4. INCARCERATION
Alors qu'ils l'ignoraient à ce moment-là, Mona et son père faisaient partie des
premiers 40 Baha'is originaires de Shiraz, parmi lesquels figuraient 6 femmes
qui furent arrêtés au cours de la nuit ou quelques jours plus tard. Après leur
arrestation, le père et sa fille furent conduits à la maison d'arrêt de Seppah,
les yeux bandés, puis dirigés vers des quartiers séparés. On remit à Mona un morceau
de papier qu'elle devait tenir (nota : une consigne écrite qui indique à la gardienne
que la prisonnière Baha'ie est impure et ne peut être touchée), puis on lui fit
traverser un long couloir au bout duquel on lui ôta son bandeau.
Elle aperçut plus de quarante femmes entassées dans une pièce sombre. Tandis que
ses yeux accrochaient un rayon de lumière, elle aperçut des barres métalliques
aux fenêtres de la cellule. L'endroit était humide et peu aéré. Comme Mona fut
la première femme Baha'ie conduite en prison, elle se sentit seule et ne connaissait
personne dans la pièce. La gardienne qui l'introduisit lui demanda quel était
l'objet de son délit et Mona lui répondit qu'elle était Baha'ie. La femme lui
remit alors deux couvertures et lui indiqua un espace restreint où elle pourrait
dormir. La cellule était tellement bondée que les prisonnières devaient néanmoins
se coucher recroquevillées.
Voici le récit que Mona confia à une prisonnière sur ce qui se passa ensuite :
" Je ne connaissais personne et n'avais aucune nouvelle de mon père. Je me recueillis
en silence et louai Dieu. J'avais à l'esprit le visage tourmenté de ma mère et
je priais pour qu'elle retrouve son sang froid et qu'elle puisse faire preuve
de fermeté ainsi que mon père. Je décidais de m'endormir comme les autres et d'attendre
de voir ce que la Beauté Bénie me réservait.
Allongée, j'étais profondément plongée dans mes pensées lorsque subitement la
porte s'ouvrit et qu'une femme fut introduite. On la conduisit les yeux bandés,
tout comme moi, et parce qu'on la savait Baha'ie elle fut placée à mes côtés.
Quelques instants plus tard, une autre femme fut conduite à notre cellule. Elle
souffrait d'atroces migraines et réclama ses comprimés, mais personne ne lui prêta
attention. Il s'agissait de Madame Tuba Zairpour (nota : elle fut exécutée à Shiraz
le 12 mars 1983 en même temps que le père de Mona et que Monsieur Rahmatu'llah
Vafa'i) ; je ne pus la reconnaître dans l'obscurité mais sa voix m'était très
familière. Soudain, Madame Za'irpour s'exclama : " Mona, est-ce bien toi ? Que
fais-tu ici ? O mon Dieu, ils t'ont également arrêtée ! ".
Plus tard, Mona raconta qu'elle fut grandement soulagée lorsqu'elle reconnut Madame
Za'irpour.
Cependant, bien que Mona fut séparée des siens, elle s'adapta rapidement auprès
d'une nouvelle famille. En effet, elle avoua que toutes les dames d'un certain
âge représentaient ses mères et ses tantes tandis que les plus jeunes étaient
considérées comme ses soeurs et ses cousines.
Bien que Mona fut la cadette de la prison, ce fut elle qui le plus souvent réconfortait
les autres prisonnières et les aidait à rester vigilantes pendant les phases d'incarcération
et la série des interrogatoires.
La cellule était affreusement surchargée et dépourvue de sanitaires ; il n'existait
que deux douches pour un total de 80 à 90 femmes. Une compagne de cellule décrivit
la manière avec laquelle au début on distribua une assiette de soupe pour trois
femmes qui devaient se débrouiller pour la manger avec leurs mains. Encore pire
que les restrictions physiques, les gardiennes empêchaient les Baha'ies de prier.
4.1. Les tout premiers jours de détention
Les tout premiers jours en prison représentaient une expérience bien plus douloureuse
pour les familles à l'extérieur que pour les prisonniers eux-mêmes, lesquels furent
photographiés dès le deuxième jour de leur arrestation puis après coup livrés
à eux-mêmes.
Cependant, les familles respectives ne furent pas tenu informées du sort réservé
aux prisonniers et on leur refusait la permission d'aller leur rendre visite.
Tous les jours la mère de Mona et sa soeur se rendaient à la prison en sollicitant
un permis de visite de quelques minutes pour voir Mona et son père. En dépit d'incessantes
insultes dont les autorités carcérales les affligeaient, elles n'abandonnèrent
jamais leur démarche ; bien au contraire, elles encourageaient les autres familles
Baha'ies qui avaient également des proches incarcérés à persister dans leur demande.
Taraneh confia : " Nous sommes prêtes à affronter n'importe quelle situation,
mais jamais nous ne baisserons les bras. Nous montrerons une force de caractère
telle que même si les autorités devaient nous livrer uniquement les corps des
nôtres, nous continuerons à afficher un sourire sur nos visages de sorte que les
responsables finiront par se rendre compte de leur faiblesse ".
Pourtant, après toute une semaine de négociations vaines auprès des autorités
carcérales, la mère de Mona finit par perdre son sang-froid. Elle déclara : "
J'étais assise près de ma fenêtre. Je n'avais aucune nouvelle de ma fille Mona.
Je me suis rendue à la prison de Seppah tant de fois et jamais on ne m'a accordé
un droit de visite. Quand j'apercevais les gens circuler librement dans les rues,
les larmes inondaient mon visage et à haute voix j'implorais : - Oh Beauté Bénie,
je veux mon enfant. Je veux que Tu me la rende. Je n'ai aucune nouvelle d'elle.
Oh je T'en supplies Beauté Bénie, je veux mon enfant ! -
Je levais les yeux vers le ciel et dis - tous les oiseaux sont libres. Mon petit
oiseau lui est en cage -. Je passais cette journée noyée dans mes larmes ".
Le lendemain, le 31 octobre, la mère de Mona obtint la permission de voir sa fille
mais pas son époux. Celui-ci semblait avoir été victime de tortures si atroces
que les autorités craignaient qu'il soit découvert dans cet état.
La mère de Mona et sa soeur furent conduites au parloir de Seppah vers une heure
de l'après- midi et elles durent attendre pendant six heures consécutives avant
que les prisonnières ne furent amenées dans une pièce annexe pour recevoir leurs
visiteurs. Elles étaient séparées par une vitre murale épaisse à travers laquelle
elles ne pouvaient communiquer avec leurs interlocutrices que par le langage des
signes.
" Nous étions assises de l'autre côté de la vitre, rapporte la mère de Mona, je
regardais les prisonnières et fondis en larmes. Mona me fit comprendre que je
ne devais pas pleurer. J'essuyais alors rapidement mes larmes. Je ne pouvais pas
lui dire, à mon bel oiseau, que mes larmes exprimaient ma joie de la voir enfin
".
4.2. Les interrogatoires tenus à la prison de Seppah
L'usage veut que les prisonniers Baha'is soient soumis à une série d'interrogatoires
dirigés en quatre étapes dont l'issue finale vise à accorder soit la relaxation
soit de prononcer l'exécution. La première phase consiste à soumettre une suite
de questions formelles posées par un juge islamique lequel est nommé par le Procureur
de la République.
Les interrogatoires, qui duraient pendant des heures, se tenaient souvent en présence
de plusieurs prisonniers, mais parfois aussi ils avaient lieu individuellement.
Les gardiens révolutionnaires portaient en permanence des cagoules tandis que
les prisonniers avaient les yeux bandés, assis face à un mur.
A chaque phase la victime devait subir des injures verbales puis on l'harcelait
avec les mêmes questions. Généralement, on leur demandait de noter les réponses
par écrit car la majorité des gardes étaient analphabètes alors que les prisonniers
Baha'is étaient instruits.
Les questionneurs exigeaient que les prévenus leur fournissent les noms et adresses
ainsi que les numéros de téléphone de tous les Baha'is résidant dans une certaine
ville, ensuite les coordonnées de ceux qui vivent dans toutes les villes d'Iran
et aussi dans le monde entier (nota : le chiffre s'élève approximativement à 3
millions ; NDT: statistiques estimés en 1985). A chaque période de l'enquête,
on demandait aux détenus de renier leur Foi Baha'ie pour devenir musulmans.
A un stade critique, le mulla dit à Mona : " Si seulement vous reconnaissiez que
vous n'êtes pas des Baha'is, vous et votre père, vous seriez relâchés en un rien
de temps. Mais si vous persistez dans votre entêtement, je veillerais personnellement
à ce que vous soyez exécutés ".
Mona lui répondit : " Je suis Baha'ie et jamais je ne démentirais ce fait ".
La seconde étape de l'interrogatoire se passait dans l'enceinte du tribunal révolutionnaire.
Celle-ci était conduite par l'assistant du Procureur de la République. Cette phase
pouvait également durer plusieurs heures mais elle ne pouvait pas s'étendre au-delà
d'une journée.
