Médiathèque
baha'ie |
Article
de presse du journal
La chronique
d'Amnesty
source:
février 1999
Les
Baha’is ou la foi persécutée
|
Les Baha’is ou la foi persécutée
Article
de Antoine SPIRE
La
dernière religion révélée veut garantir à
l'humanité une paix durable en alliant progrès et morale. Ses
fidèles, les baha'is, dont une grande partie vit en Iran, berceau de
leur foi, sont les victimes régulières de persécutions.
Leur seul crime est de croire différemment.
C’est en
1844, en Perse, que l’ancêtre du baha'isme, le babisme, voit le jour.
Face aux dérives d’un fanatisme entaché de meurtre et de corruption,
Seyyed Ali Mohammed, musulman chiite, annonce l’avènement d’une nouvelle
ère, propice à la justice et à la paix, et l'arrivée
d'un messager divin. Il dénonce les abus de pouvoir, appelle à
plus d'égalité entre les sexes, incite les démunis à
réclamer leur droit à une vie décente. La réaction
islamiste est sanglante (20000 morts) mais ne va pas empêcher le mouvement
de s'étendre. En 1863, un de ses plus fervents disciples, Mirza Hussein
Ali Nouri, se proclame messie et se nomme Baha'u’llah, "la splendeur de Dieu".
Le baha'isme vient de s'établir pour toujours. Aujourd'hui, un siècle
et demi plus tard, il concerne 6 millions de personnes dans 235 pays et territoires
et plus de 2 000 groupes ethniques.
Accréditée
à l'ONU en tant qu’ONG depuis 1948, la communauté mondiale baha'ie
bénéficie du statut consultatif auprès du Conseil économique
et social et, depuis 1976, auprès de l'Unicef. L’aide aux populations
pauvres demeure l'une de ses principales actions. Les Baha'is participent non
seulement à des travaux d'utilité publique dans leur pays ( programme
d'alphabétisation, centre de formation, projets de développement
sanitaire ), mais conduisent également des missions à l'échelle
planétaire avec le concours d'associations telles que la Fédération
internationale des droits de l'Homme et Amnesty International, etc.
Mais quel modèle
de vie propose le baha'isme pour convaincre autant d'adeptes ? Il se définit
en fait comme une foi universelle et mondiale qui oeuvre à l'unité
du genre humain. En clair, nous sommes tous frères, la terre n'est qu'un
seul pays et tous les hommes en sont des citoyens. Son crédo est le combat
pour les droits humains, à la liberté d'expression, de circulation,
à la justice, à la dignité, au travail. Ses valeurs premières
sont la tolérance, le respect de l'autre, mais aussi le progrès
social et l'éthique. Il s'agit de construire une terre sans frontières,
où les riches donneront aux pauvres, ou l'enrichissement sera forcément
mutuel, signes ultimes de l'épanouissement humain. Les Baha'is prônent
la liberté de conscience, favorisent la recherche personnelle et indépendante
de la vérité, encouragent l'éducation, luttent de fait contre
tous les préjugés qui avilissent l'individu, contre le racisme et
les extrémismes de toutes sortes… La place qu'il donne à la femme
révèle parfaitement son état d'esprit « Quand
les femmes participeront pleinement et à égalité avec les
hommes aux affaires du monde, et qu'elles entreront avec assurance et compétence
dans la grande arène des lois et de la politique. les guerres cesseront
». Pacifistes invétérés, ils appellent à l'abolition
de la guerre, inévitable étape à l'entente de l'humanité.
Les principes de la loi baha'ie se veulent ainsi rassembleurs unicité de
Dieu, unité des religions, unité de l'humanité, adoption
enfin d'une langue universelle. Précurseur d'une certaine idée de
la société mondiale, le messie écrivait : «
Tous les peuples du monde, à quelque race ou religion qu' ils appartiennent,
tirent leur inspiration spirituelle d' une même source céleste et
sont les sujets d' un seul Dieu…La religion doit servir à l'union et à
l' harmonie des peuples du monde. N'en faites pas une cause de différends
et d' hypocrisie. » Mais au XX° siècle, alors que la riche
Europe se prépare à une grande guerre, les préceptes du bahaisme
sont sauvagement combattus par les chiites et la répression se poursuit
encore aujourd'hui.
Les
persécutions
Née en Iran, la religion baha’ie est postérieure à l'islam.
Inadmissible pour les Iraniens dont le prophète, Mahomet, est considéré
comme le dernier des envoyés de Dieu. Ce point de discorde religieux va
très vite légitimer les poursuites et les condamnations pour hérésie.
