Les baha'is ou la victoire sur la violence
Christine Hakim


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Chapitres 2 à 11

2. La communauté baha'ie en Iran

Dans le tumulte de ces événements cachant l'âme de l'Iran, mes pensées me ramènent a ce pays, l'Iran, pays de contrastes qui m'a meurtri, mais qui m'a fait don d'un précieux legs: mon père et son exemple.

L'Iran, pays où l'on se sent touché jusqu'au fond de l'âme par la beauté grandiose du paysage, ou la majesté de la nature se confond avec les coupoles, les mosquées, les maisons traditionnelles en une même lumière et une même tendresse prédisposant à la sérénité et à la douceur de vivre.

Pays où l'on est frappé par l'hospitalité délicate et raffinée de la population, par sa générosité spontanée et sincère lorsqu'elle offre son amitié. Pays ou la communication n'est pas le langage mais le signe: le geste, le regard, le sourire, l'humour, la courtoisie, les politesses, le silence, la gentillesse, la sensibilité, la serviabilité.

Pays qui, aussi captivant que soit le passé millénaire et glorieux par son modèle de science, de religion et de civilisation, a été par la suite une mine riche dans ses expressions spécifiques de l'art, de la poésie, de la littérature, de la culture et du progrès.

Pays ou j'ai conservé l'unité de ma famille et la fidélité des amis que j'aime.

Pays, berceau de la religion baha'ie, d'où a jailli pour des millions d'êtres l'espoir d'une ère nouvelle et le moyen de transmuter l'énergie de la violence en énergie de l'amour. Et, avant de suivre la marche de ses adeptes, de par le monde, commençons par celle de la communauté baha'ie en Iran en remontant progressivement dans le temps.


2.1. Sous la dynastie des Pahlavi

La communauté baha'ie iranienne fait partie intégrante de sa nation, mais contrairement aux autres religions, la qualité de baha'i ne se transmet pas par la naissance. C'est une communauté ouverte admettant que certains de ses membres la quittent, et acceptant chaque année des centaines de nouvelles conversions.

Les plus anciennes familles baha'ies remontent à sept générations: d'autres sont très récentes. La plupart des familles ont des parents appartenant à leur communauté d'origine musulmane, chrétienne, juive ou zoroastrienne. La plupart des mariages mixtes ont renforcé l'interdépendance entre les adeptes de la foi baha'ie et ceux des autres confessions.

Par rapport à la population iranienne, la communauté baha'ie n'est absolument pas différente ni du point de vue ethnique, ni du point de vue social. Sur le plan ethnique, toutes les populations sont représentées à l'intérieur de la foi baha'ie. Il n'existe pas de régions où les baha'is soient plus spécialement représentés, ni de régions d'où ses adeptes soient absents.

Néanmoins à l'échelon local, il y a des villages ou des groupes tribaux entièrement baha'is.

La majorité de la communauté baha'ie iranienne est d'origine musulmane shi'ite, mais les autres communautés religieuses sont aussi représentés. On estime que la moitié des 70 000 zoroastriens qui vivaient en Iran au dix-neuvième siècle sont devenus baha'is. On compte un grand nombre de familles d'origine juive.

Sur le plan social, une grande partie des baha'is appartient à la population rurale et reflète de ce fait la distribution socio-économique iranienne. Les dernières années, l'urbanisation et l'exode rural ont favorisé l'afflux des baha'is vers les grandes villes où ils se sentaient plus en sécurité. L'image de citadins qu'on a voulu présenter d'eux est erronée: le fait qu'il n'existe presque pas d'analphabètes parmi eux, à cause du principe baha'i de l'obligation de l'instruction, a favorisé l'intégration de nombreux baha'is d'origine rurale dans les classes moyennes.

Il existait des baha'is dans toutes les catégories socioprofessionnelles, mais plus spécialement dans les professions libérales et celles du secteur privé. Officiellement, la fonction publique, l'armée et le professorat étaient fermés aux baha'is, bien que des exceptions fussent faites en ce qui concerne les individus dont les talents et les connaissances scientifiques et techniques étaient considérés comme irremplaçables.

Quelques baha'is se sont enrichis dans le commerce et l'industrie. Toutefois, si l'on se penche sur la liste des nationalisations actuelles sous le Gouvernement islamique, on constate que les baha'is ne contrôlaient aucun secteur particulier de l'économie, et que, parmi les vingt premiers groupes nationalisés, un seul appartenait à un baha'i.

Quant aux postes politiques, ils n'ont été détenus par aucun baha'i, puisqu'il leur est interdit selon leur foi d'assumer ces fonctions. Lorsque M. A.-'A. Huviyda (Hoveyda) devint premier ministre, certains de ses adversaires politiques l'accusèrent d'appartenir à la communauté baha'ie, ce qui était absolument faux. Son père, né dans une famille baha'ie, avait accepté, très jeune, un poste politique, et il fut exclu de la communauté. Quant au premier ministre, il a été élevé dans un milieu islamique et n'a jamais appartenu à la religion baha'ie comme il l'a affirmé lui-même lors de son procès. Sous son ministère, il manifesta même vigoureusement ses sentiments anti-baha'is par des discriminations évidentes. De nombreux adeptes furent ainsi chassés de l'administration ou empêchés d'acquérir des promotions.

De même M. Thabiti (Sabeti), deuxième "homme fort" de la Savak, bien que de père et de mère baha'is, ne fut jamais membre de cette communauté, comme certains l'ont prétendu. Il en était même l'un des opposants les plus zélés.

Une seule personne appartenant à cette religion, le général Sanl'i, fut obligé par le Shah de devenir ministre. Il présenta ses excuses au souverain en expliquant qu'il ne pouvait accepter une fonction politique. Ses raisons furent refusées et il dut assumer cette tache pendant un court laps de temps. Il fut donc exclu, au point de vue administratif, de la communauté baha'ie, jusqu'au moment où il a pu se démettre de ce poste.

Par ailleurs, deux hautes personnalités iraniennes non politiques étaient des baha'is: le général Khadimi, president-directeur-administrateur de la compagnie d'aviation iranienne, Iran-Air, et le Dr Ayadi, médecin du Shah, et aussi inspecteur des hôpitaux de l'armée.

De plus, dans les ministères de l'agriculture, de l'urbanisation et de l'organisation du plan, quelques hauts fonctionnaires d'Etat dont les postes étaient considérés par la loi iranienne comme non politiques, mais techniques, étaient aussi des baha'is.

Au commencement du règne de Rida Shah, les sympathisants de la foi étaient nombreux. Une grande partie de la population se disait même baha'ie.

Pourtant, face a l'indépendance et a l'établissement progressifs de la foi - la fondation des institutions de cette religion, la nécessité de s'inscrire dans les registres baha'is réduisant la communauté aux plus convaincus, l'obligation de se présenter ouvertement en tant qu'adepte de cette foi, de respecter les jours fériés baha'is ainsi que de célébrer des mariages baha'is - le gouvernement s'opposa violemment à admettre et a reconnaître cette foi mondiale et même parfois interdisait ses réunions.

Ainsi, à la suite de fortes persécutions sous la Révolution constitutionnelle iranienne où chacune des deux parties opposées, les partisans de la monarchie absolue et ceux de la démocratie, accusaient les baha'is être associés avec l'autre, les persécutions étaient plus des actes spontanés et les disciples sont devenus l'objet de la répression officielle. Ce qui n'était pas auparavant précisé par la loi fut légiféré et mis sur pied par une politique qui visait à écarter les baha'is de la loi. Le système de la loi civile en Iran est basé sur la loi islamique, qui reconnaît et protège les droits civiques des musulmans et des adeptes des minorités religieuses établies avant l'islam, c'est-à-dire les zoroastriens, les juifs et les chrétiens. Le refus des gouvernements successifs iraniens d'accorder à la foi baha'ie sa reconnaissance officielle en tant que religion indépendante a privé les baha'is, dont le nombre en Iran dépasse celui des trois autres minorités religieuses réunies, de droits élémentaires, faisant d'eux des citoyens de second ordre et laissant la voie ouverte aux discriminations et aux persécutions dans presque chaque domaine de leur vie.

C'est ainsi que les baha'is furent lésés en ce qui concernait leur statut personnel, par la non-reconnaissance des mariages, de l'héritage, etc. La discrimination s'étendit à l'emploi, aux droits civiques et politiques, aux pratiques religieuses, à l'éducation (d'ou la fermeture en 1934 des écoles baha'ies).

Par ces nombreuses mesures élaborées, la communauté baha'ie iranienne devint, sous tous les régimes du pays, le bouc émissaire favori et la cible pour les griefs permettant de détourner l'insatisfaction populaire pendant les périodes de crise.

De façon très frappante, l'année 1955 vit se développer une campagne massive contre les baha'is.

L'un des hauts dignitaires du clergé connu sous le nom de Falsafi, prêcha tous les jours dans les mosquées, dénonçant les "fausses religions" et incitant les foules à la haine des baha'is. Il est soutenu par le gouvernement et les stations de la radio de l'Etat et de l'armée diffusent ses sermons à travers le pays.

Le 21 avril, l'armée entoure le centre baha'i à Téhéran, et le 7 mai l'édifice est occupé par des troupes. Des officiers de l'armée et les dignitaires ecclésiastiques viennent, avec cérémonie, administrer les premiers coups de pioche pour la démolition du centre national.

Il se produit immédiatement dans tout le pays une éruption de violence contre les adeptes de la religion baha'ie avec effusion de sang. Toutes les communautés baha'ies du monde envoient à Muhammad Rida Shah, au premier ministre et au Parlement, des télégrammes faisant appel à la justice.

Devant le danger d'un massacre, le secrétaire général des Nations-Unies M. Dag Hammarskjold, envoie son représentant, le docteur Goedhart, auprès du chef de la délégation iranienne aux Nations-Unies, M. Nasr'u'llah Intizam. L'ampleur de la réaction internationale contraint le Gouvernement d'Iran à céder.

La campagne est arrêtée, et la plupart des biens confisqués sont rendus aux baha'is. Mais les discriminations ne cessent pas. Les membres de cette minorité religieuse continuent à être la cible d'abus de tous genres.

Durant toute cette période, une vaste campagne de calomnie, longuement préparée, fut déclenchée pour minimiser la valeur de la foi baha'ie et même pour l'étouffer complètement. C'est ainsi qu'il fut interdit de publier ou d'introduire des livres baha'is en Iran; par contre on laissa la place à la publication de livres mensongers contre cette religion, sans donner aux baha'is le droit d'y répondre. En outre, toute trace de leur histoire fut rayée des manuels scolaires comme si elle n'existait pas ou, lorsqu'on mentionnait les baha'is, c'était avec une image tout à fait erronée afin d'augmenter l'animosité des élèves contre eux. C'est pourquoi les ténèbres de la diffamation ont obscurci le coeur de la majorité des Iraniens et la vérité sur cette religion respectée à travers le monde se trouvait cachée aux yeux des concitoyens mêmes de Baha'u'llah.

Selon plusieurs sources dont le "Times" de Londres, du 15 juillet 1980, cette campagne contre les baha'is provenait surtout du groupe musulman conservateur qui s'appelle Anjuman-i-Tablighat-i-Islami (la société pour la propagation de l'islam) qui organise des attaques contre les baha'is depuis des années.

La Tablighat-i-Islami était une des associations musulmanes les mieux organisées en Iran, disposant d'un réseau de groupes locaux dans tout le pays. Elle jouissait depuis longtemps du soutien complet des plus hauts membres du clergé shi'ite et, lors de la Révolution islamique, elle a pu prendre en main la direction de plusieurs "comités", conseils révolutionnaires qui ont remplacé les autorités municipales.

D'autre part, un quotidien de Téhéran, le "Mujahid", par ailleurs interdit depuis quelque temps, a public en juin 1980 un document découvert dans les archives de l'ancienne police secrète du Shah, la Savak, révélant le lien qui existait entre la Tablighat-i-Islami et la Savak en ce qui concernait les activités anti-baha'ies.

Ce document, sous la forme d'une lettre adressée par le Troisième Bureau de la Savak au directeur de cette police, se traduit comme suit :

Au Directeur de la Savak
Du Troisième bureau 341
n° 341/1950
Date : 27-8-51
(novembre 1972)
(SECRET)

Objet: Anjuman-i-Tablighat-i-Islami

Le chef d'Anjuman-i-Tablighat-i-Islami dans la capitale a demandé à la Savak de bien vouloir l'aider à attaquer les baha'is d'une manière scientifique et logique. Nous vous transmettons la demande de la société mentionnée en rubrique, et vous demandons d'entrer en communication avec tous les représentants de la société dans votre région, et de leur faire comprendre que leurs activités dans ce domaine ne doivent pas être la cause de provocation et de troubles.

(signe ) Muqaddam

Pour le Directeur-Général du Troisième Bureau


Cette circulaire de la Savak, qui a été, semble-t-il, distribuée dans tout le pays est une copie envoyée par le chef de la Savak dans la province de Khurasan au directeur de la Savak dans le district de Quchan.


2.2. Kirugan

Ce village, où j'ai mené pour ma thèse (2) des recherches en 1972 et en 1976, reflète quelques traits caractéristiques d'une communauté baha'ie rurale. Kirugan, petit village traditionnel de 200 habitants où les baha'is représentent vingt pour cent de la population, est situé dans les montagnes ocre de la région de Jasb, à mi-chemin entre Téhéran et Isfahan.

Les baha'is s'intègrent dans le village par quartier, habitat, famille, travail et alliance. Le mariage est possible à condition que l'un des conjoints adopte la religion de l'autre, selon les exigences de la loi islamique.

Pourtant, certaines des activités dans la vie quotidienne des deux populations semblent être nettement séparées. Les musulmans refusent de mêler leurs activités avec les baha'is. Ainsi, les bains publics, les bouchers et les pâturages des moutons sont séparés pour les deux communautés. Ces discriminations expriment l'hostilité d'une grande partie des musulmans, attisée par la plupart des mulla, à l'égard des baha'is. Cependant, il existe un système régulateur qui permet de sauvegarder des termes paisibles entre les membres des deux collectivités religieuses. La communauté musulmane fait appel à une attitude sociale agressive mais, grâce aux liens familiaux, l'expression de la violence peut être contrôlée. Cette tolérance relative vis-à-vis des baha'is sera totalement éliminée avec l'accès du clergé islamique au pouvoir.

Les baha'is, tout en faisant partie de la même souche socio-ethnique du village, présentent des caractéristiques différentes des musulmans. Bien que leur forme d'alliance matrimoniale suive le même modèle culturel, les baha'is vivent d'une manière moins traditionnelle dans leur type de famille qui est nucléaire. La réalisation la plus apparente de la communauté rurale baha'ie, par rapport au reste de la population, prend la forme de son développement social avec le statut supérieur de la femme, le taux d'alphabétisation plus important, et enfin le niveau social plus décent et plus égalitaire entre les membres.

Les baha'is de ce village éloigné ont laissé dans mon coeur une forte impression de douceur mêlée à une foi inébranlable et vaillante. Je suis repartie de Kirugan avec le sentiment d'avoir goutté à l'esprit des temps héroïques dont la communauté avait gardé le reflet.

Néanmoins un sort douloureux les attendait. Pour ne pas être forcés de renier leur foi, dès le début de la Révolution islamique, ils ont dû fuir le village, laissant derrière eux leurs lopins de terre et leurs biens confisqués ou incendiés.


2.3. Les biens de la communauté baha'ie iranienne

L'Assemblée Spirituelle Nationale de l'Iran possédait des biens, comme d'autres institutions religieuses et culturelles; des lieux de pèlerinage, lieux saints et sites historiques. Parmi les lieux saints, citons la maison du Bab à Shiraz, la maison natale de Baha'u'llah, la prison de Baha'u'llah à Téhéran. A ces lieux saints s'ajoutent des sites, habitations ou jardins associés à la vie des premiers croyants et les tombeaux des martyrs à travers tout l'Iran.

Les propriétés de l'Assemblée Nationale des baha'is de l'Iran étaient de deux types: celles réservées à l'usage social et celles provenant des legs privés. L'Assemblée possédait un immense terrain au nord de la capitale, acheté il y a plus de trente ans, destiné à l'édification d'un temple (le premier en Iran). Un auditorium y était déjà construit, ainsi que des dortoirs pour accueillir plusieurs centaines de jeunes pour des séminaires. Il est actuellement transformé en camps d'entraînement pour les gardiens de la révolution.

Il existait aussi des bureaux pour l'Assemblée Nationale et l'Assemblée Locale de Téhéran. Il y avait, dans de nombreuses villes d'Iran des "Haziratu'l-Quds" ou centres culturels et cultuels offerts par les baha'is. Il faut mentionner les cimetières qui se trouvaient pratiquement dans chaque ville ou village habite par une communauté unie par cette croyance.

Du fait que la foi baha'ie ne jouit pas en Iran de la reconnaissance officielle, et n'a par conséquent pas de personnalité juridique lui permettant de posséder des biens, après la mort du Gardien de la foi, Shoghi Effendi, en 1957, les biens baha'is furent enregistrés au nom d'une société anonyme, la société Umana. C'est par la confiscation de cette société que les autorités du Gouvernement islamique ont confisqué l'ensemble de tous les biens baha'is en Iran.

La société Naw-Nahalan (société des enfants) débuta par un fonds d'épargne pour encourager les enfants à économiser pour des oeuvres de bienfaisance et devint par la suite une sorte de mutuelle pour personnes âgées.

La société connut une rapide expansion et son rayonnement s'étendit sur tout l'Iran ; elle fut même enregistrée officiellement par la Chambre de commerce. En 1979, sous la République islamique, les comités révolutionnaires ont suspendu les activités de la société, une longue enquête fut menée dans le but de prouver qu'elle avait envoyé des fonds au Gouvernement israélien; cependant cette enquête n'aboutit pas. Les employés furent renvoyés sans aucun dédommagement, les actionnaires entièrement spoliés.


2.4. Oeuvres sociales

Durant le règne des Pahlavi, les baha'is ne cessèrent d'apporter leur contribution non seulement au bien-être de leur communauté, mais aussi au pays tout entier en fondant des établissements sociaux:

L'hôpital Mithaqiyyih à Téhéran, oeuvre de bienfaisance, était un hôpital comportant 250 lits, avec un centre de radiologie perfectionné, laboratoire, centre de cardiologie, centre de dialyse. Il était considéré comme une des meilleures institutions hospitalières de la capitale, où l'on donnait des soins gratuits aux malades démunis. Il faut également citer parmi les institutions baha'ies créées dans l'intérêt du pays une école d'infirmières, une école d'aide-infirmières, plusieurs dispensaires et une maison de retraite pour personnes âgées ayant besoin de traitements et de soins particuliers.

Les écoles baha'ies, ouvertes a tous, ne demandaient aux élèves qu'une somme insignifiante à payer selon les possibilités matérielles de leurs parents. Le niveau de l'enseignement de ces écoles était élevé.

En province, furent crées des dispensaires gratuits dans les régions lointaines comme le dispensaire Buyr-Ahmadi, dans la région d'Isfahan. Certains médecins baha'is se déplaçaient pendant les jours fériés pour soigner les malades se trouvant dans les villages ou même dans les communautés tribales particulièrement privées de tels soins.

Les femmes baha'ies ont apporté une contribution particulière au progrès du pays. Parmi ces nombreuses pionnières, il faut citer pour l'avancement de l'hygiène en Iran, l'apport de Mlle Q Ashraf, une des premières femmes qui aient fait des études dans ce domaine en Amérique du Nord.

Une des premières fondatrices des écoles modernes de jeunes filles en Iran fut Mme Munirih Ayadi qui créa la troisième école de ce genre appelée Madrisih-Ta'yidiyyih-Dushizigan-i-Vatan.

La contribution des baha'is iraniens à l'avancement de leur pays ne se limitait évidemment pas à la création et à la gestion de diverses oeuvres humanitaires. Ils se sont efforcés d'être des citoyens sérieux, honnêtes et loyaux.

Même les travailleurs industriels, agricoles ou autres, parmi les fidèles de cette croyance, travaillaient avec beaucoup de zèle et de dévouement, considérant que le travail accompli dans un esprit de service est comme un acte d'adoration de Dieu.


2.5. Sous la dynastie des Qajar

Nous allons suivre ensemble, dans les chapitres suivants, le récit héroïque des premiers adeptes de cette religion, l'expansion vertigineuse de leur foi et les massacres sanglants de plus de vingt mille d'entre eux sous la dynastie des Qajar, massacres qui devaient souiller la dignité de la Perse.

Toutefois, vers la fin du règne des Qajar, il y eut une liberté relative. La communauté baha'ie iranienne, nouvellement relevé des coups reçus, commença à créer des institutions éducatives et sociales qui furent une aide précieuse pour l'émancipation de la foi.

A époque où les écoles publiques étaient encore très rares où même presque inexistantes en Iran, ou l'instruction donnée dans les institutions religieuses (Maktab, ou Hawdiyih-'Ilmiyyih et Madrisih) était lamentablement déficiente, les premières écoles baha'ies, de type moderne, furent fondées. D'abord, l'école Tarbiyat fut créée à Téhéran vers 1900 pour garçons et filles séparément, puis en province, les écoles Ta'yid et Mawhibat à Hamadan, école Tavakkiil à Qazvin, école Vahdat-i-Bashar à Kashan et d'autres instituts d'éducation semblables notamment à Barfurush (aujourd'hui Babul). Certaines de ces écoles ont reçu l'aide d'instructeurs itinérants baha'is venus d'Europe ou d'Amérique.

Ces écoles étaient ouvertes à toutes les confessions, et plusieurs personnalités iraniennes ont reçu leur instruction première dans les écoles baha'ies, où l'on mettait un accent particulier sur l'éducation morale et spirituelle.

C'est ainsi qu'en raison d'une solide instruction et d'une éducation raffinée, les non-baha'is sympathisants à la foi y envoyaient leurs enfants avec satisfaction: leur nombre surpassait même celui des baha'is.

De nombreux étudiants baha'is iraniens firent des études dont leur pays avait le plus grand besoin: études de médecine, d'ingénieur, etc.

Dans le cadre de la coopération entre les baha'is, il faut ajouter qu'en plus des instructeurs, plusieurs infirmières et médecins baha'is sont venus d'Europe et d'Amérique pour conseiller les femmes iraniennes dans les domaines d'hygiène et d'éducation. Elles se dévouèrent, jusqu'à la fin de leur vie en Iran, avec tant d'amour, que même les journaux non baha'is leur adressèrent des louanges.

L'un des ouvrages baha'is intitulé "Le secret de la civilisation divine" (1875) exerça une influence profonde sur les dirigeants du mouvement constitutionnel qui étaient précisément en quête d'un ouvrage les guidant dans la réorganisation du pays sur une ligne conforme aux sociétés les plus avancées.

Ce livre prône le développement des sciences et des techniques pour le progrès. Et cela tout en prévenant les peuples que si la civilisation matérielle devait sortir des limites de la modération, elle serait la cause de dommages innombrables.

Parmi les réformes proposées, les Ecrits baha'is insistent surtout sur la nécessité de l'éducation.

Cependant, les persécutions fomentées surtout par de nombreux mulla continuaient. Plus le nombre des baha'is augmentait, plus grande était l'animosité du clergé, particulièrement en province.

L'image de cette communauté pacifique suscite bien des questions: Comment est née la foi baha'ie? Pourquoi une nouvelle religion? Pourquoi des persécutions et des diffamations dans le pays où elle est née? Cette religion s'étend-elle et comment? Qu'est-ce qui amène à notre époque des êtres si divers à se rencontrer dans une même foi? Qui sont les baha'is? Quel est leur enseignement? Comment le vivent-ils? Comment sont-ils financés? Et bien d'autres questions illustreront cet itinéraire.


3. Le Bab

La Perse, 1848, début de l'été, Conférence de Badasht dans le nord du pays, aux bordures des vertes montagnes du Mazindaran. 81 personnes enflammées par leur croyance naissante, celle du Bab - Précurseur de la foi baha'ie - sont réunies. Elles proviennent de différentes parties de la Perse.

Les principaux dirigeants de la communauté babie conduisent la conférence. L'un de ces personnages est une femme, la très vénérée et ardente Qurratu'l-'Ayn, nommée Tahirih. Selon la coutume islamique, l'érudite entretenait toujours des discussions avec les personnages importants masculins derrière un rideau. Lors de la conférence, Tahirih apparaît pour la première fois le visage dévoilé devant une assemblée d'hommes, proclamant avec sérénité et le visage rayonnant de joie, l'aube d'un nouvel âge divin dont l'émancipation de la femme serait un signe révélateur. Devant le visage dévoilé de Tahirih, la consternation et la stupeur s'emparent de nombreux disciples, certains abandonnent leur foi, l'un se tranche la gorge, mais la majorité surmonte avec stupéfaction ce tournant de l'histoire.

En effectuant une rupture soudaine et complète avec le passé, l'objectif audacieux de cette première conférence sans précédant est d'implanter la foi nouvelle. Quelle sera sa destinée?

Découvrons l'histoire d'un héroïsme douloureux, l'histoire d'hommes et de femmes qu'une force irrésistible mène au sacrifice d'ou jaillira l'espoir et la certitude pour ceux qui de par le monde se passeront le même flambeau. Découvrons l'histoire d'hommes et de femmes de vision et d'action qui malgré les limitations seront les pionniers d'une nouvelle ère, l'histoire d'un monde en marche vers la reconstitution de l'équilibre social et vers une nouvelle responsabilité humaine.

La Perse, milieu du dix-neuvième siècle, de nombreux documents sont les témoins extérieurs de cet événement marquant: la naissance d'un mouvement religieux, la foi babie, son expansion prodigieuse à travers ce pays, la haute ferveur de ses adeptes et les persécutions cruelles qui leur sont infligées.

Ces événements ont été relatés, dans de nombreux ouvrages de cette époque dus à des auteurs occidentaux (3) et dans des rapports provenant des ambassades étrangères en Perse tels que les rapports découverts dans les Archives du Ministère des affaires étrangères de France (4).

1844-1921: Première phase de l'histoire babie-baha'ie: phase messianique selon le sociologue P. Berger (5), âge héroïque selon l'histoire officielle du mouvement.

"Si la Perse doit jamais être régénérée, ce sera grâce à cette nouvelle foi." J. Darmesteter (6)

"Le mouvement religieux le plus important depuis la fondation du christianisme." B. Jowett (7)

"La naissance d'une foi qui pourrait bien gagner sa place parmi les grandes religions du monde." E.G. Browne (8)


3.1. L'attente religieuse

Une ère d'attente religieuse se révèle au milieu du dix-neuvième siècle à travers les messianismes répandus dans le monde: cargos océaniens, christs noirs d'Afrique sud-saharienne, mahdismes d'Afrique ou d'Asie, jacqueries religieuses d'Amérique du Nord, d'Amérique du Sud et de l'Europe (tels les adventistes du Septième Jour ou les templiers allemands). Ces divers messianismes attendent un rédempteur instaurant un ordre nouveau de justice et de bonheur.

En Perse la même attente se retrouve à cette époque. La croyance en l'apparition imminente d'un Messager divin est répandue spécialement parmi le groupement appelé Shaykhi, école d'érudits du clergé musulman. L'Islam shi'ite a une eschatologie développée et sa théologie donne une place importante à la doctrine du Qa'im (le Promis), l'Imam caché, celui qui doit apparaître peu avant la fin du monde pour renouveler la foi. Les disciples du Shaykhisme se dispersent à travers la Perse pour une recherche assidue du Promis.


3.2. Naissance

Mulla Husayn-i-Bushru'i, l'un des disciples vénérés de cette école de théologie, passe quarante jours en prière et en jeûne pour se préparer au voyage de la recherche. D'autres étudiants inspires par son exemple font de même.

Accompagné par deux autres jeunes gens, Mulla Husayn est attiré par Shiraz, la ville lumineuse des poètes, au sud de la Perse. Après la traversée des sévères montagnes désertes, on parvint avec bonheur à cette cité colorée, aux jardins ombragés. 22 mai 1844, les trois compagnons atteignent Shiraz tard dans l'après-midi. Mulla Husayn envoie ses amis à Shiraz pour commencer leur recherche. Lui-même demeure à la porte de la ville, se demandant où son inspiration mystique allait le conduire, lorsqu'il voit s'approcher de lui un jeune homme souriant qui lui souhaite la bienvenue.

Dans ses comptes rendus, le voyageur relate qu'il fut fortement impressionné par la sérénité, la pureté, la courtoisie et la dignité du jeune homme, et qu'il se sentit rempli de joie en compagnie de l'étranger. Celui-ci invite Mulla Husayn à entrer dans la ville et lui offre l'hospitalité.

Au premier étage d'une petite maison située dans un quartier modeste de Shiraz, un important événement historique va se dérouler. Les deux personnages qui y prennent part sont: Siyyid 'Ali-Muhammad, l'hôte, jeune homme âgé de 25 ans, et son invité, le jeune chercheur Mulla Husayn. L'entrevue se prolonge jusqu'à l'aube. La ville endormie est loin de se douter que cette nuit du 23 mai 1844 inaugure un mouvement religieux d'une portée remarquable. Cette nuit capitale marque la déclaration de la mission de Siyyid 'Ali-Muhammad: il annonce qu'il est le Bab, ce qui signifie la Porte, symbolisant la voie d'accès par laquelle on peut parvenir à connaître Dieu. Le Bab proclame qu'il est envoyé par Dieu pour inaugurer une nouvelle ère de paix et de fraternité universelle. Mulla Husayn-i-Bushru'i devient le premier disciple: "Je m'assis, sous le charme de ses paroles, oublieux du temps. Cette révélation qui me fut si soudainement, si magistralement imposée, me frappa comme un coup de foudre. Pendant un certain temps, elle sembla avoir paralysé toutes mes facultés. Surexcitation, joie, crainte et surprise remuèrent les profondeurs de mon être. Mais par-dessus toutes ces émotions, une sensation de bonheur et de force inexprimables semblait m'avoir transfiguré. J'étais assis, captivé par le charme de sa voix et la force entraînante de sa révélation. A regret, je finis par me lever de mon siège et demandai la permission de me retirer." (9)

Le Bab souriant le prie de se rasseoir.

"Si tu pars dans un tel état, quiconque te verra, dira assurément: Ce pauvre jeune homme a perdu la raison." (9)

"Dix-huit âmes doivent au début spontanément et de leur propre initiative m'accepter et reconnaître la vérité de ma révélation. Sans être averti ni invité, chacun d'eux doit chercher indépendamment pour me trouver" (10), dit le Bab a Mulla Hussayn. Ces paroles expriment l'atmosphère mystique à travers laquelle débute le mouvement. Selon l'histoire babie, les dix-huit premiers disciples, dont quinze mulla (prêtres musulmans) et une femme, accédèrent au Bab par leurs propres inspirations, prières, jeunes, méditations, rêves, ou leur pouvoir de contemplation et reconnurent sa mission divine. Qui est cet être qui fascinera une grande partie de la population ?

Le Bab :

Shiraz, 20 octobre 1819, naissance de Siyyid 'Ali-Muhammad surnommé plus tard le Bab, fils de commerçant. Dès l'enfance, il est remarqué pour sa vie sans tache et sa compréhension intuitive du monde spirituel. On attache beaucoup d'importance au fait qu'il ait une connaissance innée, et qu'il soit descendant du prophète Muhammad. Il est réputé dans la ville pour sa piété naturelle, sa bonté, sa noblesse de caractère, sa distinction. Tous ceux qui le rencontrent sont impressionnés par la pureté de sa vie, sa courtoisie, sa douceur et la grâce de ses manières.

Le Bab revendique les litres de Qa'im promis (Celui qui élevé), de Sahibu'z-Zaman (le Seigneur de cet âge) et de Nuqtiy-i-Ula (Premier point), concept gnostique qui revendique un rang dans la série des grands fondateurs de religion portant une nouvelle loi. En tant que tel, il proclame un nouveau code de loi religieuse. Par ses préceptes et son exemple, il institue une réforme morale et spirituelle à travers laquelle il exalte la vertu d'amour. Il proclame sa double mission: porteur d'une nouvelle religion venant de Dieu et héraut du Promis annoncé par toutes les religions du passé. La mission du Bab est de préparer le chemin pour une nouvelle ère. Il représente la porte menant vers un Avènement totalement diffèrent du passé.


3.3. Documents au sujet du Bab

"Il était déjà méditatif et plutôt silencieux cependant que sa jolie figure, l'éclat de son regard en même temps que son maintien modeste et recueilli attiraient dès cette époque L'attention invinciblement, car c'est à l'âge de 19 ans qu'il écrivit son premier ouvrage, le Risaliy-i-Fiqhiyyih dans lequel il montre une vraie piété et une effusion islamique qui semblaient lui présager un brillant avenir dans les liens de l'orthodoxie shi'ite."
A.-L. M. Nicolas (11), relatant la toute première jeunesse du Bab.

"...d'une douceur attrayante, et relevant ces dons par son extrême jeunesse et le charme merveilleux de sa figure, il attira autour de lui un certain nombre de personnes édifices. Alors on commença à s'entretenir de sa science et de l'éloquence pénétrante de ses discours. Il ne pouvait ouvrir la bouche, assurent les hommes qui l'ont connu, qu'il ne remuât le fond du coeur. S'exprimant, du reste, avec une vénération profonde sur le compte du Prophète, des imams et de leurs saints compagnons, il charmait les orthodoxes sévères, en même temps que, dans les entretiens plus intimes, les esprits ardents et inquiets se réjouissaient de ne pas trouver en lui cette raideur dans la profession des opinions consacrées qui leur eut pesé. Au contraire, sa conversation leur ouvrait tous ces horizons infinis, variés, bizarres, mystérieux, ombragés et remues ça et là d'une lumière aveuglante, qui transportent d'aise les imaginations de ce pays là."
J.-A. Gobineau (12).

"La morale prêchée par un jeune homme à l'âge où les passions bouillonnent agit extraordinairement sur un auditoire composé de gens religieux jusqu'au fanatisme, surtout lorsque les paroles du prédicateur sont en parfaite harmonie avec ses actions. Personne ne doutait de la continence ni de la rigidité du Karbila'i Siyyid 'Ali-Muhammad: il parlait peu, était constamment rêveur et le plus souvent fuyait les hommes, ce qui excitait encore la curiosité, on le recherchait de toute part...
Par la moralité de sa vie, le jeune Siyyid servait d'exemple à ceux qui l'entouraient. Aussi l'écoutait-on volontiers, lorsque, dans des discours ambigus et entrecoupés, il parlait contre les abus qui règnent dans toutes les classes de la société. On répétait ses paroles en les amplifiant; on parlait de lui comme du vrai maître, et l'on se livrait à lui sans réserve."
Journal Asiatique 1866 (13)


3.4. Expansion

Le Bab envoie ses dix-huit premiers disciples - appelés "les lettres du Vivant" - exaltés par leur découverte, dans les différentes régions de la Perse pour répandre le message de la nouvelle "Manifestation de Dieu". Il confie à chacun une tâche particulière et désigne leur province natale à quelques-uns d'entre eux comme champ privilégié de leur proclamation.

La pureté de la cause du Bab se retrouve dans l'allocution qu'il leur donne avant le départ:

"ô mes amis bien aimés!

Vous portez en ce jour le nom du Seigneur. Vous avez été choisis pour être les dépositaires de Son mystère.

Il appartient à chacun de vous de manifester les attributs de Dieu et de démontrer par vos actes et par vos paroles les signes de Sa justice, de Sa puissance, et de Sa gloire. Même les membres de votre corps doivent témoigner de la noblesse de vos intentions, de l'intégrité de votre vie, de la réalité de votre foi et du caractère élevé de votre dévotion..." (14)

Septembre 1844, le Bab entreprend un pèlerinage à La Mecque où il déclare sa mission divine.

