DIEU PASSE PRES DE NOUS
Shoghi Effendi
Chapitre précédent
Retour au sommaireChapitre
suivant
2ième Période: Ministère de Baha'u'llah (1853-1892) [...] Page 143 L'arrivée de Baha'u'llah dans le jardin de Najibiyyih,
surnommé plus tard jardin du Ridvan* par ses fidèles,
marque le début de ce qui est devenu la plus sacrée et la plus
significative de toutes les fêtes baha'i: la fête commémorative
de la déclaration de sa mission à ses compagnons. Une déclaration
aussi capitale peut certes être considérée à la
fois comme l'aboutissement logique de ce processus révolutionnaire
dont il prit lui-même l'initiative à son retour de Sulaymàniyyih,
et comme un prélude à la proclamation décisive de cette
même mission que, d'Andrinople, il adressa au monde et à ses
gouvernants. Par cet acte solennel, le "délai" d'au moins dix années, divinement
interposé entre la naissance de la révélation de Baha'u'llah
dans le Siyah-Chàl et l'annonce de celle-ci aux disciples du
Bab, touchait enfin à son terme. Le " laps de temps fixé
pour le secret" pendant lequel, ainsi qu'il en témoigna lui-même,
les "signes et les preuves d'une révélation prescrite par Dieu"
lui furent envoyés, était révolu. Les "innombrables voiles
de lumière" dans lesquels sa gloire était enveloppée
furent, à cette heure historique, partiellement soulevés, accordant
à l'humanité "une lueur infinitésimale" de son "incomparable,
de son très saint et sublime visage". Les "mille deux cent quatre-vingt-dix
jours", fixés par Daniel dans le dernier chapitre de son livre pour
la durée de "l'abomination de la désolation", s'étaient
écoulés. Les "cent années lunaires", destinées
à précéder immédiatement cette bienheureuse consommation
(1335 jours), et annoncées par Daniel dans ce même chapitre,
avaient commencé. Les dix-neuf années constituant la première
"vàhid', fixées d'avance dans le Bayan persan par la
plume du Bab, avaient pris fin. Le Seigneur du royaume, Jésus-Christ,
revenu dans la gloire du Père, était sur le point de monter
sur son trône et de saisir le sceptre d'une souveraineté mondiale
indestructible. La communauté du très grand Nom, les "compagnons
de l'Arche rouge", célébrés en termes chaleureux dans
le Qayyùmu'l-Asmà', avaient manifestement paru. La prophétie
du Bab même, au sujet du "Ridvan", le lieu où fut
dévoilée la gloire transcendante de Baha'u'llah,
avait été littéralement accomplie. [...] Page 144 Nullement effrayé par la perspective des adversités épouvantables
qui, ainsi qu'il l'avait lui-même prédit, n'allaient pas tarder
à s'abattre sur lui, et à la veille d'un second exil - qui allait
être rempli de nombreux dangers et périls et qui l'éloignerait
encore davantage de sa terre natale, berceau de la foi -, exil vers un pays
étranger, au point de vue race, langage et culture, ayant nettement
conscience de l'agrandissement du cercle de ses adversaires, au nombre desquels
allaient bientôt s'ajouter un monarque plus despotique que le shah
Nàsiri'd-Din, ainsi que des ministres non moins opiniâtres, dans
leur hostilité, que Hàji Mirza Àqàsi ou
l'amirnizàm, imperturbable au milieu des interruptions continuelles
dues à la légion de visiteurs qui affluaient vers sa tente,
Baha'u'llah choisit, à cette heure critique et apparemment
peu propice, de présenter une revendication aussi hardie, de dévoiler
le mystère entourant sa personne et d'assumer, dans leur plénitude,
la puissance et l'autorité qui étaient les privilèges
exclusifs de celui dont le Bab avait prophétisé l'avènement. Déjà, l'ombre de ce grand événement imminent
s'était abattue sur la colonie des exilés qui attendaient, dans
l'espoir de sa réalisation. A mesure que, de façon sûre,
inexorable, l'année "quatre-vingts"* approchait, celui qui était
devenu le vrai chef de cette communauté recevait de manière
croissante, et transmettait peu à peu à ses futurs disciples,
