La chronique de Nabil
Nabil-i-A'zam


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CHAPITRE XI : le séjour du Bab à Kashan

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La veille de l'arrivée du Bab à Kashan, Haji Mirza Jani, surnommé Parpa, habitant bien connu de cette ville, vit en rêve, qu'il se tenait à une heure très avancée de l'après-midi devant la porte d'`Attar, l'une des portes de la cité, lorsque soudain il vit le Bab à cheval et portant, au lieu de son turban habituel, le kulah (11.1) que portent généralement les marchands de la Perse. Devant, ainsi que derrière lui, s'avançaient quelques cavaliers à la garde desquels il semblait avoir été confié. Comme il approchait de la porte, le Bab le salua et dit: "Nous serons votre hôte durant trois nuits. Préparez-vous à nous recevoir."

Lorsqu'il se réveilla, le caractère vivace de son rêve le persuada de la réalité de sa vision. Cette apparition soudaine constituait à ses yeux un avertissement providentiel dont il estimait devoir tenir compte. Il se mit par conséquent à préparer sa maison en vue de la réception du visiteur, et à pourvoir à tout ce qui serait nécessaire à son confort. Dès qu'il eut achevé les arrangements préliminaires au banquet qu'il avait décidé d'offrir au Bab cette nuit-là, Haji Mirza Jani se rendit à la porte d'`Attar et y attendit les signes de l'arrivée espérée du Bab. A l'heure fixée, alors qu'il scrutait l'horizon, il distingua au loin quelque chose ressemblant à un groupe de cavaliers qui s'approchaient de la porte de la ville. Comme il se précipitait à leur rencontre, ses yeux reconnurent le Bab entouré de son escorte, portant les mêmes habits que la nuit précédente dans son rêve.

PHOTO: vue de Kashan

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Haji Mirza Jani s'approcha tout heureux du Bab et se courba pour baiser ses étriers. Le Bab l'en empêcha en disant: "Nous serons votre hôte pendant trois nuits. Demain c'est le jour de Naw-Ruz, nous le célébrerons ensemble chez vous." Muhammad Big, qui se trouvait près du Bab, pensa que celui-ci connaissait intimement Haji Mirza Jani. Se tournant vers ce dernier, il dit: "Je suis prêt à me conformer aux désirs du Siyyid-i-Bab. Je vous demanderai cependant d'obtenir l'approbation de mon collègue, qui partage avec moi la charge de conduire le Siyyid-i-Bab à Tihran". Haji Mirza Jani soumit sa requête et se heurta à un refus catégorique. "Je décline votre suggestion", lui dit-il. "J'ai reçu l'ordre formel d'empêcher ce jeune homme d'entrer dans une ville avant son arrivée dans la capitale. J'ai l'obligation, en particulier, de passer la nuit en dehors des murs de la ville, d'arrêter ma marche au coucher du soleil et de la reprendre le jour suivant à l'aube. Je ne puis passer outre aux ordres qui m'ont été donnés." Ceci donna lieu à une vive altercation qui se termina finalement à l'avantage de Muhammad Big; celui-ci réussit à persuader son adversaire de laisser le Bab à la garde de Haji Mirza Jani à la condition formelle qu'au troisième jour, ce dernier leur livrât son hôte sain et sauf.

PHOTO: vue 1 de la porte d'Attar à Kashan

PHOTO: vue 2 de la porte d'Attar à Kashan

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Haji MirzaJani, qui avait l'intention d'inviter chez lui toute l'escorte du Bab renonça à son projet, suivant en cela les conseils du Bab. "Personne à part vous, lui dit ce dernier, ne doit m'accompagner chez vous." Haji Mirza Jani demanda la permission de payer les frais du séjour de trois jours des cavaliers à Kashan. "C'est inutile, observa le Bab; rien, sinon ma volonté, n'aurait pu les inciter à me laisser entre vos mains. Toutes choses sont prisonnières de la main de sa puissance. Rien ne Lui est impossible. Il dissipe toutes les difficultés et franchit tous les obstacles." Les cavaliers furent logés dans un caravansérail situé dans le voisinage immédiat de la porte de la ville. Muhammad Big, suivant les instructions du Bab, accompagna celui-ci jusqu'au moment où ils furent à proximité de la maison de Haji Mirza Jani. S'étant assuré de la situation véritable de la maison, il repartit rejoindre ses compagnons.