Une vive excitation l'attend dès son retour à Shiraz. Les narrateurs extérieurs relatent les scènes de Shiraz avec passion et comme des événements profondément marquants. Ils avouent que l'éloquence du Bab, sa voix mélodieuse, sa douceur, son charme radieux, sa sérénité alliée à la vivacité d'esprit sont de nature incomparable. Sans en avoir été témoin on ne pourrait guère l'imaginer. Les auditeurs sont pénétrés d'admiration pour cet héros incarnant l'Amour.

A travers toute la Perse, les missionnaires babis ne craignent pas d'annoncer publiquement leur message. La foule se presse pour entendre les prédicateurs. Ils énoncent des vérités si évidentes que l'affluence des auditeurs augmente. Nombreux sont ceux qui se convertissent. Le phénomène d'effervescence commence à se diffuser à travers tout le pays. Avec une passion agitée, des masses de personnes deviennent les adeptes du Bab et prennent l'appellation de "babi". Les conversions se répandent avec une vitesse vertigineuse parmi toutes les classes de la société et parmi les membres du clergé musulman.

Une dévotion ardente est rendue à cette figure charismatique. A travers le Bab, les adeptes sont enivrés dans le chemin spirituel et mystique de l'approche de Dieu. L'attente messianique offre à la foi babie son pouvoir conducteur. Le mouvement babi apparaît comme une proclamation messianique d'où une aura de sainteté entoure le personnage central.

La Perse du dix-neuvième siècle est le berceau de cette foi qui en peu de temps touchera les coeurs d'hommes et de femmes des cinq continents du monde.


3.5. Le gouvernement et le clergé

La Perse, au milieu du dix-neuvième siècle, est régie par la dynastie des Qajar isolée dans sa cour fastueuse. Le pays est un Etat clérical, le Shah un despote et la loi arbitraire.

Le clergé jouit d'un pouvoir absolu. L'esprit de la foi que Muhammad et les Imams avaient enseigné et selon lequel les maîtres de l'islam avaient vécu ne se manifeste plus que rarement. Seules les formes de la religion survivent et en dépit de pharisaïsme et de parade, l'appareil de l'adoration est conservé précieusement.

Les princes Qajar tiennent tous les postes importants du pays. Le peuple noyé dans l'ignorance et le fanatisme se soumet à l'oppression de l'Etat et du clergé. Du plus haut au plus bas échelon de la société se perpétuent l'inefficacité, l'immobilité, une paralysie générale et la dégradation morale. Quelle amère dégénérescence pour une nation qui avait été si puissante et si illustre! L'histoire témoigne de sa glorieuse civilisation passée durant laquelle les Persans distingués parmi les nations, brillaient par leur sagesse, leur équité, leur science, leurs arts et leurs vertus.

Avec l'avènement du Bab, la plupart des mulla n'attendent pas longtemps pour s'opposer à la passion naissante. Des les premières apparitions en public du Bab et de ses disciples ils lancent une campagne de calomnies et de persécutions contre eux. Les mulla démontrent aux officiers royaux que leurs intérêts sont communs. Dès le début, le gouverneur de Shiraz, alarme, ordonne l'arrestation du Bab, le confiant à la garde de son oncle.

Le souverain, Muhammad Shah, bien que pratiquant une politique dure, est un homme hésitant et malade. Il vit surtout de lassitude et d'ennui, et son caractère naturellement faible demeure très mélancolique. Il n'a d'intérêt que pour son tuteur et ministre idolâtre, Haji Mirza Aqasi. Celui-ci est toujours emporté par son principal trait de caractère: la bouffonnerie. Rien de sérieux, un grand laisser-aller, l'esprit volage, il n'a de plaisir que dans l'échec des idées des autres.

Muhammad Shah, intrigué par l'exaltation des Persans, charge l'un de ses conseillers les plus érudits, mulla, homme de confiance et de grande influence, Siyyid Yahyay-i-Darabi surnommé Vahid (l'unique), d'entreprendre une enquête sur le Bab. Le conseiller hautement respecté, après trois rencontres avec le Bab, est conquis. Il décide de vouer sa vie entière et ses ressources à la foi nouvelle. Il transmet une lettre au souverain en lui témoignant sa croyance passionnée au Bab.

Après la première entrevue, Vahid déclare à un ami:

"En sa présence, je fis étalage à l'excès de mes propres connaissances, mais il fut capable de donner en quelques mots une réponse à toutes mes questions."

Par la suite l'érudit dévoilera:

"Aussitôt que je fus introduit en sa présence, une sensation de crainte, que je ne pouvais réprimer, me saisit subitement. Le Bab, constatant mon état, se leva de son siège, avança vers moi, et, me prenant par la main, me fit asseoir à ses cotés."

"Demande-moi tout ce que désire ton coeur. Je te le révélerai volontiers." prononça le Bab.

"Comme un enfant ne pouvant ni parler ni comprendre, je me sentais incapable de répondre. Le Bab souriait tout en me regardant et dit:

"Si je te révèle les réponses aux questions que tu te poses, reconnaîtrais-tu que mes paroles sont nées de l'esprit de Dieu? Admettrais-tu que mes propos ne sont en aucune façon empreints de magie et de sorcellerie?"

"Comment pourrais-je décrire cette scène d'inexprimable majesté? Les versets coulaient de sa plume avec une rapidité réellement surprenante. L'incroyable facilité de son écriture, le doux murmure de sa voix et la prodigieuse force de son style me stupéfièrent et me désorientèrent."

Vahid conclut le rapport relatif à son enquête sur le Bab en écrivant:

"Tel fut l'état de certitude auquel j'étais parvenu que rien ne pouvait ébranler ma conscience en la grandeur de sa cause." (15)

Après la lecture du rapport, Muhammad Shah déclare à son premier ministre:

"Nous avons été informé que Siyyid Yahyay-i-Darabi (Vahid) est devenu disciple du Bab; si cela est vrai, il nous incombe de cesser d'amoindrir la cause de ce jeune homme." (16)

Le Shah convoque le Bab dans la capitale; le bouffon, l'intrigant Haji Mirza Aqasi se déchaîne comme jamais auparavant. Il craint l'influence du Bab sur son souverain s'ils se rencontrent. De leur coté, les hauts dignitaires du clergé, atterrés face à une telle influence, dénoncent le Bab comme hérétique et, lors d'une assemblée, le condamnent à mort. Par ses intrigues, le ministre réussit à faire échouer le plan de la visite du Bab dans la capitale, puis l'exile dans les repaires montagneux de l'Adhirbayjan, au nord du pays, et l'emprisonne à Mah-ku puis à Chihriq.


3.6. Emprisonnement du Bab et son message

La province de l'Adhirbayjan, Mah-ku, est la prison du Bab. Le Bab prie, écrit sans cesse, sa douceur demeure inaltérable. Les paysans locaux, subjugués par la gentillesse du Bab, sa modestie, sa courtoisie, instruits par ses conseils et son savoir, commencent aussi à le vénérer. Son prestige et sa popularité s'accroissent. Des visiteurs, modestes ou importants, continuent d'affluer vers le Bab. Malgré eux, ceux qui l'approchent subissent l'influence éblouissante de son visage, de ses manières, de son langage, de ses paroles. Chacun ressent l'intensité d'une flamme vivante. La beauté de son caractère est si rayonnante qu'elle a un pouvoir transformateur sur ceux qui l'entourent.

Ces honneurs accordés au Bab constituent les raisons de son transfert dans la forteresse de Chihriq (le mont de la douleur) où la réclusion devint plus rigoureuse et plus sévère. Pourtant, la population locale kurde ne résiste pas non plus à l'influence pénétrante du prisonnier. Une auréole de sainteté, de science, et d'éloquence l'entoure.

Des érudits de haute valeur, de hauts dignitaires du clergé, des fonctionnaires du gouvernement épousent la cause du prisonnier. L'un des visiteurs est un homme venu de l'Inde. Prince dans son pays, il put atteindre Chihriq habille en ermite. Selon les narrateurs, il avait vu le Bab dans une vision. Abandonnant richesse et position, il n'aspirait qu'a parvenir en sa présence. Durant sa visite, le Bab l'invite à retourner en Inde répandre ses enseignements.

En prison, le Bab fond de douleur à cause des tortures et de la mort de ses compagnons. Sa tristesse ne l'empêche pas de finir d'écrire la plupart de ses ouvrages. Il sait que sa mort arrivera bientôt mais aussi que son message sera universel et englobera le monde entier. La pensée d'engendrer ce jour lui est si précieuse qu'elle illumine et adoucit jusqu'à ses chagrins les plus intimes.

L'ampleur de ses Ecrits, la diversité des sujets traités, sont une des caractéristiques de son activité littéraire: prières, homélies, allocutions, traités scientifiques, dissertations doctrinales, exhortations, commentaires sur le Qur'an et sur diverses traditions, épîtres personnelles aux rois et aux principaux dirigeants ecclésiastiques et gouvernementaux et surtout les lois et les ordonnances de la nouvelle foi.

Parmi les nombreux livres du Bab, on remarque spécialement les suivants:

* Le célèbre commentaire sur la surih de Joseph sous le titre Qayyumu'l-Asma' dont le premier chapitre fut écrit le soir même de la déclaration de l'auteur en présence de son premier disciple.
* Le Bayan (Exposé), répertoire magistral des lois et préceptes de la nouvelle religion et les avertissements au sujet de "Celui que Dieu rendra manifeste", louange a l'égard du Promis annoncé.
* Les Ecrits à Muhammad Shah et aux différents dignitaires.
* Le Dald'il-i-Sab'ih (le Livre des Sept Preuves), le plus important des ouvrages polémiques du Bab.

A travers son enseignement, le Bab annonce et prépare le chemin pour la venue du Promis de tous les âges dont la mission serait d'inaugurer une ère de vertu et de paix, une ère qui accomplirait toutes les promesses et prophéties des religions antérieures. Elle commencera un nouveau cycle dans l'histoire de l'humanité. Le Bab déclare à ses fidèles en se référant a "Celui que Dieu rendra manifeste":

"Si quelqu'un entendait un seul verset de Lui et le récitait, ce serait préférable que de réciter le Bayan un millier de fois." (17)

Outre sa mission de Précurseur, le Bab revendique le même rang que celui des grands fondateurs des religions portant une loi nouvelle.

Le Bab atteste la notion de la révélation divine progressive à travers le temps apportée par Moise, Jésus, Muhammad, où la vérité spirituelle reste la même; seules les lois sont abrogées d'une religion à l'autre.

De même, le Bab instaure un nouveau code de lois au sujet de la prière, du jeune, du mariage, du divorce, de l'héritage entre autres. Il change les lois et les cérémonies islamiques les concernant. Par exemple, il rend le divorce plus difficile en instaurant une période d'un an de patience avant de prononcer le divorce et le consentement des deux conjoints. Celle loi remplace la possibilité de la répudiation immédiate de l'épouse selon la loi coranique.

Dans ses enseignements moraux et sociaux, le Bab exalte les vertus nécessaires à la vie de l'homme. Il met en relief les valeurs de courtoisie, d'amour fraternel, de pureté morale.

"Ne contristez qui que ce soit pour quoi que ce soit" (18), dit le Bab.

L'idéal du vrai babi doit être l'amour pur, sans aucun espoir de récompense ni aucune crainte de châtiment.

Il insiste sur l'importance de cultiver les arts et les métiers utiles et la généralisation de l'instruction élémentaire. Il énonce la haute valeur de la femme devenue l'égale de l'homme, et le respect qui doit lui être rendu, le secours aux pauvres par les fonds communs. La mendicité est interdite, l'usage des boissons alcoolisées également.

Une autre partie des enseignements fondamentaux du Bab consiste dans une approche de la connaissance de Dieu:

"Le seul vrai Dieu peut être comparé au soleil et le croyant à un miroir. Dès qu'on place le miroir devant le soleil, il en reflète la lumière", écrit le Bab(19).

A travers ses Ecrits, on reconnaît l'éclaircissement mystique des termes eschatologiques, tels que paradis, enfer, mort, retour, balance, heure et expressions similaires. Par exemple le concept de paradis constitue le bonheur du à la connaissance et à l'amour de Dieu, tandis que l'enfer est la privation de l'approche de Dieu.

Dans le contexte d'une époque de décadence et de désintégration, la naissance de la nouvelle foi babie avec ses doctrines religieuses, ses normes de morale, ses principes sociaux porte d'une manière ostensible un défi à toute la structure traditionnelle de la société persane.


3.7. La communauté babie

La communauté babie est ardente, hardie et chacun de ses membres brûle de sacrifier son rang et sa vie à la nouvelle religion. Pendant l'emprisonnement du Bab, ses adeptes redoublent d'empressement. Ils sont remplis d'un tel amour pour leur cause, qu'ils veulent faire connaître à la Perse entière la joie de leur découverte du message divin. Ce qui met en mouvement la foi des premiers babis est moins l'acceptation d'une nouvelle philosophie de la vie, qu'une dévotion au Bab et une croyance passionnée en son rang de "Manifestation de Dieu".

Ils sont remarqués et respectés pour leur zèle, leur foi et leurs moeurs sévères. Hommes de grande considération, on les attend avec impatience dans toutes les villes. Ils sont recherchés, écoutés et crus avec ferveur.

La plupart d'entre eux sont aussi jeunes que le Bab et peut-être la flamme de leur jeunesse contribue-t-elle à animer le mouvement babi de cet esprit d'audace et de courage.

Parmi les nombreux épisodes héroïques de la communauté babie, quelques-uns seront relatés. Trois personnages principaux y prendront part. Ils sont parmi les dix-huit premiers disciples du Bab:

* Haji Muhammad-'Aliy-i-Barfurushi nommé Quddus, est un jeune érudit de 22 ans. Il avait été l'un des disciples les plus estimés du Shaykhisme. Il représente pour les babis un personnage vénéré pour sa science, sa pureté, son dévouement.

* Mulla Husayn-i-Bushru'i, premier disciple du Bab, est désigné par lui sous le nom de "Babu'1-Bab" (la porte de la Porte). Tous lui reconnaissent un grand savoir et une extrême énergie de caractère. Il est l'homme au "coeur de lion". Emporté par son zèle, il reçoit la mission d'aller à Téhéran et à Khurasan proclamer le message. Il est le premier missionnaire babi. Partout on l'acclame pour ses discours et son exemple.

* Zarrin-Taj ou Qurratu'l-'Ayn (Consolation des yeux), dénommée Tahirih (la pure), jeune femme d'une trentaine années, appartient à une illustre famille sacerdotale islamique. Fille et épouse de prêtres musulmans, elle est une poétesse et érudite de grande renommée. Sans avoir jamais vu le Bab, elle déclare sa foi et devient l'un de ses dix-huit premiers disciples. Elle est l'objet préféré de la vénération des babis. Musulmans et babis font d'extraordinaires éloges de la beauté de Tahirih. Les mémorialistes ajoutent qu'on admire bien plus encore l'esprit et le caractère remarquable de cette jeune femme. Elle ne se contente pas d'une croyance passive envers le Bab mais confesse sa foi en public et proclame avec fougue les enseignements de son maître. Elle fait rayonner autour d'elle une foi passionnée, un enthousiasme illimité.

"Mulla Salih avait parmi ses enfants une fille, Zarrin-Taj - la couronne d'or - qui attira sur elle l'attention dès sa plus tendre enfance... Sa vive intelligence s'assimila rapidement le fatras de la science islamique, sans s'y noyer, et bientôt elle fut à même de discuter sur les points les plus obscurs et les plus confus... Sa réputation était bien vite répandue dans la ville et ses concitoyens la considéraient, à juste litre, comme un prodige. Prodige de science, mais aussi prodige de beauté... Sa réputation devint immense dans la Perse savante et les hautains ulémas consentirent à adopter quelques-unes de ses hypothèses ou de ses opinions... Elle était, comme nous le verrons par la suite, d'un tempérament ardent, d'une intelligence nette et lucide, d'un sang-froid merveilleux, et d'un courage indomptable. Toutes ces qualités réunies devaient l'amener à s'occuper du Bab dont elle entendit parler dès son retour à Qazvin. Ce qu'elle en apprit l'intéressa si vivement qu'elle entra en correspondance avec le Réformateur et que bientôt convaincue par lui, elle fit connaître sa conversion urbi et orbi. Le scandale fut immense et le clergé consterné. En vain son mari, son père, ses frères la conjuraient-ils de renoncer à cette dangereuse folie, elle resta inflexible et proclama hautement sa foi."
A.-L. M. Nicolas (20)

"L'apparition d'une femme comme Qurratu'l-'Ayn était un phénomène rare en tout temps et dans n'importe quel pays, mais dans une contrée telle que la Perse, c'est un prodige, que dis-je presque un miracle."
E.G. Browne (21)

Hakim Masih, l'arrière-grand-père de mon père, rabbin respecté, médecin recherché de Téhéran, est descendant d'une lignée de praticiens.

Médecin attitré de Muhammad Shah, il l'accompagne à un pèlerinage à Karbila en Irak. Au cours du voyage, Hakim Masih rencontre un groupe d'érudits, la plupart des 'ulémas; avec eux il va écouter une allocution et discussion avec une femme assise derrière un rideau, selon la coutume islamique.

Le discours sortant de derrière le rideau a une telle logique que les interlocuteurs sont conquis et ne réussissent plus à répondre aux arguments. Mon ancêtre, juif pieux, demeure perplexe; convaincu par le raisonnement de cet être, il croit en ses paroles. Il n'avait pas encore entendu parler du Bab et il pensa que cette personne pouvait être le Promis. Il ira écouter trois fois, puis il continue son pèlerinage avec le Shah et retourne à Téhéran.

Dans la capitale, il entend dire qu'aucun médecin ne consent à aller soigner en prison l'enfant d'un babi, le célèbre Mulla Asdaq, emprisonnés tous deux à Siyah-Chal (fosse noire) de Téhéran, à cause de leur foi. Le praticien se rend a la prison. Il apprend par le prisonnier que la femme érudite est Tahirih. Mulla Asdaq lui parle de la religion du Bab et de ses enseignements. Conquis et convaincu, Hakim Masih est la première personne de la communauté juive à embrasser la foi babie. Ses descendants, bien que demeurant jusqu'à mon grand-père les médecins attitrés des Shahs successifs Qajar, deviendront tour a tour de fervents adeptes de la foi nouvelle. Tous les nouveaux adeptes du Bab se mettent à répandre avec ferveur et passion ses enseignements. En quelques années, des centaines de milliers d'hommes et de femmes s'empressent de se joindre aux babis. Parmi eux se trouvent de nombreuses personnes de haute considération et respectées pour leur vertus. On compte une majorité de représentants de classes laborieuses paysannes, un grand nombre d'érudits, de respectables théologiens, des hauts dignitaires du clergé islamique, des mulla, des hommes de science, des membres de la famille royale, des notabilités ainsi que des représentants des minorités religieuses zoroastrienne, juive et chrétienne. Partout l'essor de la foi nouvelle est marqué par des passions ardentes.

En quelques années, la foi babie a enflamme une grande partie de la Perse.

"Une de ces étranges explosions d'enthousiasme, de foi, de dévotion fervente et d'héroïsme indomptable... L'esprit qui anime les babis est tel qu'il ne peut guère manquer de toucher d'une manière très puissante tous ceux qui se sont soumis à son influence... Que ceux qui n'ont rien vu ne me croient pas s'ils ne veulent pas, mais si cet esprit se révélait à eux une seule fois, ils feraient l'expérience d'une émotion qu'ils n'oublieraient point de si tôt."
E. G. Browne (22)


3.8. Conférence de Badasht

1848, premier concile des babis dans le hameau de Badasht, la province du Mazindaran. Les disciples marquent et affirment ouvertement l'indépendance, par rapport à l'islam, de la foi nouvellement née.

Mirza Husayn-'Ali, plus tard surnommé Baha'u'llah, l'un des disciples vénérés de la foi babie, devait guider discrètement la conférence.

Quddus, l'élément conservateur dans cette assemblée, devait atténuer le choc d'une telle conférence.

Tahirih, allait proclamer les vues les plus extrémistes du Bab.

Pendant l'une des journées de la conférence, Tahirih apparaît pour la première fois le visage dévoilé devant les disciples et s'assoit à coté de Quddus. L'effet est foudroyant. Tahirih représentait une créature d'une pureté immaculée, le symbole de la chasteté. Les Persans la révéraient à un tel point que regarder même son ombre était inconvenant. Cet acte semblait souiller la figure immortelle qu'elle symbolisait et jeter le déshonneur sur la pureté de la foi.

Les condisciples perdant leurs facultés devant un tel événement sont saisis de colère, crainte et stupéfaction. Une agitation incroyable règne dans assemblée. Quddus furieux et indigne semble vouloir la frapper avec l'épée qu'il tient à la main. L'un des disciples, perdant la raison, s'enfuit de la vue de Tahirih en se tranchant la gorge. Quelques-uns abandonnent la conférence et renient leur foi. D'autres demeurent pétrifiés et ahuris.

Certains, profondément remués, se rappellent la tradition islamique prédisant l'apparition de la sainte Fatimih sans voile au jour du jugement dernier.

Tahirih, sereine et débordante de joie, se lève et avec l'ardeur qui la dévore, lance un éloquent appel à l'assemblée. Elle proclame que l'ère de paix et de vertu qui s'annonce ne peut se réaliser sans les sacrifices de la génération chargée de les accomplir. Elle offre la contribution des femmes pour partager les dangers et les mérites de ses condisciples. Son geste et ses paroles marquent non seulement l'émancipation de la femme en Perse mais encore symbolisent une rupture soudaine et complète avec le passé. Elle termine son appel sur une affirmation hardie:

"Je suis la Parole que le Qa'im doit prononcer, la Parole qui mettra en fuite les nobles et les chefs de la terre." (23)

Puis elle invite les disciples à célébrer une aussi grande circonstance.

Jusque-là, la grande masse des fidèles n'avait pas encore été initiée aux revendications les plus anticonformistes du Bab. A ce concile, le mouvement babi dépasse les souhaits futurs pour se diriger vers les lois et les préceptes du Bab qui doivent être introduits pratiquement dans la nouvelle foi. Les adeptes eurent le courage de défier les conventions de leur société par la rupture avec l'organisation, les coutumes, le sacerdoce et la forme du culte du passé. La naissance d'une nouvelle religion est marquée par l'abrogation de l'ordre ancien, de la loi islamique et l'instauration d'une nouvelle ère religieuse.

L'appel est lancé par une femme. Un but aussi hardi sera atteint.


4. Le massacre des babis

"Les provinces du centre et du sud étaient profondément remuées par les prédications enflammées des missionnaires de la nouvelle doctrine... les mulla anxieux, sentant leur troupeau frémissant prêt à leur échapper, redoublaient de calomnies et d'imputations infamantes. Des mensonges les plus grossiers, les imaginations les plus sanglantes étaient par eux répandus dans la populace hésitante, partagée entre l'horreur et l'admiration..."
A.-L. M. Nicolas (24)

A travers toute la Perse, le commandement reçu par les autorités tant civiles que ecclésiastiques est de punir et de châtier de manière exemplaire tous les babis.

Dès la proclamation du Bab et l'expansion de la ferveur du mouvement, la plupart des mulla exaspérés se mettent partout sur la défensive. Le clergé, résolu à éteindre cette foi, convainc les autorités civiles; ces deux forces réunies prennent vigoureusement l'offensive.

Pourquoi une telle violence s'abat-elle donc sur cette communauté religieuse?

Tous les non-musulmans: les juifs, les zoroastriens et les chrétiens, ont souffert en Perse de la loi shi'ih de l'impureté (Najis) apliquée aux fidèles des religions autres que l'islam. La dynastie des Qajar (1794-1925) représentait, après la dynastie des Safavides, un retour à la pire intolérance shi'ih. Cette loi de l'impureté s'applique aussi aux babis. Toutefois l'opposition était pas due seulement à l'intolérance, mais dans l'assertion du Bab proclamant être le Promis attendu pour inaugurer une ère nouvelle. C'est ainsi que les persécutions des babis ne sont pas comparables à celles des autres minorités.

La force d'opposition la plus importante sera le clergé poussé par la peur de perdre le pouvoir sur la masse de la population et par sa jalousie face à une communauté naissante, religieuse, croissante et saine. Les mulla sont extrêmement irrités, mécontents et effrayés de l'essor du mouvement babi. Ils voient le danger d'un affaiblissement de leur monopole et de leurs ambitions. Ils craignent surtout que leur conduite cachée soit dévoilée s'ils avaient à faire à un peuple éclairé. Ils réussissent, par des calomnies invraisemblables, à convaincre le gouvernement que les babis sont des traîtres envers l'islam, et représentent un danger non seulement pour le clergé, mais aussi pour l'Etat et pour l'ordre social de la Perse.

D'autre part, les membres du gouvernement et les autorités civiles, incités par la monstrueuse campagne de dénigrement, saisissent l'occasion de satisfaire leurs convoitises personnelles. Dès qu'un personnage ambitieux veut faire du zèle auprès de ses supérieurs, il n'a qu'a persécuter les babis et sa promotion est garantie.

Et enfin, parmi la population, ceux qui ne vérifient pas personnellement les enseignements de la nouvelle foi, subissent l'influence des calomnies. Ils se livrent par leur ignorance à un fanatisme cruel.

En fait, l'histoire des religions se répète. La cause du rejet et de la persécution du Bab et de ses adeptes est la même que celle du rejet et de la persécution du Christ et des premiers chrétiens. Si Jésus n'avait pas apporté un nouveau livre ni de nouveaux principes spirituels et sociaux, il n'aurait pas été crucifié.

"Méditez ces paroles que Jésus adressa à Ses disciples en les envoyant de par le monde propager la cause de Dieu. C'est avec de telles paroles qu'Il leur enjoignit de se lever et de remplir leur mission: "Vous êtes comme le feu allumé dans les ténèbres de la nuit au sommet de la montage. Que votre lumière resplendisse aux yeux des hommes! La pureté de votre vie et le degré de votre renoncement doivent être tels, que les peuples de la terre en vous voyant reconnaissent leur Père céleste et se rapprochent de Lui qui est la source de la pureté et de la grâce. Car nul n'a vu le Père qui est aux cieux. Vous, Ses enfants spirituels, vous devez par vos actes donner l'exemple de Ses vertus et témoigner de Sa gloire... L'heure est venue ou seuls les motifs les plus désintéressés, appuyés par des actes sans tache, peuvent s'élever jusqu'au Trône du Très-Haut et trouver grâce auprès de Lui. Seules les bonnes paroles suivies de bonnes actions seront exaltées devant Lui."
Le Bab (25)


4.1. Changement de règne

Muhammad Shah est agonisant. Haji Mirza Aqasi, pivot du gouvernement, demeure incompétent, superficiel et indécis. Parfois, il soutient le verdict des 'ulama, parfois il les condamne pour leur agressivité, parfois il retombe dans ses rêveries et se moque de la gravité de la situation jusqu'à l'annonce du décès de Muhammad Shah.

En Perse, un changement de règne a toujours eté une période très critique. Il s'établit une anarchie plus ou moins longue et d'un caractère plus ou moins violent et tourmenté. Il n'existe plus aucune légitimité, ni de pouvoir. Les frénésies sanglantes tombent sur les babis.

1848, le jeune Nasiri'd-Din Shah monte sur le trône à 17 ans. A Téhéran, les fêtes de l'intronisation royale terminées, Haji Mirza Aqasi est chassé de son pouvoir. L'Amir-Nizam, Mirza Taqi Khan prend la direction des affaires. Homme impitoyable et despote, il est résolu à faire infliger un châtiment immédiat et exemplaire aux babis.

Lorsque les grands de chaque province viennent à Téhéran rendre leurs hommages au souverain, on leur recommande de couper court à l'effervescence des babis. Ils promettent d'agir pour le mieux. Afin de recevoir les récompenses promises par le ministre, les gouverneurs, magistrats et autres fonctionnaires de toutes les provinces font preuve de zèle pour massacrer les adeptes d'une foi proscrite.

Pour la première fois, une campagne systématique des forces du clergé et de l'Etat réunis est lancée à travers toute la Perse pour exterminer les babis. Les historiens de l'époque et les ambassadeurs européens accrédités en Perse relatent avec stupéfaction les événements, les cruautés inimaginables des persécuteurs, d'une part, et la bravoure puis les sacrifices passionnés des persécutés, d'autre part.


4.2. Soulèvements du Mazindaran, Zanjan, Nayriz

Les persécutions de plus en plus acharnées centre les babis les poussent à se regrouper dans différentes provinces pour se protéger. Poursuivis, les disciples du Bab, doués d'un courage surnaturel, se défendent centre les attaques acharnées du gouvernement.

Les babis construisent un château fort pour se protéger dans la foret du Mazindaran, en un lieu nommé Shaykh Tabarsi. Les autorités civiles décident de s'attaquer aux babis dans leur château fortifié.

L'audacieux Mulla Husayn forme un groupe de 202 de ses condisciples et va prêter assistance à Quddus qui est à la tête de 111 autres babis. 313 sédentaires, ni équipés, ni entraînés, doivent faire face à une armée entraînée, équipée, financée et soutenue par les masses populaires, par le clergé et l'Etat. Mulla Husayn plaide la cause des babis auprès du prince royal en lui donnant sa garantie formelle qu'ils n'ont aucune intention d'usurper le pouvoir du Shah ou de renverser son empire. Le prince ne fléchit pas. Ce sera une guerre cruelle qui durera onze mois.

Les babis enivrés par l'amour de leur cause font preuve d'une foi, d'un zèle et d'une intrépidité peu communs. De part et d'autre, on compte de nombreux tués. Les babis sont assiégés. A l'aube, Mulla Husayn, précédé par Quddus et accompagné par plus de 202 autres compagnons, émerge du fort au chant de "Ya Sahibu'z-Zaman" (Ô Seigneur de cet âge). Les pluies de balles continuent de s'abattre des deux cotés. Des mois de luttes se poursuivent. La bravoure et le courage des disciples du Bab inspirent une telle crainte à leurs adversaires que presque la totalité des musulmans considèrent les babis comme autre chose que des hommes, des sortes de fées qui continuent à survivre.

Pourtant, le vénéré Mulla Husayn, "au coeur de lion" est touché par une balle. On le voit sur son cheval porter la main à sa poitrine, mais il n'en persiste pas moins à donner des ordres à ses hommes. Une seconde balle le blesse gravement. Il ordonne la retraite à contrecoeur. Lorsqu'il arrive au château fort, il tombe du cheval au milieu des fidèles épouvantés. Mourant sur son lit, il recommande à ses condisciples de ne jamais abandonner leur foi et de toujours conserver une fidélité, un amour et un respect absolu pour le Bab. Les musulmans gardent une profonde horreur du souvenir de ce chef. Les babis vouent une profonde vénération au premier disciple de leur foi. En présence du prince Ahmad Mirza et de plusieurs témoins 'Abbas-Quli Khan-i-Larijani dont la balle causa la mort de Mulla Husayn déclare :

"A la vérité, je ne sais pas ce qu'on avait montré à ces gens ou ce qu'ils avaient vu pour aller au combat avec autant d'empressement et de joie... La véhémence de leur courage et de leur bravoure dépasse l'imagination humaine." (26)

Le siège de leur forteresse les laisse dans une cruelle détresse, ils souffrent d'une grande fatigue et de manque de nourriture. ils sont réduits d'abord à manger de la chair des chevaux rapportés du camp abandonné par l'ennemi, puis de l'herbe arrachée, de l'écorce des arbres, du cuir de leurs selles, ceintures, fourreaux, chaussures, puis ils sont contraints uniquement de boire à petites gorgées de l'eau. Finalement, pris par une faim dévorante, ils se résignent à déterrer le cheval de Mulla Husayn et à le manger.

Pourtant leur foi demeure inébranlable et leur courage intrépide. Malgré les pertes humaines et les souffrances, jamais la pensée même de sauver leur vie par un quelconque compromis n'effleure l'esprit des assiégés. Leur dévotion ne recule devant aucun sacrifice. Lorsqu'ils ne sont pas occupés à se défendre, ils étudient les écritures saintes et chantent avec une ferveur soutenue des prières et des louanges de leur Seigneur, le Bab.

Après onze mois de lutte, on promet aux babis qu'on leur garantit la vie s'ils se rendent sans pour autant renier leur foi. Ils doivent seulement quitter leur château fort. Les disciples acceptent.

Les musulmans s'attroupent près du fort de Tabarsi, anxieux de voir ce qui reste de cette garnison si redoutée par ses exploits devenus légendaires. Les babis sortent du Shaykh Tabarsi, il en reste deux cent quatorze dont plusieurs femmes accompagnées de leurs enfants. Leur état d'épuisement est total. Des tentes et des vivres leur sont offerts. Le lendemain, le commandant en chef et le prince invitent les principaux babis a déjeuner.

"La trahison est quelquefois tentante et douce au coeur de la lâcheté victorieuse", dit Gobineau (27) en relatant le déroulement de cet événement. A un signal convenu du prince, les soldats se précipitent sous la tente et arrêtent les hôtes. Tous les babis ainsi que les femmes et les enfants sont cruellement massacres sur place. Le prince livre Quddus, le chef bien-aimé, à un représentant du clergé qui dans son insatiable animosité le fait lyncher par la foule dans sa ville natale. Déchiqueté, il périt dans un brasier.

Avant de mourir, il éleve la voix et dit a la foule :

"Si seulement ma mère était avec moi, elle aurait contemplé de ses propres yeux la splendeur de mes noces." (28)

Si la foi babie est étouffée dans le Mazindaran, elle ne l'est nullement ailleurs, on rencontre des adeptes aussi enflammés à travers toute la Perse.

Une tempête non moins violente s'allume dans l'ouest de la Perse à Zanjan.

Le théâtre d'une autre infamie cerne la province du Pars, vers le sud. Pendant l'attaque de Nayriz, le héros principal, le célèbre Siyyid Yahyay-i-Darabi, Vahid, le conseiller converti du Shah, lutte vaillamment et périt dans les flammes.

Ces guerres se terminent par une assurance du gouvernement et une promesse mensongère de liberté, mais dès que les adeptes acceptent d'abandonner leurs armes, des persécutions nouvelles les attendent.

1850, parmi les célèbres martyrs de Téhéran, on compte aussi l'oncle du Bab. Le supplicié est conduit devant le premier ministre qui déclare:

"Certaines personnes ont plaidé en votre faveur, d'éminents commerçants de Shiraz et de Téhéran m'offrent une rançon pour vous libérer. Un mot de rétractation vous permettra de retourner avec honneur dans votre ville natale."

L'oncle du Bab répond courageusement:

"Votre Excellence, si je devais répudier les vérités contenues dans cette révélation, cela équivaudrait au rejet de toutes les révélations qui l'ont précédée. Le refus de reconnaître la mission du Bab constitue un reniement du caractère divin du message révélé par Muhammad, Jésus, Moise, et tous les prophètes du passé."

Face à l'impatience du premier ministre, l'oncle du Bab termine ainsi ses paroles:

"Dieu sait que tout ce que j'ai appris et lu concernant ces messages divins, j'ai eu le privilège de le discerner dans ce jeune homme, mon parent bien-aimé, depuis sa première enfance jusqu'à ce jour, la trentième année de sa vie. Je vous demande, seulement de me permettre être le premier à donner ma vie dans son sentier." (29)

Le premier ministre, stupéfait, ordonne de faire décapiter le premier martyre de Téhéran.

A travers toute la Perse, les suppliciés sacrifient leur vie pour ne pas avoir à renier leur foi. Partout, une joie extatique s'empare d'eux à mesure qu'ils approchent de leur martyre. Les auteurs de ces crimes n'avaient pas compté sur le fait que leurs efforts déployés pour anéantir les babis se retourneraient centre eux-mêmes en devenant les moyens de propager la nouvelle religion et de l'enraciner sur des bases spirituelles.

