La renaissance de la civilisation
Par David Hofman


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Chapitre 4. LES PRINCIPES DE L’ORDRE MONDIAL

La force d’une société dépend de l’adhésion de millions d’individus, différents les uns des autres, à une idéologie commune qui doit être parfaitement adaptée aux besoins et aux conditions de cette société. Baha’u’llah, en instaurant une communauté mondiale rassemblant tous les membres de la race humaine, a énoncé certains principes qui constituent l’encadrement mental et spirituel de l’âge nouveau. Lorsque nous réalisons à quel point ces principes ont pénétré dans la conscience humaine, nous comprenons combien nous nous rapprochons de cet ordre mondial que nous sommes destinés à établir.

Dans ce chapitre, le lecteur constatera que le monde porte déjà l’empreinte de tous les principes de Baha’u’llah. Certains sont bien reçus par la grande majorité des hommes, et d’autres, comme l’égalité de l’homme et de la femme [48], font à tel point partie de la vie moderne qu’on les tient maintenant pour acquis. Mais rappelons-nous qu’ils furent proclamés il y a plus de cent ans et que, sauf à un petit nombre d’esprits éclairés, ces principes parurent, à l’époque, extravagants, incompréhensibles ou hérétiques.

‘Abdu’l-Baha écrit : «Dans chaque dispensation, la lumière de la direction divine a été concentrée sur un thème central... En cette révélation merveilleuse, en ce siècle glorieux, la fondation de la foi de Dieu et le caractère distinctif de sa loi, c’est la conscience de l’unité de l’humanité [49]

Les découvertes de la science confirment ce principe autour duquel tous les autres gravitent : l’origine commune de tous les peuples de la terre. L’anthropologie a démontré d’une manière concluante que la race humaine, bien que diversifiée au point de vue de la couleur de la peau, de la taille et des traits, ne comporte pas différentes races ni plusieurs espèces. L’humanité c’est l’homo sapiens, l’Homme. Nous sommes un seul peuple de même origine et possédant une histoire commune.

Les théories qui essaient de justifier la supériorité d’une race, et que soutiennent encore un grand nombre de personnes, ne résistent pas à l’examen. En fait, lorsqu’on les considère sans préjugés ni égoïsme, elles ne révèlent rien de plus que l’expression d’un orgueil national ou racial. Une excellente démonstration de leur inexactitude se trouve dans A Study of History[50] de A. J. Toynbee, qui s’appuie sur de nombreux experts pour soutenir sa thèse. Nous citerons ici deux autres auteurs. D’abord, le professeur Dorsey, qui a écrit: – «Il n’existe aucun fait connu relié à l’anatomie humaine ou à la physiologie, qui impliquerait que l’aptitude à la civilisation soit inhérente à telle race ou à tel type [...]» Il demande ensuite, tout à fait à propos: «À quel niveau de civilisation les Anglo-Saxons étaient-ils parvenus au temps de Toutânkhamon, de César ou de Guillaume le Conquérant? […] Comme le sauvage européen devait paraître arriéré à l’Africain de la vallée du Nil qui, du haut de sa pyramide de Chéops, regardait vers le Nord [51]

Pour sa part, E. A. Hooton déclare qu’il n’y a aucun critère qui permette d’estimer la capacité des peuples non développés d’accueillir la civilisation, et il ajoute: « Quelles possibilités de développement culturel un Romain cultivé, vivant en Angleterre au quatrième siècle ap. J.-C. aurait-il attribué aux natifs de cette île? Quelle valeur “raciale” ou ethnique Périclès aurait-il attribuée aux Romains de son temps? [52] »

Baha’u’llah proclame dans un langage simple: «Vous êtes tous les fruits d’un même arbre, les feuilles d’une même branche [53]

Cette vérité est implicite dans les enseignements de toutes les religions, mais elle ne fut jamais vraiment acceptée, par les peuples chrétiens en particulier.

