Médiathèque baha'ie

Article de presse du journal
Actualité des Religions
source mars 1999 n°3 p. 24-25

Le déclic d'une vie



Le déclic d'une vie

Par Djénane Kareh Tager

Son action en faveur du dialogue entre croyants, Anne la qualifie avant tout de citoyenne. Car pour cette baha'ie, des thèmes comme l’environnement, la place des femmes dans la société, sont au coeur d'une réflexion religieuse. Elle vit en région parisienne, à Saint-Denis, une banlieue dite "difficile", dans un melting pot culturel et spirituel qui l’enrichit

Il y a un an et demi, Anne, trente-cinq ans, a découvert Saint-Denis, une banlieue ouvrière réputée difficile d'Ile-de-France. Ce fut le coup de foudre. Elle a choisi de s'y installer et, depuis, elle s'y épanouit. Quand Anne raconte son quartier de Saint-Denis, son joli minois s'anime, ses yeux brillent, ses mains s'agitent. Et elle ne lésine pas sur les superlatifs : « Si chaleureux. » « Tellement vivant. » « Magnifiquement cosmopolite. » Elle confie avec gourmandise : « Je crois que la chaleur des gens du Sud a déteint sur les Européens qui vivent ici. » Pour vous convaincre, elle décrit avec fièvre les échoppes, les bruits, les langues qui se côtoient. La diversité dont elle-même se nourrit. Les échanges. Et puis cette passion de vivre ensemble qui entraîne les gens dans un même élan.

A Saint-Denis, Anne vit au quotidien son engagement principal : le dialogue interreligieux. Le « virus » l'a gagnée très jeune. « Au lycée, précise-t-elle, quand j'ai quitté l'école très uniforme de ma petite ville de Picardie, j'ai été confrontée à un milieu cosmopolite. J'ai réalisé que si j'étais née ailleurs, j'aurais appartenu à une autre culture, à une autre tradition. Cette idée ne m'a plus quittée. Depuis, je n'ai de cesse de découvrir ces autres traditions qui auraient pu être miennes. » A
l'Université, où elle entreprend des études d'ingénieur, elle poursuit sa quête. « Puis, à l'âge où d'autres s'éloignent de la religion, je me suis justement demandé ce qu'est la religion. Dans mon enfance, j'avais bénéficié d'une éducation religieuse très rudimentaire : baptisée à ma naissance dans la religion catholique, probablement pour faire plaisir à mes grands-parents, je me suis « instruite » en lisant les quelques livres et autres belles histoires de la Bible que ma mère m'offrait. J'en gardais un bon souvenir mais sans plus. » Alors, Anne mène sa recherche dans différentes directions. Elle côtoie des juifs, des chrétiens, des bouddhistes ou des musulmans, elle les interroge, elle lit. « Et j'ai su que j’étais baha'ie. Ma façon de le dire peut vous étonner : pourtant, il ne s'est pas agi d'une conversion, ni d'un virage. J'ai adopté une religion qui correspond à ce que je suis profondément. »

Et l'engagement interreligieux ? « Il s'est poursuivi de plus belle, affirme la jeune femme dans un grand éclat de rire. D'abord parce que sur mon chemin, entre la faculté et mon domicile, se trouvait une bibliothèque municipale dont la section « religions » était richement alimentée. Ma curiosité de l'autre restait très forte ! D'autre part, Baha'u'llah, le fondateur du baha'isme, a insisté sur l'importance de la connaissance - et de la reconnaissance - des autres traditions. Il nous dit de fréquenter tous les fidèles de ces traditions dans un esprit d'amitié et de fraternité : on peut se contenter d’écouter cette injonction, j'ai personnellement choisi de l'appliquer dans ma vie. Enfin, je vis l'engagement interreligieux comme un acte citoyen. Car la religion, la recherche spirituelle, ne sont pas déconnectées du monde dans lequel on vit! L'environnement, le vivre ensemble, la place de la femme, tous ces thèmes citoyens sont aussi au coeur de la réflexion religieuse. Et ils ont une place centrale dans le dialogue interreligieux. »