En présence de l'héritier du trône de Perse et des dignitaires, le Bab proclame publiquement pour la dernière fois:

"Je suis le Promis dont vous avez invoqué le nom pendant un millier d'années."


4.3. Exécution du Bab

1850, Mirza Taqi Khan, premier ministre, maudit son prédécesseur Haji Mirza Aqasi d'avoir laissé naître et grandir cette foi. S'apercevant que les mesures radicales prises contre les disciples du Bab n'avaient servi qu'a exciter le zèle des vivants, le ministre est résolu à frapper le mouvement à la tête. Il décide d'exécuter le Bab afin éteindre cette flamme une fois pour toutes.

Après trois ans de liberté relative et trois ans de captivité, la mission du Bab allait prendre fin; il n'avait que 31 ans.

Le Bab est amèné à Tabriz. Sur le chemin menant vers la ville, un jeune disciple se jette à ses pieds et implore l'honneur être tué avec lui.

"Ne m'écarte pas de toi, Ô Maître, ou que tu allies, fais que je puisse te suivre."

Le Bab lui répond:

"Muhammad-'Ali, lève-toi et sois assuré que tu seras près de moi. Demain, tu seras le témoin de ce que Dieu a ordonné." (31)

Le Bab semble radieux et heureux. Il sait que sa mission est accomplie malgré toutes les oppositions. A l'aube, il voit le soleil se lever pour la dernière fois sur les sables de son pays. Pendant qu'il dicte ses dernières instructions à l'un de ses disciples lui servant de secrétaire, l'officier du gouvernement l'interrompt pour le conduire sur le lieu exécution.

Le Bab déclare à l'officier:

"Aucune puissance terrestre ne pourra me faire taire. Quand bien même le monde entier serait armé contre moi, il serait impuissant à m'empêcher de faire connaître mes intentions jusqu'à la dernière parole." (32)

Le maître de la foi babie est entraîné au milieu de la foule.

"Bab gardait le silence; son pale et beau visage qu'encadraient une barbe noire et des petites moustaches, sa tournure et ses manières distinguées, ses mains blanches, et délicates, ses vêtements simples, mais d'une exquise propreté, tout enfin dans sa personne éveillait la sympathie et la compassion."
Journal Asiatique (33)

10 000 personnes, massées sur le toit de la caserne et des maisons avoisinantes, sont venues assister à l'exécution du Bab. Le fonctionnaire livre le Bab au chef du régiment désigné pour l'exécution, un Arménien chrétien, Sam Khan. Celui-ci impressionné par l'attitude du Bab se sent profondément troublé par la tâche qui lui incombe. Il s'approche du Bab et lui dit:

"Je pratique la foi chrétienne et je ne vous veux aucun mal. Si votre cause est celle de la vérité, délivrez-moi de l'obligation de verser votre sang."

"Suivez les instructions, répond le Bab, si vos intentions sont sincères, le Tout-Puissant vous délivrera de votre angoisse." (34)

Le Bab et son jeune compagnon sont suspendus par des cordes contre le mur et 750 soldats du régiment de Sam Khan les visent et tirent sur eux. Lorsque la fumée se dissipe, un grand cri sort de la foule. Les 10 000 personnes sont les témoins abasourdis d'une scène à laquelle ils ne peuvent croire. Le Bab a disparu et le jeune disciple demeure indemne. C'est un moment d'angoisse terrible. Les soldats tentent de calmer la foule. On retrouve le Bab dans la pièce qu'il avait occupé en train de terminer sa conversation interrompue.

"J'ai terminé mon entretien avec Siyyid Husayn, vous pouvez maintenant remplir votre tache."

Sam Khan ordonne à son régiment de quitter les lieux et refuse toute nouvelle intervention concernant l'exécution du Bab. Un autre régiment s'offre pour le remplacer.

Selon E. Renan, "le disciple du Bab, suspendu à coté de lui aux remparts de Tabriz, et attendant la mort, n'avait qu'un mot à la bouche" :
"Es-tu content de moi, maître ?" (35)

Dans le décor aride de la Perse, l'éclatant soleil de juillet se reflète sur la cour de la caserne de Tabriz. Midi va sonner. Cette fois les corps du Bab et de son compagnon sont criblés de balles.

C'était le 9 juillet 1850.

Le martyre du Bab donne à cette brève et héroïque chronique une beauté tragique qui en fait l'un des épisodes les plus poignants de l'histoire des religions.

"C'est un des plus magnifiques exemples de courage qu'il ait été donné à l'humanité de contempler... et c'est aussi une admirable preuve de l'amour que notre héros portait à ses concitoyens. Il s'est sacrifié pour l'humanité; pour elle, il a donne son corps et son âme; pour elle, il a subi les privations, les affronts, les injures, la torture et le martyre. Il a scellé de son sang le pacte de la fraternité universelle et, comme Jésus, il a payé de sa vie l'annonce du règne de la concorde, de l'équité et de l'amour du prochain."
V. Rosen, ambassadeur de Russie (36)

De nombreuses personnalités étrangères étudièrent l'avènement du Bab et de sa religion. Le tsar de Russie avait donné comme mission au consul russe de Tabriz de faire une enquête approfondie sur cet événement.

En Europe, un vif intérêt s'étendit dans les milieux littéraires, artistiques, diplomatiques et intellectuels.

Selon J. Bois, journaliste français:

"... Toute l'Europe fut émue de pitié et d'indignation... Parmi les littérateurs de ma génération, dans le Paris de 1890, le martyre du Bab était encore un sujet d'actualité comme l'avait été la première nouvelle de sa mort. Nous écrivions des poèmes sur lui.

Sarah Bernhardt pria Catulle Mendès de composer une pièce ayant pour thème cette historique tragédie." (37)

En 1903, une poétesse, russe, Grinevskaya publie un drame intitule "Le Bab", joué au théâtre de Saint-Petersbourg. Il sera traduit en Europe occidentale puis joué après la Révolution russe au théâtre de Leningrad. (38)


4.4. Attentat contre la vie du Shah

15 août 1852, Niyavaran, résidence été du Shah: deux badauds attendent au bord de la route. Le Shah allant faire une promenade à cheval, débouche des jardins du palais, suivi de son escorte. L'un des deux hommes décharge son pistolet vers le Shah et le blesse légèrement. L'attentat est suivi d'un désordre et d'un tumulte inimaginables.

Ces deux jeunes hommes sont des babis. Perdant toutes leurs facultés après la douloureuse tragédie de l'exécution de leur maître, le Bab, ils voulaient, par ce geste insensé, assouvir leur vengeance sur le Shah.

Enfin pour les autorités, le prétexte inespéré! Ils peuvent donner libre cours a une persécution sans précèdent. A peine cet acte commis, sans la plus élémentaire enquête sur les origines et les promoteurs de l'attentat, un courroux s'abat sur le corps entier de la communauté babie. La chasse aux babis prend de l'envergure. Toute personne suspectée d'appartenir à la foi nouvelle est recherchée, arrêtée, questionnée, torturée et exécutée.

Les deux coupables, arrêtés, déclarent qu'ils ont agi seuls, qu'aucun complice ne les soutient, qu'aucun ordre ne leur avait été donne. Le choix de l'arme, qui suffirait a peine a tuer un moineau, témoigne de l'inconscience de ces deux babis. Leur initiative personnelle a été le résultat de leur douleur due à la perte de leur maître.

Bien que cet acte soit incompatible avec les principes du Bab et qu'il soit condamné par tous ses disciples, une fois ces hommes mis à mort, sans en tirer aucune révélation, d'autres groupes de babis sont amenés au palais. Toujours la même réaction: des hommes, des femmes, des enfants, fermes dans leur croyance se laissent torturer et tuer. Le paroxysme de leur passion pour le Bab les emporte vers leur immolation avec une joie étonnante.

Les babis seraient immédiatement relâchés si, par une simple parole, ils reniaient leur foi. Tous répondent fermement qu'ils restent babis. Ils refusent délibérément d'acheter leur vie par la simple délégation verbale qui porte le nom de taqfiyih. L'islam shi'ih acceptait depuis des siècles ce subterfuge comme tout à fait justifié et même recommandable aux heures de péril.

Ne comprenant pas la ferveur de ces adeptes, les bourreaux passent de la vengeance à la crainte. Ils ne savent plus sur quel terrain ils se trouvent. Ils supposent que les babis doivent avoir des amis secrets encore inconnus, ou bien qu'ils ne sont pas des hommes.

Néanmoins, le règne de terreur au-delà de toute expression qui s'ensuivit prit le dessus à travers toute la Perse. Téhéran allait participer à son tour au carnage qui devait souiller la dignité du pays.


4.5. Documents

"On vit, on vit alors, on vit ce jour-là, dans les rues et les bazars de Téhéran, un spectacle que la population semble devoir n'oublier jamais. Quand la conversation encore aujourd'hui, se met sur cette matière, on peut juger de l'admiration horrible que la foule éprouve et que les années n'ont pas diminuée. On vit s'avancer, entre les bourreaux, des enfants et des femmes, les chairs ouvertes sur tout le corps, avec des mèches allumées flambantes fichées dans les blessures. On traînait les victimes par des cordes et on les faisait marcher a coups de fouet. Enfants et femmes s'avançaient en chantant un verset qui dit:

"En vérité, nous venons de Dieu et nous retournons a lui!" "Leurs voix s'élevaient éclatantes au-dessus du silence profond de la foule... Quand on arriva au lieu d 'exécution, près de la Porte-Neuve, on proposa encore aux victimes la vie pour leur abjuration, et, ce qui semblait difficile, on trouva même à leur appliquer des moyens d'intimidation. Un bourreau imagina de dire a un père que s'il ne cédait pas, il couperait la gorge a ses deux fils sur sa poitrine. C'étaient deux petits garçons, dont l'ainé avait quatorze ans, et qui, rouges de leur propre sang, les chairs calcinées, écoutaient froidement le dialogue. Le père répondit, en se couchant par terre, qu'il était prêt, et l'aine des enfants, réclamant avec emportement son droit d'aînesse, demanda à être égorgé le premier. Il n'est pas impossible que le bourreau lui ait refusé cette dernière satisfaction. Enfin, tout fut achevé; la nuit tomba sur un amas de chairs informes; les têtes étaient attachées en paquets au poteau de justice, et les chiens des faubourgs se dirigeaient par troupes de ce coté."

"Cette journée donna au Bab plus de partisans secrets que bien des prédications n'auraient pu faire. Je l'ai dit tout à l'heure, l'impression produite sur le peuple par l'effroyable impassibilité des martyrs fut profonde et durable. J'ai souvent entendu raconter les scènes de cette journée par des témoins oculaires, par des hommes tenant de près au gouvernement, quelques-uns occupant des fonctions éminentes. A les entendre, on eut pu croire aisément que tous étaient babis, tant ils se montraient pénètrés d'admiration pour des souvenirs ou l'Islam ne jouait pas le plus beau rôle, et par la haute idée qu'ils avouaient des ressources, des espérances et des moyens de succès de la secte."
J.-A. Gobineau (39)

"Des milliers de martyrs sont accourus pour Lui [le Bab] avec allégresse au-devant de la mort. Un jour sans pareil, peut-être dans l'histoire du monde, fut celui d'une grande boucherie qui se fit des Babis à Téhéran... journée peut-être sans parallèle dans l'histoire du monde."
E. Renan (40)

"Des récits empreints d'un héroïsme magnifique illuminent les pages tachées de sang de l'histoire babie... Certes il ne faut pas... mésestimer les principes d'une croyance capable d'éveiller chez ses partisans un esprit de sacrifice personnel aussi rare et aussi beau. Héroïsme et le martyre de ses fidèles séduira bien des gens qui ne peuvent trouver de phénomènes semblables dans les annales contemporaines de l'Islam."
G. N. Curzon (41)

"J'avoue même que si je voyais en Europe une secte d'une nature analogue au babisme se présenter avec des avantages tels que les siens, foi aveugle, enthousiasme extrême, courage et dévouement éprouvés, respect inspiré aux indifférents, terreur profonde inspirée aux adversaires, et de plus, comme je l'ai dit, un prosélytisme qui ne s'arrête pas et dont les succès sont constants dans toutes les classes de la société; si je voyais, dis-je, tout cela exister en Europe, je n'hésiterais pas à prédire que, dans un temps donné, la puissance et le sceptre appartiendront de toute nécessité aux possesseurs de ces grands avantages."
J.-A. Gobineau (42)


4.6. Martyre de Tahirih

Tahirih, contrairement à la majorité des babis, n'a pas été conduite au palais. Elle est enfermée chez le maire de Téhéran, Mahmud Khan-i-Kalantar. Il l'interroge à différentes reprises mais elle ne subit aucun mauvais traitement. Le maire est respectueux et plein de compassion. Il s'efforce, tout en demeurant fidèle à son devoir, de ne pas assombrir la captivité de la prisonnière et de ne pas accroître les souffrances de la situation. Il tente de lui donner de l'espoir pour l'avenir, mais Tahirih n'avait pas besoin de cette forme d'espérance.

Une nuit, pressentant l'heure de sa mort, elle envoie chercher l'épouse du maire. L'érudite lui fait part de son martyre imminent et lui confie ses dernières volontés.

Le lendemain, Tahirih met sa robe de mariée, se parfume, et attend dans la prière et la méditation l'heure de sa mort. Elle va et vient dans sa chambre en psalmodiant une litanie exprimant le chagrin et le triomphe. Les soldats arrivent pour la conduire à l'emplacement de son martyre. Elle a juste le temps de dire aux gardes:

"Vous pouvez me tuer quand vous voudrez mais vous ne pouvez empêcher l'émancipation des femmes." (43)

Le meurtre de cette héroïne tant admirée était accompli. L'histoire de sa vie se propagea rapidement bien au-delà des frontières persanes.

"La Jeanne d'Arc persane, le chef de file de l'émancipation des femmes d'Orient... qui ressemble à la fois à l'Héloïse du moyen âge et à l'Hypatie néo-platonicienne."
C. Mendès, auteur dramatique, a qui Sarah Bernhardt avait précisément demandé écrire une version théâtrale de la vie de Tahirih. (44)

"La moisson semée dans la terre islamique par Qurratu'l-Ayn commence maintenant à germer... Cette noble femme... a l'honneur d'inaugurer le registre des réformes sociales en Perse..."
T. K. Cheyne, théologien anglais (45)

"Le plus grand idéal féminin a été Tahirih... j'essaierai de faire pour les femmes d'Autriche ce qu'elle a fait en donnant sa vie pour les femmes de Perse."
M. Hainisch, mère du futur président d'Autriche. (46)


4.7. Pourquoi un Prophète ?

Le défi de cette histoire, l'énergie et l'enthousiasme de ses héros, leur foi radieuse et le sacrifice de leur vie pour établir la paix mondiale seront une source d'inspiration pour de nombreuses populations, tout comme l'avait été le jaillissement de chaque religion.

Et pour d'autres, cette beauté tragique n'appartient qu'a l'irrationnel. Pourtant, il existe diverses voies d'approche pour comprendre les groupements religieux.

Pour certains, la voie consiste en un matérialisme, une interprétation du phénomène centrée sur le contexte social, historique, culturel, psychologique. Selon celle théorie, les religions seraient les conséquences et les résultats des conditions matérielles, telles que les explications matérialistes appliquées au christianisme, au judaïsme, a l'islam et aux autres religions.

Pour d'autres, la voie est motivée par la conviction que "là est la vérité". Voie d'"approche immanente", elle s'oriente vers une spiritualisation de l'histoire et vers la recherche d'une vérité transcendantale. L'explication d'une religion serait décrite en termes théologiques. La venue d'un "Envoyé de Dieu" accomplit les prophéties des religions antérieures et provient d'une volonté divine.

Une troisième voie serait de se distancer de sa conviction et de décrire uniquement les faits tangibles.

Dans ce sens, comment peut-on expliquer l'attrait si puissant de la religion babie?

Celle foi, proclamée par un jeune homme, s'est répandue entre 1844 et 1850 avec une vitesse vertigineuse. Immense pays, sans moyens de communications, la Perse fut embrasée tout entière par la doctrine des babis.

Ce n'est pas uniquement le peuple qui fut touché, mais les membres éminents du clergé, des personnes de classes élevées et de familles importantes, des érudits, en y comptant aussi bien des musulmans, des philosophes, des soufis, des juifs, des zoroastriens et des chrétiens. La plupart n'ont jamais connu personnellement le Bab et ne paraissent pas avoir attaché plus d'importance au fait d'avoir reçu ses enseignements de sa propre personne ou pas. Les vertus portées chez le Bab à un haut degré, son éloquence et sa puissance personnelle de rayonnement ne constituaient donc pas les causes principales du succès de cette foi. Bien que les adeptes fussent dévoués à la sainteté même du Bab, ils étaient tous convaincus par le fond de sa religion.

En premier lieu, ils acceptèrent sa base messianique et gnostique. Pour comprendre cette ferveur religieuse, il faut se replacer dans le contexte islamique:

L'analyse du sociologue P. Berger (47) sur la foi babie-baha'ie s'appuie sur deux principes prédominants islamiques dans le shi'isme persan: "les deux motifs sous-jacents de l'attente et du secret, l'étonnement craintif de ce qui doit venir et la fascination du mystère qui est présent mais caché". Cet auteur considère l'histoire babie comme l'interaction du messianisme et du gnosticisme: une intense attente messianique - attente du 12e Imam - et la ferveur de la révélation gnostique - dévoiler les connaissances des mystères divins - offrent à la foi babie son pouvoir conducteur. A partir des écritures islamiques, les babis reconnaissent dans la venue du Bab et de sa religion l'accomplissement des prophéties attendues. De même les juifs, les zoroastriens et les chrétiens retrouvent dans leurs propres écritures saintes les références au Bab, d'où cette ferveur extatique des adeptes de ces différentes origines religieuses.

En second lieu, les babis furent convaincus par les doctrines du Bab. Le contexte social de la Perse à cette époque était caractérisé par une triste décadence. La foi babie surgit avec un code moral et une éthique élevés, ayant le pouvoir de régénérer la société. Selon certains sociologues, aux époques menacées de décadence et de désintégration apparaissent des réformateurs religieux.

Après Gobineau, "le babisme met fin à un grand désordre moral" (48). Même le geste de Tahirih ôtant son voile, symbolisait le fait de mettre fin aux désordres moraux cachés derrière le voile. Il était évident pour tous que les adeptes de la nouvelle foi suivaient scrupuleusement les lois du Bab. Par exemple, sachant que les babis condamnaient l'usage du qalyan - pipe a eau -, les musulmans, par crainte être suspectés d'appartenir à la nouvelle foi, ne manquaient pas d'étaler le qalyan chez eux, même s'ils n'avaient pas réellement le goût de fumer!

Enfin, l'interview, le 7 février 1939, a Paris, de A.-L.M. Nicolas, orientaliste français, traducteur de nombreux travaux du Bab et, entre autres, auteur de l'ouvrage Siyyid 'Ali-Muhammad dit le Bab, peut expliquer en partie intérêt que suscite la foi du Bab chez un Occidental: "Quels furent vos débuts en Perse?"
"Mes débuts en Perse n'ont rien d'extraordinaire: ceux d'un jeune homme ardent, désireux de s'instruire. Mon père était premier interprète de la Légation de France en Perse, poste que j'ai rempli également plus tard."

"Comment vous êtes intéressé a la Cause du Bab, au Bab lui-même? Qu'est-ce qui vous a amène a traduire Ses oeuvres? A écrire votre livre Siyyid 'Ali-Muhammad dit le Bab?"

"J'avais résolu de traduire le Bayan persan. J'avoue que pendant les deux ou trois ans que dura mon étude je fus souvent ébloui par les explications que le Bab nous donna sur certains mystères tels que la mort, la résurrection, le Sirdt, ce pont qui surpasse l'enfer, fin comme un cheveu, tranchant comme un rasoir et que le croyant traverse avec la rapidité de l'éclair. Ces explications me plurent et je m'enfonçai de plus en plus dans mes travaux. Il ne me reste plus qua regretter d'avoir négligé la traduction de la majorité des Ecrits sortis de la plume du prophète.

De même, lisant le Livre des Sept Preuves que j'ai traduit, j'ai été séduit par la clarté du raisonnement du Bab. J'étais aidé dans mon travail par un jeune Persan et chaque jour nous allions l'après-midi nous promener hors de la ville en sortant par la porte de Shimiran. La pureté de L'air, la sérénité, la douceur de la température et, à certaines saisons, le parfum des acacias prédisposaient mon âme à la paix et à la douceur. Les réflexions que je me faisais sur l'étrange livre que je traduisais m'envahirent d'une espèce d'ivresse et je devins peu à peu profondément et uniquement babi...

Je voulais naturellement parfaire mon ouvrage (Siyyid 'Ali-Muhammad, dit le Bab), et cela m'amena à des recherches et à des conversations avec des babis - de fait des azalis et des baha'is. Je trouvai devant moi une mine abondante et que je n'ai pas épuisé car il y a des oeuvres du Bab que je n'ai pas effleurées..."

"Pensez-vous que les enseignements du Bab s'adaptent aux temps modernes?"

"Parfaitement, à la condition cependant que les temps modernes s'adaptent aux décisions du Bab."

"Croyez-vous à la portée mondiale de la Révélation du Bab?"

"Je ne vois aucune raison à ce que le monde ne se soumette pas à la Révélation du Bab. "Il est difficile, dit le proverbe français, de satisfaire tout le monde et son père." Mais la raison finit toujours par avoir raison."
The Baha'i World, Volume VIII, p. 885.

Après la tempête foudroyante des persécutions, on aurait pu croire que le mouvement était définitivement éteint. Pourtant, des babis existaient encore, dont une grande partie était emprisonnée. Ces massacres ont eu une influence décisive sur le déroulement des événements de l'histoire babie et baha'ie. Le Bab étant mort, son souvenir encore tout proche garda ses fidèles dans le même esprit d'intense ferveur spirituelle. La doctrine babie de "Celui que Dieu rendra manifeste" a une grande importance pour les événements ultérieurs, car elle projette le motif messianique (49) dans le futur avec toute sa ferveur chiliastique, en menant les adeptes vers l'attente du Promis de toutes les religions.


5. Baha'u'llah

A Téhéran, durant l'été 1853, la répression continue. Des babis sont incarcérés dans l'abominable prison de Siyah-Chal. Parmi les prisonniers se trouve l'un des disciples les plus vénérés, Mirza Husayn-'Ali, surnommé Baha'u'llah.

Ce ténébreux cachot à l'air fétide servant de prison est une répugnante fosse enfoncée profondément dans le sol et ne recevant ni lumière, ni air, à l'exception de ce qui peut passer par le filtre de trois étages d'escaliers étroits. C'était autrefois le réservoir d'eau d'un bain public.

C'est dans ce lieu de torture et ayant pour compagnons des criminels, que Baha'u'llah, engourdi dans l'humidité, les pieds rongés par des insectes et le cou meurtri par de lourdes chaînes, est dans l'attente de son exécution.

Pourtant, dans ces conditions révoltantes et dans ce contexte de massacres terrifiants surgit un rayonnement aussi puissant que celui du Bab: Baha'u'llah déclarera être le Promis annoncé par le Bab et les religions du passé. Il écrira que ce fut dans l'ignoble prison de Téhéran qu'il reçut "l'Esprit Suprême".


5.1. Baha'u'llah

Téhéran, 12 novembre 1817, Mirza Husayn-'Ali, surnommé Plus tard Baha'u'llah, naît dans une des familles les plus illustres et anciennes de Nur, localité du Mazindaran. Il est le fils ainé de Mirza 'Abbas, connu dans le cercle de la cour comme Mirza Buzurg, Vazir-i-Nuri, ministre à la cour du Shah.

Baha'u'llah n'a jamais fréquenté d'école et le peu d'instruction qu'il reçoit est donné chez lui. C'est un enfant d'une sagesse et d'un savoir remarquables. Il montre une nature profondément religieuse et il est déterminé à consacrer sa vie à la cause de la religion.

Ce choix présente une dérogation à la tradition de sa famille selon laquelle il devrait servir l'Etat plutôt que l'Eglise. Cependant, tout en se consacrant aux intérêts de la religion, Baha'u'llah ne devint pas un ecclésiastique et n'étudia pas dans une école théologique. Il est élevé comme laïc tout en prenant souvent part, en public comme en privé, à des sujets spirituels. N'ayant pas reçu d'instruction scolaire, sa grande connaissance et sa compréhension sont reconnues comme celles d'un génie.

"Enfant, il était extrêmement bon et généreux. Il aimait la vie en plein air et passait la plus grande partie de son temps dans les jardins et les champs. Il avait un extraordinaire pouvoir d'attraction que tous ressentaient. Les gens se pressaient toujours nombreux autour de lui. Les ministres et les personnalités de la cour l'entouraient et même les enfants lui étaient dévoués. Dès qu'il eut atteint l'âge de treize ou quatorze ans, on vanta partout sa renommée et son pouvoir. Il savait converser sur n'importe quel sujet et résoudre tous les problèmes qui lui étaient soumis. Dans les grandes assemblées, il discutait avec les 'ulama (théologiens) et il avait l'art d'éclaircir les points religieux inextricables. Tous écoutaient avec le plus grand intérêt."
'Abdu'l-Baha (50)

Sa vie pendant ses 27 premières années est celle d'un jeune homme de haute naissance, fortune, d'un dévouement et d'un amour inépuisables pour les opprimés, les pauvres et les malades. On reconnaît en lui l'ami des plus nécessiteux.

1844, à 27 ans, Baha'u'llah épouse avec ardeur la foi naissante du Bab et décline la fonction de ministre qui lui est offerte. Dépouillé de tous ses biens, il se donne entièrement à la foi babie. Considèré, lors des événements babis, comme l'un des promoteurs les plus intrépides, il est emprisonné à Téhéran avec les autres disciples.

A la suite des coups effroyables et interminables reçus par la communauté babie, la cause du Bab semble éteinte. Les dix-huit premiers disciples, les piliers de la foi, ont pour la plupart péri, les principaux adeptes sont soit tués, soit exilés de Perse, Baha'u'llah demeure en prison. Le Bab, avant sa mort avait choisi un remplaçant nominal, Mirza Yahya, jusqu'à l'arrivée du Promis. Après l'exécution du Bab, Mirza Yahya, pris de peur, s'enfuit dans une cachette des montagnes de Mazindaran. Déguisé en ermite, il erre dans les montagnes et s'enfuit de la Perse. Près de 20 000 babis ont donné leur vie. Les persécuteurs, tant civils que ecclésiastiques, jubilent de satisfaction. Enfin, après neuf ans, ils réussirent presque à abattre une ardeur religieuse si redoutée. Une accalmie momentanée s'ensuit.


5.2. Exil

Janvier 1853, Baha'u'llah et quelques membres de sa famille sont bannis hors de Perse vers un très long et affligeant exil.

1ere étape: Baghdad, Irak.

2e étape: La retraite solitaire de Baha'u'llah.

Baha'u'llah ressent avec douleur la détresse des babis. Lui-même est envahi par une telle souffrance qu'il quitte rapidement Baghdad pour les montagnes désertes du Kurdistan. Baha'u'llah s'isole au milieu des terres ocre et incultes des rudes montagnes. Eloigné de toute habitation, accablé, il se plonge dans les dévotions et les prières. Il écrit des odes qui figurent parmi ses premières oeuvres.

3e étape: La ville de Sulaymaniyyih dans le Kurdistan; très vite, la renommée de son savoir et de sa pénétration mystique éveille la curiosité des plus éminents professeurs et étudiants d'un séminaire reputé. Un nombre croissant de membres du haut clergé, érudits, de princes et d'hommes pieux suivent les travaux de Baha'u'llah d'une qualité rarement rencontrée dans leur vie.

4e étape: 1856, après deux ans de retraite et de méditation, retour de Baha'u'llah à Baghdad. Sa renommée grandit. Jour après jour, le clergé et les laïcs, sans le vouloir, commencent à rechercher sa présence.

Le même rayonnement qui avait attiré des centaines de milliers d'êtres vers le Bab et la foi qu'il préconisait allait une deuxième fois, en l'espace de quelques années, se manifester autour d'une seconde figure, Baha'u'llah qui tout comme le Bab et les grandes figures de l'histoire religieuse possède le même pouvoir d'inspirer l'écho à son propre débordement d'amour.

Ceux qui l'entendent parler demeurent fascinés par la beauté et la force de son visage, de ses paroles et de ses idées. Ils sont conquis par la majesté de sa voix et de son comportement. Un pouvoir, une dignité, un amour réel ressenti pour chaque être se dégagent très fortement de lui. Les plus sceptiques sont éblouis malgré eux. Kurdes, Arabes, Persans, Turcs, qu'ils soient de religion sunni, shi'ih, juive ou chrétienne, qu'ils proviennent d'un milieu modeste ou d'un rang élevé, affluent en nombre croissant et stupéfiant vers Baha'u'llah pour le découvrir, découvrir ses paroles si lumineuses, découvrir son visage sur lequel, dit-on, une exquise douceur se mêlé à une expression d'autorité et d'un pouvoir fascinant.

Des babis persans voyagent à pied jusqu'à Baghdad pour le rencontrer. Après les horreurs vécues et le réseau incroyable de calomnies se tissant et s'abattant sur la communauté, les babis arrivent assoiffés à un havre de paix. Ils retrouvent auprès de Baha'u'llah une joie mystique qui réjouit leurs esprits, affermit leur conviction et leur inspire une force d'âme.

"Je souhaite que vous puissiez voir à travers toutes ces luttes et ces calamités la grandeur et le caractère sublime de la Cause, que par la Bonté du Miséricordieux, vous ressentiez en vous les brises de la tranquillité, et que vous vous reposiez sur le Trône de la Certitude." Baha'u'llah (51)

Ils repartent dans leur pays, apaisés, suffisamment fermes pour pouvoir supporter les épreuves.

Leur connaissance nouvelle effectue une transformation étonnante chez eux. La petite fille de Fath-'Ali Shah, une fervente admiratrice de Tahirih, se trouve parmi les nombreux visiteurs babis. Certains fugitifs de la communauté éprouvée de Perse, accompagnés de leurs femmes et de leurs enfants, traqués par la peur constante des persécutions, viennent s'installer à Baghdad et chercher la sécurité auprès de Baha'u'llah. Tous gravent dans leur coeur ses paroles:

"Sois généreux dans la prospérité, dans l'adversité ne cesse de rendre grâces. Mérite la confiance de ton voisin, lui montre jamais qu'un visage amical et souriant.
Sois le trésor du pauvre, admoneste le riche, réponds a la plainte du nécessiteux, et garde la sainteté de tes promesses.
Sois équitable en ton jugement et réservé dans tes paroles.
Ne sois injuste envers personne et montre à tous une douceur parfaite.
Sois une lampe pour ceux qui marchent dans les ténèbres une consolation pour les affligés, une mer pour ceux qui ont soif, un refuge pour ceux qui sont dans la détresse, un soutien et un défenseur des victimes de l'oppression.
Que la droiture et l'intégrité marquent tous tes actes.
Sois un foyer pour l'étranger un baume pour ceux qui souffrent, une forteresse pour les fugitifs, des yeux pour les aveugles, un phare pour les égarés.
Sois une parure pour le visage de la vérité, une couronne sur le front de la fidélité, un pilier du temple de la rectitude, un souffle de vie pour le corps de l'humanité, un drapeau des armées de la justice, un flambeau qui brille à l'horizon de la vertu, une rosée pour le sol desséché du coeur humain, une arche dans l'océan de la connaissance, un soleil dans le ciel de la bonté, une germe au diadème de la sagesse, une lumière qui brille au firmament de ta génération, un fruit de l'arbre de l'humilité."
Baha'u'llah (52)


5.3. Régénération de la communauté babie

La destinée de la communauté, tombée au plus bas, commence à remonter. Le centre de ralliement devient Baha'u'llah. Un second rebondissement va s'effectuer.

Baha'u'llah ravive l'énergie des babis, éclaire les principes fondamentaux qui leur portent ainsi la direction dont ils avaient tant besoin dans leur consternation. Les enseignements sont réaffirmés et s'implantent dans la vie de chaque adepte et dans la vie sociale de la communauté, tant en Perse qu'en exil.

C'est ainsi que la communauté babie sous la direction de Baha'u'llah a pris conscience d'une morale exemplaire. Elle ne s'associe à aucune activité politique, respecte la non-violence, obéit au gouvernement établi, interdit toutes révoltes, médisances, représailles, discordes. L'importance est accordée aux valeurs de piété, bonté, humilité, honnêteté, véracité, chasteté, fidélité, justice, tolérance, amitié, concorde, détachement, constance. Par leur quiétude, ces principes reflètent un contraste évident avec la loi du plus fort en cours dans la société. Préparant avant tout l'unité des êtres, les enseignements proclamés forment les adeptes à une destinée hors du commun: devenir les précurseurs d'une ère de paix et d'unité. Jour après jour, les adeptes se conduisent après ces normes. Ce code de conduite rétablit la force et l'idéal du groupe religieux.

"O mon frère, un coeur pur est comme un miroir, purifie-le par l'amour, et le détachement de tout ce qui n'est pas Dieu, afin que le Soleil de vérité s'y reflète et que l'aurore s'y lève."
Baha'u'llah (53)

"Aux flots parfumés de ton éternité laisse-moi m'abreuver, O mon Dieu, et aux fruits de l'arbre de ton existence permets-moi de goûter, O mon Espoir. Aux sources cristallines de ton amour, permets que j'apaise ma soif, O ma Gloire, et sous L'ombre de ton éternelle providence, laisse-moi demeurer, O ma Lumière! Dans les prairies de ton approche, en ta présence, laisse-moi circuler, O mon Bien-Aimé et à la droite du trône de ta miséricorde, laisse-moi siéger, O mon Désir. Qu'un souffle des brises embaumées de ta joie passe sur moi, O But de ma vie, et qu'au paradis suprême de ta réalité je trouve accès, O mon Adoré! Laisse-moi écouter la mélodie chantée par la colombe de ton unité, O Toi le Resplendissant, et par l'esprit de ton pouvoir et de ta puissance, vivifie-moi, O Toi mon bienfaiteur ! Que je reste constant dans l'esprit de ton amour, O mon Soutien, et que mes pas soient affermis dans le sentier de ton bon plaisir, O mon Créateur!

Dans le jardin de ton immortalité, en ta présence, laisse-moi demeurer à jamais, O Toi qui es miséricordieux pour moi, et sur le siège de ta gloire établis-moi, O Toi qui es mon maître!

Au ciel de ta tendre bonté éleve moi, O Toi mon animateur, et vers l'Etoile matinale de ta direction conduis-moi, O Toi qui m'attires. Lors des révélations de ton invisible esprit daigne m'appeler, O Toi qui es la cause de mon existence et l'objet de mon plus grand désir, et vers l'essence embaumée de ta beauté que tu voudras manifester, fais que je retourne, O Toi qui es mon Dieu!

Tu as le pouvoir de faire ce qui Te plaît. Tu es en vérité le Très-Elevé, le Tout-Glorieux, le Suprême."
Une prière de Baha'u'llah (54)

Sous la forme d'une communauté babie régénérée, naissait la communauté baha'ie.

Les écrits de Baha'u'llah à cette période se caractérisent par leur nombre considérable et par la variété de leur fond à la fois éthique et mystique. Ils deviennent la source de l'ardeur retrouvée des disciples.

Les principaux ouvrages:

* Le Livre de la Certitude traite principalement de l'existence de Dieu et de l'unité des Prophètes, inspirés par la même source divine et similitude de leurs enseignements fondamentaux. Il proclame que les hommes sont régénérés à intervalles déterminés par une "nouvelle Manifestation" de Dieu afin de guider et de faire progresser toute l'humanité. Ce livre est une base de réconciliation pour les croyants de toutes les religions.

