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![]() La foi mondiale baha'ie Religion planétaire de l'avenir ? Extrait du livre de Jacques CHOULEUR Faculté des Lettres et Sciences Humaines d'Avignon, Annales Universitaires, 1° année, numéro 2, novembre 1975 |
Il est par ailleurs évident que l'oecuménisme ne parviendra pas à fondre les diverses églises existantes en une organisation unique. Chaque organisation, pour déclinante et usée qu'elle soit, tend naturellement à persister dans son être et à se crisper sur son identité propre. Il est également évident qu'une vague alliance de confessions que leurs vues théologiques, leurs traditions culturelles, leur histoire ont jusqu'ici engagées sur des voies divergentes ne saurait tenir lieu de véritable religion universelle, d'une religion créatrice d'une civilisation nouvelle à la dimension planétaire. Il est enfin évident qu'aucune des grandes religions actuelles n'a les moyens d'absorber toutes les autres. Les Juifs, les Chrétiens, les Musulmans, les Hindouistes et les Bouddhistes demeurent attachés à leurs bergeries respectives parce que les autres n'exercent sur eux qu'une attirance trop limitée pour justifier en conscience une conversion qui serait aussi une trahison. Bien plus que dans l'association ou la fusion des églises existantes, c'est dans l'adhésion dynamique à une formule vraiment neuve que la formation d'une éventuelle religion planétaire doit être recherchée. L'Evangile lui-même ne dit-il pas que les vieilles outres ne conviennent guère au vin nouveau?
Mais cette religion
du futur, cette religion pour toutes les femmes et tous les hommes de demain,
existe-t-elle déjà ? Dans l'affirmative, et puisqu'il ne saurait
s'agir des organisations majoritaires actuelles, quelle minorité agissante
serait donc susceptible de prendre la relève ? Notre époque est
caractérisée par un étonnant pullulement de sectes de toute
sorte. Certaines, comme les Adventistes du Septième Jour ou les Témoins
de Jéhovah, ont leurs racines dans le fondamentalisme biblique anglo-américain
du XIXème siècle, et il est manifeste que leur littéralisme
étroit, leur hérédité puritaine, leur vision quasi
médiévale du monde ne les prédisposent guère à
une conquête spirituelle de notre globe, quels que soient par ailleurs
la sincérité et le zèle missionnaire de leurs adeptes.
D'autres rameaux originaux du Christianisme, tels que le Swedenborgianisme ou
la Science Chrétienne, paraîtraient a priori mieux qualifiés,
car ils se situent sur un plan intellectuel élevé et proposent
une explication rationnelle de notre univers, mais leur ambitions en matière
de prosélytisme sont à peu près nulles.
Les Mormons, nombreux, modernes, dynamiques, fortement organisés, disposant
de ressources financières impressionnantes et mûs par une volonté
d'expansion sans limites, paraissent capables de s'imposer en de nombreux pays.
A leur actif, il y a la doctrine de l'unité éternelle du couple
conjugal et de la cellule familiale, et celle de la progression éternelle
des esprits des justes, aboutissant à leur conférer dans l'au-delà
un statut véritablement divin, ce qui ne dispense nullement les hommes
de chercher à bâtir dès ici-bas la Nouvelle Jérusalem
de droiture, de lumière et d'équité dont rêvaient
les vieux prophètes. A leur passif, il y a le fondamentalisme biblique
aggravé par la présence d'Ecritures supplémentaires purement
mormones, aux origines incertaines, la croyance obligée aux visions et
révélations assez problématiques des dirigeants de l'Eglise,
le spectre de la théocratie musclée, et sans doute aussi le caractère
trop nettement yankee de cette phalange des Saints des Derniers Jours.
Quant aux multiples courants religieux importés de l'Inde ou de l'Extrême-Orient,
de la Soka Gakkai à la Méditation Transcendantale de Maharishi
Mahesh Yogi, du Bouddhisme Zen à la "Lumière Divine" de l'adolescent
richissime et joufflu Gourou Maharaj Ji, ils diffèrent considérablement
entre eux par le sérieux ou le manque de sérieux qui les caractérisent.
Tous sont néanmoins trop prisonniers d'une culture particulière,
d'un folklore national ou régional particulier, pour prétendre
à l'universalisme. En Occident, à qui fera-t-on croire qu'il faille
se raser le crâne (en préservant une longue touffe pileuse au sommet
de la tête), s'affubler de robes safran et psalmodier sans fin "Hare Krishna,
Rare Rama..." en frappant un tambourin et en agitant des clochettes pour mériter
la vie éternelle?
