La chronique
de Nabil
Nabil-i-A'zam
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Introduction
1) Introduction
2) L'état de décadence de la perse au milieu du dix-neuvième siècle
2.A) Les souverains Qajar
2.B) Le gouvernement
2.C) Le peuple
2.D) L'ordre ecclésiastique
2.E) Conclusion
3) Hommage de baha'u'llah au bab et à ses principaux disciples
4) Traits distinctifs de l'islam shi'ah
5) Généalogie du prophète Muhammad
6) Théorie et administration de la loi en Perse au milieu du dix-neuvième
siècle
Glossaire
1) Introduction
Le mouvement baha'i est maintenant bien connu à travers le monde et le temps
est venu où le merveilleux récit, par Nabil, de ses débuts au fond de la Perse
intéressera un grand nombre de lecteurs. Ce récit, écrit avec tant de soin et
d'ardeur, est à bien des égards extraordinaire.
On y trouve des passages étonnants, et la splendeur du thème central donne à
cette chronique non seulement une grand valeur historique, mais encore une grande
puissance morale. La lumière en est forte et l'effet d'autant plus intense que
l'on dirait une apparition du soleil à minuit. Ce récit est celui des luttes
et des martyres.
Les scènes poignantes, les incidents tragiques y sont nombreux. La corruption,
le fanatisme et la cruauté se liguent contre la cause de la réforme pour la
détruire, et le présent volume se termine lorsque le déchaînement de la haine
a, semble-t-il, atteint son but et envoyé en exil ou mis à mort tout homme,
femme et enfant de Perse qui osaient afficher une sympathie pour les enseignements
du Bab.
Nabil, ayant lui-même participé à certaines des scènes qu'il raconte, a pris
sa plume solitaire pour écrire la vérité au sujet d'hommes et de femmes persécutés
sans pitié, et d'un mouvement aussi odieusement attaqué.
Il écrit avec facilité et, lorsqu'il s'émeut, son style devient vigoureux et
vif. Il n'érige pas en système les buts et les enseignements de Baha'u'llah,
ni de son prédécesseur. Son objectif est, simplement, de retracer les débuts
de la révélation baha'ie et de préserver le souvenir des faits et gestes de
ses premiers défenseurs. Il relate une série d'incidents, citant soigneusement
ses sources sur presque chaque point. En conséquence, son travail, s'il est
moins artistique et philosophique, est de plus grande valeur en tant que récit
littéral de ce qu'il savait ou de ce qu'il pouvait découvrir, grâce à des témoins
crédibles, quant à l'histoire des débuts de la cause.
Les points saillants du récit (le personnage saint et héroïque du Bab, chef
si doux et si serein, et pourtant ardent, résolu et dominateur; la dévotion
de ses disciples, qui faisaient face à l'oppression avec un courage inentamé
et souvent avec extase; la rage de prêtres jaloux qui enflammaient, à leurs
propres fins, les passions d'une populace avide de sang), sont exprimés dans
un langage que tous peuvent comprendre. Mais il n'est pas facile de suivre la
narration dans tous ses détails, ni d'apprécier la merveilleuse tâche entreprise
par Baha'u'llah, et son prédécesseur, sans une certaine connaissance de la situation
de l'Eglise et de l'Etat en Perse, des habitudes et de l'attitude mentale des
gens et de leurs maîtres. Nabil part de l'hypothèse que tout cela est connu.
Il avait lui-même, peu ou prou voyagé au-delà des frontières des empires du
sh4h et du sultan, et il ne lui vint pas à l'esprit d'établir des comparaisons
entre sa propre civilisation et les civilisations étrangères. Il ne s'adressait
pas aux lecteurs occidentaux. Il était conscient du fait que les matériaux qu'il
avait réunis étaient d'une importance dépassant la nation ou l'islam et que,
rapidement, ils rayonneraient à la fois vers l'est et vers l'ouest jusqu'à encercler
le globe, mais c'était un Oriental écrivant dans une langue orientale pour ceux
qui connaissaient cette langue, et le travail unique en son genre qu'il accomplissait
avec tant de dévouement était en soi une grande et laborieuse tâche.
Cependant, il existe en anglais des textes sur la Perse au dix-neuvième siècle;
ces ouvrages donneront au lecteur occidental des informations détaillées sur
ce sujet. Grâce aux écrits persans qui ont déjà été traduits, ou grâce aux livres
de voyageurs européens tels que Lord Curzon, Sir J. Malcolm et de nombreux autres
auteurs, le lecteur se fera une image réaliste et nette - bien que peu attrayante
- de la situation sordide de cette société, lorsque le Bab introduisit le mouvement
au milieu du dix-neuvième siècle.
Tous les observateurs sont d'accord pour représenter la Perse comme une nation
faible et arriérée, se déchirant en raison de pratiques corrompues et d'une
bigoterie féroce. L'inefficacité et le malheur, fruits de la dégradation morale,
imprégnaient le pays. Du plus élevé jusqu'au plus modeste subalterne n'apparaît
chez aucun la capacité de concrétiser les méthodes de réforme, ni même le désir
sérieux de les mettre en oeuvre. L'orgueil national prêchait une autosatisfaction
grandiose. Un linceul d'immobilisme couvrait tout et une paralysie générale
des esprits rendait impossible toute évolution.
Pour un étudiant en histoire, la dégénérescence d'une nation autrefois puissante
et tellement illustre semble extrêmement regrettable. 'Abdu'l-Baha, qui aimait
vraiment son pays en dépit de la cruauté accumulée envers Baha'u'llah, envers
le Bab et envers lui-même, a appelé cette dégénérescence "la tragédie d'un peuple";
et, dans un ouvrage intitulé "les Forces mystérieuses de la civilisation" -
dans lequel il s'efforçait d'éveiller le coeur de ses compatriotes afin qu'ils
entreprennent des réformes radicales, - 'Abdu'l-Baha se lamente de façon poignante
sur le destin actuel d'un peuple qui, autrefois, avait poursuivi ses conquêtes
à l'est comme à l'ouest, et s'était trouvé à la tête de la civilisation de l'humanité.
Il écrit que, "dans les temps antérieurs, la Perse était vraiment le coeur du
monde et qu'elle étincelait parmi les nations comme un cierge allumé. Sa gloire
et sa prospérité pointaient à l'horizon de l'humanité, telle la véritable aurore,
diffusant la lumière du savoir et illuminant les nations de l'Orient et de l'Occident.
La célébrité de ses rois victorieux parvenait aux oreilles des habitants de
la planète à ses deux extrémités. La majesté de son roi des rois rendait humbles
les monarques de la Grèce et de Rome. La sagesse de son gouvernement la faisait
respecter par les sages; et les chefs des continents façonnaient leurs lois
sur sa politique. Les Persans se distinguant parmi les nations de la terre en
tant que peuple de conquérants et, à juste titre, en tant qu'objets d'admiration
de par leur civilisation et leur savoir, leur pays devint le centre glorieux
de toutes les sciences et de tous les arts, la mine de la culture et une source
de vertus.
Comment est-il possible que, en raison de notre paresse, de notre vanité et
de notre indifférence, du fait du manque de connaissances et de l'absence d'organisation,
de la déficience du zèle et de l'ambition de son peuple, ce pays excellent ait
permis que les rayons de sa prospérité fussent obscurcis et presque éteints?"
D'autres auteurs décrivent complètement, eux aussi, la situation malheureuse
que rapporte 'Abdu'l-Baha.
À l'époque où le Bab fit connaître sa mission, le gouvernement du pays était,
selon les termes de Lord Curzon, un "Etat-Eglise". Aussi vénal, cruel et immoral
qu'il fût, il était ouvertement religieux. L'orthodoxie musulmane en était la
base et imprégnait jusqu'au coeur à la fois le gouvernement et la vie sociale
du peuple. Mais il n'y avait par ailleurs aucune loi, aucun statut ni charte
pour orienter les affaires publiques. Il n'y avait pas de Chambre haute ni de
Conseil privé, pas de synode, pas de Parlement. Le shah était un despote, et
sa règle arbitraire se traduisait tout au long de l'échelle officielle, du ministre
au gouverneur en passant par l'employé le moins important ou par le chef le
plus lointain.
Il n'existait aucun tribunal civil pour contrôler ou modifier la puissance du
monarque ou les pouvoirs qu'il jugeait bon d'accorder à ses subordonnés. Sa
parole avait force de loi. Il pouvait faire ce qu'il voulait. C'était à lui
de nommer ou de démettre tous les ministres, tous les fonctionnaires et tous
les juges. Il avait pouvoir de vie ou de mort, sans appel, sur tous les membres
de sa famille et de la cour, civils ou militaires. Le droit d'ôter la vie lui
était conféré, à lui seul, de même que toutes les tâches gouvernementales, législatives,
exécutives et judiciaires. Ses prérogatives royales n'étaient soumises à aucune
loi écrite.
Des descendants des shahs se voyaient confier les postes les plus lucratifs
à travers le pays et, au fil des générations, on leur confiait également d'innombrables
fonctions mineures, jusque dans les coins les plus reculés du royaume, si bien
que le pays souffrait de la charge que représentait cette race de bons à rien
royaux qui ne devaient leur poste qu'à leur sang royal, et qui ont suscité le
proverbe persan selon lequel "les chameaux, les puces et les princes existent
partout."
Même lorsqu'un shah souhaitait prendre une décision juste et sage au sujet d'un
cas qui lui était soumis pour jugement, il lui était difficile de le faire car
il ne pouvait avoir confiance en les informations qui lui étaient données. On
refusait de l'informer des faits cruciaux, ou bien ceux-ci étaient déformés
sous l'influence de témoins intéressés ou de ministres véreux. Le système de
corruption avait atteint si profondément la Perse qu'il en était devenu une
institution, que Lord Curzon décrit dans les termes suivants:
"J'en viens maintenant à ce qui est le trait cardinal et caractéristique de
l'administration iranienne. On peut dire que le gouvernement et la vie elle-même,
dans ce pays, consistent en grande partie en un échange de cadeaux. On peut
supposer que, dans ses aspects sociaux, cette pratique reflète les sentiments
généreux d'un peuple amical, mais il y a en cela un côté absolument non émotif
quand, par exemple, vous vous félicitez d'avoir reçu un cadeau, et vous vous
apercevez que non seulement vous devez faire au donateur un cadeau de coût équivalent,
mais que vous devez aussi rémunérer libéralement le porteur du cadeau (pour
qui votre don est très probablement l'unique moyen de subsistance) selon la
valeur pécuniaire du présent.
Dans ses aspects politiques, la pratique de faire des cadeaux, bien que consacrée
par les traditions tenaces de l'Orient, est synonyme d'un système décrit ailleurs
en des termes moins agréables. C'est le système qui a prévalu pour le gouvernement
de la Perse depuis des siècles, et dont le maintien constitue un obstacle absolu
à toute réforme réelle. Du shah aux subalternes jusqu'en bas de l'échelle, il
n'y a guère de fonctionnaire à l'abri des cadeaux, guère de poste qui ne soit
confié en échange de cadeaux, guère de revenu qui n'ait été amassé par accumulation
de cadeaux. Chaque personne, presque sans exception, de la hiérarchie officielle
mentionnée ci-avant n'a dû son poste qu'à un cadeau en argent soit au shah,
soit à un ministre, soit au gouverneur supérieur en grade grâce auquel il a
été nommé. S'il y a plusieurs candidats pour un poste, en toute probabilité
celui qui fait l'offre la plus alléchante l'emportera.
