Le prisonnier
de Saint-Jean-d'Acre
Par André Brugiroux, célèbre
globe-troteur ayant parcouru le monde en auto-stop
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Chapitre 13. FEMME
"Resterez-vous silencieuses et toujours
cachées?"
Flora Tristan - "Appels aux femmes"
Il est impératif que la femme s'émancipe. Quand le point de vue féminin recevra
la considération qui lui est due et que la volonté de la femme pourra s'exprimer
dans l'organisation de la société, maintes questions négligées par le régime
de prépondérance masculine feront de grands progrès. Nos modèles sont toujours
Ulysse, coureur des mers; Thésée, déjoueur de labyrinthe; Icare, aux ailes brûlées.
Pourquoi pas Diane, vaillante chasseresse; Athena, sage conseillère, ou Thémis,
la justice?
Plus de la moitié des habitants de la terre sont des femmes. Pourquoi n'exalter
que des héros masculins?
"C'est le seul homme de notre gouvernement", disaient les Israéliens admiras
en parlant de Golda Meir. Les femmes de valeurs ayant réalisé des choses remarquables
dans le passé ne manquent pas plus que celles qui accomplissent des tâches importantes
aujourd'hui. De la reine Zénobie à Florence Nightingale, de Sémiramis à Joliot-Curie
Jusqu'au XIXe siècle, en Europe, la femme n'avait pratiquement pas de vie propre:
pas de droit de vote, pas d'accession à la propriété. L'homme avait tous les
droits, y compris celui de la battre. A l'époque d'Hitler, la femme était encore
enfermée par les trois K (Küche, Kinder, Kirche): cuisine, enfants, église!
Mais aujourd'hui l'électricité, l'atome et l'ordinateur diminuent, peu à peu,
la primauté du travail musculaire. Or la femme, médiocre cow-boy, fait une excellente
cosmonaute. Valentina l'a prouvé.
Louis Puiseux souhaite dans un ouvrage sur l'énergie "qu'au-delà de la fastidieuse
exaltation des héros masculins de l'Occident, conquérants, bâtisseurs, inventeurs,
aventuriers, capitaines d'industrie, tous plus ou moins voués au saccage, vienne
pour la première fois, depuis la fin du néolithique et l'apparition des grands
empires, une renaissance de vraies vertus féminines: une sagesse qui sait la
solidarité, non seulement de toutes races, mais de toutes espèces, de l'enfant
de l'homme à l'algue et à l'oiseau, une sagesse qui connaisse l'amour indivisible
de la vie" Souhait récent que partage un nombre croissant d'êtres humains.
Plus d'un siècle auparavant, l'oeuvre de Baha'u'llah prônait cette renaissance.
Ses lois sociales, sans équivoque, soutiennent que la femme doit être considérée
comme l'égale de l'homme, jouissant de droits et de privilèges égaux, d'une
éducation semblable et de facilités similaires. Dans les règnes inférieurs de
la nature, animal ou végétal, la supériorité d'un sexe sur l'autre n'existe
pas. Chez les humains, cette distinction ne provient pas de la nature non plus.
Mais de l'éducation. Au début de sa vie le foetus n'est pas différencié. De
même, il n'existe pas de différences fondamentales dans la vie des enfants jusqu'à
l'âge de la puberté. Dans l'homme, il y a des éléments féminins, dans la femme
des masculins.
Aucun phénomène n'échappe à la bipolarité, masculin, féminin, animus, anima,
le Yin et le Yang des Orientaux: bien, mal, patience, impatience, intériorité,
extériorité. L'égalité signifie seulement le respect de l'autre dans la différence.
Il faut reconnaître l'autre comme égal à soi. Beaucoup de pays aujourd'hui promulguent
l'égalité des sexes, mais les vieilles survivances ont du mal à mourir. Abdu'l-Baha
expliquait à Paris que si les femmes bénéficiaient de la même éducation elles
démontreraient vite l'égalité de leurs capacités. Il ajoutait: A certains égards,
la femme est supérieure à l'homme. Elle a le coeur plus tendre, elle est plus
réceptive et possède une intuition plus vive. La femme possède plus de pouvoir
intuitif dans les nécessités de la vie, car c'est à elle que l'homme doit sa
propre existence.
Il précise que, lorsqu'on ne peut pas faire instruire tous les enfants comme
c'est le cas dans le Tiers-Monde, mieux vaut commencer par les filles!