Une religion
"nouvelle", la Foi Mondiale Bahà’ìe, me paraît en revanche
assez bien placée dans la compétition pour l'accession au statut
de religion universelle du futur. Le mot religion n'est d'ailleurs pas totalement
exact en l'occurrence, puisque les responsables de ce mouvement lui ont préféré
celui de foi, moins exclusif et plus dynamique. Devenir Bahà’ì
ne signifie nullement renier sa religion d'origine. Bien au contraire, les Bahà'ìs
fondent leur philosophie tout entière sur le principe de la vérité
et de l'identité foncière de TOUTES les religions. Il ne
s'agit pas de simple "tolérance", mais d'une reconnaissance raisonnée
du caractère divin de l'inspiration manifestée aussi bien dans
les synagogues, les temples, les chapelles, les mosquées, les pagodes
aux quatre coins de la planète. Pour les Bahà’ìs, la religion
est Une, parce que Dieu est Un, et que l'humanité est Une.
A l'Hindouiste, au Bouddhiste, au Zoroastrien, au Juif, au Catholique, au Protestant,
au Musulman, le Bahà’ì ne dit pas : "Votre religion est fausse;
la nôtre est vraie; il faut vous convertir! " Il leur dit: "Votre religion
est vraie, du moins dans son essence et sous sa forme d'origine, mais elle est
maintenant dépassée. Elle était valable pour une tribu,
un peuple, une ethnie, dans un certain contexte culturel et à un certain
moment de l'histoire, mais il faut maintenant faire craquer les barrières
pour parvenir à une perception globale de l'unité sous-jacente.
Votre religion est vraie, mais elle n'est pas la seule vraie. Elle n'exprime
qu'une parcelle de la vérité, et cette vérité n'est
une vérité que pour une période donnée de l'histoire
des civilisations. Voyez au-delà des préjugés et des frontières
! Voyez au-delà du siècle présent ! Construisez avec nous
la religion planétaire, la religion de la race humaine tout entière,
la religion de notre temps et des temps à venir". C'est à un élargissement
de notre horizon religieux, non à une apostasie, que nous convie la Foi
Mondiale Bahà’ìe. Comme nous le verrons bientôt, c'est en
terre d'Islam que la Foi Bahà’ìe a vu le jour.
Dans l'immédiat, ceci importe peu, pour la simple raison que les Bahà’ìs
reconnaissent comme prophètes véridiques des personnages aussi
divers que Zoroastre, Abraham, Moïse, Jésus, Mahomet. Ils n'excluent
pas non plus Krishna et Bouddha, sans toutefois se prononcer avec la même
assurance, et n'écartent pas l'hypothèse de prophètes ignorés
des temps antiques, dont l'humanité aurait perdu jusqu'au souvenir. Pour
les Bahà’ìs, tous ces prophètes sont des "Manifestations
de Dieu", des êtres d'élite envoyés en ce monde à
intervalles plus ou moins réguliers pour enseigner ou rappeler aux hommes
les grandes vérités essentielles. La première de ces vérités
est l'amour. Tous les fondateurs de religions authentiques ont prêché
la compassion, la tendresse, la charité, l'entraide, le pardon, la justice,
la fraternité. A la loi éternelle fondamentale: "Tu aimeras
le Seigneur, ton Dieu, de tout ton coeur, de toute ton âme, et de toute
ta pensée... Tu aimeras ton prochain comme toi-même" (1),
les prophètes ont pu ajouter des ordonnances valables pour une certaine
fraction de l'humanité à un certain stade de son évolution
historique.
Les successeurs des prophètes, les prêtres, les théologiens,
les églises on pu multiplier à plaisir les décrets relatifs
à l'organisation ecclésiastique, à l'organisation sociale,
aux rites, aux moeurs, etc.., aboutissant de ce fait à creuser sans cesse
davantage le fossé entre des peuples différents et des confessions
différentes. C'est ainsi que les Juifs pratiquent la circoncision et
s'abstiennent de viande de porc, deux commandements ignorés des Chrétiens
; que les Musulmans s'abstiennent de boissons alcoolisées, commandement
ignoré des Chrétiens comme des Juifs ; que les Chrétiens
sont baptisés et participent à l'Eucharistie, deux rites ignorés
des Juifs comme des Musulmans. Les uns prient à genoux, les autres
se prosternent. Les uns prient tournés vers la Mecque, d'autres vers
Jérusalem. Certains se recueillent le Vendredi, d'autres le Samedi, d'autres
encore le Dimanche.
