Médiathèque baha'ie |
Article de presse du journal Dernières Nouvelles d'Alsace source: 19 décembre 2004 40 années passées au « Saint-Siège » baha'i |
40 années passées au « Saint-Siège » baha'i
Ali Nakhjavani : « Si votre motivation est belle,
votre travail est une prière »
Ali Nakhjavani, 85 ans, fut pendant 40 ans l'un des neuf « Sages » au sommet de la foi baha'ie, cette religion née au XIXe siècle dans l'actuel Iran. D'Alsace, où il s'est retiré il y a un an avec son épouse, il pose sur le monde un regard tendre et lucide.
Dans cette grande maison claire
de Molsheim, où vivent Ali et Violette Nakhjavani, les objets, les meubles,
la décoration évoquent le monde entier. Ali fut-il explorateur
? Grand reporteur ? Globe-trotteur ? Rien de tout cela. « Ma femme a beaucoup
voyagé, mais moi je restai à la maison et au bureau », sourit-il.
Un bureau, il est vrai, particulier : pendant 40 ans, de 1963 à 2003,
Ali Nakhjavani fut l'un des neuf membres de la « Maison universelle de
Justice », l'institution suprême de la foi baha'ie, dont le siège
-le « Saint-Siège »- est à Haïfa, le grand port
industriel du nord d'Israël.
La foi baha'ie, Ali en parlerait des heures. Du précurseur, le Bab, qui
en Perse en 1844, annonça un futur messie et qui fut fusillé en
1850. Du fondateur, son disciple Baha'u'llah, qui, en 1863, se reconnu être
cet Envoyé et fut exilé et détenu à Saint-Jean d'Acre.
Du fils Abdu'l-Baha, disparu en 1921, du petit-fils Shogi Effendi Rabbani, dit
« le Gardien de la Foi », mort en 1957. Des six millions de baha'is,
aujourd'hui répandus dans 235 pays, et qui se reconnaissent dans cette
religion syncrétique, sans dogme ni clergé, respectueuse de toute
spiritualité, universaliste, libérale, attachée aux droits
de l'homme, des femmes et des minorités, à la démocratie
et à l'éducation pour tous.
D'Ouganda en Terre sainte
En 1957, quand meurt le « Gardien », Ali, enseignant d'anglais,
et Violette Nakhjavani sont en Ouganda. Ils ont quitté l'Iran de leur
naissance pour aider les communautés bahai'es de l'Est africain. Violette
parcourt l'Afrique. Ali prend des responsabilités chez les baha'is d'Ouganda.
Quand se pose le problème de la succession, il fait partie de ceux qui
y réfléchissent, dès 1961, à Haïfa, où
les baha'is ont pu implanter leur Centre mondial, dans cette terre qu'ils disent
aussi « sainte ». En 1963, quand le choix est fait d'une direction
collégiale, il se retrouve parmi les neuf élus de cette «
Maison universelle de Justice ». Il ne pouvait imaginer qu'il y ferait
finalement huit mandats de cinq ans, avant de décider de lui-même,
devenu l'un des deux doyens de l'institution, de prendre sa retraite.
« La Maison universelle de justice est l'organe suprême de la foi
baha'ie », explique Ali Nakhjavani. « Chaque pays a son assemblée,
qui a un contact avec le Centre mondial à Haïfa. La Maison doit
coordonner tout cela, répondre aux questions, aider les uns et les autres,
organiser la solidarité entre baha'is des pays riches et pauvres... »
Avec ses collègues de diverses nationalités -écossais,
canadien, américain, jamaïcain, australien, colombien...- il a vécu,
dit-il, une expérience passionnante.
Neuf frères au sommet
« Dans la Maison, pas de président, de secrétaire, de trésorier
: nous sommes tous membres, et nous partageons le travail, sans hiérarchie,
en frères, unis par l'amour ». Les Neuf composent ensemble une
forme de papauté collégiale et affectueuse, explique Ali Nakhjavani
: « Quand l'un est malade, nous sommes tous affectés, quand l'un
est joyeux, nous sommes tous heureux... »
Leurs réunions plénières en anglais s'enchaînent
avec les comités, rédactions, dossiers à étudier
dont chacun se charge, auxquels s'ajoute l'accueil des visiteurs de marque et
des pèlerins bahai's du Centre mondial. « Je travaillais de 8 heures
à 18 heures, et rentrais le soir chez moi ». « -Avec du travail
pour une partie de la nuit ! », précise Violette Rakhjavani.