Le dernier et bref interrogatoire avait lieu en présence d'un juge révolutionnaire
islamique et quelquefois durait moins d'une heure.
A l'issue de toutes les étapes de l'interrogatoire, il n'y avait pas de délibération
prévue avant de prononcer la condamnation. Cela pouvait prendre des semaines,
des mois et même davantage. Cependant, à chaque phase et avant l'exécution de
tout Baha'i, au cours de nombreuses opportunités offertes par les autorités, on
tentait par des moyens de pression à la fois physiques et psychologiques de déstabiliser
le détenu pour le forcer à renier sa religion.
Les Baha'is arrêtés à Shiraz étaient en premier lieu emmener à la prison de Seppah
où ils devaient subir la première étape de l'interrogatoire en fin de semaine.
Mona, qui croyait subir la première session des questions, fut conduite au sous-sol
pour apercevoir son père brièvement, alors qu'il avait été torturé. Il lui demanda
de répondre à toutes les questions ouvertement avec la plus grande sincérité en
expliquant clairement ce qu'enseigne la Foi Baha'ie. Après cette entrevue furtive
avec son père, elle fut ramenée à sa cellule.
Le matin suivant, correspondant au sixième jour d'incarcération de Mona, et marquait
le début du cycle de l'interrogatoire auquel l'inculpée devait faire face. Celle-ci
n'aimait pas s'étendre sur le temps écoulé en prison ni faire allusion au contenu
de l'enquête dont elle était l'objet parce que cela résonnait dans son esprit
comme une impression " d'être acculée au banc des accusés et de devoir répondre
à des questions désagréables ou déplacées ".
Lorsque Mona vit pour la première fois sa mère et sa soeur après avoir été incarcérée,
elle fut au préalable interrogée depuis une heure de l'après-midi jusqu'à trois
heures du matin suivant avec une brève pause accordée à sept heures du soir.
Voici son propre récit relatant la première session à laquelle elle fut soumise
et qu'elle confia à une co-détenue :
" Le lendemain mes phases d'interrogatoires démarrèrent. Les questions qu'on m'avait
posées étaient les suivantes : - Quelle est votre religion ? En quoi croyez-vous
? Etes-vous née dans une famille Baha'ie ?
Date et lieu de naissance. Nom du lycée où vous suivez vos cours et en quelle
classe. Avez-vous enseigné dans une classe Baha'ie ? Depuis quand êtes-vous devenue
Baha'ie et qui a assisté à votre déclaration ? Quels sont les noms des membres
de l'Assemblée Spirituelle Locale de Shiraz ainsi que ceux de l'Assemblée Spirituelle
Nationale ? Quels sont les activités que vous exercez en qualité de Baha'ie ?
Qui sont les membres des comités Baha'is de Shiraz ? Ecrivez ce que vous savez
sur les dirigeants Baha'is.
Combien de personnes appartenant à la Maison Universelle de Justice (nota : cette
institution représente le corps international élu et dirigeant la communauté mondiale
Baha'ie dont le siège se trouve à Haïfa en Terre Sainte ; ses membres sont issus
de toutes les cultures et nationalités différentes y compris iranienne ; une réalité
qui affecta sérieusement le clergé musulman) sont-elles d'origine iranienne et
quelles sont celles qui ne le sont pas ? Dans ce cas, quelle est leur nationalité
? Quels sont les noms des principales personnalités à l'échelle internationale
et administratives à travers le monde (nota : il y a entre 2 et 3000 représentants
dans le monde, y compris les 9 membres de 148 Assemblées Spirituelles Nationales
; NDT: estimations de 1985) ? Avez-vous déjà été en pèlerinage ? Combien avez-vous
versé au fonds de soutien ?
Quelle est l'identité du responsable de la fête et où se tenait-elle ? Pour qui
avez-vous voté cette année ? Est-ce que vos parents faisaient partie de l'Assemblée
Spirituelle Locale ? Donnez-nous les noms des Baha'is que vous connaissez. Souhaitez-vous
renoncer à votre Foi ? "
" Je répondis à toutes ces questions de façon très franche et ma dernière réponse
était la suivante : - Je suis Baha'ie et jamais je ne renoncerais à ma Foi - Le
questionneur me répliqua : - Si vous refusez d'abandonner votre Foi, nous vous
exécuterons - . Je rétorquais alors - Je préférerais être tuée plutôt que de rejeter
une religion en laquelle je crois ".
Mona précisa que ces sessions commençaient souvent vers 10 heures du matin pour
s'achever vers quatre le lendemain matin. Elle ajouta que les autorités s'imaginaient
qu'à cause de la longueur des séances et le manque de sommeil elle finirait bien
par craquer et par renoncer à sa Foi.
" Au cours de ces heures interminables, rapporte Mona, je priais et sollicitais
Baha'u'llah de bien vouloir me fortifier afin de demeurer ferme tout au long de
ce cauchemar. Ce genre d'interrogatoire se poursuivait pendant plusieurs jours.
Un jour, le mulla me demanda d'écrire un rapport détaillé sur ma vie. L'endroit
où j'étais née et élevée ; les noms des écoles où j'avais étudié et également
de lui rendre compte de mes activités en qualité de Baha'ie. Toutes questions
pour lesquelles je répondis avec la plus grande honnêteté ".
Un autre jour, l'un de ses tous premiers rêves, au cours duquel elle se voyait
torturée et interrogée à cause de ses convictions religieuses, se réalisa. En
songe, elle devait faire face à plusieurs mullas à l'attitude odieuse qui lui
demandèrent de fournir des explications sur l'oeuvre Les Sept Vallées (nota :
l'une des oeuvres mystiques et poétiques, révélées par Baha'u'llah, décrivant
les différentes étapes par lesquelles un chercheur doit passer pour comprendre
Dieu). Elle leur procura une réponse détaillée, mais ils n'en tinrent pas compte.
Un des mullas la sollicita pour qu'elle récite une prière, aussi Mona lui demanda
s'il voulait vraiment en entendre une et celui-ci lui répliqua sur un ton ironique
: " oui ". Puis Mona croisa ses bras, ferma les yeux et commença à prier. Mais
elle fut brutalement interrompue par le fou rire sarcastique du Mulla.
4.3. La torture des prisonniers
En plus des frustrations affectives et physiques, de la séparation qui les tenaient
éloignés des membres de leurs familles et le droit au sommeil ou même à la prière
qui leur étaient refusés ; on exigeait des prisonniers qu'ils gardent les yeux
bandés pendant des heures pour répondre à de sempiternelles questions. Les cessions
duraient pratiquement toute une semaine et les victimes étaient souvent soumis
à un flot d'interrogations incessantes mais aussi à des injures. Comme l'enquêteur
principal était censé être un juge islamique ou " mulla ", il était assisté parfois
par un second mulla voire un gardien. L'anxiété des prévenus augmentait car avec
les yeux bandés ils ne pouvaient pas savoir combien de personnes se trouvaient
dans la pièce.
Toutes les femmes Baha'ies étaient interrogées selon les mêmes conditions et plusieurs
d'entre elles, à l'exception apparemment de Mona, étaient gravement châtiées.
Les coups qu'on leur administrait étaient donnés en dehors de l'interrogatoire,
ceux-ci étaient livrés au sous-sol de la prison. La punition corporelle traditionnelle
et d'origine islamique, appelée " Bastinado ", consistait à attacher la victime
à une table conçue à cet effet. On lui lacérait la plante des pieds au moyen d'une
tige métallique ou d'un bout de câble électrique. Aussi la prisonnière recevait
un certain nombre de flagellations, puis on lui permettait de reprendre possession
de ses perceptions physiques l'espace d'un instant et la série des coups recommençaient
de plus belle jusqu'à ce que la punition arrive à son terme ou bien jusqu'à ce
que la suppliciée perde connaissance. Lorsque cette dernière retrouvait toute
sa lucidité, alors les coups redoublaient.
Ensuite après la torture, on remettait les inculpées debout et on les faisait
marcher avec leurs pieds écorchés. Bien souvent la douleur physique leur donnait
extrêmement soif et les autorités agitaient avec sadisme un verre d'eau sous leurs
yeux, lequel était hors d'atteinte.
Un certain nombre de femmes Baha'ies d'un âge avancé, probablement parce qu'elles
avaient servi longtemps en qualité de membres au sein des Assemblées Spirituelles
Locales ou bien dans des comités, étaient également violemment brutalisées à travers
leurs chadors. Selon les propos de certains témoins, leurs blessures étaient telles
que l'on ne pouvait guère distinguer l'étoffe qu'elles portaient de leur propre
chair déchiquetée.
