Traduction révisée de Pierre Spierckel, approuvée par
la
Commission de Traduction pour la Francophonie Octobre
1997
Introduction :
Le professeur Auguste Forel est un des grands scientifiques suisses du dix-neuvième
siècle. Il étudia particulièrement la vie des fourmis, l'anatomie du cerveau,
l'hypnose, la perception sensorielle des insectes, l'hygiène du système nerveux,
la sexualité, etc. De 1879 à 1898, il fut professeur de psychiatrie à l'université
de Zurich et directeur de l'hôpital psychiatrique de cette ville.
Agnostique militant, il fut aussi un membre actif de la Libre Pensée suisse avant
de devenir baha'i.
Lettre d'Abdu'l-Baha au Professeur Auguste Forel :
O toi, homme respecté, épris de vérité !
Ta lettre du 28 juillet 1921 m'est parvenue. Elle traite de sujets fort intéressants
ce qui prouve, Dieu merci, que tu es toujours jeune et que tu poursuis ta recherche
de la vérité. Tes facultés intellectuelles sont actives et les découvertes de
ton esprit importantes.
On trouve partout de nombreux exemplaires de l'épître que j'ai envoyée au docteur
Fisher et chacun sait qu'elle fut écrite en 1910. D'ailleurs, avant la guerre,
j'ai écrit bien d'autres lettres sur le même sujet et il en est également question
dans le journal de San Francisco dont la date connue ne laisse subsister aucun
doute. Enfin, les philosophes larges d'esprit ont fait l'éloge du discours que
j'ai prononcé avec conviction à ladite université. C'est pourquoi je t'envoie
ci-joint un exemplaire de ce journal.
Quant à tes oeuvres, elles sont sans aucun doute d'une grande utilité et, si elles
étaient publiées, j'aimerais en recevoir un exemplaire de chaque.
Ces matérialistes dont nous avons exposé les opinions sur la Divinité ne sont
pas les philosophes en général mais cette catégorie de philosophes matérialistes
adorateurs du sensible, qui par une vision étroite, ne se fient qu'à leurs cinq
sens, et dont les critères de connaissance se limitent aux sensations. Pour eux,
n'est réel que ce que leurs sens peuvent percevoir. Tout ce qui ne tombe pas sous
le pouvoir des sens étant inexistant ou douteux, ils considèrent l'existence de
la Divinité comme absolument douteuse. Comme tu l'as écrit, il ne s'agit pas des
philosophes en général, mais bien des matérialistes à vision étroite. Les philosophes
déistes : Socrate, Platon, Aristote, sont dignes de considération et méritent
les plus grands éloges pour les services remarquables qu'ils ont rendus à l'humanité,
de même que les philosophes matérialistes accomplis, à tendance modérée, qui ont
rendu d'importants services eux aussi.
Nous considérons la connaissance et la sagesse comme la base du progrès humain
et nous avons de l'estime pour les philosophes larges d'esprit. Lis attentivement
le journal de l'Université de San Francisco afin que la vérité t'apparaisse.
Les facultés mentales sont des propriétés inhérentes à l'âme, comme le rayonnement
lumineux est la propriété essentielle du soleil. Les rayons solaires se renouvellent
mais le soleil reste toujours le même, inchangé. Remarque comme l'intelligence
humaine se développe puis s'affaiblit et parfois peut faire totalement défaut,
alors que l'âme est immuable. La manifestation de l'intelligence dépend de la
santé du corps : une intelligence saine ne peut se manifester que dans un corps
sain tandis que l'âme n'est pas conditionnée par le corps.
C'est par le pouvoir de l'âme que l'intelligence comprend, conçoit et exerce son
influence, tandis que l'âme est une force libre. C'est par le concret que l'intelligence
conçoit l'abstrait, mais l'âme a des manifestations illimitées qui lui sont propres.
