Médiathèque baha'ie

Les baha'is ou la victoire sur la violence

Christine Hakim-Samandari
décorée pour son action humanitaire "Chevalier dans l'ordre national du Mérite" (Paris 6 décembre 1994, par le
Ministre Délégué à l'Action Humanitaire et aux Droits de l'Homme)
Mme Samandari occupe la fonction de directrice de la
Communauté Internationale Baha'ie, bureau de Paris


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Table des matières

1. LE DRAME
1.1. Les premiers pas de terreur sous la République islamique
1.2. Le passé
1.3. L'enquête
1.4. Mon père
1.5. L'âme de notre maison
1.6. La dernière année
1.7. Les diffamations
1.8. Derrière la vitre
1.9. L'holocauste?
1.10. Condamnation des persécutions
1.11. Témoignages
1.12. La Communauté mondiale baha'ie

2. LA COMMUNAUTE BAHA'IE EN IRAN
2.1. Sous la dynastie des Pahlavi
2.2. Kirugan
2.3. Les biens de la communauté baha'ie iranienne
2.4. Oeuvres sociales
2.5. Sous la dynastie des Qajar

3. LE BAB
3.1. L'attente religieuse
3.2. Naissance
3.3. Documents au sujet du Bab
3.4. Expansion
3.5. Le gouvernement et le clergé
3.6. Emprisonnement du Bab et son message
3.7. La communauté babie
3.8. Conférence de Badasht

4. LE MASSACRE DES BABIS
4.1. Changement de règne
4.2. Soulèvements du Mazindaran, Zanjan, Nayriz
4.3. Exécution du Bab
4.4. Attentat contre la vie du Shah
4.5. Documents
4.6. Martyre de Tahirih
4.7. Pourquoi un Prophète ?

5. BAHA'U'LLAH
5.1. Baha'u'llah
5.2. Exil
5.3. Régénération de la communauté babie
5.4. Déclaration de la mission de Baha'u'llah
5.5. Nouvel exil
5.6. 'Akka
5.7. Le professeur Browne à Bahji
5.8. Les écrits de Baha'u'llah à 'Akka
5.9. La lettre de Baha'u'llah à Nasiri'd-Din Shah de Perse
5.10. La communauté baha'ie en Perse
5.11. Début de l'expansion
5.12. Le décès de Baha'u'llah

6. LA DOCTRINE
6.1. Connaître et aimer Dieu
6.2. Développer les potentialités inhérentes à l'homme
6.3. Quelles sont les valeurs vers lesquelles Baha'u'llah oriente l'homme?
6.4. Servir l'humanité et la faire progresser vers son unité

7. ABDU'L-BAHA ET L'OCCIDENT
7.1. 'Abdu'l-Baha et le pèlerinage
7.2. Qui est 'Abdu'1-Baha, ce personnage qui fascine tant les êtres ?
7.3. Aux Etats-Unis
7.4. En Europe
7.5. Dangers
7.6. Voyages d'Abdu'l-Baha en Occident
7.7. La Première Guerre mondiale
7.8. Le Professeur Auguste Forel et la croyance en Dieu
7.9. Ishqabad
7.10. Les dernières années
7.11. Quelques documents

8. L'EXPANSION
8.1. Les premières communautés
8.2. Shoghi Effendi
8.3. Expansion
8.4. L'unité, une utopie?
8.5. Indiens de Bolivie
8.6. Diversité des voies
8.7. Pourquoi suis-je devenue baha'ie?
8.8. Réconfort
8.9. Quelques documents

9. UN MONDE EN MARCHE
9.1. L'ordre administratif
9.2. Les institutions
9.3. La Maison Universelle de Justice
9.4. La fête des 19 jours
9.5. Le financement
9.6. Les lois
9.7. Les Communautés
9.8. Le défi
9.9. Les rassemblements
9.10. L'ouverture
9.11. De 1844 à 1982
9.12. Victoire

Notes
Bibliographie


1. Le Drame

12 janvier 1981, quelle angoisse! mes forces m'abandonnent. Ma mère a téléphoné aujourd'hui à mon père à Téhéran.

Après un mois d'éloignement, elle voudrait le rejoindre. Comme d'habitude, la voix calme et chaude de mon père lui demande de patienter encore. La situation est très mauvaise. Il est préférable qu'elle reste un peu en Europe avec nous. Avant de lui dire au revoir, il dit avec joie:
"Maintenant que nous nous sommes parlé, je passerai une très bonne journée."
Ma mère garde quelque espoir.
Et moi, j'ai l'âme vide, seule ma fille me retient à la vie.
Ce jour, spécialement plus que les autres jours je ne peux plus supporter le perpétuel danger que court mon père en vivant dans l'Iran bouleverse et notre séparation me devient encore plus que jamais intolérable.
Mon Dieu, protège-le.
Mon Dieu, réunis à nouveau notre famille dispersée.
Mon Dieu, bannis toutes les souffrances humaines.
Mon Dieu!
Téhéran, le 12 janvier 1981

Il est 17 h 15, le couvre-feu commence. Après les bruits continus de la rue, la capitale devient progressivement silencieuse.

La secrétaire quitte le cabinet médical. Elle part dans le froid sec avant qu'il ne fasse tout à fait nuit. Mon père reste seul, il attend un dernier patient qui avait demande à le voir d'urgence.

Une demi-heure après le départ de la secrétaire, la servante revient des courses. Trouvant la maison vide, Gulf toujours si attachée à notre famille s'inquiète. Le Professeur devrait être descendu de son cabinet, elle le cherche dans chaque pièce. Elle monte au premier étage, ne le voit pas tout de suite puis pousse un cri épouvante, lorsqu'elle le trouve gisant sur le sol derrière son bureau.

Non! Je ne crois pas, je ne crois pas, je ne peux y croire.

Pourtant, le visage livide de mon mari apprenant le drame le soir même par téléphone me le fait réaliser. Mon père a été lâchement assassiné en plein exercice de sa fonction par un prétendu patient.

Mon Dieu! Mon Dieu! Ce n'est pas possible, c'est un cauchemar. Comment peut-on même le concevoir! Lui si paisible, si fin, si généreux face à un bourreau? L'a-t-on fait souffrir? L'a-t-on moralement torturé? Je ne peux soutenir plus longtemps l'horreur de ces images. Après les craintes et angoisses qui nous paralysaient depuis près d'un an, jour ou les autorités iraniennes ont confisque le passeport de mon père, le pire est survenu.

Je gémis de douleur! J'aurais voulu entendre ses paroles une dernière fois, j'aurais voulu lui dire à quel point je l'aime et je l'admire, j'aurais voulu que ma fille le voie encore pour qu'elle puisse garder toujours l'image de son exemple, j'aurais voulu être dans ses bras et ne jamais l'avoir quitté. Mon coeur et mon âme se consument de souffrance.

Dans cette demi-inconscience dans laquelle je me trouve, l'épreuve terrible qui m'assaille est la réaction que va avoir ma mère. Elle qui formait avec mon père une seule âme, une si forte unité, ce coup lui sera fatal. Dois-je quitter immédiatement la Suisse pour aller la rejoindre en France? Sans doute d'autres personnes lui diront cette cruelle nouvelle avant mon arrivée. Nous préférons l'annoncer nous-mêmes. Je ne peux le faire. Mon mari prend fortement sur lui et téléphone à Paris. Ma mère est seule. Elle attend mon frère pour dîner. Il doit être retenu par la circulation. Sa voix est spécialement heureuse car elle a parlé tout à l'heure à mon père au téléphoné. Je me mords pour ne pas hurler. Nous ne pouvons rien dire tant que Paul ne sera pas rentre.