"... Le madakhil dont l'exaction sous mille formes différentes n'est égalée
que par la multiplicité de son ingéniosité, est en Perse une institution nationale
bien-aimée, l'intérêt primordial et la joie de l'existence des Persans. Ce terme
remarquable, pour lequel M. Watson écrit qu'il n'y a pas d'équivalent précis
en anglais, peut se traduire diversement par commission, pourboire, amabilité,
rémunération, pourboire douteux et vol, bénéfice, selon le contexte. Généralement,
cela signifie la marge d'avantages personnels, souvent sous forme d'argent qui
peut être retirée de n'importe quelle transaction.
Une négociation dans laquelle sont concernées deux parties: le donateur et le
bénéficiaire, le supérieur et le subordonné, ou même deux fonctionnaires de
rang égal, ne peut avoir lieu en Perse sans que la partie présentée comme l'auteur
de la faveur accordée ou du service rendu ne demande et ne reçoive un bénéfice
précis en espèces pour ce qu'il a fait ou donné. L'on peut dire évidemment que
la nature humaine est à peu près la même partout dans le monde, qu'un système
analogue existe, sous une appellation différente, dans notre pays, et que les
critiques philosophes retrouvent chez les Persans des hommes et des frères.
Dans une certaine mesure, cela est vrai.
Mais dans aucun pays du monde que j'aie jamais vu ou dont j'aurais entendu parler,
le système n'est si ouvertement cynique, ni si généralisé qu'en Perse. Loin
de se limiter au domaine de l'économie interne ou aux transactions commerciales,
il pénètre toutes les actions et inspire la plupart des actes de la vie.
Du fait de ce système, on peut dire que la générosité ou la prestation de services
gratuits ont été effacées, en Perse, de la catégorie sociale, et la cupidité
à été élevée en un principe dictant la conduite des hommes... . Grâce à cela,
du souverain aux sujets, on institue une progression arithmétique des butins:
chaque personne de cette gamme descendante se rémunérant auprès de la personne
immédiatement inférieure à elle dans la hiérarchie, et le malheureux paysan
étant la dernière victime. Il n'est pas surprenant, dans ces conditions, que
les postes officiels soient la route générale vers la richesse et qu'il y ait
des cas fréquents d'hommes qui, partis de rien, se trouvent résider dans une
magnifique demeure, entourés d'une foule de personnes attachées à leur service,
et vivant dans un style princier. "Profitez au mieux tant que vous le pouvez"
est la règle qu'adoptent la plupart des gens lorsqu'ils prennent leurs fonctions
dans la vie publique. Et l'esprit populaire ne s'oppose pas à un tel comportement;
l'estime envers quelqu'un qui, en ayant la possibilité, n'a pas rempli ses poches,
est à son sens l'inverse d'un compliment.
Personne ne pense à ceux qui souffrent, aux dépens de qui, en fin de compte,
on a retiré les éléments de ces "madakhils" successifs alors que la sueur de
leurs fronts a nourri la richesse gaspillée en maisons de campagne luxueuses,
en curiosités européennes et en énormes suites de serviteurs."
Lire ce qui précède revient à percevoir d'une certaine manière la difficulté
de la mission du Bab; lire ce qui suit amène à comprendre les dangers auxquels
il eut à faire face et à se préparer au récit de violences et d'actes d'une
affreuse cruauté.
Avant de quitter le sujet des lois persanes et de leur application, permettez-moi
d'ajouter quelques mots à propos des peines et des prisons. Rien n'est plus
choquant pour le lecteur européen qui, cheminant à travers les pages, illustrées
de crimes et éclaboussées de sang, de l'histoire perse au cours du dernier siècle
et - heureusement à un moindre degré, en ce siècle-ci, - que le récit de punitions
barbares et de tortures abominables, témoignant alternativement de l'âpreté
de brutes et de l'ingéniosité de démons.
Le caractère persan a toujours été astucieux et insensible à la douleur; et
il a trouvé dans le domaine des exécutions judiciaires une large place pour
l'exercice de ces deux imperfections. Jusqu'à une période toute récente, qui
déborde largement sur le règne actuel, les prisonniers condamnés ont été crucifiés,
tués à coups de fusil, enterrés vifs, empalés, ont eu les pieds ferrés comme
les sabots des chevaux (supplice des brodequins), ont été écartelés après avoir
été attachés à la cime de deux arbres ployés remis ensuite dans leur position
naturelle, transformés en torches humaines, écorchés vifs.
Dans un système de gouvernement à deux faces, tel que celui dont je viens de
faire la description, - à savoir une administration dont chaque acteur est à
la fois celui qui donne et celui qui reçoit un pourboire, et une procédure judiciaire
sans lois et sans Cour de justice, - on comprend facilement qu'il n'existe guère
de confiance dans le gouvernement et qu'il n'y ait pas de sentiment personnel
du devoir ni d'orgueil de l'honneur, pas de confiance mutuelle ni de coopération
(sauf au service du mal), pas d'infamie à être découvert après un forfait, pas
de crédit pour la vertu et, par-dessus tout, pas d'esprit national ni de patriotisme.
Dès le début, le Bab a dû imaginer l'accueil que feraient ses compatriotes à
son enseignement et le sort qui l'attendait aux mains des mullas. Mais il ne
permit pas à des craintes personnelles de l'empêcher d'énoncer franchement ses
vues ni de présenter ouvertement sa cause. Les innovations qu'il proclame, bien
que strictement religieuses, étaient draconiennes; l'annonce de sa propre identité,
étonnante et remarquable. Il se fit connaître en tant que Qa'im, le Prophète
supérieur ou Messie promis depuis si longtemps et si passionnément attendu par
le monde musulman. Il ajouta à cette déclaration qu'il était également la Porte
(c'est-à-dire le Bab) à travers laquelle une Manifestation plus importante que
lui devait pénétrer dans le royaume des hommes.
S'alignant ainsi sur les traditions de l'isl4m et apparaissant comme l'accomplissement
d'une prophétie, il entra en conflit avec ceux qui avaient des idées fixes et
bien ancrées (différentes des siennes) sur ce que voulaient dire ces prophéties
et ces traditions. Les deux grandes sectes persanes de l'islam, le shiisme et
le sunnisme, attachaient toutes deux une importance vitale au dépôt ancien de
leur foi, mais n'étaient pas d'accord sur le contenu de celle-ci, ni sur sa
signification. Les shi'ahs, dont les doctrines furent à l'origine du mouvement
babi, croyaient qu'après l'ascension du grand prophète Muhammad, lui succéda
une lignée de douze Imams.
Chacun de ceux-ci, pensaient-ils, était spécialement doté par Dieu de dons et
de pouvoirs spirituels, et avait droit à l'obéissance sans faille des fidèles.
Chacun d'entre eux devait sa nomination non pas au choix populaire, mais à son
prédécesseur dans cette fonction. Le douzième et dernier de ces guides inspirés
fut Muhammad, appelé par les shi'ahs "Imam-Mihdi; Hujjatu'llah (la Preuve de
Dieu), Baqiyyatu'llah (le Vestige de Dieu) et Qa'im-i-Al-i-Muhammad (celui qui
sera issu de la famille de Muhammad)".
Il prit ses fonctions d'Imam en l'an 260 après l'hégire, mais disparut immédiatement
de la vue des fidèles, et ne communiqua avec ses adeptes que grâce à un intermédiaire
choisi et connu sous le nom de Porte.
Quatre de ces Portes se succédèrent, chacune nommée par son prédécesseur avec
l'approbation de l'Imam; mais lorsqu'au quatrième, Abu'l-Hasan-'Ali, il fut
demandé par les fidèles, avant sa mort, de dire le nom de son successeur, il
refusa, déclarant que Dieu avait un autre projet. A sa mort, toute communication
entre l'Imam et ses fidèles fut donc interrompue. Et bien qu'entouré d'un groupe
d'adeptes, il vit encore et attend en quelque retraite mystérieuse, il ne reprendra
des relations avec son peuple que lorsqu'il viendra au pouvoir pour établir
à travers le monde une ère messianique.
Les sunnis, par contre, ont une vue moins exaltée de la fonction de ceux qui
ont succédé au grand Prophète. Ils considèrent la vice-royauté comme une question
plus matérielle que spirituelle. À leurs yeux, le khalif est le défenseur de
la foi, et il tient sa nomination du choix et de l'approbation du peuple.
Aussi importantes que soient ces différences, les deux sectes sont cependant
d'accord pour attendre une Manifestation double. Les shi'ahs cherchent le Qa'im
qui arrivera quand le temps sera venu, et également le retour de l'Imam Husayn.
Les sunnis attendent l'apparition du Mihdi et également "le retour de Jésus-Christ".
Lorsqu'au début de sa mission, le Bab, reprenant la tradition des shi'ahs, proclama
sa fonction sous le double titre d'abord du Qa'im et ensuite de la Porte - ou
du Bab, - certains mahométans comprirent mal cette deuxième référence. Ils imaginèrent
qu'il déclarait être une cinquième Porte, successeur d'Abu'l-Hasan-'Ali.
Ce qu'il avait dit, en réalité, comme il l'annonça clairement lui-même, était
très différent. Il était le Qa'im; mais le Qa'im, quoique grand prophète, était
là en attendant une Manifestation postérieure et plus grande, comme St-Jean-Baptiste
par rapport au Christ. Il était l'avant-coureur de quelqu'un encore plus puissant
que lui. Lui devait diminuer; le puissant devait augmenter. Et de même que Saint-Jean-Baptiste
fut le héraut ou la Porte du Christ, de même le Bab fut le héraut ou la Porte
de Baha'u'llah.
Il y a de nombreuses traditions authentiques qui prouvent que le Qa'im, lors
de son apparition, apporterait avec lui des lois nouvelles et, ainsi, abrogerait
l'islam. Mais ce n'est pas ainsi que l'entendaient les membres de la hiérarchie
officielle. Ils s'attendaient avec confiance à ce que l'avènement promis ne
remplace pas l'ancienne révélation par une révélation nouvelle et plus riche,
mais qu'il approuve et fortifie le système dont ils étaient les fonctionnaires.
Ils pensaient que cet avènement rehausserait énormément leur prestige personnel,
étendrait leur autorité au loin à travers les nations et leur gagnerait l'hommage
réticent mais abject de toute l'humanité.
Lorsque le Bab révéla son Bayan, proclama un nouveau code de loi religieuse
et institua, par le précepte et par l'exemple, une réforme morale et spirituelle
profonde, les prêtres pressentirent immédiatement un danger mortel. Ils voyaient
leur monopole mis en cause, leurs ambitions menacées, leur propre vie et leur
propre conduite prises à partie. Ils se soulevèrent contre lui en une sainte
indignation. Ils déclarèrent devant le shah et devant tout le peuple que cet
orgueilleux était un ennemi de la bonne éducation, un séditieux de l'islam,
un traître à Muhammad et un péril non seulement pour la sainte Eglise, mais
pour l'ordre social et pour l'Etat lui-même.
La cause du rejet et de la persécution du Bab fut, dans son essence, la même
que celle du rejet et de la persécution du Christ. Si Jésus n'avait pas amené
un Nouveau Livre, s'il n'avait fait que réitérer les principes spirituels enseignés
par Moïse tout en gardant les règles de Moïse, il aurait pu, en tant que simple
réformateur moral, échapper à la vengeance des scribes et des pharisiens. Mais
proclamer qu'une partie de la loi mosaïque, et même les ordonnances matérielles
ayant trait au divorce et au respect du sabbat, pouvaient être modifiées - et
modifiées par un prédicateur non ordonné du village de Nazareth - cela, c'était
menacer les intérêts des scribes et des pharisiens eux-mêmes et, du fait qu'ils
étaient les représentants de Moïse et de Dieu, c'était un blasphème contre le
Tout-Puissant. Dès que la position de Jésus fut comprise, sa persécution commença.