Baha’u’llah, comme nous l’avons dit, insiste particulièrement sur ce point qui est la base de la société mondiale et qui trouve son application pra­tique dans les affaires humaines. Shoghi Effendi écrit :

«Qu’il n’y ait point de malentendu. Le principe de l’unité de l’humanité – pivot autour duquel gravitent tous les enseignements de Baha’u’llah – n’est ni un simple élan de sentimentalité ignorante ni l’expression d’un espoir vague et pieux. Son appel ne doit pas simplement s’identifier avec un réveil de l’esprit de fraternité et de bonne volonté parmi les hommes. Il ne vise pas non plus à entretenir uniquement une harmonieuse coopération entre des peuples et des nations autonomes. Sa portée est plus profonde. Ses déclarations sont plus importantes que toutes celles que les prophètes du passé furent autorisés à formuler. Son message ne s’adresse pas seulement à l’individu; il se rapporte avant tout à la nature des relations essentielles qui doivent lier tous les États et toutes les nations en une seule famille humaine.
Ce principe n’est pas simplement l’énoncé d’un idéal; il est inséparable d’une institution [54] propre à personnifier la vérité de son message, à en démontrer la valeur et à en perpétuer l’influence. Il exige, dans la structure de la société actuelle, une modification organique telle que le monde n’en a encore jamais éprouvé de pareille. Il constitue un défi à la fois audacieux et universel au critérium périmé des croyances nationalistes; ces croyances ont eu leur temps et, dans le cours naturel des événements, tels que les forme et les dirige la Providence, elles doivent céder le pas à un nouvel évangile foncièrement différent et infiniment supérieur à tout ce que le monde connaît jusqu’ici.
Ce message n’invite à rien de moins qu’à reconstituer et à démilitariser la totalité du monde civilisé. Il veut un monde organiquement unifié dans tous les aspects essentiels de son existence: dans ses institutions politiques, dans ses aspirations spirituelles, dans son commerce et dans ses finances, dans son écriture et dans sa langue. Ce monde cependant n’en sera pas moins d’une diversité infinie en vertu des traits caractéristiques nationaux des unités fédérées [55]

L’unité de la religion, déjà discutée dans le chapitre précédent, est une partie essentielle de l’ordre mondial car, sans union spirituelle, il ne peut y avoir de fraternité véritable ni d’autorité universellement acceptée. Et ces deux conditions sont indispensables à l’ordre social.

Les Écritures saintes ont fait autorité dans le passé. Le Qur’an pour l’islam, la Bible pour la chrétienté [56]. Mais les nations musulmanes, qui comprennent plusieurs centaines de millions de croyants, n’accepteront pas l’interprétation humaine de l’Évangile à la place du Qur’an, pas plus que les nations chrétiennes n’accepteront que le Qur’an soit substitué aux lois qu’elles ont elles-mêmes développées. Ce n’est là qu’un exemple des difficultés qui s’opposent à l’unification de la religion. Il faut aussi tenir compte des centaines de millions de bouddhistes et d’hindous ainsi que des adeptes de toutes les autres religions.

Baha’u’llah résoud ce problème. Il ne demande à aucune des religions établies d’accepter les lois et les ordonnances de l’une d’entre elles, mais il ne leur demande pas non plus de débattre entre elles pour résoudre la question. Dans sa révélation, il satisfait les espoirs et accomplit les promesses que toutes les religions précédentes donnent dans leurs propres écrits. Son livre des lois revêt la même autorité que les dix commandements ou le Sermon sur la Montagne et il peut convenir aux croyants de toutes les religions.

Baha’u’llah montre que les enseignements d’une manifestation de Dieu se composent de deux parties: d’une part, les principes spirituels qui ne changent pas d’une époque à l’autre et, d’autre part, les lois et les préceptes sociaux qui varient selon le degré de maturité de l’homme. Divers systèmes religieux se développent autour de la personne de leur fondateur, entrent en contact avec d’autres systèmes religieux qui se développent de la même façon. Parce que des différences extérieures apparaissent entre ces divers systèmes, différences accentuées par la diversité des climats, des modes de vie et des formes d’habillement, on croit qu’il s’agit de religions réellement différentes. On en conclut fatalement que “la nôtre” est la seule vraie religion, transformant ainsi des différences superficielles en barrières infranchissables.