Quelques minutes après je téléphone encore une fois, c'est un effondrement total, chacune de notre coté, nous sanglotons comme il ne nous est jamais arrivé de le faire. Une autre personne venait de lui apprendre la tragédie par téléphone. Toute sa vie change en l'espace de quelques secondes. Ce drame s'abat sur elle comme la foudre. Comment exprimer les sentiments de glaces et de ténèbres, ces sentiments de révoltes et de chagrin qui affluent dans son esprit. J'ai peur de la laisser seule.

Je la retiendrai pendant une heure au téléphone. Nous ne faisons que sangloter.

Dans son désespoir, elle me dit :

"Si j'avais été présente, certainement j'aurais pu empêcher ce geste fratricide, ou peut-être j'aurais pu le sauver."

J'ai hâte que mon frère arrive pour qu'elle ne soit pas seule et pourtant je voudrais que ce moment ne puisse jamais arriver.

Je pourrai encore moins supporter l'abîme dans lequel il se trouvera.

Comme une flamme, la nouvelle du crime se répand à travers l'Iran et dans le monde avec une rapidité incroyable: des bourreaux ont mis un terme à la vie d'un être qui a su approcher l'amour et la perfection. Mon père a été froidement abattu par deux balles à cause de sa religion, il était baha'i. Ce cruel assassinat ne constitue pas un acte isolé, il fait partie d'un plan général de destruction en Iran de la communauté religieuse baha'ie tout entière, plan qui se réalise à pas de géant depuis arrivée du Gouvernement islamique au pouvoir. Quelle ignominie! Comment peut-on encore, au vingtième siècle, tuer des êtres pour leur foi! Nous retournons avec horreur à l'époque des Romains qui jetaient les chrétiens dans la fosse aux lions, ou dans les camps de concentration ou il suffisait d'être juif pour périr dans les chambres à gaz. La même démence, la même tragédie apparaît-elle?

A Téhéran, plus de 6000 personnes de toutes confessions, bravant les dangers de la situation présente, venant même des provinces et villages éloignés du pays ont voulu témoigner leur amour, lors des funérailles de mon père. Une cinquantaine d'autobus et des centaines de voitures partant de différents points de rassemblement de la capitale convergent avec un silence pesant et une gravité sans précèdent vers le cimetière baha'i de Téhéran.

Arrives au cimetière, c'est encore l'angoisse, les gardes révolutionnaires annoncent un danger:

"Quatre bombes vont exploser, que ceux qui veulent partir se retirent sans affolement."

D'un élan unanime, comme un cri du coeur, personne ne bouge. Sous un rayon de soleil exceptionnellement doux de l'hiver, la foule silencieuse, recueillie, bouleversée, mêlée aux couronnes de fleurs innombrables, accompagne mon père pour un dernier hommage en chantant un hymne religieux qui disait toute la souffrance et l'espoir.

Contrairement à la presse internationale qui dévoila le meurtre odieux, la presse en Iran n'a pas relaté l'événement. Les autorités iraniennes ont gardé le silence et, quelques jours après l'assassinat, elles se sont approprié notre maison et ont tout pillé, le mobilier, les vêtements, les tableaux, les livres, les photos, les lettres, tout.

Nous sommes projetés sur la scène de l'actualité. La force de notre douleur nous pousse à dénoncer ouvertement ce plan d'extermination. Le temps presse, la machination infernale continue. Des millions de baha'is de toutes races, origines religieuses et classes de par le monde souffrent du calvaire de leurs coreligionnaires en Iran et font des démarches auprès de leur gouvernement respectif: il faut tenter de sauver des centaines de milliers de baha'is en Iran.

Après la foudre de l'horreur, notre vie doit continuer. Pour la majorité des personnes, le drame qui nous est survenu est passé et pour nous la souffrance demeure encore plus profonde et plus forte. Mon père n'est plus là. Nous - ses enfants, son épouse, son frère - avons été arrachés avec violence de notre plus précieux amour. Le flot de bonté, de beauté qui coulait à travers ses nombreuses lettres, ses appels téléphoniques, sont définitivement interrompus. Je suis submergée pour la première fois de ma vie d'un chagrin inconsolable. Il me semble que depuis ce moment une partie de moi-même a quitté ce monde et a suivi mon père dans l'au-delà.


1.1. Les premiers pas de terreur sous la République islamique

Rien ne laissait prévoir dans notre vie une telle fatalité. Bien sur, personne ne s'attend au malheur. Chacun sait que la pire des violences, les drames sous toutes les formes existent et les déplore, mais on pense toujours être à l'abri du fléau. Les tragédies, les malheurs, ça n'arrive qu'aux autres. Pourtant, lorsque la violence frappe, elle frappe n'importe où et n'importe qui, et cette fois c'est nous qui en sommes la cible.

Etrange, la façon dont en 1978 sont volés au centre administratif baha'i de Téhéran les registres d'identité des membres de la communauté baha'ie iranienne. C'est quelques mois avant le départ du Shah (1) et l'instauration du Gouvernement islamique.

L'année 1979 voit l'Iran entrer en pleine révolution avec les passions, les espoirs, les ravages, les souffrances. L'agitation sociale en cours depuis le renversement du Shah choisit à nouveau, comme à chaque époque de crise, comme l'un des boucs émissaires la communauté baha'ie, la plus grande minorité religieuse non musulmane en Iran, qui doit expier pour tous les maux et problèmes du pays.

La course vers l'anéantissement de cette communauté religieuse paisible et inoffensive, dont les adeptes proviennent de toutes les couches sociales et ethniques, va aller en s'accélérant. Des actes odieux de sacrilège et de terreur constituent les premières étapes d'un plan de l'absurde qui menace de mener au génocide.

Qu'est-ce qui fait basculer dans le délire des autorités à qui apparemment un peuple plein d'espoir a légué le pouvoir et qui commence notamment par détruire systématiquement la base économique de la communauté baha'ie tant individuellement que collectivement ?

D'une façon stupéfiante, un terrorisme organisé dévaste la vie de modestes villageois en attaquant, pillant, incendiant les maisons, les récoltes, le bétail, les commerces des baha'is. Le coeur serré d'effroi, les paysans voient leur lopin de terre, tout ce qu'ils avaient pu acquérir dans leur vie, réduit en cendres. Dépossédés, un millier d'entre eux vont se réfugier sous des tentes pendant des mois. Un père et son fils sont lynches jusqu'à la mort, leurs cadavres traînés dans les rues de Miyan-Du'ab avant d'être brûlés. Quelque cinq cents maisons sont pillées, détruites ou incendiées à Shiraz et dans la province d'Adhirbayjan. Le désarroi gagne leur esprit et pourtant forcés par les gardiens de la révolution à renier leur foi, ils persistent avec noblesse à rester fermes dans leur religion.

