Médiathèque baha'ie |
Article de presse du journal Nimrooz source 17 mars 2000 hebdomadaire n°579 publé en langue persane à Londre Ragu-é Tâk (les veines de la vigne) Rôle de la Religion dans l'Histoire sociale de l'Iran |
Rôle de la Religion dans l'Histoire sociale de l'Iran
Article
de Délârâm MASH-HOURI (traduit par Rochan Mavaddat)
Dans notre histoire
contemporaine [ celle de l'IRAN ], aucune minorité religieuse n'a subi autant
de violence et de ségrégation que les Baha'is. Il faut estimer le nombre des
Babis et des Baha'is tués lors des 160 dernières années à des centaines de milliers
! Le plus grand succès du Clergé chi'ite, jusqu'à leur victoire lors de la venue
au pouvoir de la République Islamique, a été leur combat contre les Babis et
leurs successeurs les Baha'is ; à tel point que, même actuellement ceux qui
insistent sur leur laïcité, n'ont pas un comportement clair et exempt d'ambiguïté
face au Baha'isme !
Pour ceux-là, même si toutes les religions sont égales en ce qui concerne leur
statut juridique, l'une d'entre elles, le Baha'isme, est moins égale que les
autres !
Jusqu'à ces derniers temps, les slogans et les appels, en faveur de la séparation
de la Religion et de l'État, qui se trouvaient dans les publications écrites
contre la République Islamique, perdaient leur crédit à cause de l'insistance
sur "le Peuple musulman de l'Iran", sans parler du fait que lorsque les minorités
religieuses étaient mentionnées, aucune allusion n'était faite à l'existence
des Baha'is !
En effet, une telle opinion défavorable avait été créée autour du Baha'isme
qu'il en est encore resté quelque chose dans les esprits.
La recherche sur le Babisme et le Baha'isme - malgré l'importance que ces deux
doctrines ont sur l'histoire de l'évolution de la pensée en Iran - a été très
faible et s'est limitée à des pamphlets écrits par des contradicteurs. (...)
Les historiens [iraniens] ont eu un point de vue défavorable, si ce n'est malveillant
et hostile envers ce Mouvement. Les Chi'ites n'y voient que des défauts. Les
Baha'is eux-mêmes, pour des raisons évidentes, se sont contentés de propager
discrètement leur doctrine. (...)
Aujourd'hui, " RAGU-E TAK : Du rôle de la Religion dans l'Histoire sociale de
l'Iran ", l'ouvrage de Mme Délârâm MASH-HOURI (Éditions Khâvarân, Paris 1999),
écrit dans un style chaleureux et passionné rappelant celui des polémistes,
s'est attachée à combler cette lacune.
Cet important ouvrage, en 2 volumes et plus de 630 pages, est une véritable
salve contre l'influence de la religion dans les cinq derniers siècles de l'histoire
de l'Iran, et un plaidoyer en faveur du rôle qu'ont joué les Minorités religieuses
- avec une insistance plus particulière sur le rôle des Babis et des Baha'is
- dans les progrès effectués lors du dernier siècle. (...)
(...) Dans la société bigote, imprégnée de religiosité [de l'époque Qâjâr (Kadjar)],
qui avait proscrit toute liberté de pensée et d'actions, aucune évolution ne
pouvait se faire en dehors du cadre religieux. " RAGU-E TAK " montre comment,
pour un nombre important d'Iraniens, la seule issue pour sortir de l'affligeante
détresse, dans laquelle les avait enfermés le Chi'isme, était l'Avènement du
Qâ'im Promis (4). (...)
[ C'est dans ce contexte], sous le règne de Mohammad-Shâh, qu'ALI-MOHAMMAD de
Shiraz se proclama être le "BAB" (5), c'est-à-dire la Porte menant au Promis.
Mais, les Babis et leur héroïne - Zarrïn-Tâdj de Ghazvine, surnommée "Tâhérèh"
[la Pure] (6), qui est la femme persane la plus remarquable du XIXème siècle
- ont dépassé la réforme religieuse à laquelle aspiraient les Shéykhis (...)
en introduisant, dans leur message, de profondes réformes progressistes.
De ce fait, leur position sera prépondérante par rapport à celle de leurs précurseurs
et le Mouvement lancé par le Bab est ainsi devenu un mouvement de réformes et
de progrès sociaux dans l'Iran de la moitié du dix-neuvième siècle. (...)
L'ampleur de l'adhésion des différentes couches sociales au Mouvement babi,
la profondeur de dévotion, du sacrifice et d'euphorie qu'il suscita - qui ont
été bien rapportés dans les récits et les pages de l'Histoire - étonnent le
lecteur contemporain. Il ne serait pas exagéré de dire que si la politique de
tolérance de Mohammad-Shâh et de Hâdj Mirzâ Âghâssi [son Chancelier] avait pu
continuer, le clergé islamique, devant un tel adversaire puissant, aurait été
obligé - comme son homologue catholique devant le soulèvement luthérien, au
XVIème siècle - de se réformer substantiellement ou, du moins, si ce n'est de
changer de doctrine, de modifier son comportement.
