La renaissance
de la civilisation
Par David Hofman
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Chapitre 2. NOTRE PLACE DANS L’HISTOIRE
On voit trop souvent dans l’histoire une simple série de faits sans causes.
En réalité, elle raconte le développement de la race humaine.
La série d’événements habituellement présentée comme «l’histoire d’une époque»
n’est en somme que le reflet extérieur d’un processus interne. ‘Abdu’l-Baha
nous apprend que ce processus en est un de croissance. L’histoire de l’humanité
est celle de son progrès et elle décrit les activités humaines à tous les stades
de son développement. Elle montre donc, à ceux qui admettent que la société
humaine connaît ce processus, l’étape qu’a atteint son développement.
Par exemple, le grand mouvement auquel les Européens ont donné le nom de Renaissance
montre, chez les peuples concernés, le passage de la jeunesse à l’adolescence.
La Renaissance n’est pas simplement, après le Moyen Âge, le résultat du saccage
de Byzance par les Turcs, c’est plutôt le signe extérieur d’une période cruciale
dans le développement des peuples de l’Europe, un signe qui a des origines plus
profondes et plus anciennes que la simple conquête d’une ville.
De même, les désordres du vingtième siècle ne résultent ni de la révolution
industrielle, ni du traité de Versailles, ni du capitalisme, ni d’aucun facteur
isolé, quel qu’il soit. Ils sont plutôt les effets visibles d’une crise profonde
dans le développement de l’humanité.
S’il nous était possible de visualiser mentalement l’élaboration de ce développement,
peut-être arriverions-nous alors à comprendre la vraie nature de notre époque.
Nous ne devons pas nous attendre à voir l’humanité avancer en ligne droite;
ce n’est pas ainsi que le monde évolue. Une loi de progression et de régression
régit ce développement : une période d’été est suivie d’une période d’hiver,
comme dans la nature. Des périodes de repos sont aussi nécessaires que des périodes
d’activité, mais le processus de croissance ne cesse pas pour autant. Nous devons
nous rappeler aussi que le développement de l’homme ne s’est pas fait de façon
uniforme; il n’a pas eu lieu simultanément dans toutes les parties du monde.
De grandes civilisations ont surgi dans le passé, comparables à la nôtre, ou
même supérieures, selon certains. Alors, lorsque nous disons que le développement
de l’humanité s’est effectué par étapes, nous ne pouvons pas dire que tous les
peuples ont subi ces transformations en même temps.
Par conséquent, nous sommes en droit de nous demander : «Pourquoi ce développement
s’est-il produit? Pourquoi est-il survenu à différentes époques dans les différentes
parties du monde?» En répondant à ces deux questions, nous trouverons les réponses
au défi que nous lance le vingtième siècle.
La foi baha’ie nous donne une réponse à la première question en insistant sur
le but de l’histoire (peut-être devrions-nous dire plutôt le but de la création
car, à vrai dire, l’histoire décrit la réalisation de cette fin). L’histoire
est un processus de développement vers un but défini. Elle ne se borne pas à
rendre compte de luttes entre groupes rivaux dans un milieu hostile. Mais les
hommes l’ont toujours conçue ainsi, comme le prouvent la littérature, la poésie
et la philosophie. Dans son Essai sur la paix éternelle, Kant écrit:
«Dans l’histoire de la race humaine, considérée dans son ensemble, il est
possible de voir la réalisation d’un plan caché de la nature dont le but est
de créer une constitution politique qui soit parfaite à tout point de vue, une
constitution qui permettrait aux dons que la nature implante dans l’homme de
se développer pleinement [22].»
La « réalisation d’un plan caché », telle est la définition de l’histoire.
Comme l’arbre réalise, en grandissant, le dessein caché de la graine qui est
de produire des fruits, l’histoire de l’humanité réalise le plan contenu en
puissance dans sa propre nature. Mais que doit produire ce plan?