Cela gagnerait une génération en alphabétisation, car une mère instruite peut
former correctement ses enfants. C'est elle qui donne la première formation,
la plus importante. Cette idée n'est mise en pratique dans aucun des pays concerné
et éveille même l'hostilité. En réalité, homme et femme doivent transmettre
la connaissance, car volonté et intuition sont des principes complémentaires
qui maintiennent la vie. Depuis les années soixante, celles des beatniks, des
hippies et de l'élection de la première Maison Universelle de Justice, les anciennes
idées s'effritent rapidement. Autrefois, l'homme qui plaisait était le bel officier
de marine ou le vaillant capitaine, cheveux ras, mâchoire carrée, uniforme étincelant.
L'uniforme avait du prestige. Mais où est passé ce prestige? Les militaires
n'osent même plus sortir en tenue, de peur d'être ridicules. Aujourd'hui, est
apprécié l'homme doux, aux cheveux bouclés, à la chemise à fleurs qui lui attirait
le qualificatif d'homosexuel auparavant. Le mouvement hippie, si décrié, a libéralisé
l'habillement, les moeurs et la pensée. Il a attiré l'attention, malgré lui,
sur des valeurs dites "féminines": non-violence, amour, patience, paix.
Les femmes revendiquent de plus en plus leur juste droit. Elles ne cesseront
pas de le faire avant que les hommes l'aient enfin reconnu.
Cela ne veut pas dire qu'il faut ignorer les différences. L'homme privilégie
l'analyse au détriment de la synthèse. Analyser signifie décomposer, disséquer.
Il a besoin de cette opération intellectuelle pour comprendre la vie, car il
n'en possède pas les clés intuitivement. Pour ne pas respecter les différents
plans de son être, il vit en terme de conflit. Cette division interne suscite
la guerre au niveau collectif L'homme est d'abord action. Extériorité Il est
mû constamment par le "projet"", le besoin d'inventer, d'asservir et le souci
du progrès. Une humanité dirigée par la femme, plus intériorisée, moins aventureuse
par nature, aurait été probablement plus statique. Mais le temps de la conquête
est révolu. La femme, plus conservatrice, est devenue l'élément indispensable
à la civilisation mondiale. Sans sa médiation, l'homme ne peut rien concrétiser.
Au-delà des femmes, ce sont les valeurs féminines qui doivent prendre leur place
dans le monde. La santé, la tempérance, le respect de la vie et la paix ne s'en
porteront que mieux.
Les valeurs féminines sont devenues nécessaires pour stabiliser les conquêtes
masculines. Tant qu'elles ne pourront se déployer, la société ne pourra s'humaniser.
L'égoïsme continuera à saccager la planète. La violence fera loi. La femme,
porteuse de vie, en connaît la valeur sacrée. Sa constitution, sa fonction l'induisent
à conserver la vie. Si elle pouvait dire son mot dans le concert des nations,
les guerres disparaîtraient rapidement. Aucune mère n'envoie de gaieté de coeur
ses enfants au front ou au maquis. Il ne s'agit pas, bien entendu, de remplacer
les valeurs masculines par les valeurs féminines, mais d'utiliser 1es deux.
La civilisation en dépend. Cela suppose l'alliance de l'Occident, principe masculin
de séparation et de conflit, et de l'Orient, principe féminin d'union et d'harmonie.
Du monde de la technologie et de celui des valeurs spirituelles.
Pourquoi les hommes veulent-ils tout régenter? Même les décisions concernant
les femmes sont prises à leur insu. Cette façon de procéder, reflet de l'histoire
où les résolutions ne tiennent pas compte des intéressés (individus ou peuples),
ne peut engendrer que des conflits. La guerre insulte les femmes: c'est vouloir
détruire l'oeuvre de leur chair. Il est temps de mettre fin aussi à d'horribles
coutumes les mutilant. Comme l'excision et l'infibulation en Afrique. De faire
cesser les harems. Que le divorce ne soit plus une parodie de culpabilisation
au détriment de la femme. On peut bénir Mao pour avoir mis un terme à l'atroce
coutume des petits pieds en Chine, méthode par laquelle on empêchait le pied
des fillettes de croître au prix de souffrances inouïes, mais il reste encore
des lèvres à plateaux, des cous de girafes, des nez percés, des lobes d'oreilles
déchirés, etc.
Les lois baha'is rendent obligatoire le consentement des deux époux pour le
mariage. Lois proprement révolutionnaires en Orient, où ceux-ci ne se choisissent
pas. Il n'est qu'à voir le soulagement et la fierté des femmes baha'ies dans
les pays musulmans pour comprendre. Ces lois demandent le consentement des parents
également, ce qui est révolutionnaire pour l'Occident cette fois! Elles insistent
sur la fidélité dans le mariage. En effet, sans l'unité du couple et de la famille,
cellule-base de la société, il est impossible de réaliser l'unité du monde (le
divorce n'est pas recommandé mais existe: son application est simple).