Les baha’is reconnaissent que tous les livres sacrés du monde proviennent de la même source, par l’intermédiaire d’une manifestation de Dieu. Ils peuvent, par conséquent, se joindre aux bouddhistes, aux hindous, aux juifs, aux musulmans et aux chrétiens sur une base interdite aux membres de systèmes plus exclusifs. Ils peuvent aussi contribuer à les rassembler en effectuant un rapprochement que la diplomatie et le tact seraient incapables de réaliser. Les communautés baha’ies, en fait, comptent des croyants provenant de toutes ces croyances et des diverses sectes qu’a produites la désagrégation des grands systèmes religieux.

Sans nier la valeur des révélations religieuses qui l’ont précédée et sans diminuer la valeur d’une Manifestation aux dépens d’une autre, la révélation de Baha’u’llah est à même d’apporter l’unité religieuse à la race humaine, déchirée et divisée.

Dieu guide l’humanité, d’époque en époque, par l’intermédiaire de ses messagers divins. À une certaine époque, le messie s’appelle Jésus, à une autre, il s’appelle Moïse, Muhammad, Krishna, Baha’u’llah, mais c’est toujours le même messie. De même que le soleil, qu’il se lève le lundi, le mardi ou le mercredi, en mars, en avril ou en mai, en 1900, en 1970 ou en l’an 2000, est toujours le même soleil.

Chaque fois que l’apathie spirituelle corrompt la vérité et la vigueur d’une religion, et que cette religion cesse de nourrir les relations et le progrès humains, une nouvelle manifestation se produit : Dieu renouvelle sa révélation. «Quand la justice tombe en désuétude et que l’injustice est renforcée, je viens sur la terre pour faire triompher le bien et réprimer le mal. Je renais d’âge en âge [57]

Voilà exactement ce qui se produit dans le monde d’aujourd’hui. De même que la vérité de la parole de Jésus a brillé au milieu d’une multitude de sectes et de cultes nouveaux, l’éclat de la révélation de Baha’u’llah s’élève au-dessus d’un grand nombre de mouvements de renaissance, de nouvelles philosophies religieuses et de sectes dérivées des doctrines orthodoxes. «La Main d’omnipotence a établi sa révélation sur un fondement durable, inattaquable [58] Cela s’applique à toutes les manifestations de Dieu, car elles parlent toutes du même Dieu et elles révèlent la même vérité, selon le besoin et la capacité de leur époque.


4.1. L’abandon des préjugés et des superstitions

Baha’u’llah inclut parmi les superstitions toutes les croyances que ne soutient aucun fait, comme l’idée de la supériorité raciale. Il est évident qu’une investigation scientifique en démontrerait l’inexactitude.

Mais dénoncer les idées fausses ne suffit pas pour éliminer les préjugés. Un préjugé, une attitude mentale ou un parti pris comportent une part d’émotion, et la raison n’agit que très lentement sur les émotions. Une nouvelle impulsion émotionnelle, comme celle provoquée par la religion, est nécessaire pour déraciner les préjugés.

Des connaissances nouvelles changent les conceptions intellectuelles, mais la transformation des sentiments est longue à se produire. Toutefois, lorsque c’est le choc émotionnel qui survient en premier, la transformation intellectuelle se fait rapidement, souvent immédiatement. Cela s’explique par le fait que l’être humain est généralement prompt à rationaliser son attitude sentimentale. Prenons le cas d’un préjugé à l’égard d’une certaine personne ou d’un certain groupe : si on nous montre que ce sentiment est indéfendable du point de vue intellectuel, notre sentiment ne changera que lentement ou pas du tout, mais si on parvient à éliminer d’abord le sentiment d’antipathie qui nous anime, notre raison ne tardera pas à reconnaître qu’il s’agissait là d’un préjugé erroné ou stupide.

Celui qui veut abandonner ses préjugés est obligé de se libérer de sentiments qu’il a développés dans son enfance. Un tel processus est forcément douloureux. Ne dit-on pas que ce qui pénètre dans l’esprit d’un enfant de moins de sept ans est gravé en lui comme dans la pierre? Seule une entière et radieuse acceptation du principe de l’unité et de tout ce qu’il implique peut nous libérer de ces attitudes.

