Médiathèque baha'ie

Parcours de croyants
Biographie de Lucienne MIGETTE
par son amie et historienne Lucrèce Reynaud

Retour à la bibliothèque


Lucienne Migette est née le 6 novembre 1903 et, dès sa majorité en 1924, elle vint vivre définitivement en France et s'installa à Lyon.

Elle avait vécu toute sa jeunesse en Afrique où son père était un haut fonctionnaire de l'ancienne France d'Outre-Mer. Durant cette période sa mère lui avait fait vivre une adolescence extrêmement pénible, n'accordant à Lucienne aucune liberté pour fréquenter ses camarades de classe et encore moins de les recevoir. Elle vivait recluse dans sa chambre de jeune fille en laquelle elle ne pouvait que lire, lire, et encore lire, tous les livres possibles.

Dès sa majorité, en 1924, elle vint en France et s'installa à Lyon où elle fit une première carrière de danseuse à l'Opéra, puis, par contraste à cette vocation, elle devint ingénieur chimiste, parfaitement bilingue anglais-français.

Ce fut à Lyon, à partir de 1934, que Lucienne Migette se manifesta dans l'histoire de notre Foi.
Dans le Baha'i World, tome VII (1936-1938) pages 646-651 (disponible au Centre National des Baha'is de France), on trouve un article de Lucienne Migette intitulé: "L'importance de l'idée spirituelle dans la vie actuelle". Ce texte, antérieur à 1936, nous présente une stupéfiante anticipation des événements de la dernière décade de notre siècle.

Rappelons que le livre sur le même thème du Gardien "Vers l'apogée de la race humaine", a été publié en français en 1936.

Le trimestriel "Objectifs" de mars 1993 publie, entre autre, un message de l'ASN sur Lucienne Migette, riche en informations; nous y trouvons notamment que c'est le 16 avril 1936, à Lyon, au cours d'une réunion espérantiste présidée par Lydia Zamenhof (la fille du fondateur de l'Espéranto), que Lucienne entendit parler pour la première fois publiquement de la Foi Baha'ie.

En 1940, la première Assemblée Spirituelle Locale de Lyon fut formée. En 1941, Lucienne avait déjà commencé le travail de traduction.

Après la guerre Lucienne Migette est élue membre de l'ASL de Paris, assemblée mère de la communauté française jusqu'à l'élection de l'ASN en 1958. Elle sera membre de cette dernière jusqu'en 1965, date à laquelle elle est nommée membre du Corps Auxiliaire pour la protection de la Foi.

En 1974 j'avais déjà aperçu Lucienne Migette quelques fois au Centre National; elle m'était apparue comme une personne vive et gaie. Un peu plus tard, nous sommes devenues amies jusqu'à son décès en 1983. On se voyait chez l'une ou chez l'autre, on s'écrivait et on se téléphonait. J'ai gardé précieusement notre correspondance. Et Lucienne étant surchargée par ses propres travaux, elle a trouvé le temps de me conseiller dans l'écriture d'un travail que j'avais moi-même en cours.

Je suis allée régulièrement la voir chez elle et c'est ainsi qu'un jour elle m'a montré une liasse de lettres (un peu plus d'une vingtaine) et m'a révélé avec émotion que ces lettres lui avaient été envoyées par Shoghi Effendi. Puis elle m'en montra une qui la touchait tout particulièrement et qu'elle a bien voulu me lire en la traduisant en français au fur et à mesure. Notre émotion était réciproque et j'ai osé lui demander la permission d'en garder une certaine page, vous allez comprendre pourquoi:

Après la première élection de la Maison Universelle de Justice en 1963, Lucienne lui avait offert les lettres originales en en gardant les photocopies. Le paquet de ces photocopies est précieusement conservé au Centre National des Baha'is de France.

Voici donc le texte en question, de la main même du Gardien:
"Chère et précieuse collaboratrice,
Les nouvelles de vos travaux engagés et continus, en ces jours de tension et d'épreuves, réjouissent mon coeur et me fortifient dans ma tâche.
Vous êtes réellement un pilier de Sa Foi au tréfonds même de votre cher pays, et le travail en lequel vous êtes vouée avec tant de ferveur est digne du plus haut éloge.
Il produira, en temps voulu, une abondante moisson. Soyez-en sûre, heureuse et reconnaissante. "

(traduction de l'anglais : " Dear and valuable co-worker, The news of your constant and devoted labours in these days of stress and trial rejoice my heart and fortify me in my task. You are indeed a pillar of his Faith in the midmost heart of your beloved country, and the work in which you are devotedly engaged is worthy of the highest praise. It will in time yield an abundant harvest. Be sure, happy and thankful.")