Persécutés par le pouvoir et mis au ban de la nation, les Baha'is
doivent faire face à l'interdiction pure et simple de leur dogme, c'est-à-dire
à la négation même de leur existence. Revendiquer sa foi baha'ie,
c'est encourir la peine de mort ou, fait devenu coutumier, la "disparition". en
plus d'être hérétiques, cette communauté minoritaire
(néanmoins la plus grande du pays) est jugée pour atteint à
l'intérêt national, puisqu'elle prône ce que tous les mollahs
récusent, notamment l'égalité entre les femmes et les hommes
ou plus généralement l'accès à la modernité
; mais aussi pour traîtrise, leur siège spirituel mondial, "La maison
universelle de justice", étant située sur le mont Haïfa en
Israël. Ainsi, les Baha'is se sont vus confisquer tout droit de cité
dans la vie socio-économique de l'Iran. Les 350000 fidèles, qui
se sont simplement engagés à vivre sur leur lieu de naissance, sont
les continuelles victimes d'oppressions plus abjectes les unes que les autres.
Il y a moins de cinq
mois, à Mashad, un baha'i, père de famille quinquagénaire,
a été arrêté pour avoir converti une femme, puis a
été exécuté. Et il n'est malheureusement pas le seul
dans ce cas. D'autres, accusés de profession satanique, croupissent dans
des cellules en attendant un verdict inquisitorial. Victimes de discriminations
devant la justice, ils ne peuvent prétendre à un avocat, sont jugés
de manière expéditive, parfois dans le secret, et n’ont de ce fait
jamais de véritable procès. Un Baha’i suspect est un coupable d'office
! Sans possibilité de recours, accusés de comploter contre le régime,
ils sont condamnés à des peines exagérées, quel que
soit le délit. Dans tous les cas (non respect du code de la Route par exemple),
on ne juge pas le forfait, mais la foi du prévenu. Quand un musulman écope
d'une simple amende, le Baha’i a toutes les chances de disparaître, de décéder
dans des circonstances troubles. Sa seule chance de survie est l’abjuration et
la conversion immédiate à l’Islam. La police politique iranienne,
qui c’est d'ailleurs spécialisée dans le redressement de cette communauté
qu'elle abhorre au même titre que les athées, s'emploie à
éliminer celui qui s'y refuse. On compte des milliers de morts et de disparus,
des centaines d'exécutés. Ceux qui échappent à la
prison sont condamnés à une existence de non-droits. Interdits d'enseignement
secondaire et d'université, ils sont coupés du monde du travail
et réduits à la misère. Privés d'emploi mais aussi
de biens (même leurs lieux de prière ont été démolis
!), les anciens salariés - licenciés ou retraités - sont
condamnés à rembourser à l'État l'argent qu'ils ont
perçu. Le grand cinéaste Bahram Beyzaï a été
écarté de la vie artistique du pays au seul motif de son origine
baha'ie ! Et comme si la persécution des vivants ne suffisait pas le pouvoir
s'attaque aux morts, en détruisant en masse les cimetières. Il s'agit
officiellement de générer de l'espace pour la construction de centres
culturels et autres parcs de loisirs dans les grandes villes (Téhéran
en est un parfait exemple). En vérité, c'est une façon ignoble
de s'en prendre à la mémoire de cette communauté, une volonté
d'effacer toute trace de son passage en déportant les ossements vers des
fosses communes.
Coup
du sort
Nul ne peut s'enfuir puisque les Baha’is ne sont pas autorisés à
sortir du territoire. D'être née en Iran, régime réactionnaire
notoire, la religion de Baha’u’llah est victime d'un tragique coup du sort. Considérés
comme « infidèles non protégés » dans les pays
islamiques, c'est-à-dire non reconnus comme adeptes d'une religion monothéiste,
ils peuvent être condamnés à mort pour apostasie et toujours
réduits au silence et à la pauvreté. Minoritaires, ils ne
sont pas seulement persécutés par les mollahs, mais partout où
les régimes exercent une hégémonie sur les populations qui
ne leur ressemblent pas. On parle ainsi de bon nombre d'abus en Turquie… Alertée
par les crimes perpétrés contre cette communauté, l’ONU agite
ses déclarations solidaires. Chaque année, avec d'autres organismes
comme le Parlement européen, elle vote des résolutions condamnant
l'oppression. La récente volonté d'ouverture de l'Iran à
la scène internationale le force à mesurer ses ardeurs. Espérant
plus de modernité, la population soutient plus ou moins tacitement le message
de progrès et de liberté prôné par les Bahais. Mais
cela suffit-il vraiment ? Face à une police secrète encore très
efficace, les mots, fussent-ils des nations les plus puissantes, ne feront jamais
que reporter les persécutions d'un mois, d'une semaine ou d'un jour. La
communauté mondiale baha'ie, lasse d'attendre qu'on veuille enfin la laisser
tranquille, risque de se replier, de s'éparpiller ou de rompre le dialogue.
Dans tous les cas, ce sera un mal. Un mal pour eux bien sûr, mais aussi
et davantage pour nous tous.
Antoine SPIRE,
journaliste
La Chronique d'Amnesty - février 1999, pages 16 et 17.
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