5. TRANSFERT A LA PRISON D'ADELABAD
Mona était incarcérée pour une durée de 38 jours à la maison d'arrêt de Seppah
; dans cette prison, elle avait subi des interrogatoires intensifs pendant pratiquement
toute une semaine. Le 29 novembre 1982 avec 5 autres femmes Baha'ies, Mona fut
transférée à la prison d'Adelabad également située à Shiraz. A cette époque, les
autorités islamiques arrêtèrent un autre groupe de 50 Baha'is dont 11 femmes qui
durent se soumettre au même genre d'enquête et ceux-ci furent affectés rapidement
à la prison d'Adelabad afin de grossir les rangs du nombre de prisonniers Baha'is
qui y séjournaient déjà.
La prison d'Adelabad était foncièrement différente de celle de Seppah et nettement
plus insalubre. Elle était composée pour trois tiers de cellules, et chacune d'entre
elles fractionnées en petites unités. Les Baha'is étaient envoyés au troisième
niveau avec trois personnes assignées dans chaque minuscule unité. Souvent la
cellule ne comportait qu'un seul lit aussi deux femmes étaient obligées de dormir
à même le sol. Bien que les femmes Baha'ies étaient regroupées ensemble, elles
avaient le droit de communiquer avec les autres détenues qui résidaient au même
étage. On trouvait parmi celles-ci des prisonnières politiques et d'autres arrêtées
pour des délits qualifiés. Parmi ces femmes, nombreuses étaient toxicomanes et
prostituées.
Comme on pouvait s'y attendre, les autorités carcérales n'avaient informé aucune
des familles de ce transfert. La famille de Mona ne l'apprit qu'une semaine plus
tard au cours d'une visite à la prison de Seppah et dut se précipiter rapidement
vers Adelabad. La mère de Mona fut très peinée lorsqu'elle remarqua que sa fille
était malade parce qu'elle avait attrapé un rhume. Celle-ci avait des larmes aux
yeux mais ne pleura pas. Elle réconforta sa mère en lui disant : " C'est très
confortable ici, comparé à Seppah, cette prison est un palais ! On nous sert le
petit déjeuner, le déjeuner et le dîner ". Elle ajouta qu'elle leur avait adressé
une lettre qui leur était parvenue quelques jours plus tard et qui disait :
" Au nom de Dieu, ma chère famille. A ma mère qui est plus précieuse à mes yeux
que ma propre vie, et à ma tendre soeur. Que puis-je dire et écrire sur la Bonté
Divine qui est si immense et qui est contenue en toute chose créée, même cette
humble servante qui n'est pas digne de Le servir à son seuil ? Mes tendres bien
aimées, si chères à mon coeur et à mon âme, priez pour nous afin que nous soyons
satisfaits de notre sort dans n'importe quelle condition. Nous vous demandons
de ne pas succomber à la douleur et de prier très fort pour nous car nous en avons
besoin ".
Mona s'inquiétait aussi pour son père et demanda à sa mère de lui ramener quelques
couvertures supplémentaires pour le protéger du rhume. Les pensées de Mona allaient
souvent vers Dieu ou vers ses compagnes de cellules, rarement pour elle-même.
5.1. La deuxième étape de l'interrogatoire
Mona fut réveillée à 4 heures du matin et emmenée en voiture jusqu'au lieu de
l'interrogatoire où elle arriva 1 heure plus tard. La séance dura presque toute
la journée. Elle fut soumise aux mêmes genres de questions que celles qui lui
avaient été préalablement posées à la prison de Seppah et qui portaient sur ses
convictions religieuses.
" Je leur répondis que je croyais en Dieu et à tous ses messagers qui avaient
révélé un livre sacré et que nous autres Baha'is les considérions tous comme les
prophètes de Dieu. L'assistant du Procureur de la République proclama : " Vous
êtes accusée d'appartenir au mouvement sioniste lequel n'est autre qu'une organisation
d'espionnage ". En réponse, je lui répliquais que les Baha'is n'ont strictement
rien à voir avec de tels mouvements politiques . " En aucun cas, l'état d'Israël,
qui fut crée il y a 35 ans, ne peut avoir un quelconque rapport avec la Foi Baha'ie
qui fut fondée il y a 139 ans déjà. La différence c'est que nous disposons d'institutions
spirituelles lesquelles n'ont rien affaire avec la politique ". Il me répondit
: " Il ne vous reste qu'une alternative : soit vous renoncez à votre Foi, soit
vous serez exécutée ". Je dis que je préfèrerais être exécutée ".
5.2. La troisième étape de l'interrogatoire
La dernière étape de l'interrogatoire officiel eut lieu quelques jours plus tard.
Mona fut emmenée à nouveau à 5 heures du matin. Cette fois-ci, elle rencontra
le juge révolutionnaire islamique qui instruisit tous les dossiers Baha'is de
Shiraz. Bien que cet interrogatoire auquel elle fut confronté fut le plus court,
par bien des aspects il n'en demeurait pas moins le plus dramatique.
Après l'avoir longuement insultée, le juge lui dit que ses parents l'avaient trompé
et induit en erreur. Il l'accusa de s'être laissée entraîner dans leur sillage
sans qu'elle soit consciente de ses actes. Ce à quoi elle rétorqua :
" Même si une personne est née au sein d'une famille Baha'ie, les principes Baha'is
recommandent et exigent que nous recherchions personnellement la vérité spirituelle
plus tôt que d'adhérer à une idéologie familiale. C'est exactement ce que j'ai
fait. Vous avez entre les mains de nombreux écrits Baha'is, que vous pourriez
consulter et y trouver ce dont je vous parle. Ma famille ne m'a jamais imposé
une identité Baha'ie ni le fait d'accepter ses idées. Si votre Honneur exige que
je renie ma Foi, alors je dois vraiment lui certifier que je ne ferais jamais
une telle chose et que je suis prête à subir l'exécution ".
Le juge était sidéré par sa réponse et réagit vivement en lui déclarant : " Mais
vous n'êtes qu'une enfant ! Comment pouvez-vous connaître réellement le sens du
mot Foi " ?
Mona lui répondit :
" De quelle preuve supplémentaire avez-vous besoin sinon le fait que je fus exclue
de l'école et incarcérée depuis plusieurs mois ? J'ai subi tous ces interrogatoires
au nom de ma religion.
Quelle autre chose, hormis ma Foi, peut me donner la force et le pouvoir de me
tenir debout ici en face de vous et de répondre à vos questions " ?
Ensuite, le juge lui demanda de prier et Mona lui fit remarquer : " Je ne peux
pas faire cela ! ". Le juge s'exclama : " Que voulez-vous dire ?". Et Mona de
lui indiquer : " Vous devez vous asseoir de façon respectueuse avec les mains
croisées sur le buste avant que je ne puisse démarrer ma prière ". Au début le
juge refusa puis après un laps de temps, comme s'il était fasciné par le charisme
de Mona, il se conforma à son désir et elle récita la prière suivante :
" O mon Dieu, rafraîchis et réjouis mon esprit. Purifie mon coeur. Eclaire mes
facultés. Je remets toutes mes affaires entre tes mains. Tu es mon guide et mon
refuge.
Je ne veux pas m'abandonner plus longtemps à la tristesse et au chagrin, je veux
être débordant de joie et de bonheur.
O mon Dieu, je ne veux plus être envahi par l'anxiété ni laisser les tourments
m'accabler. Je ne veux plus m'appesantir sur les ennuis de la vie.
O Dieu, Tu es pour moi un ami plus véritable que je ne le suis moi-même.
Je me consacre à Toi ô Seigneur ".
Lorsque Mona eut terminé de se recueillir, le juge visiblement perplexe lui demanda
:
"Pourquoi ne l'avez-vous pas chantée ? ". Et Mona répondit en ces termes : " Je
ne chante uniquement que lorsque mon coeur est inspiré et quand je suis seule
; et non pas en face de vous ! ". Puis le juge ajouta : " La nuit où votre père
et vous-même aviez été arrêtés, les juges révolutionnaires ont ramené de nombreuses
cassettes contenant vos interprétations. Vous étiez alors accusé d'égarer les
jeunes avec votre voix ravissante et mélodieuse. A présent, je suis convaincu
des charges qui pèsent contre vous. " Mona rétorqua : " Mais Votre Honneur, chanter,
prier, réciter des versets à la gloire de Dieu, est-ce cela commettre un délit
? ".
Le juge insatisfait poursuivit en interrogeant Mona : " Mon enfant, qu'est-ce
qui vous dérange dans l'Islam pour que vous soyez devenue Baha'ie ? ".
Mona lui expliqua :
" Toutes les religions sont issues de la même source. Cependant selon les circonstances
et après une longue période, un nouveau prophète est choisi par Dieu avec la mission
d'éclairer l'Humanité. Combien même vous tentiez de m'imposer la religion musulmane,
sachez que je n'ai absolument rien contre l'Islam. Mais ceux qui l'observent actuellement
ne connaissent rien d'autre que l'assassinat, le terrorisme. J'en veux pour preuve
qu'ici même dans cette prison on en voit des exemples chaque jour. C'est la raison
pour laquelle j'ai décidé de devenir Baha'ie .".