Toutes ces différences sont, selon les Bahà’ìs, mineures
et superficielles. Certaines ont eu leur raison d'être, généralement
d'ordre symbolique, dans un contexte donné, alors que d'autres ne sont
que des excroissances stériles et ridicules dont l'arbre de la religion
a été progressivement affligé au cours d'une longue croissance
aux mille péripéties. Il faut préserver l'arbre, non ses
branches mortes, ou les verrues qui enlaidissent son écorce. D'autre
part, les véritables enseignements des prophètes ont pu être
censurés, infléchis, modifiés, démontrés
dans une certaine mesure par les fidèles des générations
ultérieures. De ces successives Manifestations de Dieu, le message qui
est parvenu jusqu'à nous a pu être altéré, déformé,
amputé, compliqué. D'où cette nécessité de
nouvelles Manifestations, lorsqu'une religion entre dans ce que les Baha'is
appellent Sa Saison d'hiver, lorsqu'elle a dépassé son âge
d'or et ne produit plus de fruits. On pense aux célèbres versets
de la Bhagavad-Gitâ : "Chaque fois que le dharma s'efface et que
monte l'injustice, alors Je prends naissance. Pour la libération des
bons, pour la destruction de ceux qui font le mal, pour mettre sur le trône
la Justice, je prends naissance d'âge en âge." (2).
Et, si la Bhagavad-Gîtâ paraît trop exotique ou trop ésotérique
à nos esprits cartésiens, citons alors Balzac : « Si
les cultes ont eu des formes infinies, ni leur sens ni leur construction métaphysique
n'ont jamais varié. Enfin l'homme n'a jamais eu qu'une religion… …Pour
qui se jette dans ces fleuves religieux, dont tous les fondateurs ne sont pas
connus, il est prouvé que Zoroastre, Moïse, Bouddha, Confucius,
Jésus-Christ, Swedenborg ont eu les même principes, et se sont
proposé la même fin » (3)
Les Manifestations
diverses ne sont que des êtres humains, mais l'Esprit les habite et les
illumine. Ce sont les messagers de Dieu, les interprètes de sa volonté
parmi les hommes. Pour les Bahà’ìs les deux dernières Manifestations
de Dieu sont, dans l'ordre chronologique, Siyyid Mirza 'Ali Muhammad, surnommé
le Bàb (c'est-à-dire la Porte) et Mirza Husayn 'Ali, qui prit
le titre de Bahà'u'llàh, la Gloire de Dieu. Ils étaient
tous deux Persans, élevés dans la religion musulmane, branche
Shi'ite. Le premier de ces deux personnages fut un réformateur religieux,
hardi et plein de générosité, qui s'insurgea contre le
ritualisme stérile et le fanatisme chauvin de ses coreligionnaires. Le
shah et le clergé s'inquiétèrent de l'agitation suscitée
par les "Bàbis", comme on appelait les disciples du Bàb. Il y
eut d'abominables persécutions, au cours desquelles des milliers de personnes
furent massacrées après d'horribles tortures.
Le Bàb fut arrêté, condamné à mort et finalement
exécuté en 1850. Il mourut criblé de balles, fusillé
par un bataillon entier de l'armée impériale, après avoir
été miraculeusement laissé indemne par une première
salve. Dans la perspective Bahà'ìe, le Bàb n'était
que l'annonciateur et le précurseur de "Celui que Dieu devait manifester",
à savoir Bahà'u'llàh (1817-1892). Il fut à son successeur
ce que Jean le Baptiste fut à Jésus, celui qui prépare
la voie. Bahà'u'llàh, fils d'un haut fonctionnaire du Shah à
Téhéran, avait manifesté une nette sympathie pour la personne
et l’action du Bàb. Cela lui valut d'être arrêté en
1852, et jeté dans une affreuse prison sans air et sans lumière,
en compagnie de dizaines d'autres victimes entassées en ces lieux dans
des conditions d'hygiène épouvantables. Il y resta quatre mois,
le cou cerclé d'un anneau supportant une énorme chaîne,
les jambes également entravées, attendant chaque jour son exécution.
Mais les persécutions s'apaisèrent quelque peu, et Bahà'u'llàh
fut finalement tiré de son tombeau et exilé. Ernest Renan a plusieurs
fois manifesté son admiration et sa compassion pour les Babis, et leurs
successeurs les Bahà'is. Le Comte de Gobineau a exprimé des sentiments
analogues à leur égard.
Expulsé de Perse, Baha'u'llah entreprit une longue marche qui, par Baghdad,
Istanbul et Andrinople, le conduisit à Saint Jean d'Acre, en Palestine,
où il arriva en 1868. A Baghdad, il avait hautement proclamé qu'il
était la nouvelle Manifestation de Dieu, une certitude qui lui était
venue au cours de Sa captivité. Les autorités turques, soupçonneuses,
et d'ailleurs prévenues contre cet "agitateur" par celles de Téhéran
emprisonnèrent à nouveau Bahà'u'llàh, sa famille
et quelques disciples dans la caserne de la lugubre cité de Saint Jean
d'Acre. Au long des années, cependant, la rigueur de la détention
s'atténua. Le Prophète persan fut autorisé à résider
dans une maison particulière, et à recevoir à peu près
librement les visites de ses partisans, sans cesse plus nombreux. Parmi ses
hôtes, il faut mentionner le Professeur Edward Granville Browne, un orientaliste
anglais réputé, Fellow de Pembroke College à Cambridge.