‘Abdu’l-Baha écrit à ce sujet: «Et parmi les enseignements de Baha’u’llah, il est dit que les préjugés religieux, politiques, économiques, patriotiques et raciaux détruisent l’édifice de l’humanité. Tant que ces préjugés ne seront pas abolis, les hommes ne trouveront pas de repos. L’histoire nous raconte les événements qui arrivèrent pendant six mille ans de vie humaine et, durant ces six mille ans, jamais les hommes ne s’affranchirent des guerres, des luttes, du meurtre et de la soif du sang. La guerre a toujours sévi, soit dans un pays, soit dans un autre, et précisément à cause de quelque préjugé religieux, racial, politique ou patriotique. Il a donc été reconnu et prouvé que tout préjugé provoque la ruine de l’humanité. Tant que les préjugés subsisteront, la lutte pour l’existence l’emportera, entraînant la soif du sang et la rapacité. Il en est donc maintenant comme il en fut dans le passé; le monde ne pourra se libérer de l’obscurité de la nature pour s’élever vers la lumière que s’il abandonne les préjugés et acquiert les vertus spirituelles du Royaume [59]. »

Baha’u’llah dénonce ce qu’il y a de faux à la base de tout préjugé et il explique comment l’ignorance les entretient. Puis il les remplace par des vérités universelles. Les savants d’aujourd’hui peuvent suivre cet exemple et poursuivre la tâche de combattre les préjugés par la recherche de la vérité. Mais qui peut transformer les sentiments? Seul le Messager de Dieu en est capable, car il éveille dans les coeurs un amour universel qui permet de ne voir dans toute la création que le «visage de Dieu».

Les différences qui distinguent un être humain de ses semblables sont une source de beauté et de richesse pour l’humanité. Ce que ‘Abdu’l-Baha explique ainsi:

«Examinez les fleurs d’un jardin. Bien que rafraîchies par les eaux d’une même source, vivifiées par le souffle d’un même vent et fortifiées par les rayons du même soleil, elles sont différentes d’espèce, de couleur, de forme et d’aspect. Cette diversité augmente leur charme et ajoute à leur beauté. Quel désagrément pour l’oeil si toutes les fleurs et les plantes, les feuilles, les branches, les arbres et les fruits du jardin avaient la même forme et la même couleur! La diversité des nuances, des formes, des aspects enrichit et orne le jardin; l’impression qu’il produit en est rehaussée. De même quand divers caractères, tempéraments et philosophies se réuniront sous l’influence et la direction d’un même pouvoir central (Dieu), la beauté et la gloire de la perfection humaine se révéleront et seront manifestes. Seul le pouvoir céleste du Verbe de Dieu, qui gouverne et surpasse les réalités de toutes choses, peut harmoniser les pensées, les sentiments, les idées et les convictions diverses des enfants des hommes [60]

Les préjugés ne sont pas seulement des idées préconçues, ils consistent aussi en un attachement obstiné à des méthodes et à des institutions périmées. Le dogmatisme et l’engouement pour nos propres théories empêchent, au même titre que nos autres préjugés, l’établissement de la paix universelle.

L’abandon des préjugés implique, par conséquent, non seulement un changement d’attitude chez l’individu, mais un changement dans la structure sociale, économique et politique du monde. «L’appel de Baha’u’llah est, en premier lieu, dirigé contre toutes les formes d’étroitesse d’esprit, tous les particularismes d’opinion et tous les préjugés. Si des idéaux longtemps en faveur et d’antiques institutions, si certaines croyances sociales ou si des formules religieuses ont cessé de concourir au bien-être de la généralité du genre humain, s’ils ne correspondent plus aux besoins d’une humanité en continuel développement, qu’ils soient rejetés et relégués dans les limbes des doctrines tombées en désuétude et oubliées. Pourquoi, dans un monde soumis à l’immuable loi de variation et d’usure, seraient-ils exempts de l’altération qui forcément doit atteindre toute institution humaine? Les types de loi, les théories politiques et économiques ne sont destinés qu’à protéger les intérêts de l’humanité considérée comme un tout; l’humanité n’a pas à être crucifiée pour le maintien d’une loi ou d’une doctrine quelle qu’elle soit [61]