* Les Paroles Cachées révélées à Baghdad, le long du Tigre est un recueil de levain spirituel, une orientation adressée à l'esprit de l'homme pour améliorer sa conduite. L'amour et la spiritualité en sont la clé.

* Les Sept Vallées, l'ouvrage mystique le plus important, décrit les sept étapes que doit traverser le chercheur avant de pouvoir atteindre la connaissance de Dieu.

Il ne fallut pas attendre longtemps pour que les écrits de Baha'u'llah et le nouvel élan des disciples éveillent l'animosité qui couvait. Les ecclésiastiques et les membres du gouvernement, tant en Perse qu'en Irak, croyaient s'être débarrassés une fois pour toutes des babis. Les persécutions reprennent avec vigueur.

Une machination contre Baha'u'llah se prépare afin de le transférer en un lieu éloigné de Baghdad. On fournit comme prétexte: sa résidence étant proche du territoire de la Perse, il devient une menace pour la sécurité du pays et de son gouvernement!

Baha'u'llah écrira:

"Souviens-toi que, lorsque vint l'Esprit (Jésus), les plus savants parmi les docteurs de son temps le condamnèrent dans son propre pays, alors qu'un simple pêcheur de poissons crut en lui. O vous, les hommes au coeur éclairé, soyez donc vigilants." (55)


5.4. Déclaration de la mission de Baha'u'llah

Baha'u'llah se retire avec sa famille dans un jardin près de Baghdad tandis que l'on prépare la caravane pour le long voyage vers Constantinople. La communauté se prépare pour un nouvel exil.

21 avril 1863, dans ce même jardin de Ridvan, Baha'u'llah annonce à ses compagnons qu'il est "Celui dont la venue avait été prédite par le Bab", le Promis de toutes les religions.

L'éclat de son esprit est si puissant que le chagrin des adeptes qui allaient être séparés de Baha'u'llah se transforme en joie. Grâce à son inspiration, ils saisissent la profonde signification du moment. Le bonheur spirituel parvient à son zénith. Les marques de dévotion, de transport religieux et de vénération indescriptible prennent encore plus d'ampleur. Elles entoureront Baha'u'llah durant sa vie entière. A travers la "Manifestation divine", les disciples vivent la ferveur de l'approche de Dieu.

Selon le sociologue P. Berger (56), Baha'u'llah, en se proclamant "Celui que Dieu devait manifester", représentait le motif messianique dans toute sa plénitude et pouvait gagner la foi de la plupart des babis survivants auxquels il apparut comme un second messie d'un âge messianique.


5.5. Nouvel exil

16 août 1863, Baha'u'llah, sa famille et vingt-six de ses disciples parviennent, harassés et exténués, à Constantinople. Première grande convulsion interne: Mirza Yahya, l'un des demi-frères de Baha'u'llah, successeur nominal du Bab jusqu'à l'arrivée du Promis, se rebelle contre la déclaration de la mission de Baha'u'llah. Ce phénomène rappelle singulièrement la trahison envers Jésus-Christ par son disciple Judas, ou la conduite des fils de Jacob envers leur frère Joseph. Quelques disciples suivent Mirza Yahya, la plus grande partie reste fidèle à Baha'u'llah.

Nouvel exil a Andrinople: c'est dans cette ville que Baha'u'llah annonce publiquement sa mission aux dirigeants de l'Orient et de l'Occident, aux chefs religieux de l'islam et de la chrétienté. C'est une période d'activité littéraire prodigieuse.

Les dirigeants de l'Europe voient leur continent entrer dans son âge d'or, la Belle Epoque. Vivant l'apogée de la confiance en soi et du pouvoir, ils restent indifférents à l'appel de l'exilé. Après la proclamation publique, l'ardeur des babis envers Baha'u'llah se confirme. La majorité le reconnaît comme "Celui que Dieu devait manifester", le Promis annoncé par le Bab.

L'expression de "peuple de Bayan" et le nom de babi sont abandonnés et remplacés par l'appellation de "peuple de Baha" ou baha'i.

Parmi ses apostrophes se trouvent l'épître adressée à Napoléon III, à Nasiri'd-Din Shah de Perse, au sultan 'Abdu'l-'Aziz de Turquie et plus tard au tsar Nicolas IIl de Russie, à l'empereur Guillaume Ier d'Allemagne et roi de Prusse, au pape Pie IX, à la reine Victoria d'Angleterre, aux chefs des institutions de sultanat et du califat. Dans cet appel, Baha'u'llah les avertit que les peuples de ce monde courent un grand danger. Les dirigeants des nations doivent travailler ensemble pour réduire leurs armements et arrêter les préparatifs de guerre. Il leur enjoint de gouverner avec justice et vigilance, de régler leurs différends par des moyens pacifiques. Il leur recommande de prendre soin des opprimés, des nécessiteux. Il condamne avec une force particulière toutes les formes de violence, de cruauté, d'injustice. Dans ses épîtres, Baha'u'llah proclame unité de l'humanité et invite les rois à accepter ce message provenant de Dieu.

Dans son épître a la reine Victoria, Baha'u'llah, s'adressant à "l'assemblée des souverains de la terre", écrit:

"Consultez-vous tous ensemble et que le seul objet de vos soucis soit ce qui profite au genre humain et en améliore la condition présente... Considérez le monde comme un corps humain qui, bien que crée complet et parfait, a été affligé, du fait de diverses causes, de maux graves et de maladies." (57)

La reine Victoria sera la seule à répondre sur un ton plutôt favorable:

"S'il vient de Dieu, cela demeurera, sinon il n'en peut sortir aucun mal." (58)

Nouveau bannissement de Baha'u'llah sur ordre du sultan ottoman Abdu'l-'Aziz et du monarque persan, Nasiri'd-Din Shah: la prison d'Akka en Palestine. On fournit comme accusation diffamatoire envers Baha'u'llah une prétendue conspiration avec des chefs bulgares et des minorités européennes pour aller à la conquête de Constantinople avec quelques milliers de ses fidèles!

Le départ de Baha'u'llah de chacune des étapes de son exil s'accompagne de marques de dévotion intense manifestées par la population locale.

Un témoin relate:

"Ce jour-là, il y eut un étonnant rassemblement de musulmans et de chrétiens devant la porte de la maison de notre Maître. L'heure du départ fut un moment mémorable. La plupart de ceux qui étaient présents pleuraient et gémissaient, surtout les chrétiens." (59)

La flamme des disciples est si forte que l'un d'eux, constatant avec horreur que son nom ne figure pas sur la liste des exilés qui accompagnent Baha'u'llah en prison à Akka, commence à se trancher la gorge avec un rasoir. On l'empêche à temps de se suicider. Un autre disciple désespère se jette a la mer. On le sauve aussi, mais les autorités l'exilent vers une autre contrée.


5.6. 'Akka

31 août 1868, Baha'u'llah, sa famille et soixante-dix exilés parviennent à 'Akka. Toute la population de la ville s'entasse devant la mer pour voir arriver celui qu'elle appelle avec sarcasme le "Dieu des Persans".

'Akka, l'ancienne Ptolémaïs, la Saint-Jean-d'Acre des croisés avait résisté au siège de Napoléon. Sous la domination turque, elle devient colonie pénitentiaire pour les meurtriers, les voleurs, les agitateurs politiques.

Entourée de doubles remparts, ne possédant aucun réservoir d'eau, 'Akka est trempée dans l'humidité et ravagée de maladies. L'air, disait-on, y est tellement infesté qu'un oiseau qui l'aurait survolée serait tombe raide mort! Tel est le lieu choisi pour les exilés.

Les geôliers reçoivent l'ordre d'entasser tous les exilés dans deux cellules de la prison. Les prisonniers subissent un bannissement impitoyable. Ils atteignent le comble de leur souffrance. A peu près tous tombent malades de malaria et de dysenterie. Deux d'entre eux périssent. Ces hommes, femmes et enfants vivent dans un isolement si absolu que les baha'is ne savent plus où se trouvent Baha'u'llah et la colonie.

En dépit de toutes les difficultés et des obstacles, Baha'u'llah poursuit avec une détermination inflexible le chemin tracé. L'adversité n'affaiblit pas sa sérénité et sa confiance. Ses forces spirituelles sont inépuisables.

Tout au long de sa vie, son attitude envers la persécution et envers ceux qui en sont responsables est marquée du détachement le plus complet. Bien que protestant constamment dans un langage des plus vigoureux contre l'injustice qui lui est faite, il accepte l'adversité comme un don dans la mesure où elle peut être profitable aux fidèles.

Lueur d'espoir: on retrouve les exilés. La joie redonne une telle ardeur aux disciples que certains entreprennent de voyager de Perse et des pays avoisinants, à pied, bravant tous les dangers pour atteindre l'enceinte de la ville d'Akka où ils tentent d'apercevoir Baha'u'llah. Comme on leur interdit strictement de le rencontrer, ils demeurent des jours postés au-delà du fossé, face à la fenêtre de la prison. De là, ils peuvent entrevoir la main de Baha'u'llah leur faisant signe. Ce geste enflamme à nouveau les pèlerins qui repartent pleins de certitude vers leurs pays.

Ainsi commence le pèlerinage des baha'is en Terre sainte.

L'un des voyageurs, un homme âgé venu d'Irak, contemple extasié la fenêtre de son Bien-Aimé. Sa vue est faible, il ne parvient à distinguer ni le visage, ni les signes de main de Baha'u'llah. Il se résigne à s'en retourner sans l'avoir vu. Les exiles chagrinés assistent de la fenêtre de la prison à son désespoir.

La population d'Akka, montée contre la colonie, ressent de l'animosité envers les baha'is. On leur a dit que les exilés sont des infidèles envers l'islam, des criminels, des terroristes. Au cas où les enfants des prisonniers s'aventurent dans les ruelles, ils sont poursuivis, injuriés, bombardés de pierres.

La situation devient de plus en plus humiliante pour ces êtres qui ne souhaitent rien d'autre que le bonheur et le progrès de l'humanité.

Comme à chaque étape de l'exil, graduellement, toutes les couches de la population reconnaissent la totale innocence et la sincérité de Baha'u'llah et de ses adeptes. Le fils de Baha'u'llah, 'Abdu'l-Baha devient l'ami de la population. Il fait preuve d'une bonté, d'un amour et d'un dévouement peu communs envers autrui. Chacun est impressionné par son trait principal de caractère: il est le défenseur des opprimés. Petit a petit, le prestige de la communauté grandit.

La rigueur du décret draconien du sultan 'Abdu'l-'Aziz excluant toute visite s'atténue. Les exilés peuvent désormais vivre en résidence surveillée à 'Akka, puis plus tard à Bahji, à quelques kilomètres d'Akka. A nouveau, des hommes de lettres, des membres du haut clergé, des personnalités résidant dans les pays avoisinants ou à l'intérieur du territoire sont attirés comme par un aimant vers Baha'u'llah.


5.7. Le professeur Browne a Bahji

15 au 20 avril 1890, première visite d'une personnalité européenne auprès de Baha'u'llah: le Professeur Browne de Cambridge. L'orientaliste témoigne:

"Ainsi, je fus installé comme invité à Bahji, au milieu même de ce que le babisme compte de plus noble et de plus saint, et je passai ici cinq jours des plus mémorables pendant lesquels je profitais d'occasions sans pareilles et inespérées d'avoir des contacts avec ceux qui sont les sources de cet esprit puissant et merveilleux qui travaille avec une force toujours croissante pour la transformation et l'éveil d'un peuple qui somnole d'un sommeil pareil à la mort. Ce fut, en vérité, une expérience étrange et émouvante, une expérience dont je désespère de transmettre autre chose qu'une des impressions les plus faibles. Je pourrais évidemment m'efforcer de décrire d'une façon plus détaillée les visages et les formes qui m'entouraient, les conversations que j'eus le privilège d'entendre, la lecture solennelle et mélodieuse des livres sacrés, la sensation générale d'harmonie et de satisfaction qui envahissait le lieu et les jardins parfumés et ombragés où nous allions quelquefois dans l'après-midi, mais tout ceci n'est rien en comparaison de l'atmosphère spirituelle qui m'environnait. Les musulmans persans vous diront souvent que les babis ensorcellent ou droguent leurs invités afin que ceux-ci, mus par une fascination à laquelle ils ne peuvent résister, deviennent de ce fait affectés par ce que les susdits musulmans considèrent comme une folie étrange et incompréhensible. Aussi vaine et absurde que soit cette croyance, elle repose cependant sur une base plus solide que celle qui supporte la plus grande partie de ce qu'ils prétendent au sujet de ces gens. L'esprit qui imprègne les babis est tel qu'il ne peut manquer d'affecter plus puissamment tous ceux qui sont soumis à son influence. Il peut épouvanter ou attirer; il ne peut être ignoré ou négligé. Que ceux qui n'ont pas vu ne me croient pas s'ils veulent, mais que cet esprit se révèle une fois à eux, et ils feront expérience d'une émotion qu'ils ne seront pas près d'oublier."

"Une seconde ou deux passèrent avant que, le coeur battant de surprise et de crainte respectueuse, je réalise que la pièce n'était pas inoccupée. Dans le coin ou le divan touchait le mur, était assis un personnage merveilleux et vénérable...

Le visage de celui que je contemplais, je ne pourrai jamais l'oublier bien que je ne puisse le décrire: ses yeux perçants paraissaient lire dans l'âme elle-même. La puissance et l'autorité régnaient sur ce large front... Nul besoin de demander en présence de qui je me trouvais, tandis que je m'inclinais devant celui qui est l'objet d'une dévotion et d'un amour que les rois pourraient envier, et auxquels les empereurs aspireraient en vain."

"Une voix douce et pleine de dignité me pria de m'asseoir, et continua:"

"Loué soit Dieu de ce que tu sois parvenu au but!... tu es venu voir un prisonnier et un exilé... Nous ne désirons que le bien du monde et le bonheur des nations, cependant, on nous considère comme un élément de désordre et de sédition qui mérite la captivité et le bannissement... Que toutes les nations deviennent une dans la foi et que tous les hommes soient des frères; que les liens d'affection et unité entre les enfants des hommes soient fortifiés ; que la diversité des religions cesse et que les différences de race soient abolies, quel mal y a-t-il en cela? Cela sera, malgré tout! Ces luttes stériles, ces guerres passeront, et la Paix Suprême viendra... Ces luttes, ces massacres et ces discordes doivent cesser et tous les hommes doivent être comme les membres d'une même famille..."

"Telles sont, pour autant que je m'en souvienne, quelques-unes des paroles parmi tant d'autres que j'entendis prononcer par Baha'u'llah. Que ceux qui les lisent se demandent sincèrement si un être qui professe de telles doctrines mérite la mort et les chaînes, et si le monde doit plus vraisemblablement gagner ou perdre à leur diffusion." (60)

Tel est l'entretien mémorable de Baha'u'llah avec le Professeur Browne.


5.8. Les écrits de Baha'u'llah a 'Akka

Pendant son emprisonnement, Baha'u'llah continue d'écrire avec une rapidité incroyable. L'immense domaine qu'embrassent les oeuvres de Baha'u'llah au cours de cette période se distingue en trois catégories:

La première catégorie comprend les écrits faisant suite à la proclamation de sa mission à Andrinople. Ces messages "d'espoir, d'amour et de reconstruction" sont envoyés aux chefs religieux de l'islam et de la chrétienté, aux souverains des pays d'Occident et d'Orient. Les principales épîtres ont été par la suite rassemblées sous le titre: La Proclamation de Baha'u'llah aux Rois et aux Dirigeants du Monde.

La deuxième catégorie contient les lois et les ordonnances de la foi baha'ie dont la plus grande partie se trouve dans le Livre des lois (le Kitab-i-Aqdas). Ces lois concernent aussi bien la vie individuelle que la vie collective.

La troisième catégorie comprend les préceptes et principes fondamentaux en partie traduits dans des ouvrages tels que Extrait des Ecrits de Baha'u'llah, La Foi Mondiale Baha'ie, Epître au Fils du Loup, ou le principe de l'unité de l'humanité est le pivot de tous les enseignements.

Les écrits de Baha'u'llah, d'un style poétique, mystique et scientifique, dépassent vraisemblablement en quantité les écrits fondamentaux de l'ensemble de toutes les religions. De nature variée, cette centaine d'ouvrages comprend des poèmes, des épigrammes, des prières, des exhortations, des exposés, des conseils, des lois.

Selon les témoins, Baha'u'llah déclamait parfois pendant des heures sans interruption avec une voix vibrante, tout en marchant, et des secrétaires retranscrivaient avec une grande rapidité le flot de paroles. Le tracé de la plume oscillait suivant l'incantation de la voix. Dans la nuit, les secrétaires recopiaient lisiblement les écrits.

La richesse du langage et de l'image ainsi que la vigueur constante de la pensée témoignent d'une énergie intense. Baha'u'llah introduisait souvent beaucoup de pensées dans une petite phrase et composait même un essai entier ou un petit livre en aphorismes. Il composait en persan et en arabe et était maître de son expression tout en utilisant le plus pur des styles.

"...maintenant, écrit G. Townshend, chanoine de la cathédrale de Dublin, devenu baha'i, pour la première fois, le croyant a la faculté de discerner comment la Révélation du Christ était conçue pour conduire graduellement et naturellement à cet Age de Baha'u'llah." (61)


5.9. La lettre de Baha'u'llah a Nasiri'd-Din Shah de Perse

Démarche périlleuse: porter l'épître de Baha'u'llah destinée à Nasiri'd-Din Shah.

Un jeune disciple de 17 ans, nommé Badi, accepte cette délicate mission. Il se met en route d'Akka seul et à pied, avec un empressement étonnant, pour porter la lettre à son auguste destinataire. Il voyage pendant quatre mois. Il se sent harassé, mais rempli de fougue et d'impatience. Pendant trois jours et trois nuits, sans manger et sans dormir, il se poste sur une colline en face du palais. Il attend qu'on le remarque.

Enfin, le Shah sort du palais, il se rend à une partie de chasse. Le jeune homme s'approche du monarque avec respect:

"O Roi. Je suis venu vers toi de Sheba avec un message important." (62)

Le souverain ordonne de prendre la lettre et de la faire lire par les hauts dignitaires du clergé qui ne restent pas indifférents à cette démarche. Le jeune homme est arrêté, soumis pendant trois jours à des brûlures de fers sur sa poitrine. Les bourreaux lui matraquent la tête avec une crosse de fusil. Son corps est jeté dans un puits et recouvert de terre et de pierres. Tel fut le châtiment de l'ardeur du jeune disciple.


5.10. La communauté baha'ie en Perse

"Dix neuf babis sur vingt sont maintenant devenus, semble-t-il, des baha'is convaincus."
G. N. Curzon, 1889

Curzon, en faisant allusion à la déclaration de la mission de Baha'u'llah et à la rébellion de Mirza Yahya écrit:

"Ces divergences cependant n'ont aucunement découragé sa propagation, elles semblent au contraire l'avoir stimulée, car elle a progresse avec une rapidité inexplicable pour ceux qui ne peuvent voir en elle qu'une forme grossière activité politique, ou même d'effervescence métaphysique.

Après les estimations minimum, le nombre actuel de babis (à cette époque on continuait d'appeler les baha'is des babis) en Perse s'élève à un demi-million. J'incline à croire qu'il approche plutôt du million, d'après mes conversations avec des personnes bien placées pour en juger. Il y en a dans tous les milieux, depuis les ministres et les nobles de la cour jusqu'aux balayeurs des rues ou aux valets, le milieu ecclésiastique musulman lui-même était pas le dernier à entrer dans le champ de leur activité." (63)

Les groupes baha'is se sont multipliés en Perse. Leur conviction selon laquelle l'humanité est entrée dans un nouvel âge, et la nécessité de vivre de nouveaux principes avaient transformé ces êtres. Ce sont des citoyens honnêtes, travailleurs, aux moeurs strictes, profondément pacifiques, refusant toutes calomnies ou violences. Ils témoignent de l'amitié et proposent leur aide à chacun. On ne peut rien trouver d'autre à leur reprocher que d'appartenir à la foi nouvelle.

Nasiri'd-Din Shah parvient au sommet de son pouvoir. Despote tout-puissant, il figure comme le seul arbitre de la nation. Le Shah représente le chef de l'administration où chacun à son tour est le subordonneur du subordonné.

Le monarque, atterre de ne plus pouvoir s'attaquer a Baha'u'llah, se contente de persécuter à nouveau la communauté baha'ie régénérée. Après le Shah, rang et pouvoir reviennent à ses trois fils ainés. Le monarque leur a délégué son autorité sur l'administration intérieure. Muzaffar'd-Din Mirza, héritier du trône, Mas'ud Mirza et Kamran Mirza sont placés à la tête de toutes les provinces du pays. Les deux derniers princes sont des rivaux qui se disputent les faveurs de leur père. Chacun d'eux voulant faire du zèle auprès du Shah, aidé des chefs du clergé de sa juridiction, s'efforce de dépasser les efforts de l'autre pour chasser, piller et exterminer la communauté baha'ie.

Pour la deuxième fois, des massacres d'une durée plus longue et encore plus sanglants que les précédents s'abattent sur la communauté. En une seule année, plus de quatre mille baha'is sont massacrés. Les persécutions de la période baha'ie, par rapport à la période babie, se caractérisent par la non-résistance armée des adeptes, même en cas de légitime défense. Ils appliquent le mot d'ordre, principe de base de la non-violence:

"Il vaut mieux être tué que de tuer." (64)

Notamment dans la ville de Yazd fut consommé l'un des actes les plus barbares commis aux temps modernes.

Depuis ces jours, les baha'is iraniens vivent dans le chagrin des souffrances perpétuelles, mêlé au bonheur et à l'honneur d'être les concitoyens du Bab et de Baha'u'llah qui seront reconnus même par les peuples les plus éloignés du monde.


5.11. Début de l'expansion

L'expansion de la foi baha'ie débute par l'expédition et la distribution de L'immense correspondance de Baha'u'llah, envoyée du centre baha'i d'Alexandrie. Les cinq premiers volumes des ouvrages sont publiés en Inde puis diffusés. Certains adeptes, voyageant dans d'autres pays, divulguent la foi nouvelle. Des conversions se multiplient en Irak, en Russie (au Caucase et au Turkestan ou une communauté baha'ie prospère apparaît dans la ville récemment reconstruite d'Ishqabad, de nombreux groupes s'établissent dans les villes lointaines de Samarqand et de Bukhara, en Turquie, en Palestine, en Syrie, en Egypte, en Inde et en Birmanie.

Ces groupes de nouveaux adeptes autochtones forment le prélude du phénomène d'extension de la foi. En plus des convertis musulmans, un nombre considérable de croyants juifs, zoroastriens et bouddhistes deviennent baha'is. En acceptant la foi nouvelle, ces trois derniers groupes sont amenés, par le principe baha'i de la révélation progressive de Dieu, à reconnaître aussi l'origine divine du christianisme et de l'islam. Les premiers pas vers une réconciliation des religions sont posés.

Joignant l'action à la parole, Baha'u'llah inaugure un renouveau religieux, et tel est son pouvoir qu'il éveille en ceux qui se tournent vers lui des énergies latentes de spiritualité et d'amour au service de la fraternité et de la concorde.


5.12. Le décès de Baha'u'llah

Le 29 mai 1892, après quarante ans de bannissement et une vie entièrement vouée à une grandiose structure de l'unification des êtres humains, Baha'u'llah s'éteint à l'âge de 75 ans.

Les membres de sa famille, ses adeptes et une multitude de non-baha'is manifestent un chagrin profond et expriment des marques d'admiration sans précèdent.

Après la disparition de Baha'u'llah, l'inconsolable chroniqueur, Nabil, qui dans sa douleur intolérable se jettera dans la mer, décrit ces journées par ses dernières lignes:

"Il me semble que la commotion spirituelle qui s'est emparée du monde de poussière a fait trembler tous les mondes de Dieu." (65)

Malgré l'exécution du Précurseur de la foi baha'ie, le Bab, malgré l'emprisonnement à vie de Baha'u'llah, malgré la violente persécution de ses premiers adeptes, malgré l'opposition des autorités civiles et ecclésiastiques et malgré la force des calomnies et d'autres facteurs apparemment tout à fait défavorables, la vie de Baha'u'llah est maintenant passée dans l'histoire. Une simple parcelle de ce récit témoigne qu'en dépit de toute l'oppression endurée, le pouvoir de son exemple et de son enseignement demeure si intense qu'il suscite un nouveau champ de conscience dans l'esprit de l'homme. Conscience qui ne s'arrêtera pas à la disparition de son auteur, mais s'étendra patiemment à travers le monde.


6. La doctrine

"O fils de l'homme, j'ai aimé ta création, c'est pourquoi je t'ai crée. Aime-moi donc afin que je mentionne ton nom et que, de l'esprit de vie, je remplisse ton âme."

Baha'u'llah (66)

Une conscience planétaire telle est la doctrine de Baha'u'llah, destinée à la mesure de réceptivité de chaque être humain quelle que soit son origine, quelle que soit sa culture, destinée aussi bien à l'Indien d'Amazonie qu'au savant de notre société du vingtième siècle.

Cette conscience a pour fondement la réciprocité d'amour entre l'homme et Dieu et entre l'homme et son semblable.

Son but est non seulement de remplir la coupe de chaque être par ce flot de grâce divine et de le préparer vers sa destinée éternelle; son but est non seulement le perfectionnement de la nature de l'homme par le développement de ses capacités; mais encore son but est unité de l'humanité en vue du bien-être et de la paix mondiale.

Baha'u'llah dévoile une vision sublime de l'histoire humaine. Il enseigne que cette histoire est un tout intelligible et d'une suite logique basée sur un seul thème et développant un but commun. Ce plan serait révélé graduellement depuis le début du cycle jusqu'à ce jour et il appartiendrait au globe entier.

Le mouvement de l'histoire est celui de l'accomplissement en étapes successives. Le but suprême de ce plan qui se déroule par le pouvoir de la volonté divine est l'éducation des peuples en vue établir une civilisation universelle dans laquelle le potentiel de chaque peuple trouvera une expression complète. Ainsi dans le déroulement du grand dessein de Dieu, chaque ethnie ou pays ou individu tient un rôle capital.

Baha'u'llah situe la nouvelle foi qu'il proclame au point culminant d'un cycle, au stade final d'une série de révélations divines commençant avec Adam et se terminant avec le Bab et au début d'un "nouvel âge" où est entrée l'humanité.

L'avènement de cette "nouvelle ère" accomplit toutes les prophéties du passé. Par rapport aux religions précédentes, Baha'u'llah situe l'existence de cette foi nouvelle en termes évolutifs. En effet, il énonce que la vérité religieuse n'est pas absolue mais relative et pose le principe de la révélation continue et progressive. Il souligne le caractère authentique de l'origine divine des grandes religions, dont les principes essentiels s'harmonisent pleinement; les enseignements de Moise, Zoroastre, Krishna, Bouddha, le Christ, Muhammad ne sont que les facettes d'une même vérité et leurs rôles sont complémentaires, seul les aspects non essentiels de leurs doctrines se différencient les uns des autres, selon les besoins changeants de chaque peuple ou de chaque époque à laquelle s'adressaient ces messages. Cependant, toutes ces religions représentent des phases successives de l'évolution de la race humaine.

La doctrine de l'unité occupe une position de première importance. Certes, la foi baha'ie n'est pas la première a l'avoir exposée. Les autres religions ont également donné des aperçus ou s'y sont référées par des symboles et des paraboles. Mais Baha'u'llah est le premier à lui conférer une si grande importance et à l'expliquer ouvertement en termes précis. C'est le pilier autour duquel pivote la signification messianique de Baha'u'llah et de ses enseignements en termes de dessein de Dieu pour l'humanité.

La foi baha'ie contient un code de doctrines définies au point de vue spirituel, moral et social. Certaines analogies avec les autres sources d'inspiration, qu'elles soient juive, chrétienne, musulmane ou autres se comprennent dans le cadre du principe baha'i de la révélation continue et progressive des religions successives dont chacune accomplit plutôt qu'elle n'abolit la précédente.


6.1. Connaître et aimer Dieu

Dans la religion baha'ie, le développement éthique et social est en relation avec la croissance spirituelle de l'âme. La croyance en Dieu forme donc la base de la foi baha'ie. Baha'u'llah énonce que la connaissance et l'amour de Dieu d'une part et la pratique des bonnes actions de l'autre devraient être deux devoirs jumeaux pour l'homme.

Baha'u'llah confirme le monothéisme. Dieu est un, même si les hommes l'appellent par différents noms.

Le caractère de la connaissance de Dieu est mis en relief: son essence n'est pas connue, mais ses qualités le sont. Comprendre Dieu veut dire comprendre et connaître ses attributs, non sa réalité; ses attributs sont reflétés par les "Manifestations divines" qui deviennent les médiateurs entre Dieu et les hommes.

La foi baha'ie enseigne que Dieu comprend tout; mais il ne peut être compris, car aucune créature finie ne peut comprendre l'infini. L'essence divine est le contenant et l'homme est le contenu.

Cette transcendance élimine ainsi tout anthropomorphisme.

L'essence de Dieu est donc inconnaissable, mais les hommes reconnaissent sa parole grâce à ses Messagers choisis. Bien que les attributs divins soient visibles partout - aussi bien une pierre, une fleur, un animal, qu'un homme peuvent révéler certaines qualités divines - cependant les grands Prophètes sont les seuls miroirs parfaits à travers lesquels toute l'humanité peut ressentir entièrement les attributs divins.

Selon cet enseignement, les Manifestations divines sont les grands "éducateurs" de l'humanité car, à travers eux, les enseignements divins et le pouvoir du Saint-Esprit deviennent la cause du progrès des hommes. Ces Prophètes sont comme un canal apportant la grâce divine à tous les êtres qui veulent la recevoir.

La notion de "Manifestation de Dieu" est un point important de toute la pensée baha'ie. Dieu a donc révèlé sa parole, son verbe, à chaque période de l'histoire par l'intermédiaire d'un être choisi, appelé par les baha'is "Manifestation de Dieu" que d'autres appellent "Prophète", "Messager", "Envoyé de Dieu", "Fils de Dieu", tels que Abraham, Moise, Krishna, Bouddha, Zoroastre, Jésus-Christ, Muhammad, le Bab, Baha'u'llah, manifestent Dieu par leur transparence et par les reflets de la Divinité qu'elles projettent sur l'humanité. Pour reprendre l'image utilisée dans la conception baha'ie, les "Manifestations" sont les "miroirs parfaits" qui réfléchissent les attributs divins. Ce sont les interprètes privilégiés de la Divinité et ce n'est que par leur intermédiaire que l'homme peut connaître et aimer Dieu.

Baha'u'llah montre que ces "Messagers divins" sont les personnages clés de l'histoire, car ils inspirent la marche de l'humanité et déterminent les phases successives du progrès humain. Bien que l'on ne considère généralement ces êtres suprêmes que dans ce qui les distingue les uns des autres, ils sont selon cette conception uns et indivisibles dans leur principale orientation:

..."Ils ne sont tous qu'une seule personne, une seule âme, un seul esprit, un seul être, une seule révélation."
Baha'u'llah (67)

Unité des Manifestations de Dieu appartient à leur aspect spirituel, leur diversité appartient à leur aspect humain.

"Chaque manifestation de Dieu a une individualité distincte, une mission définie avec précision, une révélation spécialement prédestinée, et des limites qui lui sont propres. Chacune d'elles est désignée d'un nom diffèrent et caractérisée par un attribut spécial."
Baha'u'llah (68)

Ces Messagers ne se sont jamais critiqués les uns les autres. Leurs adeptes sont à l'origine de leur antagonisme. Jésus-Christ n'amoindrit pas Moise, ni Muhammad Jésus-Christ. Chacun prétend apporter le développement de l'enseignement précèdent. Aucun n'affirme que sa révélation est finale. Baha'u'llah prédit aussi d'autres "Envoyés de Dieu" qui viendront accomplir les phases ultérieures de cette évolution.

Le plus grand bien réservé aux hommes est de parvenir à la présence de Dieu. La relation qui unit un être à Dieu est l'amour. Baha'u'llah dit dans un de ses écrits: "La cause de la création de tous les êtres contingents est L'amour." (69)

A tous les niveaux de la création, l'amour est la force constructive de tout ce qui respire ou existe, et tout est englobé dans l'amour de Dieu. L'impulsion qui appelle à l'existence le monde minéral, végétal, animal et humain est la réflexion de l'amour. Lorsque le pouvoir d'attraction est retiré du phénomène de croissance et de vie, la cohésion disparaît et se dissout. Ainsi l'homme, puisse-t-il parcourir la terre entière, ne rencontrera la force de sa cohésion que dans l'amour de Dieu qui environne tous les coeurs, mais n'y pénètre que lorsqu'il est demandé.

L'habitation de Dieu n'est pas la voûte céleste. Dieu n'a nulle autre demeure que dans le coeur de l'homme.

Baha'u'llah s'écrie:

"Ton Paradis c'est mon amour; ta demeure céleste c'est être uni à moi. Rejoins-la sans tarder. Tel est ce qui a été décrété pour toi, dans noire royaume céleste et notre souveraineté..." (70)

Ou encore:

"Aime-moi pour que je puisse t'aimer. Si tu ne m'aimes pas, mon amour, par aucun moyen, ne pourra t'atteindre..." "Si tu m'aimes détourne-toi de toi-même... afin que tu meures en moi et que je puisse vivre en toi..." (71)

Pourtant cette immanence exclut le panthéisme. Dieu est autre même s'il pénètre chaque atome de sa création.

Transcendance et immanence deviennent les facettes complémentaires de la réalité divine.

Dieu reste toujours près de sa créature, c'est à l'homme de le chercher et de vouloir s'approcher de Dieu par des prières, des méditations, des supplications.

Dans une de ses oeuvres mystiques, Baha'u'llah trace l'itinéraire spirituel des "sept vallées" qui mènent l'homme de la "demeure terrestre à la patrie divine". Cette évolution de l'âme est en dehors du temps, elle commence sur cette terre et continue dans l'au-delà.

De la "Vallée de la Recherche", point de départ, à l'objectif final, le suprême refuge divin, le voyageur mystique traverse la "Vallée de l'Amour", le "Royaume de la Connaissance", la "Vallée de l'Unité", la "Vallée de la Richesse", la "Vallée de la Perplexité" pour atteindre la "Vallée de la Pauvreté absolue et de l'Anéantissement véritable". "C'est-à-dire qu'il [le voyageur mystique] mourra en lui-même et deviendra immortel en Dieu; il sera pauvre du point de vue des biens du monde de la création et riche de tout ce qui est du monde divin." (72)

Baha'u'llah, dans l'un de ses écrits, appelle les hommes des "émigrants" (73) ou encore "mes frères de route" (74), la vie est un voyage vers Dieu, et le véhicule du voyageur sont ses qualités.

L'homme se rapproche aussi de Dieu en purifiant son coeur et en réunissant les qualités ordonnées par l'éthique baha'ie. Ce lien entre Dieu et l'homme fait développer l'âme humaine qui continuera de progresser dans l'au-delà à travers "les mondes infinis de Dieu".

Selon les enseignements baha'is, l'âme est la réalité de l'homme, elle est immortelle et son progrès est constant. La vie quotidienne et la conduite de l'homme influent grandement sur son âme.

La mort est une nouvelle "naissance", une évasion de l'âme du corps vers une vie plus élevée et vers un progrès éternel dans le monde spirituel. Le ciel et l'enfer ne sont pas des lieux, mais des conditions de l'âme. Le paradis représente la proximité de Dieu, et l'enfer son éloignement. L'existence que l'homme mène sur la terre détermine sa vie dans au-delà, où le progrès de son âme demeure sans limite.