Il fit beaucoup pour faire connaître la personnalité de Bahà'u'llàh
et les doctrines bahà'ìes en occident. Par la suite, des personnalités
aussi éminentes et diverses que Léon Toistoï, Auguste Forel,
Helen Keller, le Président Masaryk, le Président Benes, devaient
exprimer publiquement leur sympathie pour le vénérable opprimé
et la cause qu'il défendait. La reine Marie de Roumanie alla me me jusqu'à
adhérer officiellement à la Foi Bahà'ìe.
De Sa résidence forcée et surveillée de Saint Jean d'Acre, non loin de ce Mont Carmel célébré dans toutes les Ecritures Saintes comme le lieu prédestiné de la victoire des forces du bien sur les ténèbres, Baha'u'llàh vit grandir et se fortifier l'armée pacifique de ceux qui croyaient en sa mission. Cette armée, il l'organisa, la dirigea, l'inspira de ses multiples "Tablettes" (ou Epîtres) et surtout de l'exemple de Sa propre vie, toute de dignité, de modération et de bonté. Les nombreux complots de ses ennemis, dont certains ( et ceci est très oriental...) étaient d'ailleurs de ses proches parents, se brisèrent tous sur son tranquille courage.
A sa mort, survenue
en 1892, son fils 'Abdu'l-Baha lui succéda à la tête de
la communauté bahà’ìe. Abdu'l-Bahà, à qui
un visage très noble et une longue barbe blanche donnèrent dans
sa vieillesse une allure très biblique et patriarcale, se révéla
un chef en tous points remarquable. Il fut, lui aussi, un prisonnier perpétuel,
assigné à résidence à Saint Jean d'Acre par les
Turcs. Pendant la première guerre mondiale, la soldatesque turque, exaspérée
par une succession de revers militaires, décida de se débarrasser
de l'hérétique en le crucifiant avec toute sa famille. Heureusement,
l'avance trop rapide des troupes britanniques les empêcha de mettre à
exécution ce sinistre projet 'Abdu'l-Bahà fut ensuite anobli par
les Britanniques, en hommage à sa bienfaisante autorité morale,
et devint Sir 'Abdu’l-Bahà. Il mourut en 1921. Dans les dernières
années de sa
vie, il avait
profité de sa liberté retrouvée pour aller porter personnellement
jusqu'en Europe et en Amérique la bonne parole. Cette semence rencontra
surtout aux Etats-Unis un terrain fertile, et les Bahà’ìs américains
furent bientôt à la pointe avancée de l'expansion du mouvement,
grâce à leur dévouement d'abord, mais aussi à ces
vertus très américaines que sont le sens de l'organisation et
le souci d'efficacité A la mort d'Abdu'l-Bahà, son petit fils
Shoghi Effendi devait présider aux destinées de la Cause. Il avait
fait ses études chez les Jésuites français de
Haifa, puis au Collège Américain de Beyrouth, et enfin à
l'Université d'Oxford (Balliol College). Par rapport à ses
prédécesseurs, il avait donc été davantage marqué
par les influences occidentales. C'est sous sa direction compétente que
la Foi se répandit dans la plupart des pays du monde. Il y eut bientôt
des Bahà’ìs jusque chez les Esquimaux, les Indiens d'Amérique
et les Polynésiens. Shoghi Effendi quitta ce monde en 1957. Personne
ne lui succéda, la direction du mouvement étant devenue collective,
assurée par une "Maison Universelle de Justice" qui est l'émanation
démocratique de la communauté internationale bahà’ìe
tout entière.
Il est difficile d'évaluer avec précision l'importance numérique du mouvement bahà’ì. Les autorités bahà’ìes se refusent à fournir des statistiques sur le nombre d'adhérents à la Cause. S'agit-il de modestie, de timidité, ou plus vraisemblablement de prudence ? L'ère des persécutions n'est peut-être pas absolument close, et les Bahà’ìs doivent se faire invisibles dans la plupart des pays d'Islam, notamment. Les derniers massacres de Bahà’ìs en Iran ne remontent qu'à 1955 ! Les Bahà’ìs préfèrent dresser des listes des "territoires ouverts à la Foi", et aussi de leurs "Assemblées Spirituelles". Une politique de présence absolument universelle, impliquant l'existence d'au moins une cellule bahà’ìe dans la moindre des îles du Pacifique, le plus désolé des territoires du Grand Nord Canadien, le plus sous-développé des pays du Sahel ou du Sud-Est asiatique, leur paraît préférable à une action de recrutement ponctuel massive. Il y a des centaines de milliers de Bahà’ìs, peut-être même plusieurs millions, et ils sont disséminés sur toute la surface de la planète. La seule exception est celle des pays communistes, depuis la fermeture et la confiscation, en 1928, du premier né de tous les Temples Bahà’ìs, celui d'Ishqabad, dans le Caucase, en territoire russe.