l'influence véhémente de sa force inspirante. Les odes joyeuses
et enchanteresses qu'il révélait presque chaque jour, les tablettes,
pleines de sous-entendus, déversées par sa plume, les allusions
qu'il faisait à l'approche de cette heure, au cours de conversations
privées et de discours publics, l'exaltation inondant son âme
dans les moments de joie comme de tristesse, l'extase qui remplissait ses
adorateurs, déjà ravis par les preuves multipliées de
sa grandeur et de sa gloire croissantes, le changement sensible dans son maintien,
et finalement son adoption du tàj (haute coiffure de feutre), le jour
où il quitta sa très sainte demeure, tout annonçait,
indubitablement, son accession proche à la fonction prophétique
et à la direction visible de la communauté des disciples du
Bab. "Pendant bien des nuits ", écrit Nabil, dépeignant l'émoi
qui avait saisi le coeur des compagnons de Baha'u'llah, au cours
des jours qui précédèrent la déclaration de sa
mission, "Mirza Àqà Jàn réunit ceux-ci
dans sa chambre, ferma la porte, alluma de nombreux cierges au camphre et
leur psalmodia, à haute voix, les odes et les tablettes nouvellement
révélées qu'il possédait. Oubliant complètement
ce monde contingent, entièrement plongés dans les royaumes de
l'esprit, négligeant de se nourrir, de dormir ou de boire, ils découvraient
subitement que la nuit avait fait place au jour, et que le soleil approchait
du zénith." [...] Page 145 Sur les circonstances exactes qui entourèrent cette déclaration
historique, nous ne sommes malheureusement que très peu renseignés.
Les paroles que Baha'u'llah prononça effectivement à
cette occasion, la façon dont il présenta sa déclaration,
la réaction qu'elle produisit, le choc qu'en reçut Mirza
Yahya, l'identité de ceux qui eurent le privilège d'entendre
Baha'u'llah, tout cela reste enveloppé dans une obscurité
que les historiens futurs auront du mal à percer. La description fragmentaire
laissée à la postérité par son chroniqueur Nabil
représente l'un des rares récits authentiques que nous possédions
sur les journées mémorables qu'il passa dans ce jardin. "Chaque
jour", raconte Nabil, "avant l'aube, les jardiniers cueillaient les roses
qui bordaient les quatre avenues du jardin et les empilaient par terre, au
milieu de sa tente bénie. Le tas était si élevé
que, lorsque ses compagnons se réunissaient pour boire leur thé
du matin en sa présence, ils ne pouvaient se voir au-dessus. De ses
propres mains, Baha'u'llah confiait toutes ces roses à
ceux qu'il renvoyait de sa présence chaque matin, avec mission de les
remettre de sa part à ses amis arabes et persans de la ville." "Une
nuit", continue Nabil, "la neuvième nuit de la lune ascendante, je
montais la garde avec d'autres, près de sa tente bénie. Comme
minuit approchait, je le vis sortir de sa tente, passer prés de quelques-uns
de ses compagnons endormis, et commencer à faire les cent pas dans
les allées bordées de fleurs du jardin, sous le clair de lune.
De tous côtés, le chant des rossignols était si fort que,
seuls, ceux qui étaient proches de lui pouvaient entendre distinctement
sa voix. Il continua de marcher jusqu'à ce que, s'arrêtant au
milieu de l'une des avenues, il observe: 'Voyez ces rossignols. Leur amour
pour ces roses est si fort que, veillant du crépuscule jusqu'à
l'aube, ils gazouillent leurs mélodies et, dans une passion brûlante,
communient avec l'objet de leur adoration. Comment ceux qui se prétendent
embrasés d'amour pour la beauté du Bien-Aimé - celle
de la rose même - peuvent-ils se résoudre à dormir? "
Pendant trois nuits consécutives je veillais, effectuant des rondes
autour de sa tente bénie. Chaque fois que je passais près du
lit sur lequel il était étendu, je le trouvais éveillé,
et chaque jour, du matin au soir, je le voyais sans cesse occupé à
converser avec le flot de visiteurs qui ne cessaient d'arriver de Baghdad.