Lucienne fait penser à une libellule qui volette et se pose alors qu'en vérité elle était un roc de discipline et de travail. Sa foi intense était aussi très stimulante.

De taille moyenne, mince, d'un aspect fragile, ses beaux yeux gris-bleus percevaient tout autour d'elle. Elle portait gaiement ses cheveux gris, coupés à la Jeanne d'Arc avec la frange sur le front et un très léger maquillage; sa marche était souple et vive, tous ses mouvements harmonieux.

Tout en elle était contrasté: de l'ancienne danseuse elle avait conservé la grâce, et de l'ingénieur-chimiste la rigueur scientifique qu'elle appliquait à tous ses travaux baha'is.

Sa sévérité égalait sa générosité. Sa charmante petite voiture rouge vif faisait partie de ce personnage.
Ce fut à elle que l'on confia la révision de: "Extraits des Ecrits de Baha'u'llah", livre qui avait été traduit au début de ce siècle par Hypolite Dreyfus, le tout premier baha'i français. Elle a également révisé: "Les Paroles Cachées" et "Les Sept Vallées". C'est elle encore qui traduisit: "Dieu Passe près de nous", le livre de Shoghi Effendi et qui en révisa sa propre traduction (entre bien d'autres travaux de toutes sortes).
Six cartons de ses archives sont conservés au Centre National. Il faut aussi citer son propre livre: "Le Cycle de l'Unité".

Lucienne Migette a continué ses travaux de révision ou de traduction auxquels elle s'est consacrée et qu'elle a menés à bien jusqu'au bout.

Entre les années 1974 où je l'avais connue et le 7 août 1983 où nous avons eu la douleur de la perdre, sa santé déjà fragile n'avait cessé de s'aggraver et, jusqu'aux jours qui précédèrent son hospitalisation, elle ne s'était pas arrêtée de travailler. Je fus prévenue par un ami baha'i de l'hôpital ou elle se trouvait et je la revis encore courageuse et pleine d'humour.

Peu après elle fut transférée dans une clinique privée dans le XVIème arrondissement et y mourut le 7 août 1983, dans une pénible chaleur caniculaire. Au cours d'une des quelques visites que je lui ai faites, une des malades me demanda si j'étais sa soeur et je lui expliquai que j'étais l'amie d'une très grande croyante dont les travaux étaient de la plus haute importance religieuse.

Le ton de la pitié pour la pauvre agonisante avait fait place à l'expression d'un grand respect. "Est-elle chrétienne ?" me demanda-t-on (la clinique était très catholique), "non" répondis-je, elle est baha'ie. "Baha'ie c'est quoi ?" et moi je lançais alors le nom de Baha'u'llah et, en quelques mots notre profession de foi.
Lucienne s'éteignit peu après, dans la considération de ces dames.

Je n'étais pas auprès d'elle lorsqu'elle mourut et d'autres amis baha'is firent le nécessaire. J'avais été obligée de partir dans le midi de la France où je fis un rêve qui sera ma conclusion:

"Pas le matin du décès, mais le matin de ses funérailles dans le cimetière d'Ivry, j'ai rêvé que je me trouvais dans ce cimetière, m'approchant de la fosse ouverte près de laquelle quelques amis baha'is attendaient le convoi qui arriva bientôt.

La cérémonie baha'ie se déroula normalement, mais à l'instant où l'on descendit le cercueil je vis apparaître soudainement neuf femmes très belles, dont huit étaient de taille moyenne et la neuvième plus grande. Elles étaient toutes vêtues à la grecque antique de longs voiles bleus et roses et étaient coiffées d'une immense couronne de laurier d'un vert ardent. La plus grande se tenait en haut de la tombe et les autres se groupèrent par quatre à droite et à gauche. Elles restèrent immobiles dans leurs voiles jusqu'à ce que la terre eut enseveli le cercueil et ma vision les vit lentement disparaître.

Je sortis alors de mon sommeil, profondément bouleversée car je comprenais que j'avais vu le Comité d'Accueil de Lucienne Migette entrant dans la gloire de Dieu."

Retour à la bibliothèque