Quant à la création, d'après la doctrine baha'ie, l'univers n'a pas eu de commencement dans le temps, car il est une émanation perpétuelle de la "Grande Cause Première", le Créateur qui a toujours crée et éternellement continuera a créer. Le monde et les systèmes naissent et disparaissent, car tout ce qui est composé se décompose au cours du temps. Cependant, l'univers demeure, car les éléments composants subsistent. Créer signifie assembler des éléments épars pour rendre visible le caché.

Bien que l'être humain ait pu au cours des stades de son développement ressembler physiquement à l'animal, il fut toujours un embryon humain doué d'une âme immortelle et d'un pouvoir latent d'acquérir les attributs divins.


6.2. Développer les potentialités inhérentes a l'homme

Selon l'enseignement baha'i, dans tous les domaines de la création, la vie est due à l'équilibre. La rupture de l'équilibre entraîne la mort et l'anéantissement.

Dans le monde végétal, minéral, la vie prend naissance quand s'établit l'équilibre dans la proportion juste des éléments qui le composent. Par exemple, le sel marin se forme à partir du moment ou s'établit l'équilibre dans la proportion du chlore et du sodium qui le composent. Si l'équilibre est rompu, ce ne sera plus du sel marin que l'on aura mais du poison.

De même, la vie dans le monde humain est due à l'équilibre, non seulement entre les éléments matériels constituant le corps, mais encore entre la satisfaction simultanée des besoins du corps et de l'esprit.

L'homme subit à la fois les effets des facteurs spirituels, humains et matériels. Le spirituel devrait être le moteur de l'être et devrait le régir pour arriver à équilibrer ces différents facteurs et parvenir ainsi à la liberté et à la paix intérieures.

Après les écrits baha'is, cette force spirituelle existe déjà dans le message de Baha'u'llah, car l'apparition de chaque Manifestation divine libère une force ayant le pouvoir de transformer l'humanité.

Pour donner des valeurs éthiques à l'homme, Baha'u'llah s'adresse aux qualités qui seraient inhérentes à l'individu, dont les pouvoirs restent souvent latents.

"En toi j'ai placé l'essence de ma lumière", écrit Baha'u'llah (75).

L'homme possède les potentialités, mais il doit les développer. Baha'u'llah enseigne que la plus haute expression de la nature de l'homme est l'état de service, et plus l'homme tend vers cet état, plus il développe les potentialités inhérentes en lui. Le processus de la réalisation de soi est ainsi synonyme du processus de libération des capacités et des pouvoirs essentiels de l'être et de leur consécration au service des autres. Selon cette optique, les deux capacités essentielles sont de connaître et d'aimer Dieu. Toutes les autres vertus sont comprises en tant qu'expression de différentes combinaisons de la connaissance et de l'amour utilisées dans des situations différentes. Ces deux capacités constitueraient la nature fondamentale du potentiel humain.

Comment aimer? Les écrits baha'is répondent: en revenant à son essence, "devenir tel qu'on a été crée". Tout comme l'aimant a été crée pour attirer, l'homme a été crée pour aimer. Si un objet épais s'interpose rien ne peut être attiré vers l'aimant. De même, si des voiles s'interposent devant l'homme, il perd sa capacité d'aimer et, pour revenir à son essence, il doit déchirer les voiles en suivant un chemin mystique.

Comment connaître? A travers la connaissance de Dieu, puis de soi-même, en cherchant à connaître tout ce qui peut l'élever ou l'abaisser.

La foi baha'ie décrit non seulement la nature de l'homme mais encore décrit comment se libère le potentiel humain.

Pour elle, a époque actuelle, la source primordiale du pouvoir de transformation se trouve dans les écrits mêmes de Baha'u'llah.

La première condition de la mutation consiste à se pénétrer de ses écrits car ils contribuent à développer la foi. Et la foi nourrit des sentiments envers ce qui est inconnu ou inconnaissable. Cette attitude permet donc de se rapprocher de cet inconnu.

Puisque Dieu est inconnu, et que selon les écritures saintes l'homme est crée à son image, il existe aussi une partie méconnue en soi qui représente alors le potentiel encore inexprimé des capacités latentes de connaissance et d'amour.

Baha'u'llah exprime ce vaste potentiel de la nature humaine en citant ce vers:

"Te prends-tu pour un corps chétif quand, en toi, est contenu le monde le plus grand." (76)

Pour que cet inconnu en soi se révèle progressivement, on doit avoir foi en son potentiel. Il est prouvé à quel point les capacités de l'homme sont influencées par son état d'esprit et combien puissante est la force de la conviction de la foi.

Si une personne abandonne son évolution et ne cherche pas à réaliser son potentiel, elle sentira que ses rapports avec les autres sont peu satisfaisants ou difficiles ou sans attraits. Pour améliorer les relations avec d'autres êtres humains, il faudrait non seulement développer ses propres possibilités mais aussi accepter les capacités inconnues chez les autres, car cette acceptation constitue une source importante du développement de leur réalisation. Il faut accepter son prochain non seulement tel qu'il est mais encore tel qu'il peut potentiellement devenir, sinon l'on pourrait le gêner dans le processus de transformation. Puisque, selon Baha'u'llah, le potentiel humain forme une partie primordiale de l'homme, il doit être pareillement accepté par les autres et contribue à une attraction réciproque entre les êtres humains.

Etre confronté à cet inconnu que représente le mystère de son être n'est pas une tâche facile et, comme tout inconnu, est accompagné d'anxiété. Le pouvoir de la foi baha'ie à transformer l'homme en libérant son potentiel provient du fait que cette anxiété ne prenne des proportions non maîtrisables en considérant cette énergie comme un don et de le canaliser dans un but concret.

En s'immergeant dans les écrits saints, l'homme commence à se voir ainsi que son entourage de manière différente, il commence alors à ressentir les événements différemment puis à se conduire différemment, ce comportement nouveau est le signe évident de l'être embarqué vers l'aventure de la réalisation de soi, l'un des buts de l'homme.

Mais cela n'est pas tout, pour libérer son potentiel, l'homme a besoin aussi des autres; c'est ainsi que la communauté baha'ie deviendra l'une des sources importantes de la libération des capacités.

Ainsi, se réaliser pleinement signifie développer ses propres capacités de connaissance et d'amour au service de l'humanité.


6.3. Quelles sont les valeurs vers lesquelles Baha'u'llah oriente l'homme ?

Tout d'abord, se détacher de tout ce qui n'est pas Dieu, afin que les biens de ce monde servent l'homme sans qu'ils soient le but de sa vie:

"Libère-toi des chaînes de ce monde et délivre ton âme de la prison de ton moi. Saisis ta chance, car jamais plus elle ne se présentera a toi." (77)

Ou encore:

"O Fils de l'esprit, brise ta cage et, comme le phénix d'amour, envole-toi au firmament de sainteté. Oublie ton moi et, empli par l'esprit de clémence, demeure au royaume de la sainteté divine." (78)

A partir de ces notions de base, l'enseignement se réfère à deux piliers essentiels: l'Amour et la Justice qui feront naître dans le coeur l'oubli de soi, la noblesse, l'équité, la sagesse, le courage et, dans l'attitude de l'homme envers les autres, les concepts de solidarité, d'aide, de pitié, de pardon, de courtoisie, de chasteté et de fidélité. Baha'u'llah enjoint à l'homme de mettre en pratique les idéaux, en s'efforçant d'améliorer le sort de l'humanité, car les êtres influent et agissent les uns sur les autres. C'est pourquoi il faut montrer de la compassion et de la bienveillance envers tous les humains, être bon pour chacun et témoigner de l'affection à toute créature vivante. L'esprit d'amour et de bonté doit atteindre un tel degré, que "L'étranger puisse se sentir un ami et l'ennemi un véritable frère" (79). Se montrer digne de confiance et sincère dans ses actions.

L'homme doit guider, éclairer ceux qui sont dans le besoin et étendre son amour à l'humanité entière sans discrimination en la servant.

Grâce à ses potentialités d'amour et de justice, l'homme luttera contre l'oppression, la haine et la discorde. Dieu ne pardonnera ni à l'oppresseur ni au calomniateur, plaçant la médisance au niveau de crime car, par la médisance, non seulement l'homme avilit son prochain, mais s'avilit également. L'importance est surtout donnée à la dynamique des qualités qui viennent d'être citées comme sources énergétiques.


6.4. Servir l'humanité et la faire progresser vers son unité

La religion baha'ie ne traite pas seulement de la nature de l'homme et de sa relation envers Dieu. Elle implique une réorientation des différents aspects de la vie, c'est un évangile non seulement spirituel mais encore social. Sans fixer de dogmes, elle donne des directives.

Selon cette croyance les Manifestations de Dieu sont les figures dominantes de l'histoire et marquent les périodes les plus critiques du progrès de l'humanité et les divisions les plus importantes du temps historique. Elles fondent la civilisation matérielle de leur ère sur une base de spiritualité.

Dans cette perspective, Baha'u'llah proclame en termes prophétiques que la société de notre temps avec ses conflits, ses guerres, ses hostilités de races, de classes et de nations, cédera le pas devant la puissante poussée d'une nouvelle civilisation désormais en marche marquant l'inauguration de l'unité mondiale.

Selon Baha'u'llah:

"Le bien-être de l'humanité, sa paix et sa sécurité ne pourront être obtenus si son unité n'est pas fermement établie." (80) "Bientôt le présent ordre des choses sera révolu et un nouveau le remplacera." (81)

L'unité devient la manifestation extérieure de l'amour tout comme l'amour maternel qui se manifeste par l'esprit est l'unité entre l'enfant et sa mère. Comme le corps humain, bien que complexe et différencié, est un tout unifié, de même l'humanité forme une unité organique.

Baha'u'llah fait le parallèle entre l'évolution de l'histoire humaine et le développement de l'homme à travers ses différentes étapes de croissance.

En grande ligne générale, aux premiers temps les hommes vivaient en groupes familiaux isolés, ces groupes évoluèrent en unités tribales, plus tard ces unités évoluèrent en cités-Etats et finalement en nations. L'unité mondiale, enseigne Baha'u'llah, est la dernière étape dans l'évolution de l'humanité vers sa maturité.

L'unité ne se conçoit pas dans l'uniformité des peuples mais dans leurs diversités. Chaque peuple devrait atteindre la plus haute expression de sa particularité. En même temps, chaque groupe ou chaque nation devrait partager l'héritage et expérience des autres.

L'attitude mentale requise doit être honnête non seulement envers tel ou tel groupe particulier mais encore pareillement envers le groupe élargi qu'est l'"humanité".

A partir de ce moment, l'homme prendra conscience du principe de l'unité du genre humain et cultivera le sentiment suivant lequel il est comme les autres et que pour Dieu tous les hommes sont égaux.

"Ne savez-vous pas pourquoi Nous vous avons crées tous de la même poussière? C'est pour que nul ne s'élève au-dessus des autres. Méditez sans cesse sur la manière dont vous fûtes crées. Puisque Nous vous avons tous faits d'une même substance, il convient que vous soyez comme une seule âme, allant d'un même pas, mangeant d'une même bouche et habitant la même terre afin que, du tréfonds de vous-mêmes, par vos actes et par vos oeuvres, les signes de l'unité et l'essence du détachement puissent se manifester..." (82)

Après l'enseignement baha'i, l'unité mondiale se construira sur la reconnaissance individuelle de l'unité de l'humanité en tant que principe spirituel et central dans la vie d'aujourd'hui. L'unité ne sera imposée par aucun groupe puissant mais évoluera graduellement dans la conscience humaine, jusqu'au jour où chacun réalisera que "La terre est un seul pays dont tous les hommes sont les citoyens."
Baha'u'llah (83)

Ce changement de conscience que prophétise Baha'u'llah conduira à un changement organique dans la société comme le monde n'en a jusqu'à présent jamais expérimenté et qu'on ne peut que difficilement imaginer.

Le but de l'homme par son développement spirituel et éthique est donc de servir l'humanité. Ainsi, par son enseignement adressé à l'individu, Baha'u'llah veut réaliser l'unité des esprits. Il préconise unité organique des structures sociales par un message adressé à la nature des rapports essentiels devant relier tous les humains et toutes les nations. Dans cette doctrine, éthique et expérience mystique s'unissent avec l'ordre social et des directives spécifiques sont données pour permettre aux hommes de passer de la désunion à l'union. Ces principes sont les suivants:

a) Recherche personnelle et indépendante de la vérité.

Pour construire un monde nouveau, les enseignements commencent au niveau individuel. Dans cette perspective, la réalisation de soi peut s'accomplir lorsque l'homme développe ses capacités de pensées d'une manière objective et indépendante.

Nous vivons à une époque où, pour la première fois dans l'histoire, la recherche personnelle et indépendante peut être réellement possible car, plus l'éducation se généralise, plus chacun peut se libérer de toute acceptation aveugle, et distinguer par lui-même la vérité.

Dans ce cheminement, l'homme devrait faire un retour sur soi et sur ses conceptions acquises au cours de son existence. Un tel processus peut être douloureux car il remet en question ce qui lui a toujours été inculqué comme l'unique réalité.

b) Abolition des préjugés et des superstitions.

Concernant les rapports entre les hommes le principe d'abandon des préjugés et des superstitions est fondamental. Les préjugés, qu'ils soient d'origine religieuse, ethnique, patriotique, politique, idéologique ou provenant de la lutte des classes, sont l'un des motifs qui déclenchent les conflits et les guerres.

Les préjugés ne constituent pas seulement des idées préconçues au sujet des autres êtres humains mais encore un attachement obstiné à des institutions, à des méthodes de pensées, à des conceptions du passé, allant à l'encontre de l'établissement de la paix. Une ouverture d'esprit implique non seulement un changement d'attitude envers autrui mais encore un changement dans la conception de la structure sociale, économique et politique du monde.

La question qui se pose est de savoir comment abolir ce fléau. Il est évident que l'investigation de la vérité démontre l'inexactitude des attitudes mentales qui ne soutiennent aucun fait réel. Des connaissances nouvelles changent progressivement les conceptions ancrées en l'homme, ce qui ramène au principe précèdent.

Pour déraciner les préjugés, il faudrait découvrir avec raisonnement leur origine erronée. Cette étape est nécessaire mais non suffisante. Un parti pris comporte une part d'émotion. Pour la contrecarrer il faut une nouvelle impulsion émotionnelle, telle celle provoquée par la religion. Selon la conception baha'ie, seule une "Manifestation de Dieu" peut transformer radicalement les attitudes émotionnelles, car elle éveille dans les coeurs une impulsion très forte: l'amour.

c) Equilibre de la science et de la religion.

Dans la quête perpétuelle de la connaissance et du bien-être de la société, Baha'u'llah enseigne que la véritable religion et la véritable science ne peuvent se trouver en opposition puisqu'elles sont des aspects complémentaires conduisant à la vérité. Il conçoit la religion comme cause de concorde et d'unité:

"La religion de Dieu a pour but de créer l'amour et unité; n'en faites pas la cause de l'inimitié et de la discorde." (84) Il rend hommage à la science et à la raison en ces termes: "La science est un des plus grands bienfaits de Dieu... le présent suprême est tout d'abord la raison." (85)

La science et la religion forment un processus évolutif. La religion est révélée graduellement à l'homme par Dieu. L'homme découvre graduellement les mystères de la science à travers ses recherches et ses propres pouvoirs. La religion découvre les significations, la science les faits. La religion aide à pourvoir aux demandes morales et spirituelles de l'homme, la science aux besoins matériels; ces deux domaines sont décrits comme les deux plus importantes forces de l'humanité.

Cependant, si la religion s'écarte de la science, elle sombre dans les superstitions et les conceptions les plus étroites; si la science s'éloigne de la religion, elle devient incontrôlable et évolue en dehors des valeurs morales. C'est pourquoi Baha'u'llah insiste sur l'harmonie de ces deux aspects de l'esprit humain pour le progrès de la civilisation.

d) Education universelle.

Sans entrer dans le développement de ce principe qui est un sujet de la plus haute importance, j'attire uniquement l'attention sur le fait que Baha'u'llah considère l'éducation comme obligatoire pour chaque fille et garçon.

La formation du caractère et la préparation à une profession ou un métier constituent les parties essentielles de l'enseignement baha'i. Cet aspect de la vie aide à développer le potentiel de chacun. En effet, l'impulsion du plan d'éducation ne sera pas seulement de promouvoir l'instruction mais encore d'amener toutes les capacités et facultés humaines à leur niveau maximal.

Un système d'éducation qui se base uniquement sur une distribution d'information ne répondra jamais aux besoins réels de la société. L'éducation devrait stimuler l'homme en direction de l'état le plus élevé qu'il puisse atteindre: servir l'humanité. Une telle éducation doit aussi tenir compte de la nature humaine et des caractères spécifiques à chacun plutôt que de s'attacher à une petite partie de ses facultés.

L'éducation est non seulement nécessaire à l'épanouissement de l'individu mais devient l'un des éléments pour la construction de la paix, car les préjugés entre les peuples proviennent souvent de l'ignorance. L'éducation universelle aidera à abolir les préjugés et à encourager la coopération constructive.

e) Langue auxiliaire universelle.

Pour souder chaque élément de la cohésion sociale et préparer l'unité de l'humanité, Baha'u'llah préconise une langue auxiliaire internationale parlée et écrite. Tout en préservant et en développant la culture, la littérature, l'art de chaque nation, une langue auxiliaire universelle choisie avec équité, en supplément à la langue maternelle de chacun, faciliterait la communication entre tous les peuples.

f) L'égalité de l'homme et de la femme.

Selon l'optique baha'ie, l'égalité des droits de l'homme et de la femme est le principe spirituel, moral et social, essentiel pour le développement d'un ordre mondial juste. Sans la pleine utilisation des talents, des qualités aussi bien des femmes que des hommes, le réel développement économique et social pour humanité est impossible.

Baha'u'llah affirme que les femmes doivent acquérir les mêmes droits que les hommes, notamment par les avantages offerts par l'éducation. Même si une famille ne possède pas les moyens suffisants, il conseille aux parents de donner la meilleure instruction à leur fille plutôt qu'à leur fils. Elle est une mère en potentiel et en tant que première éducatrice, d'elle dépend plus particulièrement la destinée de la prochaine génération.

De plus, Baha'u'llah prédit que rien ne pourra retarder ou empêcher le mouvement de l'égalité pour les femmes. Lorsque les femmes participeront pleinement et d'une manière égale aux affaires du monde, et lorsque cette force libérée pénétrera toutes les activités humaines, les guerres cesseront.

Dans ce cheminement, les femmes devront être les premières à faire un grand effort pour développer leurs potentialités.

g) Solution spirituelle aux problèmes économiques.


Ce message établit un plan pour une nouvelle économie mondiale. Les hommes arriveront à la mettre en pratique dès qu'ils prendront sincèrement conscience de l'unité de la race humaine. C'est donc un bouleversement de l'ordre accepté qui consiste traditionnellement à tenter de résoudre d'abord les problèmes économiques et ensuite d'atteindre l'union.

Selon Baha'u'llah le grand mobile humain de l'histoire, qui dans l'ère qui se clôt était l'intérêt personnel, se renverse dans l'ère nouvelle dans le sens d'une tendance à la coopération.

Toute économie du monde doit reposer sur des bases divines. Le progrès matériel proviendra de l'entrelacement et de l'harmonie entre les facteurs politiques, économiques et religieux. Cette solution spirituelle aux problèmes économiques est renforcée par des lois telles que la gestion mondiale des grandes ressources de la planète, la coopération économique entre les pays sur la base de justice et d'équité, l'association des ouvriers aux bénéfices des entreprises, la promotion et la protection de l'agriculture et du secteur rural, la suppression de la richesse excessive et de l'extrême pauvreté, ainsi que le servage industriel.

L'agriculture est estimée comme étant de première importance parce que d'elle dépend l'existence de la population. Elle constitue l'une des bases du système économique de Baha'u'llah.

Toujours dans le but d'arriver à une plus juste répartition des biens, Baha'u'llah énonce un système d'héritage tel que sans priver l'individu de sa propriété, la communauté pourrait profiter de la transmission des grandes fortunes.

Nous devons noter l'importance du fait que la foi baha'ie a une action sur le plan économique. Sociologiquement, l'action de cette religion sur ce plan se définit par son intervention sur le terrain économique et par sa proposition de solutions.

h) Baha'u'llah introduit aussi dans sa doctrine d'autres enseignements:

Il abolit la prêtrise, l'ascétisme et la vie monacale.

Il demande la monogamie et la fidélité dans le mariage. Il met l'accent sur l'obéissance au gouvernement. Il interdit l'esclavage et la mendicité, condamne l'oisiveté et élève au rang de la prière le travail exécuté dans l'esprit de service. Une grande place est accordée aux arts, en particulier à la musique et à ceux qui les pratiquent.

i) L'ordre administratif.

L'unité de l'humanité n'est pas une théorie ou un idéal pieux et ne se conçoit pas comme se réalisant d'une manière instantanée, mais pourra être atteint par un processus impliquant un entraînement persévérant et permanent.

Baha'u'llah a explicitement posé les principes destinés à assurer le fonctionnement organisationnel de la religion qu'il a établie en créant un système organique appelé l'ordre administratif à travers lequel se réalise l'entraînement de chacun vers l'unité.

Ce système est fondé sur les principes d'élection démocratique et de consultation. Il se donne comme but de concrétiser à travers le monde une unité réelle entre les différents peuples, par l'établissement d'activités spirituelles et temporelles à l'échelon local, national et international. L'ordre administratif est considèré dans la doctrine baha'ie non seulement comme le noyau sur lequel les communautés baha'ies se constituent actuellement, mais encore comme le modèle du nouvel Ordre mondial qui, selon la prophétie de Baha'u'llah, englobera l'umanité.

j) La paix universelle.

Baha'u'llah esquisse les données générales afin d'établir de façon durable la paix universelle.

La foi baha'ie est la première grande religion où les idées de désarmement, d'arbitrage international des conflits, etc., ont été développées jusqu'à leurs détails.

L'unité de la race humaine implique l'établissement d'une communauté universelle dont la charpente sera l'ordre administratif, où nations, classes, ethnies, croyances seront étroitement et définitivement unies.

La structure politique de cet ordre mondial sera basée sur le principe de la fédération et devra recevoir l'assentiment total des pays.

Les aspects politiques de la paix ne pouvant être isolés de la question générale des rapports humains, la foi baha'ie préconise une évolution inéluctable vers un fédéralisme mondial où les peuples et les nations, tout en maintenant leur individualité propre, subordonneront leurs intérêts particuliers au bien-être collectif. Cette communauté dont les membres représenteront l'humanité entière comportera une législation universelle et exercera le contrôle sur les ressources de chaque nation, et ainsi elle pourra édicter des lois nécessaires pour satisfaire les besoins de tous les hommes. Un pouvoir exécutif universel, s'appuyant sur une force internationale et un tribunal universel, veillera à assurer la paix lors des conflits et des disputes entre nations. Pour renforcer le mécanisme d'intercommunication mondial, il existerait un système universel des monnaies, poids et mesures.

"L'équilibre du monde s'est trouvé rompu par la vibrante influence de ce très grand, de ce nouvel Ordre mondial. L'ordre sur lequel reposait jusque-là l'humanité a été révolutionné par cet unique et merveilleux système, dont les yeux des mortels n'avaient jamais vu l'équivalent."
Baha'u'llah (86)

Tel est l'enseignement de Baha'u'llah, un rationalisme éthique se fondant sur des racines prophétiques et mystiques, une religion ou la voie de l'action et de l'engagement au monde et celle de la méditation et de la spiritualité coexistent harmonieusement.

"Je suis témoin, O amis, que la faveur est parfaite, l'argument accompli, la preuve manifeste et l'évidence établie. Voyons maintenant quels seront les résultats de vos efforts dans le chemin du détachement."
Baha'u'llah (87)


7. 'Abdu'l-Baha et l'Occident

En Occident, à la fin du dix-neuvième siècle, une ère fascinante semble s'ouvrir. Le peuple est intrigue et abasourdi par les bouleversements qui commencent a façonner le nouveau siècle.

En art, en musique, en littérature, une aube révolutionnaire se manifeste. Des bouillonnements politiques et sociaux apparaissent: à travers l'Europe, des mouvements ouvriers commencent à défier le système des classes. Le heurt nouveau des sensibilités de l'Est et de l'Ouest effacera bientôt l'exotisme et l'éloignement des pays tels que la Russie, la Chine ou le Japon. Des changements plus frappants se manifestent à travers la technologie: l'électricité, le téléphone, le télégramme, la machine à écrire, la photographie, le phonographe, le film, l'automobile. A présent, les hommes peuvent facilement se déplacer et leurs idées se répandent rapidement d'un point à un autre du globe.

C'est à cette époque que la foi baha'ie surgit en Occident. Cette forte impulsion est donnée par 'Abdu'l-Baha, fils ainé de Baha'u'llah.


7.1. 'Abdu'l-Baha et le pèlerinage

Pour la première fois dans l'histoire du mouvement, quinze baha'is occidentaux, enflammés par leur découverte de la foi, décident d'entreprendre un pèlerinage auprès d''Abdu'l-Baha. Les pèlerins arrivent en trois groupes successifs des Etats-Unis, de France et d'Angleterre.

Le premier groupe atteint la ville pénitentiaire d'Akka le 10 décembre 1898. Les pèlerins sont anxieux de parvenir au Tombeau de Baha'u'llah, lieu sacré, et de voir 'Abdu'l-Baha. C'est pour eux une aventure spirituelle, avec toute l'émotion qu'ils peuvent éprouver de se trouver en présence du fils du Prophète; très peu de personnes réalisent ce bonheur, la plus riche des expériences. L'arrivée à 'Akka se fait pour les pèlerins dans un état d'excitation et dans un tumulte de pensées qui leur rappelle l'héroïsme de Baha'u'llah, emprisonné pendant quarante ans en ce lieu qui est aussi la Terre sainte du judaïsme, du christianisme et de l'islam. Il y a dans l'air le parfum de l'Orient dont le soleil, comme une mélodie en couleurs, rend les pèlerins plus sensibles et plus proches de Dieu. C'est dans cette ardente impatience que les regards fascinés se posent enfin sur 'Abdu'l-Baha.

A sa vue, les adeptes se sentent bouleverses, impressionnés et illuminés jusqu'au plus profond de leur être, par sa dignité émouvante et par sa majesté mêlée à une exquise courtoisie. Il entoure chacun d'un tel flot d'amour et de compréhension que les pèlerins vivent, pour la première fois, le sens de la véritable fraternité humaine. Ils découvrent le visage d"Abdu'l-Baha d'où rayonne une force d'intelligence et de volonté en harmonie avec une profonde humilité et tristesse d'un coeur meurtri par amour pour un monde qui souffre.

Ils découvrent les paroles d"Abdu'l-Baha:

"Vous devez témoigner à toute l'humanité un amour et une affection sans bornes. Ne vous élevez pas au-dessus des autres, mais considérez tous les hommes comme des égaux et comme les serviteurs du même Dieu. Sachez que Dieu est compatissant envers tous; il faut donc que vous aimiez toutes les créatures de tout votre coeur. Préférez toute personne pieuse à vous-mêmes; soyez pleins d'amour pour toutes les races et de bonté pour les peuples de toutes nationalités. Ne dites pas de mal des autres, mais louez-les tous sans distinction. Ne souillez pas votre langue en disant du mal d'autrui. Considérez vos ennemis comme des amis et ceux qui vous veulent du mal comme s'ils vous voulaient du bien. Il ne faut pas voir le mal en tant que tel et faire ensuite un compromis avec votre conscience, car traiter avec douceur et bienveillance quelqu'un que vous trouvez mauvais et que vous croyez un ennemi, ce serait de l'hypocrisie qu'on ne peut ni louer ni permettre. Non! Vous devez regarder vos ennemis comme des amis, et ceux qui vous veulent du mal comme s'ils vous voulaient du bien, et il faut les traiter en conséquence. Agissez de telle sorte que votre coeur soit dépouillé de toute haine. Que votre coeur demeure insensible à l'offense. Si quelqu'un commet une injustice à votre égard et a des torts envers vous, pardonnez-lui instantanément. Ne vous plaignez pas des autres. Gardez-vous de les réprimander et si vous désirez admonester ou conseiller quelqu'un, ayez soin de ne pas le blesser. Concentrez toutes vos pensées vers ce but qui est de réjouir les coeurs.

Prenez garde ! Prenez garde ! de peur de blesser les coeurs. Autant qu'il vous sera possible, portez secours à vos semblables. Soyez une source de consolation pour tous ceux qui souffrent, soutenez les faibles, aidez les indigents, contribuez à la glorification des humbles et protégez ceux qui vivent dans les ténèbres de la peur.

En résumé, que chacun de vous soit comme une lampe d'où rayonnent les vertus du monde des humains. Soyez dignes de confiance, sincères, affectueux et chastes. Soyez illuminés, spiritualisés, divins, glorieux, soyez vivifiés par Dieu. Soyez un baha'i." (88)

"De cette première rencontre, dit l'une des pèlerines, je ne puis me remémorer ni joie, ni peine, ni rien que je puisse exprimer. J'ai été transportée brusquement d'une trop grande hauteur; mon âme est entrée en contact avec l'Esprit divin, et cette force si pure, si sainte, si puissante m'a terrassée... L'existence semblait en suspens. Et lorsqu'il se leva et nous quitta soudainement, nous revînmes à la vie avec tressaillement, mais plus jamais, oh non jamais, Dieu merci, au même genre de vie sur cette terre." (89)


7.2. Qui est 'Abdu'1-Baha, ce personnage qui fascine tant les êtres ?

Le 23 mai 1844, Abbas Effendi, surnommé par la suite 'Abdu'l-Baha, fils ainé de Baha'u'llah, naît à Téhéran, le jour même où le Bab déclarait sa mission.

Son enfance est étonnante: bien qu'il ne soit jamais allé à l'école, sa compétence égale celle des érudits. Il discute avec les docteurs en théologie et les captive par ses connaissances et sa perspicacité.

Sa brève enfance achevé d'une manière abrupte dans l'holocauste de 1852, lorsque des milliers de babis sont martyrises en Perse. Il n'a pas neuf ans lors de l'arrestation de son père qu'il aimé par-dessus tout.

Le sachant dans cette affreuse fosse noire qualifiée de prison, il tient à voir son père. Quelle rencontre bouleversante pour un enfant a l'âme sensible lorsqu'il entend la voix de Baha'u'llah disant: "Ne l'amenez pas" de peur que son fils soit horrifié de le voir dans état où il se trouve: hagard, échevelé, retenu par de lourdes chaînes. A sa vue, Abdu'l-Baha est marqué au fer rouge pour toujours.

Par la suite, la famille tombe dans un dénuement complet; elle est dépouillée de ses biens; la foule pille leur maison.

Abdu'l-Baha, déjà tout dévoué à son père, le suit avec amour dans l'exil qui s'annonce pénible avec les perspectives d'épreuves inconnues. Les premières difficultés s'annoncent: la traversée des montagnes arides, le manque de nourriture, la neige. La petite communauté et les enfants des exilés souffrent d'un dénuement matériel intense, le froid les oblige à entourer les pieds des enfants avec des chiffons pour qu'ils ne gèlent pas.

Durant les années sombres et les horreurs de la prison d'Akka, Abdu'l-Baha s'occupe de ses compagnons d'exil et devient un baume pour tous les opprimes. Baha'u'llah le désigne dans son testament comme "le Centre de l'Alliance de Dieu avec les hommes", c'est-à-dire chef de la Cause et interprète autorise des enseignements baha'is. Pour les adeptes, la vie d'aucun homme n'est aussi significative que la vie d'Abdu'l-Baha. Bien qu'il ne soit pas une Manifestation de Dieu telle que le Bab et Baha'u'llah, il représente l'une des figures centrales de la foi baha'ie et "l'exemple parfait".

Au décès de son père, Abdu'l-Baha reprend aussitôt la tâche d'établir les premières bases du monde nouveau que Baha'u'llah avait prophétisé. La tâche parait des plus difficiles même pour quelqu'un qui ne passerait pas sa vie dans les rigueurs de la prison d'Akka.

Ainsi, 'Abdu'l-Baha consacre sa vie à répandre le message baha'i, à écrire (90) une multitude d'ouvrages, à entretenir une abondante correspondance avec les croyants et les chercheurs de différentes nations et enfin à aider les pauvres et les malades.

Malgré toutes les souffrances endurées pendant sa vie, les pèlerins découvrent le rayonnement de la joie sereine d'Abdu'l-Baha disant:

"L'âme de l'homme peut être heureuse n'importe où. On doit atteindre cet état de béatitude et de paix intérieure où les circonstances environnantes ne peuvent plus altérer le calme et la joie de l'esprit. Il est impossible d'imaginer un pire endroit que la prison de Saint-Jean-d'Acre... Le traitement qui nous était infligé était insupportable car on nous considérait comme des ennemis de la religion et des corrupteurs des moeurs... Cependant, j'y ai vécu dans le plus grand bonheur. Je connaissais un bonheur constant et cela, parce que je me sentais un homme libre." (91)

Abdu'l-Baha représente pour les fidèles l'exemple vivant de la libération du "moi" et de la consécration au bien-être des autres.

Avant de quitter la Terre sainte, l'un des pèlerins se confie:

"Dans la puissance et la majesté de sa présence ['Abdu'l-Baha], notre anxiété se transforma en foi absolue, notre faiblesse en force, notre chagrin en espoir, et nous oubliâmes notre moi, dans cet amour pour lui."(92)

Cet amour réveille leur âme à une prise de conscience universelle et stimule leur esprit pour une vie plus élevée. Cet amour brise les barrières, adoucit la vie, propage une hardiesse et une force d'âme qui semblent n'avoir aucune limite. Cet amour leur apprend à aimer.

Tel est le sentiment qu'ils ont découvert à travers Abdu'l-Baha, l'amour que Dieu a exhalé à nouveau dans le coeur des hommes.

Il est difficile d'exprimer par de simples mots le sentiment éprouvé par les pèlerins, un sentiment qui s'expérimente plus qu'il ne s'exprime. Chaque être humain a déjà vécu ne serait-ce que quelques instants d'émotion du bonheur, qu'elle provienne soit de la rencontre avec un être, avec la musique, avec la nature, soit d'un but accompli, etc., et la sensation mystique est vécue comme la plus forte des émotions. Ceux qui entrent en contact avec la foi et qui se sentent transformés par elle vivent une expérience de bonheur qui possède une valeur toute personnelle. Aucun argument n'arriverait à la rendre insignifiante ou irréelle et rien au monde ne saurait leur ravir cette expérience. Ce sentiment de joie est dû en grande partie à la transformation du "moi" que procure la foi.

Le retour chez eux des premiers pèlerins occidentaux enivrés par leur découverte déchaîne une multitude activités qui prennent de l'importance a travers l'Europe occidentale et les Etats-Unis. Bientôt, d'autres groupes de pèlerins iront en Terre sainte puiser la vigueur spirituelle et la transmettre à leurs concitoyens. Comment a pu naître cette ferveur en Occident?


7.3. Aux Etats-Unis

Le croisement fortuit de deux chemins, celui d'un Oriental et celui d'un Occidental, marque le jaillissement de la communauté baha'ie appelée à se répandre à travers l'Occident.

En 1893, au Parlement mondial des religions tenu à Chicago, le nom de Baha'u'llah avait été cité comme un célèbre sage persan. On révéla pour la première fois dans le continent américain que les sentiments exprimés par ce sage étaient d'une grande noblesse et conformes à ceux du Christ.