Pas une seule fois je ne pus découvrir, dans les paroles qu'il prononçait,
le moindre indice de dissimulation." Quant à la signification de cette déclaration, laissons Baha'u'llah
lui même nous en révéler l'importance. Saluant cette circonstance
historique comme le "plus grand festival', le "roi des festivals", le "festival
de Dieu", il le caractérise dans son Kitab-i-Aqdas comme le
jour où " toutes choses créées ont été
plongées dans l'océan de la purification", tandis que, dans
une de ses tablettes spécifiques, il y fait allusion comme au jour
où " les brises du pardon ont soufflé sur toute la création
". [...] Page 146 " Réjouis-toi! -Que ton allégresse soit extrême, ô
peuple de baha ", écrit-il dans une autre tablette, "en te remémorant
le jour de suprême félicité, le jour où la langue
de l'Ancien des jours a parlé, quand il quitta sa demeure pour se rendre
au lieu'* d'où il déversa, sur la création entière,
les splendeurs de son nom, le très-Miséricordieux ... Si Nous
révélions les secrets cachés de ce jour, tout ce qui
demeure sur la terre et dans les cieux tomberait en défaillance et
mourrait, excepté ceux que Dieu, le Tout-Puissant, l'Omniscient, le
très-Sage, préserverait. L'effet des paroles de Dieu sur le
Révélateur de ses preuves indubitables est tellement enivrant
que sa plume ne peut se mouvoir davantage." Et encore - "Le printemps divin
est venu, ô plume très exaltée, car le festival du très-Miséricordieux
approche rapidement... L'étoile du matin de la béatitude luit
au-dessus de l'horizon de notre nom, le Bienheureux, étant donné
que le royaume du nom de Dieu a été paré de l'ornement
du nom de ton Seigneur, le Créateur des cieux ... Prends garde que
rien ne te détourne de célébrer la grandeur de ce jour
- le jour où le doigt de majesté et de puissance a rompu le
sceau du vin de la réunion, et appelé tous ceux qui sont dans
les cieux et tous ceux qui sont sur la terre... Voici le jour où le
monde invisible s'écrie: 'Grande est ta bénédiction,
ô terre, car tu es devenue le marchepied de ton Dieu, et tu as été
choisie pour être le siège de son puissant trône' ... Dis
... Il est celui qui a exposé à vos yeux la gemme cachée
et précieusement gardée, si vous êtes à sa recherche.
C'est lui qui est le seul Bien-Aimé de toutes choses, tant du passé
que de l'avenir." Et de nouveau: "Lève-toi et proclame à la
création entière la nouvelle que celui qui est le très-Miséricordieux
a dirigé ses pas vers le Ridvan et qu'il y est entré.
Conduis donc les peuples vers le jardin de délices dont Dieu a fait
le trône de son paradis ... A l'intérieur de ce paradis, et du
haut de ses demeures les plus élevées, les vierges du ciel ont
crié et clamé: 'Réjouissez-vous, ô habitants des
royaumes célestes, car au nom du trés-Glorieux, les mains de
celui qui est l'Ancien des jours font résonner la plus grande cloche,
au coeur même des cieux. Les mains de bonté ont porté à
la ronde les coupes de vie éternelle. Approchez-vous et buvez à
longs traits. "' Et enfin: " Oublie le monde de la création, ô
plume, tourne-toi vers le visage de ton Seigneur, le Seigneur de tous les
noms, et rehausse la beauté du monde par l'attrait de la grâce
de ton Seigneur, le Roi des jours sans fin. Car nous percevons le parfum du
jour où celui qui est le Désir de toutes les nations a répandu,
sur les royaumes du visible et de l'invisible, les splendeurs de la lumière
de ses noms les plus excellents, et les a entourés des rayonnants flambeaux
de ses plus généreuses faveurs, faveurs que nul ne peut estimer,
sauf Celui qui est l'omnipotent Protecteur de la création tout entière."