La communauté bahà’ìe est avant tout une communauté multi-nationale, multi-raciale, et profondément anti-raciste, Bahà'u'llàh avait proclamé en son temps l'égalité totale et la fraternité inconditionnelle de toutes les races humaines. Mais au lieu de manifester l'anti-racisme par des défilés, des tracts vengeurs, des protestations solennelles et autres procédés tapageurs, les Bahà’ìs s'efforcent calmement de VIVRE en groupes multi-raciaux. Apprendre à vivre ENSEMBLE, à surmonter les réflexes racistes dont chaque être humain est malheureusement capable, leur paraît plus courageux et plus réaliste que de dénoncer bruyamment le racisme DES AUTRES. Une des grandes vertus bahà’ìe réside justement dans l'absence d'accusations, de condamnations, de sarcasmes à l'égard du prochain, que ce soit un parent, un ami, un voisin, un collègue, un inconnu dans la rue ou un homme politique apparaissant sur l'écran de la télévision. Bien sûr, on peut toujours déplorer ou critiquer certains actes d'autrui, mais il ne faut le faire qu'avec mesure et courtoisie, en cas de nécessité seulement, et en conservant présent à l'esprit le dicton de la paille et de la poutre ! Pour en revenir à la question raciale, remarquons qu'un groupe bahà’ì typique est constitué de personnes appartenant à des groupes ethniques différents. Aux Etats-Unis, par exemple, le groupe comprendra non seulement des "Caucasiens" (c'est-à-dire des Blancs, dans le jargon administratif américain) et des Anglo-Saxons, mais aussi des Noirs, des Porto-Ricains, des Japonais Nisei, des Chicanos, etc... selon le peuplement local. Une égalité absolue caractérise la répartition des tâches et des responsabilités. La cellule bahà’ìe tend ainsi à constituer la maquette, le modèle vivant du type de société que le mouvement voudrait promouvoir pour les siècles futurs. Les mariages inter-raciaux, loin d'être découragés, sont considérés avec sympathie, et volontiers encouragés. En même temps, les Bahà’ìs insistent sur l'idée que chaque ethnie doit conserver son identité propre, la diversité des apports ne pouvant qu'être bénéfique à l'édifice total. Une telle attitude est certainement facilitée par la foi religieuse en un Père commun.
Lutter sans trêve contre les préjugés, repousser les tentations de la haine et du mépris, tels sont le premiers devoirs d'un Bahà’ì. Les Bahà’ìs s'opposent aux discriminations selon la richesse et le rang social tout autant qu'à celles du racisme. Ils s'abstiennent de prendre parti dans la controverse capitalisme-socialisme, mais affirment qu'une société saine devrait abolir les inégalités criardes, les "extrêmes de la richesse et de la pauvreté". Ils se refusent par ailleurs à entrer dans les luttes politiques. Un Bahà’ì n'a pas le droit d'appartenir à un parti, puisque le concept
même de parti implique forcément l'idée de fraction, de division, d'opposition... Les Bahà’ìs reconnaissent l'autorité du pouvoir civil, quelques soit la forme de gouvernement du pays, démocratique ou autoritaire, populaire ou aristocratique. Ils essaient cependant de propager leur idéal de justice, de tolérance et de paix. Le chauvinisme, le nationalisme agressif, le bellicisme sont aux antipodes de la pensée bahà’ìe. On conseille aux jeunes Bahà’ìs de solliciter leur incorporation militaire uniquement dans les unités non-combattantes, mais cette attitude ne va pas jusqu'à l'insoumission, qui serait en contradiction avec le principe de l'obéissance aux autorités légales du pays. Sur un autre plan encore, les Bahà’ìs oeuvrent pour l'égalité des êtres humaines : ils proclament en effet l'égalité absolue des droits de l'homme et de la femme. Qu'ils l'aient fait dès le milieu du XIXème siècle, et en pays musulman, est une preuve de leur originalité, de leur sincérité et de leur audace. Il y avait une femme dans le premier cercle des partisans du Bàb. C'était une poétesse persanne appelée Tàhirih (La Pure). Elle eut la première l'audace de paraître à visage découvert, sans le voile musulman traditionnel, dans une assemblée d'hommes. Ce geste lui valut d'être l'une des premières martyres des persécutions de 1852. Elle fut étranglée, et son cadavre fut jeté dans un puits. Les femmes bahà’ìes jouissent dans les assemblées de la Cause des même privilèges et de la même autorité que les hommes. Cette égalité vraie n'a rien à voir avec les attitudes excessives et hargneuses de cette fraction du "women's Lib" qui prône à la foi la haine de l'homme et… la masculinisation de la femme. Les Bahà’ìs considèrent le mariage comme une noble institution, et l'amour conjugal comme la plus admirable des choses. Ils admettent le divorce, mais le déplorent, et imposent une année de réflexion à ceux des leurs qui font part de leur intention de divorcer. L'éducation des enfants, d'autre part, est un souci majeur de la Foi Bahà’ìe, et le droit à une véritable éducation pour tous, femmes et hommes, est hautement revendiqué.