1894, un médecin syrien, converti au Caire à la foi baha'ie, va résider, selon le souhait d'Abdu'l-Baha, aux Etats-Unis. Il commence à proclamer la foi nouvelle.

Thornton Chase, Américain né dans le Massachusetts, a toujours été profondément attiré par les questions religieuses. Il ne se sent pas satisfait par les réponses partielles des différentes doctrines ou sectes. Pourtant, il est convaincu que c'est le "jour du Seigneur". Sa conviction spirituelle le pousse à faire partie des nombreux "hommes de l'attente messianique" et à rechercher intensément la lumière que Dieu aurait déjà dévoilée au monde.

Le médecin syrien et le chercheur américain se rencontrent en 1894.

Thornton Chase parvient au but de son espérance.

Après avoir étudié avec grand intérêt les écrits de la nouvelle religion, Thornton Chase devient le premier baha'i de l'Occident.

Sa profession l'amenant à voyager à travers les Etats-Unis, la joie de sa découverte le pousse à diffuser les enseignements de Baha'u'llah. A travers le pays, la nouvelle court. Les convertis se comptent par centaines.

Parmi les premiers se trouve le Dr Edward Getsinger. Avant de rencontrer la foi baha'ie, le médecin était athée. Sa vie jusqu'alors consacrée uniquement à la science va prendre un nouveau tournant. Extrêmement loyal envers sa conscience, il étudie le message pendant des mois afin de trouver la vérité. Selon son témoignage, la logique de la religion baha'ie l'amène à la croyance en Dieu et il se convertit un an après:

"Quel pouvoir ou croyance peut amener les athées à l'espoir? Uniquement la vérité perceptible, une religion rationnelle, une présentation scientifique, une interprétation claire des prophéties symboliques telles qu'elles sont offertes par les baha'is peuvent accomplir cette transformation." (93)

La conversion de ces deux personnes parmi d'autres en Occident représente déjà deux destins opposés trouvant leur aboutissement dans la même foi. Au début du siècle, on rencontre de nombreuses personnes découvrant dans la religion baha'ie l'accomplissement des prophéties chrétiennes, et de nombreux athées, souvent des hommes de science, découvrant Dieu à travers la même croyance.

Toujours parmi les premiers baha'is occidentaux, une autre conversion marque la première pierre inaugurant la réconciliation des races. Cet événement se déroule chez la philanthrope renommée Phoebe Hearst, épouse du sénateur George Hearst, qui entend parler pour la première fois de la religion baha'ie par Lua Getsinger, la mère spirituelle de la communauté baha'ie américaine.

Les paroles de l'ardente adepte baha'ie captivent non seulement la richissime grande dame mais aussi son maître d'hôtel noir, Robert Turner, qui tressaille d'une forte émotion. Tous deux adhèrent à la foi baha'ie avec ferveur. Robert Turner, lors de son pèlerinage en Terre sainte, ressent la certitude et la confirmation de sa croyance. Il est le premier baha'i de race noire.

Aux Etats-Unis, la liberté religieuse totale et l'esprit d'initiative offrent les éléments favorables à l'expansion rapide de la foi baha'ie, dont la réalisation la plus spectaculaire sera la solide unité des races parmi les adeptes.


7.4. En Europe

Le premier centre baha'i d'Europe se forme à Paris, grâce à la jeune et fervente May Bolles. Le groupe se renforce rapidement par l'ardeur des convertis épris d'une nouvelle ère.

Un orientaliste célèbre, Hippolyte Dreyfus, est le premier des Français à accepter la foi de Baha'u'llah. Il se sent tellement imbibé par les enseignements de cette croyance qu'il joue un rôle prédominant dans l'expansion du message baha'i en Occident. Il répand la foi surtout dans les milieux intellectuels de 1900. Par ses écrits, ses traductions, ses voyages et ses autres travaux, il fera rayonner à travers le monde l'oeuvre commencée en France. Ne dit-il pas:

"Si dans notre époque de progrès scientifique, où l'instruction n'est plus le privilège d'une minorité, un grand nombre de ceux qui pensent se sont retirés des Eglises, si la loyauté vis-à-vis de soi-même à forcé tant de gens à rompre avec les cultes dont ils ne pouvaient plus accepter les traditions et les rites surannés, il ne s'ensuit pas que l'esprit religieux doive avec le temps disparaître de chez les nations civilisées: il n'y a pour s'en rendre compte qu'à comprendre la haute portée religieuse de bien des doutes exprimés, et à chercher ce qu'il y a derrière certains scepticismes railleurs.

S'il en est ainsi, si l'attitude religieuse est naturelle et nécessaire, si, comme nous le croyons, le développement de sa spiritualité et des forces qu'elle lui procure est une obligation pour tout homme qui pense, il importe, avant tout, de réconcilier tous ceux que les barrières des religions avaient séparés, et qui, par conviction ou par entraînement, en étaient venus à se mépriser et se haïr les uns les autres. Il suffira pour cela de leur montrer le principe unique qui est au fond de leurs croyances,... et de faire comprendre à ceux qui ont rejeté la religion de leurs pères la profonde vérité et la haute portée morale de l'enseignement religieux, nullement en opposition encore une fois avec les découvertes de la science ou le libre exercice de leur raison. Telle est l'oeuvre dont l'immédiate nécessité se fait de plus en plus sentir et qu'est en train d'accomplir aujourd'hui le baha'isme, qui se présente comme l'aboutissement nécessaire de toutes les religions." (94)

Le centre baha'i de Paris devient un lieu cosmopolite. Certains sympathisants, comme Bergson, ont une renommée internationale. En Occident, d'importants travaux d'érudition sur la foi baha'ie émanent de Paris, tels que l'impérissable livre Les leçons de Saint-Jean-d'Acre, paroles d'Abdu'l-Baha recueillies par Laura Dreyfus-Barney, épouse d'Hippolyte Dreyfus. La foi baha'ie attire aussi des Américains et des Canadiens vivant à Paris. Ils seront d'ardents initiateurs du développement de la foi dans leurs pays, comme May Bolles, la première baha'ie habitant Paris. Mariée à un Canadien, elle part en 1902 pour Montréal où elle établit les fondations de la foi au Canada.

Un second groupe baha'i d'Europe se forme à Londres, aussi cosmopolite que celui de Paris. Bien que le noyau d'adeptes soit encore petit, des auteurs connus, des ministres, des hommes de science acceptent les enseignements mêmes de la foi, sans pour autant se convertir.

Ainsi, les enseignements de la foi baha'ie prennent de l'ampleur en Europe et surtout aux Etats-Unis.


7.5. Dangers

Pendant cette période d'expansion en Occident, les exilés d'Akka traversent des jours orageux, une crise dramatique bouleverse la communauté baha'ie. Des calomnies et des intrigues monstrueuses se tissent autour d'Abdu'l-Baha qui est encore une fois en proie à la tyrannie des autorités turques, au point de mettre sa vie sérieusement en danger et de lui ôter la liberté relative dont il avait joui les dernière années. L'emprisonnement se durcit à nouveau. Un jour, un navire arrive à Haifa amenant des officiers chargés d'une enquête sur Abdu'l-Baha par ordre du sultan. Quelques jours avant l'arrivée de ce navire, Abdu'l-Baha fait un rêve, il voit un navire qui arrive à 'Akka, d'où s'envolent des oiseaux, ressemblant à des cartouches de dynamite, qui s'approchent d'Abdu'l-Baha en tournoyant autour de sa tête, à la grande frayeur des habitants, puis retournent vers le navire sans exploser. Ce rêve se réalisera.

La commission d'enquête venant d'arriver entreprend d'étranges procédures juridiques au grand désespoir de la communauté baha'ie. Tous les amis supplient 'Abdu'l-Baha de fuir et mettent même un cargo italien à sa disposition. Des bruits courent qu'Abdu'l-Baha risque être jeté à la mer ou pendu, mais il reste inflexible dans sa résolution de rester et de suivre les traces du Bab et de Baha'u'llah.

Un soir, les exilés s'aperçoivent que le navire a quitté Haifa et se dirige vers 'Akka. Les croyants présents pleurent et attendent anxieux et angoissés le moment tragique où le bateau va s'arrêter à 'Akka pour emmener 'Abdu'l-Baha. Quelques fidèles bouleversés de chagrin se postent dans certains endroits de la ville pour surveiller l'avancée du navire. Soudain, ils s'aperçoivent que les feux du navire ont viré et que celui-ci a modifié sa direction. Bientôt, ils sont certains qu'il fait route vers Constantinople. Fous de joie, ils se précipitent chez Abdu'l-Baha pour annoncer la nouvelle. L'un des plus grands dangers qui menaçait la vie d'Abdu'l-Baha est tout à coup providentiellement et définitivement écarté.

Lors de son nouvel emprisonnement, rien n'ébranle la confiance et la tranquillité d'esprit d'Abdu'l-Baha. Il continue de dispenser ses soins aux nécessiteux; il ne cesse d'écrire et de suivre les progrès des communautés baha'ies formées en Perse, aux Etats-Unis, au Canada, en France, en Angleterre, en Allemagne, en Egypte, en Irak, en Russie, en Inde, en Roumanie, au Japon, dans les îles du Pacifique. Pendant cette période de danger qui le menace, Abdu'l-Baha esquisse les caractères de l'ordre administratif, système organique de la foi baha'ie qui après sa mort s'établira graduellement à travers le monde. Cet organisme remarquable, annoncé par le Bab et dont les lois et principes ont été formulés par Baha'u'llah, réalisera quelques années plus tard l'embryon de l'unité du monde.

1908, la révolution des Jeunes Turcs éclate brusquement et oblige le sultan à établir, à contrecoeur, la constitution qu'il avait ajournée et à libérer tous les prisonniers religieux et politiques détenus sous l'ancien régime. L'année suivante, les Jeunes Turcs obtiennent la condamnation et donc la chute du sultan, le despote 'Abdu'l-Hamid. La dynastie des Ottomans prend fin.

La libération inattendue d'Abdu'l-Baha arrive enfin après de longues années d'exil et quarante ans de détention. Celui qui, selon ses propres termes, était un jeune homme à son entrée en prison est un vieillard lorsqu'il retrouve la liberté. Il décide d'aller annoncer le message de Baha'u'llah en Europe et aux Etats-Unis. En 1910, il va en Egypte, d'où il part pour l'Europe et l'Amérique.


7.6. Voyages d'Abdu'l-Baha en Occident

Une fois de plus dans l'histoire de la foi baha'ie, comme a l'époque du Bab et de Baha'u'llah, Abdu'l-Baha est pourvu du même pouvoir de fascination et de rayonnement charismatique auprès des fidèles et même des non-baha'is. Mais cette fois, l'Occident participe à son tour aux marques de considération et aux scènes impressionnantes entourant cette figure spirituelle venue porter un message d'amour et de réconciliation des peuples.

Tout au long de ses voyages, de nombreux témoins essaient de décrire les émouvantes et profondes impressions ressenties par le coeur et l'esprit de ceux qui l'approchent. On citera parmi tant d'autres le changement qui s'opère dans la vie du fils d'un pasteur de campagne anglais, qui, dans sa détresse et sa pauvreté, avait décidé de mettre fin a sa vie. Soudainement, il voit la photographie d'Abdu'l-Baha exposée dans la vitrine d'un magasin. Il est tellement impressionné par le rayonnement qui se dégage de son visage qu'il se renseigne à son sujet et se précipite vers sa demeure. Les consolations et les encouragements d'Abdu'l-Baha le réconfortent si profondément qu'il abandonne toute idée de suicide. Pour lui, la vie change miraculeusement de sens.

Certains franchissent tous les obstacles pour parvenir en la présence du maître. Aux Etats-Unis, un jeune homme, plein de fougue, craint qu'Abdu'l-Baha ne puisse se rendre là ou il habite à l'ouest des Etats-Unis. N'ayant pas lui-même l'argent du voyage, il fait tout le trajet avec une détermination audacieuse, étendu sur les essieux des roues d'un train, pour pouvoir voir et entendre Abdu'l-Baha.

Ecoutons le témoignage du pasteur H.C. Ives devenu baha'i à la suite du voyage d'Abdu'l-Baha:

"Ses beaux yeux calmes sondaient mon âme avec tant d'amour et de compréhension que mon irritation s'évanouit. Il souriait avec tant de charme que je crus sentir l'étreinte de son âme quand il me dit avec douceur:

"Il faut essayer de suivre votre voie, et moi je suivrai la mienne."

Il me sembla alors qu'une main fraîche était posée sur mon front fiévreux, qu'on approchait une coupe de nectar de mes lèvres desséchées, qu'une clé ouvrait la porte rouillée et verrouillée de mon coeur. Les larmes jaillirent et, d'une voix tremblante je murmurai: Pardon!... Une chose dont je suis certain, c'est que ma propre destinée, à travers tous les temps de la vie immortelle, dépendait de ce regard d'Abdu'l-Baha" (95)

Ces témoignages cueillis parmi tant d'autres suggèrent le pouvoir d'inspiration qu'Abdu'l-Baha communique aux Occidentaux.

A travers les capitales et quelques villes de France, de Suisse, d'Angleterre, d'Allemagne, d'Autriche, de Hongrie, des Etats-Unis et du Canada, une foule de personnes de toutes les couches sociales, de toutes les origines ethniques et religieuses, aussi bien des politiciens, des ecclésiastiques, d'importants universitaires viennent écouter.

Il expose avec beaucoup de clarté les enseignements de son père. Par de sombres avertissements, Abdu'l-Baha prédit l'approche de la guerre qui allait fondre sur humanité et dénonce l'absurdité des conflits que se créent les hommes:

"... Comment se peut-il que des hommes se battent du matin jusqu'au soir, s'entre-tuant et répandant le sang de leurs semblables? Et dans quel but? Pour s'emparer d'une portion de terre... Et cependant la terre n'appartient pas à un peuple, mais a tout le monde. Cette terre n'est pas la demeure de L'homme, mais sa tombe. C'est donc finalement pour la possession de leur tombe que les hommes s'entre-tuent: la tombe, ce qu'il y a de plus horrible au monde, l'abri du corps en décomposition..." (96)

Les auditeurs, profondément touchés, ne peuvent le suivre longtemps sans remarquer que, chez lui, chacun de ses actes, chacune de ses paroles, chaque intonation sont empreints d'une telle sagesse et d'une telle certitude mêlée à une si humble courtoisie, que la vérité des enseignements leur parait éclatante.

Avant de quitter l'Occident il dit:

"...Ne désespérez pas! Travaillez avec Constance! La sincérité et l'amour vaincront la haine. Que d'événements apparemment impossibles sont en train de se réaliser de nos jours! ...Que votre coeur soit rempli du désir ardent de voir régner la tranquillité et l'harmonie dans ce monde en guerre. Ainsi vos efforts seront couronnés de succès et, avec la fraternité universelle, le Royaume de Dieu s'établira dans la paix et la bonne volonté..." (97)

La certitude du monde à venir provient de l'appel surprenant de Baha'u'llah selon lequel sa révélation est l'instrument principal par lequel unité de l'humanité sera réalisée et par lequel la sécurité et la paix seront établies.

"Une vie toute nouvelle agite en ce moment la conscience de tous les peuples de la terre et cependant personne jusqu'ici n'en a découvert la cause ni perçu la raison... O fils des hommes, l'objet principal de la Foi de Dieu et de sa religion est de sauvegarder les intérêts de la race humaine et de promouvoir l'unité...

...Voici le droit chemin, la base fixe et immuable. Ni les changements ni les hasards de ce monde ne diminueront jamais la force d'un bâtiment qui se dressera sur cette base; des siècles innombrables s'écouleront sans en miner la structure."
Baha'u'llah (98)


7.7. La Première Guerre mondiale

Abdu'l-Baha retourne en Palestine en 1913, après avoir inauguré une nouvelle phase de l'histoire baha'ie. C'est à partir de cette période que la foi est réellement transplanté en Occident.

Huit mois après son retour, la Première Guerre mondiale éclate.

Les souffrances des peuples en guerre emplissent de douleur le coeur d'Abdu'l-Baha et du monde baha'i, convaincus que le carnage humain est dû à la négligence des hommes qui n'ont pas répondu aux appels de paix.

Des changements révolutionnaires, tels que l'effondrement des empires chinois, russe, allemand et austro-hongrois, transforment la face du monde.

A la fin de la guerre, le président des Etats-Unis, Woodrow Wilson, dont la fille est devenue baha'ie, étant inspiré de certains enseignements de cette foi, les incorpore dans un programme de paix qui comporte entre autres points l'établissement de la Société des Nations à Genève. Ce premier organisme international reposant sur des principes universels, bien qu'incomplets, marque un effort notable en vue de la sécurité de l'humanité. Cependant, la souveraineté des nations passant avant le bien-être général du monde, cette tentative de s'unir n'aboutira pas. Même les traités de paix de 1919-1920 contiennent déjà les germes de la Seconde Guerre mondiale.

Dans cette période, la foi baha'ie se répand à travers tout le continent européen, en Australie, en Extrême-Orient et en Amérique du Nord.

L'un des plus passionnés adeptes est sans doute le Professeur Auguste Forel, personnalité suisse.


7.8. Le Professeur Auguste Forel et la croyance en Dieu

Le Professeur Auguste Forel, savant suisse, est célèbre par ses recherches scientifiques originales et pour ses services rendus à l'humanité.

Ses travaux à Munich le conduisent à reconnaître le danger de l'alcoolisme et le rôle de l'alcool dans les troubles mentaux.

Ses oeuvres innombrables lui valent de nombreux prix et distinctions. En 1879, à 30 ans, il est nommé directeur de l'Institut psychiatrique Burgholzli et professeur à l'Université de Zurich.

Sincère et dévoué dans ses services humanitaires, toutefois il demeure sceptique à l'égard de la religion et critique particulièrement l'hypocrisie et la discorde des fanatiques religieux et de leurs dogmes. Lorsqu'il entend parler de la foi nouvelle chez son gendre qui était déjà baha'i, deux principes l'attirent plus spécialement: le premier, la conception suivant laquelle le travail dans l'esprit de service est considère comme une prière, le second, le principe de l'abstinence complète de l'alcool; les autres principes sociaux le fascinent également. Cependant, son esprit critique demande encore des réponses à certaines questions fondamentales. Peu de temps avant le décès d'Abdu'l-Baha, il lui écrit pour poser quelques unes de ces questions concernant notamment la Divinité. Abdu'l-Baha lui répond par une longue et volumineuse lettre.

Etude de la célèbre lettre d'un savant, un libre penseur, un homme profondément croyant et un disciple fervent de la foi baha'ie: Les arguments cités traitent de l'existence de Dieu et non pas de son essence car, selon l'auteur de la lettre, l'essence de la Divinité n'est pas accessible à l'esprit. Ce que l'homme peut comprendre n'est que réalité limitée et non pas infinie, ainsi il ne peut concevoir l'essence divine mais "par le raisonnement, l'observation, par ses intuitions et par la force révélatrice de sa foi, il peut croire en Dieu et éprouver les bienfaits de sa Grâce" (99)

Dans sa lettre au Professeur Forel, Abdu'l-Baha expose de nombreuses thèses pour démontrer scientifiquement l'existence de Dieu; en voici quelques-unes:

L'existence des êtres étant la conséquence de la combinaison d'éléments, qu'est-ce qui est à l'origine de cette composition?

Trois cas peuvent se présenter:

La composition est fortuite, nécessaire ou volontaire.

Elle ne peut être due au hasard, car selon la science tout effet demande l'existence d'une cause.

Elle ne peut se faire elle-même, car dans ce cas elle devrait être une propriété inhérente des composants, et la propriété inhérente à un corps ne peut en aucune manière en être séparée. Il en est ainsi de la lumière, de la chaleur et du rayonnement qui sont les propriétés essentielles du soleil. Dans ce cas, la décomposition serait alors impossible puisque la composition doit toujours accompagner les éléments. Or, précisément, toute composition est suivie de décomposition.

Il reste donc le troisième cas, la composition volontaire, une force invisible qui régit le monde de l'existence. Cette volonté dont on ne connaît pas l'essence ni le mécanisme d'intervention, cette "Puissance éternelle" provoque l'union des éléments.

En étudiant l'univers, on constate que tout effet a une cause et que tout se forme sous l'influence d'autres réactions qui à leur tour sont influencées par d'autres facteurs.

Ainsi, les plantes poussent et prospèrent à cause des pluies, les pluies se déversent à cause des nuages, les nuages se forment à cause de l'évaporation des eaux de mer, l'évaporation des eaux de mer se fait à cause de la chaleur du soleil, etc. Ce processus de causalité se poursuit ainsi jusqu'à ce qu'on arrive à une cause que nous sommes obligés d'admettre comme ultime, car soutenir que ce processus continue indéfiniment est manifestement absurde.

Si cette cause ultime est matérielle, elle devient automatiquement un effet, et comme tout effet a une cause, elle cesse être ultime, ce qui serait contraire à la nature matérielle de cette cause. La cause ultime est donc immatérielle, imperceptible et conduit à l'idée de Dieu.

Tout organisme est l'ensemble de différentes parties agissant de façon ordonnée et intimement liée afin de garantir son fonctionnement harmonieux.

Ainsi, chaque réalité est une nécessité indispensable aux autres. Citons le corps humain, où chaque organe et les membres divers sont en étroite liaison, et chaque membre étant essentiellement nécessaire aux autres, exécute ce qu'il doit faire avec la plus grande efficacité afin que l'ensemble assure la vie.

Les réactions mutuelles et harmonieuses des organes sont donc évidentes mais ne sont pas suffisantes. Des lois spécifiques régissant l'activité de toutes ces parties, une coordination parfaite veillant à leur fonctionnement est indispensable.

Il en est de même en ce qui concerne l'univers et l'infinité de créations qui accomplissent chacune scrupuleusement leur tâche d'une manière parfaitement coordonnée pour que la vie devienne possible.

Toutes ces réactions ne peuvent être coordonnées que par une direction centrale, une "Puissance motrice qui est l'origine, l'axe et la source d'énergie de toutes actions réciproques de l'univers" (100) que l'on appelle Dieu.

Par la suite, le Professeur Forel devint baha'i en 1921. Dès lors, il consacre en grande partie les dernières années de sa vie à la promulgation de la cause. Sa fille qui l'assiste en tant que secrétaire devient une croyante dévouée.

Il en témoignera dans son testament, lu par son fils selon ses instructions à son décès (Lausanne, 29 juillet 1931):

"...J'avais écrit les lignes qui précèdent en 1912. Que dois-je ajouter aujourd'hui en août 1921, après les horribles guerres qui viennent de mettre humanité à feu et à sang, tout en dévoilant plus que jamais la terrible férocité de nos passions haineuses? Rien, sinon que nous devons demeurer d'autant plus fermes, d'autant plus inébranlables dans notre lutte pour le Bien social. Nos enfants ne doivent pas se décourager; ils doivent au contraire profiter du chaos mondial actuel pour aider à la pénible organisation supérieure et supranational de l'humanité, à l'aide d'une fédération universelle des peuples.

En 1920 seulement j'ai appris à connaître, à Karlsruhe, la religion supra confessionnelle et mondiale des Baha'is fondée en Orient par le persan Baha'u'llah, il y a 70 ans. C'est la vraie religion du Bien social humain, sans dogmes, ni prêtres, reliant entre eux tous les hommes de notre petit globe terrestre. Je suis devenu baha'i. Que cette religion vive et prospère pour le bien de l'humanité; c'est la mon voeu le plus ardent..."

A cette époque, les communautés les plus anciennes d'Occident et d'Orient commencent à mettre en route les activités considérées comme les premiers pas vers le futur Ordre administratif, organe unité du monde baha'i.


7.9. Ishqabad

Un embryon de société modèle baha'ie se forme en Russie, dans une ville nommée Ishqabad (signifiant ville d'amour) au Turkestan tsariste. Cette ville, située à la frontière des empires perse et russe, était au début qu'un petit village de quelque cinq cents personnes vivant sous des tentes. Ishqabad prend vite son essor après l'acquisition de cette région par les Russes. Transformé en ville moderne, elle devient un important centre administratif et financier. Ses possibilités économiques, la liberté et la protection religieuses qu'elle offre attirent de nombreux baha'is persans, victimes de persécutions dans leur pays.

C'est dans ce lieu hospitalier que les fidèles ont la possibilité de mettre en pratique les principes baha'is, car la vie sociale y est favorisée par la reconnaissance de la foi par le Gouvernement russe.

C'est à Ishqabad que le premier temple (ou maison d'adoration) baha'i est érigé.

Les adeptes dont le nombre s'élève à quatre mille élisent leur Assemblée spirituelle locale - conseil collégial - qui prône plus particulièrement les enseignements sociaux et les principes éducatifs. La communauté construit deux écoles, deux jardins d'enfants, une clinique, une bibliothèque avec salles de lecture publique, une salle de réunion, une auberge et une maison pour pèlerins. Elle fonde de même une maison d'édition. Il s'y forme ainsi un foyer d'érudition. Education et l'instruction de tous les membres, notamment des femmes, deviennent exemplaires.

Avant la Première Guerre mondiale, la communauté d'Ishqabad représente l'une des communautés baha'ies les plus développées et les plus prospères.

L'expansion continue, un peu partout, dans de nombreux pays, de nouveaux centres baha'is surgissent.


7.10. Les dernières années

Abdu'l-Baha fait preuve d'une grande force physique, quoiqu'il éprouve parfois une fatigue extrême. Cependant son état physique est toujours régénéré par sa force spirituelle. Il ne demande jamais rien pour lui-même, ni confort, ni honneur, ni repos. Il ne dort que trois ou quatre heures par nuit et consacre tout le reste de son temps et de ses forces à secourir ceux qui souffrent.

"Là où existe l'amour, dit-il, l'effort est un repos." (101) "Amis, le moment approche ou je ne serai plus parmi vous. J'ai fait tout ce qui pouvait être fait. J'ai servi de mon mieux la cause de Baha'u'llah. J'ai travaillé jour et nuit, durant toute ma vie. Oh! Combien je souhaite voir les croyants prendre sur leurs épaules les responsabilités de la cause! L'heure est venue de proclamer le royaume d'Abha (le très Glorieux). C'est maintenant l'heure de l'union et de la concorde. C'est maintenant le jour de l'harmonie spirituelle entre les amis de Dieu! Je tends l'oreille vers l'Orient et vers l'Occident, vers le Nord et vers le Sud, espérant entendre les chants d'amour et de fraternité s'élever des réunions de croyants. Mes jours sont comptés et aucune joie ne me reste que celle-la. Oh! que j'aspire à voir les amis unis entre eux comme une rangée de perles brillantes, comme les lumineuses pléiades, comme les rayons du soleil, comme les gazelles d'une même prairie.

Le rossignol mystique chante pour eux, ne l'écouteront-ils point? l'oiseau de paradis gazouille, ne l'entendront-ils point? L'ange du royaume d'Abha les appelle, ne prêteront-ils point l'oreille? Le messager du Covenant invoque son témoignage, n'y prendront-ils point garde?

Ah! J'attends, j'attends la bonne nouvelle m'annonçant que les croyants sont la personnification de la sincérité et de la loyauté, l'incarnation de l'amour et de l'amitié et la manifestation de l'unité et de la concorde!

Ne réjouiront-ils point mon coeur? Ne combleront-ils point mes voeux? Resteront-ils sourds à mes appels ? Ne réaliseront-ils point mes espérances. Ne répondront-ils point à ma voix ? J'attends, j'attends patiemment."
'Abdu'l-Baha (102)

Il continue de se vouer aux autres. Il a l'idée particulièrement créative de faire exploiter le sol de la Palestine, d'y cultiver des céréales, de les stocker et de sauver ainsi de nombreuses vies pendant la période de pénurie causée par la guerre de 1914. C'est pour cette action philanthropique parmi tant d'autres que le Gouvernement britannique, devenu maître du pays en 1917, fait l'éloge de son aide humanitaire et lui décerne le titre de chevalier.

Abdu'l-Baha décède le 28 novembre 1921. Un immense chagrin accable le monde baha'i. Un grand nombre de personnalités ainsi que des journaux de pays divers offrent leurs hommages à celui qui a rendu des services remarquables et impérissables à la cause de la fraternité humaine et de la paix. Lors de ses funérailles, au moins dix mille personnes de toutes nationalités, religions, races et classes sociales participent à des obsèques telles que la Palestine n'en avait jamais vu.

Le gouverneur de Jérusalem, décrivant les funérailles, écrit:

"Je n'ai jamais vu une manifestation unanime de respect et de regret comme celle que souleva l'extrême simplicité de la cérémonie." (103)

De nombreuses personnes éminentes prennent la parole lors des obsèques et lors des diverses commémorations. Le gouverneur de Phénicie rend un dernier hommage à la mémoire d'Abdu'l-Baha en ces termes:

"La plupart de ceux qui sont ici présents conservent, je pense, une image claire de Sir 'Abdu'l-Baha Abbas, de sa silhouette pleine de dignité parcourant pensivement nos rues, de ses manières aimables et courtoises, de sa bonté, de son amour pour les petits enfants et les fleurs, de sa générosité et de sa sollicitude pour les pauvres et pour ceux qui souffrent. Il était si doux et si simple qu'en sa présence on oubliait presque qu'il était aussi un grand maître, et que ses écrits et ses paroles ont apporté réconfort et inspiration à des centaines et des milliers de gens de l'Orient et de l'Occident." (104)

Le décès d'Abdu'l-Baha clôt la première période "héroïque" et apostolique de la foi baha'ie avec le rayonnement charismatique des personnages centraux. Maintenant, la route est ouverte à la mise en oeuvre de leurs enseignements.


7.11. Quelques documents

"Je ressens une fervente sympathie pour le Babisme car il enseigne la fraternité, l'égalité, et le sacrifice de la vie matérielle au service de Dieu."
L. Tolstoi (105)

Le 22 septembre 1909, Tolstoi écrit à Mirza Ali-Akbar Mamedkanov:

"J'ai reçu votre lettre et en même temps le livre d'Abdu'l-Baha 'Abbas Effendi "Appel aux baha'is de l'Orient et de l'Occident"... Je m'intéresse beaucoup à la doctrine du baha'isme... Très heureux de la relation avec vous puisque ces derniers temps je suis occupé à l'édition d'un livre sur le Bab et sur le baha'isme." (l06)

"La Cause baha'ie est une des plus grandes forces morales et sociales du monde d'aujourd'hui. Je suis plus que jamais convaincu de la nécessité d'une coordination internationale plus développée dans ce monde de crises morales et politiques de plus en plus fortes. Un mouvement comme celui de la foi baha'ie, qui prépare le chemin pour une organisation universelle de la paix, est nécessaire."
E. Benès, Président de Tchécoslovaquie (107)

Extrait d'une lettre du célèbre orientaliste, le Professeur Aminus Vambery à 'Abdu'l-Baha:

"Il [faisant allusion à lui-même] s'est souvenu de sa rencontre avec Votre Excellence et de la bénédiction de votre présence, et n'attend plus que le moment de vous revoir. J'ai voyagé dans beaucoup de pays et de villes de l'Islam; cependant, je n'ai jamais rencontré d'esprit plus noble et plus élevé que Votre Excellence et suis témoin de ce qu'il n'en existe point de pareil. C'est la raison pour laquelle je souhaite que les idéaux et l'oeuvre de Votre Excellence soient couronnés de succès et produisent les fruits espérés en toutes circonstances, car derrière de tels idéaux et de telles actions, il est aisé de discerner le souci du bien-être général et de la prospérité de toute l'humanité." (108)


8. L'expansion

Après la disparition de son maître spirituel, Abdu'l-Baha, comment va réagir la communauté baha'ie? Quel va être son sort, sa destinée? Perdra-t-elle son souffle, ou, au contraire, va-t-elle poursuivre son expansion à travers le monde?

C'est l'histoire captivante de cette foi que nous suivons ensemble. C'est l'histoire d'une passion qui a touché mon coeur, et qui a touché le coeur et l'intellect de tant d'êtres humains de tous pays.

C'est l'histoire de cette aspiration, enfouie au tréfonds de chaque être, vers la joie et la sérénité intérieure et une vie dans un monde de paix, d'harmonie et de justice. Est-ce utopique? Certainement, si le monde suit son cours actuel, et certainement pas, si l'on a le désir et les moyens de réaliser cette intime conviction.

Voyons-nous déjà les prémisses de cette victoire sur la violence?

Après tout, le voyage sur la lune était qu'un roman de Jules Verne, et pourtant l'homme l'a réalisé!

Suivons donc l'épopée de ces baha'is. Nous sommes en 1921; les fidèles ne perdent pas courage, la peine des hommes qui gémissent sous le poids de l'angoisse et de la douleur les pousse à redoubler d'effort. Ils ont la certitude que le remède est à portée de main, c'est celui qu'a présenté Baha'u'llah. Pour les adeptes, chaque Manifestation de Dieu représente le médecin qui sait déceler les maladies du monde et donner le remède pour la guérison. C'est pourquoi les baha'is concentrent leurs efforts pour répandre les enseignements du divin médecin et les mettre en pratique. La ferveur de leurs croyances spirituelles et leurs pensées élevées n'ont de valeur à leur yeux que si elles se traduisent en actes.


8.1. Les premières communautés

Le nombre important des fidèles des Etats-Unis, de l'Inde, de la Perse et de la Russie orientale ont permis de mettre en route les premières activités et entreprises du futur Ordre administratif. Les communautés forment avec émotion des conseils élus par des membres représentant toutes les ethnies du pays. C'est une innovation bouleversante: en Inde et en Birmanie, les baha'is, d'origines aussi bien zoroastrienne, musulmane, hindoue (de toutes les castes) que bouddhiste et sikh, se réunissent sur un pied d'égalité. Ces communautés publient des bulletins, des livres, créent des institutions sociales.

A titre d'exemple, un petit village birman, dont la population totale s'élève à 800 personnes, toutes baha'ies, possède une école, un tribunal, un hôpital, ainsi que des terres cultivables au profit de la communauté.

Aux Etats-Unis, la communauté baha'ie considère comme sa responsabilité la plus urgente d'établir l'unité internationale et organise entre autres des réunions, des conférences, des instituts pour favoriser le développement de l'unité et de l'amitié entre les races et les religions.

Les nouvelles ne cessent d'affluer de différentes parties du monde:

A Genève, un Bureau international a été formé en relation avec les activités de la Société des Nations et autres corps internationaux de Genève.

En Egypte, la foi baha'ie est attestée comme étant une nouvelle religion distincte de l'islam en raison de son but et du caractère de ses "lois, principes et croyances".

Dans les Etats des Balkans, la population, se sentant libérée du joug qui pesait sur elle depuis des siècles, s'ouvre jour après jour à une expérience spirituelle dynamique.

Au Japon, les jeunes étant plus satisfaits par les enseignements traditionnels, cherchent ardemment une solution pour les problèmes d'aujourd'hui. Ils viennent à la foi baha'ie en grand nombre, car ils se sentent plus en harmonie avec son message qui est dans l'esprit de notre temps.


8.2. Shoghi Effendi

La naissance, la formation et le développement d'un monde uni se réaliseront sous l'impulsion d'un homme, Shoghi Effendi, qui aura la vision de l'apogée de la race humaine à travers l'avènement de la justice divine et la vision d'un Nouvel Ordre mondial. Il établira successivement des plans et bâtira avec l'enthousiasme et la ferveur des baha'is, les premiers jalons de la future civilisation.

La communauté baha'ie découvre dans son écrin "une perle inestimable", en devenant le témoin de la vie d'un être exceptionnel, Shoghi Effendi, petit-fils d''Abdu'l-Baha.

Shoghi Effendi, né et élevé à Akka, est embrasé par un motif suprême: servir 'Abdu'l-Baha, son grand-père, à qui il voue un amour et une admiration intenses. Afin de le soulager de ses nombreuses tâches, il fait des études à Beyrouth et à Oxford afin acquérir ce qui lui sera bénéfique pour servir la foi.