, / Le départ de Baha'u'llah du jardin du Ridvan,
à midi, le 14 dhi'l-qa'dih 1279 A.H. (3 mai 1863), vit se déroule
r des scènes d'enthousiasme tumultueux non moins spectaculaires, et
même encore plus touchantes, que celles qui avaient salué son
départ de sa suprême demeure à Baghdad. "Le grand
tumulte", écrit un témoin oculaire, "associé, dans nos
esprits, au jour du rassemblement, le jour du jugement, nous en fûmes
les spectateurs en cette occasion. Croyants et incroyants sanglotaient et
se lamentaient pareillement. Les chefs et les notables qui s'étaient
rassemblés furent frappés d'étonnement. L'émotion
atteignit un tel degré de profondeur que nul langage ne peut la décrire
et qu'aucun observateur n'aurait pu échapper à sa contagion." [...] Page 147 Monté sur son coursier, un étal n aubère de la plus
pure race, le meilleur que ses adorateurs avaient pu acheter pour lui, et
laissant en arrière une multitude d'admirateurs fervents qui s'inclinaient,
il s'éloigna vers la première étape d'un voyage qui devait
le mener à la ville de Constantinople. "Nombreuses furent les têtes
", raconte Nabil, lui-même témoin de cette scène mémorable,
"qui, de tous côtés, se courbaient dans la poussière,
aux pieds de son cheval, embrassant ses sabots, et innombrables furent ceux
qui s'élançaient pour étreindre ses étriers."
"Qu'il fut grand', atteste un compagnon de route, "le nombre de ceux qui,
personnifications de la fidélité, se jetèrent devant
ce destrier, préférant la mort à la séparation
d'avec leur Bien-Aimé! J'ai l'impression que ce coursier béni
foula aux pieds les corps de ces âmes au coeur pur." "Ce fut Lui" (Dieu),
déclare Baha'u'llah lui-même, "qui me permit de
quitter la ville" (Baghdad), revêtu d'une majesté telle
que nul, sauf les négateurs et les malveillants, ne pouvait manquer
de reconnaître." Ces marques d'hommage et de dévotion continuèrent
de l'entourer jusqu'à ce qu'il soit installé à Constantinople.
Mirza Yahya, tout en se hâtant, à pied selon sa
propre volonté, derrière l'équipage de Baha'u'llah,
fit à Siyyid Muhammad, le jour de son arrivée dans cette ville,
la remarque suivante qui fut entendue par Nabil: "Si je n'avais pas résolu
de me cacher et si j'avais révélé mon identité,
les honneurs qui lui (Baha'u'llah) sont conférés
en ce jour auraient aussi été pour moi." Les mêmes marques de dévotion données à Baha'u'llah
au moment où il quitta sa demeure et, plus tard, le jardin du Ridvan,
se renouvelèrent lorsque, le 2o dhi'l-qa'dih (9 mai 1863), accompagné
des membres de sa famille et de vingt-six de ses disciples, il quitta Firayjàt*,
première étape de ce voyage. Une caravane se forma, composée
de cinquante mules, d'une garde montée de dix soldats et de leur officier,
et de sept paires de litières surmontées chacune de quatre parasols;
elle s'achemina, par petites étapes, et pendant au moins cent dix jours,
à travers les régions montagneuses, les défilés,
les bois, les vallées et les pâturages qui constituent les paysages
pittoresques de l'Anatolie orientale, jusqu'au port de Sàmsùn,
sur la mer Noire. Tantôt à cheval, tantôt sur la litière
réservée pour lui et souvent entourée par ses compagnons
dont la plupart allaient à pied, Baha'u'llah reçut,
au cours de son voyage vers le Nord, dans le printemps en fleurs, et grâce
à un ordre écrit du pacha Nàmiq, un accueil enthousiaste
de la part des vàlis, des mutisarrifs*, des qà'im-maqàms*,
mudirs*, shaykhs, muftis et qadis, des fonctionnaires du gouvernement et des
notables habitant les régions qu'il traversait. A Karkùk*, à
Irbfl*, à Mossoul* où il demeura trois jours, à Nisi-Bin*,
à Màrdin*, à Diyar-Bakr* où ils firent
une halte de deux jours, à Kharpùt*, à Sivas* ainsi que
dans les autres villages et hameaux, une délégation venait l'accueillir
juste avant son entrée dans la cité, et à son départ,
il était accompagné un bout de chemin par une délégation