La nuit où le Bab arriva à Kashan coïncidait avec la veille du troisième Naw-Ruz après la déclaration de sa mission, qui tombait le deuxième jour du mois de rabi'u'th-thini de l'an 1263 après l'hégire. (11.2) Cette même nuit, Siyyid Husayn-i-Yazdi, qui était venu à Kashan quelques jours auparavant suivant les directives du Bab, fut invité chez Haji Mirza Jani et introduit en présence de son maître. Au moment où le Bab lui dictait une tablette en l'honneur de son hôte, arriva un ami de ce demie un certain Siyyid 'Abdu'l-Baqi, connu à Kashan pour son savoir. Le Bab l'invita à entrer, lui permit d'entendre les versets qu'il révélait, mais refusa de dévoiler sa propre identité. Dans les derniers passages de la tablette qu'il adressait à Haji Mirza Jani, il priait en sa faveur, suppliait le Tout-Puissant d'éclairer son coeur de la lumière de divine connaissance, et de délier sa langue afin qu'il serve et proclame sa cause. Bien qu'il n'eût pas fréquenté d'école et qu'il fût illettré, Haji Mirza Jani devint capable, par la vertu de cette prière, d'impressionner par son discours même les théologiens les plus éminents de Kashan. Il fut doué d'un pouvoir tel qu'il put désormais réduire au silence tout vain simulateur qui osait défier les préceptes de sa foi. Même le hautain et arrogant Mulla Ja'far-i-Naraqi fut impuissant, en dépit de sa parfaite éloquence, à résister à la force de son argumentation, et dut reconnaître publiquement les mérites de la cause de son adversaire bien que, dans son coeur, il refusât de croire en la vérité de celle-ci.

Siyyid 'Abdu'l-Baqi s'assit et écouta le Bab. Il entendit sa voix, observa ses mouvements, regarda l'expression de son visage et nota les paroles qui jaillissaient sans cesse de ses lèvres, et pourtant ne fut pas touché par leur majesté et leur pouvoir.

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PHOTO: vue 1 de la maison de Haji Mirza Jani à Kashan, montrant la chambre où résida le Bab

PHOTO: vue 2 de la maison de Haji Mirza Jani à Kashan, montrant la chambre où résida le Bab

PHOTO: vue 3 de la maison de Haji Mirza Jani à Kashan, montrant la chambre où résida le Bab

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Enveloppé des voiles de sa propre imagination et de son propre savoir, il fut incapable d'apprécier la signification des paroles du Bab. Il ne prit même pas la peine de s'informer du nom ou du caractère de l'hôte auprès duquel il avait été introduit. Indifférent aux choses qu'il avait entendues et vues, il se retira, inconscient qu'il était de l'occasion unique que, par son apathie, il venait de perdre. Quelques jours plus tard, lorsqu'on l'informa du nom du jeune homme qu'il avait traité avec une telle indifférence, il fut saisi de chagrin et de remords. Il était, toutefois, trop tard pour lui de chercher à le rencontrer et de s'excuser pour sa conduite, car le Bab avait déjà quitté Kashan. Dans son chagrin, il abandonna la société et mena, jusqu'à la fin de ses jours, une vie de retraite monotone.

Parmi ceux qui eurent le privilège de rencontrer le Bab chez Haji Mirza Jani, il y eut un certain Mihdi qui devait par la suite, en l'an 1268 après l'hégire, (11.3) subir le martyre à Tihran. Il fut, ainsi que d'autres personnes, affectueusement reçu durant ces trois jours par Haji Mirzi Jani, dont la généreuse hospitalité lui valut la louange et l'éloge de son maître. Même envers les membres de l'escorte du Bab, cet homme fit preuve de la m me bonté; sa libéralité et le charme de ses manières lui valurent leur éternelle gratitude. Au matin du deuxième jour après Naw-Ruz, fidèle à sa promesse, il remit le prisonnier aux mains des cavaliers et, d'un coeur débordant de tristesse, lui adressa un ultime et émouvant adieu.



NOTE DU CHAPITRE 11:

(11.1) Voir glossaire.

(11.2) 1847 ap. J-C

(11.3) 1851-2 ap. J-C


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