Lorsque de nombreuses camarades prisonnières y compris non Baha'ies eurent vent
du contenu de l'interrogatoire, elles furent consternées et se demandèrent comment
Mona avait eu l'audace de répondre au juge de cette façon. " Comment as-tu osé
raconté cela si ouvertement ? ", s'enquit une camarade. Le franc-parler de Mona
alimenta les sujets de conversations pendant longtemps parmi les détenues.
5.3. Anecdotes se rapportant à Adelabad
Mona et les autres détenues sévirent en prison encore trois mois de plus. Une
camarade adulte écrivit ceci à propos de Mona :
" Mona était un être humain parfait. Elle pratiquait pleinement les principes
Baha'is. Elle incarnait l'exemple vivant du courage et de la fermeté. Elle représentait
ce qu'un jeune Baha'i était censé être. Tout au long des jours passés ensemble
en prison, elle priait toute la journée. Sa conduite ressemblait à celle d'une
grande personne, d'une noble personne bien qu'elle ne fut qu'une enfant innocente.
Je me souviens des moments où elle venait me rendre visite à ma cellule, assise
avec le menton entre ses mains, ses yeux fixant les murs, perdue dans ses pensées.
C'était lorsque je lui demandais de chanter ".
Une autre prisonnière rapporte qu'un jour une des femmes incarcérées revint à
la prison après avoir subi un interrogatoire à la maison d'arrêt de Seppah en
ramenant avec elle de toutes petites prunes vertes. Elle en offrit une à Madame
Nosrat Yalda'i (nota : elle fut pendue plus tard en même temps que Mona), l'une
des détenues Baha'ies, en lui disant : " Je sais que tu apprécies celles-ci mais
je n'en ai pas assez pour en distribuer à tout le monde. Mange-la sans en souffler
mot à personne ". Madame Yalda'i n'avait pas le coeur à manger toute seule aussi
elle offrit la prune à quelqu'un d'autre qui à son tour la donna à Madame Mahmudnizhad
assise tout près d'elle.
Quelques instants plus tard, Mona passa à proximité de leur cellule et sa mère
lui remit la petite prune. Elle l'a pris et revint après quelques minutes avec
un petit plateau. Elle avait ôté les graines et divisé la chair du fruit en sept
part minuscules..., chacune destinée à ses amies du même bloc. Elle avait également
décoré les angles du plateau en y apposant des couteaux et des fourchettes. Elle
appela toutes les prisonnières et les invita à s'asseoir autour du plateau et
chacune d'entre elle avait eu sa portion. Tout le monde se réjouit et rit abondamment
à propos de cette journée particulière.
Mona sympathisa aussi avec de nombreuses autres prisonnières non Baha'ies. A leur
demande, elle s'entretenait avec elles et leur chantait doucement des mélodies
sur la Foi notamment lorsque celles-ci se sentaient démoralisées. Cependant, Mona
devait faire preuve de vigilance afin de ne pas les perturber en parlant de religion.
Au bout de quelque temps, un nombre croissant parmi ces femmes recherchaient la
compagnie de Mona soit pour lui poser des questions soit pour lui demander de
leur apprendre des chansons. Mona continua à écrire des poèmes, ce qui constituait
l'un de ses autres passe-temps favoris et elle produisit un recueil plutôt abondant.
Toutes les prisonnières Baha'ies étaient mentionnées dans ses poèmes.
Un jour, pourtant, les autorités vinrent inspecter les cellules, et Mona, craignant
que ces dernières ne créent des difficultés à tout le monde, déchira tous ses
textes en mille morceaux avant qu'ils ne soient mémorisés par elle-même ou leur
destinataire.
6. LA FAMILLE DE MONA
6.1. L'arrestation de Madame Mahmudnizhad
A la mi-janvier 1983, peu de temps après le troisième interrogatoire de Mona,
Madame Mahmudnizhad fut contactée par les autorités carcérales qui l'informèrent
que sa fille était reconnue non coupable et pouvait être libérée sous caution
à condition que sa famille puisse fournir l'argent de cette caution. Or le montant
était initialement fixé à environ 35 000 US $, Madame Mahmudnizhad tenta de convaincre
alors le tribunal d'accepter en hypothèque le petit appartement que la famille
possédait à Shiraz, mais cette demande fut rejetée car le titre de propriété n'était
pas considéré comme réellement explicite. Mona ne fut pas libérée.
Tandis que Madame Mahmudnizhad continuait à se rendre à la prison pour voir son
époux et sa fille, elle fut elle-même arrêtée lorsqu'elle se présenta à la prison
munie des documents censés libérer sa fille.
Bien que les autorités avaient relaxé à ce moment là 6 détenues Baha'ies, Mona
et 14 autres femmes demeurèrent cependant incarcérées. Sa mère séjourna en prison
à leur côté jusqu'à la semaine qui précéda l'exécution de Mona.
Madame Mahmudnizhad fut constituée prisonnière un samedi, jour correspondant aux
visites accordées à Adelabad. La soeur de Mona fut bouleversée lorsqu'elle apprit
l'arrestation de leur mère et se rendit à la prison toute seule. Mona se renseigna
immédiatement pour savoir où se trouvait sa mère, convaincue que celle-ci ne manquait
jamais une seule visite. Quand on informa Mona de cette arrestation, elle demeura
silencieuse.
Lorsque Madame Mahmudnizhad fut incarcérée, les gardes clamèrent la nouvelle à
Mona avec une extrême pointe d'ironie. Cette dernière insista avec délicatesse
et leur démontra que les autres détenues avaient le privilège d'accueillir les
premières sa propre mère. Puis Mona prit sa mère dans ses bras en lui disant :
" Sois la bienvenue maman, viens, je vais te montrer ta nouvelle résidence !".
Elles étaient toutes deux consignées dans la même cellule pour cette nuit là.
Madame Mahmudnizhad prit le lit tandis que sa fille et sa co-détenue Tahirih Siyavushi,
l'une des 9 femmes qui fut pendue plus tard en même temps que Mona, s'allongèrent
à même le sol pour dormir. Avant que Madame Mahmudnizhad ne puisse trouver le
sommeil, sa fille lui prit la main et lui chuchota à l'oreille :
" Tu dois t'adapter à cette situation et à l'atmosphère monotone qui règne ici.
Récites-toi souvent des prières. Ne pleure que lorsque tu es toute seule, et uniquement
pour l'amour de la Beauté Bénie. Surtout ne verse aucune larme de douleur car
Baha'u'llah n'appréciera pas cette marque de faiblesse. Il faut toujours sourire
et être heureuse afin de témoigner par cette attitude d'un exemple de force et
d'un réconfort moral en direction des autres prisonnières .
Et il y a autre chose que je voudrais te demander. Je ne veux pas que tu m'embrasses
ou que tu m'entoures de plus d'affection que les autres détenues. Je ne veux pas
qu'elles pensent que la mère de Mona se trouve à ses côtés tandis qu'elles sont
seules ici. Tu dois te montrer davantage une mère à leur égard que tu ne l'es
pour moi. Cela n'a aucune importance que tu ne puisses pas me consacrer du temps
ou que tu n'aies pas la possibilité de marcher en ma compagnie. Essaie avant tout
de prendre soin des autres prisonnières ".
La mère de Mona se conforma à cette requête. Jusqu'au jour de sa libération, elle
n'étreignit plus jamais sa fille et passa beaucoup moins de temps avec elle et
en consacra davantage aux autres prisonnières.
6.2. Dernière visite de Mona à son père
10 jours environ après l'incarcération de la mère de Mona, les prisonnières Baha'ies
furent interpellées par une surprenante annonce lancée à travers l'interphone.
En effet, le message diffusé invitait toutes les " soeurs Baha'ies " à se diriger
vers un secteur situé sous les toits de la prison, et ce fut la première fois
que le mot Baha'i fut prononcé. Lorsque les femmes parvinrent jusqu'à cet endroit,
tous les hommes Baha'is qui avaient été incarcérés étaient également présents.
Ainsi la famille Mahmudnizhad, père, mère et fille se retrouvaient réunis en prison
pour la première et la dernière fois.
Cela promettait d'être un moment inoubliable et privilégié même s'il fut bref
dans la durée pour tous les prisonniers Baha'is. Ceux qui avaient des membres
de la même famille s'assirent ensemble, main dans la main. Quant aux prisonniers
isolés, ils s'étaient regroupés en petits cercles, chuchotant, échangeant des
anecdotes et se réconfortant mutuellement. Les membres de la famille Mahmudnizhad
s'assirent ensemble et tinrent leur dernière réunion familiale.
Madame Mahmudnizhad déclara ouvertement à sa fille : " Ton père va être exécuté
". Mona répondit : " Je le sais et je pourrais le supporter ". Puis Monsieur Mahmudnizhad
dit avec un ton réconfortant : " Oui, bientôt ces jours de séparation ne seront
plus qu'un lointain souvenir. Te rappelles-tu Mona l'époque où à chaque fois que
nous déménagions je partais toujours le premier pour préparer un domicile et ensuite
t'accueillais comme une invitée de prestige ? Maintenant, nous allons vivre la
même expérience, je m'en irai le premier et te préparerai une place dans le royaume
spirituel et j'attendrai ton arrivée".
