Médiathèque baha'ie |
Article de presse du journal Actualité des Religions source: septembre 2000 hors série n°4 (p. 52 à 55) Les religions et leurs chefs-d'oeuvre: Le baha'isme |
Les religions et leurs chefs-d'oeuvre
Par Pierre Spierckel
(guide-conférencier du Patrimoine, participe à la traduction d'ouvrages,
notamment
baha'is, et à la rédaction de guides touristiques)
LE TEMPLE DU LOTUS
(Le lotus symbolise le prophète qui, issu de la boue du monde, apparaît pur,
saint, à la surface de l'onde de la connaissance )
Le voyageur qui arrive par avion au-dessus de New Delhi ne peut manquer de remarquer
l'énorme fleur de lotus en marbre blanc qui s'épanouit entre des bassins d'eau
fraîche à l'écart de la ville. Le "Temple du Lotus ", comme l'appellent les
dépliants touristiques, est le plus récent des sept temples baha'is construits
dans le monde. Il obéit aux même exigences que les six autres : avoir neuf côtés
menant à un hall central et recevoir la lumière naturelle.
À partir de ce programme simple, l'architecte du temple baha'i de l'Inde a réalisé
une merveille d'une grande complexité. La structure est composée de trois rangées
de neuf pétales chacune, partant d'un socle qui surélève la construction au-dessus
de la plaine environnante. Les deux premières rangées, incurvées vers l'intérieur,
entourent le dôme. La troisième se courbe vers l'extérieur pour former des gables
* au-dessus des neuf entrées. Le hall central est entouré de neuf arches qui
constituent le principal support de la superstructure. Une série de lanterneaux
* filtrent la lumière vers un hall central dépouillé, où l'absence d'autel ou
d'estrade renvoie à l'absence de hiérarchie, de clergé et de liturgie qui caractérise
la foi baha'ie. Neuf bassins, également en forme de pétales de lotus, entourent
le temple. L'éclairage extérieur est disposé de telle sorte que la structure
du lotus semble flotter sur l'eau.
Les plaques de marbre qui le recouvrent, provenance du mont Pentelikon d'où
fut extrait le marbre qui servit aux plus beaux bâtiments de la Grèce antique,
protègent des coques en ferro-ciment dont l'armature a été galvanisée pour résister
au climat humide. Ce marbre froid et lisse contraste avec l'intérieur en plâtre
taloché * et fortement structuré par des arcs de décharge harmonieusement entrelacés.
Une fois posée la première pierre en 1980, il fallut six ans à l'architecte
iranien, à l'ingénieur britannique, à l'entrepreneur et aux ouvriers indiens
pour en venir à bout. Mais les baha'is du monde entier ont aussi participé à
sa construction par leurs contributions. Le temple a été entièrement dessiné
sur ordinateur. Sa construction a été exécutée grâce à l'utilisation massive
d'une main-d'oeuvre locale qui a ainsi bénéficié de retombées économiques de
l'entreprise. L'implication des plus humbles, dans ce bâtiment grandiose et
moderne, n'est pas sans rappeler l'édification des cathédrales d'autrefois :
le béton a été monté par des femmes portant des paniers en équilibre sur leur
tête et l'intérieur des pétales taloché à la main.
Sa forme, la fleur de lotus, que l'on retrouve partout dans l'architecture et
l'art indiens, symbolise la spiritualité et la pureté dans l'hindouisme et le
bouddhisme. La fleur de lotus se rencontre également dans nombre d'édifices
islamiques ainsi que dans ceux de la Perse antique. Ce lotus aux pétales entrouverts
montre l'inachèvement de l'aventure humaine mue par la religion de Dieu, " éternelle
dans le passé, éternelle dans l'avenir", qui se manifeste au cours des âges
dans les différents messages religieux ayant façonné l'homme et son histoire.
Le Verbe divin parle aux hommes selon leurs capacités et leurs besoins. Le Dieu
tout autre se révèle à l'humanité d'âge en âge par l'intermédiaire de ces fondateurs
de civilisations : Moïse, Bouddha, Jésus-Christ, Muhammad, et aujourd'hui, Baha'u'llah.
Le lotus symbolise cet avatar, ce prophète qui, issu de la boue du monde, apparaît
pur, saint, à la surface de l'onde de la connaissance.