Dans une soif inépuisable de destruction, les autorités saisissent sans scrupule le legs d'un siècle d'histoire sainte de cette foi née en Perse et par la même occasion ses institutions de charité. Ainsi dans le pays tout entier sont profanés et confisqués les nombreux lieux saints et lieux de pèlerinage, les cimetières et les centres administratifs baha'is, les écoles, la caisse d'épargne, les hôpitaux de charité, la maison de retraite d'où sont expulsées les personnes âgées baha'ies.

Les pas du monstre s'avancent sur les villes en procédant à l'étranglement financier des baha'is: annuler leurs pensions de retraite, bloquer leurs comptes en banque, les congédier de la fonction publique, du secteur privé, s'approprier leurs commerces, usines, entreprises et même refuser des certificats de naissance aux nouveau-nés de la communauté !

A cette époque, en septembre 1979, mes parents viennent nous voir à Paris. Notre noyau familial est fortement lié et uni autour de mes parents. Nous sommes apaisés d'avoir pour quelque temps loin de ces événements la chaude présence de mon père. Mais il se sent épuisé, il a vécu pas à pas la souffrance de chaque baha'i iranien.

Notre baume est de courte durée, les mauvaises nouvelles continuent d'affluer: à Shiraz, la maison du Bab, lieu sacré, lieu de pèlerinage appartenant aux baha'is de tous pays, vient être confisquée en septembre 1979. L'angoisse grandit.

De toutes les parties du monde, plus d'une centaine de communautés nationales baha'ies fort alarmées du sort de leurs coreligionnaires iraniens envoient des télégrammes en priant le gouvernement révolutionnaire islamique de protéger les droits le cette minorité.

Le Gouvernement islamique déclare froidement qu'il n'accordera aucune reconnaissance à la foi baha'ie aux termes de la Nouvelle Constitution.

Les droits élémentaires de ses fidèles ne seront donc pas protégés non plus, ce qui légalisera tous les délires.

Le téléphoné n'arrête pas de sonner chez nous, des amis et membres de notre famille supplient mon père de ne pas retourner en Iran. Il pourrait être lui aussi une des cibles de l'oppression.

J'entends encore sa voix répondre :

"Il ne faut pas vous inquiéter pour moi."

Il sait le respect que ses concitoyens lui témoignent, même ceux du gouvernement actuel. Il peut encore aider les opprimés.

Son visage s'illumine du sourire de ses yeux et il continue avec douceur mais certitude :

"Je dois retourner à Téhéran, mes patients et le travail m'attendent, des milliers de personnes souffrent chaque jour chez nous."

Mon père retrouve sa joie intérieure lorsqu'il est en compagnie de ma mère et de nous. Mais ses pensées sont demeurées dans le tumulte de l'Iran ou près d'un demi-million de ses coreligionnaires ont dû depuis plus d'un siècle faire face à l'intolérance, au non-respect de leurs droits fondamentaux et par intermittence traverser des périodes de fortes persécutions, telle époque actuelle.

Sa conscience lui dicte de retourner chez lui.
L'intensité de ces moments décisifs pour nous se fond dans le tourbillon des jeux et des rires insouciants de ma fille.

Mes parents repartent pour l'Iran. La dernière année de la vie de mon père sera la plus douloureuse.

Le 1er décembre 1979, avec un visage serein, l'être à qui je tenais le plus au monde s'éloignait pour toujours.


1.2. Le passé

Qu'il est douloureux de faire revivre les images entourant mon père, un passé pour moi semé seulement de tendresse. Mes années d'enfance à Téhéran sont restées très nettes dans ma mémoire et sont toujours associées au sentiment de paix auprès de mes parents et de mon frère, privilège sans doute d'avoir grandi dans un cocon d'amour. Je sens que ce serait trop poignant de retourner un jour sur les lieux ou mon père, mon univers, tout ce que j'ai pu aimer à disparu.

Mon coeur se resserre, je nous revois dans notre jardin de Téhéran. Mon frère et moi sommes si proches l'un de l'autre que je me distingue difficilement de lui. Nous jouons avec nos amis, courant autour du grand bassin, nous cachant derrière les cyprès ou nous déguisant, et les jeux sont chaque fois plus exaltants. Mes parents, ma grand-mère et quelques habitués de la famille discutent dans le salon. Chaque saison est belle en Iran, spécialement l'automne avec la pureté de l'air et les couleurs mordorées et changeantes de la montagne. Par les larges baies, le rayon du soleil pénètre dans la maison. On dirait que la lumière est vivante. Elle joue sur les arbres puis sur les tapis, les murs, les meubles, tout parait étincelant. Une admiration discrète et réciproque se dégage de mes parents, faisant d'eux l'un de ces couples solides et unis que rien n'ébranle dans leur amour.

Mes parents, bien que de religions différentes, respectent leur foi mutuelle. Mon frère et moi suivons aussi bien l'instruction catholique que baha'ie. Nous assistons régulièrement aux services religieux catholiques. Le dimanche, Paul aide à servir la messe comme enfant de choeur. Mes parents nous ont simplement dit qu'une fois adultes, nous pourrons choisir la voie que nous jugerons la meilleure. Cela me paraîtra tout à fait naturel car nous sommes entoures de toutes les confessions. Nous vivons dans un pays islamique, la religion ancestrale de L'Iran est la religion zoroastrienne, la famille de mon père à en son sein des protestants, des baha'is, des juifs et des musulmans, et la famille de ma mère en France est catholique. Jamais je ne peux me souvenir même d'un mot de heurt entre mes parents au sujet de leur foi respective, bien au contraire, petit à petit, au cours des années, ma mère admirera le respect que témoigne mon père envers elle et la dignité de ses actes. En le jugeant, elle commencera à s'émouvoir de sa religion, et ce n'est que beaucoup plus tard, après un long cheminement personnel, qu'elle deviendra baha'ie.


1.3. L'enquête

Professeur agrégé des facultés de médecine de France et ayant comme maître le Professeur Rouvière, mon père fit ses études de médecine à Paris, ville de ma mère qui est artiste peintre française. Leur destin se croisera sur une plage normande. Ma grand-mère approuvera du fond du coeur le mariage de sa fille avec ce jeune Persan distingué bien qu'il appartienne à une confession différente.

Dans la religion baha'ie, les fidèles peuvent se marier avec des membres des autres confessions. Par contre, l'Eglise n'accepte pas d'unir deux conjoints dont l'un n'est pas catholique. Les problèmes surgissent, les jeunes gens doivent franchir le premier obstacle. Pourtant, lorsque l'archevêché de Paris à su que le fiancé est de religion baha'ie, il fit une enquête auprès de l'archevêché de Téhéran, qui fut décisive: la religion baha'ie est née en Orient comme toutes les grandes religions et gravite autour de deux figures centrales:

Le Bab, dès 1844, en Perse, revendique d'être le Précurseur d'une nouvelle une ère et de préparer la voie pour le Promis.

Baha'u'llah, en 1863, déclare être le Promis dont la mission est d'inaugurer ère de paix et de justice annoncée par le Bab et par les religions antérieures. Il proclame être un Envoyé de Dieu au même titre que Bouddha, Krishna, Zoroastre, Moise, le Christ, Muhammad et le Bab.

La foi baha'ie se considère comme faisant partie du cycle des religions provenant toutes de la même origine divine et révélées au cours des âges en fonction de l'évolution des hommes et des besoins de chaque époque.