Après cela, Mona et son père parlèrent peu quoiqu'ils communiquaient encore avec
les yeux comme si c'était pratiquement le seul moyen de communication qu'ils avaient
adopté tout au long de la vie de Mona.
Ultérieurement, Madame Mahmudnizhad retraça cet instant selon ces propos :
" J'avais remarqué que Mona s'était levée plusieurs fois pour embrasser les yeux
de son père. Elle donnait l'impression de décrypter les mystères du ciel à travers
son regard. Tous deux n'avaient pas besoin de s'exprimer verbalement parce qu'ils
pouvaient parfaitement communiquer par le regard.
Ensuite, mon époux demanda des nouvelles de nos amis et des proches, et finalement,
après un laps de temps, cette ultime rencontre arriva à son terme.
Je n'ai jamais revu le père de Mona jusqu'à exactement le mois suivant, c'est-à-dire
le 12 mars 1983, après qu'il fut exécuté en même temps que deux autres Baha'is
: Monsieur Rahmat'u'llah Vafa'i et Madame Tuba Za'irpour ".
6.3. La soeur de Mona
La soeur de Mona, Taraneh, était le seul membre de la famille qui ne fut pas incarcérée.
Les mercredis, elle rendait visite à son père et les samedis à sa mère et à sa
soeur. Elle vécut une période très éprouvante... C'était la première fois de sa
vie que Taraneh se retrouva séparée de tous les membres de sa famille. Elle versa
des larmes amères de chagrin le jour où elle endura cette première nuit de séparation.
Plus tard, elle raconta :
" Le soir où l'on incarcéra ma mère, je passais une nuit sombre. Je ne pouvais
pas croire que subitement ma vie pourrait devenir si vide de sens. Je ne cessais
de me répéter qu'il n'y a aucune comparaison avec ce que Baha'u'llah avait dû
endurer... L'emprisonnement, les chaînes qu'Il portait dans le cachot de Siyyah
Chal, loin de sa propre famille, ses longues années d'exil, la mort de son fils,
les attaques perpétrées par ses ennemis. Et à travers toutes ces épreuves, Il
sut réconforter ses amis dévoués et affligés et nous offrir toutes ses merveilleuses
tablettes et tous ses écrits aux paroles vivifiantes.
Quelle ignorante je fus ! J'ai découvert désormais Son immense générosité. Je
priais : " O Beauté Bénie, accordes-moi seulement un esprit de fermeté afin que
je supporte cette séparation qui me retient loin de ceux que j'aime ".
Le premier mercredi du mois de mars 1983, Monsieur Mahmudnizhad fit une recommandation
à Taraneh lors d'une de ses visites. " Dis à ta mère que dans notre vie nous avons
toujours partagé les peines et les joies. Maintenant que nous devons nous consumer
dans la séparation, cela représentera une épreuve pour notre amour envers Dieu
et pour l'un envers l'autre".
Puis, elle l'interrogea :
"Dis- moi père, comment se fait-il que des quatre membres de notre famille seulement
trois soient tellement aimés par Dieu et que je sois la seule à être rejetée hors
de Sa Présence ; quels pêchés ai-je pu commettre qui prouvent que je ne sois pas
suffisamment quelqu'un de bien pour aller en prison? ". Il lui répondit : " Crois-tu
que tu sois libre ? Tous ceux qui comme toi sont à l'extérieur de la prison sont
encore des prisonniers dans une plus grande prison. Avec toutes les limitations
qui enchaînent ta vie, tu es également une prisonnière. De plus une personne amoureuse
n'est jamais libre mais victime de l'amour ".
" Père, s'enquit-elle, essaies-tu de me dire que je devrais être heureuse ? ".
Il lui répondit avec une grande conviction : " Sois confiante et heureuse ".
Quatre jours après, Yad'u'llah Mahmudnizhad fut pendu. Taraneh apprit la nouvelle
à 10 heures ce matin là par son mari qui était effondré. Plus tard, elle rapporta
:
" Après avoir entendu cette tragédie, mon corps entier se mit à trembler, et je
finis par m'écrier " Oh Beauté Bénie ! Oh papa, où es-tu maintenant ? ". Ma fille,
âgée d'un an, se réveilla à cause du bruit que l'on faisait et se mit également
à pleurer. Puis soudain je me calmai et dis : " Oh père, tu avais l'habitude de
dire que l'esprit des martyrs rendait toujours la douleur de la perte moins vive
pour ceux qu'il laisse sur cette terre. Qu'il nous aide moralement et intercède
en notre faveur. Où se trouve ce secours " ? Je jure qu'à cet instant précis un
calme indicible m'envahit alors que jamais auparavant je n'avais ressenti une
telle sensation. Je décidais de partir et si possible de voir les corps des trois
martyrs bien aimés, et avec grande peine, réussis à réaliser le but que je m'étais
fixé. Bien sûr leurs chères âmes s'étaient envolées. Je désirais tellement embrasser
la marque laissée par la corde autour du cou de mon père mais je n'avais pas le
droit de m'approcher si près de son corps ".
Un matin, tandis qu'elle se trouvait en prison, Mona se réveilla et refusa toute
nourriture et boisson pendant trente heures consécutives malgré les supplications
de sa mère et de ses compagnes. Plus tard, on apprit que son père avait été exécuté
le jour de son jeûne. Lorsque Mona entendit parler de l'exécution de son père,
elle déclara simplement : " Je le sais, je le sais, quelle immense faveur pour
lui ! ".
7. L'ATTITUDE DE MONA FACE A SA PROPRE
MORT
7.1. "100 000 vies"
La mère de Mona relata plus tard les impressions qu'elle avait ressenties au cours
de son incarcération :
" J'avais réussi à atteindre progressivement un tel état qui me fit prendre conscience
qu'une véritable acceptation face à des circonstances aussi effroyables que celles-ci
était possible. Je me sentais très déprimée, je confiais mes états d'âme à Mona.
Pourtant au cours d'un stade critique, je lui livrais mes craintes les plus profondes
en ces termes : " Je ne crois pas qu'ils te libéreront avec tout ce qu'ils font
subir aux Baha'is en ce moment, même si tu n'es pas exécuté ils te garderont probablement
en prison pour au minimum 15 à 20 années. Tu auras vraisemblablement 35 ou 40
ans à ta sortie. Comment pourrais-je le supporter ? ".
Mona répliqua alors :
" Mère, Si j'apprenais que pendant chaque année écoulée en prison quelques personnes
seulement devenaient Baha'is et bien pour cette unique raison je souhaiterais
écouler encore 100 000 vies en prison. Et si j'apprenais qu'à cause de mon exécution
toute la jeunesse du monde entier se lèverait et unirait ses efforts pour servir
l'Humanité, qu'elle ferait preuve d'altruisme, qu'elle enseignerait à l'Humanité
les principes Baha'is, qu'elle échangerait sur ses écrits, que les jeunes s'efforceraient
vraiment de changer le monde, alors j'implorerais Baha'u'llah en lui demandant
de me donner 100 000 vies à sacrifier sur Son sentier ! ".
" Je me sentais si minuscule devant cette grandeur d'âme comme si elle était la
mère et moi l'enfant. Et aujourd'hui avec sa seule vie, elle a accompli ce qu'elle
désirait ".
7.2. Informée de son exécution
Un certain jour, qui correspondait à la célébration d'une fête religieuse Baha'ie,
Mona désira réciter des prières seule plutôt que de se joindre aux autres prisonnières
Baha'ies. Mona avait consacré des moments intenses à la solitude. Souvent lorsque
les autres compagnes se regroupaient ensemble, Mona trouvait une cellule vide
pour se recueillir dans l'intimité et pour méditer. Cependant, en cette circonstance
particulière, sa mère insista pour que sa fille rejoignit le groupe et celle-ci
acquiesça.
Plus tard au cours de la journée, Mona prit sa mère à part et lui dit :
" Maman, je désirais tellement vivre ce jour saint toute seule afin de pouvoir
prier et méditer dans l'intimité".
Sa mère ne comprit pas le sens de ses paroles et elle lui fit remarquer :
" Mais si tu m'en avais parlé, je ne m'y serais pas opposé. Pourquoi as-tu accepté
si rapidement ? ". Mona lui répondit : " Parce que tu avais parfaitement le droit
de me demander d'être à tes côtés ".
Puis, Mona prit sa mère en aparté et lui confia : " Maman, je désire t'avouer
quelque chose, s'il te plaît suis-moi ". Elle conduisit sa mère le long d'un couloir
qui était si étroit qu'elles durent marcher l'une derrière l'autre. Brusquement
Mona s'arrêta, se retourna vers sa mère et lui dit : " Maman, sais-tu qu'ils vont
m'exécuter ? ". Sa mère fut saisit d'une telle émotion qu'elle refusa d'écouter.
