusieurs mois, tous rentraient chez eux, inspirés, réconfortés, éclairés. Nulle maison au monde ne fut aussi hospitalière que celle de 'Abdu'l-Baha.

C'est dans ces murs que les castes rigides de l'Inde s'évanouirent et que les préjugés de race, aussi bien juifs que chrétiens ou musulmans, devinrent moins qu'un souvenir; tout conformisme, hormis les lois essentielles qui régissent les coeurs ardents et les esprits bien inspirés, fut écarté, banni et aboli par la sympathie conciliatrice du maître de maison. On aurait dit le roi Arthur à sa Table ronde... mais un roi Arthur qui ennoblissait femmes et hommes et les renvoyait de par le monde, munis, non de l'épée, mais de la Parole."
(H. HOLLEY, The Modern Social Religion, p.171.)


Pendant ces années, 'Abdu'l-Baha entretint une énorme correspondance avec les croyants et les chercheurs de toutes les parties du monde. Il était aidé dans cette tâche par ses filles et aussi par plusieurs interprètes et secrétaires. Il passait une grande partie de son temps à visiter les malades et les malheureux dans leur logis et, dans les quartiers les plus pauvres de 'Akka, nul visiteur n'était mieux accueilli que le Maître.

Un pèlerin en visite à 'Akka vers cette même époque écrit:

"Tous les vendredis matins, 'Abdu'l-Baha a l'habitude de distribuer des aumônes aux pauvres. À chacun des nécessiteux qui viennent demander assistance, il offre une part prélevée sur ses propres ressources déjà si restreintes. Ce matin, une centaine d'entre eux étaient rangés en file dans la rue, près de la maison de 'Abdu'l-Baha. Ils étaient assis sur le sol ou accroupis. C'était un indescriptible troupeau d'hommes, de femmes, d'enfants--tous misérables et pauvres, tristes, demi-nus, nombre d'entre eux estropiés ou aveugles, vraiment de pauvres hères, pauvres au-delà de toute expression--et tous attendaient anxieusement que la porte livrât passage à 'Abdu'l-Baha... Il passait rapidement de l'un à l'autre, s'arrêtant parfois pour dire un mot de consolation et d'encouragement, déposant des piécettes dans chacune de ces paumes avidement tendues, caressant le visage d'un enfant, serrant la main d'une vieille femme qui, à son passage, touchait le bas de son vêtement, ou encore prononçant des paroles lumineuses pour les vieillards aux yeux éteints, s'informant de ceux que la faiblesse et la maladie empêchaient de venir pour chercher leur part, et la leur envoyant, accompagnée d'un message d'amitié et d'encouragement."
(M.J.M., Glimpses of 'Abdu'l-Baha, p. 13.)


Les besoins personnels de 'Abdu'l-Baha étaient minimes. Il travaillait tard le soir et tôt le matin; deux repas frugaux par jour lui suffisaient. Sa garde-robe se composait seulement de quelques vêtements d'étoffe très modeste. Il ne pouvait supporter l'idée de vivre dans l'opulence, alors que d'autres étaient dans le besoin.

Il avait un amour immense pour les enfants, les fleurs et les beautés de la nature. Tous les matins, vers six ou sept heures, la famille se réunissait pour prendre en commun le thé matinal et, pendant que le Maître vidait sa tasse à petites gorgées, les jeunes enfants de la maison chantaient des prières. M. Thornton Chase écrit à propos de ces enfants:

"Je n'ai jamais vu de tels enfants, si courtois, si dévoués, si pleins d'attentions pour les autres, si modestes, intelligents et renonçant de si bon coeur aux petites choses que tous les enfants désirent."
(In Galilee, p. 51.)


"Le ministère des fleurs" était un des traits de la vie de 'Akka dont les pèlerins emportaient un souvenir parfumé. Mme Lucas écrit:

"Quand le Maître respire le parfum des fleurs, c'est un réel plaisir de le contempler. Lorsqu'il enfouit son visage parmi les corolles, il semble que la senteur des jacinthes lui confie quelque chose. C'est comme si l'attention était concentrée, comme si l'oreille était tendue pour capter une belle harmonie."
(A Brief Account of my Visit to 'Akka, pp. 25 et 26.)