Comme il refusait de céder, il fut mis à mort.
Pour des raisons exactement parallèles, le Bab fut à l'origine attaqué par l'Église
dominante qui cherchait à extirper la foi afin de conserver ses avantages acquis.
Et pourtant, même dans ce pays sombre et fanatique, les mullas (comme les scribes
en Palestine dix-huit siècles plus tôt) ne trouvèrent pas très facilement un
prétexte plausible à avancer, pour exécuter celui qu'ils pensaient être leur
ennemi.
Le seul récit connu de la visite d'un Européen au Bab appartient à la période
de sa persécution, lorsqu'un médecin anglais résidant à Tabriz, le docteur Cormick,
fut convoqué par les autorités persanes pour se prononcer sur l'état mental
du Bib. La lettre du docteur, adressée à un confrère de la mission américaine
en Perse, a été publiée par le professeur E.G. Browne dans "Materials for the
Study of the Babi Religion" (Matériaux pour l'étude de la religion Babie). "Vous
me demandez," écrit le docteur, "quelques détails sur mon entrevue avec le fondateur
de la secte dite du Bab. Rien d'important ne transpira de cette entrevue; car
le Bab savait que j'avais été envoyé avec deux docteurs persans pour voir s'il
était sain d'esprit ou simplement fou, pour décider de la question de savoir
s'il devait être mis à mort ou non.
Sachant cela, il était réticent pour répondre à toute question qu'on lui posait.
A toutes les demandes, il nous regardait d'un air doux en psalmodiant, je suppose,
quelques hymnes, d'une voix basse et mélodieuse. Deux autres siyyids, ses amis
intimes, étaient également présents (ils furent, par la suite, mis à mort avec
lui) et, en outre, deux fonctionnaires du gouvernement.
Il ne daigna répondre qu'à moi lorsque je dis que je n'étais pas musulman et
que je souhaitais apprendre quelque chose de sa religion, car je serais peut-être
enclin à l'adopter. Il me considéra très intensément quand je dis cela, et répondit
qu'il n'avait aucun doute sur le fait que les Européens se convertiraient tous
à sa religion. Notre rapport au shah, à ce moment-là, fut de nature à épargner
sa vie.
Il fut mis à mort peu de temps après, sur l'ordre de l'amir-nizam, Mirza-Taqi
Khan. À la suite de notre rapport, il reçut la bastonnade; au cours de ce traitement
un farrash, intentionnellement ou non, le frappa au visage avec le baton destiné
à lui frapper les pieds; il s'en suivit une grande plaie et l'enflure de la
figure. Lorsqu'on lui demanda s'il fallait quérir un chirurgien persan pour
le soigner, il exprima le désir qu'on me fasse venir, et je le soignai donc
pendant quelques jours mais, dans les entrevues qui suivirent, je ne pus jamais
obtenir de conversation confidentielle, car les gens du gouvernement se trouvaient
toujours présents du fait qu'il était prisonnier.
C'était un homme très doux et d'aspect délicat, plutôt petit de taille, les
cheveux très clairs pour un Persan, s'exprimant d'une voix douce et mélodieuse
qui me frappa beaucoup. Etant siyyid, il était vêtu des habits de cette secte,
comme ses deux compagnons. En fait, sa physionomie et son comportement influençaient
beaucoup en sa faveur.
De sa doctrine je n'entendis rien de sa bouche, bien que l'idée se fît jour
qu'il existait dans sa religion un certain rapprochement avec le christianisme.
Des menuisiers arméniens, envoyés dans la prison pour y faire des réparations,
le virent lire la Bible sans prendre le soin de s'en cacher mais, au contraire,
en la leur lisant. Il est tout à fait certain que le fanatisme musulman vis-à-vis
des chrétiens, n'existe pas dans sa religion, ni les restrictions pour les femmes
telles qu'elles existent actuellement."
Telle fut l'impression faite par le Bab sur un Anglais cultivé. Et aussi loin
que l'influence de sa personnalité et de son enseignement se soit, depuis, répandue
en Occident, il n'existe aucun autre récit rapportant qu'il ait été observé
ou vu par des yeux européens.
Ses qualités étaient si exceptionnelles par leur noblesse et leur beauté, sa
personnalité si douce et cependant si forte, son charme naturel se combinait
avec un tel tact et une telle réflexion que, après sa déclaration, il devint
rapidement en Perse un personnage très populaire. Il s'alliait presque tous
ceux avec qui il entrait en contact personnel, convertissait souvent ses geôliers
à sa foi et, des gens mal disposés à son égard, il faisait des amis admiratifs.
Réduire au silence un tel homme sans encourir une certaine haine publique n'était
pas très facile, même dans la Perse du milieu du siècle dernier. Mais avec ses
adeptes, il en allait tout autrement.
Les mullas rencontraient là peu de raisons d'atermoiement et na avaient pas
besoin de faire des plans. La bigoterie des musulmans, depuis le shah jusqu'en
bas de la hiérarchie, pouvait facilement être éveillée à l'encontre de tout
développement religieux. Les adeptes du Bab pouvaient être accusés de déloyauté
envers le shah, et l'on pouvait attribuer leurs activités à de noirs desseins
politiques.
En outre, les fidèles du Bab étaient déjà nombreux, certains étaient dans l'aisance,
d'autres étaient riches, mais peu nombreux étaient ceux qui avaient des biens
que des voisins envieux pouvaient être poussés à convoiter. S'appuyant sur la
peur ressentie par les autorités et sur les basses passions nationales de fanatisme
et de cupidité, les mullas commencèrent une campagne de vexations et de spoliations
qu'ils poursuivirent avec une férocité implacable jusqu'à ce qu'ils estiment
avoir complètement atteint leur but.
De nombreux incidents se rapportant à cette malheureuse histoire sont relatés
par Nabil; entre autres, les événements survenus dans les villes de Mazindaran,
Nayriz et Zanjan, sont remarquables en raison des épisodes extraordinaires de
l'héroïsme des adeptes du Bab aux abois. En ces trois occasions, un certain
nombre de ces fidèles, en situation désespérée, abandonnèrent de concert leurs
demeures, se retirèrent dans une retraite choisie et, érigeant des ouvrages
défensifs autour d'eux, défièrent en armes une poursuite ultérieure.
Pour tout témoin impartial, il était évident que les allégations des mullas
invoquant un motif politique étaient fausses. Les adeptes du Bab se déclaraient
toujours prêts - s'ils recevaient l'assurance de n'être plus molestés pour leurs
croyances religieuses - à retourner pacifiquement à leurs occupations civiles.
Nabil insiste sur le soin qu'ils prenaient de s'abstenir de toute agression.
Ils combattaient pour leur vie avec une habilité et une force certaines; mais
ils n'attaquaient pas. Même au milieu d'un conflit féroce ils ne désiraient
pas retirer un avantage ni frapper un coup non nécessaire.
'Abdu'l-Baha est cité dans le "Traveller's Narrative" ("le Récit du voyageur")
pages 34-35, comme faisant la déclaration suivante sur l'aspect moral de leur
action:
"Le ministre Mirza Taqi Khan, dans le plus grand arbitraire, sans avoir reçu
aucune instruction ni demandé aucune autorisation, envoya en toutes directions
des ordres pour punir et chatier les adeptes du Bab. Les gouverneurs et les
magistrats cherchèrent un prétexte pour amasser des richesses et les fonctionnaires,
quant à eux, un moyen d'obtenir des profits; des docteurs célèbres, du haut
de leur chaire, invitèrent les gens à perpétrer une tuerie générale; les puissances
de la religion et de la loi civile s'allièrent et s'efforcèrent de déraciner
et de détruire ce peuple.
Cependant, ce dernier na avait pas encore acquis une bonne connaissance de ce
qui était juste et utile dans les principes fondamentaux et les doctrines cachées
des enseignements du Bab et il connaissait mal ses devoirs. Ses conceptions
et ses idées étaient encore fidèles à la mode antérieure, sa conduite et son
comportement, conformes aux anciens usages.
De plus, le chemin pour s'approcher du Bab était fermé, et la flamme des difficultés
était visiblement brillante de toutes parts. Sur l'injonction des plus célèbres
docteurs, le gouvernement et même le commun du peuple avaient, avec une puissance
irrésistible, inauguré la spoliation et le pillage de tous côtés et s'étaient
mis à punir, à torturer, à tuer et à spolier dans le but d'éteindre cette ardeur
et de flétrir ces pauvres âmes.
Dans les villes où il n'y avait qu'un nombre limité d'adeptes du Bib, ils eurent
tous les mains attachées, ils furent tués par l'épée, alors que dans les villes
où ils étaient nombreux, ils se dressèrent pour se défendre, conformément à
leurs anciennes croyances, étant donné qu'il leur était impossible de se renseigner
sur leurs devoirs et que toutes les portes étaient fermées."
Lorsque, quelques années plus tard, Baha'u'llah proclama sa mission, en affirmant:
"il vaut mieux être tué que tuer", il ne laissa guère de place à l'incertitude
quant à la loi de sa révélation dans une telle situation.
Quelque forme de résistance qu'aient offerte les adeptes du Bab, à un endroit
ou à un autre, elle se montra inefficace. Ils furent submergés par le nombre.
Le Bab lui-même fut extrait de sa cellule et exécuté. De ses principaux disciples
qui affirmaient leur croyance en lui, pas une seule âme ne fut laissée vivante
excepté Baha'u'llah qui, avec sa famille et une poignée d'adeptes dévoués, fut
dépouillé, contraint à l'exil et à la prison en terre étrangère.
Mais le feu, quoiqu'apaisé, n'était pas éteint. Il brûlait dans le coeur des
exilés qui l'emportèrent de pays en pays à mesure qu'ils voyageaient. Même en
son pays d'origine, la Perse, il avait pénétré trop profondément pour être éteint
par la violence physique, et il brûlait encore dans le coeur des gens, n'attendant
qu'un souffle de l'esprit pour s'attiser en une conflagration consumant tout.
La seconde et plus grande manifestation de Dieu fut proclamée, en accord avec
la prophétie du Bab, à la date qu'il avait prévue. Neuf ans après le commencement
de la révélation du Bab, c'est-à-dire en 1853, Baha'u'llah, dans certaines de
ses odes, fit allusion à son identité et à sa mission et, dix ans plus tard,
quand il résidait à Baghdad, il déclara à ses compagnons que lui-même était
le Promis.
C'est alors que le grand mouvement dont le Bab avait préparé la voie commença
à montrer la pleine étendue et la magnificence de son pouvoir. Quoique Bah4'u'lL4h
lui-même eût vécu et fût mort en exil et en prison, et qu'il fût connu seulement
de quelques Européens, ses épîtres proclamant le nouvel avènement furent adressées
aux grands dirigeants des deux hémisphères, depuis le shah de Perse jusqu'au
pape et au président des Etats-Unis.
Après son décès, son fils 'Abdu'l-Baha apporta en personne la nouvelle en Egypte
et jusqu'au bout du monde occidental. 'Abdu'l-Baha se rendit en Angleterre,
en France, en Suisse, en Allemagne et en Amérique, annonçant partout qu'une
fois de plus les cieux s'étaient ouverts et qu'une nouvelle dispensation était
révélée pour bénir les fils des hommes.
