Le prisonnier de Saint-Jean-d'Acre
Par André Brugiroux, célèbre globe-troteur ayant parcouru le monde en auto-stop


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Chapitre 9. UNE NOUVELLE TERRE

"Il y aura un temps fixé par le destin où les hommes auront une seule et même vie, un langage et un gouvernement."
(PLUTARQUE)

Plus que par leurs idées personnelles, les hommes sont guidés par les idées de leur temps. Comme M. Jourdain faisait de la prose sans s'en douter, nous baignons dans le mondialisme sans le savoir. Ce mondialisme qui peut paraître aux yeux des sceptiques une impossibilité, mais sans lequel, désormais, rien n'est possible.

Ce mondialisme que le professeur E G Browne entendit définir en 1890 d'une voix douce, pleine de courtoisie et de dignité par Baha'u'llah:

Que toutes les nations deviennent une dans la foi et que tous les hommes soient des frères; que les liens d'affection et d'unité entre les enfants des hommes soient fortifiés; que la diversité des religions cesse et que les différences de races soient annulées quel mal y a-t-il en cela ? Cela sera malgré tout... N'est-ce pas cela que le Christ a prédit? Cependant nous voyons les souverains et les chefs d'Etat gaspiller plus volontiers leurs trésors en moyens de destruction de la race humaine qu'en ce qui conduirait l'humanité au bonheur...Ces luttes ces massacres; ces discordes doivent cesser et tous les hommes doivent former une seule famille...Que l'homme ne se glorifie pas d'aimer son pays, mais plutôt d'aimer le genre humain.

L'humanité peut-elle tirer profit d'un tel message?

"Eprouvez tout et retenez ce qui est bon", disait saint-Paul. Il est effectivement curieux de noter le nombre de personnes qui rejettent toute idée sans en avoir pris connaissance.

Chacun connaît la tragique histoire de l'indépendance du Congo belge. Proclamée finalement à Léopoldville, la nouvelle mit du temps à gagner tous les recoins de cet immense pays de fleuves et de forêts. Si bien que les tribus situées vers le Burundi, ignorant le fait qu'elles avaient officiellement obtenu l'indépendance, accablaient de cris hostiles les derniers Blancs osant s'aventurer dans les parages:

- Dépendance, dépendance, dépendance... !

Ces Africains de la brousse qui peuvent porter à sourire étaient des sages sans le savoir. Car aujourd'hui, pour exister, une nation doit être dépendante. Toutes le sont déjà dans les faits. Le temps de l'autarcie est fini. Nous sommes entrés dans une ère nouvelle. L'humanité pour progresser, même si elle garde la nostalgie des soleils d'antan, doit s'éclairer à celui du jour, qui s'appelle mondialisme

Baha'u'llah, de son exil, en a développé les thèmes principaux. Les hommes appliquent inconsciemment une partie de ses principes. Les gouvernants parlent constamment d'économie mondiale, d'entraide Nord-Sud, d'entente Est-Ouest, de monnaie internationale ce que les écrits du Persan proposaient, il y a plus d'un siècle déjà. L'utopique d'alors devient nécessité.

De Gaulle, ce visionnaire de l'histoire, croyait être en avance en offrant la participation aux ouvriers alors que les écrits baha'is, à une époque où l'industrie n'avait pas encore atteint des proportions tentaculaires, disaient que, selon la loi divine, les employés ne devraient pas être rétribués seulement par un salaire. Ils devraient plutôt être associés dans toutes les entreprises. Les propriétaires de mines, d'usines, d'immeubles devraient partager leurs revenus avec leurs employés et accorder impartialement un certain pourcentage des bénéfices à leurs ouvriers. Bien avant la première chaîne de montage Ford, ils s'élevaient résolument contre le servage industriel. Les pays industrialisés se réunissent régulièrement au sujet des tarifs douaniers, de l'exploitation des ressources, de la circulation des biens, de la coopération technique, des problèmes monétaires, sans se rendre compte qu'ils ne font que chercher un plan pratique aux idées émises par Baha'u'llah depuis sa geôle.