4.2. L’éducation universelle

Heureusement, la théorie selon laquelle l’éducation nuit aux masses a aujourd’hui disparu, ou presque. Mais lorsque Baha’u’llah déclara, au milieu du dix-neuvième siècle, que chaque individu, fille ou garçon, devait recevoir une éducation convenable, il empiéta sur les prérogatives de l’aristocratie. Ajoutons qu’autrefois c’était le clergé qui, le plus souvent, monopolisait l’éducation. Dans ce nouveau cycle, aucune classe, aucune partie de la société ne sera plus favorisée qu’une autre; chaque individu est important pour la communauté et il faut que chacun soit capable de participer à l’administration des affaires communes. ‘Abdu’l-Baha compare l’éducation à la culture d’un jardin, montrant comment le jardinier peut transformer l’extravagance de la nature sauvage en une beauté tranquille et bien ordonnée. L’éducation ne peut modifier les caractères, qui sont différents les uns des autres du fait de leur nature propre, mais elle peut aider à leur développement optimal:

«Les manifestations de Dieu […] affirment que les différences sont sans conteste innées et que la citation “ Nous avons fait en sorte que certains d’entre vous surpassent les autres” est un fait prouvé et inéluctable. Il est certain que les êtres humains sont, par leur nature même, différents les uns des autres. Observez un petit groupe d’enfants nés des mêmes parents, allant à la même école, recevant la même éducation et s’alimentant du même régime. : certains seront instruits, atteindront un haut degré d’avancement; certains atteindront un niveau moyen et d’autres encore seront incapables d’étudier […] Mais les manifestations considèrent également que l’instruction et l’éducation sans aucun doute exercent une influenece énorme [62]. »

L’éducation est un sujet de la plus haute importance et nous pourrions consacrer des heures à discuter, non seulement de ce qui doit être enseigné, mais aussi d’outils éducatifs aussi puissants que la presse, le cinéma et la radio. Il vaut mieux cependant laisser ces discussions aux éducateurs. Nous rappellerons simplement que Baha’u’llah considère l’éducation comme une obligation pour tous, et que la formation du caractère et la préparation à une profession ou à un métier constituent des aspects essentiels de l’éducation baha’ie.


4.3. L’égalité des hommes et des femmes

Si on considère l’époque et le pays où Baha’u’llah a proclamé ses principes, parmi ceux-ci, l’égalité des sexes a dû sembler le plus révolutionnaire et le plus étonnant de tous. C’est pourtant celui qui est le plus universellement accepté aujourd’hui, du moins en principe. Les femmes se sont émancipées, partout dans le monde, en Orient comme en Occident, et elles ont montré leur capacité d’accéder, sur un pied d’égalité avec les hommes, à tous les domaines, qu’il s’agisse des diverses professions, du monde des affaires ou des arts. Toutefois, ce n’est encore là qu’une égalité incomplète, une concession arrachée au « monde des hommes » [63]. La pleine égalité des sexes n’est pas encore admise: les hommes, pour la plupart, ne sont pas disposés à l’admettre, et les femmes, n’ayant reçu, pendant des milliers d’années, qu’une éducation primaire et ayant occupé une position inférieure à celle des hommes, sont encore incapables, dans bien des cas, de l’assumer.

Ce principe d’égalité a une signification profonde, et cela à tout point de vue. ‘Abdu’l-Baha dit: «L’humanité a deux ailes, la masculine et la féminine. Un oiseau ne peut voler que si ses deux ailes sont également développées. Si une aile restait affaiblie, le vol serait impossible. La réussite et la prospérité ne seront atteintes que lorsque l'univers de la femme égalera celui de l’homme dans l’acquisitions de vertus et de perfections [64]

Les hommes et les femmes ne sont pas identiques. Ils ont des rôles différents à remplir, particulièrement dans la famille. Mais ces rôles sont complémentaires et, pour parvenir à un résultat parfait, il faut leur attribuer une valeur égale.