A âge de 24 ans, lorsqu'il est en Angleterre, il apprend avec effroi le décès d'Abdu'l-Baha. Le jeune homme ébranlé par son chagrin, retourne en Palestine, où la famille réunie ouvre le testament d''Abdu'l-Baha et découvre la tâche grandiose confiée à Shoghi Effendi: 'Abdu'l-Baha désigne son petit-fils pour assumer les hautes fonctions de "Gardien" de la foi baha'ie. C'est ainsi que Shoghi Effendi consacrera sa vie à édifier la structure administrative des communautés baha'ies, en posant les fondations des institutions qui permettront d'établir l'unité et la paix préconisées par Baha'u'llah. Au cours des années, il rédige une série de lettres, assemblées en livres, où il développe le thème de l'ordre mondial de Baha'u'llah:

"Nous nous trouvons au seuil d'un âge dont les convulsions dénoncent à la fois les affres mortelles d'un ordre vieilli et les douleurs d'enfantement d'un Ordre à naître. Sous l'influence fécondante de la Foi annoncée par Baha'u'llah, ce nouvel Ordre mondial peut être regardé comme déjà conçu; nous le sentons à l'heure présente remuer dans le sein d'un âge en travail, âge qui attend l'heure fixée où il sera délivré de son fardeau et donnera son plus beau fruit."
Shoghi Effendi (109)


8.3. Expansion

La foi baha'ie jouit d'un intérêt particulier, car elle présente, dans un temps assez court, le cas de l'expansion universelle d'un mouvement religieux né dans la persécution.

Le développement des communautés baha'ies est basé sur la croyance et l'application des enseignements de Baha'u'llah répandus par chaque fidèle.

Ce processus a débuté dans le cours même de l'histoire du Bab, de Baha'u'llah puis d'Abdu'l-Baha.

Le second aspect de l'expansion est inhérent à son idéologie, puisque la nouvelle foi présente un message d'unité de l'humanité. Elle s'adresse aux femmes et aux hommes de toutes croyances, ethnies, nationalités et couches sociales.

Après le décès d'Abdu'l-Baha, les communautés baha'ies, formées dans trente-cinq pays, commencent, sous l'impulsion de Shoghi Effendi, avec une ferveur toute nouvelle, non seulement à répandre les principes de Baha'u'llah, mais aussi à créer les groupes collégiaux de conseil et de consultation qui soutiennent et unifient la communauté.

L'histoire baha'ie entre dans sa seconde phase, âge de formation. Toute la confiance et l'effort des baha'is se dirigent vers la construction d'un monde de justice et d'amour dont le véhicule est l'ordre administratif.

Les membres des communautés baha'ies de l'Orient et de l'Occident se mettent à l'oeuvre avec l'aide d'un plan de paix et de mise en pratique des principes de la foi.

C'est à cette époque que débute un mouvement croissant de volontaires pour accomplir les plans de paix. Ces adeptes appelés des "pionniers" sont remplis d'amour pour leur cause et de disponibilité humaine. Ils n'ont aucun statut diffèrent des autres croyants, ce sont souvent des familles avec leurs enfants qui, tout en gardant leurs activités professionnelles, quittent leur pays pour s'installer dans un autre territoire où ils porteront le message de Baha'u'llah et réaliseront pratiquement ses enseignements avec les natifs du pays choisi. Leur amour de l'humanité prend une forme concrète.

Les pionniers, malgré leur grande diversité de conceptions, de coutumes et de langues, entreprennent avec une fougue étonnante la création et la consolidation de l'ordre administratif à travers le monde. De même, les baha'is de chaque pays commencent l'oeuvre commune qui consiste tout d'abord à construire systématiquement les groupes collégiaux au niveau local puis national: former des "Assemblées spirituelles locales" dans chaque localité comptant au moins neuf adultes baha'is puis former des "Assembles spirituelles nationales" dans les pays où les communautés locales comprennent un nombre suffisant de fidèles.

Ainsi, le profil d'une société baha'ie internationale prend forme partout dans les différents coins du monde.

Des personnes humbles ou influentes deviennent baha'ies et apportent leur témoignage, leur action et leur contribution. Les nouvelles arrivent; en Roumanie, la reine Marie devient baha'ie; en Irlande, George Townshend, le chanoine de la cathédrale de Dublin; dans les pays de l'Est Lydia Zamenhof, la fille du créateur de l'espéranto; au Etats-Unis, la fille du président Wilson. Chacun se passe le flambeau:

"O mes amis qui habitez la terre! Hâtez-vous vers votre habitation céleste. Annoncez-vous les uns aux autres la joyeuse nouvelle: "Il est venu Celui qui est le Bien-Aimé. Couronné de la gloire de la révélation de Dieu, il a ouvert à la face des hommes les portes de son antique paradis!" Que tous les yeux se réjouissent, que toutes les oreilles soient dans l'allégresse, car le temps est venu de contempler sa beauté et d'entendre sa voix ...O amants de sa beauté, que l'angoisse de la séparation fasse place à la joie de l'éternelle réunion, et que la douceur de sa présence dissipe l'amertume de l'éloignement de sa cour!..."
Baha'u'llah (110)

Ecoutons le témoignage de l'une de ces personnalités. La reine Marie de Roumanie.

De ses lettres ouvertes de 1926, le 4 mai et le 28 septembre dans le "Toronto Daily Star" et le 27 septembre dans l'"Evening Bulletin" de Philadelphie, voici quelque extraits: "Une dame m'a apporté l'autre jour un Livre. Je l'écris avec une majuscule car c'est un Livre glorieux d'amour et de bonté, de force et de beauté... Je vous le recommande à tous. Si jamais votre attention est attirée par le nom de Baha'u'llah ou d'Abdu'l-Baha, n'écartez pas de vous leurs écrits. Recherchez leurs livres et laissez leurs glorieuses paroles et leçons pénétrer votre coeur comme elles ont pénètré le mien. Il peut sembler que notre journée chargée soit trop pleine pour la religion. Ou encore, on peut avoir une religion qui vous satisfait. Mais les enseignements de ces hommes nobles, sages et bons, sont compatibles avec toutes les religions et aucune religion. Recherchez-les et soyez plus heureux." Et une lettre de sa correspondance avec Shoghi Effendi:

Bran, le 27 août 1926
Cher Monsieur,

J'ai été profondément émue à la réception de votre lettre.

En réalité, une grande lumière est venue à moi avec les messages de Baha'u'llah et d'Abdu'l-Baha. Elle est venue, comme viennent tous les grands messages, à une heure de douleur cruelle, de conflit intérieur et de détresse, aussi la semence est-elle profondément enfouie.
Ma plus jeune fille trouve également une grande force de réconfort dans les enseignements des bien-aimés maîtres.

Nous transmettons le message de bouche à oreille et tous ceux à qui nous le donnons voient soudain une lumière briller devant eux et la plupart des choses qui étaient obscures et embarrassantes deviennent simples, lumineuses et pleines d'espérance comme jamais auparavant.

Que ma lettre ouverte ait été un baume pour ceux qui souffrent pour la Cause, c'est réellement un grand bonheur pour moi et je le considère comme un signe que Dieu a accepté mon humble hommage.

L'occasion qui était donnée de pouvoir m'exprimer publiquement était également son oeuvre, car c'était en réalité une chaîne de circonstances dont chaque anneau m'amena inconsciemment un peu plus loin jusqu'au moment où soudain tout a été clair devant mes yeux et j'en ai compris la raison d'être.

Ainsi nous conduit-il finalement vers notre ultime destinée.

Quelques-uns de ceux de ma caste s'étonnent et désapprouvent mon courage de franchir le pas en prononçant des paroles que les têtes couronnées n'ont pas l'habitude de prononcer, mais j'avance, poussée par une force à laquelle je ne peux résister.

La tête courbée, je reconnais que moi aussi je ne suis qu'un instrument dans des Mains plus puissantes et je me réjouis de le reconnaître.

Peu à peu le voile se lève, la douleur l'a déchiré en deux. Et la douleur me conduit toujours plus près de la vérité; je ne me plains donc pas de la douleur!

Soyez bénis et soutenus, vous et ceux qui sont sous votre direction, par la force sacrée de ceux qui sont partis avant vous."
Marie (111)

Sur la scène internationale, la frêle paix de 1919 commence à vaciller et l'Europe glisse dans le chaos. De nombreuses nations se jettent dans une dévastatrice guerre mondiale qui déréglera l'équilibre de la société jusqu'à ses racines.

Les baha'is sont accablés par la souffrance des hommes. La majorité des hommes ont refusé de prêter l'oreille à l'appel de Baha'u'llah.

Pourtant, il n'y à aucune amertume, aucune désillusion chez les baha'is, leur certitude demeure inébranlable et leur conviction restent inchangées.

La croyance en les figures centrales de la foi, la fascination qu'ils suscitent, leurs solutions aux problèmes d'aujourd'hui et l'exemple dynamique du nouveau monde baha'i, toujours en croissance, constituent leurs sources d'encouragement. Le coeur et l'intellect sont encore une fois réunis. Ils continuent de bâtir inlassablement les fondations de l'unité de l'humanité.


8.4. L'unité, une utopie ?

Chacun dira qu'il a existé déjà des essais pour s'unir, mais qu'en reste-t-il...

Napoléon tenta par la méthode militaire d'établir l'union des nations européennes en une fédération d'Etats. Pourtant, ces guerres ne firent qu'enliser les pays d'Europe qui furent obligés de trouver une deuxième tentative.

Ce fut l'Alliance des grandes puissances ou la Sainte-Alliance à l'intérieur de laquelle l'Angleterre, la Russie, l'Autriche et la Prusse s'unirent afin de garder les nations en accord. Cet essai échoua aussi, car ces puissances ne tinrent pas compte des aspirations des peuples. C'est ainsi que la Belgique se vit donnée aux Hollandais, la Finlande aux Russes, la Norvège aux Suédois etc. Cette distribution arbitraire ne put que provoquer des luttes pour l'indépendance, des poussées révolutionnaires et l'échec de la Sainte-Alliance, suivi de troubles politiques, économiques et sociaux. Ces confusions extrêmes aboutirent fatalement à la Première Guerre mondiale.

La guerre fut le premier avertissement démontrant qu'à notre ère, la sincérité dans l'union des peuples devenait une nécessité. C'est alors qu'il se créa une autre tentative pour s'unir: la formation de la Société des Nations. Ce premier organisme international devint l'espoir de tous, pourtant il échoua aussi à cause du manque de maturité du traité de paix qui demandait trop de réparations aux pays vaincus. L'esprit de vengeance se préparait. La Deuxième Guerre mondiale éclata.

Ce fut le second avertissement en accentuant la nécessité vitale de l'union des nations. C'est alors qu'une dernière tentative naquit avec la création de l'Organisation des Nations Unies. Bien que les efforts de cette organisation mondiale en vue d'établir ou de préserver la paix soient fort louables, il est triste de constater qu'il n'existe pas d'union sincère entre les membres de cette organisation, car chacun place intérêt de sa nation au-dessus de celui de la planète entière. Les guerres localisées continuent et risquent de mener à une troisième guerre mondiale.

Différents moyens ont donc été utilisés sans parvenir à l'unité. Pourtant conscients des difficultés et des faiblesses humaines, les baha'is sont certains que seul l'ordre mondial de Baha'u'llah peut dégager la force nécessaire pour unir les peuples.

L'histoire religieuse relate que la force de la Révélation du Christ a pu unir deux camps aussi opposés que celui des chrétiens et celui des Romains. Pourquoi cette union s'est-elle effectuée? Quel courant réussit à traverser l'esprit du citoyen civilisé de César pour qu'il soit attiré comme un aimant par le camp des adeptes du Christ? L'histoire ne répond pas. On sait seulement que l'esprit du Romain fut aimanté par le Christ.

La science décrit un phénomène du même ordre dans le domaine matériel: en faisant traverser un fil en spirale par le courant électrique, ce fil se transforme en aimant. On ne peut que constater cette aimantation sans expliquer le pourquoi. Ce n'est pas un miracle, mais la conséquence d'une loi de la matière.

La foi baha'ie enseigne qu'il en est de même dans le domaine spirituel: en faisant traverser l'esprit humain par le courant spirituel dégagé de la Révélation divine, cet esprit humain se transforme en un aimant, conséquence de la loi spirituelle.

Or, les baha'is sont convaincus qu'à notre époque, pour parvenir à l'unité de l'humanité ou à une aimantation, il faut comme par le passé, mais cette fois à l'échelle mondiale, que les esprits des hommes soient traversés par le courant spirituel dégagé par la Révélation actuelle qui est celle de Baha'u'llah. Toutefois, la croyance seule ne suffit plus, il faut que cette Révélation se manifeste dans un corps qui est appelé l'ordre mondial de Baha'u'llah dont le noyau est l'ordre administratif. A l'intérieur de ce système, l'action doit succéder à la croyance. Il ne suffit plus de sauver son âme par la foi mais il faut sauver l'humanité par l'action:

"Qu'il n'y ait point de malentendu. Le principe de l'unité de l'humanité - pivot autour duquel gravitent tous les enseignements de Baha'u'llah - n'est pas une simple manifestation de soudaine sentimentalité ignorante ou l'expression d'un espoir vague et pieux; son appel ne doit pas simplement être identifié avec un réveil de l'esprit de fraternité et de bonne volonté parmi les hommes; il ne vise pas uniquement non plus à entretenir une harmonieuse coopération entre des peuples et des nations autonomes. Ce qu'il renferme est plus profond; et ses aspirations sont plus grandes qu'aucune de celles que les Prophètes du passé furent autorisés à formuler. Son message ne s'adresse pas seulement à l'individu; il concerne avant tout la nature des rapports essentiels qui doivent relier entre eux les Etats et nations, en tant que membres d'une seule famille humaine. Il n'est pas simplement l'énoncé d'un idéal; il est intimement associé à une institution propre à incarner sa vérité, à démontrer sa validité, et à perpétuer son influence. Il exige dans la structure de la société d'aujourd'hui une modification organique, un revirement, tel que le monde n'en a jamais encore expérimenté de semblable. Il constitue un défi à la fois audacieux et universel aux doctrines désuètes des croyances nationalistes - croyances qui ont eu leur temps et qui, dans le cours normal des événements pour ainsi dire préparés et contrôlés par la Providence, doivent ouvrir la porte à une nouvelle éthique foncièrement différente et infiniment supérieure à ce que, jusqu'ici, il a été donné au monde de concevoir..."
Shoghi Effendi (112)

Les nouvelles continuent d'arriver, annonçant la venue dans la foi de nouveaux représentants de races, d'ethnies et de tribus différentes.


8.5. Indiens de Bolivie

Dans un petit village traditionnel de Bolivie, à 3000 mètres d'altitude, dans un environnement naturel hostile, s'est formée une communauté baha'ie.

Les habitants sont d'humbles "campesinos" indiens. Ils vivent des produits de leur agriculture qui se limite surtout à la pomme de terre, parfois au blé et au maïs.

Ils mènent une vie pénible, éloignée de tout, et se contentent de rares visites aux centres ruraux.

Ils deviennent baha'is, car ils ont la conviction que le Bab et Baha'u'llah ont accompli les prophéties indiennes. Leur croyance en Baha'u'llah et la participation à la vie active baha'ie leur donnent une émulation pour développer leur personnalité, le respect de soi et de la culture indienne. Pour eux, tout a changé: depuis la conquête espagnole, ils étaient considéré comme des êtres inférieurs, tandis que, dans la communauté mondiale baha'ie, ils sont appelés à jouer un rôle important à travers l'ordre administratif et sont appréciés par leur valeurs spirituelles et leur détachement. Ils sont un exemple pour tous. Les "campesinos" deviennent ainsi les citoyens du monde avant même d'être entièrement acceptés par les citoyens de leur propre pays.

Selon le principe de l'éducation universelle, de jeunes Indiens baha'is qui ont été instruits en ville retournent au village et se consacrent à l'éducation des enfants. Le développement de l'instruction renforce la toute fraîche confiance en soi. Dorénavant, plus aucun préjugé rencontré dans les villes ne pourra altérer leur nouvel espoir.

Ainsi, cette communauté baha'ie d'Amérique du Sud illustre, parmi tant d'autres, l'expansion de la foi à travers les cinq continents.


8.6. Diversité des voies

La foi baha'ie touche non seulement des peuples différents mais des êtres totalement différents. Les baha'is ne proviennent pas d'un milieu spécifique ou prédisposé. Ils sont aussi bien de famille ouvrière, intellectuelle, artiste, paysanne ou autre. Que ce soit l'un des plus grands peintres modernes américains Mark Tobey, le groupe pop en vogue Seals and Crofts, le célèbre islamologue et orientaliste le Professeur Alessandro Bausani, le fameux jazziste Dizzy Gillespie, le renommé écologiste Saint Barbe Baker "The Man of the Trees" ou le simple citoyen, ils sont tous de fervents disciples de Baha'u'llah.

Pourquoi des êtres si divers sont-ils devenus baha'is?

Chacun provient d'un chemin dont l'expérience est toute personnelle et ne ressemble à aucune autre.

Cela étant dit, il existe néanmoins différentes grandes voies par lesquelles les sympathisants de la foi baha'ie sont parvenus au même but: par l'inspiration ou l'intuition, par la théologie, par la raison et par l'expérience. Pour certains, l'une des méthodes leur suffit, pour d'autres le complément de chacune.

On ne saurait lire les écrits de Baha'u'llah, sans ressentir un éveil, un écho. A travers la beauté de sa vie et de ses paroles, la Manifestation de Dieu porte en elle la preuve de son authenticité. Cette irradiation provoque chez de nombreux êtres un "signe" qu'ils sont les seuls à distinguer sur leur chemin mystique, signe qui au-delà des sens devient une conviction.

Par la recherche personnelle et indépendante de la vérité et l'investigation approfondie des prophéties religieuses, les croyants chrétiens découvrent en Baha'u'llah l'accomplissement des promesses du Christ:

"J'ai encore beaucoup de choses à vous dire mais maintenant elles sont au-dessus de votre portée; quand Lui sera venu, l'Esprit de Vérité, Il vous conduira dans toute la Vérité"
Le Christ (113)

Pour les esprits rationnels, aussi bien des athées, des agnostiques que des croyants, les enseignements de Baha'u'llah, notamment ceux concernant l'existence de Dieu, de la Révélation progressive des religions ou des réponses adéquates aux besoins urgents de notre temps, ont une telle logique qu'ils séduisent et convainquent même les plus sceptiques et les plus critiques d'entre eux.

Et enfin, nombreux sont ceux qui sont attirés vers la foi baha'ie lorsqu'ils constatent une transformation du "moi". En démontrant son pouvoir de transformation de la vie intérieure et de la vie collective, la foi nouvelle contribue à convaincre de sa véracité:

"L'objet de toute Révélation n'est-il pas de susciter une transformation dans le comportement de l'humanité, transformation qui se manifestera elle-même tant extérieurement qu'intérieurement; qui affectera simultanément sa vie intime et ses modes extérieurs d'existence? Car, si le caractère de l'humanité ne pouvait subir de changement cela signifierait la futilité de la Manifestation universelle de Dieu."
Baha'u'llah (114)

Il existe aussi de nombreux convertis qui n'ont pas eu besoin de preuves mais ont découvert une dimension nouvelle dans cette foi telle qu'une sérénité intérieure, le but de l'existence, un art de vivre à l'intérieur du noyau familial, professionnel ou en relation avec tout être.

Quels que soient les preuves ou les attraits, pour devenir baha'i, il n'y a pas de rite ni d'initiation, mais la croyance en Dieu, en sa dernière Manifestation, Baha'u'llah, et un engagement tout intérieur de suivre ses enseignements.


8.7. Pourquoi suis-je devenue baha'ie?

Ma croyance en l'existence de Dieu est enracinée en moi depuis aussi longtemps que je puisse m'en souvenir. J'ai été élevée dans les religions catholique et baha'ie et j'ai grandi dans un milieu multireligieux ou se côtoyaient les fois islamique, protestante, juive et zoroastrienne. Dans ce contexte, qui possède le critère de vérité? Pour chaque croyant sincère, son livre est la vérité et les autres... Pourquoi suivrai-je telle religion plutôt qu'une autre? Parce que mes parents ont déjà été élevés ainsi? L'argument est faible.

J'étais arrivée à penser que soit tout est faux, il n'existe pas de Dieu et par conséquent l'interprétation spirituelle des religions est erronée, soit l'existence de Dieu est une réalité et la présence de ces différentes religions en est l'émanation. Chacune a une raison d'être, une vérité et correspond à une étape significative de l'histoire dont le lien parait évident. C'est en fait ce que j'ai aimé en Baha'u'llah: cette vision universelle des religions, une unité à l'intérieur de laquelle les conflits religieux disparaissent.

La société actuelle a tendance à voir dans la notion de la Divinité une légende non adaptable à notre monde scientifique du vingtième siècle. Tandis que ce que j'ai appris de Baha'u'llah, c'est l'explication raisonnée et logique de la conception de la Divinité qui ne se pose pas comme postulat mais fait corps avec l'univers scientifique qui nous entoure.

Ce que j'ai réalisé dans la foi baha'ie, c'est qu'en plus de la dévotion et du mysticisme, il faut ajouter l'action dans le service à l'humanité et le développement du potentiel enfoui en soi pour le bien-être des autres, ce tout formant l'équilibre qui permet de vivre harmonieusement.

Ce qui m'a séduite et que j'ai trouvé de particulier dans la foi baha'ie, c'est que, pour la première fois dans l'histoire, une religion a apporté un Ordre mondial dont le noyau, l'ordre administratif, est le moyen offert pour parvenir à un monde uni.

Baha'u'llah a non seulement comme toutes les Manifestations de Dieu rallumé dans le coeur des hommes le flambeau de la croyance et de la spiritualité, mais aussi a apporté les outils pratiques avec lesquels l'unité n'est plus un voeu vague et pieux mais une réalité présente, exaltante et mise sur pied par des millions d'êtres.

Ce que j'ai aimé en Baha'u'llah, c'est le regard de tendresse, de délicatesse, d'amour pour toute la race humaine. Dans la société cynique qui nous entoure, cette beauté réchauffe le coeur et devient une source d'inspiration. La notion d'aimer son prochain, apportée par le Christ, mais hélas oubliée par tant de nos contemporains, est vécue sans hypocrisie par la communauté mondiale baha'ie.

Ce qui m'a convaincue en Baha'u'llah, c'est l'exemple de sa personnalité, de sa vie, de son rayonnement et de ses écrits qui sont conformes à la plus haute valeur morale, au degré le plus sublime du mysticisme alliés à la logique et à l'esprit scientifique.

Ce qui m'a confirmée dans la foi baha'ie, ce sont mes études de sociologie et d'ethnologie à Paris et notamment mes recherches pour l'obtention du doctorat car, parmi la profusion d'idéologies et écoles de pensées, je trouvai la vision globale de Baha'u'llah à travers les éléments épars étudiés en profondeur par les sciences humaines.


8.8. Réconfort

Aujourd'hui, pendant que j'écris ces dernières lignes de mon livre, les images de l'assassinat de mon père se déroulent à nouveau devant mes yeux. La douleur et le chagrin de ceux qui restent sur cette terre proviennent de la séparation brutale d'un être chèrement aimé. Mais ma foi n'aurait pas été complète si, dans ces moments de détresse, elle ne m'avait pas donné les outils nécessaires pour faire face à cet événement ainsi que la consolation, le réconfort et la force d'âme que j'ai puises dans les saintes écritures baha'ies.

Les principes spirituels nous enseignent que l'âme et l'esprit de l'homme progressent lorsqu'il est mis à l'épreuve de la souffrance. Depuis le martyre de mon père, j'emploie mon chagrin à renforcer mes idéaux de fraternité universelle.

Ce drame me fut aussi une révélation:

Dès l'instant où l'on nous annonce l'épouvantable nouvelle, ma famille et moi-même fumes submergées par un flot de réconfort, d'espoir, d'amour, venant des quatre coins du monde, exprimés par lettres, par télégrammes, en vers, de vive voix, par téléphone, lors des commémorations, c'étaient des sentiments que les amis baha'is, comme nos amis de toutes convictions, voulaient nous transmettre. En même temps, c'était comme tout l'amour que mon père avait pour nous dans son coeur et qu'il nous faisait parvenir pour apaiser notre peine. Dès ce moment, j'ai ressenti ce que pouvait dégager la force de l'amour, et à quel point chaque être en à besoin pour suivre sa route.

Pour certains, la mort est l'anéantissement complet, mais pour le croyant, c'est l'aube de la vie éternelle.

'Abdu'l-Baha dit:

"La mort offre à tout croyant une coupe qui en vérité est la vie. Elle donne la joie et est porteuse d'allégresse. Elle confère le don de la vie éternelle." (115)

"Pourquoi être triste et avoir le coeur brisé ? Cette séparation est temporaire; cet éloignement et ce chagrin sont comptés en jours seulement. Tu le trouveras dans le Royaume de Dieu et tu atteindras l'union éternelle. L'association physique est éphémère mais l'union céleste est éternelle. Chaque fois que tu te souviendras de l'union éternelle et sans fin, tu seras réconforté". (116)

Et Baha'u'llah s'écrie:

"O fils de L'Etre suprême !
De la mort, j'ai fait pour toi une messagère de joie. Alors pourquoi t'affliges-tu? J'ai fait la lumière pour qu'elle t'illumine de sa splendeur. Pourquoi te voiles-tu devant elle?" (117)

Selon la foi baha'ie, la vie de l'homme sur cette terre ne représente qu'une phase de l'évolution perpétuelle de l'âme, l'âme humaine étant l'essence même de l'homme, et le corps, le réceptacle provisoire. Au cours de ce voyage qui débute par la vie intra-utérine, le destin de l'âme est de passer à travers les différentes conditions de l'existence afin d'acquérir les qualités spirituelles et de s'ouvrir à l'éternité.

Notre passage terrestre par rapport au monde de l'au-delà est comme celui du foetus dans le sein de sa mère où les différentes parties de son corps lui serviront une fois qu'il sera né.

De même, le développement des qualités spirituelles et morales sera indispensable à l'individu pour son évolution dans le monde divin qui est un monde de spiritualité, de sainteté et de rayonnement.

En fait par nos actions, nous forgeons notre âme; au seuil de la mort, notre âme est le résultat de notre comportement et prend son essor dans la vie éternelle, tel l'oiseau qui trouve sa liberté une fois sa cage brisée.

Les écrits baha'is enseignent que dans la vie toute chose change, parfois lentement, parfois rapidement, et nous ne remarquons pas les changements graduels. La mort est aussi un changement, mais un changement brusque. Cette soudaineté nous est un grand choc et nous remplit de chagrin. Cependant ce changement d'état, passage d'un état matériel - spirituel vers un état purement spirituel, est comparé au transfert d'un buisson d'un endroit étroit à un plus vaste emplacement, ce changement permettant à la plante de mieux croître. De même l'âme libérée de son corps, tout comme la naissance, s'ouvre à une vie nouvelle.

Dans la conception baha'ie, le rayonnement des martyrs et des âmes saintes n'influe pas uniquement sur leurs saluts personnels mais ce rayonnement est aussi le levain pour l'union de notre monde terrestre. Ils se sont sacrifiés pour le bonheur et le salut de l'humanité. Leur sang irrigue le nouvel Ordre mondial.


8.9. Quelques documents

"N'arrêtez pas vos efforts, répandez ces principes d'humanité sans attendre les diplomates. Les diplomates seuls ne peuvent apporter la paix; cependant, c'est une bonne chose que les hommes politiques commencent à évoquer ces principes de paix universelle. Présentez ces principes aux diplomates, enseignez-les dans les universités, les lycées et les écoles et développez-les par écrit. C'est le peuple qui instaurera la paix universelle."
Président Masaryk de Tchécoslovaquie (au cours d'un entretien avec un journaliste américain baha'i, à Prague, en 1928) (118)

"Nul ne peut prévoir l'évolution du mouvement baha'i. Cependant, il n'est pas exagéré d'affirmer que le programme qu'il propose est le plus beau fruit qu'aient apporté les religions d'Asie."
H. A. Miller (119)

"La philosophie de Baha'u'llah mérite la plus haute considération. Je vous renvoie le livre pour que d'autres aveugles - qui auraient plus de temps libre que moi - puissent profiter de ce "rayon divin" et que leurs coeurs puissent être "inondés de la lumière de l'amour éternel".
Je profile de cette occasion pour vous remercier de votre aimable attention et pour l'inspiration que même une lecture superficielle sur la vie de Baha'u'llah ne peut manquer d'apporter. Est-il une cause plus noble que celle du "bien du monde et du bonheur des nations" à laquelle on puisse consacrer sa vie? Le message de la paix prévaudra sûrement. Il est vain de vouloir se liguer et conspirer contre une idée qui a en elle le pouvoir de créer une nouvelle terre et de nouveaux cieux, et d'embellir les êtres humains d'une sainte passion pour le service."
H. Keller (120)

"Le message de la foi baha'ie est la consolation de l'humanité."
M. Gandhi (121)


9. Un monde en marche

Un vent de panique souffle sur la terre. La crainte d'une guerre atomique semble envahir les esprits. Nous vivons dans un monde où nous pouvons être tous carbonisés d'une minute à l'autre. Nous vivons une époque marquée de grandes déceptions, de guerres interminables, de terrorisme, d'assassinats collectifs. La répression contre les baha'is d'Iran est la conséquence pure et simple du fléau qui ravage notre monde: la haine.

C'est cette haine qui a massacré dans les temps présents des millions de Juifs, d'Arméniens, de Cambodgiens. C'est cette haine qui a provoqué des drames et des razzias dans différentes parties du globe, quelle qu'en soit la motivation ou la justification. C'est cette haine idéologique qui divise notre monde en bloc et sans oublier d'une manière plus imperceptible cette haine de la solidarité humaine qui laisse mourir de faim des millions d'êtres humains.

Nous vivons au siècle des contradictions tragiques: Dans certains pays, on jette des récoltes à la mer, on subventionne largement des fermiers pour qu'ils diminuent leur production, tandis qu'au même moment la majorité de l'humanité est sous-alimentée et des dizaines de millions d'êtres humains meurent de faim chaque année. Dans son abondance, une petite partie du monde est totalement désemparée si elle doit économiser un peu d'énergie, tandis que la grande partie du monde a appris à survivre en s'adaptant à sa misère.

On consacre des budgets très élevés dans la recherche pour l'amélioration de la santé publique, tandis qu'au même moment l'eau, l'air et la mer sont constamment pollués.

Un Nobel invente la dynamite, un Einstein découvre la puissance destructrice de l'atome, tandis que le même Nobel laisse une immense fortune pour récompenser les efforts de ceux qui oeuvrent pour la paix et, jusqu'à la dernière heure de sa vie, Einstein ne cesse de parler de la nécessité absolue d'établir la paix afin que l'humanité ne périsse pas. Pour obtenir la paix, on continue de dépenser des sommes très importantes, de déployer de nobles paroles, écrire des ouvrages volumineux, tandis qu'au même moment on fournit des armes aux deux parties belligérantes et on dédie à la guerre une large part des richesses.

Les hommes poussent de plus en plus loin les recherches dans le progrès de la science. Ils ont réussi à marcher sur la lune, ils ont capté un rayon provenant d'Arctus pour illuminer l'inauguration d'une foire mondiale, mais ils se sentent incapables lorsqu'il s'agit d'améliorer la nature humaine, de chercher les moyens pour parvenir à un monde équilibré et de combattre les fléaux de notre siècle.

Conscients des réalités de notre monde, les baha'is, pleins d'entrain, parfois inférieurs à leur tâche, contribuent à l'édification d'une civilisation universelle, voici un monde en marche se levant à l'appel de Baha'u'llah.


9.1. L'ordre administratif

Pour créer l'unité de l'humanité, les bonnes pensées, les idéaux ne suffisent pas. Baha'u'llah a prévu l'instrument pour sa réalisation. Cet instrument, unique dans l'histoire des religions, est l'ordre administratif. Tous les principes, les lois et les recommandations de la foi baha'ie vont prendre forme, puis s'épanouir grâce à ce moyen.

A travers l'ordre administratif, chacun s'ouvre à une participation universelle, en s'entraînant à la mise en marche des enseignements de Baha'u'llah et par voie de conséquence à l'acquisition d'une conscience universelle. Pour les baha'is, on parvient à construire la paix mondiale par une conscience universelle et par une participation active à cette vie sociale planétaire.

Au coeur de cette ossature, existent, d'une part, les institutions "élues" au niveau local, national et mondial qui fonctionnent d'après les principes démocratiques et fédéralistes et, d'autre part, les institutions de "Conseils" dont les membres sont nommés et veillent au développement spirituel des communautés. Toutes deux cherchent à atteindre les objectifs de la foi baha'ie et à assurer sa propagation et sa protection.

Les fidèles tiennent à ces institutions, car ils ont la conviction que la paix dépendra de leurs créations. Après les enseignements baha'is, la "Moindre Paix" découlera d'un équilibre précaire entre les nations, puis la "Plus Grande Paix" reposera sur la loi divine et résultera des institutions universelles destinées à gérer la communauté des nations. Les baha'is considèrent l'ordre administratif non seulement comme le noyau, mais encore comme le modèle du Nouvel Ordre mondial préconisé par Baha'u'llah.

Pour les baha'is, la vie religieuse ou spirituelle n'est pas séparée de la vie active ou matérielle. Selon cette conception, le spirituel est le lien entre la source divine et l'homme. Ils créent ce lien non seulement en priant, en méditant, en étudiant les écrits saints mais aussi en servant activement Humanité. Le spirituel doit s'exprimer dans le coeur, les pensées et les actions de l'homme.

On considère souvent les domaines du spirituel et du matériel comme séparés, tandis que cet "ordre" apporte l'illustration frappante de la réunion de ces deux domaines. Ce lien anime les activités des institutions, donne une dimension nouvelle à cette forme d'organisation et joue un rôle décisif dans l'harmonie des relations entre baha'is.

De plus, les adeptes croient dans le but divin de cet instrument puisqu'il a été prévu par Baha'u'llah. C'est pourquoi ils sont convaincus qu'en créant ces groupes tant collégiaux et consultatifs que spirituels, ils infusent un sens spirituel dans la vie sociale.


9.2. Les institutions

La construction du modèle d'unité commence au niveau local puis au niveau national par la formation d'assemblées:

L'Assemblée spirituelle locale est le groupe élu dans chaque localité où vivent au moins neuf baha'is adultes. Tous les fidèles de la communauté locale votent pour neuf membres de l'Assemblée qui est réélue une fois par an le 21 avril, jour de la "Déclaration de Baha'u'llah".

L'Assemblée spirituelle nationale est l'autorité au niveau national. Ce corps est élu indirectement par tous les fidèles adultes de chaque pays. Tous les baha'is du pays élisent chaque année leurs délégués qui élisent à leur tour les neuf membres de l'Assemblée spirituelle nationale.

A travers ces institutions se coordonnent les activités baha'ies au niveau local, puis national, de chaque pays.

Les Assemblées se caractérisent par le fait qu'il n'existe pas de concentration d'autorité entre les mains de quelques-uns, pas de lutte pour le pouvoir, pas d'influence d'intérêts personnels, ou de suprématie nationale ou raciale.

Aucun individu faisant partie de ces institutions, ni aucune personnalité n'ont un statut diffèrent des autres fidèles. L'autorité est confiée uniquement aux corps élus. Le fonctionnement de l'ordre administratif se déroule selon les lois fixées par Baha'u'llah. L'élection à chaque niveau s'effectue sans candidatures, sans campagne, sans influencer les opinions, mais dans une atmosphère de "détachement", de "prière" et de "réflexion".