Auparavant, l'auteur de ces ouvrages nous en avait donné l'une des raisons :
les gens étaient avides et à l'affût du moindre signe d'humanité dans leur vie
sociale et religieuse et, dans la masse du peuple de la Perse restée dans l'attente
de cette avènement, les signes d'un accueil favorable d'un tel Appel étaient
visibles.
GOBINEAU nous en apporte une seconde raison. N'écrit-il pas : " Au point de
vue morale, la religion du BAB prêchait et enseignait la nécessité d'avoir des
sentiments imprégnés de douceur et d'humanité, d'être bienfaisant et charitable,
hospitalier, courtois et correct. Dans les principes révélés par la Plume du
BAB, la condamnation à mort n'existe pas. Les châtiments physiques et la torture
sont également interdits dans le "BAYAN" (le Livre sacré du Bab), de même, d'une
façon générale, toutes sortes de violence sont interdites. "
GOBINEAU compare le BAB à Fourrier et fait l'éloge du Babisme à cause de l'importance
qu'il donne à la Femme, au développement scientifique et industriel. (Le Bab
était la première personne qui ordonna la suppression du voile islamique.)
Malgré cela, sous les coups de l'oppression [et des persécutions], le Mouvement
babi prit, très tôt, un aspect de révolte armée et même de terrorisme et - dans
une sauvagerie qui était même inhabituelle dans l'histoire sanglante de la Perse,
fut étouffé dans un bain de sang.
BAHA'U'LLAH qui prit les rênes de ce Mouvement après l'exécution du Bab, montra
plus de sagesse dans la propagation de son enseignement. Il fit mettre bas les
armes et, au lieu d'un affrontement direct, il choisit des méthodes indirectes
d'expansion. Progressivement, il transforma le Babisme en une nouvelle religion.
Cependant, tant que les dignitaires chi'ites avaient la mainmise sur la gestion
du pays, la poursuite et l'oppression des Baha'is continuèrent !
Sous le Régime Pahlavi, malgré sa tolérance semi-officielle et timorée, la vie
des Baha'is n'était pas exempte d'insécurité.
Le second Volume de " RAGU-E TAK " commence avec la "Révolution constitutionnaliste"
(...)
L'importance historique de cette partie vient surtout du fait qu'elle met bien
l'accent sur l'importance du rôle joué par des groupes, petits mais influents,
issus des Minorités religieuses, plus particulièrement par des Babis et des
Azalis, dans la victoire des idéaux constitutionnalistes.
La "Révolution constitutionnaliste" était soutenue par les Juifs, les Arméniens
et les Zoroastriens. Les Arméniens et les Géorgiens se battaient même, sur le
front, contre les forces luttant pour une Monarchie absolue ! Les Azalis et
les Babis agissaient d'une façon moins voyante, mais en tant qu'une faction
des forces progressistes de l'époque, avaient un rôle important.
Des leaders tels que Mirzâ Aghâ Khân-é Kermâni, Shéykh Ahmad-é Rouhi, Yahyâ
Dowlat-Âbâdi et même Séyyèd Djamâleddine, le Prédicateur d'Ispahan, étaient
connus pour leurs relations avec les Babis et les Azalis et leur attirance vers
les idéaux de ceux-ci. Parmi les dirigeants et les meneurs de ce mouvement [en
faveur d'une Monarchie constitutionnelle et contre l'absolutisme] se trouvaient
des Babis de longue date ou des membres de leur famille.
Au moment même où tous les prétextes étaient bons pour tuer les Baha'is et où
toute personne qui portait le nom de Baha'i était battue ou exécuté, les Baha'is,
afin de se conformer aux recommandations de BAHA'U'LLAH, se mirent à établir
des Instituts d'enseignement divers, et notamment des écoles mixtes, des bains
publics comportant des douches, des hôpitaux. Afin des les aider dans ce sens,
des Baha'is américains qui avaient nouvellement adhéré [à la Foi Baha'ie] vinrent
en Iran.
BAHA'U'LLAH, dès le début de son Ministère, enjoignit à ses disciples de rejeter
toutes sortes de violence, de respecter les gouvernants de l'époque et d'adopter
le principe de la séparation de la Religion et de l'État. Progressivement, il
institua une religion nouvelle sur les ruines du Babisme et du Azalisme.