'Abdu'l-Baha aimait offrir des fleurs odorantes et magnifiques à ses nombreux visiteurs.

M. Thornton Chase résume ainsi ses souvenirs sur la vie recluse de 'Akka:

"Nous demeurâmes cinq jours dans ces murs, prisonniers avec celui qui habite "la plus grande prison". C'est une prison de paix, d'amour, de prières et de recueillement. Aucun voeu, aucun désire n'y règne si ce n'est pour le bien de l'humanité, la paix du monde, la reconnaissance de la paternité de Dieu et des droits mutuels des hommes en tant que ses créatures, ses enfants.

En réalité, la vraie prison, l'atmosphère suffocante, la privation de ce à quoi le coeur aspire, le poids des obligations mondaines sont en dehors de ces murs de pierre, tandis qu'ici, dans leur enceinte, règnent la liberté et le rayonnement très pur de l'Esprit de Dieu. Tous les soucis, les troubles, les peines, les anxiétés pour les choses du monde sont bannis de ce lieu".
(In Galilee, p. 24.)


Pour la plupart, les souffrances de la vie en captivité sont les pires calamités, mais celles-ci n'avaient rien de terrifiant pour 'Abdu'l-Baha. De sa prison, il écrivit:

"Ne vous chagrinez pas de mon emprisonnement et de mes malheurs, car cette prison est pour moi comme un beau jardin, une habitation paradisiaque, un trône de puissance parmi les hommes. Le malheur et la prison sont pour moi une couronne; je m'en glorifie parmi les justes.

N'importe qui peut être heureux dans une situation facile et agréable, dans le succès, la santé, le plaisir et la joie; mais si quelqu'un est heureux et satisfait quand la peine, la souffrance et la maladie l'accablent, voilà une preuve de noblesse."
(Tablets of 'Abdu'l-Baha, vol.II, pp. 258 à 263.)
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4.6. Les commissions d'enquête turques

En 1904 et en 1907, des commissions furent nommées par le gouvernement turc pour enquêter sur les accusations portées contre 'Abdu'l-Baha, et de faux témoignages vinrent ajouter à ces accusations une apparence de vérité. 'Abdu'l-Baha, tout en réfutant celles-ci, se déclara prêt à se soumettre à quelque sentence que le tribunal prononcerait contre lui. Il déclara que ses juges pouvaient le condamner au cachot, le faire traîner par les rues, le maudire, lui cracher au visage, le lapider, le couvrir de toutes les ignominies, le pendre ou le fusiller, il en serait encore heureux.

Durant les séances de la commission d'enquête, il poursuivit sa vie habituelle dans la plus grande sérénité, plantant des arbres fruitiers dans son jardin, présidant aux réjouissances d'un mariage avec la dignité et le rayonnement dus à la liberté spirituelle. Le consul d'Italie offrit de le faire parvenir en toute sécurité dans n'importe quel port étranger de son choix. Il déclina cette offre avec reconnaissance mais fermeté, disant que, quelles qu'en soient les conséquences, il devait suivre les traces du Bab et de la Perfection bénie qui n'essayèrent jamais de s'enfuir ni de se dérober à leurs ennemis. Toutefois, il engagea la plupart des baha'is à quitter le voisinage de 'Akka qui était devenu très dangereux pour eux et il resta là, entouré de quelques fidèles seulement, faisant face au destin.

Les quatre fonctionnaires corrompus constituant la dernière commission d'enquête arrivèrent à 'Akka au début de l'hiver 1907; ils y séjournèrent un mois puis, leur prétendue enquête terminée, ils repartirent pour Constantinople, fermement décidés à confirmer les accusations portées contre 'Abdu'l-Baha et à conseiller son exil ou son exécution. Mais à peine étaient-ils rentrés en Turquie que la révolution y éclata et les quatre enquêteurs, représentants de l'ancien régime, durent s'enfuir pour sauver leur vie. Les Jeunes Turcs furent victorieux; tous les prisonniers religieux et politiques de l'Empire ottoman furent libérés. En septembre 1908, 'Abdu'l-Baha fut délivré de sa prison et l'année suivante, 'Abdu'l-Hamid, le sultan, fut fait prisonnier à son tour.