Dans le couple, ce fut elle la routarde. Liée d'amitié avec Mary
Rabbani, l'épouse du « Gardien », elle est son accompagnatrice
attitrée dans les tournées mondiales de cette haute figure de
la foi baha'ie. « J'ai visité 180 pays en quarante ans, explique-t-elle,
partout, nous rencontrions les baha'is, qui nous organisaient des contacts avec
les autorités et les médias. Ce fut un grand privilège.
Je me suis beaucoup intéressée aux minorités ignorées
ou repoussées, partout ».
Persécutions
Ali élu au «
Saint-Siège » sur le mont Carmel, Violette parcourant les routes
du monde, ont vu véritablement tourner la planète. L'un et l'autre
ont souffert de voir leur pays d'origine, l'Iran, poursuivre la persécution
des baha'is. « C'est là que la foi baha'ie est née, c'est
là qu'elle est le plus mal acceptée », précise Ali.
Politique et religion se mêlent : « Nos idées sur les droits
de l'homme, la démocratie, les droits des femmes, l'éducation
pour tous, en sont une cause, mais aussi l'affirmation que Baha'u'llah parlait
au nom de Dieu, car c'est contraire à l'idée que Mahomet fut le
dernier des prophètes ». En 1979, au début de la Révolution
iranienne, 200 bahai's furent exécutés, la communauté spoliée
de ses biens. Aujourd'hui encore, être baha'i en Iran est une dure épreuve
: « Il est difficile d'être scolarisé, les enfants sont humiliés,
nous avons du créer notre propre université non-officielle que
d'ailleurs l'Etat veut nous faire fermer. »
Pourtant, explique Ali Nakhjavani, des pays musulmans non-arabes acceptent les
baha'is, comme le Pakistan, le Bangladesh, l'Indonésie, la Malaisie,
et même quelques pays arabes, comme la Jordanie ou le Liban. « Mais
c'est surtout là où il y a d'autres minorités religieuses
plus importantes. En Iran, nous sommes la première minorité...
»
Si Ali a peu quitté le mont Carmel, la planète est venue à
lui. « Nous accueillons des pèlerins baha'is au Centre qui y passent
neuf jours, ils sont 250 simultanément et il y a ... six ans d'attente
». De plus, de nombreux jeunes baha'is viennent faire à Haïfa
un an ou deux de ce service volontaire que propose leur foi. « Il y a
65 pays différents qui sont ainsi représentés ».
Poser ses valises
En Israël, le baha'isme est connu et reconnu, mais les baha'is s'imposent
une certaine discrétion. « Nous avons eu des voisins très
amicaux à Haïfa, des juifs, raconte Violette, mais ils ne nous avaient
jamais rien demandé sur notre foi. Puis, un jour, l'épouse, qui
était professeure d'université, a rencontré certains de
nos volontaires, qui étaient étudiants. C'est là qu'elle
est venu nous questionner : "A quoi croyez-vous donc pour que cela devienne
un tel idéal pour ces jeunes ?" ».
Deux fois parents, quatre fois grands-parents, Ali et Violette Nakhjavani ont
choisi l'Alsace pour leur retraite, parce qu'ici vit et travaille leur fille.
De là, ils voyagent, ensemble maintenant. « Nous revenons du Canada,
où nous avons vu notre fils ». Ils se promettent cependant de poser
un peu leurs valises et préparent l'accueil de jeunes baha'is dans leur
vaste sous-sol. « Nous espérons vivre ici longtemps, rencontrer
des gens, nous faire des amis ». Questionné sur une vie entière
de service, Ali élude : « Le service est important, mais plus encore
la motivation. Si votre motivation est belle, votre travail est une prière
».
Ali et Violette espèrent-ils un jour revoir l'Iran ? Ali est pensif :
« Si nous y allions maintenant, ce serait ressenti comme une provocation,
dont nos amis pourraient souffrir. J'y suis retourné une fois, discrètement,
en touriste, pour des consultations auprès des baha'is, en 1969, durant
une semaine. Beaucoup des gens que j'ai vus alors ont été tués
dix ans plus tard... ».
Né en Iran, où il a vécu enfance et adolescence, ce couple
si serein, si lumineux, a aujourd'hui passeports luxembourgeois en poche et
blessure au coeur. « Avant qu'on nous enterre, j'espère y retourner,
peut-être », murmure Ali.
J.F.
© Dernières Nouvelles D'Alsace.