Pendant des milliers d’années, les hommes ont eu la vision de ce grand jour
où «ils transformeraient leurs épées en socs de charrue [23]»,
où «la terre serait pleine de la connaissance de l’Éternel[24]», où régnerait une fraternité
véritable: le royaume de Dieu sur la terre. «Que ton règne arrive» était autrefois
une prière pleine de réalisme et de confiance. Maintenant qu’elle a perdu sa
signification profonde, voilà que la déclaration stupéfiante de Baha’u’llah
résonne: «Le jour promis est venu.» Il déclare que cette vision, si longtemps
préservée, est tout à fait réelle et que nous allons réaliser le but de l’histoire.
Ce but, c’est-à-dire la fraternité mondiale ou l’ordre mondial, n’est pas une
fin en soi, c’est le seuil d’un état supérieur jamais atteint. Et l’ordre mondial
est le signe extérieur qui indique que la race humaine a atteint sa maturité.
Au moment où il porte des fruits, l’arbre entre dans la phase la plus longue
et la plus utile de sa vie. De la même manière, l’humanité, sur le point d’atteindre
sa maturité, se trouve-t-elle au début de la période la plus longue et la plus
splendide de son existence. Toutefois, cet ordre mondial ne s’établira grâce
à aucune intervention magique ou arbitraire; il sera réalisé lorsque l’humanité
franchira le passage difficile de l’adolescence à la maturité. Nous vivons actuellement
dans cette période de transition.
Cette période est douloureuse et troublée parce que, comme la plupart des jeunes
gens approchant la maturité, nous refusons de nous défaire des passions et des
préjugés, de l’insouciance et de l’irresponsabilité de la jeunesse, pendant
que toutes les forces de l’âme s’efforcent de réaliser leur plein héritage.
En résumé, on voit donc dans l’histoire un processus naturel de développement
qui doit amener l’humanité, les individus et les communautés à la maturité,
afin que leur potentiel latent puisse se réaliser. Ce potentiel est, chez l’individu,
«l’image de Dieu», et dans la communauté, le «royaume de Dieu sur la terre».
Abordons maintenant la seconde question. Pourquoi des civilisations ont-elles
surgi, puis disparu, à des époques différentes dans différentes parties du monde?
La théorie égocentrique de la supériorité raciale – que certains prônent encore
aujourd’hui – ne résiste pas à l’examen. La théorie de l’influence du milieu
s’effondre également. Nous sommes obligés de chercher la réponse ailleurs [25].
Les savants contemporains reconnaissent que la «société» – c’est-à-dire la vie
organisée des groupes humains – a existé bien avant que l’histoire de l’humanité
ne soit écrite, ce qui est en accord avec les enseignements de Baha’u’llah.
Les écrits baha'is reconnaissent également que l’être humain, dans sa forme
physique, a connu une longue évolution. Toutefois, Baha’u’llah affirme que,
même dans sa forme la plus primitive, l’homme possédait déjà en lui les caractéristiques
propres au genre humain. C’est ce potentiel attribué uniquement à l’être humain
que des siècles d’évolution ont permis de développer jusqu’à la phase actuelle
de la maturité.
La «société» est nécessaire à l’homme et elle agit sur sa conscience intérieure
comme le sol agit sur la graine. Elle fournit l’ambiance dont il a besoin pour
se développer, elle permet à ses forces latentes de se manifester sous une forme
nouvelle et lui sert d’arrière-plan pour ses activités, de matrice dans laquelle
la vie humaine peut s’enraciner et dont elle peut, de temps à autre, tirer une
énergie renouvelée.
Dans le monde de la nature, ces périodes de renouveau se produisent selon un
certain rythme et sous l’influence d’un facteur totalement indépendant de la
graine et du sol. Grâce à l’infaillible apparition du soleil, les saisons terrestres
se succèdent en cycles réguliers.
Il en est de même pour l’homme. L’homme est la graine, la société est le sol.