Tous les gouvernements du monde jugent nécessaire d'envoyer les enfants à l'école. Danton affirmait qu'après le pain l'éducation est le premier besoin des peuples. Les connaissances sont comme des ailes pour l'être humain, ce sont les échelons pour son ascension. Chacun doit acquérir des connaissances. Lorsque Baha'u'llah le prescrivait, l'école n'était obligatoire dans aucun pays. La France attendit 1881 avec Jules Ferry pour réaliser ce principe. Le Persan parle non seulement d'instruction, mais aussi d'éducation obligatoire. Afin que les enfants ne deviennent pas seulement des puits de science mais aussi des sources de joie. Combien sont rares, en effet, ceux qui, des leurs plus jeunes années, ont appris à comprendre que le dévouement à l'humanité est le but le plus élevé de l'existence. Arithmétique, grammaire, géographie, langues, etc, entassées dans la mémoire, ont relativement peu d'effet pour conduire une existence noble et utile.

L'éducation doit être universelle. Pas de Charlemagne français en France et allemand en Allemagne!

L'esprit d'émancipation, les mouvements de libération de la femme se font sentir de plus en plus dans le monde. Mais les fameuses suffragettes n'attirèrent l'attention qu'un demi-siècle après que l'héroïne babie, Tahirih, ait retiré son voile en public à Badasht. Selon l'esprit de ce cycle, les femmes doivent progresser et remplir leur mission dans tous les domaines de la vie. L'un des principes sociaux auquel le prisonnier de Saint-Jean-d'Acre attachait le plus d'importance était précisément l'égalité entre les deux sexes. Et ceci dans un pays où le voile se porte encore aujourd'hui! Le désarmement, souci majeur des puissants de nos jours, constitue un des thèmes principaux de Baha'u'llah, qui prétend être venu pour éduquer les hommes afin de réaliser la Paix universelle.

"Prince de la Paix", se nomme-t-il, lui-même.

Les chrétiens attribuent ce titre au Christ Pourtant, ce dernier n'a-t-il pas dit: "Ne croyez pas que je sois venu apporter la paix sur la terre ; je ne suis pas venu apporter la paix, mais l'épée. Une nation s'élèvera en mon nom contre une autre nation" (Matthieu.). C'est un fait que, depuis son avènement, les guerres n'ont pas cessé. Ce sujet du désarmement est très important. Il ne convient pas qu'un pays dépose les armes si les autres refusent de le faire. Un seul pays a supprimé l'armée: le Costa-Rica. Si Baha'u'llah conseille à ses adeptes d'adopter en tant qu'individus la non-résistance et le pardon envers l'ennemi, il enseigne que c'est un devoir pour une collectivité de se protéger de l'injustice et de l'oppression, et qu'aucune communauté ne peut permettre délibérément le pillage et le meurtre sur son territoire.

Par un accord général, tous les gouvernements du monde doivent désarmer simultanément jusqu'à ne plus garder que le minimum de forces nécessaires au maintien de l'ordre intérieur. Dans ce traité universel, ratifié par le genre humain dans sa totalité, les limites et frontières de chacune des nations devront être clairement indiquées, les principes fondamentaux des relations entre gouvernements définitivement consignés et tous les accords et obligations internationaux établis. L'armement de chaque Etat y sera strictement limité.

Baha'u'llah précise que la responsabilité de la défense n'incombe pas seulement à la nation attaquée, mais à toutes les autres. Ce qui aurait de, quoi décourager la plus belliqueuse des nations! Lorsqu'une Ligue des Nations suffisamment puissante sera établie, la guerre ne sera plus qu'un cauchemar du passé. L'idée a germé; voir depuis les essais d'arbitrage international du Tribunal de La Haye, la formation de la Société des Nations puis de l'ONU et des casques bleus, les premières tentatives de contrôle des armements avec les Salt I et 11, toutes choses inimaginables du temps de Baha'u'llah.

Woodrow Wilson, président des Etats-Unis, dont la propre fille était baha'ie, fut un des fondateurs les plus ardents de la Société des Nations après la Première Guerre mondiale. Ce que l'on sait moins, c'est que les "quatorze points" de sa proposition s'inspirent des écrits baha'is ainsi que les principes pour fonder les Nations Unies de l'un de ses successeurs, Franklin Roosevelt.

Que l'on regarde un thème d'actualité ou l'autre, il n'en existe point que le brillant prisonnier n'ait traité.

La langue internationale, par exemple, dont personne ne peut nier l'utilité, était une idée pour le moins farfelue au siècle précédent où l'on se déplaçait à dos de mule. Mais, aujourd'hui, qui peut en nier l'urgence?

