Viste
d'Abdu'l-Baha
à la famille Ponsonaille Paris - 1911 Raconté par Alice R. BEEDE
(STAR OF THE WEST volume II, fascicule 18)
Traduction française par Pierre COULON
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Après une causerie donnée le matin par Abdu'l-Baha dans son appartement du 4,
avenue de Camoëns, le 15 octobre 1911, toutes les personnes présentes furent invitées,
en ce dimanche après-midi, à le rencontrer à quatre heures au 22, rue Ledru Rollin
au Pré Saint-Gervais (Seine), commune limitrophe, où monsieur Ponsonaille et son
épouse dévouée accomplissent une réelle oeuvre baha'ie pour la consolidation de
la Foi. Ce sont des gens de ressources très modestes. Lui est employé comme collecteur
en recouvrement de créances par un des grands magasins de Paris. Après avoir reçu
le message baha'i, il pensa que pour aider la cause de Dieu, sa place était parmi
les enfants misérables, les enfants abandonnés et ceux qui n'avaient pas de parents.
Ainsi, il y a quelques années, il s'installa ici avec sa femme.
En se privant de leur déjeuner de midi (un repas si important pour les français!),
ils pourraient nourrir des petits enfants affamés. Ils commencèrent dans un wagon
désaffecté dans lequel ils se réunissaient pour lire des tablettes et écouter
la parole de Baha'u'llah. Bientôt des enfants accoururent en grand nombre et il
advint que les dirigeants de plusieurs groupuscules religieux voulurent prendre
la chose en mains. Or monsieur Ponsonaille estima que ce n'était pas là, pour
lui, le meilleur moyen de servir, et il déclina toutes ces offres. Finalement,
il fut si envié que ces groupuscules, aidés par quelques prêtres, s'emparèrent
de son wagon. Les amis Baha'is de Paris offrirent de lui ériger un local pour
ses activités, et monsieur Ponsonaille leur dit que, s'ils voulaient bien lui
fournir les planches et les clous, il le construirait lui-même, ce qu'il fit,
et c'est là que nous nous rendîmes; or, après trois mois de visites quotidiennes
tout autour de Paris, je vous assure que je n'avais jamais vu un quartier aussi
sale et misérable.
Après avoir quitté notre suite de voitures sur la rue principale, nous descendîmes
tout le long d'une ruelle sans trottoirs, sur laquelle s'ouvraient des portes
laissant voir des soldats et des femmes buvant et criant et, pendant aux petites
fenêtres, des couvertures et des draps; on apercevait aussi des femmes et des
enfants. C'est avec joie que nous vîmes enfin un visage familier et monsieur Scott,
un artiste, montra du doigt la petite grille par laquelle nous passâmes puis,
par le wagon démonté, pénétrâmes dans une petite baraque en planches d'environ
6m x 7,5m. A l'une des extrémités se trouvaient une plate-forme surélevée et un
bureau fait de planches grossières.
Lorsque mon regard tomba tout d'abord sur le Plus Grand Nom figurant dans un cadre
suspendu au bureau, puis sur une quantité de petits enfants miséreux, et que mes
oreilles perçurent la mélodie de leurs voix (car ils chantaient), mes yeux s'emplirent
de larmes, et je suffoquais. Je vis alors que nous n'étions qu'une demi-douzaine
d'invités et ceux-ci, comme moi-même, étaient vivement affectés. C'est madame
Ponsonaille, une femme au visage énergique, rayonnant de bonté et d'intelligence,
qui avait appris aux enfants à chanter et qui, de tout son coeur, les dirigeait
et battait la mesure, car ils n'avaient pas d'instrument. Le chant terminé, monsieur
Ponsonaille lut une tablette que lui avait adressé le Maître (il appelait Abdu'l-Baha
"le Maître", et il est parfaitement évident que tout le monde, ici, le connaissait
sous ce titre). Monsieur Ponsonaille, dont le visage aux traits fins et délicats
est celui d'un gentleman dans le plein sens du terme, s'exprima quelque temps,
puis les enfants chantèrent à nouveau, et leurs petites têtes se tournèrent vers
l'entrée; à l'évidence, leurs coeurs étaient remplis d'espoir, et ils brûlaient
d'apercevoir celui qui avait promis de venir les voir. Les plus âgés de ces enfants
n'avaient pas plus de quinze ans, (les plus petits étaient en bas âge dans les
bras de leurs mères) tous habillés de vêtements propres qui leur allaient plutôt
mal, ou pas du tout.