Elle ne se rendit pas complètement compte du degré de connaissance et d'acceptation
auxquels était parvenue sa fille, elle riposta en ces termes : " Mais non ma chérie,
tu vas être libérée et tu auras une famille et des enfants. Je veux voir tes enfants.
S'il te plaît, chasse ces pensées de ton esprit ".
Mona fut contrariée par ces propos et répliqua à sa mère : " Je jure devant Dieu
que je ne souhaite pas que cela m'arrive et que tu ne le désires pas non plus.
Je sais qu'ils vont me tuer et je veux te confier ce que j'ai l'intention de faire
lorsque cela se produira. Si tu ne me laisses pas la possibilité de t'en parler
immédiatement, plus tard tu le regretteras. Maintenant, veux-tu me laisser te
faire cette confidence, oui ou non ?" .
La mère de Mona fut abasourdie devant une telle déclaration et dit : "Mais oui,
racontes-moi ". Puis Mona se tourna face à sa mère et lui confessa : " Tu sais,
maman, l'endroit où nous allons être conduites pour l'exécution se situera dans
les hauteurs, et nous devrons nous tenir sur quelque chose de haut et en ce lieu,
ils nous passeront une corde autour du cou. Puis je réciterais une prière pour
le bonheur et la prospérité de toute l'Humanité ".
De l'endroit où elle se trouvait face à sa mère, Mona croisa les bras sur sa poitrine,
ferma les yeux et avec une expression de béatitude, elle récita une courte prière.
Lorsqu'elle rouvrit ses yeux, elle dit : " Avec cette prière, je dirai adieu à
ce monde de mortels et retournerai à Dieu ". Puis elle regarda sa mère, celle-ci
dévisagea sa fille avec un air à la fois embarrassé et troublé. Tout ce qu'elle
put dire ce fut ces mots : " C'était une merveilleuse histoire Mona ! ". Les yeux
de Mona s'emplirent de larmes, calmement elle lui répondit : " Maman, ce n'était
pas un conte, pourquoi ne me crois-tu pas ? ".
7.3. Un désir de fermeté
Deux jours plus tard, Mona et les neuf autres prisonnières furent informées qu'on
leur accorderait une autre occasion pour qu'elles renoncent à leur religion ou
bien qu'elles seraient condamnées à mort. Ce soir là, Mona fit un autre rêve au
cours duquel elle récitait une longue prière en prison. Abdul'Baha surgit de la
porte de la cellule et s'assit sur le lit où la mère de Mona était endormie. Tahirih
Siyavushi quant à elle, reposait à même le sol. D'une main, il caressa la tête
de la mère de Mona et éleva son autre main en direction de sa fille...
Mona pensa qu'il la quitterait si elle poursuivait sa prière. Aussi, s'arrêta-t-elle
de prier et s'agenouilla aux pieds de Abdul'Baha qui lui serra ses mains dans
les siennes.
Puis Abdul'Baha demanda à Mona : " Que désires-tu ? ". Mona lui répondit : " Faire
preuve de fermeté ". Abdul'Baha lui demanda à nouveau : " Qu'attends-tu de notre
part ? " ; Mona répliqua : " obtenir un état de fermeté pour toutes les amies
". Abdul'Baha s'enquit une troisième fois : " Que souhaites-tu, toi Mona, personnellement
? ". Mona lui confia à nouveau : " La fermeté ". Alors Abdul'Baha annonça deux
fois : " C'est accordé, c'est accordé ".
Le lendemain matin, le 12 juin, elle raconta son rêve à toutes les détenues Baha'ies.
En fin de matinée, deux autres femmes Baha'ies étaient appelées à subir la dernière
phase de l'interrogatoire et contraintes à renoncer à leur Foi. Aucune d'entre
elles n'abandonna ses convictions puis furent ramenés à leurs cellules. Ces femmes
Baha'ies s'attendaient à être conduites à l'extérieur pour être exécutées dans
la nuit quoiqu' aucune condamnation à mort ne fut prononcée.
Au cours de cette journée, chacune chanta la courte prière intitulée Dieu dissipe
les difficultés , prière qui est récitée en période de grandes épreuves. Tandis
qu'elles se recueillaient, Zarrin Muqimi, l'une des deux femmes qui avait entrepris
la dernière étape de l'interrogatoire, serra spontanément Mona dans ses bras et
lui dit : " Quel voeux vraiment merveilleux tu as sollicité auprès de Abdul'Baha.
Maintenant je suis certaine que nous saurons être fermes. Tu aurais pu demander
ta libération et celle de ta mère et même que nous soyons toutes relaxées. Mais
au lieu de cela tu as fais la plus belle requête de toutes et Abdul'Baha te l'a
accordée ! ".
8. LES DERNIERS EVENEMENTS
8.1. La mère de Mona est relaxée
Le 13 juin, la mère de Mona fut subitement relaxée. Avant qu'elle ne quitte la
prison, toutes les femmes l'étreignirent. Madame Izzat Ishraqi, dont la fille
Rosita était sur le point de célébrer son mariage, demanda à Madame Mahmudnizhad
d'assister à la cérémonie à sa place et la pria de prendre un oeillet rouge en
souvenir de chacune des prisonnières. Puis Mona prit sa mère dans ses bras et
toutes deux s'embrassèrent pour la dernière fois.
" Maman ", dit Mona, " Tout comme tu as donné du courage et de l'assurance à tout
le monde ici en prison, dorénavant tu dois demeurer la même personne et soutenir
les amis à l'extérieur afin qu'ils fassent preuve de patience et de tolérance
".
Sa mère quitta la prison, et tandis que leur maison avait été réquisitionnée,
elle alla séjourner chez Taraneh. Elle parla à celle-ci de chaque prisonnière
et rendit visite à toutes les mères dont les filles étaient incarcérées.
8.2. La pendaison des 6 hommes Baha'is
Le jeudi 16 juin, six hommes Baha'is furent exécutés... Abdu'l Hossein Azadi,
Bahrman Afnam, Jamshid Siyavushi, Koorosh Hagbin, Bahram Yald'ai et Inayat'u'llah
Ishraqi. Trois de ces hommes avaient un lien de parenté avec les prisonnières.
Jamish Siyavushi était le mari de Tahirih. Inayat'u'llah Ishraqi était l'époux
de Izzat et le père de Roya. Bahram Yalda'i était le fils de Nosrat.
Le lendemain, des Baha'is de toute la ville et des banlieues périphériques vinrent
rendre visite aux familles dont les membres furent exécutés. Ils apportèrent des
fleurs et malgré leurs larmes, ils souriaient et portaient des vêtements aux couleurs
vives au lieu du traditionnel costume de deuil.
8.3. Dernière visite à Mona
Le samedi, Madame Mahmudnizhad et sa fille Taraneh allèrent à la prison pour voir
Mona accompagnées des familles qui avaient également des proches incarcérés et
qui ne savaient pas encore que les six hommes avaient été exécutés. Seulement
quatre Baha'is obtinrent en même temps la permission de rendre visite aux prisonniers.
Ces derniers étaient retenus derrière une cloison vitrée et devaient communiquer
à l'aide d'un téléphone. La famille de Mona lui apporta quelques pastèques, ainsi
qu'un foulard et une nouvelle serviette de toilette.
Taraneh fut chargée d'informer sa soeur sur les pendaisons qui se produisirent
deux jours auparavant. Après l'avoir saluée, Taraneh lui rapporta avec sérénité
la nouvelle concernant l' exécution des six hommes. Les yeux de Mona s'emplirent
de larmes et elle porta ses mains à son coeur en demandant de qui il s'agissait.
Au fur et à mesure que Taraneh nomma chacun d'entre eux, les larmes de Mona redoublèrent
et elle pressa plus fermement ses mains sur son coeur.
Après chaque nom énoncé, elle s'exclama, à travers des sons à demi murmurés :
" C'est bien pour lui, c'est bien pour lui ! ".
Lorsqu'en dernier lieu Taraneh prononça le nom de Monsieur Ishraqi, Mona laissa
aller ouvertement ses larmes en déclarant : " C'est une bonne chose pour chacun
d'entre eux ! ". Puis, plus distinctement elle affirma à sa soeur : " Taraneh,
je jure devant la Beauté Bénie et devant Dieu que ce ne sont pas des larmes de
chagrin que je verse mais des larmes de bonheur. Surtout, ne crois pas que je
me torde de douleur mais c'est uniquement de la joie que je manifeste ainsi ".
8.4. Les 10 femmes
La pendaison de Mona et de ses neuf autres compagnes Baha'ies eut lieu durant
la nuit du 18 juin 1983 en pleine obscurité au milieu d'un champs de polo près
de la ville de Shiraz. Le conducteur de l'autobus, qui rencontra plus tard la
grand-mère de l'une des jeunes femmes, lui confia : " Elles étaient toutes dans
d'excellentes dispositions psychologiques et elles chantaient tout au long du
trajet. Je ne pouvais pas croire qu'elles étaient conscientes que c'était l'heure
de leur exécution. Je n'ai jamais vu de personnes avec d'aussi grandes disponibilités
d'esprit ".