La foi baha'ie n'est pas une secte, mais une religion nouvelle et indépendante, avec ses propres saintes écritures et ses lois. Les enseignements spirituels, moraux et sociaux reflètent les trois dimensions de cette religion: Dieu, l'homme et la société. Ses écritures présentent une approche de la connaissance et de l'amour du Dieu unique. Elles mettent aussi en relief les valeurs de l'homme mises au service de l'humanité. Le but de la croyance: redonner l'impulsion spirituelle aux êtres humains, abolir les barrières entre les peuples et bâtir la fondation de l'unité de l'humanité. Cette croyance s'est répandue dans le monde entier et ses fidèles proviennent de toutes les ethnies, passés religieux ou couches sociales. L'archevêché de Téhéran donna un avis favorable sur cette religion et apprécia notamment la loi de la monogamie.

Après avoir reçu une dispense du pape, enfin le mariage à l'Eglise catholique a lieu, suivi du mariage baha'i. Sous une pluie fine de l'automne parisien, cette journée est célébrée avec un émoi tout particulier.


1.4. Mon père

Bien qu'entrecoupée de nombreux voyages et séjours à l'étranger, mes parents bâtissent leur vie à Téhéran. Mon père, le Professeur Manuchihr Hakim, devint un médecin de grande notoriété. Il est fort respecté et aimé par ses concitoyens aussi bien pour ses oeuvres scientifiques et humanitaires que pour sa personnalité intègre, attachante et sa rectitude morale. Derrière ses lunettes, ses yeux reflétant la bonté et l'humilité sourient et se posent avec délicatesse sur chaque être. Ce regard réchauffe de nombreux coeurs meurtris. Sa voix est douce et tendre ; en même temps, force, équilibre et détermination émanent de sa personne.

Toutes les facettes de sa vie reflètent son dévouement pour soulager la souffrance humaine. C'est essentiellement dans sa foi qu'il puise une force au-delà de lui-même.

Dans tout l'Iran, sa haute renommée de médecin spécialisé en gastro-entérologie ne se limite pas aux privilégiés. Il est aussi médecin des pauvres qui tiennent une plus grande place dans son coeur. Il soigne gratuitement les nécessiteux, jusqu'au dernier jour de sa vie. Des malades provenant des provinces, des villages et des tribus éloignés, viennent le consulter. Ce sont ses patients favoris. Mon père parle d'eux avec émotion. Tous les jours, ils le bénissent et expriment leur reconnaissance par des attentions qui le touchent profondément.

Dans son cabinet médical, le salon est toujours plein de monde. Certains malades, particulièrement ceux de province, arrivent même dès l'aube. Souvent, mon père fait servir du thé aux patients ou des rafraîchissements en pleine chaleur. Et lui-même descend du cabinet à la maison, entre deux malades, pour vite nous embrasser. Il gardera cette habitude qui me ravissait même lorsque plus grande je venais d'Europe passer mes vacances à Téhéran. J'entends encore sa voix qui m'appelle joyeusement en disant :

"Kiki, viens, c'est l'heure de ma recréation!" et nous rions avec complicité.

Chaque jour, très régulièrement, presque aux mêmes heures après sa consultation privée, il prend sa trousse médicale en cuir noir, son chapeau, nous embrasse et part. Toujours égal à lui-même, il a la capacité de réaliser énormément d'activités avec sérénité et dignité. Dans la rue, de nombreuses personnes le reconnaissent. Par un geste courtois, devenu familier chez lui, il soulève son chapeau pour les saluer et continue sa route vers un but très clair et précis devant lui.

L'une des activités qui lui tient le plus à coeur, c'est l'hôpital de charité baha'i, fondé il y a plus de trente ans par les dons d'un mécène baha'i, M. Mithaqiyyih. Depuis lors, mon père en a presque toujours été le directeur; il travaille bénévolement pour l'amour de sa foi, des nécessiteux et de la science. Cette institution sociale est son troisième enfant. Jour et nuit il s'y rend, se dévoue pour son progrès et veille avec minutie aux soins prodigués aux malades de toutes confessions. Les revenus des chambres payantes permettent d'hospitaliser gratuitement les pauvres, payer le personnel, agrandir et développer l'hôpital, le rendant ainsi l'un des meilleurs de la capitale.

Mon père est de plus le fondateur d'une des rares maisons de retraite de Téhéran qui est aussi une institution sociale baha'ie ouverte à tous. C'est à cause de son dévouement que le Gouvernement français lui décerne la légion d'honneur pour ses actions humanitaires et scientifiques. Lors de la Révolution islamique, il sera bouleversé lorsque les autorités confisqueront entre autres l'hôpital et la maison de retraite et chaque mauvais traitement que subiront ces institutions de charité sera pour lui une blessure profonde.

Homme de science, il occupe pendant toute sa vie professionnelle la chaire d'anatomie à la Faculté de médecine de l'Université de Téhéran et de l'Université Milli. Les étudiants craignent un peu ce Professeur qui exige d'eux un niveau honorable afin qu'ils puissent représenter un jour le corps médical iranien avec dignité. Mais il est aussi l'un des Professeurs les plus populaires et les plus aimés car tous sont attirés avant tout par son sens poussé de l'équité.

Mon père est un passionné d'anatomie, il nous parle de ce domaine comme de l'un des miracles de la création. Je ne sais comment il peut trouver le temps de rédiger et publier le résultat de ses perpétuelles recherches dans une vingtaine d'ouvrages de médecine, les premiers livres d'anatomie écrits en iranien toujours mis à jour avec les plus récentes découvertes mondiales et illustrés par les dessins d'anatomie de ma mère.

Lors de ses études à Paris, mon frère trouvera avec une certaine émotion que mon père est cité dans les livres de médecine Rouvière comme ayant découvert le ligament sacrolombaire portant son nom.

Mon père vit non seulement pour se dédier aux hommes quelles que soient leurs origines et leurs croyances, mais aussi pour servir la communauté baha'ie. Pendant 25 ans, il sera membre ou président de l'Assemblée Spirituelle Nationale des baha'is de son pays. Ce même type d'institution collégiale existe dans chaque pays ou vivent les adeptes de cette religion. Je le revois, le soir, trois ou quatre fois par semaine, après une journée de travail intense, aller aux réunions de l'Assemblée. Ce sera sans doute l'une des responsabilités les plus lourdes qu'il assumera: s'occuper avec huit autres personnes du bien-être et des problèmes d'une large communauté d'un demi-million de fidèles dans ce pays, avec même plus de conscience et d'intérêt que s'il s'agissait de leur propre vie. Parfois, il revient des séances exténué, avec un visage soucieux ou chagriné par l'annonce de difficultés infligées à des baha'is.

En effet, formant une communauté pacifique, paradoxalement les baha'is constituent le groupe le plus souvent persécuté en Iran depuis l'origine de leur foi, en 1844.

Le premier pogrom des baha'is remonte aux dix-neuvième siècle. Sous le règne des Qajar, plus de vingt mille adeptes de cette religion ont été cruellement massacrés.

Si le règne des Pahlavi semble marquer en apparence une période plus calme parce que moins violente - mis à part la cruelle période de 1955 - c'est pourtant sous ce règne qu'est entreprise la marginalisation des baha'is où des mesures législatives et administratives tendait à les reléguer au rang de citoyens de second ordre. Les seules exceptions sont faites à ceux dont les capacités dépassent nettement celles des autres Iraniens.