Enfin , il y eut un silence, puis tout le monde se leva tandis qu' Abdu'l-Baha
entrait prestement et parcourait l'étroit passage vers le devant, où il se tint
debout. Messieurs Dreyfus-Barney et Tammadon-ul-Molk prirent place à ses côtés.
Monsieur Dreyfus-Barney faisait fonction d'interprète.
Abdu'l-Baha déclara: " Je suis très heureux de me trouver ici avec vous. Je suis
très heureux de vous voir tous réunis. Je vous aime infiniment. J'ai visité de
magnifiques demeures, mai celle-ci est plus belle que toutes les autres, car ici
il règne l'esprit de l'amour de Baha'u'llah. Vous recevez tous les enseignements
de Dieu, vous apprenez à agir et à vivre; un jour, vous serez des êtres accomplis
et pleins de sagesse, car vous aurez appris la vérité. J'ai vu tant de beaux et
riches enfants mais, pour moi, vous êtes plus beaux encore, et je vous aime tous
comme le Christ aimait les petits enfants. Monsieur et madame Ponsonaille sont
vos guides spirituels. Ils vous apportent la nourriture divine et l'éternelle
compréhension du Créateur, tandis que vos parents vous donnent votre nourriture
matérielle et s'occupent de votre corps. Vous devez aimer ces amis bienveillants".
Se tournant vers monsieur et madame Ponsonaille, le Maître dit : "C'est là une
noble tâche que vous accomplissez pour l'amour de Dieu, en ce grand Jour, par
le pouvoir de Baha'u'llah. Votre rang est éminent. Vos noms perdureront à travers
tous les âges. Les rois et les reines n'ont jamais été célébrés comme vous le
serez. Vous êtes des travailleurs dans le Royaume d'Abha; j'en suis très heureux,
et soyez assurés de ma profonde affection".
Ensuite, la tête et les paumes levées comme pour recevoir les effluves de l'Esprit
Saint, Abdu'l-Baha psalmodia une prière et une bénédiction puis, descendant de
la petite plate-forme sur laquelle il se tenait, il s'avança vers les enfants
qui l'entourèrent et, posant tendrement ses paumes sur certaines des petites têtes
et prenant les mains des autres avec un sourire affectueux pour tous, il marcha
avec peine le long du couloir central menant à la porte. Il y avait près de moi
de rudes garçons que j'avais dû calmer avant l'arrivée du Maître mais qui, après
sa venue, restèrent immobiles et silencieux; lorsqu'il repassa devant eux pour
sortir, ils se bousculèrent les uns les autres dans leur ardent désir de voir
le Maître leur saisir les mains.
Derrière la porte se tenait monsieur Ponsonaille et Abdu'l-Baha, portant la main
dans sa robe, en tira de nombreuses pièces d'or et les lui donna en prenant congé
de lui. Puis il descendit la rue vers sa voiture avec tant de rapidité que notre
petit groupe se trouvait à au moins six mètres derrière lui. Oh! quel spectacle!
Devant chaque porche et à chaque fenêtre l'on pouvait voir des gens à l'affût,
et quelle populace! Un homme très misérable tenait la porte de la voiture ouverte
tandis qu' Abdu'l-Baha entrait avec sa suite, composée de monsieur et madame Dreyfus-Barney
et Tammadon-ul-Molk. Dans la foule, on se battait et l'on proférait des injures,
mais nous passâmes en sécurité, protégés par un gendarme et par monsieur Scott.
C'est ainsi que se termina un jour inoubliable où nous vîmes Abdu'l-Baha parmi
les enfants miséreux dans les rues de Paris. Je me souvins de la lumière dont
par deux fois je le vis irradier les vendredi à Saint Jean d'Acre; et je me demandai
si le Maître leur manquait et s'ils désiraient ardemment son retour et son aide
affectueuse. A présent, je songe à ce que sera la pauvreté du monde après son
départ et, pour nous, qui avons été nourris, de sa propre main, du Pain de Vie.