4.7. Voyages en Occident

Après sa libération, 'Abdu'l-Baha continua de mener sa sainte vie d'inlassables activités, enseignant, écrivant, s'occupant des pauvres et des malades, se déplaçant seulement de 'Akka à Haïfa et de Haïfa à Alexandrie, jusqu'en août 1911, date de son premier départ pour le monde occidental. Au cours de ses voyages en Occident, 'Abdu'l-Baha rencontra des hommes de toutes opinions et mit amplement en pratique le commandement de Baha'u'llah: "Fraternisez avec tous dans la joie et le ravissement".

Il arriva à Londres dans les premiers jours de septembre 1911 et y passa un mois pendant lequel, en plus des causeries quotidiennes avec de nombreux interlocuteurs et autres activités, il parla devant la congrégation du Révérant R.J. Campbell au City Temple ainsi que devant celle de l'archidiacre Wilberforce, en l'église Saint-Jean de Westminster; de plus, il déjeuna chez le Lord Maire. Il se rendit ensuite à Paris où son temps fut partagé entre des conférences et des causeries quotidiennes devant des auditoires attentifs, composés de personnes de toutes nationalités et des milieux les plus divers. En décembre, il retourna en Égypte; et au printemps suivant, à la prière instante d'amis américains, il se mit en route pour les États-Unis.

Il arriva à New-York en avril 1912. Au cours des neuf mois qui suivirent, il traversa l'Amérique d'un rivage à l'autre, s'adressant à des hommes de toutes sortes et de toutes conditions: étudiants, socialistes, mormons, israélites, chrétiens, agnostiques, espérantistes, à des sociétés pacifistes, à des cercles de Pensée Nouvelle, à des groupements de suffragettes; il parla dans les églises de presque toutes les confessions, adaptant toujours sa causerie à l'auditoire et aux circonstances.

Le 5 décembre, il s'embarqua de nouveau pour l'Angleterre où il passa six semaines, visitant Liverpool, Londres, Bristol et Edimbourg. Dans cette dernière ville, il fit une conférence à la Société espérantiste et annonça qu'il avait encouragé les baha'is d'Orient à apprendre l'espéranto, afin d'aider à une meilleure compréhension entre l'Orient et l'Occident.

Après deux mois passés de nouveau à Paris, toujours en entrevues et conférences, il partit pour Stuttgart où il anima une série de réunions très réussies avec les baha'is d'Allemagne. De là, il se rendit à Budapest et à Vienne, y fondant de nouveaux groupes baha'is. Il retourna en Égypte en mai 1913 et rentra à Haïfa le 5 décembre.


4.8. Retour en Terre sainte

Il avait alors soixante-dix ans; ses longs et pénibles travaux ajoutés à ses voyages épuisants en Occident avaient usé son corps. Après son retour, il adressa les remarques pathétiques suivantes aux croyants d'Orient et d'Occident:

"Amis, le moment approche où je ne serai plus parmi vous. J'ai fait tout ce qui pouvait être fait. J'ai servi de mon mieux la cause de Baha'u'llah. J'ai travaillé jour et nuit, durant toute ma vie.

Oh! Combien je souhaite voir les croyants prendre sur leurs épaules les responsabilités de la cause! L'heure est venue de proclamer le royaume d'Abha, le Très Glorieux. C'est maintenant l'heure de l'union et de la concorde. C'est maintenant le jour de l'harmonie spirituelle entre les amis de Dieu!

Je tends l'oreille vers l'Orient et vers l'Occident, vers le Nord et vers le Sud, espérant entendre les chants d'amour et de fraternité s'élever des réunions de croyants. Mes jours sont comptés et aucune joie ne me reste que celle-là.

Oh! Que j'aspire à voir les amis unis entre eux comme une rangée de perles brillantes, comme les lumineuses Pléiades, comme les rayons du soleil, comme les gazelles d'une même prairie.

Le rossignol mystique chante pour eux, ne l'écouteront-ils point? L'oiseau de paradis gazouille, ne l'entendront-ils point? L'ange du royaume d'Abha les appelle, ne prêteront-ils point l'oreille? Le messager de l'alliance invoque son témoignage, n'y prendront-ils point garde?