Quand on sait, entre autres, que neuf mille des quelque quinze mille fonctionnaires du Marché Commun, plus de la moitié, se consacrent entièrement à des tâches de traduction dans les sept langues actuellement pratiquées à Strasbourg et à Bruxelles, et que le budget de cette armée de la babel communautaire s'élève à trente pour cent de celui de la Belgique

Peu de temps après la suggestion de Baha'u'llah, l'Allemand Schleyer créa le volapük (1880) et le Polonais Zamenhof l'espéranto (1887) (la fille de ce dernier, Lydia, devait d'ailleurs devenir une fervente adepte du Persan).

Celui-ci n'en a pas désigné une explicitement. Le rôle du prophète n'est pas de tout faire à la place des hommes, mais de leur indiquer les voies nouvelles, de leur faire prendre conscience de leur degré d'évolution. Baha'u'llah affirmait que le moyen le plus puissant pour parvenir à l'entente était l'établissement d'une langue auxiliaire universelle, soit par l'adoption d'une des langues existantes, soit par la création d'un langage nouveau, à enseigner à tous les enfants du globe. Reste aux hommes la tâche d'y parvenir. Et pas seulement d'une langue, mais aussi d'une écriture arabesques et idéogrammes, très jolis à contempler, laissent l'Européen perplexe. (Je me revois encore dans l'hôtel Métropol à Moscou, essayant de trouver une correspondance dans un chaix rédigé en cyrillique).

La Libye exige des passeports en arabe. Ce n'est que justice. Les Européens les exigent bien en caractères latins. Toutefois, si chacun insiste sur sa propre écriture, on transportera des bottins! (Le problème est mal posé d'ailleurs, car il faudra finir par jeter ces sacro-saints passeports à la poubelle).

Lorsque je commençais à étudier les écrits de Baha'u'llah, je le fis avec l'esprit critique, voltairien, propre au Français. Et je ne pus m'empêcher de penser "il n'a rien inventé" en lisant qu'il fallait se laver chaque jour à l'eau courante. Je changeais d'avis le jour où je trouvais dans un manuel de civilité du XVIIIe siècle le conseil suivant : "Prenez des bains avec précaution et jamais plus d'une fois par mois". Les Français de ce temps ne se lavaient presque jamais le corps entier et, en fait, ce beau maximum n'était jamais atteint!

Ils continuent à "mariner" dans le jus de leur baignoire! A l'époque de Baha'u'llah, on avait l'habitude de remplir le hammam le premier jour de la semaine et de ne le vider que le dernier! Le hammam est le bain public, si bien que les bains du vendredi devaient avoir des effluves de paradis.

Aujourd'hui encore, dans les Andes, on ne se lave pas pour se tenir au chaud. Il ne faut pas oublier que les lois sociales de l'Educateur sont toujours en avance sur leur temps et prescrites pour le monde entier. Si l'hygiène a fait récemment des progrès, c'est peut-être à cause d'elles.

Où le poète libanais Khalil Gibran dont le chef-d'oeuvre Le Prophète a ému le monde entier, a-t-il trouvé son inspiration? Sinon dans ses conversations avec les adeptes de Baha'u'llah. Il a d'ailleurs fait le portrait de son fils aîné que l'on peut voir dans le bâtiment des archives à Haïfa. Et Gandhi, l'apôtre de la non-violence? Sinon à cette même source.

A la lumière de ces faits, on pourrait plagier Montesquieu et déclarer: "Comment ne pas être persan?"

Le prisonnier de St-Jean-d'Acre, Baha'u'llah, explique que, en réalité, "les paroles les plus sages que prononcent les penseurs, l'enseignement le plus profond que les hommes puissent donner, les oeuvres des artistes les plus habiles, l'influence exercée par les gouvernants les plus puissants ne sont que des manifestations du pouvoir vivifiant qui émane de l'Esprit transcendant exprimé à travers les grands éducateurs universels"

Consciemment ou non, les hommes vivent sous de nouveaux cieux.