semblable. Les fêtes qui, à certaines étapes, étaient
données en son honneur, les aliments que les villageois préparaient
et venaient lui offrir, l'empressement qu'ils déployèrent maintes
fois en lui procurant les moyens d'assurer son confort, tout ceci rappelait
la vénération que le peuple de Baghdad lui avait témoignée
en de si nombreuses occasions. [...] Page 148 "Comme nous passions ce matin-là par la ville de Màrdin", raconte
ce même compagnon de voyage, "nous étions précédés
par une escorte montée de soldats du gouvernement, portant leurs bannières
et jouant du tambour en signe de bienvenue. Le mutisarrif, les fonctionnaires
et les notables nous accompagnaient, tandis que les hommes, les femmes et
les enfants, se pressant sur les toits et remplissant les rues, attendaient
notre arrivée. Nous traversâmes cette ville en grande cérémonie
et dans la dignité, et nous reprîmes notre voyage, le mutisarrif
et ses compagnons nous escortant sur une distance considérable." "D'après
le témoignage unanime de ceux que nous rencontrâmes au cours
de ce voyage ", rapporte Nabil dans son récit, "jamais encore ils n'avaient
vu, sur ce parcours Constantinople-Baghdad, où gouverneurs et
mushirs* passaient et repassaient continuellement, quelqu'un, voyageant en
si grand équipage, faire à tous un accueil aussi hospitalier,
et témoigner à chacun une aussi grande bonté." Comme
il approchait du port de Sàmsùn, Baha'u'llah,
apercevant la mer Noire du haut de sa litière, révéla,
à la demande de Mirza Àqà Jàn, une tablette
désignée sous le nom de Lawh-i-Hawdaj (Tablette de la Litière)
qui, par des allusions telles que: "la pierre de touche divine", "le mal cruel
et torturant", réaffirmait et complétait les lugubres prédictions
mentionnées dans la Tablette du Saint-Marin, récemment révélée. A Sàmsùn, l'inspecteur principal de toute la province comprise
entre Baghdad et Constantinople ainsi que plusieurs pachas lui rendirent
visite, lui témoignant le plus grand respect, et Baha'u'llah
les reçut à déjeuner. Mais sept jours après son
arrivée il fut, ainsi que le prévoyait la Tablette du Saint-Marin,
emmené à bord d'un bateau à vapeur turc et, trois jours
plus tard, à midi, débarqué avec ses compagnons d'exil
dans le port de Constantinople, le premier rabi'u'l-avval i28o A.H. (16 août
1863)- On le conduisit ainsi que sa famille, dans deux voitures spéciales
qui l'attendaient sur le débarcadère, jusqu'à la demeure
de Shamsi Big, le fonctionnaire chargé par le gouvernement de recevoir
ses hôtes, qui habitait près de la mosquée de Khirqiy-i-Sharif.
Plus tard, on les transféra dans la maison plus spacieuse du pacha
Visi, non loin de la mosquée de Sultan Muhammad. [...] Page 149 On peut dire qu'avec l'arrivée de Baha'u'llah à
Constantinople, capitale de l'Empire ottoman et siège du califat (saluée
par les musulmans comme "le Dôme de l'islam", mais dénoncée
par Baha'u'llah comme le lieu où était établi
le "trône de la tyrannies"), le chapitre le plus sinistre et le plus
désastreux, mais aussi le plus glorieux de l'histoire du premier siècle
baha'i, venait de s'ouvrir. Une période pendant laquelle des
privations inouïes et des épreuves - sans précédent
furent mêlées aux plus nobles triomphes spirituels débutait
maintenant. L'étoile du matin du ministère de Baha'u'llah
était sur le point d'atteindre son zénith. Les années
les plus importantes de l'âge héroïque de sa dispensation
approchaient. Le processus catastrophique, annoncé déjà
depuis l'année soixante par son précurseur dans le Qayyùmu'l-Asmà',
commençait à entrer en action. Il y avait exactement deux décennies que la révélation
Babi avait vu le jour à Shiraz, dans la Perse la plus
arriérée. En dépit de la cruelle captivité à
laquelle avait été soumis son auteur, il avait réussi
à proclamer ses stupéfiantes revendications devant une assemblée
distinguée, à Tabriz, capitale de l'Adhirbàyjàn.