La théologie
bahà’ìe, pour autant qu'on puisse parler de théologie,
est d'une grande simplicité. Il y a un Dieu unique. Il est le Père
de tous les hommes. Il est inconnaissable, et pourtant, selon la formule du
Coran "....plus près de l'homme que ne l'est sa veine jugulaire". Il
est le dieu d'Abraham et de Jacob, de Moïse et de Jésus, mais aussi
celui de Mahomet. Comme Allah, il est éternel, tout-puissant, miséricordieux
et plein de sagesse. Il est à la fois transcendant et immanent, pour
employer la terminologie chrétienne, mais les Bahà’ìs ne
s'attardent guère
à discuter de ce genre de problème métaphysique. Dieu est
le soleil spirituel de l'univers. Il rayonne d'amour pour tous les êtres,
mais exige en retour un amour non moins ardent. Il agit sur le monde par ses
Manifestations. Les Chrétiens s'irriteront sans doute de constater que
la seconde personne de leur Trinité n'a pas chez le Bahà’ì
de statut privilégié, que ceux-ci n'acceptent les mots de "Fils
de Dieu" que dans un sens figuré, sans faire aucune mention d'une naissance
et d'une résurrection miraculeuses. Les Bahà’ìs sont peu
tentés par le "merveilleux" des miracles et des prodiges. Ils n'ont pas
de mythologie. Ils croient en la Science. Pour eux, Science et Religion ne devraient
jamais être en conflit. Selon les paroles du prophète baha’ì,
elles sont les deux ailes de l'envol humain vers le progrès, et... on
vole très mal avec une seule aile... Pas de superstition, pas d'obscurantisme,
pas d'attachement morbide à la lettre des Ecritures. Les Ecritures de
TOUTES les grandes religions humaines sont d'ailleurs également lues
dans les Temples bahà’ìs.
Les Bahà’ìs sont nombreux en Iran, mais doivent user de prudence dans l'exercice de leurs droits religieux, reconnus par la Constitution mais souvent menacés par la frange fanatique de la population musulmane, dans les campagnes surtout. De nombreux Iraniens expatriés sont Bahà’ì. Il y en a en Angleterre, en France, en Suisse, en Allemagne... Il y a également de nombreux Bahà’ìs en Egypte et en Inde. En Afrique, c'est surtout en Ouganda qu'ils sont concentrés. Peu nombreux en Europe, ils voient sans cesse croître leurs effectifs en Australie, en Nouvelle-Zélande, au Canada, en Amérique Latine et surtout aux Etats-Unis.
Les Bahà’ìs
n'ont pas de clergé. Dans chaque localité ou région où
ils sont représentés, les Bahà’ìs élisent
une "Assemblée Spirituelle" de neuf membres, renouvelée chaque
année. Les délégués des Assemblées Spirituelles
Locales élisent les membres de l'Assemblée Spirituelle Nationale.
Les Assemblées Spirituelles Nationales, à leur tour, délèguent
certains membres éminents à l'organe suprême de la pyramide,
la "Maison Universelle de Justice", à Haïfa, en Terre Sainte. Le
processus est donc parfaitement démocratique, mais sans les tares habituelles
de la démocratie : en effet, il n'y a ni campagnes électorales,
ni faction, ni rivalités de tendances et de personnes. Il y a prière,
concertation amicale, vote, et acceptation sereine, par tous, du verdict majoritaire.