Qu’est-ce qui représente le soleil? Baha’u’llah déclare clairement et répète
avec insistance que le soleil qui brille sur l’âme de l’homme et qui ranime
son esprit, c’est la religion. Son éclat peut être fort et vivifiant, ou bien
faible et insuffisant, comme celui du soleil physique. Mais la condition de
la société, qu’elle soit vigoureuse et qu’elle progresse, ou qu’elle tombe en
décadence, dépend de la force ou de la faiblesse de cet éclat.
Le principe d’essor et de décadence, d’été et hiver, se retrouve en toutes choses.
Le développement de l’être humain n’échappe pas à cette règle. L’inactivité
l’incite à l’action mentale et spirituelle, puis il se repose avant de reprendre
la lutte à son réveil. La civilisation atteint un sommet, puis entame son déclin,
avant de connaître une autre renaissance.
Les forces du monde sont constamment renouvelées, grâce à l’apparition, d’époque
en époque, d’âmes remarquables, spécialement choisies et douées des capacités
requises pour cette tâche. Ces grandes âmes, à la fois humaines et plus qu’humaines,
dominent l’histoire, donnent un élan à l’évolution de l’humanité et déterminent
les nombreuses phases du progrès humain et de l’évolution spirituelle.
Elles révèlent les religions et fondent les civilisations.
La société chrétienne s’est établie sur la base des enseignements spirituels
de Jésus. L’Islam a été inspirée par Muhammad. La grande culture israélite qui
produisit Salomon est issue de la révélation de Moïse. La force spirituelle
qui trouva son expression dans la Perse à l’époque de Cyrus et de Darius a dû
sa naissance à Zoroastre. Krishna et Bouddha ont révélé la vérité et établi
une morale, unifiant ainsi des millions de gens en Orient, qui autrement seraient
restés à l’état primitif.
Le fait que la civilisation naisse d’une impulsion spirituelle donnée par une
révélation religieuse est une évidence qui n’est apparue comme réelle qu’à peu
d’entre nous, et c’est rarement à l’école qu’on nous l’apprend [26]. Baha’u’llah insiste sur ce point et dévoile le plan
historique que veulent réaliser, sans exception, tous les prophètes, qu’on peut
aussi appeler « manifestations de Dieu ». Ces symboles du soleil spirituel
apparaissent à différentes époques et sous des noms divers, mais tous sont nantis
du même pouvoir et travaillent au même but.
De même que la succession des saisons dépend de l’apparition du soleil, le renouvellement
de la civilisation dépend de l’apparition de la manifestation de Dieu. Le retour
du soleil est le premier élément essentiel de continuité, ce qui est soutenu
par la Bible et l’Évangile, en dépit des revendications d’exclusivité de l’Église.
Bouddha Siddartha appartient à une longue lignée de Bouddhas. Krishna déclara
qu’il, ou plutôt que l’esprit qu’il manifestait, reparaissait au cours des temps.
Les Écrits de toutes les grandes religions promettent une longue et merveilleuse
époque à venir, qu’elles associent toujours à l’apparition d’un nouveau messie.
Voilà ce qui explique l’origine et le déclin des civilisations. L’apparition
d’une manifestation de Dieu fait battre le coeur de la société, fait palpiter
le pouls de l’humanité organique. Le même principe dirige le flux et le reflux
des marées, le passage de l’activité au sommeil, de l’été à l’hiver.
Baha’u’llah nous apprend que ce grand être apparaît environ tous les mille ans,
mais que la date de son apparition, loin d’être fixée à l’avance, dépend des
conditions de la société. Lorsque l’humanité entre dans la période la plus sombre
de l’hiver, le nouveau soleil commence à se lever, lentement au début et ne
dégageant qu’une chaleur modérée. Ensuite, il monte vers la splendeur de son
zénith, avant d’entreprendre son déclin, laissant derrière lui les traces d’un
grand jour et ayant contribué au progrès de l’humanité, car chaque battement
du pouls de l’histoire porte l’être humain un peu plus loin sur le chemin de
son évolution.