Il mourut en novembre 1921; et à ce jour le feu qui, un temps, semblait avoir
été éteint pour toujours, a recommencé à brûler dans toutes les régions de la
Perse, s'est installé sur le continent américain et a pris possession de tous
les pays du monde.
Autour des Ecrits sacrés de Baha'u'llah et des propositions d' 'Abdu'l-Baha,
faisant autorité, se développe une grande abondance d'écrits, de commentaires
ou de témoignages. Les principes humanitaires et spirituels énoncés par Baha'u'llah,
il y a plusieurs décennies, dans l'Orient le plus sombre, et mis en forme par
lui en un plan cohérent, sont, l'un après l'autre, adoptés par un monde, ignorant
d'où ils viennent, comme les marques d'une civilisation qui progresse.
Et le sentiment que l'humanité a rompu avec le passé et que les vieux préceptes
ne lui permettront pas de traverser les conditions critiques du présent a rempli
d'incertitude et de malaise tous les hommes qui pensent, sauf ceux qui ont appris
à trouver dans l'histoire de Baha'u'llah la signification de tous les prodiges
et présages de notre époque.
Près de trois générations ont passé depuis le début du mouvement. Tous ses premiers
adhérents qui ont échappé à l'épée ou au pal sont depuis longtemps décédés suivant
les lois de la nature. La porte de l'information contemporaine sur ses deux
grands chefs et sur leurs héroïques disciples est fermée pour toujours.
La chronique de Nabil, qui constitue un minutieux assemblage de faits accomplis
dans l'intérêt de la vérité, et qui fut terminée alors que Baha'u'llah était
encore en vie, possède à présent une valeur unique.
Né en Perse, dans le village de Zarand, le dix-huitième jour de safar, en l'an
1247, avant l'hégire, l'auteur avait treize ans lorsque le Bab déclara sa mission.
Il fut toute sa vie étroitement associé aux dirigeants de la cause. Quoiqu'il
ne fût qu'un jeune garçon à cette époque, il se préparait à partir pour Shaykh
Tabarsi et à rejoindre les partisans de Mulla Husayn quand la nouvelle du massacre
des adeptes du Bab, traîtreusement perpétré, l'empêcha de réaliser son dessein.
Il déclara dans son récit qu'il rencontra, à Tihràn, Haji Mirza Siyyid 'Ali,
frère de la mère du Bab, qui était alors tout récemment revenu d'une visite
au Bab dans la forteresse de Chihriq; et, pendant de nombreuses années, il fut
un proche compagnon du secrétaire du Bab, Mirza Ahmad.
Il signala la présence de Baha'u'llah à Kirmanshah et à Tihran avant la date
de l'exil en 'Iraq, et fut ensuite attaché à sa personne à Baghdad et à Andrinople
de même que dans la ville-prison d'Akka (Saint-Jean-d'Acre). Il fut envoyé en
mission plus d'une fois en Perse pour promouvoir la cause et encourager les
croyants dispersés et persécutés, et il vivait à 'Akka quand Baha'u'llah s'éteignit
en 1892. La façon dont il mourut fut pathétique et lamentable, car il fut si
terriblement affecté par la mort du grand Bien-Aimé que, terrassé par le chagrin,
il se noya dans la mer, et son cadavre fut rejeté par les flots sur le rivage,
près de la ville d' 'Akka.
Sa chronique fut entreprise en 1888, date à laquelle il eut le concours personnel
de Mirza Musa, frère de Baha'u'llah. Elle fut terminée en un an et demi environ,
et certaines parties du manuscrit furent revues et approuvées par Baha'u'llah,
les autres par 'Abdu'l-Baha.
L'ouvrage complet comporte l'histoire du mouvement jusqu'à la mort de Baha'u'llah
en 1892.
La première partie de cette narration, se terminant avec l'expulsion de Baha'u'llah
de Perse, est contenue dans le présent volume. Son importance est évidente.
Elle sera lue moins pour les quelques passages émouvants d'action qu'elle contient,
ou même pour ses nombreuses descriptions d'héroïsme et de foi inébranlable,
que pour la signification permanente de ces événements, dont elle donne une
relation aussi remarquable.
2) L'état de décadence de la Perse au milieu du dix-neuvième
siècle
2.A) Les souverains Qajar
"En théorie, le roi peut faire ce qu'il veut; sa parole fait loi. Le proverbe
qui dit que "La loi des Mèdes et Perses ne change pas" était simplement une
ancienne périphrase pour décrire l'absolutisme du souverain. Il nomme et il
peut révoquer tous les ministres, les fonctionnaires et les juges. Sans en référer
à aucun tribunal, il a le pouvoir de vie et de mort sur sa propre famille, sur
ses proches ainsi que sur les fonctionnaires civils et militaires qu'il emploie.
Les biens de ces personnes, si elles tombent en disgrâce ou si elles sont exécutées,
lui reviennent.
Le droit de mettre à mort lui revient exclusivement, mais peut être délégué
à des gouverneurs ou à des subalternes. Tous les biens qui n'ont pas été précédemment
accordés par la couronne ou achetés - tous les biens, en fait, dont la propriété
légale ne peut être établie - lui appartiennent et il peut en disposer comme
il l'entend. Tous les droits ou privilèges, - tels que la réalisation de travaux
publics, l'exploitation des mines, l'établissement de télégraphes, de routes,
de chemins de fer, de tramways, etc., l'exploitation, en fait, de n'importe
laquelle des ressources du pays, - lui sont conférés et doivent lui être achetés
avant d'être assumés par d'autres.
En sa personne se mêlent les trois fonctions du gouvernement: législative, exécutive
et judiciaire. Il ne lui est imposé aucune obligation sinon l'observance des
formes extérieures de la religion nationale. Il est le pivot sur lequel repose
tout le mécanisme de la vie publique.
"C'est cela, en théorie et jusque récemment en pratique, le caractère de la
monarchie persane. Et aucune de ces hautes prétentions n'a été ouvertement abandonnée.
Le langage dans lequel le shah s'adresse à ses sujets et dans lequel ceux-ci
s'adressent à lui rappelle le ton orgueilleux d'un Artaxerxès ou d'un Darius
parlant aux millions de ses sujets, et que l'on peut encore lire, gravé sur
les murs de rochers et sur les tombes.
Il reste le Shahinshah ou roi des rois, le Zillu'llah ou ombre de Dieu, le Qibliy-i-'Alam
ou centre de l'univers; "Exalté comme la planète Saturne; puits de science;
chemin du ciel; souverain sublime dont l'étendard est le soleil, dont la splendeur
est celle du firmament; monarque d'armées aussi nombreuses que les étoiles."
Pourtant, le sujet persan aurait pu faire sien le précepte de Sa'di selon lequel
"le vice approuvé par le roi devient vertu; rechercher un avis opposé équivaut
à se tremper les mains dans son propre sang." La marche du temps n'a imposé
au shah ni Conseil religieux ni Conseil séculier, ni 'ulama', ni Sénat. Aucune
institution élue et représentative de nature irrévérentieuse n'a fait irruption
sur la scène. Il n'existe aucune restriction écrite aux prérogatives royales.
"... L'auréole divine qui entoure le trône de Perse est telle que non seulement
le shah n'assiste jamais aux dîners d'Etat ni ne mange à table avec ses sujets,
à l'unique exception près du banquet de ses principaux parents de sexe masculin
à Naw-ruz, mais encore que l'attitude et le langage adoptés envers lui-même
par ses ministres les plus proches sont ceux d'une obéissance et d'une adulation
serviles.
"Que je sois votre sacrifice, asile de l'univers" est la façon courante de s'adresser
à lui qu'adoptent ses sujets, même ceux du plus haut rang. Dans son entourage,
il n'y a personne pour lui dire la vérité ou pour lui donner un avis impartial.
Il est probable que les ministres des Affaires étrangères sont presque les seules
personnes de qui il apprend les faits réels ou reçoit des avis sincères, bien
qu'intéressés.
Avec les meilleures intentions du monde, pour entreprendre de grands projets
ou pour l'amélioration de son pays, il n'a que peu ou pas du tout de contrôle
sur l'exécution d'une entreprise une fois qu'il l'a déléguée et qu'elle est
devenue le jeu de fonctionnaires corrompus ne recherchant que leur propre intérêt.
La moitié des crédits votés avec son consentement n'arrivent jamais à leur destination,
mais restent dans toutes les poches intermédiaires avec lesquelles l'astuce
professionnelle les met en contact temporaire; la moitié des projets autorisés
par le shah ne sont jamais réalisés, le ministre ou le fonctionnaire responsable
faisant confiance aux caprices oublieux du souverain, qui ne s'apercevra pas
de sa négligence du devoir.
"... Il y a un siècle encore régnait le système abominable consistant à ôter
la vue aux aspirants éventuels au trône, à infliger des mutilations sauvages,
à imposer des captivités à vie, à perpétrer des massacres sans discernement
et des tueries systématiques. Les disgrâces n'étaient pas moins soudaines que
les promotions, et la mort était souvent concomitante de la disgrâce.
"... Fath-'Ali Shah ... et ses successeurs après lui, se sont montrés si extraordinairement
prolifiques en héritiers males que la continuité de la dynastie a été assurée;
et il n'y a probablement pas de famille régnante au monde qui, en l'espace de
cent ans, se soit multipliée jusqu'à atteindre de telles dimensions, si ce n'est
la race royale de Perse... Ni par le nombre de ses femmes ni par celui de sa
progéniture, le shah, bien qu'indubitablement un homme s'intéressant à la famille,
ne peut être comparé à son arrière-grand-père Fath-'Ali Shah.
C'est à la haute opinion dans laquelle sont universellement tenues les capacités
de ce monarque que l'on doit attribuer, j'imagine, les estimations divergentes,
que l'on trouve dans les ouvrages sur la Perse, du nombre de ses concubines
et de ses enfants. Le colonel Drouville, en 1813, le crédite de 700 femmes,
64 fils et 125 filles.
Le colonel Stuart, qui se trouvait en Perse dans l'année qui a suivi la mort
de Fath'Ali, lui attribue 1.000 femmes et 105 enfants... Madame Dieulafoy cite
aussi les 5.000 descendants, mais les fait vivre 50 ans plus tard (ce qui a
l'air d'être plus probable)... L'estimation publiée dans le Nasikhu't-Tavarikh,
grand ouvrage historique persan moderne, fixe à plus de 1.000 le nombre de femmes
de Fath-'Ali et à 260 celui de ses descendants, dont 110 ont survécu à leur
père, d'où le proverbe persan bien connu: "Les chameaux, les puces et les princes
existent partout."...
Aucune famille royale n'a jamais fourni une illustration plus exemplaire de
ce que dit l'Écriture: "Au lieu de tes parents tu auras des enfants, dont tu
pourras faire des princes dans tous les pays"; car il n'y avait guère en Perse
de "gouvernorat" ni de poste comportant des émoluments qui ne soit occupé par
l'un des petits princes de cette ruche; et, à ce jour, les myriades de shah-zadihs,
ou descendants du roi, sont une parfaite malédiction pour le pays, bien qu'un
grand nombre de ces malheureux rejetons de la royauté qui consomment en allocations
annuelles et en pensions une large partie du revenu national, remplissent actuellement
des fonctions très inférieures en tant que télégraphistes, secrétaires, etc.
Fraser a fait une peinture très nette des malheurs causés au pays il y a cinquante
ans (1842) par cette "race de fainéants royaux" qui envahissaient les postes
du gouvernement non seulement de chaque province, mais encore de tout buluk
ou district, ville ou village; chacun d'entre eux entretenait une cour et un
harem immense et ils se jetaient sur le pays comme un essaim de sauterelles...