Une nouvelle terre est en préparation. Une nouvelle vigueur saisit l'humanité. Les hommes n'inventent rien. Ils captent seulement avec plus ou moins de netteté le faisceau "akashique" dont parlent les moines tibétains. Ce long faisceau lumineux où l'histoire serait déjà inscrite. Pour n'avoir pas su répondre à l'attente d'un âge nouveau, notre civilisation tombe dans le chaos. Les éducateurs universels du passé n'ont eu pour souci que la préparation de l'humanité à ce grand Jour. Petit à petit, ils ont expliqué aux hommes les règles de l'art de vivre. Adam leur a fait comprendre qu'il y a le bien et le mal, ce qu'ils ignoraient jusqu'alors. Il fut nommé le premier homme. C'est-à-dire qu'il fut le premier être à faire cette distinction. Il y avait bien sûr d'autres humains. Le second grand instructeur, Abraham, explique que cette création est une et n'a qu'un point de départ qu'il nomme Dieu. Leçon suivante: Moïse avec ses dix commandements, base des relations morales de toutes les sociétés du monde: "Tu ne tueras point, tu ne voleras point, etc."

Grande leçon suivante, le Christ avec le développement de la conscience individuelle (et l'introduction de l'amour dans les relations humaines). L'Etat est important, mais l'individu compte aussi: "Rendez à César ce qui est à César".

Avec Mahomet sont apparues les lois coraniques base de l'Etat-nation, l'étape précédant la nôtre.

Le stade de développement actuel est celui de l'unité du genre humain. Pivot de l'enseignement de Baha'u'llah. Certes, l'idée n'est pas nouvelle. Les grands éducateurs l'ont déposée dans les esprits depuis l'aube des temps. Mais aujourd'hui seulement, elle est applicable. Au temps du Christ, on ne connaissait ni l'Australie, ni l'Amérique. L'unité mondiale était prématurée et irréalisable. Baha'u'llah réexplique les notions du passé pour l'esprit adulte et rationnel de l'ère moderne. Son enseignement, la Foi baha'ie, n'est donc pas une nouvelle religion mais la religion renouvelée, le chapitre du jour.

Les chrétiens s'exclament: "Mais le Christ aussi à dit cela!" Les adeptes des religions existantes y retrouvent tous indéniablement l'esprit de leurs traditions. Personne n'envoie ses enfants directement à l'université. L'enfant débute en maternelle et, d'année en année, reçoit un enseignement adapté à son degré d'assimilation. Un seul enseignement, au fond, mais à travers différents professeurs. Chaque nouvelle leçon ne niant pas les précédentes, mais, au contraire, les élargissant, les développant. Le professeur d'université ne peut pas soutenir que celui de la maternelle n'a pas été valable. Il était nécessaire.

Ainsi, les grands éducateurs universels délivrent leur message GRADUELLEMENT, suivant le degré de compréhension de l'humanité du moment et ses besoins de l'époque. Il n'est qu'un seul enseignement spirituel, qu'une seule religion. Elle est révélée PROGRESSIVEMENT.

Le soleil qui revient périodiquement est toujours le même. Ce qui signifie que toutes les religions sont bonnes. Reconnaître que la religion de l'autre n'est qu'une facette différente de la sienne, une page indispensable du Grand Savoir, aide à se réconcilier et permet de faire un pas important vers l'unité.

Certains soutiennent que le prophète ne fait que cristalliser les idées de son temps. Alors, pourquoi les crucifier? Il n'est que d'étudier ce qu'ils préconisaient dans l'époque où ils vécurent pour se rendre compte que cela n'est pas vrai. Les idées nouvelles sont combattues. Dans le domaine scientifique, on note le même phénomène. Si Galilée avait maintenu que la terre était plate, il n'aurait certainement pas été menacé du gril. Les plus simples vérités ont toujours été contredites par les "spécialistes" eux-mêmes sous prétexte qu'elles contredisaient la "science". Si l'on regarde de près, on s'aperçoit que tous les progrès ont été réalisés contre le gré des hommes. Contre les découvertes les plus utiles se sont toujours dressés des arguments "scientifiques", ou, plus exactement, des arguments d'individus qui utilisaient leur notoriété de savants pour imposer leurs préjugés. Car, comme tous les hommes, les savants se libèrent difficilement de leurs craintes inconscientes, et toute nouveauté qui menace la sécurité psychologique éveille immédiatement une rèsistance aveugle. Il y a malheureusement confusion au sujet du message des éducateurs.

Je me souviens de cet Algérien dans les Aurès à qui je demandais pourquoi il ne mangeait pas de porc.

- Si je mange du cochon, je deviens cochon moi-même et je couche avec ma fille!

Voilà comment il interprétait l'interdiction de consommer du porc faite par Mahomet.