L'intelligence humaine est bornée, l'âme sans limites. C'est à travers les sens
: la vue, l'ouïe, le goût, l'odorat et le toucher que l'intelligence saisit, tandis
que l'âme n'a besoin d'aucun intermédiaire. Comme tu peux le remarquer, l'âme
est en mouvement et toujours active aussi bien pendant le sommeil qu'à l'état
de veille. Il nous arrive de découvrir la solution d'un problème complexe pendant
un rêve, alors que nous en étions incapables à l'état de veille. De plus, l'intelligence
ne peut rien concevoir si les sens ne fonctionnent plus ; dans le foetus et dans
la prime enfance, la faculté de raisonner fait complètement défaut, alors que
l'âme est toujours en pleine force. Bref, nombreuses sont les preuves que, malgré
la défaillance de la raison, la force de l'âme continue d'exister.
L'esprit cependant existe à des degrés et à des rangs différents. Considérons
l'existence de l'esprit dans le minéral ; il est incontestable que celui-ci est
doué d'un esprit et qu'il vit selon les exigences de ce rang. Les naturalistes
admettent également aujourd'hui ce secret ignoré jadis que tout ce qui existe
est doué de vie ; ainsi que Muhammad le dit dans le Qur'an : " toute chose est
vivante ".
Le règne végétal possède le pouvoir de croissance et cette force de croissance
c'est l'esprit végétal. Le règne animal possède en plus les facultés sensorielles.
Dans le monde humain il existe une force qui comprend toutes les autres. Alors
que dans les règnes précédents, la faculté de raisonner n'existe pas, dans celui-ci
l'âme existe et se manifeste. Les facultés sensorielles ne conçoivent pas l'âme
alors que la faculté de raisonner prouve son existence.
De même, l'intelligence prouve l'existence d'une invisible réalité embrassant
tous les êtres, qui se révèle et se manifeste dans tous les règnes et dont l'essence
dépasse la portée de l'intelligence. Ainsi, le minéral ne conçoit ni la réalité
ni les perfections du végétal, le végétal ne saisit pas la nature de l'animal,
pas plus que l'animal ne comprend la réalité de l'homme qui, lui, découvre et
embrasse toutes choses.
L'animal est prisonnier de la nature et ne peut en transgresser les lois ni les
règles, alors qu'il existe dans l'homme un pouvoir supérieur à celui de la nature.
Ce pouvoir découvre les lois naturelles, les étudie et les contrôle. Ainsi, les
minéraux, les végétaux et les animaux sont prisonniers de la nature : même le
soleil, dans toute sa grandeur, lui est tellement subordonné qu'il n'a aucune
volonté propre et ne peut s'écarter de ses lois, fut-ce de l'épaisseur d'un cheveu.
Les êtres appartenant aux règnes minéral, végétal et animal ne peuvent échapper
aux lois naturelles et en sont les esclaves. Alors que l'homme, pourtant prisonnier
de la nature par le corps, est cependant libre par l'âme et l'intelligence. Il
domine la nature. Remarquons que, selon les lois de la nature, l'homme vit, se
déplace et passe son existence sur terre ; mais son âme et son intelligence interviennent
dans ces lois et, tel un oiseau, il s'envole. Il parcourt rapidement les mers
et, tel un poisson, explore leurs profondeurs et y fait des découvertes. On peut
dire que c'est une sérieuse entorse infligée aux lois naturelles.
Considérons l'énergie électrique : cette force violente et indomptée sépare les
montagnes et pourtant l'homme l'a emprisonnée dans une ampoule ; à l'évidence,
c'est une infraction aux lois naturelles. L'homme découvre ces mystères de la
nature qui, conformément aux lois naturelles, devraient rester cachés et, de l'invisible,
il les amène sur le plan visible. Ce qui est une transgression des lois. Il découvre
de même les propriétés inhérentes des choses qui sont les secrets de la nature.