Fraser, passant par l'Adhirbayjan en 1834 et observant les résultats calamiteux
du système dans le cadre duquel Fath-'Ali Shah avait réparti sa colossale progéniture
male dans chaque poste gouvernemental à travers le pays, remarque: "La conséquence
la plus manifeste de cet état de choses est une haine intégrale et universelle
de la race Qajar; c'est le sentiment prévalant dans chaque coeur et le thème
de chaque conversation."
"... De même que, au cours de ses voyages en Europe, il (Nasiri'd-Din Shah]
rassembla un grand nombre de ce qui apparaissait à l'esprit oriental comme des
curiosités extraordinaires mais qui, depuis lors, ont été entassées dans les
divers appartements du palais ou mises de côté et oubliées, de même, dans le
domaine plus vaste de la politique nationale et de l'administration, entreprend-il
continuellement de pousser à de nouvelles réalisations ou inventions qui, lorsque
son caprice a été satisfait, sont négligées ou laissées de côté.
Une semaine, c'est le gaz; une autre, l'éclairage électrique. Une fois, c'est
un collège militaire, une autre fois un hôpital militaire. Aujourd'hui, c'est
un uniforme russe; hier, c'était un cuirassé allemand pour le golfe Persique.
Un nouveau décret sur l'armée est publié cette année; un nouveau code de lois
est promis pour l'année prochaine. Rien ne sort de ces brillants projets, et
les débarras du palais ne sont pas moins remplis de mécanismes cassés et de
bric-à-brac mis au rancart que les étagères des bureaux du gouvernement ne le
sont de réformes avortées et d'échecs sans issue.
"... Dans une chambre haute du même pavillon, Mirza Abu'l-Qasim, le Qa'im-Maqam
ou Grand vazir de Muhammad Shaîh (père du monarque actuel) fut étranglé en 1835,
sur ordre de son maître royal, qui suivit en cela l'exemple de son prédécesseur
et dont l'exemple fut dûment suivi par son fils. Il doit être rare dans l'Histoire
de trouver trois souverains successifs qui ont mis à mort, pour de simples raisons
de jalousie, les trois ministres qui, selon le cas, les ont portés sur le trône
ou remplissaient au moment de leur chute les fonctions les plus hautes de l'Etat.
Telle fut la triple distinction des Shîhs Fath-'Ali, Muhammad et Nasiri'd-Din.
2.B) Le gouvernement
"Dans un pays si arriéré au point de vue constitutionnel, si pauvre en formes
légales, en statuts et en chartes, si fermement stéréotypé dans les traditions
immémoriales de l'Orient, l'élément personnel est, comme on peut s'y attendre,
largement prépondérant; et le gouvernement de la Perse n'est guère autre chose
que l'exercice arbitraire de l'autorité au moyen d'une série d'unités dans l'échelle
descendante, qui va du souverain aux chefs des petits villages.
Le seul frein agissant sur les subalternes est la crainte de leurs supérieurs,
moyen qui généralement les calme; sur les grades élevés, c'est la crainte du
souverain, qui n'est pas toujours sourd à cette méthode de pacification; et
sur le souverain lui-même, la crainte, non pas de l'opinion intérieure mais
de l'opinion étrangère telle qu'elle est représentée par les critiques hostiles
de la presse européenne...
Le shah, en fait, peut être considéré à l'heure présente comme le meilleur spécimen
existant d'un despote modéré; car, dans les limites indiquées ci-dessus, il
est pratiquement irresponsable et omnipotent. Il a la maîtrise absolue sur la
vie et les biens de tous ses sujets. Ses fils n'ont pas de pouvoir indépendant
et, en un clin d'oeil, ils peuvent être réduits à l'impuissance ou à la mendicité.
Les ministres sont promus ou dégradés selon le bon plaisir royal. Le souverain
assure seul l'exécutif, et tous les fonctionnaires lui sont soumis. Aucun tribunal
civil n'existe pour contrôler ou modifier ses prérogatives.
"... Sir J. Malcolm, dans son "Histoire", écrit au début du siècle ce qui suit
concernant le caractère général et les qualités des ministres de la cour de
Perse: "Les ministres et les principaux fonctionnaires de la cour sont presque
toujours des gens aux bonnes manières, compétents pour les questions relatives
à leurs tâches respectives, à la conversation agréable, au caractère doux et
à l'observation très fine; mais, en général, ces qualités agréables et utiles
sont tout ce qu'ils possèdent.
Et l'on ne doit d'ailleurs pas s'attendre à de la vertu ou à des connaissances
libérales chez des hommes qui gaspillent leur vie à respecter les formes, dont
les moyens de subsistance proviennent des sources les plus corrompues, dont
les occupations sont des intrigues qui ont toujours le même objet: se sauvegarder
soi-même ou ruiner les autres, qui ne peuvent, sans encourir de danger, parler
un langage autre que celui de la flatterie, de la tromperie, et qui, en bref,
sont condamnés par leur position à être vénaux, faux et riches de subterfuges.
Il y a en Perse, sans aucun doute, un grand nombre de ministres qu'il serait
injuste de classer dans cette catégorie générale; or, même les plus distingués
par leurs vertus et leurs talents ont été contraints, dans une certaine mesure,
à accommoder leurs principes à leur état; et, à moins que la confiance témoignée
par leur souverain ne les ait débarrassés de la crainte de leurs rivaux, la
nécessité les a forcés à pratiquer la servilité et la dissimulation, en désaccord
avec la vérité et l'intégrité qui, seules, peuvent constituer le fondement du
respect que tous sont disposés à accorder aux hommes grands et bons." Ces observations
sont empreintes de la perspicacité et de la justice caractéristiques de leur
auteur distingué, et l'on peut craindre qu'elles ne soient valables, dans une
grande mesure, tant pour la génération actuelle que pour les générations anciennes."
2.C) Le peuple
"... J'en viens maintenant à ce qui est le trait cardinal et caractéristique
de l'administration iranienne. On peut dire que le gouvernement, et la vie elle-même,
dans ce pays, consistent en grande partie en un échange de cadeaux. On peut
supposer que, dans ses aspects sociaux, cette pratique reflète les sentiments
généreux d'un peuple amical, mais il y a en cela un côté sinistrement non émotionnel
quand, par exemple, vous vous félicitez d'avoir reçu un cadeau, et que vous
vous apercevez que vous devez faire au donateur un cadeau de coût équivalent,
mais que vous devez aussi rémunérer libéralement le porteur du cadeau (pour
qui votre don est très probablement l'unique moyen de subsistance), selon la
valeur pécuniaire du présent.
Dans ses aspects politiques, la pratique de faire des cadeaux, bien que consacrée
par les traditions tenaces de l'Orient, est synonyme d'un système décrit ailleurs
en des termes moins agréables. C'est le système qui a prévalu pour le gouvernement
de la Perse depuis des siècles et dont le maintien constitue un obstacle absolu
à toute réforme réelle.
Du shah aux subalternes, jusqu'en bas de l'échelle, il n'y a guère de fonctionnaires
à l'abri des cadeaux, guère de postes qui ne soient confiés en échange de cadeaux,
guère de revenus qui n'aient été amassés par accumulation de cadeaux. Chaque
personne, presque sans exception, de la hiérarchie officielle mentionnée ci-avant
n'a dû son poste qu'à un cadeau en argent soit au shah, soit à un ministre,
soit au gouverneur supérieur en grade grâce auquel il a été nommé. S'il y a
plusieurs candidats pour un poste, en toute probabilité celui qui fait l'offre
la plus alléchante l'emportera.
"... Le "madakhil" est, en Perse, une institution nationale bien-aimée dont
l'exaction, sous mille formes différentes, et dont l'ingéniosité n'égalent que
la multiplicité; elle est l'intérêt primordial et la joie de l'existence des
Persans. Ce terme remarquable, pour lequel M. Watson écrit qu'il n'y a pas d'équivalent
précis en anglais, peut se traduire diversement par commission, gratification,
amabilité, rémunération, pourboire douteux et vol, bénéfice, selon le contexte.
Généralement, cela signifie la marge d'avantages personnels, sous forme d'argent,
qui peut être retirée de n'importe quelle transaction.
Une négociation dans laquelle sont concernées deux parties, le donateur et le
bénéficiaire, le supérieur et le subordonné, ou même deux fonctionnaires de
rang égal, ne peut avoir lieu en Perse sans que la partie présentée comme l'auteur
de la faveur accordée ou du service rendu ne demande et ne reçoive un bénéfice
précis en espèces pour ce qu'il a fait ou donné.
L'on peut dire évidemment que la nature humaine est à peu près la même partout
dans le monde, qu'il existe un système similaire, sous un autre nom, dans notre
pays ou à l'étranger, et que le critique philosophe accueillera, chez le Persan,
un homme et un frère. Dans une certaine mesure, cela est vrai mais, dans aucun
pays du monde que je connaisse ou dont j'aie entendu parler, le système n'est
si ouvertement cynique ni si universel qu'en Perse.
Loin de se limiter à la sphère de l'économie interne ou aux transactions commerciales,
il pénètre dans toutes les actions et inspire la plupart des actes de la vie.
Du fait de ce système, on peut dire que la générosité ou la prestation de services
gratuits ont été effacées, en Perse, de la catégorie des vertus sociales, et
que la cupidité a été élevée en un principe dictant la conduite des hommes...
.
Grâce à cela, on institue une progression arithmétique des butins du souverain
aux sujets: chaque personne de cette gamme descendante se rémunérant auprès
de la personne immédiatement inférieure à elle dans la hiérarchie, et le malheureux
paysan étant la dernière victime. Il n'est pas surprenant, dans ces conditions,
que les postes officiels soient la route générale vers la richesse et qu'il
y ait des cas fréquents d'hommes qui, partis de rien, se trouvent résider dans
une demeure magnifique, entoures d'une foule de personnes attachées à leur service,
et vivent dans un style princier. "Profitez au mieux tant que vous pouvez" est
la règle qu'adoptent la plupart des gens lorsqu'ils prennent leurs fonctions
dans la vie publique.
Et l'esprit populaire ne s'oppose pas à un tel comportement; l'estime pour celui
qui, en ayant la possibilité, n'a pas rempli ses poches est, à son sens, l'inverse
d'un compliment. Personne ne pense à ceux qui souffrent, aux dépens de qui,
en fin de compte, on a retiré les éléments de ces "madakhils" successifs, alors
que la sueur de leurs fronts a nourri la richesse gaspillée en maisons de campagne
luxueuses, en curiosités européennes et en énormes suites de serviteurs.
"... Parmi les traits de la vie publique en Perse qui frappent le plus immédiatement
les yeux de l'étranger et qui proviennent indirectement des mêmes circonstances,
l'on trouve le nombre énorme de subalternes et d'hommes de suite qui s'affairent
autour des ministres ou des fonctionnaires en tout genre. Dans le cas d'un fonctionnaire
de haut rang ou ayant un haut poste, le nombre de ces personnes varie entre
50 et 500. Benjamin écrit que, en son temps, le Premier ministre en avait 3.000.
Certes la théorie de l'étiquette sociale et cérémoniale qui prévaut en Perse
et, en fait, dans tout l'Orient, est, dans une certaine mesure, responsable
de ce phénomène, l'importance d'une personne étant évaluée, en grande partie,
selon l'étalage public qui est fait et selon le nombre de serviteurs dont cette
personne peut, à l'occasion, faire parade.