La science démontre aujourd'hui que la viande de porc est celle qui se décompose le plus vite à la grande chaleur. Mahomet, doté du savoir inné, ne pouvait expliquer aux Arabes de son temps le processus précis de la décomposition de la viande, entraînant la maladie et la mort. Il leur a sagement donné, à la place, une loi interdisant de manger du porc. Loi fort juste, qui sauva des milliers de vie. Mais, aujourd'hui, avec un réfrigérateur à La Mecque, on peut en manger sans danger.

Il ne faut pas confondre lois sociales et lois spirituelles. Le rôle des éducateurs est double: d'une part, ils expliquent les lois spirituelles, valables pour l'éternité, fondées sur l'Amour universel. C'est de celles-là dont parlait le Christ: "Mes paroles ne passeront pas". D'autre part, ils apportent des lois sociales qui, elles, ne sont prévues que pour un temps.

A l'arrivée d'un nouvel éducateur, ces dernières sont remplacées par d'autres plus appropriées à une humanité en perpétuelle mutation.

Le long récit de la Bible illustre bien le changement répété des lois sociales du peuple hébreu. Le Christ n'ayant pratiquement pas donné de lois sociales, les chrétiens discernent mal le double aspect de la révélation. Il abrogea toutefois certaines lois mosaïques: "Vous avez appris qu'il a été dit: oeil pour oeil, dent pour dent. Mais moi, je vous dis de ne pas résister au méchant... Tendez l'autre joue!" (La société a le devoir de se protéger mais cette loi s'adressait à l'individu. Le Christ demandait de pardonner, cela n'impliquait pas de se laisser égorger par des tyrans.)

Au sujet de la loi "oeil pour oeil", l'histoire de mon amie Margot est un bel exemple pour comprendre la progressivité de la révélation.

Un jour, son enfant âgé de cinq ans jouait avec ses petits camarades dans le carré de sable typique des jardins québécois. Une petite fille lui envoya par mégarde une pelletée de sable dans l'oeil. Le gamin, de caractère plutôt irascible, sous le coup de la colère, remplit son seau de sable et, lui assénant un coup sur la tête, l'assomma! Margot, qui observait la scène de la fenêtre, me fit cette remarque:

- J'avais toujours tenu cette loi de Moïse pour rétrograde, mais là j'en compris la justesse. Un seau entier pour une pelletée de sable était moins juste qu'une pelletée pour une autre! La loi de Moïse était progressiste par rapport à celle de la jungle. Tout est relatif. Mais les hommes se sont attachés aux lois sociales, oubliant les lois spirituelles, alors qu'il eût été plus important de faire le contraire.

La révélation de Baha'u'llah se distingue en deux points importants par rapport aux précédentes.

Premièrement, elle a été écrite au lieu d'être parlée (en arabe et persan d'un style inégalé). Baha'u'llah a rédigé plusieurs textes de sa propre main, que l'on peut voir dans le bâtiment des archives à Haïfa.

Parfois, racontent des contemporains, le flot de la révélation était si puissant que plusieurs secrétaires courbés sur leur parchemin n'arrivaient pas à suivre le débit de ses paroles. La puissance était telle, d'ailleurs, que Baha'u'llah comme le Bab, était capable d'écrire l'équivalent d'un Coran entier en quelques heures! Ce Coran qui prit toute la vie de Mahomet pour être compilé.

Seul ce dernier livre peut se vanter d'être le plus fidèle des livres saints, car il a été rédigé du vivant de l'auteur. Les Evangiles n'ont été écrits qu'une cinquantaine d'années après le ministère du Christ. L'enseignement de Bouddha ne fut consigné sur parchemin que 2 siècles 1/2 après sa mort, sous l'impulsion du roi Ashoka. Les textes hindous (Les védas n'ont été écrits qu'à la fin du XVIIIe siècle et au début du XIXe, sous l'influence des Européens), parsis, sabéens ont connu le même inconvénient. La Bible, elle-même, a été rédigée au cours de plusieurs siècles où l'optique des hommes s'est mêlée à l'inspiration des prophètes. Que reste-t-il d'authentique dans tous ces textes?

Pour éviter toute controverse, Baha'u'llah a signé ses écrits de son propre sceau.

Deuxièmement, la vérité a été révélée en clair. Nombre de querelles divisant les hommes viennent du fait que les textes sacrés précédents contenaient des paraboles et autres prophéties abstruses.