Il met en lumière les faits passés oubliés par la mémoire, et il prévoit, par
son pouvoir d'induction, les événements encore inconnus de l'avenir. Ou encore,
alors que les communications et les explorations sont limitées aux courtes distances
par les lois naturelles, l'homme, par ce pouvoir spirituel qui lui est propre,
découvre les réalités des choses et relie l'Orient à l'Occident, ce qui est aussi
une infraction aux lois de la nature.
Les images sont fugitives d'après les lois naturelles, mais l'homme les fixe sur
une plaque de verre. Ce qui est aussi une dérogation à ces lois. Réfléchis et
médite sur ceci : les sciences, les arts, les métiers, inventions et découvertes
constituaient autrefois des secrets de la nature qui, en vertu de ses lois, auraient
dû rester cachés ; mais par ses capacités de découverte, l'homme enfreint ces
lois et rend visibles les secrets cachés dans l'invisible, ce qui, encore une
fois, constitue une infraction aux lois naturelles.
En résumé, cette faculté spirituelle de l'homme, invisible à l'oeil, arrache le
glaive des doigts de la nature et lui en assène des coups terribles. Toutes les
autres créatures, quelle que soit leur importance, sont privées de ces perfections.
L'homme possède le pouvoir de la volonté et celui de l'entendement, mais la nature
en est privée. Elle est enchaînée, l'homme est libre. La nature est dépourvue
d'entendement, l'homme comprend. Elle ignore les événements du passé mais l'homme
en est instruit. Elle ne prévoit pas ceux de l'avenir mais l'homme, par son pouvoir
de discernement, les prévoit. Elle n'a aucune conscience d'elle- même, l'homme
est au courant de toutes choses.
On pourrait supposer que l'homme, n'étant qu'un élément de la nature, toutes les
perfections dont il est doué ne sont que des manifestations de cette nature. Par
conséquent, loin d'être privée de ces perfections la nature en serait l'origine.
À ceci nous répondons que la partie dépendant du tout, il est impossible que la
partie possède des perfections dont le tout est privé.
Par " nature ", on entend les propriétés inhérentes des choses et les relations
nécessaires qui découlent de la réalité des choses. Ces réalités, quoiqu'infiniment
diverses, sont toutefois intimement reliées entre elles. À ces différentes réalités
il faut un agent unificateur capable de les relier les unes aux autres. Ainsi
les divers membres, organes, éléments et parties qui constituent le corps de l'homme,
quoique différents, sont néanmoins tous liés entre eux sous l'action unifiante
de ce qu'on appelle l'âme humaine, ce qui leur permet d'agir en complète harmonie
avec une régularité absolue, et d'assurer ainsi la continuité de la vie. Le corps
humain est cependant tout à fait inconscient de cette action unificatrice ; il
agit régulièrement malgré tout et s'acquitte de ses fonctions selon sa volonté.
Les philosophes appartiennent à deux écoles : Socrate le sage croyait en l'unité
de Dieu et en la survie de l'âme ; comme ses opinions allaient à l'encontre de
celles de ses contemporains à l'esprit borné, ce divin sage fut empoisonné par
eux. Tous les philosophes religieux, les hommes de sagesse et de raison, observant
le nombre infini des créatures, remarquèrent que, dans cet immense et incommensurable
univers, tout aboutit au règne minéral, que ce monde minéral a donné naissance
au monde végétal, celui-ci au monde animal, et le monde animal au monde humain.
L'aboutissement de cet univers infini, dans toute sa majesté et sa splendeur,
c'est l'homme lui-même qui, en cette existence, peine, souffre quelque temps,
endure chagrins et maladies puis, à la fin, se désagrège sans laisser ni traces
ni fruits. Si cela était vraiment, on pourrait affirmer que cet univers infini,
avec toutes ses perfections, aboutit à une erreur, une illusion sans résultat,
sans fruit, sans permanence et sans effet. Il serait complètement dépourvu de
sens.