Mais c'est l'institution du "madakhil," des pourboires illicites et des vols
qui est à la base du mal. Si le gouverneur ou le ministre était obligé de verser
un salaire à la totalité de cette équipe servile, les rangs de cette dernière
se rétréciraient rapidement; or, la majorité de ces personnes ne sont pas payées;
elles s'attachent à leur maître en raison des possibilités d'extorsion que ce
lien leur offre, et elles prospèrent et s'engraissent grâce à de petits bénéfices.
L'on peut facilement concevoir combien cet essaim de suceurs de sang draine
les ressources du pays. Ce sont les véritables prototypes de travailleurs improductifs,
absorbant de la richesse mais n'en créant jamais; et leur existence n'est pas
loin d'être une calamité nationale... . Un point essentiel de l'étiquette en
Perse est que lorsqu'on va faire une visite, on emmène un nombre aussi grand
que possible de membres de sa maison, soit à cheval, soit à pied, le nombre
de personnes de cette suite étant pris comme une indication du rang du maître.
2.D) L'ordre ecclésiastique
"... L'islam, merveilleusement adapté tant au climat qu'au caractère et aux
occupations des pays sur lesquels il a mis son emprise de fer, tient ses adeptes
dans un assujettissement total, du berceau à la tombe. Pour eux, ce n'est pas
seulement une religion, mais également un gouvernement, une philosophie et une
science.
La conception mahométane n'est pas tellement celle d'une Église-État mais, si
l'on peut se permettre l'expression, d'un État-Église. Les structures qui entourent
la société elle-même en la pervertissant ne sont pas de fabrication civile,
mais ecclésiastique; et, enveloppé dans cette foi superbe mais paralysante,
le musulman vit dans une abdication de tout vouloir qui le satisfait; il estime
qu'il est de son plus haut devoir d'adorer Dieu et de contraindre ou - lorsque
cela est impossible - de mépriser ceux qui ne l'adorent pas, et puis il meurt
avec le ferme espoir de gagner le paradis.
"... Ces siyyids, ou descendants du Prophète, sont pour le pays une gêne intolérable;
ils déduisent de leur descendance supposée et de la prérogative du turban vert,
le droit à une indépendance et à une insolence dans le comportement, dont leurs
compatriotes - non moins que les étrangers - ont à souffrir.
"... En tant que communauté, les juifs de Perse sont enfoncés dans une grande
pauvreté et une grande ignorance... Dans tous les pays musulmans de l'Orient,
ce malheureux peuple a été soumis à la persécution que l'habitude lui a appris,
et a appris au monde, à considérer comme son sort normal. Généralement contraints
de vivre à part dans un ghetto, ou quartier séparé dans les villes, les juifs
ont depuis des siècles souffert d'interdits dans les professions, le costume
et les habitudes, ce qui en a fait des parias sociaux par rapport aux autres
humains...
A Isfahan, où l'on dit qu'il y en a 3.700, et où ils jouissent d'un statut relativement
plus favorable que dans les autres régions de la Perse, on ne leur permet pas
de porter le "kulah", ou couvre-chef persan, ni d'avoir une boutique dans le
bazar, ni de construire les murs de leur maison à la même hauteur que ceux de
leurs voisins musulmans, ni de monter à cheval dans la rue... . Mais dès qu'il
se produit, en Perse ou ailleurs, une explosion de bigoterie, les juifs sont
susceptibles d'être les premières victimes. La main de tous est contre eux;
et malheur au malchanceux hébreu qui est le premier à se trouver en face d'une
populace persane.
"... Peut-être le trait le plus extraordinaire de la vie à Mashhad, avant que
je laisse de côté le sujet du sanctuaire et des pèlerins, est-il la disposition
qui est prise pour le soulagement matériel de ces derniers pendant leur séjour
dans la ville. Pour compenser les longs voyages qu'ils ont faits, les épreuves
qu'ils ont subies et les distances qui les séparent de leur famille et de leur
foyer, on leur permet, avec la connivence de la loi religieuse et des représentants
de celle-ci, de contracter un mariage temporaire pendant leur séjour dans la
ville.
Il y a à cette fin une forte population permanente d'épouses. L'on trouve un
mulla, sous l'autorité duquel est établi un contrat qui est officiellement signé
par les deux parties, une redevance versée et l'union légalement constituée.
Au bout de deux semaines, d'un mois, ou de la période quelconque spécifiée dans
le contrat, celui-ci prend fin; le mari temporaire retourne à ses propres lares
et pénates, dans quelque pays distant et la dame, après une période obligatoire
de célibat de quatorze jours, reprend sa carrière du mariage permanent.
En d'autres termes, un système géant de prostitution, sous l'autorité de l'Eglise,
règne à Mashhad. Il n'y a probablement pas en Asie de ville plus immorale; et
je regrette de dire combien de pèlerins, parmi tous ceux qui sans broncher traversent
les mers et les terres pour embrasser la grille de la tombe de l'Imam, sont
peut-être aussi encouragés et consolés pendant leur marche par la perspective
de vacances agréables et de ce que l'on pourrait décrire dans la langue courante
comme "une partie de plaisir ".
2.E) Conclusion
"Avant de quitter le sujet des lois en Perse et de leur application, permettez-moi
d'ajouter quelques mots au sujet des peines et des prisons. Rien n'est plus
choquant, pour le lecteur européen qui chemine à travers les pages illustrées
de crimes et éclaboussées de sang de l'histoire persane au cours du dernier
siècle et, heureusement a un moindre degré dans ce siècle-ci, que le récit de
punitions barbares et de tortures abominables, qui témoignent alternativement
de l'âpreté de brutes et de l'ingéniosité de démons.
Le caractère persan a toujours été astucieux et insensible à la douleur; et
il a trouvé dans le domaine des exécutions judiciaires une large place pour
l'exercice de ces deux imperfections. Jusqu'à une période assez récente, qui
déborde largement sur le règne actuel, les condamnés ont été crucifiés, éjectés
de bouches de canons, enterrés vifs, empalés, ferrés comme les sabots des chevaux
(supplice des brodequins), écartelés après avoir été attachés à la cime de deux
arbres ployés remis ensuite dans leur position naturelle, transformés en torches
humaines, écorchés vifs.
"... Dans un système de gouvernement à deux faces, tel que celui que je viens
de décrire, à savoir une administration dont chaque acteur est à la fois celui
qui donne et celui qui reçoit un pourboire, et une procédure judiciaire sans
lois et sans Cour de justice, on comprend facilement qu'il n'y ait guère de
confiance dans le gouvernement et qu'il n'y ait pas de sentiment personnel du
devoir ni d'orgueil de l'honneur, pas de confiance mutuelle ni de coopération
(sauf au service du mal), pas d'infamie à être découvert après un forfait, pas
de croyance en la vertu et, par-dessus tout, pas d'esprit national ni de patriotisme.
Ils ont raison, ces philosophes qui soutiennent que, en Perse, la réforme morale
doit précéder la réforme matérielle et la réforme interne, la réforme externe.
Il est inutile de greffer de nouvelles branches sur un système dont la sève
même est épuisée ou empoisonnée.
On peut donner à la Perse des routes et des chemins de fer, on peut exploiter
ses mines et ses ressources, on peut entraîner son armée et vêtir ses artisans,
mais on ne l'aura pas amenée au sein des nations civilisées tant qu'on ne sera
pas parvenu au coeur de son peuple et qu'on n'aura pas donné une orientation
nouvelle et radicale au caractère et aux institutions nationaux.
J'ai fait cette peinture, que j'estime véridique, de l'administration persane
afin que les lecteurs anglais puissent comprendre le système que les réformateurs
- qu'ils soient étrangers ou indigènes - ont à combattre, ainsi que le mur de
fer de résistance, édifié par l'ensemble des instincts les plus égoïstes de
la nature humaine, qui s'oppose aux idées de progrès.
Le shah lui-même, quelque sincère que soit son désir d'innover, est, dans une
certaine mesure, impliqué dans ce système pernicieux, étant donné qu'il lui
doit sa fortune privée; tandis que ceux qui, en privé, condamnent le plus vivement
le système, ne sont pas en reste pour courber la tête ouvertement dans le temple
de Rimmon.
Dans tous les rangs inférieurs à celui du souverain, l'initiative fait complètement
défaut pour ce qui est de se rebeller contre la tyrannie de coutumes immémoriales;
et si une forte personnalité comme le roi actuel ne peut l'entreprendre qu'à
l'essai, où est-il celui qui prêchera la croisade?"
(Extraits de l'ouvrage de Lord Curzon: "Persia and the Persian Question.")
3) Hommage de Baha'u'llah au Bab et à ses principaux
disciples
EXTRAITS DU KITAB-I-IQAN (Livre de la Certitude)
Bien qu'il fût encore très jeune et que la cause révélée par lui fût contraire
aux désirs de tous les peuples de la terre - grands et petits, riches et pauvres,
glorifiés et humiliés, rois et sujets, - il se leva pourtant et la proclama
avec opiniâtreté. Tous ont su et entendu cela. Il ne craignait personne; il
était insouciant des conséquences. Or une telle chose pouvait-elle se manifester,
si ce n'est par le pouvoir d'une révélation divine et par la puissance de l'invincible
volonté de Dieu?
Par la justice divine! Si une personne, quelle qu'elle soit, devait conserver
en son coeur une aussi grande révélation, la pensée d'une telle déclaration
suffirait à la confondre! Même si les coeurs de tous les hommes avaient afflué
en son coeur, elle hésiterait encore a s aventurer dans une si formidable entreprise.
Elle ne pourrait l'accomplir qu'avec la permission de Dieu, et seulement si
la voie de son coeur était liée à la source de la grâce divine et son âme, assurée
de l'infaillible soutien du Tout-Puissant.
A quoi, nous demandons-nous, attribuent-ils une si grande audace? L'accusent-ils
de folie, comme ils l'ont fait des prophètes du passé? Ou maintiennent-ils que
sa motivation n'était autre que le pouvoir et l'acquisition de richesses terrestres?
Bonté divine! Dans son Livre, qu'il a intitulé "Qayyumu'l-Asma" - le premier,
le plus grand et le plus puissant de tous les livres, - il prophétisa son propre
martyre. On y trouve ce passage: "Ô toi, Vestige de Dieu! Je me suis entièrement
sacrifié pour toi; j'ai accepté des calamités pour l'amour de toi; et je n'ai
aspiré à rien d'autre qu'au martyre dans le sentier de ton amour. Dieu, l'Exalté,
le Protecteur, l'Ancien des jours, m'est un témoin suffisant!"
"... Le révélateur de telles paroles pouvait-il être considéré comme suivant
toute autre voie que la voie de Dieu, et comme ayant aspiré à autre chose qu'à
son bon plaisir? Dans ce verset même réside, bien caché, un souffle de détachement
pour lequel, s'il était insufflé dans le monde, tous les êtres renonceraient
à leur vie et sacrifieraient leur âme.
"... Et, à présent, considérez comment ce Sadrih du Ridvan de Dieu s'est levé,
en sa prime jeunesse, pour proclamer la cause de Dieu. Voyez quelle constance
il a révélée, lui, la Beauté de Dieu!
Le monde entier s'est levé pour l'entraver, mais il a échoué totalement! Plus
la persécution infligée à ce 5adrih de béatitude se faisait cruelle, plus sa
ferveur s'intensifiait et plus la flamme de son amour brûlait avec ardeur. Tout
ceci est évident, et nul n'en conteste la vérité. Finalement, il rendit l'âme
et prit son vol vers les royaumes d'en-haut.