Ah! J'attends, j'attends la bonne nouvelle m'annonçant que les croyants sont la personnification de la sincérité et de la loyauté, l'incarnation de l'amour et de l'amitié et la manifestation de l'unité et de la concorde!

Ne réjouiront-ils point mon coeur? Ne combleront-ils point mes voeux? Resteront-ils sourds à mes appels? Ne réaliseront-ils point mes espérances? Ne répondront-ils point à ma voix?

J'attends, j'attends patiemment."


Les espoirs des ennemis de la cause baha'ie avaient atteint leur point culminant au moment où le Bab tomba victime de leur fureur, puis encore lorsque Baha'u'llah fut chassé de sa terre natale et emprisonné à perpétuité, et de nouveau lorsqu'il s'éteignit. La vigueur de ces ennemis reprit lorsqu'ils constatèrent la faiblesse physique et la fatigue extrême de 'Abdu'l-Baha après son retour d'Occident. Mais, cette fois encore, leurs espoirs furent déçus. Peu de temps après, 'Abdu'l-Baha pouvait écrire:

"Sans doute, le corps physique et l'énergie humaine eussent été incapables de supporter cette usure constante... mais l'aide et le secours du Désiré furent la sauvegarde et la protection de l'humble et faible 'Abdu'l-Baha... Certains affirment que 'Abdu'l-Baha est à la veille d'exhaler son dernier adieu au monde, que son énergie physique s'est amoindrie et épuisée et que, bientôt, des complications mettront fin à sa vie. Ceci est loin d'être vrai; ceux qui ont rompu l'alliance et dont l'esprit est faussé ont jugé sur l'apparence. Il est incontestable que le corps s'est affaibli en raison des épreuves subies dans le sentier divin. Cependant, loué soit Dieu! Par la grâce de la Perfection bénie, les forces spirituelles sont intactes et en pleine vigueur. Grâces en soient rendues à Dieu! Maintenant, par la bénédiction de Baha'u'llah, les énergies physiques elles-mêmes sont complètement rétablies, la joie divine est retrouvée, la suprême bonne nouvelle resplendit et le bonheur idéal coule à flots."
(Star of the West, vol. V, p. 213.)


Pendant et après la guerre de 1914-1918, 'Abdu'l-Baha, parmi d'autres travaux innombrables, écrivit une série de longues lettres inspirées qui, une fois les communications rétablies, suscitèrent chez les croyants du monde entier un enthousiasme renouvelé et un zèle accru. Sous l'inspiration de ces lettres, la cause fit de rapides progrès et, partout, la foi baha'ie montra les signes d'un regain d'énergie et de vitalité.


4.9. Les années de guerre à Haïfa

Pendant les derniers mois qui précédèrent la guerre, la remarquable faculté de prévision de 'Abdu'l-Baha se révéla plus significative que jamais. En temps de paix, il y avait toujours à Haïfa un grand nombre de pèlerins venant d'Iran et des autres parties du monde. Six mois avant la déclaration de guerre, plusieurs croyants d'Iran, désireux de rendre visite à 'Abdu'l-Baha, déléguèrent un baha'i âgé vivant à Haïfa pour présenter leur requête. Le Maître refusa d'accorder la permission demandée et, de plus, renvoya progressivement tous les pèlerins qui se trouvaient auprès de lui, de sorte qu'à la fin de juillet 1914, il n'en restait plus aucun. Quand, à l'étonnement du monde, la guerre éclata dans les premiers jours du mois d'août, tous comprirent la sagesse des précautions prises par 'Abdu'l-Baha.

À ce moment, il avait déjà passé cinquante-cinq années de sa vie en exil et en prison et il redevint virtuellement prisonnier du gouvernement turc. Les communications furent presque complètement coupées entre lui et les amis et les croyants en dehors de la Syrie. Il se trouva--avec quelques-uns de ses disciples--de nouveau soumis à des difficultés continuelles: insuffisance de nourriture, danger personnel et manque de confort.