Quoique constituant la plus grande minorité religieuse du pays, la communauté baha'ie n'a pas été mentionnée dans la Constitution iranienne promulguée en 1906, reconnaissant uniquement les minorités juive, zoroastrienne et chrétienne. Cette omission délibérée amène la communauté baha'ie à subir de sérieuses violations des droits fondamentaux de l'homme, lui ôtant ainsi tout recours à des protestations légales.

Parfois aussi mon père revient des séances de l'Assemblée avec des yeux illuminés d'un profond bonheur. Je découvrirai chez lui la même étincelle surtout lorsque nous nous trouvons en Occident dans des conférences internationales regroupant des baha'is de tous pays.

Pendant ces années, je me souviens spécialement du vendredi, jour de congé national. La capitale se repose, les bruits de la folle circulation de la semaine laissent la place aux sons propres à l'Iran: le chant du corbeau, le souffle léger du vent sur les arbres, parfois la voix lointaine de quelques marchands ambulants. Dès le matin de bonne heure, on vient voir mon père pour lui demander conseil ou de l'aide pour des problèmes. Son discernement empreint de sagesse et sa personnalité en font un conseiller écouté. Nombreux sont ceux qui s'appuient avec toute confiance sur cet être toujours si calme, courtois envers chacun, qui ne profère aucune critique ni un mot déplacé. Les seules fois ou je l'ai vu hors de lui sont lorsqu'il constate des actes malhonnêtes et des injustices, surtout lorsqu'elles sont au détriment des plus faibles. Ces agissements le font énormément souffrir, le rendant même littéralement malade. Dans ces moments-là, ma mère est sa principale confidente et son soutien.


1.5. L'âme de notre maison

Je revois ma mère comme le centre de notre famille et l'âme de la maison. Elle est tout entière à nous et sa raison principale de vivre est de nous procurer le bonheur et elle y réussit. Elle apporte entre autres de l'enthousiasme et de la saveur à notre vie familiale et à notre foyer, maison d'artiste ou l'on se sent bien dans l'harmonie des couleurs tendres, la beauté des formes, l'espace. Les toiles gaies et lumineuses de ma mère lui ressemblent. Elle aime peindre un monde beau surtout peuplé de fleurs. Elle sait mettre de la spontanéité dans chaque activité que nous entreprenons avec gaieté.

Notre maison est toujours ouverte à nos nombreux amis de toutes nationalités, les Franco-Iraniens étant les plus nombreux. Certains disent: "c'est la maison du Bon Dieu", et mon père rit de bon coeur et se détend. Ces visages déferlent devant mes yeux comme en relief et tiennent une place particulière dans mon coeur.

Notre maison, je l'aimais comme si je ne devais jamais m'en séparer, c'était mon univers.

C'est aussi à Téhéran, dans ce même jardin de mon enfance, en compagnie de nos amis et de membres de la famille, par une soirée claire et calme d'été sous la sérénité du ciel et entourés d'une multitude de fleurs, que je me suis fiancée. C'est le prélude de notre bonheur.

Maintenant tout est effacé. Je ne crois pas que mes plaies puissent se cicatriser de si tôt. Mon coeur saigne, des images oubliées me hantent. Dans ces mêmes lieux je ne revois que l'assassinat de mon père, le pillage de la maison et de tout, de tout, même des plus petits souvenirs de notre vie. Mais peut-être y reste-t-il le doux parfum de la grandeur d'âme de mon père, et cela, personne ne pourra jamais le détruire.


1.6. La dernière année

Mes parents quittent Paris pour Téhéran vers la fin de l'année 1979. La situation dégénère rapidement. Après les arrestations puis les exécutions politiques, les tribunaux islamiques continuent leur besogne avec de nouveaux contingents de condamnés dont les baha'is.

Les pas du monstre avancent dans son plan de destruction de cette minorité avec plus de violence. Un peu partout en Iran, en pleine nuit, des coups retentissent sur les portes des maisons. Chacun retient son souffle. C'est bien chez eux que l'on frappe, sans fournir aucune explication, les gardiens de la révolution viennent arrêter le chef de famille.

Le trait distinctif de ces arrestations consiste à s'emparer de ceux qui n'ont commis aucune faute et le point commun des victimes est leur appartenance à la foi baha'ie. Dès lors, chaque famille de la communauté s'attend d'une minute à l'autre au coup de sonnette strident. Comment des êtres qui n'ont pas été préparés intérieurement à la terreur peuvent-ils encore survivre dans des circonstances maudites? Seule leur fermeté dans leur foi leur permet de résister.

Pour les empêcher de quitter l'Iran, on confisque les passeports de nombreux baha'is. Mon père se voit retirer aussi le sien. Au début, chacun croit que c'est une erreur et se demande: pourquoi moi? Les autorités ne donnent aucune réponse car il n'en existe pas, mais les feront courir d'un bureau à l'autre en faisant de vagues promesses pour ne pas révéler le sort macabre qui leur est réservé.

Dès ce moment, pour moi et ma famille en Europe commence un long calvaire. Mon père qui, par solidarité, est retourné de plein gré dans son pays, n'est plus libre d'en ressortir quand il le souhaitera. La nation qu'il a tant servie l'enferme entre ses frontières. Ces longs mois de séparation, d'angoisse, étreignent mon coeur et paralysent mon esprit. Jour après jour, nous l'attendons, nous gardons l'espoir. Je ne demande rien d'autre à la vie que d'être à nouveau réunie avec mon père.

L'Iran entier tombe progressivement dans le désarroi. La guerre éclate avec l'Irak en septembre 1980.

Mes parents continuent un semblant de vie. Mon père reçoit encore plus de patients gratuitement dont les blessés de guerre. On ne trouve plus beaucoup de médecins, la plupart ont déjà quitté l'Iran.

Cette fois, la violence perpétrée contre les baha'is bascule dans son stade de folie, avec les kidnappings, les exécutions et les assassinats!

Aucune épouse ou aucune mère ne peut plus être assurée de revoir son mari ou son fils lorsqu'il franchit le seuil de la maison. Ainsi en août 1980 les neuf membres de l'Assemblée Spirituelle Nationale des baha'is d'Iran et d'autres adeptes ont été enlevés. Depuis ce jour, leurs familles vivent dans une existence accablante: plus aucune trace, plus aucune nouvelle. Ont-ils été déjà exécutés en silence, subissent-ils les horreurs de la torture? Même les recherches du Comité International de la Croix-Rouge sont restées vaines. Ceux qui avaient été arrêtés passent devant les tribunaux islamiques et après un jugement expéditif avec comme charges de faux témoignages: soit "espions sionistes", soit "corrupteurs sur la terre", sont exécutés sommairement.

On exigera d'une épouse de rembourser le prix de la balle qui avait tué son mari. Le visage monstrueux de l'holocauste étreint ses victimes innocentes et piétine les familles bouleversées.


1.7. Les diffamations

La terreur s'infiltre sournoisement chez mes parents par des chantages venant d'appels téléphoniques, par des visites étranges. Craignant des représailles, mes parents ne nous parlent pas de cette situation ni par téléphone, ni par lettre. Mais ma mère ne peut plus supporter la lâcheté et l'injustice des hommes. Elle ne peut plus supporter les mensonges, les calomnies qui se tissent centre les minorités religieuses.