Au moment où la splendeur du judaïsme s’évanouissait et où la superstition et
l’hypocrisie corrompaient sa grandeur, quand la gloire de la Grèce s’était éteinte
et que la puissance de Rome dominait le monde, il s’avérait nécessaire que le
soleil se lève de nouveau et vienne sauver l’humanité d’un hiver perpétuellement
barbare. Le soleil du christianisme se leva à l’horizon et, sans aide ni force
matérielle, Jésus infusa un tel esprit de dévotion et une telle détermination
à une poignée de pauvres gens qu’il les rendit capables de triompher du savoir
humain de leur époque. Ce fut cet esprit qui porta le flambeau de la civilisation
au moment du déclin de l’empire romain et qui finalement fit sa marque sur le
monde, par l’intermédiaire de Constantin.
Au septième siècle, la civilisation entrait de nouveau en crise et l’âge des
ténèbres régnait sur l’Europe. Alors apparut Muhammad.
Le peuple arabe se composait autrefois de tribus éparses, de barbares ignorants
et désunis qui gaspillaient leur temps et leur énergie à guerroyer les uns contre
les autres, le vainqueur s’emparant des femmes du vaincu et les ajoutant à la
liste déjà longue de ses épouses. Ces peuples adoraient des idoles et ne possédaient
que des notions d’organisation sociale rudimentaires.
Mais à peine soixante ans après la venue de Muhammad, les peuples arabes avaient
construit une nation forte et unie. Leur civilisation progressait dans la fraternité
de l’islam. Ils étudièrent et acceptèrent la Bible et les Évangiles et ils reconnurent
un Dieu unique. «Il n’y a pas d’autre Dieu que Dieu et Muhammad est son prophète.»
Ils améliorèrent la condition des femmes et constituèrent un ordre social puissant
et bien organisé [27]. Ils
devinrent les maîtres du monde en médecine, en mathématiques et en astronomie.
Ils exécutèrent d’importantes opérations chirurgicales, se servant d’alcool
comme anesthésique, pendant que les chrétiens, plongés encore dans les ténèbres
de l’ignorance, payaient les prêtres pour qu’ils effectuent des incantations
qui devaient guérir les malades.
Les Arabes inventèrent le système numérique sans lequel les calculs modernes
seraient impossibles. Ils créèrent une forme d’architecture qui se classe parmi
les plus belles du monde. Ils étendirent leur culture à l’Ouest jusqu’en Espagne
et à l’Est jusqu’aux Indes, et Baghdad devint le centre du monde, grâce
non seulement à ses richesses, mais aussi à ses arts et à sa culture. Ils unirent
dans une étroite fraternité des peuples aussi dissemblables que les Arabes,
les Turcs, les Hindous, les Égyptiens, les Maures et les Persans. Ils préservèrent
la culture et la philosophie grecques que l’Église primitive avait voulu détruire.
Ce furent aussi les Arabes qui se firent les gardiens de la science classique
pendant le Moyen Âge; ils ajoutèrent d’ailleurs beaucoup à sa richesse avant
de la rendre au monde occidental par l’intermédiaire des universités arabes,
comme celle de Cordoue, des croisades et des échanges marchands. Ils donnèrent
ainsi aux chrétiens cet élan que nous appelons la Renaissance et qui marque
un moment important de la civilisation occidentale.
L’histoire des Arabes de cette époque montre comment le plan divin fut suivi,
comment ceux qui dormaient furent réveillés.
‘Abdu’l-Baha parle de l’effet que produit le soleil lorsqu’il passe au-dessus
de l’équateur pour aller vers le Nord ou vers le Sud, puis il ajoute: «Pareillement,
lorsque la manifestation sacrée de Dieu, qui est le soleil du monde de sa création,
resplendit sur les âmes, les pensées et les coeurs, alors le printemps spirituel
arrive, une vie nouvelle apparaît, la puissance du printemps merveilleux devient
visible, et des bienfaits extraordinaires sont constatés. De même que vous l’avez
remarqué, lors de l’apparition de chaque manifestation de Dieu, des progrès
considérables sont constatés dans le monde de l’intelligence, de la pensée,
de l’esprit [28].» Si, peu à peu, l’humanité arrive
à développer ses qualités latentes, elle le doit aux saisons spirituelles.