Une autre de sa stratégie fut de faire sortir les Baha'is de la Perse, où ils
vivaient dans un environnement de violence et de sang. C'est ainsi que des vagues
d'émigrants baha'is se répandirent aux quatre coins de la Terre. On estime le
nombre des émigrants qui ont quitté leur pays, au cours des cinquante dernières
années, à un million d'âmes. Mais, ces émigrés, partout où ils sont, gardent
dans leur coeur l'amour de leur patrie et apprennent aux Baha'is non-iraniens
à aimer l'IRAN ! En effet, ce pays est [pour les Baha'is du monde entier] une
contrée sacrée pour laquelle un avenir brillant a été prédit !
Le livre se termine par l'éloge de la destinée historique de l'IRAN : " Les
valeurs qui ont été développées en Iran - valeurs basées sur la coexistence
des différents composants de la Famille humaine, et sur sa diversité raciale
et culturelle - sont une contribution qui seule permettra à la civilisation
humaine d'avoir un processus d'évolution...
De même que la Démocratie d'Athènes a été le modèle des États démocratiques
du monde contemporain, de même l'Humanité est obligée de mettre sur pied, au
niveau mondial, cette coexistence des peuples divers et différents, qui fut
réalisée pour la première fois, il y a 2500 ans, dans [ l'Empire] Perse durant
le règne de Cyrus ! " (...)
Notre propos n'est pas ici de savoir ce que sera l'avenir du Baha'isme dans
un monde qui, d'un côté marche vers la mondialisation, et d'un autre côté où
l'individualisme prend de plus en plus d'importance, avec un rejet de tout rituel.
Disons seulement que si les Baha'is utilisaient davantage leur énergie à propager
leur message moral et humanitaire, au lieu de se donner une légitimité en s'appuyant
sur les Écrits et les Traditions d'autres religions, ils seront sans conteste
perçus comme plus actuels !
Le propos, ici, est de savoir quel sera l'avenir du Baha'isme en Iran. Tant
que cette religion n'aura pas le même statut que toute autre religion, nous
ne pourrons pas parler du renouveau culturel et politique de l'Iran. Telle est
la pierre de touche de la laïcité dans la société iranienne !
Il est facile pour quelqu'un d'agnostique, comme l'auteur de cet ouvrage, de
considérer les Baha'is, au même titre que les disciples des autres religions
et notamment de la religion de la majorité de la population, comme des citoyens
iraniens à part entière jouissant des droits inaliénables et disposant de la
liberté de conscience et d'une vie spirituelle personnelle !
Cependant, là où nous devons arriver c'est un contexte dans lequel les Chi'ites
croyants et pratiquants reconnaissent dans les Baha'is des humains comme eux
afin que, ainsi, le mur de l'antagonisme religieux entre les Iraniens soit enfin
aboli ! (...)
Les Iraniens ont, actuellement, une notion nette de ce qu'ils veulent et sont
impatients d'y arriver. Ils marchent sur les pas d'un monde qui, d'un côté,
va vers la mondialisation et, d'un autre côté fait la part belle à l'individualisme.
Dans ce monde où se produit la révolution de l'information, c'est d'être bien
informés que nous avons un urgent besoin !
Notes du traducteur :
1 / - "Ragu-é Tâk" veut dire : les "veines de la vigne".
2 / - Le nom patronymique de l'auteur serait, avec une forte probabilité, un
pseudonyme (du fait du danger que pèse sur cette personne à cause de ses opinions
librement exprimées dans cet ouvrage).
3 / - L'auteur de ce compte rendu de lecture était Rédacteur en chef du quotidien
"Âyandégân", édité à Téhéran, et Ministre de l'Information sous le Régime impérial.
4 / - Le "Qâ'im" (se prononce Ghâ-èm), également appelé le Mahdi par les Sunnites
ou le "Douzième Imâm" par les Chi'ites, est le titre donné à l'un des deux Promis
attendus par l'Islam. Le second Promis serait, d'après la Tradition islamique,
le Christ revenant à la Fin des Temps.
5 / - Le "BAB" est le surnom donné à "Séyyèd Ali-Mohammad" (1819 - 1850) qui
se présenta comme le Précurseur du "Promis universel" dont l'Avènement est attendu
par toutes les religions révélées, et notamment, par l'Islam. Il fut fusillé
à Tabriz (Perse). Pour les Baha'is, ce Promis n'est autre que BAHA'U'LLAH qui
naquit à Téhéran en 1817 et décéda en exil à St-Jean-d'Acre (Palestine) en 1892.
6 / - Zarrïn-Tâdj, femme érudite et poétesse (ce qui était rare à cette époque),
fut également appelée, à cause de sa très grande beauté, "Qurrat'ul-Ayn" (Ghorratol-Eyn),
c'est-à-dire la Consolation des Yeux ! Elle adhéra très rapidement à la Cause
du Bab et fut l'un de ses premiers Apôtres.