Dans le hameau de Badasht, la dispensation annoncée par sa foi avait
été mise au jour avec intrépidité par les champions
de sa cause. Dans le désespoir et l'agonie du Siyah-Chàl,
à Tihran, neuf ans plus tard, cette révélation
avait été rapidement et mystérieusement amenée
à fructifier tout à coup. Le processus d'une désagrégation
rapide de la prospérité de cette foi, qui s'était dessiné
petit à petit et accéléré d'une manière
alarmante pendant les années de retraite de Baha'u'llah
dans le Kurdistàn, avait été arrêté et inversé
de façon magistrale, après son retour de Sulaymàniyyih.
Les fondations éthiques, morales et doctrinales d'une communauté
naissante avaient été fermement établies par la suite,
au cours de son séjour à Baghdad. Et finalement, dans
le jardin du Ridvan, à la veille de son exil à Constantinople,
le délai de dix années, prescrit par une Providence impénétrable,
avait pris fin avec la déclaration de sa mission et l'émergence
évidente de ce qui devait devenir le noyau d'une fraternité
pour toute la terre. Ce qui restait maintenant à accomplir, c'était
à proclamer, dans la ville d'Andrinople, cette même mission,
devant les chefs ecclésiastiques et séculiers du monde, puis
ensuite à développer davantage, au cours des décades
suivantes, dans la prison fortifiée d'Akka, les principes et
préceptes constituant les bases de cette foi, à formuler les
lois et ordonnances en vue d'assurer son intégrité, à
établir, aussitôt après l'ascension de Baha'u'llah,
le covenant destiné à préserver son unité et à
perpétuer son influence, à élargir énormément,
et à l'échelle mondiale, le champ de ses activités, sous
la direction d'Abdu'l-Baha, Centre de ce covenant, et enfin à
édifier, dans l'âge de formation de cette foi, son ordre administratif,
avant-coureur de son âge d'or et de sa gloire future. [...] Page 150 Cette proclamation historique fut faite dans une période où
la foi se trouvait dans les affres d'une crise extrêmement violente,
et elle fut adressée avant tout aux rois de la terre et aux chefs ecclésiastiques
chrétiens et musulmans qui, en vertu de leur immense prestige, de leur
influence et de leur autorité, assumaient une responsabilité
écrasante et inéluctable dans les destinées immédiates
de leurs sujets et de leurs adeptes. On peut dire que la phase initiale de cette proclamation a commencé
à Constantinople, avec la communication (dont nous ne possédons
malheureusement pas le texte) que Baha'u'llah adressa au sultan
'Abdu'l-Aziz en personne, le soi-disant vicaire* du prophète de l'islam,
monarque absolu d'un puissant empire. Ce personnage, aussi puissant que majestueux,
fut le premier des souverains du monde à recevoir les divines injonctions,
et le premier, en Orient, à soutenir le choc de la justice distributive
de Dieu. Cette communication fut envoyée à l'occasion de l'édit
infâme promulgué par le sultan, moins de quatre mois après
l'arrivée des exilés dans sa capitale, édit qui les bannissait
soudainement, et sans la moindre justification, au coeur de l'hiver et dans
les circonstances les plus humiliantes, à Andrinople. ville située
aux frontières de son empire.. Cette fatale et honteuse décision que prirent le sultan et
ses principaux ministres, les pachas 'Ali et Fu'àd, peut être
attribuée en grande partie aux intrigues continuelles du mushiru'd-dawlih*,
Mirza Husayn Khàn, ambassadeur persan près la Sublime-Porte
- que Baha'u'llah dénonça comme son "calomniateur"
- qui attendait la première occasion de lui porter atteinte ainsi qu'à
la cause dont Baha'u'llah était maintenant le chef avoué
et reconnu. Cet ambassadeur était constamment poussé par son