Ces philosophes furent convaincus qu'il n'en est pas ainsi ; cette entreprise
grandiose avec toute sa puissance, son effarante splendeur et ses perfections
infinies, ne peut en fin de compte aboutir au néant. Qu'une autre vie existe est
donc certain et, comme le règne végétal est inconscient de l'existence de l'homme,
nous ne savons rien de cette grande existence dans l'au-delà, après la vie sur
cette terre. Le fait de ne pas concevoir cette vie n'est pas une preuve qu'elle
n'existe pas. Ainsi le monde minéral ignore tout à fait ce qui concerne l'homme
; il ne peut comprendre ce monde. Ignorer une chose ne prouve pas son inexistence.
Il existe des preuves nombreuses et concluantes pour démontrer que cet univers
infini ne peut se terminer par la vie humaine.
Quant à l'Essence de la Divinité, en vérité, elle ne peut en aucun cas être définie
par quoi que ce soit d'autre que par sa nature propre, et ne peut jamais être
comprise. Car tout ce que l'homme peut concevoir n'est qu'une réalité limitée
et non infinie, une réalité bornée et non globale qu'il peut comprendre et contrôler.
Il est évident que les conceptions humaines ne sont pas nécessaires mais contingentes,
que leur existence est mentale et non matérielle. De plus, l'existence des différents
degrés de développement des êtres du monde contingent est un obstacle à la compréhension
; comment serait-il alors possible à ce qui est contingent de concevoir la réalité
de l'absolu ? Nous venons de dire que les différents degrés de développement sur
le plan contingent constituent un obstacle à la compréhension : les minéraux,
les plantes et les animaux sont dépourvus des facultés mentales de l'homme qui
découvre les réalités de toutes choses ; il connaît, lui, tous les degrés qui
le précèdent. Chaque plan supérieur comprend le plan inférieur et en découvre
la réalité, mais l'inférieur n'a pas connaissance du supérieur et ne peut le comprendre.
Ainsi l'homme est incapable de concevoir l'Essence du divin, mais par le raisonnement,
et l'observation, par ses intuitions et par la force révélatrice de sa foi, il
peut croire en Dieu et éprouver les bienfaits de sa grâce. Il acquiert cette certitude
: bien que l'Essence divine soit invisible et que l'existence de Dieu soit intangible,
des preuves spirituelles décisives attestent cependant l'existence de cette invisible
réalité. Mais en elle-même, cette Essence est au-delà de toute description. Prenons
un exemple : la nature de l'éther est inconnue, mais son existence apparaît certaine
dans ses effets : chaleur, lumière et électricité qui en sont les vibrations.
Ces ondes vibratoires sont la preuve qu'il existe. De même, si nous considérons
la surabondance des grâces divines, nous sommes convaincus de l'existence de Dieu.
Encore un exemple : remarquons que l'existence des êtres est due à la combinaison
d'éléments divers et leur non-existence à la décomposition de leurs éléments constituants,
car cette décomposition provoque la dissociation de ces éléments. Considérant
donc que l'assemblage d'éléments donne naissance aux êtres, et sachant que ces
êtres sont infinis, comment leur cause pourrait-elle être finie dans la mesure
où ils en sont l'effet ?
Or, il ne peut y avoir que trois sortes de composition et trois seulement : fortuite,
nécessaire ou volontaire. L'assemblage des différents éléments qui forment les
êtres ne peut être dû au hasard, car tout effet comporte nécessairement une cause.
Il ne peut être obligatoire car, dans ce cas, la composition devrait être une
propriété inhérente aux composants, et la propriété inhérente d'une chose ne peut,
en aucune manière, en être séparée ; ainsi de la lumière qui rend les choses apparentes,
de la chaleur qui dilate les éléments et du rayonnement qui est la propriété essentielle
du soleil. Dans ces conditions, la décomposition de n'importe quel corps composé
serait impossible puisque la propriété inhérente à un corps ne peut lui être enlevée.
Reste le troisième cas, la composition volontaire : une force invisible, connue
comme la Puissance première, cause l'union de ces éléments, chaque structure donnant
naissance à un être distinct.