Les noms et les âges des autres femmes qui furent pendues avec Mona sont les suivants
:
* Madame Nosrat YALDA'I, âgée de 54 ans
* Madame Izzat JANAMI ISHRAQI, 50 ans
* Mademoiselle Roya ISHRAQI, 23 ans et fille d'Izzat
* Madame Tahirih SIYAVUSHI 32 ans
* Mademoiselle Zarrin MUQIMI, 28 ans
* Mademoiselle Shirin DALVAND 25 ans
* Mademoiselle Akhtar SABIT, 19 ou 20 ans
* Mademoiselle Simin SABIRI, 20 ans à peine
* Mademoiselle Mahsrid NIRUMAND, âgée de 28 ans
Chacune d'entre elles était une héroïne. La mémoire de toutes ces femmes est célébrée
et honorée. D'autres rapports historiques rendront compte de leurs trajectoires
au cours de ces événements tragiques. Nous présentons, ci-après, les photographies
de ces martyrs Baha'ies avec un bref commentaire biographique.
PHOTO: Madame Izzat ISHRAQI, pendue le 18 juin 1983
Monsieur Inyat'ullah et Madame Izzat Ishraqi ainsi que leur fille furent d'abord
arrêtés puis relaxés ; pourtant ils refusèrent de quitter Shiraz choisissant de
demeurer dans cette ville afin d'aider la communauté Baha'ie. Au cours de l'une
des phases de l'interrogatoire durant laquelle Madame Ishraqi avait eu les yeux
bandés et avait du mal à marcher, l'enquêteur la nargua en lui disant : " Etes-vous
si aveugle au point de ne pouvoir marcher ! ". Elle lui répondit : " Je suis en
apparence aveugle, mais vous, vous êtes plongé intérieurement dans l'obscurité
totale ".
PHOTO: Mademoiselle Roya ISHRAQI, pendue le 18 juin 1983
Roya, âgée de 23 ans, qui avait poursuivi des études de vétérinaire, était l'une
des jeunes Baha'is la plus brillante de Shiraz. Roya était une jeune femme très
dynamique et adorait le sport tel que l'alpinisme. Sa soeur, Rosita, se fiança
le même jour où son père fut tué. Lorsque le surlendemain Rosita informa sa mère
et sa soeur de la mort de Monsieur Israqi, sa soeur déclara : " Dieu soit Loué
! " et sa mère quant à elle répondit calmement : " Je le savais, je le savais,
je le savais ".
PHOTO: Madame Nosrat YALDA'I, pendue le 18 juin 1983
Madame Nosrat Yalda'i, 54 ans, appartenait à l'Assemblée Locale Spirituelle de
Shiraz et avait la réputation d'être une femme à la gentillesse et à l'hospitalité
hors pair. Sa maison était considérée comme le " centre nerveux " de la vie communautaire
Baha'ie à Shiraz. Elle faisait partie de ces nombreuses femmes qui furent torturées
et par deux reprises elle fut violemment flagellée à raison de 200 coups de fouet.
Ses blessures, disait-on, étaient encore visibles après sa pendaison.
Elle a été arrêtée en même temps que son époux et que leur fils, Bahram qui fut
pendu deux jours avant sa mère.
PHOTO: Madame Tahirih SIYAVUSHI, pendue le 18 juin 1983
Tahirih Siyavushi, 32 ans, avait également servi en qualité de membre à l'Assemblée
Spirituelle Locale de Shiraz. Elle était infirmière et avait mémorisé l'intégralité
de l'un des écrits les plus importants révélé par Baha'u'llah, celui qui représente
le livre des lois de la Foi Baha'ie. Son jeune époux, Jamshid, fut également arrêté
et pendu deux jours avant sa femme. Tahirih était une infirmière et utilisée à
ce titre par les autorités carcérales pour soigner les autres prisonnières.
Le jour où les autorités regroupèrent les prisonniers Baha'is ensemble au mois
de février, Tahirih revit son mari pour la première fois depuis leur arrestation.
Il avait été maltraité si gravement qu'elle eut beaucoup de peine à le reconnaître.
Elle ne put trouver le sommeil cette nuit là. Les autorités carcérales ne croyaient
pas qu'il survivrait cette nuit, et les gardiens se sentaient si désolés de son
état qu'ils demandèrent à Tahirih de lui apporter quelques fruits. Mais il fut
incapable de les manger. Il se rétablit quelque peu uniquement pour être pendu
après un laps de temps. Lorsque Tahirih apprit qu'elle serait aussi exécutée,
elle confia à sa famille qu'elle se sentait soulagée et heureuse. Quand elle vit
son père pour la dernière fois, elle lui déclara : " Regarde, comme je suis belle
! " puis elle sourit.
PHOTO: Mademoiselle Akhtar SABIT, pendue le 18 juin 1983
Akhtar Sabit était une infirmière diplômée, elle avait une nature très posée et
charmante. A peine âgée de 20 ans, elle était la deuxième plus jeune du groupe.
Elle enseignait également dans les classes des enfants Baha'ies. Lorsque ses co-détenues
l'interrogèrent sur sa condamnation, elle leur répondit : " Peu m'importe, je
ne suis pas inquiète. Quoi qu'il puisse arriver, je me contente de la Volonté
de Dieu ".
PHOTO: Mademoiselle Mahshid NIRUMAND, pendue le 18 juin
1983
Mahshid Nirumand, 28 ans, avait une licence de physiques obtenue à l'Université
de Shiraz. Son interrogateur se moqua de son diplôme. Il lui dit : " Quelle culture
! Une diplômée en physiques ! Et moi, ici présent qui vous interroge, je ne suis
même pas allé au lycée ". Mahshid affichait une telle force de caractère tout
au long des mois écoulés en prison et partageait souvent sa nourriture avec les
autres détenues et les encourageait à rester ferme. Avant son arrestation et son
emprisonnement, elle fut une jeune conseillère et un membre de nombreux comités
Baha'is.
PHOTO: Mademoiselle Simin SABIRI, pendue le 18 juin 1983
Simin Sabiri, était l'une des plus intrépides du groupe et avait fait partie du
Comité d'Etudes Baha'ies de Shiraz. Elle était responsable de l'approfondissement
des écrits et du suivi des Baha'is dans ce domaine. Au cours de ses interrogatoires,
elle s'efforçait toujours de récuser les accusations et la désinformation dont
faisaient preuve ses questionneurs. Pendant son séjour en prison, elle passait
pour être une femme de caractère, très résistante et qui ne manifestait jamais
une lueur de tristesse.
PHOTO: Mademoiselle Zarrin MUQIMI, pendue le 18 juin
1983
Zarrin Muqimi, âgée de 28 ans, avait une voix forte et mélodieuse. L'un de ses
interrogateurs a dit qu'elle aurait pu avoir un diplôme en communication. Tout
comme Simin Sabiri, elle défendait la Foi avec une telle force durant ses interrogatoires
car elle possédait une connaissance très solide des écrits.
Apparemment, sa connaissance indéniable de la Foi était très bien perçue par les
autorités et elle fut interrogée souvent isolément. A un certain moment, après
que les questionneurs ne parvinrent pas à la convaincre avec leurs arguments,
ils finirent par salir la Foi en proférant des insanités. Zarrin se mit à pleurer
et leur déclara : " Que vous l'acceptiez ou non, je suis une Baha'ie. Vous ne
pouvez pas me l'enlever ; je suis une Baha'ie avec tout mon être et de tout mon
coeur ".
PHOTO: Mademoiselle Shirin DALVAND, pendue le 18 juin 1983
Shirin Dalvand, âgée de 25 ans, avait une licence en sociologie de l'Université
de Shiraz. C'était une étudiante exceptionnelle à tel point que certains de ses
professeurs se référaient souvent à ses mémoires même s'ils la savaient Baha'ie.
Shirin adorait les fleurs et gardait toujours une fleur ordinaire ou une feuille
verte dans sa chambre. Elle aimait également l'océan et se promenait le long de
la plage aussi souvent que possible.
Shirin avait dû insister pour demeurer à Shiraz même si sa famille était partie
s'installer en Angleterre et, à un certain moment elle aurait même pu quitter
l'Iran. Elle choisit de rester et de vivre avec ses grands-parents afin de continuer
à servir la communauté.
Bien que Shirin était une jeune femme sensible et timide, toute sa personnalité
se transforma lorsqu'elle était soumise à un interrogatoire. Un jour lorsqu'on
lui demanda jusqu'à quel point elle résisterait pour ne pas abjurer sa Foi, elle
répondit : " Jusqu'à ma mort, j'espère que la miséricorde divine me permettra
de rester ferme jusqu'au dernier souffle de ma vie ".