Un père de famille sensé expliquant à son enfant les questions sexuelles, par exemple, lui dira la vérité, mais d'abord d'une façon voilée, imagée. Il serait inopportun de vouloir tout expliquer d'un seul coup. Ce n'est qu'au début de l'âge adulte, que le père pourra lui révéler la vérité entière Ce qu'il lui avait dit précédemment n'était pas faux, c'était adapté à la compréhension de l'enfant.

De même, les éducateurs du passé ont dit la vérité, mais à travers des images, les fameuses paraboles. Dont le sens ne pourrait être explicité que par un autre éducateur en temps voulu, et non par l'imagination humaine. Un autre point à ne pas négliger est que les écrits sacrés proviennent tous de l'Orient, où hyperboles et richesses de langage sont courantes.

Avec Baha'u'llah, tout ceci a disparu. Non pas l'élévation et la majesté de langage, mais les paraboles et autres insinuations obscures. Il explique celles des textes précédents et enseigne "toutes choses" directement, de façon à satisfaire l'esprit cartésien et scientifique du jour. Sans toutefois perdre la dimension mystique. Voilà ce qui est nouveau.

Pour la première fois dans l'histoire de la révélation, les hommes sont traités en adultes.

Finies les notions enfantines du genre: "Fais ci, fais ça, sinon gâre au châtiment!"

Baha'u'llah demande de ne pas agir aveuglément. Finies les prophéties sibyllines. Le Bab marquait la fin de l'ère prophétique et le début de l'ère nouvelle. Celle de l'accomplissement, de la réalisation des promesses du passé. Du paradis promis. Le paradis commence ici-bas. Construire la nouvelle Terre, c'est la grande tâche qui attend les hommes et le but de la révolution babie. Aucune alchimie politique ne peut créer une société d'or avec des individus de p1omb. Le "paradis" viendra de l'entente entre tous les hommes, de leur coopération, de l'amour qu'ils se porteront, de la justice qu'ils appliqueront, en somme, de la mise en pratique de ces lois spirituelles révélées de temps immémoriaux et renouvelées par les prodigieux événements persans du siècle dernier.

Les maux de l'humanité proviennent du manque de développement spirituel des individus, de leur manque d'idéaux.

Il est impératif de se mettre à la tâche tout de suite. Certains croient que les solutions ne peuvent être apportées que par des spécialistes. Non, elles dépendent de chacun de nous, de notre effort, de notre bonne volonté, de notre dédication à la cause commune, de notre foi. Nous sommes tous responsables. D'autres attendent l'invasion d'extra-terrestres pour tout régler! On n'aurait plus qu'à obéir à leur savoir supranaturel et leurs institutions géniales. Qui apprécierait d'être commandé même pour cause édénique?

Certains savants pensent que le salut de notre espèce ne peut sortir que des laboratoires de biologie! Le cerveau de l'homme, souffrant d'une malformation d'origine, demanderait un correctif biologique. C'est le vieux rêve de "l'élixir vitae"

La vérité me semble plus prosaïque: sans effort personnel, pas de paradis!

Cet effort exigera de se débarrasser d'abord des préjugés de races, de classes, de couleurs, de croyances, de nationalités, de formation si l'on veut que les gens de caractère "loup" et ceux de caractère "agneau" finissent par cohabiter pacifiquement. Si l'on veut transformer les épées en socs de charrues, selon l'image du prophète Isaïe. Tenter de redresser les branches noueuses d'un arbre mûr est vain. Mieux vaut l'aider à pousser droit. Une société nouvelle ne pourra se faire qu'avec des hommes nouveaux, c'est-à-dire, aujourd'hui, ceux pénétrés d'un esprit universel: les mondialistes.

Les sectaires sont l'ivraie de l'humanité. Promulguer de belles et justes lois n'est pas suffisant "Personne ne verse du vin nouveau dans de vieilles outres". Aux Etats-Unis, par exemple, Noirs et Blancs sont égaux dans les textes mais pas dans la réalité, car le racisme subsiste (Par ailleurs, un assemblage de sages ne peut constituer une société viable sans lois.)

On ne construit pas une pyramide à partir du sommet. De même, la société doit être bâtie en commençant par la base: l'individu. Si personne ne change pour devenir un être nouveau, une pierre nouvelle, comment pourra-t-on élever un édifice solide?

Depuis plus de cent ans, les révolutions se sont succédées. Cela continue Mais que révolutionne-t-on, puisqu'il faut toujours recommencer?