En ce qui concerne les qualités et perfections attribuées à cette divine réalité
telles que volonté, connaissance, pouvoir et autres qualités éternelles, il s'agit
là des signes reflétés par les créatures sur le plan visible, et non des perfections
véritables de cette Essence divine impossible à concevoir. Par exemple, en observant
les choses créées, on découvre des perfections à l'infini et ces choses montrant
une ordonnance et une harmonie des plus parfaites, on en conclut que la puissance
éternelle à laquelle ils doivent l'existence ne peut être ignorante ; nous disons
qu'Elle est omnisciente. Il est certain qu'elle n'est pas impuissante mais doit
être omnipotente. Elle n'est pas pauvre mais possède toutes les richesses. Elle
n'est pas inexistante mais à jamais vivante. Ceci a pour but de démontrer que
nous donnons ces attributs et ces perfections à l'universelle Réalité uniquement
pour lui dénier toute imperfection plutôt que pour affirmer l'existence de perfections
inconcevables pour l'esprit humain. C'est pourquoi on dira que ses attributs sont
inconnaissables.
En résumé, cette Réalité universelle, pourvue de toutes les qualités et attributs
que nous lui assignons, est sanctifiée et hors de portée de notre intelligence
et de notre compréhension. Néanmoins, quand on étudie avec un esprit ouvert cet
univers infini, on constate que le mouvement sans force motrice et l'effet sans
cause sont tous deux impossibles, que tous les êtres se sont formés sous l'empire
de nombreuses influences et subissent des réactions continuelles et que ces influences
elles-mêmes dépendent d'autres influences. Ainsi, les plantes poussent et prospèrent
sous l'action des pluies printanières, mais les nuages eux-mêmes se forment sous
l'influence d'autres réactions, ces dernières étant influencées à leur tour par
d'autres facteurs. Ainsi encore des plantes et des animaux : ils croissent et
se développent sous l'action de ce que les savants de nos jours appellent hydrogène
et oxygène. Ils subissent les effets de ces deux éléments qui se forment eux-mêmes
à partir d'autres réactions. On peut en dire autant de tous les êtres, qu'ils
réagissent sur d'autres ou soient influencés par eux. Ce processus de causalité
se poursuit ainsi, et soutenir qu'il continue indéfiniment est manifestement absurde.
Aussi un tel enchaînement de causes doit-il obligatoirement conduire en fin de
compte à Celui qui est l'Éternel, le Tout-Puissant, l'Indépendant et la Cause
ultime. Cette Réalité universelle est imperceptible et invisible. Il faut nécessairement
qu'il en soit ainsi, car Elle contient tout et n'est pas contenue, de tels attributs
caractérisant l'effet et non la cause.
Si l'on réfléchit, on peut comparer l'homme à un minuscule organisme à l'intérieur
d'un fruit ; ce fruit provient de la fleur ; celle-ci s'est épanouie sur l'arbre,
qui est nourri par la sève, elle-même produite par la terre et l'eau. Comment
cette infime créature pourrait-elle se rendre compte de la nature du jardin, imaginer
le jardinier et comprendre son existence ? C'est évidemment impossible. Mais que
cet organisme médite et comprenne, et il remarquera que ce jardin, cet arbre,
cette fleur et ce fruit n'ont pu, en aucun cas, parvenir d'eux-mêmes à l'existence
dans l'ordre et la perfection où on les trouve. Il en est de même pour un esprit
réfléchi et raisonnable ; il a la certitude que cet univers infini, dans son immensité
et son ordre parfait, n'a pu se former spontanément.
De même, il existe dans la création des énergies invisibles telles que celle de
l'éther déjà citée, qui ne peuvent être vues ni décelées. Néanmoins leurs effets
: ondes et vibrations, produisent de la chaleur, de la lumière et de l'électricité,
ce qui prouve leur existence. Ainsi en est-il des propriétés de croissance, de
sensibilité, d'entendement, de réflexion, de mémoire, d'imagination et de discernement
; toutes ces facultés mentales sont invisibles et intangibles mais cependant évidentes
par leurs effets.