En effet, ce plan de terreur est en plus accompagné par une vaste campagne de diffamation centré sur les baha'is en calomniant les enseignements de cette religion et en les transformant en accusations.

Déjà sous les régimes précédents, les principes baha'is d'unité de l'humanité, de loyauté envers le gouvernement, de non-engagement dans la politique, ont été faussement interprétés afin de faire passer la foi baha'ie pour un groupement politique. Cette accusation a varié avec le temps: sous les dynasties des Qajar et des Pahlavi, on traita les baha'is d'agents des Russes et des Anglais et actuellement, sous le Gouvernement islamique, on les accuse de collusion avec le régime du Shah, d'être des agents de l'impérialisme américain et du sionisme, même, selon un Ayatollah cité par un journal iranien, des agents à la fois "de la Russie, d'Israël, de l'Angleterre et des U.S.A." !

Interview de l'Ayatollah Khumiyni (Khomeiny) au journal "Seven days" du 23 février 1979

"Comment seront traitées les minorités religieuses sous la République islamique, par exemple les musulmans sunni, les sufi, les iraniens assyriens, les chrétiens arméniens, les juifs, les baha'is, etc. ?"

"Les minorités religieuses en Iran, sous le Gouvernement islamique, seront entièrement respectées. Leurs droits seront respectés et protégés. L'islam aura une attitude et des relations humaines avec elles et il n'y aura rien à craindre."

"Existera-t-il une liberté religieuse ou politique pour les baha'is sous le Gouvernement islamique?"

"Ils sont une fraction politique, Ils sont nuisibles, Ils ne seront pas acceptés."
"Qu'en sera-t-il de leur liberté de religion - des pratiques religieuses?"
"Non."

Les diffamations continuent : étant donne que la foi baha'ie a été établie après la religion de Muhammad et quoiqu'elle accepte et respecte toutes les grandes religions y compris l'islam, les baha'is sont injustement accusés d'être les ennemis de l'islam. Et encore, bien que les lois baha'ies sur la chasteté et la fidélité dans le mariage exigent de ses adeptes de suivre une des plus hautes morales existantes, leur principe d'égalité des droits de l'homme et de la femme est grossièrement diffamé, et les adeptes sont accusés de prostitution, d'immoralité et d'adultère.

Depuis un siècle, cette campagne de diffamation savante et étudiée justifie aux yeux du peuple les persécutions les plus brutales et prive la grande majorité des Iraniens de connaître les fondements mêmes de la religion contemporaine née dans leur propre pays et, fait curieux, même la plupart des Iraniens à l'esprit ouvert ne cherchent pas à savoir la vérité sur ce phénomène.

Jusqu'à quand dureront donc ces mensonges, camouflant l'horreur des persécutions ? Ma mère est à bout.


1.8. Derrière la vitre

Noël approche, mon père suggère à ma mère d'aller en Europe nous voir. Ce voyage pourrait lui faire du bien. Mais elle ne veut pas le laisser seul. En plus, la voie aérienne pour l'étranger est coupée, seuls des autocars entre Téhéran et Ankara fonctionnent. La traversée de l'Iran et de la Turquie pourrait être pénible. Pourtant tout se passera bien.

Le jour du départ arrive, il est 5 heures du matin, il fait encore nuit. Les voyageurs se retrouvent devant un grand hôtel au pied de la montagne. Mon père est heureux, il dit à ma mère:

"C'est comme si je pars moi-même voir les enfants."

Ils répètent encore une fois les mêmes gestes et les mêmes paroles d'un couple uni depuis plus de quarante ans. De derrière la vitre de l'autocar, ils se sourient tendrement, ce sera leur dernier regard mêlé de joie et de tristesse.

Mon père continue de nous écrire presque tous les jours. Ses lettres sont encore plus belles. Il y a tant d'amour.

Bientôt les nouvelles tragiques vont se précipiter. En décembre 1979 un couple de baha'is vient être brûlé vif par des hommes masqués. Puis, deux jours avant le meurtre sordide de mon père, les gardiens de la révolution pénètrent chez nous. Ils exigent que mon père leur livre la liste des médecins baha'is d'Iran. Il refuse.

Le lundi 12 janvier 1981 arrive l'heure fatidique!

Sont-ce les représailles? Sont-ils venus renouveler leur exigence? Nul ne le sait.

Nos nombreux télégrammes à toutes les personnalités au pouvoir en Iran restent à jamais sans réponse. L'arrestation de mon père aurait soulevé trop de remous. Il est évident qu'un lâche assassinat évite la colère du peuple.

Ses dernières lettres nous parviennent encore après le drame. Quel déchirement !
Mon Dieu! Que nous arrive-t-il !


1.9. L'holocauste ?

Les exécutions se succèdent, chacune plus poignante que les autres, telle, le 14 juin 1981 à Hamadan, l'exécution de sept baha'is qui avant de périr avaient subi des tortures: dos brisé, cuisses tailladées, brûlures.

La vie humaine n'a plus aucune valeur. Jusqu'à ce jour les tribunaux révolutionnaires islamiques ont exécuté plus d'une centaine de baha'is pour avoir refusé de renier leur attachement à une foi pacifique. Des centaines de baha'is sont également arrêtés et risquent le même sort. La plupart des victimes sont des membres élus des Assemblées spirituelles locales baha'ies des villages et des villes, et par conséquent représente des citoyens imprégnés des plus hautes valeurs morales. Les intégristes auraient même l'intention de faire exécuter les 4500 membres élus des 500 Assemblées spirituelles baha'ies de l'Iran.

Le 27 décembre 1981 puis le 4 janvier 1982, 8 membres de l'Assemblée Spirituelle Nationale actuelle de l'Iran, dont une femme, puis 6 des 9 membres de l'Assemblée de Téhéran ainsi que la dame chez qui ils se trouvaient, ont été exécutés sommairement et sans jugement pour avoir consacré leur vie à la fraternité universelle.

Pendant ce temps, les moyens d'intimidation de la communauté baha'ie iranienne toute entière s'accélèrent tels: à Miisa Abad, un village près de Téhéran, deux adolescentes de près de quatorze ans ont été kidnappées par des professeurs d'éducation musulmane pour être converti à l'islam. La radio de Yazd a sommé cent cinquante baha'is de se présenter dans les huit jours, sinon les pires représailles les attendaient. A présent, les enfants des baha'is ne sont plus acceptés dans les écoles. Hors des frontières, les services consulats iraniens ont reçu l'instruction de Téhéran de retirer les passeports des baha'is iraniens sous leur juridiction et de ne leur délivrer qu'un laissez-passer pour retourner en Iran.

Les outrages envers les lieux saints baha'is se multiplient tels: à Shiraz, la maison du Bab est complètement détruite et en mai 1981, les autorités ont annoncé leurs intentions de raser le lieu saint et d'y construire une route et un parking public. Ce plan est actuellement mis à exécution. Le 5 décembre 1981, par ordre de la cour révolutionnaire, le cimetière baha'i de Téhéran a été saisi et les gardiens du cimetière furent arrêtés. A Takur, le 15 décembre 1981, la maison de Baha'u'llah est totalement détruite, et le terrain est mis en vente par les autorités.