Pendant toute la durée de la guerre, 'Abdu'l-Baha s'occupa activement de pourvoir aux besoins matériels et spirituels de son entourage. Il organisa lui-même l'exploitation agricole de vastes étendues près de Tibériade, évitant ainsi, par d'importants approvisionnements de blé, la famine qui menaçait non seulement les baha'is, mais aussi les centaines de pauvres de toutes croyances et de toutes religions de 'Akka et de Haïfa. Il parvint à subvenir complètement à leurs besoins, prenant soin de tous et adoucissant leurs souffrances autant qu'il le pouvait. Chaque jour, il répartissait une somme d'argent entre une centaine d'indigents; de plus, il distribuait du pain. Lorsque le pain venait à manquer, il donnait des dattes ou quelque autre aliment. Il se rendait souvent à 'Akka pour réconforter les croyants et les pauvres. Pendant toute la guerre, il réunit les fidèles chaque jour et, grâce à lui, les amis passèrent ces années difficiles dans le bonheur et la sérénité.


4.10. Sir 'Abdu'l-Baha 'Abbas, chevalier de l'ordre de l'Empire britannique


Grande fut la joie à Haïfa quand, le 23 septembre 1918, à trois heures de l'après-midi, après vingt-quatre heures de combat, la ville fut occupée par la cavalerie anglaise et hindoue; les horreurs de la guerre sous la domination turque prenaient fin.

Dès les premiers jours de l'occupation britannique, un grand nombre de militaires ainsi que les attachés du gouvernement de tous grades, même les plus élevés, tentèrent de rencontrer 'Abdu'l-Baha. Ils furent charmés par sa brillante conversation, sa largeur de vue, la profondeur de son intelligence, sa courtoisie pleine de dignité et son hospitalité généreuse. Les représentants du gouvernement furent si profondément impressionnés par son noble caractère et par tous les services qu'il avait rendus à la cause de la conciliation et de la véritable prospérité des peuples qu'il fut promu chevalier de l'ordre de l'Empire britannique. La cérémonie eut lieu dans les jardins du gouvernement militaire de Haïfa, le 27 avril 1920.


4.11. Les dernières années

Au cours de l'hiver 1919-1920, l'auteur de ce livre eut le grand privilège de passer deux mois et demi à Haïfa et d'y jouir de l'hospitalité de 'Abdu'l-Baha, ce qui lui permit d'observer étroitement la vie quotidienne. À cette époque, 'Abdu'l-Baha, bien qu'âgé de 76 ans, était encore remarquablement vigoureux et il accomplissait chaque jour une quantité incroyable de travaux. Bien qu'il fût souvent très las, il faisait preuve d'une étonnante puissance de récupération et il se trouvait toujours prêt à répondre à ceux qui avaient le plus grand besoin de ses services.

Sa patience inlassable, sa douceur, sa bonté, son tact faisaient de sa présence une vraie bénédiction. Il passait généralement une bonne partie de la nuit en prières et en méditation. Dès l'aube et jusqu'au soir--en dehors d'une brève sieste après le déjeuner--il s'occupait sans relâche à lire les lettres parvenant de tous pays, à y répondre, tout en assumant la direction des nombreuses activités de sa maison et de la cause. Même lorsqu'il prenait une courte récréation sous la forme d'une promenade à pied ou à cheval au cours de l'après-midi, il était généralement accompagné d'un ou deux pèlerins ou d'un petit groupe et il parlait de choses spirituelles, ou bien il profitait de la promenade pour rendre visite aux pauvres et les soigner. Au retour, il invitait les amis à la réunion habituelle du soir, dans son salon.

Au déjeuner comme au dîner, il recevait toujours un grand nombre de pèlerins et d'amis; ses invités étaient charmés tant par les histoires amusantes et pleines d'esprit que contait 'Abdu'l-Baha que par ses précieux conseils sur toutes sortes de problèmes. Ma maison est un foyer de rires et de bonheur, déclarait-il. Et rien n'était plus vrai. Il se plaisait à réunir autour de sa table hospitalière des personnalités de races, de couleurs, de nationalités, de religions différentes, dans une ambiance des plus cordiales. Il était vraiment comme un père attentionné, non seulement pour la petite communauté de Haïfa, mais pour la communauté baha'ie du monde entier.