S’il existait sur la terre des peuples qui n’avaient jamais connu de telles
impulsions sporadiques, ils démontreraient l’impuissance de l’humanité à se
développer sans le secours d’un tel élan. Mais toutes les société humaines ont
subi l’influence des manifestations de Dieu, soit directement, comme les populations
païennes d’Europe qui ont été influencées par Jésus, soit indirectement, comme
la chrétienté décadente qui a profité de l’influence de l’islam dont les enseignements
ont provoqué une renaissance du christianisme en Europe.
Les civilisations du passé furent nécessairement des civilisations locales,
car jamais les inventions et les découvertes n’ont atteint une puissance comparable
à celle des découvertes actuelles. On a pu aujourd’hui explorer les coins les
plus reculés du monde, le concept d’universalité prenant enfin tout son sens.
Jusqu’à tout récemment, les océans, les chaînes de montagnes et les déserts
contribuaient à maintenir les divisions entre les différentes composantes de
la race humaine.
Baha’u’llah enseigne comme principe fondamental que chaque révélation religieuse
s’accorde avec les conditions de son époque. Dans toutes les parties du monde,
à diverses époques, la vérité a été révélée, absolue dans son essence, mais
sous une forme convenant aux besoins, aux conditions et aux possibilités du
moment. Aujourd’hui, le monde a un besoin urgent d’une nouvelle manifestation
de Dieu qui porte un message d’application universelle et d’une puissance capable
d’effacer les dissensions dans lesquelles l’époque précédente s’est embourbée.
Baha’u’llah répond à ce besoin. C’est sa mission spécifique. Il est le point
focal de ce jour, d’où rayonnent le nouvel esprit et le nouveau plan qui permettront
un nouveau développement de l’histoire. Sa révélation s’adresse à la race humaine
tout entière; elle ne se limite à aucun peuple ni à aucun pays. Ses enseignements
spirituels confirment toutes les révélations précédentes, et ses institutions
administratives sont destinées à s’occuper des affaires du monde en général
aussi bien que des activités individuelles.
Il affirme que ce jour est « le jour promis », l’âge d’or, le jour
de Dieu attendu par les peuples depuis le début des temps, le jour promis par
tous les livres sacrés.
Quelle oeuvre divine en effet! Seules les majestueuses paroles de Baha’u’llah
conviennent à ce thème magnifique: «Voici le roi des jours, le jour qui a
vu la venue du Bien-Aimé, de celui qui, de toute éternité, a été proclamé le
Désir du monde [29].»
«Par le mouvement de notre plume de gloire, nous avons, sur l’ordre de l’omnipotent
Ordonnateur, insufflé une vie nouvelle dans chaque être humain et instillé dans
chaque mot un pouvoir nouveau. Toutes choses créées proclament les signes de
cette régénération mondiale [30].»
L’histoire des cinquante dernières années n’est compréhensible que grâce à la
lumière projetée sur elle par Baha’u’llah. Le crescendo formidable des progrès
scientifiques et intellectuels a été accompagné d’un déclin dans les normes
et valeurs morales, de sorte que nous sommes totalement incapables de diriger
les forces gigantesques dont nous disposons. Nous les orientons vers la destruction,
dans une tentative futile de conserver un mode de vie propre à l’adolescence,
alors que nous sommes à l’âge de la maturité.
L’histoire se répète à une échelle plus vaste. Le cycle des saisons est achevé;
c’est à nouveau le printemps, et l’emprise rigide de l’hiver cède devant le
lever du soleil. La destruction de Jérusalem, le sac de Rome, la chute de l’Assyrie
se reproduisent à l’échelle universelle, et l’avance terrifiante des moyens
de destruction modernes et des haines nationales effrénées rendent le drame
mille fois plus violent. Et pourtant, c’est le printemps – pour l’humanité tout
entière. Certains des éléments négatifs d’autrefois sont en voie de disparition,
dont la souveraineté nationale absolue et les préjugés de classe, pour n’en
nommer que deux.