Des responsables du gouvernement ont confirmé par inadvertance qu'un plan d'une campagne de persécution systématique est dirigée par le Gouvernement révolutionnaire contre d'entière communauté baha'ie d'Iran pour l'annihiler totalement. Ce plan d'extermination a été publié récemment dans les journaux iraniens tels le Kiyhan (Keyhan) du 1, 2, 5 et 19 novembre 1981 et Ittila'at (Ettelaat), du 5 novembre 1981.

Une tragédie prenant des proportions effrayantes est en train de se dérouler en Iran. Un génocide est engagé contre cette minorité religieuse qui paye douloureusement son idéal de paix. Laisserons-nous un demi-million de baha'is dans ce pays être menacés d'une "solution finale" ?

Leurs coreligionnaires issus de 173 pays du monde, bouleversés par ce drame, oeuvrent par des moyens pacifiques pour bannir la violence.


1.10. Condamnation des persécutions

Paradoxalement, depuis notre tragédie et la brusque tristesse qui m'étreint, je retire une force de mon anéantissement; dès lors elle n'est plus mienne, elle doit servir les autres. Cette force d'âme, ce réconfort, je les puise dans les saintes écritures baha'ies. Il existe certainement un sens au sacrifice des martyrs. En Suisse, en France, au Canada, nous frappons à toutes les portes, celles des diverses commissions des droits de l'homme, des personnalités, de la presse, de la radio, de la télévision. Je vis dans un état second. Je ne crains plus rien. Pour moi et les familles des victimes le pire est déjà arrivé, mais il est encore temps de sauver les autres. Dans chaque pays du monde, les baha'is font des démarches. Déjà, partout des marques de sympathie éclatent par des résolutions, déclarations, protestations condamnant les persécutions dont est victime la communauté baha'ie iranienne qui représente environ 10 % de la communauté mondiale baha'ie:

Juillet 1979: Déclaration commune de tous les groupes parlementaires suisses.

Septembre 1979: Déclaration de la Fédération des Eglises Protestantes de Suisse, Commission des droits de l'homme.

Septembre 1980: Résolution adoptée par la sous-commission des Nations-Unies de la lutte contre les mesures discriminatoires et de la protection des minorités.

Septembre 1980: Protestation de la Fédération suisse des communautés Israélites.

Septembre 1980: Première résolution adoptée par le Parlement européen.

Septembre 1980: Déclaration du Conseil de l'Europe.

Septembre 1980: Protestation de l'Evêché de Lausanne, Genève et Fribourg.

Juillet 1980: Résolution unanime du Parlement canadien.

Mars 1981: Motion adoptée par le Sénat de l'Australie.

Printemps 1981: Interpellation des parlementaires suisses adressée au Conseil fédéral.

Avril 1981: Seconde résolution du Parlement européen adoptée à l'unanimité.

Avril 1981: Déclaration des Pays-Bas au Conseil Economique et Social des Nations-Unies, au nom des dix pays membres de la Communauté économique européenne.

Juillet 1981: Résolution du Parlement de la République fédérale d'Allemagne.

Septembre 1981: Résolution adoptée par la sous-commission des Nations-Unies de la lutte contre les mesures discriminatoires et de la protection des minorités.

Avril 1981: Télégramme de Mme Simone Veil, Président du Parlement européen, à la communauté baha'ie de France :

"J'ai été très sensible à votre nouvel appel relatif à la situation de la communauté baha'ie en Iran - Stop - J'en ai immédiatement donne connaissance aux instances compétentes du Parlement européen qui a adopte le 10 avril par vote d'urgence une nouvelle résolution condamnant les persécutions dont sont victimes les baha'is d'Iran et demandant aux Gouvernements et Etats membres de la Communauté d'intervenir très rapidement en leur faveur près du Gouvernement Iranien - Stop - Une copie de cette résolution vous est adressée par voie postale.
Considérations distinguées
Simone Veil, Président du Parlement européen"


1.11. Témoignages

Face à l'agression et à la cruauté, voici deux lettres, reçues des baha'is d'Iran, qui sont des témoignages parmi tant d'autres de la réaction de la communauté baha'ie en Iran.

"Avant de rapporter les événements survenus les derniers jours de la vie terrestre de Yusif, j'aimerais rappeler un incident qui s'est passé deux mois avant son arrestation. Au cours d'une conversation avec Yusif, je proposai que puisqu'il était un baha'i notoire et pouvait être une cible pour les ennemis de la cause, il serait plus prudent pour lui de quitter le pays pendant un certain temps. Nous eûmes une longue conversation à ce sujet qu'il résuma en disant: "En temps normal, tout le monde sert la foi, mais en temps de crise, nous devons redoubler nos efforts pour la cause. Nous ne devrions pas avoir de craintes et nous ne devrions pas abandonner nos tranchées. Le pire qu'ils puissent me faire serait de me tuer, mais j'aurais la satisfaction de n'avoir pas manqué à mes devoirs vis-à-vis de la foi."

Le lundi 9 juin 1980, j'étais à Téhéran... Le téléphone sonna et Gulshan y répondit. Le visage livide et la voix tremblante, il dit que sa famille avait reçu un coup de téléphone de la prison d'Ivin leur demandant d'y venir voir son père. C'était la une nouvelle très alarmante, car nous savions que, lorsque quelqu'un était invité de cette façon, cela signifiait que l'entrevue pouvait fort bien être la dernière.

Pendant dix minutes, je restai muet, puis il nous vint à l'esprit que ce coup de téléphone pouvait fort bien provenir d'ennemis de la cause pour nous harceler. Aussi nous décidâmes d'appeler la prison d'Ivin pour vérifier la provenance du message mais la ligne était constamment occupée. J'envoyai alors un parent chez Yusif pour dire à Mme Subhani et à ses proches parents de rester à la maison jusqu'à plus ample information. Nous nous rendîmes à la prison d'Ivin et y découvrîmes que nos craintes étaient malheureusement justifiées et que l'appel provenait bel et bien des autorités de la prison. Nous téléphonames à Mme Subhani d'un endroit proche de la prison et lui demandant de venir ainsi que sa famille.

J'ai constamment devant les yeux la scène de la rencontre fatidique qui s'ensuivit avec notre bien cher ami...

D'habitude, il est permis aux prisonniers de rencontrer seulement les membres de leur famille proche, mais une exception fut faite dans notre cas et nous fumes conduits dans une grande salle qui sert ordinairement pour les rencontres hebdomadaires entre les prisonniers et leurs parents.

J'étais assis de manière à voir la cour de la prison au travers des volets. Je vis arriver M. Subhani, marchant comme à l'accoutumée de son grand pas pressé et se tenant très droit; les gardes qui l'accompagnaient avaient grand-peine à marcher à son allure. Il arriva dans le hall avec dix-huit gardes et le personnel de direction de la prison. L'atmosphère était chargée de spiritualité, d'héroïsme et de courage. Il embrassa tous ceux de notre groupe avec chaleur et bonheur. La première chose qu'il dit, levant la main droite et s'adressant à la fois à ses parents et au personnel de la prison d'une voix forte et inébranlable fut: "Que vous qui êtes ici et que les amis qui ne sont pas présents sachent bien que je suis mis à mort à cause de ma croyance en Baha'u'llah. Telle est la source de mon honneur, mon voeu ultime. Ceci, je l'ai également dit devant la Cour révolutionnaire. Pendant le procès, deux personnes ont fait de faux témoignages à mon sujet et bientôt Dieu les punira pour ce qu'ils ont fait"...