gouvernement à continuer d'agir en vue de soulever l'hostilité
des autorités turques contre Baha'u'llah. Il y fut encouragé
par le refus de celui-ci de se conformer à la coutume invariable des
invités du gouvernement, si haut placés fussent-ils, qui consistait
à rendre visite, dès leur arrivée dans la capitale, au
shaykhu'l-islam au sadr-i-a'zarn et au ministre des Affaires étrangères;
Baha'u'llah ne rendit même pas les visites que lui firent
le pacha Kamàl, quelques ministres et un ancien envoyé turc
à la cour de Perse. Ce même ambassadeur ne s'arrêta pas
à l'attitude intègre et indépendante de Baha'u'llah,
qui contrastait de façon si marquée avec la vénalité
des princes persans ayant coutume, dès leur arrivée, de " solliciter
à toutes les portes autant de dons et d'indemnités qu'ils en
pouvaient obtenir". Il éprouva du ressentiment devant la répugnance
de Baha'u'llah à se présenter à l'ambassade
de Perse et à rendre la visite de son représentant. Secondé
dans ses efforts par son complice Hàji Mirza Hasan-i-Safà,
qu'il chargea de faire circuler des rumeurs sans fondement sur Baha'u'llah,
il réussit, tant par son influence officielle que par ses relations
privées avec les ecclésiastiques, les notables et les fonctionnaires
du gouvernement, à faire passer Baha'u'llah pour un personnage
fier et arrogant, qui se considérait comme non assujetti aux lois,
qui entretenait des desseins hostiles à l'endroit de toute autorité
établie, et dont la présomption était la cause des graves
différends surgis entre lui et le gouvernement persan. Et il ne fut
pas le seul à se livrer à d'infâmes intrigues. Selon 'Abdu'l-Baha,
d'autres "condamnèrent et dénigrèrent" les exilés
comme des - semeurs de troubles pour le monde entier", des "destructeurs des
traités et des covenants ", "funestes pour tous les pays ", et " méritant
tous les châtiments et toutes les punitions". [...] Page 151 Un personnage aussi important que le très respecté beau-frère
du sadr-i-a'zam fut chargé de faire connaître à l'exilé
l'édit prononcé contre lui, édit prouvant une coalition
de fait des gouvernements impériaux de Turquie et de Perse contre un
adversaire commun, et qui entraîna, à la fin, des conséquences
si tragiques pour le sultanat, le califat et la dynastie kàjàr.
Baha'u'llah lui ayant refusé audience, cet émissaire
dut se contenter de présenter ses observations puériles et ses
arguments insignifiants à 'Abdu'l-Baha et à Aqày-i-Kalim,
chargés de le recevoir; il leur déclara qu'il reviendrait dans
trois jours pour prendre la réponse à l'ordre qu'il venait de
transmettre. Ce même jour, Baha'u'llah révéla une tablette
au ton sévèrement comminatoire et, le matin suivant, la confia,
sous enveloppe cachetée à Shamsi Big, en lui enjoignant de la
remettre au pacha 'Ali et de lui dire qu'elle venait de Dieu. "J'ignore ce
que contenait cette lettre", raconta plus tard Shamsi Big à Aqày-i-Kalim,
"mais à peine le grand vizir en eut-il pris connaissance qu'il devint
pâle comme un mort et remarqua: "C'est comme si le Roi des rois donnait
ses ordres à son roi vassal le plus humble et lui dictait sa conduite."
Il était dans un tel état de malaise que je sortis à
reculons." On rapporte que, commentant l'effet produit par cette tablette,
Baha'u'llah déclara: "Quelles que soient les mesures
prises contre nous par les ministres du sultan lorsqu'ils eurent pris
connaissance de son contenu, elles ne peuvent être considérées
comme injustifiables. Mais les actes qu'ils ont commis avant de l'examiner
ne peuvent trouver de justification." D'après Nabil, cette tablette était d'une longueur considérable.