4.12. La mort de 'Abdu'l-Baha

Malgré sa fatigue et son affaiblissement physique croissants, les multiples activités de 'Abdu'l-Baha furent à peine ralenties et il ne cessa de travailler qu'un jour ou deux avant sa mort. Le vendredi 25 novembre 1921, il assista à la prière de midi dans la mosquée de Haïfa et, selon son habitude, il distribua encore lui-même ses aumônes aux pauvres. Le déjeuner terminé, il dicta encore quelques lettres et, après une courte sieste, il se rendit au jardin pour s'y promener et s'entretenir avec le jardinier. Le soir, donnant sa bénédiction à un fidèle serviteur de la maison qui s'était marié ce jour-là, il lui prodigua d'affectueux conseils. Ensuite, il assista comme d'habitude à la réunion quotidienne des amis, chez lui. Moins de trois jours plus tard, vers une heure et demie du matin, le lundi 28 novembre 1921, il s'éteignit si paisiblement que ses deux filles qui veillaient près de son lit le crurent simplement endormi.

La triste nouvelle se répandit rapidement dans la ville et fut télégraphiée dans toutes les parties du monde. Les funérailles se déroulèrent le lendemain matin, le mardi 29 novembre 1921.

Des obsèques telles que ni Haïfa ni même la Palestine n'en avaient certainement jamais vu... tant était profond le sentiment qui unissait là des milliers d'affligés, représentant de nombreuses religions, races et langues...

Le haut commissaire, Sir Herbert Samuel, le gouverneur de Jérusalem, le gouverneur de la Phénicie, les principaux dignitaires représentant le gouvernement, les ambassadeurs de différents pays accrédités à Haïfa, des chefs de diverses communautés religieuses, des notables de Palestine, des israélites, chrétiens, musulmans, Druses, Égyptiens, Grecs, Kurdes, Turcs et une multitude d'amis américains, européens, indigènes, hommes, femmes et enfants, pauvres et riches... dix mille personnes environ pleuraient la perte de leur bien-aimé... "Ô Dieu, ô mon Dieu, criaient-ils à l'unisson, notre père nous a quittés, notre père nous a quittés!"

Ils gravirent lentement le mont Carmel, le vignoble de Dieu... Après deux heures de marche, ils atteignirent le jardin du tombeau du Bab... Cependant que l'immense foule se pressait alentour, des représentants de toutes dénominations, musulmans, chrétiens, israélites, tous, le coeur enflammé d'un amour fervent pour 'Abdu'l-Baha, improvisèrent ou lurent des paroles d'éloge et de regret, rendant un dernier et fervent hommage à celui qu'ils vénéraient... L'unanimité était telle et les louanges si nombreuses à l'égard de ce sage éducateur et pacificateur de la race humaine en ce siècle de troubles et de confusion qu'il semblait impossible, même pour les baha'is, d'ajouter quelque chose.
(LADY BLOMFIELD et SHOGHI EFFENDI, The Passing of 'Abdu'l-Baha, pp.11 et 12.)


Neuf orateurs, tous représentants très en vue des communautés musulmane, chrétienne et israélite, apportèrent un témoignage éloquent et émouvant de leur amour et de leur admiration pour cette pure et noble figure qui venait de disparaître. Le cercueil fut lentement déposé dans son modeste et saint lieu de repos.

Ces funérailles furent certes un hommage légitime à la mémoire de celui qui avait travaillé toute sa vie à l'unification des religions, des races et des langues, un hommage mais aussi une preuve que l'oeuvre de sa vie n'avait pas été vaine, que l'idéal dont Baha'u'llah l'avait imprégné et qui avait été le but même de sa vie commençait déjà à pénétrer le monde, à briser les barrières de sectes, de castes et autres factions qui, tout au long des siècles, ont séparé les musulmans, les chrétiens et les juifs entre lesquels la famille humaine avait été divisée.


4.13. Ses écrits et ses discours

Les écrits que 'Abdu'l-Baha nous a laissés sont très nombreux et se présentent généralement sous la forme de lettres aux croyants et aux chercheurs. Un grand nombre de ses causeries et de ses discours ont aussi été rassemblés et, pour la plupart, édités. Parmi les milliers de pèlerins qui lui rendirent visite à 'Akka et à Haïfa, nombreux sont ceux qui ont noté leurs impressions personnelles, et plusieurs de ces Mémoires sont maintenant publiés.