La vraie, la seule restant à faire, est celle des coeurs et des esprits: sa révolution personnelle.

La majorité des gens est unanime à affirmer que, pour changer la société, il faut changer les individus (quoique beaucoup trouvent plus commode d'essayer de transformer le voisin qu'eux-mêmes !)

Ceci amène la question primordiale: comment l'homme peut-il transcender sa nature ?

La plus grande des révolutions est la révélation. Elle a toujours mis en marche des forces nouvelles, des idéaux plus avancés et un esprit de sacrifice permettant aux hommes de franchir l'étape suivante.

A la différence de ce que l'on appelle habituellement "révolution", au début, elle n'est pas bruyante. Contrairement aux slogans des révolutionnaires, le message des éducateurs, délivré sans violence ni excès, prend de plus en plus de poids après la disparition de leur auteur. Force est de constater qu'à chaque révélation d'un message universel, les hommes ont acquis des qualités plus pures et ont été motivés jusqu'à l'ultime sacrifice. Les révolutions ordinaires ont aussi leurs martyrs. Mais il y a une différence. Le martyr de la révolution est victime de la malchance. Lumumba ou Che Guevarra, malgré leur abnégation, préféreraient certainement être encore en vie. Tandis que le martyr de la révélation accepte avec joie, ou même cherche, ce service d'honneur suprême qu'est l'offrande de sa vie pour son bien-aimé, le prophète.

Les sombres histoires de martyrs se laissant dévorer par les lions peuvent paraître aberrantes. Je n'avais pas compris l'acte du martyr avant d'avoir étudié les témoignages sur les événements babis. Alors que le torturé ou le martyrisé d'une révolution hurle sa haine, le martyr religieux laisse éclater son amour dans la douleur. Sa vision du monde étant soudainement transformée, il accepté de verser son sang pour être la sève du nouvel arbre de vérité.

C'est au nom du grand message d'Amour que les hommes se sont montrés le plus sublimes, ont accompli 1es plus grandes prouesses.

Ce qui distingue le message révèle, c'est qu'il permet aux hommes de trouver le courage nécessaire pour se transcender. Ce message est porteur d'un pouvoir mystérieux que n'explique pas facilement notre raisonnement.

Ne croyez pas, écrit Baha'u'llah, que nous avons révélé un simple code de lois Non, c'est plutôt le vin choisi que, des doigts de la Puissance et du Pouvoir, nous avons décacheté pour vous.

La révolution mobilise les hommes, la révélation les exalte.

Elle transforme le puceron en aigle! La vie des grands saints le prouve, et j'ai pu en constater les effets dans le monde entier chez les adeptes de Baha'u'llah, les baha'is. Ce sont des êtres fortifiés, prêts à se sacrifier. La révolution, elle, pousse plutôt à sacrifier les autres.

Dans son essai L'Utopie ou la Mort, René Dumont sent la nécessité de l'homme nouveau et d'une société sans mépris: "Il serait cependant utopique de penser qu'une telle société pourrait se passer de règles, de disciplines, de pouvoirs, d'institutions."

L'homme, de par sa nature, a besoin d'être guidé. Vérité honnie. "Fini les guides", j'entends dire, "on a vu ce que cela a donné avec Hitler."

Suivre un loup n'est pas signe d'intelligence. L'homme agit différemment selon qu'il oriente le miroir de son âme, de son entendement, de son intelligence vers les réalités célestes ou l'obscurité matérielle.

Le philosophe indien Krishnamurti, avocat de la suppression de tout guide, est lui-même entouré de fidèles par milliers!

Le comportement dépend de l'éducation et des acquisitions et non de quelques flashes instantanés de supersavoir. Sinon, pourquoi l'éducation, l'instruction, la morale? Devrait-on plutôt abandonner les enfants jusqu'à ce qu'ils soient illuminés? Cela n'a jamais été.

Tout ceci n'implique nullement que l'homme doive singer bêtement. Mais il n'a pas d'autre façon pour se développer que de s'inspirer des grands éducateurs universels. Ces initiés que l'humanité ne peut saisir dans leur essence, qui ont un corps humain et ont mené une vie terrestre, mais dont la profonde réalité le dépasse et qui ont prouvé, à chaque fois, la justesse de leur vision.

L'homme est une créature dépendante. Même s'il domine la terre, il fait partie de la création, et sa vie ne peut être harmonieuse que dans la mesure où il se conforme aux lois cosmiques. Lois dévoilées par les grands initiés.