Considérons maintenant la Force infinie : l'existence même du fini prouve l'existence
de l'infini, car ce qui est limité est connu par l'illimité, comme la pauvreté
prouve que la richesse existe. Sans richesse, il n'y aurait pas de pauvreté, sans
connaissance point d'ignorance et sans lumière, point de ténèbres. L'obscurité
prouve que la lumière existe, car l'obscurité est absence de lumière.
Quant à la nature, ce n'est que l'ensemble des propriétés essentielles et des
relations nécessaires inhérentes à la réalité des choses. Et ces réalités infinies,
en dépit de leurs diverses particularités, sont cependant intimement liées ensembles
et dans la plus parfaite harmonie. Si l'on observe les choses avec attention et
largesse d'esprit, on acquiert la certitude que chaque réalité n'est qu'une nécessité
indispensable aux autres. Aussi une force unifiante est-elle nécessaire pour relier
et accorder ces réalités infinies et diverses, afin que chacune des parties constituantes
des êtres puisse accomplir sa fonction particulière dans un ordre parfait. Prenons
l'exemple du corps humain, et admettons que la partie soit une indication de l'ensemble.
Vois comme les diverses parties et les membres du corps humain sont en étroite
liaison et harmonieusement unies les unes aux autres. Chaque partie est, à la
fois, nécessaire aux autres et possède sa propre fonction. C'est l'esprit qui
est l'agent unificateur et qui réunit si bien tous les composants que chacun d'eux
remplit son rôle dans un ordre parfait ; ainsi coopération et réactions réciproques
deviennent possibles. L'activité de toutes ces parties est régie par des lois
qui sont essentielles à la vie. Que cet agent unificateur soit affecté d'une manière
ou d'une autre et il est clair que les parties constituantes du corps et ses divers
membres cesseront de fonctionner correctement. Bien que cette force unifiante
ne soit ni visible ni perceptible dans le corps humain et que son essence soit
inconnue, elle se manifeste néanmoins avec la plus grande évidence par ses effets.
Il est ainsi prouvé que les êtres en nombre infini de cet univers merveilleux
ne sauraient fonctionner que s'ils sont dirigés et contrôlés par une réalité universelle
et qu'ainsi l'ordre règne dans le monde. Par exemple, interaction et coopération
entre les parties constitutives du corps humain sont évidentes et indiscutables,
et pourtant cela ne suffit pas. Il leur faut un principe unificateur qui dirige
et contrôle les parties constituantes afin qu'elles puissent, par interaction
et coopération, accomplir en ordre parfait leurs nécessaires fonctions respectives.
Loué soit le Seigneur ! tu sais qu'interactions et coopérations sont des faits
établis parmi les êtres, qu'ils soient petits ou grands. Dans le cas de grands
organismes, la chose est aussi manifeste que le soleil et dans le cas de corps
minuscules, bien que l'interaction soit inconnue, on peut dire que la partie est
indicative de l'ensemble. Toutes ces interactions sont en relation avec ce pouvoir
général qui est leur pivot, leur centre, leur source et leur puissance motrice.
Nous avons observé comme exemple la coopération bien établie entre les différentes
parties constitutives du corps humain, ces parties et ces membres rendant des
services à tous les autres éléments du corps. Ainsi la main, le pied, l'oeil,
l'oreille, l'intelligence, l'imagination aident les différentes parties et les
membres du corps humain, mais toutes ces interactions sont reliées entre elles
par un pouvoir invisible, qui englobe tout et qui est la cause de la régularité
parfaite de ces interactions. Ce pouvoir est la " faculté interne " de l'homme,
c'est-à-dire son esprit et sa raison qui sont tous deux invisibles.