Les églises sont orientées vers Jérusalem, les mosquées vers La Mecque. Le temple
baha'i est orienté vers le ciel. Ses neufs côtés symbolisent l'ouverture à tous,
la diversité des voies qui mènent au Seigneur et les riches potentialités de
l'humanité, pour qui rien n'est définitif, rien n'est sclérosé, tout est toujours
possible, y compris le meilleur.
On pénètre pieds nus dans le temple en signe de respect, et chacun peut y prier
comme il l'entend, s'il ne gêne pas les autres. Le service religieux officiel
symbolise la recherche de la vérité à laquelle tout homme est librement appelé
: il comporte des textes choisis dans les Livres saints de toute l'humanité.
Le temple baha'i n'est que le coeur d'un futur complexe de bâtiments qui devront
répondre aux multiples besoins de la population, dans le souci de l'équilibre
entre matériel et spirituel : éducation, soins aux malades et aux personnes
âgées, hospitalité des voyageurs, etc.
Baha'u'llah (se prononce Baha'o'llah), dont l'enseignement est à l'origine de
la foi baha'ie (1844), nomme ces bâtiments les Machrécol-Azkar, ce qu'on pourrait
traduire par " Lieu des invocations matinales" et que les baha'is appellent
couramment des " Maisons d'adoration" : " Construisez dans les villes et au
nom du Seigneur de la Révélation des maisons aussi parfaites que possible sur
terre... " Les sept Maisons d'adoration baha'ies existant aujourd'hui dans le
monde témoignent de la persévérance avec laquelle les baha'is ont commencé à
mettre en oeuvre cette injonction du fondateur. Qu'elles se trouvent en Ouganda
(Kampala), aux Etats-Unis (Chicago), en Australie (Sydney), à Panama, aux îles
Samoa et en Allemagne (Francfort), cela témoigne de la vaste diffusion géographique
de la foi baha'ie, aujourd'hui implantée dans de très nombreux pays. On ne peut
parler encore d'" art baha'i", quand on sait que cette révélation n'a que cent
cinquante-six ans d'existence en l'an 2000. La culture des baha'is ne peut que
refléter l'extraordinaire diversité des cultures et des hommes du monde. L'approche
culturelle baha'ie, telle qu'elle apparaît dans le Temple du Lotus, vise à atteindre
l'universel, non à partir d'une culture mondiale uniformisée, mais en se fondant
sur les richesses multiculturelles de l'humanité.
A l'image de ces artistes baha'is qui ont reconnu s'être inspirés de leur foi
- Mark Tobey en peinture, Bernard Leach en poterie, Dizzy Gillespie dans le
jazz, pour ne citer que les plus célèbres -, l'architecte du Temple du Lotus,
Fariborz Sahba, a su faire de son oeuvre un symbole riche de sens. Symbole de
l'altérité du divin, au-delà de la diversité des approches de l'homme : de loin
on croit saisir la forme du temple et, plus on s'en approche, plus il devient
difficile à l'esprit de distinguer ce qu'il voit. Symbole de l'unité de l'homme
au-delà des diversités culturelles et technologiques, alliance étonnante de
l'informatique et des outils médiévaux : on a transporté le ciment dans des
couffins. Symbole de l'unité des messages religieux au-delà de la diversité
de leur naissance et de leur évolution : ses neuf côtés d'importance égale s'ouvrent
aux vents de l'esprit.
Au temple baha'i de l'Inde, des volontaires du monde entier viennent servir
pour un temps et accueillent les nombreux visiteurs, pour la plupart indiens.
Quelles que soient leurs origines ethniques, religieuses ou culturelles, ces
volontaires attestent que le rêve qui hante les hommes depuis des millénaires
devient réalité : l'établissement de la paix sur terre.
Bibliographie
Sur le sujet
Forever in Bloom, the Lotus of Bahapur, photographies de Raghu Rai, textes de
Roger White, New Delhi, Time Books International, 1992.
De l'auteur
La Foi baha'ie en quelques mots (Paris, Éd. de l'Harmattan, 2000)
Cité de Sarlat, Gavaudun, Éd. Fragile, 1996.
Forteresse féodale de Beynac, Gavaudun, Éd. Fragile, 1997
Notes:
Gable : Elément décoré en forme de triangle allongé, servant sur un clocher
à masquer le passage d'un plan carré à un plan hexagonal, ou élément décoratif
de même forme au-dessus des portails des églises gothiques
Lanterneau : Construction basse en surélévation sur un toit, pour l'éclairage
ou la ventilation
Talocher : tendre du plâtre sur un mur, avec une planchette, la taloche