Quand Anne achève ses études, elle a également de nombreux engagements associatifs : l'aide scolaire avec ADT-Quart Monde, l'accompagnement de camps d'été pour adolescents, des actions pour la protection de l'environnement. Elle fréquente toutes les nationalités, toutes les religions. Puis elle franchit le pas : à Nancy où elle habite, elle fonde, avec une quinzaine de copains, un groupe de dialogue interreligieux. « Nos conversations étaient bien sûr enrichissantes, raconte-t-elle. Nous avons surtout vécu des moments très beaux, des moments de pure émotion. Par exemple le jour où j’ai partagé un repas de chabbat avec une famille juive. Je l'avais attendu longtemps, ce repas ! J'en garde un souvenir merveilleux. Car le dialogue ne se limite pas à la parole. Le dialogue, c'est aussi ces moments forts que nous partageons ensemble. »

Évidemment, dès qu'elle atterrit à Saint-Denis, Anne s'empresse de participer à la fondation d'un groupe de dialogue interreligieux. « La localité est un lieu idéal pour un dialogue de ce type! Et elle regorge de personnes de bonne volonté », affirme-t-elle. Elle fait partie de la Conférence mondiale des religions pour la paix, la mairie - communiste - l'encourage, le diocèse aussi. Saint-Denis se prépare à accueillir la Coupe du monde de football 1998. « Il y a eu une synergie des volontés, souligne la jeune femme avec modestie. Avec d'autres habitants du département de Seine-Saint-Denis, nous avons monté une exposition qui s'est tenue à la basilique, et organisé une soirée dont le succès nous a soufflés. Nous avons voulu montrer notre département dans toute sa richesse et sa diversité à travers des images et des textes. Nous avons aussi intégré la famille laïque dans le dialogue interreligieux au même titre que les autres traditions, elle disposait d'un panneau pour s'exprimer. Une chanson de Jacques Brel, la Quête, a été choisie pour illustrer leur sensibilité. Vous savez, le dialogue entre les religions est par définition, un dialogue ouvert. Il doit se faire avec tous ceux qui ont envie de vivre ensemble. D’autre part, la spiritualité n'est pas le monopole des seules religions !

Anne, jeune femme dynamique, professeur en science de l'ingénierie à Paris XIII, consacre une bonne partie de son temps à la recherche autour de questions liées à l'énergie et à l'environnement. Et puis, elle apprend à connaître les autres. Bernard, son mari, un catholique, partage avec elle la passion du dialogue. Dans quel but ? « Prendre le temps de découvrir l'autre m'apprend beaucoup de choses sur moi-même, assure-t-elle. Ces deux découvertes vont de paire ! je prends aussi le risque de la différence, le risque d'être à mon tour interpellée, interrogée. Le risque de repenser ma foi. » Quitte à douter ? « Pour moi, une foi vivante est un éternel questionnement, lance-t-elle avec défi. Douter, c’est ma manière de croire. Aucune réponse n’est jamais définitive. »

Narquoise, Anne compare sa religion... à son mari. « Ma religion est un peu comme la relation que j’ai avec Bernard. J'apprends chaque jour à le connaître un peu mieux, donc à l'aimer un peu plus. Mais, si j'étais née ailleurs, j'aurai probablement rencontré un autre homme. Je nourris mon amour pour elle de ma rencontre avec d'autres religions. Je la découvre aussi à travers les autres religions. Ma vie serait fade si je devais vivre en autarcie ! »

Anne partagera son expérience dans le cadre des Deuxièmes Assises du dialogue interreligieux organisées par l'Actualité des Religions, le 7 mars 1999, au Palais des congrès de Lille (1). Elle sera évidemment présente à l'atelier « jeunes et banlieues » pour raconter son action, qu'elle qualifie avant tout de citoyenne. Et peut-être évoquera-t-elle un autre aspect du dialogue qui lui tient à coeur : la confrontation théologique entre les différentes traditions.

(1) Renseignements : Assises du dialogue interreligieux, 163 bd Malesherbes, 75017 Paris.



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