Considère encore les réactions qui existent entre les diverses pièces et parties
constituantes des engins et des machines industrielles et comment ils communiquent
entre eux. Toutes ces réactions et liaisons sont pourtant en rapport avec une
direction centrale qui est leur génératrice, leur axe et leur source d'énergie.
Cette force centrale, dans un cas, c'est la vapeur, dans l'autre, l'habileté d'un
esprit supérieur.
Il est ainsi démontré que les réactions et les relations mutuelles ainsi que la
coopération des êtres sont, à l'évidence, sous la dépendance et la volonté d'une
Puissance motrice qui est l'origine, le pivot et la source d'énergie de toutes
les interactions de l'univers.
De même, toute combinaison, toute structure dépourvue d'un ordre parfait est considérée
comme accidentelle. Tout composé dont les éléments présentent des rapports ordonnés,
réguliers et parfaits, dont chaque partie est en bonne et due place et constitue
une nécessité indispensable pour toutes les autres, est considéré comme un composé
façonné par la volonté et la connaissance. On ne peut donc pas douter que ces
êtres innombrables et ces associations d'éléments variés, assemblés en une infinité
de formes, proviennent nécessairement d'une réalité qui ne peut, en aucune manière,
être dépourvue de volonté ou de compréhension. Ceci est clair et évident pour
la raison et personne ne peut le nier.
Cela ne signifie pas pour autant que cette Réalité universelle ou ses attributs
aient été compris. Ni son essence, ni ses véritables attributs ne sont à la portée
de qui que ce soit. Mais je soutiens que cette infinité de créatures, ces rapports
nécessaires, ces agencements parfaits procèdent obligatoirement d'une source non
dénuée d'intelligence ni de volonté, et que cette composition à l'échelle de l'infini,
faite d'une suite illimitée de formes, doit être due à une Sagesse qui embrasse
tout. Cette proposition est indéniable, sauf pour l'entêté qui s'obstine à nier
l'évidence sur laquelle on ne peut se méprendre ; à ce dernier s'applique le verset
béni : " Sourds, muets, aveugles, ils ne reviendront plus. "
Voyons maintenant si les facultés mentales et l'âme de l'homme sont une seule
et même entité.
L'imagination, la pensée, l'intelligence sont, en fait, les propriétés inséparables
de l'âme ; ces facultés sont les conditions essentielles de la réalité humaine
comme les rayons solaires sont une propriété inhérente du soleil. Si l'on compare
le temple humain à un miroir, son âme est le soleil et ses facultés mentales sont
les rayons émanant de cette source lumineuse. Les rayons peuvent cesser d'atteindre
le miroir mais ne peuvent en aucune façon être séparés du soleil.
Bref, le monde de l'homme semble surnaturel par rapport au règne végétal alors
qu'en réalité ce n'est pas le cas. Mais par rapport à la plante, la réalité de
l'homme, ses facultés d'audition et de vision sont toutes surnaturelles car les
plantes sont incapables de concevoir cette réalité et la nature des pouvoirs de
l'esprit de l'homme. De la même façon, il est impossible à l'homme de saisir l'Essence
divine et la nature du grand au-delà. Cependant, les effusions généreuses de cette
divine Essence sont accordées à toutes les créatures et c'est sur ces effusions
de la grâce divine - l'âme étant l'une d'elles - que l'homme doit méditer en son
coeur plutôt que de réfléchir sur l'Essence divine elle-même. Car c'est là la
limite extrême de la compréhension humaine. Comme on l'a vu précédemment, les
qualités et les perfections attribuées à l'Essence divine, nous les avons déduites
de l'observation des créatures existantes, ce qui ne signifie pas que nous ayons
conçu la nature de l'Essence de Dieu ni ses perfections. Affirmer que l'Essence
divine est intelligente et libre ne signifie pas que nous ayons sondé la volonté
divine et son dessein mais plutôt que nous en avons pris conscience par l'intermédiaire
de cette grâce divine qui se révèle et se manifeste dans la réalité des choses.