"... A peine cette éternelle Beauté s'était-elle révélée à Shiraz, en l'année
soixante, et avait-elle déchiré le voile de la dissimulation, que les signes
de l'ascendance, de la puissance et du pouvoir émanant de cette Essence des
essences et de cet Océan des océans furent manifestes en chaque pays. Tant et
si bien que, de chaque côté, apparurent les signes, les preuves, les marques
et les témoignages de ce divin Flambeau. Combien de coeurs purs et tendres reflétèrent
fidèlement la lumière de cet éternel Soleil! Et multiples furent les effluves
de savoir émanant de cet Océan de divine sagesse qui englobe tous les êtres!
Dans chaque cité, tous les religieux et les nobles se levèrent pour les entraver
et les réprimer, et se ceignirent les reins de la malignité, de l'envie, de
la tyrannie, afin de les supprimer. Combien de ces saintes âmes, de ces essences
de justice, accusées de tyrannie, furent mises à mort! Et combien d'incarnations
de pureté, qui ne manifestaient que la véritable connaissance et des actes irréprochables,
subirent une mort atroce! En dépit de tout cela, chacun de ces êtres saints,
jusqu'à son dernier souffle, exhala le nom de Dieu et s'éleva dans le royaume
de soumission et de résignation. Telle fut la puissance et l'influence transformatrice
qu'il exerçait sur eux, qu'ils cessèrent de nourrir d'autre désir que sa volonté,
et allièrent leurs âmes à son souvenir.
"Réfléchissez: Qui, dans le monde, est capable de manifester un tel pouvoir
transcendant, une telle influence pénétrante? Tous ces coeurs immaculés, toutes
ces âmes sanctifiées ont, avec une absolue résignation, répondu à l'appel de
son décret. Au lieu de se plaindre, il rendirent grâce à Dieu et, au milieu
des ténèbres de leur angoisse, ne révélèrent rien d'autre qu'une radieuse soumission
à sa volonté.
L'on sait combien implacable fut la haine, combien cruelles furent la méchanceté
et l'inimitié que nourrissaient, envers ces compagnons, tous les peuples de
la terre. La persécution et les souffrances qu'ils infligèrent à ces êtres saints
et spirituels étaient considérées par eux comme les moyens de parvenir au salut,
à la prospérité, et à la réussite éternelle. Le monde a-t-il jamais, depuis
l'époque d'Adam, connu un tel tumulte, une commotion d'une telle violence?
Malgré toutes les tortures qu'ils subirent et les multiples afflictions qu'ils
endurèrent, ils devinrent objets de l'opprobre et de l'exécration universels.
La patience ne fut révélée, me semble-t-il, qu'en vertu de leur courage, et
la fidélité elle-même fut engendrée par leurs actes.
"Médite en ton coeur sur ces événements capitaux, afin de pouvoir saisir la
grandeur de cette révélation et en percevoir la prodigieuse gloire."
4) Traits distinctifs de l'islam shi'ah (shiite)
"Le point essentiel sur lequel les shi'ahs (ainsi que les autres sectes comprises
sous le terme plus général d'imamites) diffèrent des sunnis, c'est la doctrine
de l'imamat. Selon la croyance sunnie, la succession du Prophète (le khalifat)
est une affaire à déterminer par le choix et l'élection de ses successeurs,
et le chef visible du monde musulman est qualifié pour la position éminente
qu'il occupe, moins par quelque grâce divine spéciale que par une alliance d'orthodoxie
et de capacités administratives.
Selon le point de vue imamite, en revanche, la succession du Prophète est une
question d'ordre exclusivement spirituel; une fonction conférée par Dieu seul,
d'abord par son bon Prophète et, ensuite, par ceux qui lui ont ainsi succédé,
et sans aucun lien avec le choix ou l'approbation populaires.
En un mot, le khalifat des Sunnis est simplement le défenseur - extérieur et
visible - de la foi; l'imam des shi'ahs, quant à lui, est le successeur, divinement
ordonné du Prophète, doué de toutes les perfections et de tous les dons spirituels,
auquel doivent obéir tous les fidèles, dont la sagesse est surhumaine et dont
les paroles font autorité.
Le terme général d'imamat est applicable à tous ceux qui partagent ce dernier
point de vue, sans référence à la voie dans laquelle ils retracent la succession
du Prophète; il inclut donc des sectes telles que les baqiris et les isma'ilis,
ainsi que les shi'ahs ou "Eglise des Douze" (Madhhab-i-Ithna-'Ashariyyih), comme
elles sont plus spécifiquement qualifiées, et qui seules nous intéressent ici.
Selon ces sectes, douze personnes détinrent successivement le titre d'Imam.
En voici la liste:
1. 'Ali-ibn-i-Abi-Talib, le cousin et premier disciple du Prophète, assassiné
par Ibn-i-Muljam à Kufih, en l'an 40 après l'hégire (661 ap. J.-C).
2. Hasan, fils d"Ali et de Fatimih, né en l'an 2 après l'hégire, empoisonné
sur l'ordre de Mu'aviyih I en l'an 50 après l'hégire (670 ap. J.-C).
3. Husayn, fils d"Ali et de Fatimih, né en l'an 4 après l'hégire, tué à Karbila
le 10 muharram de l'an 61 après l'hégire (10 oct. 680 ap. J.-C.).
4. 'Ali, fils de Husayn et de Shahribanu (fille de Yazdigird, le dernier roi
sa ssanide), généralement appelé Imam Zaynu'l- 'Abidin, empoisonné par Valid.
5. Muhammad-Baqir, fils de Zaynu'l-'Abidin (voir plus haut) et de sa cousine
Umm-i-'Abdu'llah, la fille de l'Imam Hasan, empoisonnée par Ibrahim ibn-i-Valid.
6. Ja'far-i-Sadiq, fils de l'Imam Muhammad-Baqir, empoisonné sur l'ordre de
Mansur, le Khalifih abbaside.
7. Musa-Kazim, fils de l'Imam Ja'far-i-Sadiq, né en l'an 129 après l'hégire,
empoisonné sur l'ordre de Harunu'r-Rashid en l'an 183 après l'hégire.
8. 'Ali-ibn-i-Musa'r-Rida, généralement appelé Imam Rida, né en 153 après l'hégire,
empoisonné près de Tus, dans le Khurasan, sur ordre du Khalifih Ma'mun, en 203
après l'hégire et enterré à Mashhad, ville qui tire de lui son nom et sa sainteté.
9. Muhammad-Taqi, fils de l'Imam Rida, né en 195 après l'hégire, empoisonné
par le Khalifih Mu'tasim à Baghdad, en 220 après l'hégire.
10. 'Ali-Naqi, fils de l'Imam Muhammad-Taqi, né en 213 après l'hégire, empoisonné
à Surra-man-Ra'a en 254 après l'hégire.
11. Hasan-i-'Askari, fils de l'Imam 'Ali-Naqi, né en 232 après l'hégire, empoisonné
en 260.
12. Muhammad, fils de l'Imam Hasan-i-'Askari et de Nargis-Khatun, appelé par
les shi'ahs "Imam-Mihdi", "Hujjatu'llah" (la Preuve de Dieu), "Baqiyya-tu'llah"
(le Vestige de Dieu) et "Qa'im-i-Al-i-Muhammad" (celui qui naîtra de la famille
de Muhammad). Il portait non seulement le même nom, mais aussi le même kunyih
(Abu'l-Qasim) que le Prophète et, selon les shi'ahs, il est illégitime à quiconque
de porter en même temps ce nom et ce kunyih. Il naquit à Surra-man-Ra'a en l'an
255 après l'hégire et succéda à son père, en qualité d'Imam, en 260 après l'hégire.
"Les shi'ahs soutiennent qu'il ne mourut point, mais qu'il disparut dans un
passage souterrain à Surra-man-Ra'a en 329 après l'hégire; qu'il vit toujours,
entouré d'un groupe élu de ses disciples, dans l'une de ces mystérieuses cités,
Jabulqa et Jabulsa; et que, à la consommation des temps, lorsque la terre sera
remplie d'injustice et que les fidèles seront plongés dans le désespoir, il
apparaîtra, annonce par Jésus-Christ, vaincra les infidèles, établira la paix
et la justice universelles, et inaugurera un millénaire de béatitude. Durant
toute la période de son imamat, à savoir de l'an 260 après l'hégire à ce jour,
l'Imam Mihdi a été invisible et inaccessible à la masse de ses disciples, et
c'est ce que signifie le terme "occultation" (Ghaybat).
Après avoir assumé les fonctions d'Imam et présidé aux funérailles de son père
et prédécesseur, l'Imam Hasan-i-' Askari, il disparut de la vue de tous, sauf
de quelques élus qui, l'un après l'autre, continuèrent à agir en tant qu'agents
de communication entre lui et ses disciples.
Ces personnes furent connues sous le nom de "Portes" (Abvab). La première fut
Abu-'Umar-'Uthman ibn-i-Sa'id 'Umari; la deuxième, Abu-Ja'far Muhammad-ibn-i-'Uthman,
fils du. précédent; la troisième, Husayn-ibn-i-Ruh Naw-bakhti; la quatrième,
Abu'l-Hasan 'Ali-ibn-i-Muhammad Simari. De ces "Portes", la première fut désignée
par l'Imam Hasan-i-'Askari, les autres par la "Porte" alors en fonction, avec
l'approbation de l'Imam Mihdi.
Cette période, s'étendant sur 69 années, durant laquelle l'Imam fut encore accessible
par l'intermédiaire des "Portes", est connue en tant que "Occultation mineure"
(Ghaybat-i-Sughra). Celle-ci allait être suivie de l"Occultation majeure' (Ghaybat-i-Kubra).
Lorsqu' Abu'l-Hasan 'Ali, la dernière des "Portes", fut près de sa fin, il fut
instamment prié par les fidèles (qui envisageaient avec désespoir la perspective
d'être totalement séparés de l'Imam) de nommer un successeur. Il refusa toutefois
en ces termes: "Dieu a un dessein qu'il accomplira". Ainsi, à sa mort, toute
communication entre l'Imam et ses disciples cessa, et "l'Occultation majeure"
débuta, et se poursuivra jusqu'au retour de l'Imam à la consommation des temps."
(Extrait de: "A Traveller's Narrative", Note O, pp. 296-99).
5) Généalogie du prophète Muhammad
Descendants à partir de:
Quraysh
1 => 'Abd-i-Manaf
1.1 => 'Abdu'sh-Shams
1.1.1. => Umayyih
1.1.1.1. => Califes Omayyades
1.2 => Hashim
1.2.1. => 'Abdu'l-Muttalib
1.2.1.1. => 'Abdu'llah
1.2.1.1.1. => MUHAMMAD
1.2.1.1.1.1. => Fatimih
1.2.1.1.1.1.1. => Husayn
1.2.1.1.1.1.2. => Hasan
1.2.1.2. => Abu-Talib
1.2.1.2.1. => 'Ali
1.2.1.3. => 'Abbas
1.2.1.3.1. => Califes abbassides
Les Caliphes :
Caliphes omayyades, 661 - 749 ap. J.-C.
Caliphes abbassides, 749 - 1.258 ap. J.-C.
Caliphes fatimites, 1.258 - 1.517 ap. J.-C.
Caliphes ottomans, 1.517 - 19 ap. J.-C.
Naissance de Muhammad, le 20 août 570 ap. J. -C.
Déclaration de sa mission, 613 - 14 ap. J.-C.
Sa fuite à Médine, 622 ap. J.-C.
Abu-Bakri' s-Siddiq-ibn-i-Abi-Quhafih, 632 - 34 ap. J. -C.