De plus, grâce à ces lois, les femmes baha'ies sont éligibles et participent
aux décisions de la communauté au même titre que les hommes.
En 1844, l'année de naissance de la révolution persane, porteuse de ces lois
émancipatrices, se tinrent aux Etats-Unis le premier Congrès des droits de la
femme et le premier Congrès de l'éducation universelle.
A l'époque où la sublime héroïne babie, Tahirih, secouait le joug de siècles
d'oppression masculine, une jeune Française, Aurore Dupin, protestait à travers
ses romans contre l'organisation sociale et plaidait pour l'émancipation des
femmes. Vers les années quarante, elle s'enthousiasma pour les idées socialistes
et publia alors des romans reflétant son mysticisme humanitaire. D'aucuns affirment
qu'elle fut la première féministe. Voulant égaler les hommes de façon radicale,
cette "Minerve" s'habilla comme eux (les pantalons féminins n'ont été admis
en France que bien après la Deuxième Guerre mondiale et leur port n'est toujours
pas légal!), coupa ses cheveux et fuma le cigare. Ses compatriotes la connaissent
mieux sous son nom masculin: George Sand. Les femmes se distinguent particulièrement
dans le mouvement baha'i. Sans hésitation, elles l'ont porté aux quatre coins
de la terre. L'archétype "apostolique" est une Américaine, Martha Root, ancienne
institutrice devenue journaliste qui parcourut inlassablement le monde et réussit
a convertir la reine Marie de Roumanie à cette nouvelle Foi en 1926. C' est
également un groupe de femmes exceptionnelles qui implantèrent cette Cause en
France. A Paris, en 1899. Parmi elles, May Maxwell, dont la fille vint présider
une Conférence Internationale Baha'ie au Palais des Congrès à Paris en 1976.
Conférence réunissant sept mille participants. Les religions précédentes n'ont
jamais accorde l'égalité à la femme.
"Femmes, soyez soumises à vos maris comme au Seigneur" (Ephésiens, 5 : 22),
"l'homme est le chef de la femme" (1 Corinthiens, 11:3), "Je ne permets pas
à la femme de prendre de l'autorité sur l'homme" (1 Thimotée, 2:12). Chez les
juifs et les musulmans comme chez les chrétiens, la femme doit se soumettre.
Mais aujourd'hui, dans l'ère nouvelle qui s'ouvre, la Justice divine exige que
les droits des deux sexes soient également respectés puisque, au regard de Dieu"
aucun des deux n'est supérieur à l'autre. Pour Dieu, la dignité ne dépend pas
du sexe mais de la pureté et de l'éclat du coeur.
La misogynie du christianisme doit être attribuée à Paul et non au Christ. Dans
des sociétés férocement dominées par les hommes, les grands éducateurs ont toujours
cherche à relever le statut des femmes, mais cela ne pouvait être fait tout
d'un coup.
Mahomet, contrairement à l'idée répandue en Occident, a donne un statut à la
femme arabe, traitée jusqu'alors au même titre que le bétail. Elle était si
dépréciée que les Arabes de l'époque enterraient leurs petites filles vivantes.
Les lois coraniques lui donnèrent des garanties. Elles limitent, par exemple,
le nombre d'épouses à quatre et incitent à la monogamie: "Si vous craignez encore
d'être injustes, n'en épousez qu'une seule" (4 3) Ce sont les textes chrétiens
qui ne limitent pas le nombre d'épouses!
Aujourd'hui, les écrits du prisonnier d'Akko ont clairement sonne l'heure de
l'égalité entre l'homme et la femme. Les effets en sont de plus en plus notoires.
Dans le passé le monde a été gouverné par la force et l'homme a dominé la femme
en raison des caractéristiques plus impétueuses et plus agressives inhérentes
tant à son cerveau qu'à sa constitution. Mais la balance penche déjà; la force
perd de sa prépondérance et la vivacité d'esprit, l'intuition, les qualités
spirituelles d'amour et de dévouement caractérisant la femme acquièrent de plus
en plus d'ascendant.
Aussi, l'âge nouveau sera-t-il un âge moins masculin et plus imprégné des idéaux
féminins ou, pour parler plus exactement, un âge au cours duquel les éléments
féminins et masculins de la civilisation se trouveront dans un juste équilibre.
La femme est l'avenir de l'homme, le poète a raison