Les enseignements de 'Abdu'l-Baha sont ainsi très complètement conservés et ils concernent maints sujets des plus variés. 'Abdu'l-Baha, dans ses écrits, traite plus longuement que ne l'avait fait son père des problèmes de l'Orient et de l'Occident, indiquant des applications détaillées des principes généraux énoncés par Baha'u'llah. Nombre de ses écrits ne sont encore traduits en aucune langue occidentale, mais les quelques ouvrages disponibles suffisent amplement pour acquérir une connaissance approfondie des principes fondamentaux de son enseignement.

Il parlait plusieurs langues: le persan, l'arabe et le turc. Les causeries qu'il fit pendant ses voyages en Occident furent toujours traduites par un interprète et perdirent de ce fait beaucoup de leur beauté, de leur éloquence et de leur force mais, malgré cela, la puissance de l'esprit qui imprégnait ses paroles était telle qu'il laissait une impression profonde sur ses auditeurs.


4.14. Le rang de 'Abdu'l-Baha

Le rang unique assigné à 'Abdu'l-Baha par la Perfection bénie est indiqué dans la tablette suivante écrite par Baha'u'llah:

"Quand l'océan de ma présence aura reflué et que le Livre de ma révélation sera achevé, tournez vos visages vers celui que Dieu a choisi et qui est issu de l'Antique Racine."

Et encore:

"... Pour tout ce que vous ne comprenez pas dans le Livre, adressez-vous à celui qui est issu de cette puissante lignée."

'Abdu'l-Baha a confirmé lui-même:

"Selon le texte explicite du Kitab-i-Aqdas, Baha'u'llah a fait du Centre de l'alliance l'interprète de sa parole. Cette alliance est si ferme et si puissante que, depuis le commencement des temps jusqu'à l'heure présente, aucune dispensation n'en a produit de semblable."

L'état d'effacement absolu que choisit 'Abdu'l-Baha dans sa tâche de promulgateur de la foi de Baha'u'llah a pu troubler les fidèles d'Orient et d'Occident et causer parfois une certaine confusion dans l'appréciation de son rang. Profondément sensibles à la pureté de l'esprit qui animait sa parole et ses actes, certains baha'is, encore sous l'influence religieuse qui avait déterminé chez eux la rupture avec leurs doctrines traditionnelles, crurent honorer 'Abdu'l-Baha en l'identifiant à une manifestation divine ou en saluant en sa personne le retour du Christ. Rien ne pouvait lui causer plus d'affliction que cette incapacité à comprendre ceci: la faculté qu'il avait de servir Baha'u'llah lui était acquise par la pureté du miroir tourné vers le Soleil de Vérité mais ne provenait pas du Soleil lui-même [C'est-à-dire que 'Abdu'l-Baha, considéré comme un miroir absolument pur placé en face du Soleil de Vérité, Baha'u'llah, réfléchissait sa puissance et sa sagesse mais qu'il n'était pas lui-même le Soleil de Vérité. (Note du comité de traduction.)].

De plus, s'écartant en cela des dispensations précédentes, la foi de Baha'u'llah contenait en puissance les bases d'une société humaine universelle et, pendant la mission de 'Abdu'l-Baha--de 1892 à 1921--, la cause, passant par des stades successifs de développement, a évolué dans le sens d'un véritable ordre mondial. Ce développement exigeait une direction constante et des instructions appropriées de la part de 'Abdu'l-Baha, seul à connaître le pouvoir de cette nouvelle et puissante source d'inspiration dévolue au monde en cet âge. Jusqu'au moment où le testament de 'Abdu'l-Baha fut révélé après son ascension et jusqu'à ce que la pleine signification en soit révélée par Shoghi Effendi, premier gardien de la cause, les baha'is avaient attribué--et ceci était inévitable--à la sage maîtrise de leur Maître bien-aimé un degré d'autorité égal à celui de la Manifestation.