En termes psychologiques, on dit qu’il y a deux principes: le principe masculin et le principe féminin. Jusqu’à présent, le principe masculin, actif et constructeur, a dominé la scène mondiale, alors que le principe féminin, qui relie les êtres et entretient l’harmonie, demeure à l’arrière-plan, confiné au domaine familial. Jusqu’ici, les efforts qu’ont faits les femmes pour parvenir à l’égalité avec les hommes et pour accéder à des occupations considérées comme appartenant au sexe masculin dans le passé ont rencontré beaucoup d’opposition. L’homme doit apprendre à apprécier la force et le potentiel de la femme, à reconnaître son importance en tant que première éducatrice des enfants et à l’accueillir comme son partenaire dans toutes les sphères de la vie en société.

Lorsque cette force sera libérée et pénétrera toutes les activités humaines, elle accomplira son oeuvre parmi les nations, dans la famille humaine. Les femmes, affirme ‘Abdu’l-Baha, ont un grand rôle à jouer dans l’établissement de la paix mondiale.


4.4. L’adoption d’une langue auxiliaire internationale

«Dans le monde entier, il n’est rien de plus impor­tant que d’être compris par ses semblables, car le progrès de la civilisation elle-même en dépend[65]

Depuis la proclamation de ce principe par Baha’u’llah, l’espéranto et un certain nombre d’autres langues ont été inventés. L’espéranto a probablement gagné le plus de suffrages, et dans presque tous les pays d’Europe et d’Amérique, il a trouvé des adeptes enthousiastes.

À Paris, en 1911, ‘Abdu’l-Baha a déclaré: «Aussi faut-il apprécier l’espéranto, car c’est le début de l’accomplissement d’une des plus importantes lois de Baha'u'llah, et il faut continuer à l’améliorer et à le perfectionner [66]

À une autre occasion, il a déclaré qu’un homme seul ne pouvait composer une langue universelle, et qu’il faudrait une commission internationale pour en inventer une qui satisfasse tous les peuples.

«Pensez comment une langue internationale faciliterait la communication entre toutes les nations de la terre. La moitié de notre vie se passe à acquérir la connaissance des langues car, en cet âge de lumière, tout homme qui espère voyager en Asie, en Afrique ou en Europe, est obligé d’apprendre plusieurs langues de façon à pouvoir parler avec les peuples de ces pays. Mais à peine possède-t-il une langue qu’une autre lui est nécessaire. On peut donc passer toute sa vie à apprendre des langues, sans parvenir à communiquer librement avec les peuples de toutes les nations. Une langue internationale libérerait l’humanité de ce problème [67]. »

« L’unité linguistique transformera les peuples de la terre en un seul peuple, elle fera disparaître les malentendus religieux, et unira l’Orient et l’Occident dans un esprit d’amour et de fraternité. L’unité linguistique fera fusionner les nombreuses familles du monde en une seule famille. Elle supprimera l’ignorance et la superstition, car elle permettra à chaque enfant, quelles que soient sa race et sa nationalité, de poursuivre ses études dans les sciences et les arts, à l’aide de deux langues – sa langue maternelle et la langue internationale. Le monde matériel deviendra l’expression du monde de l’esprit. Des découvertes seront révélées, les inventions se multiplieront, les sciences avanceront à pas de géant, l’agriculture scientifique se développera sur une plus large échelle. Les nations pourront se servir des idées les meilleures et les plus modernes parce qu’elles seront exprimées dans la langue internationale [68]

Nous ne disons pas qu’il ne doit exister qu’une seule langue, mais bien qu’une langue internationale, parlée et écrite, deviendra une langue seconde pour tous les peuples. Il faut conserver et développer la culture, la littérature, l’art, en un mot le génie de chaque nation, mais chaque personne doit apprendre au moins deux langues: sa langue maternelle et la langue internationale. Ce n’est pas l’uniformité qui est recherchée mais l’unité dans la diversité. Ne serait-il pas merveilleux d’entendre parler une langue internationale dans de nombreux accents différents.