Chacun d'entre nous avait une chaise ou s'asseoir dans le grand hall. M. Subhani était rayonnant de bonheur et quand nous le vîmes dans cet état d'exultation, nous eûmes honte de nous-mêmes, parce qu'avant de venir lui rendre visite, nous nous étions préparés à le consoler et à l'encourager! En fait, son courage nous donnait la force et balayait nos craintes. Sans cesse, il souriait et plaisantait avec les membres de sa famille. Il dit à sa femme: "Ne pleure jamais pour moi et ne montre pas de chagrin, car cela perturberait mon âme." Il conseilla après sa mort aucun membre de la famille ne portât le deuil et sa femme portant une robe de couleur vive, il lui dit de la mettre à son enterrement. Il ajouta: "Si vous saviez combien je suis heureux, vous vous réjouiriez. Pendant ces jours derniers, c'est comme si j'étais en liaison directe avec Baha'u'llah et je compte chaque seconde qui me rapproche de la fin de ma vie. Si cela n'avait été contraire au désir de Dieu, j'aurai fait un testament vous invitant à célébrer ma mort par une grande fête au lieu d'un service en ma mémoire. Si ces messieurs, dit en désignant ses gardes, me le permettaient, je danserais sur l'échafaud et je leur distribuerais des douceurs." Les gardes et les directeurs étaient profondément émus et tous, sauf un, quittèrent la salle la tête basse. On entendit que plusieurs d'entre eux se chuchotaient les uns aux autres: "C'est une pitié qu'un homme comme lui soit exécuté". Et d'autres disaient: "Loue soit cet homme!"...

Il adressa alors quelques paroles amicales à l'un des gardes de la prison. Puis, en plaisantant, il dit à l'homme: "Voyez-vous comme ma poitrine et mes muscles sont forts? Dites a vos hommes de tirer très sec parce que je ne crois pas que des balles ordinaires puissent endommager ce corps costaud qui est le mien et dites-leur que cette poitrine est pleine de l'amour de Baha'u'llah et demandez-leur s'ils permettraient que je donne moi-même L'ordre de faire feu". L'homme répondit: "Tout ce que vous voudrez." Cet homme que M. Subhani avait appelé Haj-Aqa demeura quelques instants rempli de confusion et d'émotion et il quitta le hall en disant à l'un des baha'is: "Quel homme !"

Notre entrevue avec M. Subhani dura quarante-cinq minutes dans une atmosphère d'enthousiasme, de joie et d'héroïsme. M. Subhani dit que, si de tels événements ne se produisaient pas, la Cause de Dieu ne pourrait progresser. S'adressant alors à sa famille, il les prévint d'éviter toute velléité de vengeance vis-à-vis de ceux qui avaient fait un faux témoignage à son procès, car il les avait mis dans les mains de Dieu qui punirait certainement les fauteurs d'injustice...

Avec grand respect, l'un des gardes dit que le temps de la visite était écoulé. M. Subhani étreignit sa famille et ses parents et donna ensuite l'accolade a tous les gardes qui attendaient; il les embrassa et leur dit combien il leur était reconnaissant. A la fin, il étreignit et embrassa Haj-Aqa Salmi, commandant du peloton exécution.

Quand nous nous serrâmes la main et nous étreignîmes au tout dernier moment, il dit en plaisantant: "Ils vont me tuer moi, pourquoi tes mains sont-elles si froides? Tu vois comme les miennes sont chaudes !..."

Il retourna à sa cellule du même pas ferme et en se tenant aussi droit. Tous les gardes qui l'accompagnaient ainsi que ceux stationnés auxallentours, qui étaient en train de dîner, s'étonnaient de lui. Nous eûmes le privilège de voir les dernières heures d'un martyre... L'histoire revivait sous nos yeux."

Et enfin une autre lettre venant d'Iran:

"La glorieuse histoire de la foi se répète à nouveau. Nos héros sont les mêmes que ceux des premiers jours de la foi. Je ne puis imaginer rien de plus fort, de plus inébranlable et de plus aimant que ces âmes héroïques que nous voyons aujourd'hui parmi les baha'is d'Iran. Les prières des amis de par le monde entier ont une grande influence sur notre communauté renaissante... Nous avons besoin de vos prières afin que Dieu accorde tant d'amour et de force à nos coeurs que rencontrant la haine, la cruauté, l'hostilité, nous soyons capables de les remplacer par L'amour, la bonté et la fraternité éternelle."

La persécution que subissent les baha'is d'Iran, non seulement n'éteint pas cette foi mais au contraire est comme le souffle sur le brasier. Elle ne fait qu'accroître l'ardeur et le courage de ces hommes et ces femmes jetés en pâture aux bourreaux. Ils ont la conviction que leur sacrifice et leur martyre ne resteront pas sans effets.


1.12. La Communauté mondiale baha'ie

Ceux qui exécutent ce plan de destruction ne savent pas qu'ils font une erreur monumentale dans leur raisonnement : ils ont oublié la leçon tirée de l'histoire des religions disant que le sang des martyrs est la graine de l'Eglise, et ils ne peuvent concevoir que leurs efforts pour supprimer la foi par la cruauté la poussent à éclore plus loin dans le coeur des hommes.

C'est ainsi qu'un contraste stupéfiant existe entre la sombre tragédie dans laquelle vit la communauté baha'ie en Iran, berceau d'une religion contemporaine, et l'expansion et l'appréciation de l'idéal élevé de la foi baha'ie et de ses enseignements à travers les cinq continents du monde.

En 1982, la foi baha'ie offre l'illustration d'une religion universelle construisant les bases de l'unité de l'humanité et comptant 111 000 communautés autochtones reparties dans 363 pays, îles et territoires indépendants. Sa littérature traduite dans plus de 700 langues et dialectes, ses quelques millions d'adeptes sont issus de 1640 ethnies, de toutes nationalités, classes sociales et origines religieuses.

Ces adeptes croient que dans la sombre période de destruction, de souffrances, de tensions, que traversent non seulement l'Iran, le Liban, l'Afghanistan, le Viêt-nam, le Cambodge, le Salvador, la Namibie, la Pologne, l'Irlande, mais encore la planète entière, la société contemporaine est amenée, par ses convulsions, à subir une mutation. Les baha'is du monde entier oeuvrent avec certitude pour tempérer la violence et surtout pour créer un système organique servant de fondement à un monde de justice et d'amour. Ils ont la conviction que la nuit opaque dans laquelle survivent tant êtres humains s'éclaircira par une transformation de conscience comme du comportement de l'humanité, transformation qui conduira à son unité.

Je n'ai jamais eu le moindre désir de décrire ma douleur et les sentiments à travers ces lignes précédentes furent pour moi très pénibles à exprimer. Cependant, lorsque quelques jours après l'assassinat de mon père on me proposa de rédiger un livre sur les baha'is, cette lettre qui était adressée fut pour moi un signe révélateur.

Par ce livre et par des centaines de portes qui s'ouvrent subitement partout, le sacrifice de mon père et de nos coreligionnaires prennent un sens différent. Cette souffrance permet de dégorger un océan, de révéler un monde d'espoir et de certitude, celui des baha'is. C'est cet itinéraire que je me propose de tracer, celui d'un témoignage d'une communauté de fougue et de quiétude.

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