Les effets de ce naïf enthousiasme ont désormais disparu de la communauté baha'ie, et une compréhension plus sûre du mystère de la dévotion et de l'effacement incomparables de 'Abdu'l-Baha permet actuellement d'apprécier à sa juste valeur le caractère unique de la mission qu'il a remplie. La foi qui semblait si faible et si impuissante en 1892, en raison de l'exil et de l'emprisonnement de celui qui en était l'exemple et l'interprète, a fait surgir depuis lors, avec une puissance irrésistible, des communautés locales dans plus de quarante pays [40 pays en 1920, 106 pays en 1951, 317 pays, protectorats et îles en 1971. En 1989: 168 pays indépendants et 49 territoires et départements d'Outre-Mer], et elle oppose à la faiblesse d'une civilisation décadente, un corps d'enseignements, qui seul révèle le futur à une humanité acculée au désespoir.

Dans le testament même de 'Abdu'l-Baha, le mystère entourant le rang du Bab ainsi que le rang et la mission de Baha'u'llah est complètement élucidé:

"... Voici la base de la croyance du peuple de Baha, que ma vie lui soit sacrifiée: Sa Sainteté le Glorifié (le Bab) est la manifestation de l'unité et de l'unicité de Dieu et le précurseur de l'Ancienne Beauté. Sa Sainteté la Beauté d'Abha, que ma vie soit offerte en sacrifice pour ses fidèles amis, est la manifestation suprême de Dieu et l'aurore de sa très divine Essence. Tous les autres sont ses serviteurs et obéissent à ses ordres..."
(Testament de 'Abdu'l-Baha, pp. 40 et 41, éd. 1970.)
 Ouvrir le livre Le testament d'Abdu'l-Baha

C'est grâce à cette affirmation et à plusieurs autres--par lesquelles 'Abdu'l-Baha insista sur l'importance qu'il y a de fonder la compréhension de la cause directement sur ses tablettes générales--que fut établie une base pour l'unité de la croyance. Elle eut pour résultat la prompte disparition des différences d'interprétation découlant de références à des tablettes écrites à des particuliers, et dans lesquelles le Maître répondait à des questions d'ordre purement personnel. Par-dessus tout, l'établissement d'un ordre administratif précis, sous la direction éclairée du Gardien, impliqua le transfert aux institutions légales, de toute autorité ayant pu être exercée précédemment par des baha'is à titre individuel, de par leur prestige ou leur influence.


4.15. Un modèle de vie baha'ie

Baha'u'llah fut, par-dessus tout, celui qui révéla la Parole (le Verbe). Ses quarante années d'emprisonnement ne lui ayant laissé que peu d'occasions d'entrer en relations avec les hommes, c'est alors à 'Abdu'l-Baha qu'il appartenait de se mettre en contact effectif avec le monde contemporain, à l'occasion de ses activités nombreuses et si diverses. C'est à lui qu'incombait la tâche suprême d'être le grand interprète de la révélation, celui qui accomplit la Parole, le modèle parfait de vie baha'ie. Il sut démontrer qu'en dépit du tourbillon et de la fièvre de la vie moderne, de l'égoïsme et de la lutte pour la prospérité matérielle qui prévalent partout, il est possible de mener une existence d'entière dévotion à Dieu et de dévouement à ses semblables, comme le Christ, Baha'u'llah et tous les prophètes l'ont enseigné aux humains.

D'une part, au sein des épreuves et des vicissitudes, des calomnies et des tromperies et, de l'autre, immergé dans l'amour et la louange, la dévotion et la vénération, il résista comme un phare édifié sur le roc autour duquel, tour à tour, les tempêtes hivernales font rage et que les vagues de l'été viennent caresser. Son équilibre et sa sérénité restèrent toujours fermes, inébranlables. Il vécut la vie de la foi et il engagea ses disciples à la vivre également, ici-bas et dès à présent. Au sein d'un monde en guerre, il a levé la bannière de l'unité et de la paix et il a assuré le soutien et l'inspiration de l'esprit du nouveau jour à tous ceux qui rallient cet étendard de l'ère nouvelle. C'est le même Esprit saint qui a inspiré les prophètes et les saints du passé, mais c'est une effusion nouvelle adaptée aux nécessités des temps nouveaux.


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