D’autres principes énoncés par Baha’u’llah seront développés dans les chapitres suivants. Nous donnons ici une liste des principes fondamentaux de la foi baha’ie qui en montre la nature universelle:

- L’unité de l’humanité
- L’unité de la religion
- La recherche individuelle de la vérité
- L’abandon des préjugés et des superstitions
- L’éducation universelle obligatoire
- L’égalité de l’homme et de la femme
- L’adoption d’une langue auxiliaire universelle
- L’harmonie entre la religion et la science
- Les principes économiques tels que le travail pour tous et la suppression de l’extrême pauvreté et de l’extrême richesse
- Un gouvernement mondial
- Un tribunal mondial
- La paix universelle

Il ne faut pas s’imaginer que la foi baha’ie est un simple code de principes éthiques. Elle se penche aussi sur des questions telles que la nature de l’homme, de l’âme, de l’intelligence et de l’esprit, la nature de l’univers, la relation entre l’homme et Dieu, les mystères de la création, le but de la vie, l’immortalité. Les enseignements baha’is sur ces différents sujets sont lumineux et profonds, et Baha’u’llah en parle avec l’autorité qui convient à une manifestation de Dieu.

Cet exposé moderne de la religion satisfait pleinement l’homme d’aujourd’hui qui est à la «recherche de son âme». C’est, en vérité, «l’eau de la vie» qui, une fois de plus, jaillit de l’antique source. Celui qui boit de cette eau naît à nouveau, celui qui la repousse reste au stade de l’embryon. Grâce à cette renaissance et aux principes qui l’orientent vers un ordre mondial, l’humanité tout entière peut échapper aux terreurs de cette époque et trouver la porte qui lui donnera accès à une vie nouvelle et merveilleuse.


Notes

[48] De nos jours, l’égalité des sexes est acceptée objectivement, du moins dans les chartes des droits et libertés. Toutefois, dans les faits, il reste beaucoup à faire pour que soit reconnue l’égalité intrinsèque des femmes et des hommes.
[49] ‘Abdul-Baha, cité dans Shoghi Effendi, L’ordre mondial de Baha’u’llah, Bruxelles, Maison d'éditions baha'ies, 1993, p. 31.
[50] Toynbee, A. J., A Study of History, New York, Oxford University Press, 1947-1957, vol. I, p. 205-271.
[51] Dorsey, Why We Behave Like Human Beings.
[52] Hooton, E. A., Up From The Ape, New York, MacMillan, 1946.
[53]Baha'u'llah, Extraits des Écrits de Baha'u'llah, Bruxelles, Maison d'éditions baha'ies, 1979, p. 143-144.
[54] Un corps législatif mondial.
[55] Shoghi Effendi, L'ordre mondial de Baha'u'llah, p. 37-38 [traduction révisée].
[56] De même que l’Avesta, les Védas, la Baghavad Gita, etc.
[57] Krishna, dans la Baghavad Gita, ou «Chant des bienheureux».
[58] Shoghi Effendi, L’ordre mondial de Baha'u'llah, p. 104.
[59] ‘Abdul-Baha, Tablette à La Haye, cité dans Baha’i World Faith,Wilmette, Baha'i Publishing Trust, 1971, p. 286 [traduction].
[60] ‘Abdul-Baha, cité dans Shoghi Effendi, L’ordre mondial de Baha'u'llah, p. 37.
[61] Shoghi Effendi, L’ordre mondial de Baha'u'llah, p. 37.
[62] ‘Abdul-Baha, L’éducation baha'ie – compilation, Bruxelles, Maison d'éditions baha'ies, 1976, p. 14.
[63] Le travail des femmes est, encore aujourd’hui, moins bien rémunéré que celui des hommes.
[64] ‘Abdul-Baha, La femme – compilation, Bruxelles, Maison d'éditions baha'ies, 1986, p. 11.
[65] ‘Abdul-Baha, Tablets of ‘Abdu'l-Baha [traduction].
[66] ‘Abdul-Baha, Causeries d’‘Abdu'l-Baha à Paris, Bruxelles, Maison d’éditions baha'ies, 1980, p. 138.
[67] ‘Abdu'l-Baha, Tablets of ‘Abdu'l-Baha, [traduction].
[68] ‘Abdul-Baha, Star of the West, [traduction].

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