'Umar-ibn-i'l-Khattab, 634 - 44 ap. J.-C.
'Uthman-ibn-i-'Affan, 644 - 56 ap. J.-C.
'Ali-ibn-i-Abi-Talib, 656 - 61 ap. J.C
6) Théorie et administration de la loi en Perse au
milieu du dix-neuvième siècle
"... La loi en Perse et, en fait, parmi les peuples musulmans en général, se
divise en deux secteurs: la loi religieuse et le droit coutumier, la loi qui
se fonde sur les écritures mahométanes, et celle qui s'appuie sur le précédent,
la loi qui est administrée par des tribunaux religieux, et celle qui est du
ressort des tribunaux civils. En Perse, la première est connue sous le nom de
shar'; la seconde, sous celui de 'urf. Toutes deux ont donné naissance à une
jurisprudence applicable en pratique, et à peu près conforme aux besoins et
aux conditions de ceux pour lesquels elle est dispensée.
Le fondement de l'autorité, dans le cas du shar', ou loi religieuse, consiste
dans les paroles du Prophète contenues dans le Qur'an, dans les opinions des
douze saints Imams dont la voix, selon le jugement des musulmans shi'ahs, est
d'un poids à peine inférieur, et dans les commentaires d'une école de juristes
religieux éminents.
Ces derniers ont joué à peu près le même rôle que les célèbres juris consulti
à Rome pour le droit coutumier ou les commentateurs talmudiques dans le système
hébreu. Le corps juridique ainsi constitué a été grossièrement codifié et divisé
en quatre rubriques, traitant respectivement des rites et devoirs religieux,
des contrats et obligations, des affaires privées, des règles somptuaires et
de la procédure judiciaire.
Cette loi est administrée par une cour religieuse composée de mullas, c'est-à-dire
de prédicateurs laïques, et de mujtahids (docteurs de la loi), parfois assistés
de Qadis ou juges, et sous la présidence d'un fonctionnaire connu sous le titre
de shaykhu'l-islam, celui-ci étant, en règle générale, désigné par le souverain
pour être affecté à chacune des villes les plus importantes.
Dans le passé, le chef de cette hiérarchie religieuse était le sadru's-sudur,
ou Pontifex Maximus, un dignitaire choisi par le roi et placé à la tête de l'ensemble
de la prêtrise et de la magistrature du royaume. Cette fonction fut toutefois
abolie par Nadir Shah durant sa campagne anticléricale, et n'a jamais été restaurée.
Dans les agglomérations plus réduites et dans les villages, la fonction de ce
tribunal est assumée par le, ou les mulla(s) local(aux) qui, pour examiner une
affaire, sont toujours prêts à citer un texte extrait du Qur'an.
Dans le cas des Cours suprêmes, la décision est invariablement rédigée et accompagnée
de la citation des Ecritures ou des commentateurs sur lesquels elle se fonde.
Les affaires d'une extrême importance sont soumises aux plus éminents mujtahids,
qui ne sont jamais très nombreux et tirent leur position exclusivement de leur
savoir ou de leurs éminentes capacités, ratifiées par l'assentiment populaire,
et dont les décisions sont rarement contestées...
Dans les ouvrages sur la théorie juridique en Perse, il est communément écrit
que les affaires criminelles sont du ressort des tribunaux religieux et les
affaires de droit civil, de celui des tribunaux séculiers. En pratique, toutefois,
une distinction aussi nette n'existe pas: les fonctions et prérogatives des
bancs de magistrats varient selon les époques et semblent être affaire de hasard
ou de choix, plutôt que de nécessité; à l'heure actuelle, bien que les affaires
criminelles particulièrement ardues puissent être soumises aux tribunaux religieux,
ces derniers ont à traiter principalement des affaires de droit civil.
Les cas d'hérésie ou de sacrilège leur sont tout naturellement soumis, et ces
tribunaux ont également connaissance des cas d'adultère et de divorce; l'ivresse
en tant que délit, non contre le droit coutumier (en fait, si c'était une affaire
de précédent, l'insobriété pourrait présenter, en Perse, les plus hautes justifications),
mais contre le Qur'an, tombe sous le coup de leur jugement... .
"Du shar', je passe à 1' 'urf, ou droit coutumier. En principe, ce dernier s'appuie
sur la tradition orale, sur les précédents et sur la coutume. En tant que tel,
il varie selon les régions du pays mais, comme il n'existe aucun code écrit
ou reconnu, 1' 'urf varie encore davantage en pratique, selon le caractère ou
les caprices de celui qui l'administre...
Les administrateurs de 1' 'urf sont les magistrats civils à travers le royaume,
car il n'y a pas de tribunaux séculiers ni de bancs de magistrats comme dans
les pays occidentaux. Dans un village, l'affaire sera portée devant le kad-khuda
ou chef de village et, dans une ville, devant le darughih ou magistrat de police.
Ils ont à connaître de tous les délits mineurs qui, en Angleterre, intéressent
un tribunal de police urbaine ou un banc de magistrats ruraux. Le châtiment,
en cas de larcin, d'agression, etc. est, en règle générale, la restitution,
en nature ou en espèces; si l'indigence rend impossible cette procédure, le
prévenu est copieusement battu. Toutes les affaires criminelles ordinaires sont
soumises au hakim, ou gouverneur général. L'ultime Cour d'appel, dans chaque
cas, est le souverain, et ces exercices de juridiction subordonnés ne sont qu'une
délégation de l'autorité souveraine du monarque, bien qu'il soit rare qu'un
requérant tant soit peu éloigné de la capitale puisse faire entendre sa plainte
aussi loin.
... La justice, rendue de cette manière par les officiels du gouvernement de
Perse, n'obéit à aucune loi et ne se conforme à aucun système. La publicité
est la seule garantie d'équité, mais grandes sont les possibilités de pishkash
et de corruption, en particulier aux échelons inférieurs. Les darughih ont la
réputation d'être à la fois sévères et vénaux, et certains vont jusqu'à dire
qu'il n'est pas de sentence officielle en Perse, même au plus haut niveau, qui
ne puisse être influencée par une considération d'ordre pécuniaire."
(Extraits de l'ouvrage de Lord Curzon intitulé "Persia and the Persian Question",
vol. I, pp. 452 - 55.)
Glossaire
'Aba: Manteau.
Adhan: Appel à la prière dans l'Islam.
A.H.: "Après l'hégire". Date de la fuite de Muhammad de La Mecque à Médine,
et fondement de la chronologie musulmane.
Akbar: "Plus grand"
Amir: "Seigneur", prince", commandeur", "gouverneur
Aqa: "Maître". Titre conféré par Baha'u'llah à 'Abdu'l-Baha.
A'zam: "Le plus grand".
Bab: "Porte". Titre assumé par Mirza 'Ali-Muhammad après la déclaration
de sa mission a Shiraz en mai 1844 ap. J-C.
Baha: Gloire", "splendeur". Titre par lequel est désigné Baha'u'llah
(Mirza Husayn-'Ali).
Baqiyyatu'llah: "Vestige de Dieu". Titre appliqué à la fois au Bab et
à Baha'u'llah.
Bayan: "Déclaration". Titre donné par le Bab à sa révélation, en particulier
à ses livres.
Big: Titre honoraire, inférieur à celui de khan.
Caravansérail: Une auberge destinée aux caravanes.
Darughih: "Commissaire de police".
Dawlih: "Etat", "gouvernement".
Farman: "Ordre", "décret royal".
Farrash: Valet", laquais".
Farrash-bashi: Le farrash en chef.
Farsakh: Unité de mesure. Sa longueur diffère, dans les différentes régions
du pays, selon la nature du sol, l'interprétation locale du terme étant la distance
parcourue en une heure par une mule bâtée, distance qui varie de trois à quatre
milles (ou de 4,8 km à 6,4 km). Forme arabisée du vieux perse "parsang", que
l'on suppose tirer son origine de pierres (sang) disposées sur le bord de la
route.
Haji: Musulman qui a fait le pèlerinage à La Mecque.
Howdah: Litière portée par un chameau, une mule, un cheval ou un éléphant,
et utilisée lors de voyages.
Il: "Clan"
Imam: Titre des douze successeurs shi'ahs de Muhammad. Titre s'appliquant
également à des chefs religieux musulmans.
Imam-Jum'ih: Le principal imam d'une ville ou d'une cité; le chef des
mullas.
Imam-Zadih: Le descendant d'un imam, ou son tombeau.
Jubbih: Long manteau.
Ka'bih: Temple ancien à La Mecque. Actuellement reconnu comme le temple
le plus sacré de l'Islam.
Kad-Khuda: Chef d'un quartier ou d'une paroisse dans une ville; chef
de village.
Kalantar: "Maire".
Kalim: "Orateur".
Karbila'i: Musulman qui a fait le pèlerinage à Karbila.
Khan: "Prince", seigneur", noble", "chef" (de clan, de tribu).
Kulah: Chapeau en peau d'agneau porté par les fonctionnaires et les civils.
Madrisih: collège religieux.
Man-Yuzhiruhu'llah: Celui que Dieu rendra manifeste". Titre donné par
le Bab au Promis.
Mashhadi: Musulman qui a fait le pèlerinage à Mashhad.
Masjid: Mosquée.
Maydan: Subdivision d'un farsakh. Une place (dans une ville).
Mihdi: Titre de la Manifestation attendue par l'Islam.
Mihrab: Niche pratiquée dans le mur d'une mosquée et indiquant la direction
de La Mecque; c'est la que l'imam conduit la prière.
Mi'raj: "Ascension"; terme employé pour désigner la montée au ciel de
Muhammad.
Mirza: Contraction du terme Amir-Zadih, signifiant "fils d'amir". Placé
après un nom propre, signifie prince"; en préfixe à un nom, signifie simplement
"Monsieur".
Mu'adhdhin: Celui qui lance l'adhan, l'appel à la prière (voir plus haut).
Mujtahid: Docteur de la loi islamique. La plupart des mujtahids de Perse
ont obtenu leurs diplômes auprès des plus éminents juristes de Karbila et de
Najaf.
Mulla: Religieux shi'ah.
Mustaghath: "Celui qui est invoqué"; la valeur numérique de ce terme
a été désignée par le Bab comme limite du temps fixé pour l'avènement de la
Manifestation promise.
Nabil: "Noble", "distingué".
Naw-Ruz: "Nouveau Jour". Nom sous lequel on désigne le premier jour de
l'année baha'ie; c'est, selon le calendrier persan, le jour où le Soleil entre
dans le Bélier.
Nuq'ih: "Point"
Pahlavan: "Athlète", "champion". Terme employé pour désigner des hommes
courageux et musclés.
Qadi: Juge (en droit civil, criminel et religieux).
Qa'im: "Celui qui apparaîtra". Titre désignant le Promis de l'Islam.
Qalyan: La pipe à eau.
Qiblih: Direction dans laquelle se tournent les fidèles pour prier; spécialement
La Mecque, le qiblih de tous les Musulmans.
Qurban: "Sacrifice".
Sahibu'z-Zaman: "Seigneur de l'Age". L'un des titres du Qa'im promis.
Shahid: "Martyr". Forme du pluriel: "Shuhada".
Shaykhu'l-Islam: Chef d'un tribunal religieux désigné par le shah dans
les grandes villes.
Siyyid: Descendant du prophète Muhammad.
Surih: Nom des différents chapitres du Qur'an.
Tuman: Somme d'argent valant dix riyals.
Vali-'Ahd: "Héritier du trône".
Zadih: "Fils".