N’ayant ni églises ni mosquées, les Bahà’ìs prient chez eux, trois fois par jour obligatoirement, mais toute leur vie est en fait une prière. Il existe des Temples bahà’ìs, cependant, dont certains sont fort beaux, mais ce sont des pôles de rassemblement mystique, des témoignages symboliques de la présence bahà’ìe plus que des lieux de culte au sens habituel du mot. On peut s'y recueillir ( ils sont ouverts à tous ), y prier silencieusement, y méditer, mais on n'y entend ni sermons ni musique instrumentale. En 1975, on les trouve à Wilmette, près de Chicago ; à Panama, en Amérique Centrale ; à Kampala, en Ouganda ; à Sydney, en Australie ; et enfin à Francfort, en Allemagne. Le premier objectif a donc visiblement été la construction d'un Temple par continent, mais ce n'est qu'un premier pas. Certains temples sont d'une architecture classique, d'autres, comme à Francfort et à Panama, résolument modernes. Mais tous ont un dôme, évocateur des origines islamiques de la Foi, et tous sont construits autour d'un cercle brisé en neuf côtés de longueur égale. Chaque côté possède une porte, chaque porte symbolisant l'une des grandes religions de l'humanité. Les fidèles pénétrant par ces portes convergent tous vers un centre unique, et le symbolisme de cette marche convergente vers la Religion Unique, le Dieu Un de l'Humanité Unifiée, est immédiatement apparent. A cette série de Temples, il faut ajouter les divers sanctuaires bahà’ìs de Palestine à Haïfa. Ce sont les fameux "Jardins Persans" signalés par les guides touristiques, et ou s'élèvent notamment le Mausolée du Bàb et le bâtiment des Archives bahà’ìes, qui ressemble à un temple grec.
La vie des Bahà’ìs est soumise à un rythme particulier, du fait de l'existence d'un calendrier particulier à cette religion. A intervalles réguliers ( tous les dix-neuf jours...), les Bahà’ìs d'une localité ou d'une région donnée se rencontrent amicalement en ce qu'il est coutume d'appeler une "Fête des 19 Jours". La réunion est en trois parties : un temps consacré à la prière et à la lecture des Ecrits Saints (c'est-à-dire de Bahà’u'llàh et d'Abdu'l-Bahà), un temps consacré à la discussion des affaires spirituelles et matérielles de la communauté, un temps enfin pour la récréation, les chants, la musique, les jeux, les rafraîchissements. En pays chrétiens, les Bahà’ìs profitent des week-ends pour organiser des sorties, des excursions, des repas ou des pique-niques en commun, dans une atmosphère joyeuse et détendue. Signalons qu'il n'y a pas de tabous alimentaires, mais que les boissons alcoolisées sont cependant interdites. Bahà’u'llàh avait également proscrit les drogues et le tabac, mais l'interdiction du tabac s'est relâchée par la suite, alors que celle des drogues demeure absolue.
On devient Bahà’ì sur simple demande. On le reste en s'efforçant de vivre selon les principes de la Cause, et le mouvement se montre très tolérant envers ceux de ses membres qui ne progressent que lentement vers la perfection visée par ces principes. On cesse d'être Bahà’ì par simple démission. Quitter les rangs bahà’ìs ne se traduit par aucun ostracisme, aucun anathème, et les amis restent les amis. La démission est jugée préférable à la subversion intérieure. Ceux qui complotent pour infléchir dans le sens de leurs ambitions ou désirs personnels les enseignements de la cause sont appelés les "Covenant-breakers" (briseurs de l'Alliance Divine) et évidemment exclus.
Les Baha’ìs ignorent les sacrements. Il n'y a pas de baptême, pas de communion. Le mariage bahà’ì est d'une grande simplicité, et personne ne "marie" les Bahà’ìs les fiancés annoncent simplement qu'ils se donnent l'un à l'autre devant Dieu. Chaque année, les croyants observent une sorte de Ramadan, un jeûne de dix-neuf jours à la manière arabe, pendant lesquels aucune nourriture liquide ou solide n'est absorbée entre le lever et le coucher du soleil. La fin du jeûne est marquée par une fête spéciale, un grand festin et des réjouissances diverses.
Il ne m'appartient pas de dresser un bilan moral de la Foi Baha’ìe. Le bilan que je proposerai serait plutôt celui des attraits et des écueils présentés par cette formule religieuse, attraits et écueils qui influenceront certainement les destinées de la Foi dans son projet d'expansion universelle. Les écueils, d'abord. Une théologie trop simple, trop imprécise, peut rebuter les adeptes des dénominations très "théologiques" comme le Catholicisme romain. Certains déplorent que le sort de l'homme après sa mort soit trop vaguement indiqué dans la perspective bahà’ìe, où l'on se contente d'affirmer l'immortalité de l'âme et la récompense des justes, sans plus de détails (mais la résurrection physique semble exclue). L'affirmation de l'unité des religions, et de la similitude des. enseignements des envoyés de Dieu, peut laisser rêveur ceux qui comparent d'un peu près les paroles attribuées à Jésus, à Mahomet ou à Gautama Bouddha. Le Christ tendait l'autre joue, Mahomet prêchait la Guerre Sainte. Jésus était (vraisemblablement...) célibataire, et le prophète de l'islam polygame, alors que Bouddha conseillait de s'éloigner des femmes, créatures selon lui inférieures... Jésus enseignait la Résurrection et la Vie Eternelle, alors que l'Hindouisme parle de
Réincarnation,
et que le Bouddhisme considère la vie comme un malheur auquel l'extinction
définitive dans le Nirvana est hautement préférable. L'affirmation
de l'égalité qui régnerait entre les diverses Manifestations
de Dieu peut choquer ceux qui jugent, non sans raison peut-être, que tel
ou tel de ces grands fondateurs était supérieur à tel autre
par l'élévation de ses principes ou la ferveur de son sacrifice.