Le titre de gloire dont se vantaient les premiers disciples de Mahomet, m'avait choqué: "être l'esclave de Dieu." (musulman veut dire: résigné à la volonté de Dieu). Mon sang de Français, d'héritier de Vercingétorix et de descendant de la révolution de 1789 ne fit qu'un tour. Je ne suis l'esclave de personne!

L'Occidental, fils de la mythologie grecque où les hommes se battaient directement contre les dieux (il est vrai que ceux-ci ne se gênaient pas pour engrosser leurs femmes!), manque de la plus élémentaire notion de révérence (mot pris dans l'ancien sens de respect).

Moi, esclave jamais. Etre l'esclave de Dieu, de l'infini, de l'illimité, n'est-ce pas cela, au fond, être libre?

Etre libre signifie libérer son potentiel de vertus, de qualités humaines. Existe-t-il pour cela de meilleure manière que d'absorber "le corps", c'est-à-dire l'essence de l'enseignement révélé et de l'assimiler afin qu'il fortifie pour agir. C'est ce que voulait dire le Christ lorsqu'en montrant le pain comme symbole à ses apôtres, il ajouta: "De même que vous mangez ce pain pour qu'il vous nourrisse, mangez mon corps (le corps de mon enseignement) pour qu'il vous profite". La cène n'avait pas pour but d'instituer la théophagie!

Enfant, nous avons besoin d'une méthode pour apprendre à lire. Elle peut être ressentie, au début, comme une contrainte. Mais son vrai but est de former à la lecture et de donner ainsi accès aux textes, au savoir humain. Cette méthode rend-elle esclave?

La révélation est une méthode qui peut sembler contraignante au début, mais sans laquelle nous ne pouvons avoir accès à un monde supérieur. La méthode étant assimilée, on devient libre. Sans elle, on reste esclave. En France, pendant la révolution de 1789, les églises furent saccagées et le clergé, dont les abus étaient évidents, vilipendé. Institutions et lois spirituelles furent confondues. On a voulu supprimer d'un seul coup curie romaine et évangile. Un peu comme lorsqu'un transistor ne fonctionne plus, on le jette au lieu de changer ses piles! La révolution voulait déraciner Dieu. Pourtant, il a été jugé opportun de maintenir des cours de morale.

Mais où se trouve la source de la morale?

La révolution chercha des ersatz à la religion: le culte de la raison, de l'Etre suprême, puis, plus tard, les évangiles socialistes des Proudhon, Blanqui, Fourier. Pourquoi se contenter d'un succédané de religion?

De même que la bougie ne peut s'allumer seule, le coeur de l'homme pour donner sa lumière et sa chaleur ne peut s'allumer sans la flamme de la sagesse divine, brillante dans chaque messager.

Comment bâtir une société nouvelle de justice et de paix? Comment fait-on construire une maison neuve? Il faut obtenir un permis, en faire dresser le plan et réunir les matériaux de construction. L'évolution de l'humanité rend imminent le besoin d'établir la civilisation mondiale. Aucun brouillon, aucune esquisse jusqu'à présent, n'ont abouti à un plan cohérent pour réaliser le mondialisme. Il est devenu évident que les hommes sont impuissants à établir l'ordre sur terre. Seul, l'architecte "divin" peut tracer le plan miracle.

Un plan parfait dressé par le prisonnier de Saint-Jean-d'Acre dort, pour l'instant, dans les tiroirs de l'histoire. Plan distinguant cette révélation des précédentes et des révolutions contemporaines qui, loin d'avoir une vision globale, dressent individus et nations les uns contre 1es autres. Nous sommes à l'époque du rassemblement des matériaux nouveaux, de ces êtres à l'esprit universel désirant la paix. Un nouveau type d'homme se lève. Partout Ceci est mon témoignage La communauté internationale baha'ie se développe silencieusement, sans relâche. Des îles Futuna (9 % de la population) à l'Alaska (1 %), de la Bolivie (1 %) à l'Inde (1 million d'adeptes). Dans quelque 363 pays et dépendances (Statistiques début 1984) (dont 173 nations souveraines), plus de 112 000 communautés regroupant des hommes et des femmes de toutes nationalités, races, classes, professions, lettrés ou analphabètes, riches comme pauvres et comprenant la majorité des tribus connues dans le monde, forment les premières pousses de la "nouvelle terre"


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