Elle débutait par des paroles adressées au souverain lui-même,
elle censurait sévèrement ses ministres et mettait en évidence
leur défaut de maturité et leur incompétence. Elle contenait
des passages adressés aux ministres eux-mêmes, dans lesquels
ceux-ci étaient nettement défiés et sévèrement
exhortés à ne point tirer vanité de leurs possessions
de ce monde, ni à rechercher étourdiment des richesses dont
le temps les dépouillerait inexorablement. [...] Page 152 Baha'u'llah était à la veille de son départ
qui suivit presque immédiatement la promulgation de l'édit le
bannissant lorsque, dans une dernière et mémorable entrevue
avec Hàji Mirza Hasan-i-Safà ci-dessus mentionné,
il envoya le message suivant à l'ambassadeur persan: "Quel profit as-tu
retiré, toi et tes pareils, en mettant à mort, pendant des années,
tant d'opprimés, et en leur infligeant tant de tourments, alors qu'ils
devenaient cent fois plus nombreux et que vous étiez en pleine confusion,
ne sachant plus comment libérer vos esprits de cette pensée
obsédante ... Sa cause transcende tous les plans que vous combinez,
quels qu'ils soient. Sachez bien ceci: Si tous les gouvernements de la terre
s'unissaient et prenaient ma vie ainsi que celle de tous ceux qui portent
ce nom, ce feu divin ne serait jamais éteint. Sa cause va au contraire
enserrer tous les rois de la terre, et même tout ce qui est créé
d'eau et d'argile ... Quel que soit ce qui peut encore nous atteindre, grand
sera notre profit, et manifeste la perte qui les affligera." Comme suite aux ordres impératifs donnés en vue du départ
immédiat des exilés déjà deux fois bannis, Baha'u'llah,
sa famille et ses compagnons, les uns voyageant dans des chariots, d'autres
montés sur des animaux de bât - leurs effets empilés sur
des charrettes traînées par des boeufs -, se mirent en route,
accompagnés par des officiers turcs. C'était par une froide
matinée de décembre, au milieu des pleurs des amis qu'ils laissaient
derrière eux, et pour un voyage de douze jours, à travers une
contrée glaciale et balayée par le vent, vers une ville caractérisée
par Baha'u'llah comme "l'endroit où nul ne pénètre,
hormis ceux qui se sont révoltés contre l'autorité du
souverain". "Ils nous ont expulsé de cette ville" (Constantinople),
atteste-t-il lui-même dans la Sùry-i-Mùlùk, "dans
un état d'humiliation à nul autre pareil sur cette terre." "
Ni ma famille ni mes compagnons ", déclare-t-il en outre, " n'avaient
les vêtements nécessaires pour se protéger du froid par
ce temps glacial. " Et encore: " Nos ennemis ont pleuré sur nous et,
bien plus encore, toute personne douée de discernement." " Un exil
", se lamente Nabil, " enduré avec une telle douceur que la plume verse
des larmes en le racontant, et que la page a honte d'en contenir le récit."
"Un froid d'une telle intensité ", relate ce même chroniqueur,
"régna cette année-là, que les nonagénaires ne
pouvaient s'en remémorer un pareil. Dans certaines régions de
Turquie et de Perse, les animaux succombèrent à sa rigueur et
périrent dans la neige. Le cours supérieur de l'Euphrate, à
Ma'dan-Nuqrih*, fut couvert de glace pendant plusieurs jours - phénomène
sans précédent - tandis qu'à Diyar-Bakr, la rivière
resta gelée durant au moins quarante jours." " Pour prendre de l'eau
aux sources ", raconte l'un des exilés d'Andrinople, " il fallut allumer
un grand feu dans leur voisinage immédiat, et l'entretenir pendant
deux heures avant qu'elles ne dégèlent." [...] Page 153 Voyageant à travers pluies et tempêtes, parfois même faisant
des marches de nuit, les voyageurs, harassés, arrivèrent à
destination le il, rajab 1280 A.H. (12 décembre 1863), après
de brèves haltes à Kùchik-Chakmachih, Bùyùk-Chakmachih,
Salvari, Birkàs et Babà-Iski.* On les logea dans le Khàn-i-'Arab,
caravansérail à deux étages, près de la maison
d'Izzat-Àqà. Trois jours plus tard, Baha'u'llah
et sa famille furent relégués dans une maison pouvant convenir
seulement pour l'été, dans le quartier de Muràdiyyih,
près du takyiy-i-Mawlavi*, puis déplacés de nouveau,
au bout d'une semaine, vers une autre maison située au voisinage d'une
mosquée, dans le même quartier. Environ six mois plus tard, on
les transféra dans une habitation plus spacieuse, connue sous le nom
de maison d'Amru'llah (demeure du commandement de Dieu), située
au nord de la mosquée de Sultan-Salim. Ainsi se termine la scène d'ouverture de l'un des épisodes
les plus dramatiques du ministère de Baha'u'llah. Le
rideau se lève maintenant sur la période reconnue comme la plus
troublée et la plus critique du premier siècle baha'i,
période qui était destinée à précéder
la phase la plus glorieuse de ce ministère, celle où il proclama
son message au monde et à ses dirigeants.
CHAPITRE IX: Déclaration de la mission de Baha'u'llah -
Constantinople