Si toutes les "Manifestations" sont venues dire la même chose, pourquoi
alors aller à Bahà'u'llàh, puisqu'il n'a pu que répéter
ce que disait Jésus, ou Mahomet, ou Moïse?
Comment, d'autre part, accepter sans réserves la qualité de prophète,
d'envoyé de Dieu, que s'attribue Bahà'u'llàh ? Sa vie fut
pleine de courage et de dignité, sa personne rayonnait de bonté
et de générosité, mais sont-ce là des preuves suffisantes
? Où sont ses miracles, ajouteront certains, mais l'absence de "miracles"
spectaculaires me semblerait plutôt militer en faveur de Bahà'u'llàh
! Les historiens pourront s'interroger sur la filiation réelle entre
le Ministère du Bàb et celui de Bahà’u'llàh. Les
deux hommes ne se sont jamais rencontrés, en effet, et il n'est pas impossible
de voir dans l'entreprise de Bahà'u'llàh une tentative de récupération
illégitime du mouvement Bàbi. Sur un autre plan, le calendrier
bahà’ì, loin d'être une source d'unité, peut apparaître
comme une complication inutile. Les écrits bahà’ìs, notamment
les textes rédigés par Bahà'u'llàh lui-même,
témoignent certes d'une indéniable grandeur d'âme, mais
leur style, très fleuri, très alambiqué, très solennel,
très précieux à la manière orientale, risque d'agacer
beaucoup de lecteurs occidentaux. Il y est sans cesse question d'effluves embaumés,
d'aubes radieuses, des chants mélodieux du rossignol, de brises délicieuses,
etc. etc..., et Juifs et Chrétiens préféreront sans doute
la sobriété des versets bibliques. Enfin, la crédibilité
de la Foi Bahà’ìe en tant que religion universelle majeure reste
contestable. Une poussière de croyants, une poignée de "pionniers
de la Cause", parviendront-elles à constituer un jour une majorité,
ou même un ensemble minoritaire assez fort et assez considérable
pour jouer un rôle déterminant dans la création d'une civilisation
supérieure ?
D'un autre côté,
l'actif du bilan est assez remarquable. L'unité de l'humanité
est un objectif exaltant. C'est un objectif susceptible d'enflammer les enthousiasmes
de la jeunesse. L'unité religieuse est spirituelle des peuples est aussi
une idée dynamique qui ne peut que rencontrer des échos favorables.
L'idée d'une religion sans clergé, sans rites, sans sacrements,
sans églises, sans mythologie, sans superstitions, sans arguties théologiques
est séduisante. Elle rejoint les conceptions des Quakers, qui eux aussi
avaient fait de la Lumière Intérieure, de la tolérance
et de la fraternité des hommes leurs principes directeurs. La Foi Bahà’ìe,
malgré son rejet des dogmes et des liturgies, est néanmoins une
véritable foi en un Dieu vivant et vrai, en une âme immortelle,
en une vie transformée par la conscience de sa signification profonde.
Elle donne un sens à la vie ; elle en nie l'absurdité. Que l'humanité
entière ne soit qu'une seule et même famille, et les hommes "les
gouttes Dun même océan, les feuilles Dun même arbre..." selon
les paroles poétiques et, espérons-le, prophétiques de
Bahà'u'llàh, voici ce à quoi tout humaniste, même
religieusement incroyant, ne peut que souscrire en son âme et conscience.
La Foi Mondiale Bahà’ìe a donc ses chances de s'imposer un jour.
Dun point de vue simplement humaniste, reconnaissons que notre petite planète
n'aurait vraisemblablement qu'à s'en féliciter...
Jacques
CHOULEUR (Faculté
des Lettres et Sciences Humaines d'Avignon)
(1)
Matthieu, 22, verset 37 à 40. ñ
(2) Bhagavad-Gîtâ.
(Editions Albin Michel oearis, 1970, 369 Pages) commentée par Shrî
Aurobindo (Paris, 1970, 369 pages). Chapitre 4, page 99, versets 7 et 8.
ñ
(3) Balzac. Louis Lambert, pages
134 et 135 de l'édition Broceliande (Strasbourg, 1959).ñ