En ce qui concerne les principes sociaux enseignés par Baha'u'llah et largement
répandus depuis cinquante ans, ils englobent tous les autres enseignements. Il
est clair que sans ces principes, le progrès et l'avancement de l'humanité sont
tout à fait impossibles. Tous les peuples du monde trouvent dans ces enseignements
divins la réalisation de leurs plus hautes aspirations. Ces enseignements sont
comme un arbre qui porterait les meilleurs fruits de tous les arbres. Ainsi les
philosophes trouveront dans ces enseignements célestes la solution parfaite aux
problèmes sociaux et une manière rationnelle et supérieure d'exposer les questions
philosophiques. Les croyants y trouveront la réalité de la religion dévoilée d'une
manière éclatante dans ces divins principes, de sorte que ceux-ci sont reconnus
clairement et de façon décisive comme le remède réel et efficace aux maux et aux
troubles de l'humanité.
Si ces enseignements sublimes étaient répandus dans le monde, l'humanité serait
libérée de tous dangers et guerre, de tous maux et troubles continuels. De même,
les principes économiques baha'is représentent l'idéal suprême de toutes les classes
laborieuses et des économistes de tendances diverses. Bref, groupes et partis
trouvent la réalisation de leurs idéaux dans les principes de Baha'u'llah. il
fortifie leur volonté au point d'influencer une grande nation pendant des milliers
d'années, de régénérer les âmes et de renouveller la société. Juge de l'immensité
de cette Puissance ! À mesure que ces principes seront proclamés dans les églises,
dans les mosquées et dans les temples des autres confessions, chez les bouddhistes
comme chez les adeptes de Confucius, dans les groupes politiques comme parmi les
matérialistes, tous rendront témoignage que ces enseignements apportent une vie
nouvelle aux hommes et constituent le remède immédiat à tous les malaises sociaux.
Personne ne peut trouver de défaut à aucun de ces principes ; bien au contraire,
une fois proclamés, ils seront tous bien accueillis ; chacun, les reconnaissant
comme une nécessité vitale, s'écriera : " Voici réellement la vérité, et tout
le reste n'est qu'erreur manifeste. "
Quelques mots pour conclure qui seront, pour chacun, une preuve claire et décisive
de la vérité. Réfléchis : l'autorité de tous les monarques triomphe pendant leur
règne ; celle des philosophes exerce son action de leur vivant sur une poignée
de disciples ; mais le pouvoir du Saint-Esprit brille de manière éclatante en
la personne des messagers de Dieu ; Elle est extraordinaire et c'est une preuve
entièrement suffisante de l'authenticité de la mission des Prophètes de Dieu,
une démonstration concluante du pouvoir de l'inspiration divine.
Que la Gloire des Gloires soit sur toi !
'Abdu'l-Baha
le 21 septembre 1921
Notes :
1/ Docteur Fisher . Dans sa lettre à Abdu'l-Baha, Auguste Forel écrivait : "D'après
M. Wilhelm Herrigel qui les a traduites en allemand, les merveilleuses lettres
que je lis en ce moment furent envoyées par vous dès 1910 à une dame, le docteur
F. Est-ce vrai ? Ces lettres furent-elles vraiment écrites en 1910, avant la guerre
? Si c'est le cas, je suis vraiment étonné de la clarté prophétique de votre vision".
Ce "docteur F." n'est pas vraiment identifiée. L'hypothèse actuellement retenue
est que le Docteur Josephine Fallsheer qui servit comme médecin personnel de la
famille de Abdu'l-Baha, le Docteur Fisher et le docteur F sont une seule et même
personne.
2/ le journal de San-Francisco. Il s'agit du "Palo Altan", publié à Palo Alto,
siège de l'Université Stanford. Le numéro du 1er novembre 1912 donnait en première
page le texte in extenso du discours prononcé le 8 octobre par Abdu'l-Baha.