PHOTO: Madame Tuba ZA'IRPOUR, pendue le 12 mars 1983
Une autre femme mérite d'être citée pour son héroïsme... Madame Tuba Za'irpour,
qui fut pendue le 12 mars 1983, en même temps que le père de Mona. Madame Za'irpour
avait 56 ans et était très cultivée, elle possédait une licence en littérature
persane. Elle s'était occupée des classes Baha'ies de Shiraz dans lesquels les
étudiants apprenaient les écrits Baha'is, les religions comparées et la langue
arabe. Elle était également l'un des enseignants de l'école Baha'ie.
Même lorsqu'elle était incarcérée, Madame Za'irpour partageait ses connaissances
sur la Foi avec les autres prisonnières. Elle avait eu une grande influence sur
une jeune femme musulmane, laquelle plus tard confia aux autres Baha'ies à quel
point elle avait respectée Madame Za'irpour.
Au cours de son emprisonnement, Madame Za'irpour fut gravement torturée par les
autorités carcérales, et elle avait subi le châtiment " bastinado " pendant trois
jours consécutifs. Ses pieds étaient atrocement écorchés si bien qu'elle ne pouvait
pas marcher et demanda aux gardiens la permission de ramper. Mais ils lui refusèrent
cette requête la forçant à marcher douloureusement. L'une des femmes musulmanes
qui partagea sa cellule rapporta aux autres Baha'ies qu'à un certain stade critique
même, lorsque Madame ZA'IRPOUR s'était trouvée si affaiblie que ses mains en tremblaient
et qu'elle ne parvint pas à se coiffer, elle n'avait jamais émis un seul son de
révolte.
8.5. Le baiser d'adieu
Les familles des victimes furent informées des pendaisons de leurs bien-aimés
le lendemain : le 19 juin. La mère de Mona et Taraneh réussirent finalement à
obtenir, après bien des difficultés, le droit de se recueillir devant les dépouilles
des détenues. Madame Mahmudnizhad, qui avait été leur compagne de cellule jusqu'aux
derniers jours, embrassa chaque femme sur la joue et déclara : " Je souhaite que
le monde entier puisse percevoir à travers mon regard jusqu'à quel point ces corps
inertes ont témoigné leur amour inconditionnel à l'égard de la Beauté Bénie !
".
Plus tard, Taraneh rapporta :
" C'était un jour amer, pour la dernière fois et sans aucune vitre épaisse entre
nous, j'embrassais le beau visage rayonnant de sérénité de ma tendre soeur et
lui dis ainsi adieu. De tout mon coeur, j'espérais qu'elle ouvre une fois de plus
ses yeux et qu'elle me sourit. Pourtant je savais que, maintenant et pour toujours,
elle nous observe avec un sourire éternel et que mes larmes ne pouvaient que l'affecter.
Aussi, ma très chère Mona, pour toi et en raison de l'amour que tu portes à BAHA'U'LLAH
et à l'Humanité, désormais je me réjouis afin que les gens puissent comprendre
pourquoi tu as eu le courage de sacrifier ta vie et pour quelles raisons tous
les êtres si chers à nos coeurs ont offert leur douce vie sur Son sentier ".
Un jeune homme, qui eut la possibilité de voir les 10 corps après la pendaison,
écrivit :
" Lorsque je me fus retrouvé à la morgue, j'ai cru que j'allais exploser. Je ne
pouvais pas m'empêcher de pleurer pendant toute la durée de ma visite. Quand je
suis rentré dans ce lieu, mon premier regard se portait sur le visage plein d'innocence
de Mona, étendue avec sa tête posée sur l'épaule de Mahshid. Mahshid donnait l'impression
d'être profondément endormie, reposant d'un sommeil paisible.
A la droite de Mona, se trouvait Shirin, si belle, un témoignage exemplaire de
l'injustice dont elle fut la victime, ses yeux recouverts d'un bandeau... Pourquoi
? On ne le saura jamais...
Roya, avec ses yeux grands ouverts, semblait interpeller les êtres humains blessés
qui erraient sans but autour d'elle. Avec un visage exprimant une Foi inébranlable,
elle essayait de me faire comprendre qu'on les avait assassinées afin de mutiler
leur amour. Mais ce qu'ils ne pouvaient pas saisir c'est que l'amour ne meurt
jamais et qu'une personne qui manifeste l'amour est toujours vivante.
Puis, il y avait Madame Yalda'i avec son adorable sourire familier. Malgré les
marques sombres visibles sur son visage, on pouvait encore la reconnaître facilement
avec ses cheveux blancs éparpillés autour de son visage. Je tenais sa tête entre
mes mains et posa un baiser sur son front. J'avais l'impression qu'elle était
encore en vie, pleine de vitalité et d'amour.
Ensuite, Simin, qui possédait un rire toujours aussi joyeux et vibrant, reposait
ici en silence. Près d'elle, se trouvait Madame Ishraqi, un symbole de sincérité,
d'amour et d'amitié.
En dernier lieu, dans une petite pièce annexe séparée des autres, reposait Zarrin
qui représentait la force imperturbable et la fidélité.
Je ne pouvais pas croire que je ne les reverrais plus jamais. Je m'arrêtais un
instant sur le seuil de la porte et fis une promesse à chacune d'entre elles que
je poursuivrais leur tâche en servant l'Humanité ".
La pendaison de ces femmes bouleversa toute la ville, quelqu'un écrivit à ce propos
:
" La ville de Shiraz exhalait l'odeur du sacrifice, le parfum de l'amour et de
la dévotion. Les familles étaient toutes frappées de stupéfaction et d'effroi.
Elles s'attendaient toutes à entendre la nouvelle d'autres exécutions chaque jour.
Deux ou trois jours plus tard, un service commémoratif fut organisé à la mémoire
des femmes qui avaient été pendues. De nombreuses personnes s'étaient déplacées
par petits groupes avec des bouquets de fleurs sans se soucier d'un éventuel danger
qui aurait pu les menacer. Vous ne pouvez pas vous imaginer l'état de choc qui
a secoué la ville de Shiraz. Il nous était impossible de trouver encore des fleurs
dans toute l'agglomération. Quels que soient les endroits où nous nous rendions
en espérant acheter des fleurs, on nous demandait systématiquement si elles étaient
destinées aux "mariés de la villes ! ".
Les familles des défuntes faisaient preuve de courage et nous rapportaient des
anecdotes sur le dévouement à la cause de celles qui avaient sacrifié leur vie.
Ces familles, impressionnaient les amis qui les approchaient par le degré de spiritualité
exemplaire qu'elles incarnaient ".
EPILOGUE
Au cours de leur dernière entrevue, tandis que Taraneh communiquait avec sa soeur
Mona à l'aide du téléphone, elle se rendit compte que celle-ci allait bientôt
être exécutée et qu'elle s'était parfaitement préparée pour affronter son supplice.
Taraneh s'exclama : " Tu vas également être exécutée ! ". Mona lui répondit avec
calme : " Je le sais, je le sais ", et elle rajouta : " Taraneh, j'ai une faveur
à te demander. Je désire que tu fasses une prière pour nous afin que nous puissions
nous rendre sur le champs de notre exécution en dansant ".
Quand Taraneh accepta cette requête, Mona lui dit : " J'ai encore une autre faveur
à te demander : je désire que tu pries la Beauté Bénie afin qu'Elle veuille bien
me pardonner tous les pêchés que j'ai commis avant que je ne sois exécutée. Ensuite
seulement ils pourront m'emmener ". Tout en disant ces mots, Mona riait et pleurait
en même temps, parlant de son exécution comme s'il s'agissait d'une issue fatale,
même si à cet instant elle n'avait pas encore été condamnée.
Puis Taraneh passa le combiné à sa mère et alla converser avec Siyavushi qui lui
assura que Mona se portait bien. La mère de Mona prit l'appareil et après un petit
entretien, Mona lui dit : " Maman, demain nous serons les hôtes de la Beauté Bénie
! ". A ces mots, Madame Mahmudnizhad, afficha un air décontenancé.
Lorsque Taraneh remarqua cela, elle saisit le téléphone de la main de sa mère
en lui disant : " Tu es restée près d'elle pendant 5 mois, maintenant c'est à
mon tour de parler avec elle un peu plus longtemps ".
Puis Taraneh fit la même réflexion à Mona et celle-ci demanda à sa soeur à haute
voix : " Sais-tu pourquoi je suis si heureuse ? ". Taraneh lui répondit : " Non,
dis-le moi ! ". Mona lui dit : " Je suis heureuse parce que je me rends compte
que nous avons été choisies par Dieu pour être fortes ".
Elle marqua une pause puis elle poursuivit : " Ma chère Taraneh, salue toute la
famille et les amis pour moi. Embrasse les tous pour moi. J'ai le visage de chacun
à l'esprit mais je n'ai pas le droit de les citer chacun par leur nom ". Ensuite,
en montrant Noora, sa nièce assise sur les genoux de sa mère, elle dit : " Elève
Noora pour qu'elle puisse ressembler à notre père ". Taraneh regarda sa soeur
silencieusement et pensa en elle-même : " Non, Mona, je l'élèverai pour qu'elle
devienne ton modèle ".
Sommaire et première partie
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