L’ancienne manière de voir et d’agir s’achève dans la violence. Mais tout n’est
pas que destruction, loin de là. La foi baha’ie se dresse au milieu des clameurs
et du tumulte, non pas comme une maison bâtie sur le sable, mais comme une forteresse
imprenable sur laquelle les luttes et les conflits humains n’ont aucun impact,
une forteresse dans laquelle l’individu renaît avec un nouvel esprit, demeure
intrépide devant l’ouragan et puise, dans son sentiment d’être citoyen du monde,
le désir de vivre et de servir selon les principes nouveaux. Forte dans certains
pays, faible dans d’autres, réprimée ailleurs, possédant généralement peu de
ressources et un nombre restreint de fidèles, la foi baha’ie sert la race humaine
tout entière, comme le firent Jésus et ses disciples [31]
alors que le monde romain s’écroulait autour d’eux.
La capacité spirituelle et intellectuelle de développer un ordre social de plus
en plus élevé existe déjà en germe dans la race humaine. L’étendue et la forme
finale de cet ordre seront définies par les limites de notre planète, c’est-à-dire
que ce sera un ordre mondial, mais son développement interne sera sans limites.
Le processus de l’histoire réside donc dans la nature même des choses. Il est
la réalisation des potentialités de l’individu lui-même, comme la croissance
de l’arbre est la réalisation des potentialités de la graine, un processus organique
qui suit les cycles déterminés par l’apparition de la manifestation de Dieu.
L’histoire de ce processus qui, commençant avec la famille, embrassa ensuite
la tribu, la cité, les provinces, les royaumes et les nations, s’avance maintenant
vers son apogée.
C’est ce qui distingue de façon unique l’époque actuelle. La forme ultime de
la société humaine sort lentement et douloureusement du chaos et de la destruction.
L’humanité atteint sa maturité.
Notes
[22] Voir Durant, W., The Story of Philosophy, New York,
Garden City Publishing Co., 1943.
[23] Isaïe, 2, 4.
[24] Isaïe, 11, 9.
[25] Voir Toynbee, A., A Study of History, New York,
Oxford University Press, 1947-1957, vol. 1, p. 205-271.
[26] Ce sujet n’a pas été suffisamment
étudié. L’auteur ne prétend pas ici (bien qu’il le croie fortement) que toute
civilisation est due à la religion. Les preuves sont insuffisantes, quoique évidentes
d’un point de vue psychologique ou anthropologique. On sait que certaines civilisations
– en Égypte, en Grèce ou en Amérique centrale – ont été profondément conditionnées
par la religion mais, par exemple, les origines des Mystères orphiques se sont
perdues probablement à jamais dans l’antiquité de la Crète. On ne connaît pas
l’étendue de l’influence judaïque sur la pensée grecque ni ce que Socrate a retiré
de son étude des sages juifs. Nous affirmons simplement que tout fondateur de
religion s’est aussi avéré fondateur d’une civilisation.
[27] Muhammad a permis aux croyants
d’épouser quatre femmes à condition de les traiter sur un pied d’égalité. Il accorda
à ces dernières certains droits au sein du foyer, les droits de propriété et d’administration,
et améliora grandement leur sort. Tout comme il ne serait pas juste d’estimer
la valeur de l’Évangile en s’appuyant sur l’iniquité qui règne dans les pays chrétiens,
il ne faut pas non plus juger de la valeur de l’islam d’après les pratiques de
certains musulmans d’aujourd’hui.
[28] ‘Abdu'l-Baha, Les leçons de Saint-Jean-d’Acre, Paris, Presses
universitaires de France, 1982, p. 169.
[29] Baha'u'llah, cité dans Shoghi Effendi, L’ordre mondial
de Baha'u'llah, Bruxelles, Maison d’éditions baha'ies, 1993, p. 101.
[30] Baha'u'llah, cité dans L’ordre mondial de Baha'u'llah,
p. 102.
[31] Au temps de Jésus, ses disciples étaient considérés comme
formant « la secte méprisable du Nazaréen ».