Dans l'élection, l'importance est accordée en fonction des valeurs spirituelles et morales des individus et non en fonction d'autres critères qui feraient naître des associations exclusives de technocrates, d'intellectuels ou de financiers. Dans le cas d'un ballottage, on choisit la personne appartenant à la minorité de race, de nationalité, de classe, par rapport à la majorité des personnes présentes.

Puisqu'à l'intérieur de cet "ordre" il n'existe ni clergé, ni culte, ni sacrement, il ne peut s'agir d'une hiérarchie sacerdotale. Les membres de ces institutions ne sont pas des professionnels et ne sont pas rémunérés, mais, tout en continuant leur vie active, acceptent leurs fonctions comme un service rendu à leurs communautés.

Les deux conditions requises pour les membres de l'assemblée sont ainsi décrites par Abdu'l-Baha:

"La première condition est l'amour absolu et l'harmonie parmi les membres de l'Assemblée... La deuxième condition: ils doivent, lorsqu'ils se réunissent, tourner leur visage vers le Royaume d'en haut et demander l'aide du domaine de Gloire." (122)

Les Assemblées sont principalement influencées par état d'esprit de "service" et de coopération, dans lequel doivent se dérouler les séances. Les membres prennent conseil ensemble, invitent les baha'is de la localité à proposer leurs idées et familiarisent les fidèles avec les activités de l'Assemblée.

En réponse à cette ouverture, les fidèles font également confiance à leur Assemblée et se tournent vers elle s'ils ont besoin d'aide et de conseil. Cependant, le sujet principal des séances de l'Assemblée reste les affaires spirituelles ayant rapport aux intérêts de tous.

C'est par l'impulsion des Assemblées que les baha'is développent des organismes à but humanitaire, tels que des hôpitaux, des maisons de retraite et des organismes éducatifs comme les écoles primaires et secondaires, dont on compte 133 dans le monde. Les écoles baha'ies de l'Inde sont particulièrement renommées.

Toutes les Assemblées spirituelles nationales jouissent de la même importance; de même toutes les Assemblées spirituelles locales sont égales entre elles et coopèrent pour établir les principes de Baha'u'llah.

Parallèlement à ces institutions administratives élues, il existe l'institution de "Conseils" au niveau mondial, continental, national et local. Les membres sont nommés par l'échelon supérieur et n'ont aucune autorité administrative ou législative. Ils ont un rôle de "conseiller" et d'"animateur" aussi bien auprès des institutions élues qu'auprès des individus. Les deux types d'institutions, celles où les membres sont élus et celles où les membres sont nommés, ont des fonctions distinctes et complémentaires et forment les deux piliers de l'ordre administratif de Baha'u'llah couronnés par la Maison Universelle de Justice.

Lors d'un voyage effectué il y a quelque temps en Afrique avec mon mari, en rencontrant les différentes Assemblées spirituelles locales baha'ies de ces régions, j'ai constaté que le meilleur moyen de contribuer à la réalisation de la paix est effectivement la formation des Assemblées. Celles-ci démontrent que l'entente et la collaboration entre hommes et femmes de cultures totalement différentes sont réalisables et non utopiques. Ces Assemblées au coeur des villages africains comme en Europe, en Australie, en Océane, en Asie, en Amérique sont toutes liées par les mêmes principes.

Loin d'instaurer une uniformité monotone, ces institutions démontrent que l'unité dans la diversité, dans le respect de chaque peuple, de chaque culture est une réalité vécue reflétant la charpente d'une ère nouvelle.


9.3. La Maison Universelle de Justice

Baha'u'llah avait ordonné dans ses écrits pour l'avenir une institution nommée la "Maison Universelle de Justice" qui deviendrait l'organisme suprême du monde baha'i.

Shoghi Effendi n'ayant pas nommé de successeur, il mandate les membres de l'institution de "Conseil", les "Mains de la Cause de Dieu", pour assurer la direction de la foi jusqu'à l'élection de la Maison Universelle de Justice. Six ans après le décès du Gardien, les "Mains de la Cause de Dieu" décident que la Maison Universelle de Justice peut être élue.

Le 21 avril 1963, les membres des 56 Assemblées spirituelles nationales existantes élisent pour la première fois dans l'histoire les neuf membres de la Maison Universelle de Justice.

Depuis lors, cet organisme suprême assume la direction de la foi et possède les pouvoirs législatifs sur les sujets qui ne sont pas expressément révélés dans les saintes écritures baha'ies. L'élection de ses membres est assumée tous les cinq ans par les membres des Assemblées spirituelles nationales.

Pour les baha'is, la Maison Universelle de Justice revêt une très grande importance, car c'est la seule autorité infaillible, selon Baha'u'llah. C'est par elle que tout problème difficile est résolu, et c'est à elle que l'on se réfère pour tout ce qui n'est pas explicite dans les textes saints. La première et la plus importante tâche de la Maison Universelle de Justice est de promouvoir les principes spirituels de la "Plus Grande Paix" et de l'éducation universelle. Pour atteindre ces buts elle est assistée par le monde baha'i.

Le site de la Maison Universelle de Justice se trouve en Terre sainte (Haifa, Israël), près du Mausolée du Bab et d'Abdu'l-Baha et du bâtiment des "Archives Internationales", ou sont déposés les originaux des écrits baha'is ainsi que des objets historiques. D'autres lieux saints sont situés non loin d'Akka dont principalement le Tombeau de Baha'u'llah et le manoir de Bahji.


9.4. La fête des 19 jours

A la base du système de l'ordre administratif se trouvent les communautés qui suivent le rythme d'un nouveau calendrier, celui du Bab, qui a débuté en 1844, année de sa déclaration. Il s'agit d'un calendrier solaire qui compte 19 mois de 19 jours plus quatre ou cinq jours intercalaires. Chaque baha'i participe tous les premiers jours du mois dans sa localité à une réunion appelée la "fête des 19 jours".

Cette réunion constitue la principale liaison à travers laquelle la communauté locale, comme d'ailleurs chaque individu, peut communiquer avec les institutions élues.

La fête des 19 jours se compose de trois parties: la première est essentiellement de nature dévotionnelle et spirituelle avec lecture de prières et de textes sacrés; la seconde est une consultation générale sur tous les sujets, particulièrement sur ceux concernant la communauté baha'ie. Par intermédiaire de cette réunion, les institutions partagent leurs intentions et leurs décisions avec les communautés respectives. De même, chaque individu à le droit d'exprimer ses idées, ses critiques, de donner ses suggestions à l'Assemblée spirituelle locale et à travers elle à l'Assemblée spirituelle nationale et même à la Maison Universelle de Justice. Enfin, durant la troisième partie, se déroule la fête sociale et amicale entre les baha'is.

Cette réunion apparaît comme la plaque tournante de la vie individuelle et collective.

Cette célébration assure la ligne de communication de la base communautaire jusqu'au sommet des institutions, la Maison Universelle de Justice, et revient de celle-ci jusqu'à la base communautaire.

Par ce canal et le procédé de consultation, à tous les niveaux, individuellement et collectivement, les adeptes interviennent directement dans l'oeuvre sociale et spirituelle de leur foi, participation sincère redonnant à chaque être humain sa dignité. Cet Indien d'Amérique du Sud confiait: "Avant, nous étions les déshérites du monde, et maintenant le monde entier est notre frère."

La participation de chacun par le truchement de la fête des 19 jours est la garantie de l'adaptabilité constante des Assemblées aux besoins des communautés, et réciproquement.


9.5. Le financement

Les fonds permettant la réalisation des activités baha'ies proviennent de tous les adeptes qui contribuent confidentiellement, selon leur désir, aux finances des Assemblées.

L'ensemble des fonds internationaux, alimentés soit directement par des individus, soit par les Assemblées spirituelles nationales, assure, sous le contrôle de la Maison Universelle de Justice, la réalisation des objectifs mondiaux de la foi.

L'Assemblée spirituelle nationale ou locale gère à son tour les contributions des individus ou des communautés, contributions destinées à de multiples buts.

Les dons des non-baha'is étant pas acceptés, les fonds sont uniquement alimentés par les membres de cette religion.


9.6. Les lois

Les lois de base de l'ordre administratif régissent le comportement des individus à tous les échelons de la vie communautaire, aussi bien lorsqu'ils participent aux fêtes des 19 jours que lorsqu'ils siègent dans une Assemblée.

* La loi d'amour

Selon la conception baha'ie, la notion d'amour est le principe de toute vie. C'est elle qui régit les règnes de la création de la cohésion du minéral jusqu'à la spiritualisation de l'humain. De même, à l'intérieur de cet "ordre", les fidèles essaient individuellement d'être imprégnés par la loi d'amour. Une des expressions de cet amour est état de service envers la communauté.

* La loi de dévotion

L'implication de cette loi rend les institutions baha'ies radicalement différentes des institutions politiques ou d'autres formes d'organisations.

Ces groupes travaillent constamment dans une atmosphère de communion avec Baha'u'llah. Les baha'is se recueillent toujours par des prières avant de commencer une session, ou même parfois lorsqu'ils doivent prendre une décision importante.

* La pratique des qualités de justice, d'amabilité, de loyauté, de courtoisie, d'humilité et de patience.

Ces vertus sont soulignées dans de nombreux écrits, afin que les baha'is puissent pleinement participer à la vie communautaire.

* La loi de autorité du "Covenant"

Le "Covenant" est pour les baha'is le pacte établi entre chaque Prophète et les fidèles. Ce pacte se concrétise par intermédiaire des institutions, d'ou l'obéissance envers elles.

* La loi de consultation

La consultation est une des caractéristiques fondamentales de l'ordre administratif. Toute la vie de la communauté est régie par elle.

Au niveau de la communauté locale, les baha'is, au cours de la fête des 19 jours, offrent leurs idées et consultent à leur sujet.

La consultation concilie deux qualités apparemment contradictoires: l'expression de la personnalité et l'effacement de l'ego. Exprimer sa personnalité en énonçant franchement et courageusement sa pensée, même si elle n'est pas partagée par les autres. Effacer son ego en ne se sentant pas blessé parce que sa pensée n'est pas acceptée et en soutenant l'opinion admise par la majorité.

A travers la consultation, le baha'i est associé à la collectivité. Cela se traduit par le fait qu'il s'unit au groupe pour agir.

De plus, cette loi est une mise en pratique des vertus, car elle oblige les participants à faire un effort sur eux-mêmes et à garder l'optique des idéaux baha'is. Elle a aussi le rôle de niveler les personnes aux mêmes droits d'expression et enfin d'écarter la sclérose des institutions.

* La loi de l'unité

La loi de l'unité, pilier de toutes les autres lois, exige des adeptes une constante discipline. Si au cours d'une consultation, une décision a été prise à la majorité et non à l'unanimité, elle devient celle de toute l'Assemblée. Après la décision, toute critique, à l'extérieur ou à l'intérieur de l'Assemblée, à son sujet, devient contraire à l'esprit d'unité. Cependant, lorsqu'une ou plusieurs personnes pensent que les résultats de cette décision ne sont pas bons, elles essaient de ne pas la critiquer en dehors de l'Assemblée, mais d'apporter de nouveaux faits à la prochaine session. Ainsi, la consultation reprend et une nouvelle décision peut être prise.

La plupart des communautés baha'ies s'approchent du modèle de l'ordre administratif et de ses lois, tel qu'il a été prévu par Baha'u'llah.

Cependant, à l'intérieur de certaines localités baha'ies ou les anciennes traditions sont fortement enracinées, il se crée une certaine concurrence entre le modèle culturel local et le modèle religieux. Par exemple, il arrive que, dans des communautés orientales, il soit difficile pour les adeptes de réaliser les concepts démocratiques, tandis que, dans des communautés occidentales, il soit difficile de suivre toujours les principes d'obéissance aux institutions. Toutefois, par rapport à leur contexte culturel, ces groupes baha'is se distinguent essentiellement par un progrès spirituel et social.


9.7. Les Communautés

Selon la conception des baha'is, Baha'u'llah a fait connaître le "but de Dieu" pour humanité. Il a donne des institutions, des principes et des lois qui permettent de parvenir à l'unité de l'humanité. Le but même des institutions baha'ies s'avère être la réalisation des objectifs décrits par Baha'u'llah pour le monde, en même temps que l'épanouissement personnel des fidèles. De même, les individus se donnent comme but leur propre épanouissement ainsi que la concrétisation de l'unité de la race humaine, objet principal des institutions baha'ies.

Le bien-être de l'individu et celui de la communauté deviennent interdépendants. l'ordre administratif baha'i possède des moyens permettant aussi bien aux institutions qu'aux communautés d'accorder une grande place à la créativité, aux besoins des fidèles, ainsi qu'au développement de la société.

Puisque les formes de communication ne sont pas paralysées par des relations de pouvoir et de conflit, elle permettent une harmonisation entre l'individu et le collectif, d'ou l'élimination de tensions et de violence.

Dans l'élaboration de cette société sans violence, l'importance est accordée avant tout à l'amour et à l'encouragement mutuel où chacun contribue à l'édification d'un monde positif qui proportionnellement atténuera la violence qui nous entoure, tout comme l'ombre qui pâlit puis disparaît au fur et à mesure que la lumière augmente.

Depuis les années 70, les communautés baha'ies à travers les cinq continents ont subi un grand changement. Des centaines de milliers de nouveaux croyants en Inde, où s'est formée une large communauté d'un million de fidèles adultes, dans les îles du Pacifique, telles que les îles Mentawei ou 9% de la population est baha'ie, dans la brousse de l'Afrique, dans les montagnes éloignées d'Amérique du Sud et dans les points les plus reculés du globe, tels que l'Alaska, ou 1% de la population est unie par cette même croyance, représentent chaque strate de la vie sociale et économique, chaque ethnie, chaque niveau d'éducation, transformant le caractère des communautés baha'ies en les rendant plus diverses et plus dynamiques. Par ailleurs, une grande proportion de jeunes parmi les nouveaux convertis, notamment en Europe et en Amérique du Nord, apporte une nouvelle vigueur et un nouvel enthousiasme aux communautés.

Selon les dernières statistiques de 1998, il existe 127 949 localités où résident des baha'is, 182 Assemblées spirituelles nationales, plus de 12 591 Assemblées spirituelles locales reparties dans plus de 235 pays et territoires ouverts à la foi; et la littérature baha'ie est traduite dans plus de 802 langues et dialectes.


9.8. Le défi

Bien que l'un des attributs les plus précieux de cette communauté mondiale soit sa diversité, elle représente aussi l'inconnu pour les adeptes.

Généralement, chacun à tendance à choisir ses amis parmi ceux qui lui ressemblent au point de vue type social, niveau d'instruction, etc., tandis que la communauté baha'ie réunit des hommes et des femmes vers lesquels on ne serait peut-être pas attiré normalement ou que l'on n'aurait pas forcément choisis comme amis.

Lorsqu'une personne devient baha'ie, elle se joint aussi à une communauté mondiale. Elle découvrira que l'ancien éventail de réactions et de réponses toutes prêtes ne peut plus lui servir. Toutes ces personnes différentes représentent la diversité de l'humanité et peuvent être même une cause d'épreuves et parfois anxiété.

Il est facile de s'entendre avec ceux qui nous ressemblent, de les apprécier et de les aimer. Cependant, au sein d'un groupe cohérent, le développement de l'homme pourrait bien s'arrêter rapidement car, dans un noyau ferme et habituel, éventail des réactions reste le même, et il n'existe presque plus de stimulation à moins d'en envisager d'autres. De plus, tout groupe diffèrent de soi avec qui l'on n'entretient aucun contact devient une cible de rejet ou de préjugés.

Dans cette communauté mondiale, les adeptes vont s'entraîner et vont apprendre à mettre en marche les enseignements de Baha'u'llah, car elle offre de nombreuses occasions de connaître et d'aimer - les capacités de base de l'homme selon l'enseignement baha'i - dans des circonstances stimulantes.

Autant d'individus différents de soi représentant autant d'inconnus, et essayer de tendre vers développe une énergie qui met en marche le processus réciproque de connaissance et d'amour, et ouvrira ainsi le champ à des réponses nouvelles.

Chaque nouvelle réponse ou nouvelle attitude libère une partie des capacités d'amour et de connaissance enfouies dans le potentiel humain.

Ainsi, poussé par la conviction unité, l'on éprouve d'abord de la tolérance envers les membres divers de sa communauté. Lorsque la connaissance s'ajoute, cette tolérance devient de la compréhension ; lorsque l'amour apparaît, la compréhension se transforme en estime.

Quant aux épreuves rencontrées lors de ce processus, elles sont un défi à l'homme et, selon les écrits baha'is, elles sont essentielles au progrès spirituel.

Ainsi, cet entraînement dans le noyau universel transpose les principes abstraits en des réalités concrètes.


9.9. Les rassemblements

Paris, du 3 au 6 août 1976, conférence baha'ie internationale, Palais des Congres, Porte Maillot. 6000 adeptes de cette foi venus d'Europe, d'Afrique, d'Asie, d'Australie, d'Amérique du Nord et du Sud, de divers îles du Pacifique participent au congrès. De semblables conférences se sont tenus à Helsinki en Finlande, en juillet 1976; à Anchorage en Alaska, en juillet 1976; à Nairobi au Kenya, en Octobre 1976; à Hong Kong en Chine, en novembre 1976; à Auckland en Nouvelle Zélande, en janvier 1977; à Bahia au Brésil en janvier 1977, à Merida au Mexique, en février 1977.

Les rassemblements, dans les communautés baha'ies de toutes les parties du monde, comprennent les fêtes de 19 jours, les célébrations des jours saints baha'is, des réunions collégiales de consultation, des séminaires, des conférences, des congrès. Les prières et textes sacrés baha'is sont lus principalement dans la langue ou le dialecte du pays. Il n'y a pas de prière ritualisée en commun mais, dans une atmosphère de recueillement, quelques personnes lisent des prières et des textes à haute voix. Les baha'is se réunissent aussi bien dans des "Centres baha'is" que chez les individus.

De plus, il existe dans le monde cinq "Maisons d'adoration" ou temples baha'is: une à Francfort en Europe, une à Sydney en Australie, une à Kampala en Afrique, une à Wilmette en Amérique du Nord et une à Panama City en Amérique centrale. Il s'en construit actuellement une en Inde et une à Samoa, île du Pacifique. Le premier temple baha'i, celui d'Ishqabad en Russie, fut confisqué par les autorités soviétiques et transformé en musée, puis détruit par un tremblement de terre. D'autres "Maisons d'adoration" seront construites dans l'avenir; à cet effet, presque tous les pays du monde possèdent déjà le terrain.

Ces "Maisons d'adoration" ont toutes neuf cotés, avec neuf entrées, surmontées d'un dôme, symbolisant les grandes religions unies par le même Dieu. La "Maison d'adoration" est un lieu de prière et de méditation ouvert à tous. Des prières, des écrits sacrés baha'is et ceux des autres religions sont lus, sans rituel, avec parfois des choeurs.

Un autre aspect de la vie spirituelle des baha'is consiste dans leur pèlerinage: la Terre sainte représente pour les baha'is non seulement le Centre administratif mondial de leur foi, mais aussi son Centre spirituel, ou un très grand nombre de baha'is de tous pays viennent se recueillir. Les pèlerins prient et méditent auprès des Tombeaux de Baha'u'llah, du Bab et d'Abdu'l-Baha, ou ils puisent un renouveau de spiritualité et retracent les lieux historiques où la Manifestation de Dieu a vécu.


9.10. L'ouverture

Ces groupes religieux sont très ouverts vers l'extérieur et entreprennent une profonde communication. Tout en suivant les besoins de la société actuelle, ils ne font aucun compromis avec le monde mais tentent avant tout de suivre les critères enseignés par la foi baha'ie.

Les baha'is ne font pas de politique partisane et n'acceptent aucun poste politique car cela irait à l'encontre de leur objectif d'unité. L'esprit de parti s'accompagne inévitablement de luttes, d'oppositions, de conflits, de divisions. Si les baha'is veulent l'unité de l'humanité, il leur faut tout d'abord préserver leur propre unité en rejetant tout ce qui peut être un facteur de désunion.

Cependant les adeptes sont enjoints d'obéir aux lois et aux autorités des pays ou ils résident. Dans presque tous les pays, les communautés baha'ies entretiennent de très bonnes relations avec leurs autorités gouvernementales.

Par exemple, ce document du Président de l'Inde en est une des illustrations:

15 avril, 1980
"Je suis heureux de savoir que L'Assemblée Spirituelle Nationale des baha'is de l'Inde organise la célébration du centenaire baha'i le 30 avril 1980. Comme a dit Gandhi "le message de la foi baha'ie est la consolation de l'humanité".
L'Inde a toujours prôné la fraternité universelle, et le message des baha'is est en accord avec la tradition du passé spirituel de l'Inde. Le besoin du moment est d'apporter une vision universelle et ainsi de créer un nouvel ordre mondial basé sur la paix, le progrès et la prospérité. A l'occasion de la célébration du centenaire, je présente mes compliments à cette digne organisation et leur souhaite beaucoup de succès."
N. Sanjiva Reddy (Président de l'Inde)

Selon 'Abdu'l-Baha:
"Vous servirez le mieux votre pays si vous vous efforcez, en votre qualité de citoyen du monde, de favoriser l'application définitive du principe fédéraliste... aux relations existant à l'heure présente entre les peuples et nations du monde."
'Abdu'l-Baha (123)

La vocation politique actuelle des baha'is serait donc la construction d'un monde uni sur des bases de "religion, justice et raison".

Partout, les activités des baha'is sont inspirées par les principes de Baha'u'llah, et ne sont nullement politiques, mais éducatives et humanitaires. Voici quelques exemples parmi d'autres:

Depuis 1978, la station de radio baha'i en Equateur transmet chaque jour des programmes dont les buts sont spirituels, éducatifs, culturels et humanitaires. La radio baha'ie couvre tout l'Equateur et traverse les frontières jusqu'à des régions de Colombie et du Pérou.

Il s'est formé aux Etats-Unis un nouveau système d'éducation, "le modèle ANISA", basé sur les principes baha'is pour développer le potentiel humain. Ce modèle est employé au Centre d'Etudes du Potentiel Humain, à l'Université de Massachusetts.

Depuis Octobre 1975, une équipe d'experts baha'is en agriculture, éducation et médecine se consacre à un projet de développement rural en Inde, appelé projet nouvelle ère, dans la région de Panjgani.

Quant à la Communauté Internationale Baha'ie, ses rapports avec les Nations Unies remontent à 1948. La Communauté Internationale Baha'ie est dotée, en tant qu'organisation non gouvernementale, du statut consultatif auprès du Conseil Economique et Social des Nations Unies (ECOSOC) et auprès des Fonds des Nations Unies pour l'Enfance (UNICEF). Elle est également associée au Programme des Nations Unies pour l'Environnement (PNUE) et du Service de L'information de l'ONU. Elle a des représentants auprès des Nations Unies à New York, Genève, Vienne et Nairobi. Elle participe auprès des Nations Unies dans des travaux s'occupant de questions concernant les droits de l'homme, le développement social, le statut de la femme, l'environnement, l'alimentation mondiale, la science et la technologie, la population, le droit de la mer, la prévention du crime, les stupéfiants, la jeunesse, l'enfance, la famille, le désarmement.

Avant tout, les baha'is tentent de mettre en pratique dans leur vie privée les enseignements de Baha'u'llah. Ce changement de conscience joue un rôle important dans le développement social des communautés, selon les différents contextes culturels, dans la perspective des buts sociaux de cette foi.

Par exemple, à travers la communauté Internationale baha'ie, on peut nettement remarquer: dans les pays en voie de développement, le progrès éducatif des femmes vers une égalité avec les hommes, le niveau d'alphabétisation plus élevé des communautés baha'ies; ou encore, l'intégration des différentes populations baha'ies vers une solide unité dépassant les problèmes tels que: les castes de l'Inde, les préjugés de race aux Etats-Unis ou dans d'autres pays, le fossé des générations en Europe, les luttes tribales en Afrique. Plus ces communautés religieuses sont grandes, et plus sont visibles les progrès sociaux de la collectivité.


9.11. De 1844 à 1982

Depuis les premiers jours du mouvement millénariste né dans la persécution sanglante et le charisme des principales figurés de cet "âge héroïque", une transition a effectivement eu lieu. Les baha'is sont passés à la seconde étape de leur histoire: le développement d'une religion indépendante et mondiale à direction collégiale, un prophétisme social.

Durant cette ample métamorphose, il n'y a pas eu de déviation, les principes de la foi baha'ie étant conçus pour la durée entière d'une nouvelle ère, leur compréhension et leur application se développent graduellement.

Que sont devenus les deux premiers motifs messianiques et gnostiques identifiés par le sociologue P. Berger à travers cette transplantation mondiale ? Le motif messianique a pris la forme de la "construction du nouvel Ordre mondial de Baha'u'llah". En ce qui concerne le motif gnostique, il continue d'exister dans l'attitude des baha'is envers leurs autorités dirigeantes et dans la croyance baha'ie du "potentiel spirituel" de l'homme.

La transition de la première étape à la seconde ayant été déjà annoncée par les figures charismatiques, la formation d'un noyau d'unité devient pour les baha'is source de courage et de confiance en vue d'atteindre l'âge d'or de l'humanité.

En fait, parmi les communautés unies par cette croyance, aucun pays, ni aucun peuple ne semble avoir été privé de l'expérience de cette victoire qui a la capacité d'être vécue en tant qu'expérience universelle.

L'observation des sociétés et des civilisations nous montre qu'à la plupart des époques, tout peuple ou groupe d'hommes asservis a essayé tôt ou tard de prendre la relève ou la revanche sur le joug subi, et de dominer à son tour.

Aujourd'hui notre civilisation occidentale a progressé. Elle a supprimé cet aspect sanglant. Elle a posé des régles consenties et observées par tous. Actuellement dans les pays dits civilisés ou technologiquement avancés, on ne renverse plus le pouvoir à coups de massacres mais par des votes. Très démocratiquement, le résultat des votes majoritaires oriente le destin de tel ou tel pays.

Effectivement nous avons franchi un énorme pas vers l'humanisation de notre société occidentale. Parvenus à une étape avancée, on s'aperçoit pourtant des lacunes de ce système.

La lutte pour le pouvoir reste toujours la base de toute politique actuelle. Ainsi hélas, toute une catégorie d'hommes et de femmes est automatiquement mise à l'écart. Quelles que soient les idées, valables ou non, du moment qu'elles sortent du camp adverse, elles sont rejetées.

Baha'u'llah fait franchir un pas de plus en supprimant la notion de majorité, minorité; dominant, dominé. Dans cette conception de l'ordre mondial, il n'existe plus ce clivage qui crée un perpétuel antagonisme et une lutte entre la majorité et l'opposition, mais il y a au contraire la participation générale et effective de tous dans leur diversité, à travers les différentes institutions et par le procédé de consultation afin d'atteindre tel ou tel objectif. Cette solution fournit le meilleur garant pour la stabilité.

Ce système en soi rend déjà caduques les failles de notre société, telles que sa fragilité, la lutte perpétuelle entre les différents partis politiques, l'oppression de certains peuples, la lutte pour la reconnaissance de l'identité des minorités.

Quand on prend conscience de la pluralité des opinions, de la diversité des événements, de la justification des situations, on s'aperçoit qu'il n'existe plus de vérité absolue mais seulement relative et qu'en fait ce qui prime, c'est la notion d'union.

La série d'attentats, d'assassinats qu'ont subis 21 chefs d'Etat en dix ans montre à quel point notre civilisation demeure fragile. Toute une politique, tout un destin peut s'écrouler, se modifier, tout un univers peut cesser d'être le même à la suite de la mort d'un "leader". Même en Occident, notre pseudo-sécurité est bien précaire!

Il n'existe pas d'échappatoire si les hommes ne trouvent pas le moyen rationnel et humain de créer 1'union véritable des peuples, non pas une union verbale, ni une union imposée ou forcée, ou une union philosophique ou éthérée sans consistance, mais une véritable union organique du genre humain telle que le préconise l'ordre mondial de Baha'u'llah.

"Car Baha'u'llah, nous devrions aisément l'admettre, n'a pas seulement insufflé dans humanité un Esprit neuf et régénérateur; il n'a pas seulement exposé une philosophie particulière ou énoncé certains principes mondiaux, quelque convaincants, irréfutables et universels qu'ils puissent être; mais en outre - et 'Abdu'l-Baha le fit après lui - Il a clairement et spécifiquement établi - à la différence des dispensations du passé - un ensemble de lois, fondé des institutions déterminées, et fourni les éléments essentiels d'une économie divine. Ces éléments sont destinés à constituer un modèle pour une société future, un instrument suprême pour l'établissement de la Plus Grande Paix, et le seul moyen possible d'unir le monde et de proclamer le règne de la justice et de la droiture sur la terre..."
Shoghi Effendi (124)


9.12. Victoire

Chaque événement religieux est survenu à un moment d'urgence, dit la sociologie. L'interprétation spirituelle dira que Dieu intervient chaque fois qu'il existe une dégradation morale, une crise dont le monde ne peut pas sortir par ses propres moyens, lorsque les feux de la religion se sont consumés et que le plus bas des matérialismes triomphe.

En conséquence, la Manifestation de Dieu ne rencontre pas la réponse générale et immédiate de ceux auxquels elle porte le message. Absorbés par un matérialisme effréné, les hommes cherchent les réponses à leurs demandes partout sauf dans une nouvelle naissance spirituelle.

La naissance et l'enfance d'une religion ont dû toujours faire face aux persécutions des violents, aux critiques des sophistes, au cynisme des désillusionnés.

Pourtant, être humain n'est-il pas las de la guerre ?

La vie est comme un boomerang. Toute action positive ou négative engendre en retour des événements positifs ou négatifs.

Pour ma part, plus je vois ces guerres et ces massacres, et spécialement depuis la violence qui a coûté la vie à mon père, plus je suis confirmée dans ma foi, car si le monde suit son cours actuel nous nous précipitons vers une catastrophe mondiale.

Il est utopique d'espérer un monde meilleur avec les méthodes destructrices de l'humanité actuelle. Nous vivons dans un cercle infernal.

Il est temps, une fois pour toutes, que l'humanité fasse enfin l'expérience de construire un monde sans violence. Les baha'is sont pleinement conscients de la difficulté d'entreprendre un tel but dans une société telle que la notre, mais n'est-ce pas là que réside la plus belle des victoires sur la violence?

Le sage est celui qui réussit à maîtriser ses instincts et à garder une sérénité intérieure face aux épreuves, sans répondre au coup par coup.

De même la plus belle des victoires sur la violence n'est pas de se glorifier d'avoir réussi à écraser tel ou tel peuple - à une première violence, il s'ensuit toujours une seconde - mais de pouvoir canaliser son énergie vers le développement de son potentiel et vers l'établissement d'un monde uni. C'est à cette victoire que les baha'is s'efforcent de parvenir.

Dans le passé on construisait couramment des maisons en bois. Or, après un certain temps, elles s'effondraient brusquement sans cause visible. Pendant longtemps, on n'en trouvait par la raison. Puis on a découvert que ce qui causait le pourrissement lent du bois était un ver qui en rongeait le coeur.

Les baha'is sont convaincus qu'il en est de même en ce qui concerne la construction de notre monde. La cause profonde qui menace son effondrement est le pourrissement lent des coeurs humains du à la mort des forces spirituelles.

"La puissance déchaînée de l'Atome a tout changé, sauf notre façon de penser. Et nous glissons vers une catastrophe sans précédant; si humanité doit survivre, il lui faut une nouvelle façon de penser."

Tel était le grave avertissement que Einstein lançait en 1954.

Le monde est confronté à de nouvelles opportunités, de nouveaux problèmes, de nouveaux périls, et avec ces nouvelles conditions se fait sentir le besoin d'une nouvelle façon de penser.

A toute pensée négative, opposons une pensée positive. Malgré les tribulations de parcours, la paix et l'union de l'humanité devront se réaliser, car c'est évolution irréversible de notre époque; telles sont la déduction, l'analyse et la conviction intime de millions d'êtres à travers les nations. Une ère nouvelle est née, et sa marche est engagée.

Faisons appel à tous ceux qui ont vécu un drame, car ils savent ce que sont la détresse et la douleur.

Faisons appel à tous ceux qui sont heureux, car la vie est trop belle et trop précieuse pour la briser par un malheur.

Faisons appel à tous les hommes et toutes les femmes de bonne volonté qui de par le monde aident leur prochain, car leur expérience est salutaire.

Faisons appel à tous ceux qui sont indifférents ou qui ne se sentent jamais concernés, car ce monde leur appartient aussi.

Faisons appel aux dirigeants, aux travailleurs, aux artistes, aux savants.

Faisons appel, en ce moment si critique de notre histoire, au coeur et à l'esprit de l'homme pour qu'il contribue, avant qu'il ne soit trop tard, à la solidarité mondiale et à l'unité de l'humanité.

Qui que nous soyons, nous vivons sur la même terre, et nous avons tous besoin les uns des autres.

Cette terre où la vie n'est que le reflet de notre coeur.

Ce coeur aussi vaste qu'un océan, dépositaire de tant de mystères, pouvant à lui seul changer la face du monde par la puissance de son amour, à condition de savoir le cultiver.

Comme le rappelle Baha'u'llah:
"O mon ami, dans le jardin de ton coeur, ne plante que la rose d'amour." (125)


Notes

1. Pour tous les noms étrangers, adoption du système de translitération du Congrès international des orientalistes.

2. C. Hakim, "Etude d'une institution religieuse: l'ordre administratif baha'i et la communauté des fidèles". Thèse de doctoral du troisième cycle, Paris, Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales, 1979.

3. Les principaux auteurs furent: M. J. Balteau, E.G. Browne, T. K. Cheyne, G. N. Curzon, H. Dreyfus, J.-A. de Gobineau, C. Huart, A.-L. M. Nicolas, E. Renan, G. Sacy, M. L. Sheil, F. Younghusband. Se référer à leurs ouvrages dans la bibliographie.

4. Archives du Quai d'Orsay, Paris: Rapport du général Ferrier, Perse, N° 24, années 1839-1853.
Rapport de l'ambassadeur Source, correspondance politique, Perse, N° 33, année 1864.
Rapport du charge d'affaires, comte de Rochechouart, correspondance politique, Perse, N° 34, année 1864-1865.
Rapport de l'ambassadeur de Bonnieres, correspondance politique, Perse, N° 35, année 1869.
Rapport de l'ambassadeur Mellinot, correspondance politique, Perse, N° 37, année 1875.
Rapport du remplaçant de l'ambassadeur, correspondance politique, Perse, N° 42.

5. P. Berger, "Motif messianique et processus social dans le Baha'isme", in Archives de sociologie des religions, Paris, N° 4, juillet-decembre 1957, pp. 93-107; résumé de la thèse de Ph. D. de Peter Berger, From Sect to Church: a sociological interpretation of the Baha'i Movement, unpublished Ph. D. dissertation, New School of Social Research, New York; les conclusions de cette thèse ont été reproduites dans son article: "The Sociological Study of Seclarianism", Social Research, N° 21, hiver 1954, pp. 467-485.

6. J. Darmesteter, orientaliste, professeur au Collège de France, Le Mahdi, depuis les origines de l'Islam jusqu'à nos jours, Bibliothèque orientale é1zevirienne, 1885.

7. B. Jowett, professeur à l'Université d'Oxford, docteur en théologie de l'Université de Layde, Hollande, cite dans A. Vail, Heroic Lives, Boston, Beacon Press, 1917, p. 305.

8. E.G. Browne, professeur, orientaliste, A Traveller's Narrative written to illustrate the episode of the Bab, Cambridge University Press, 1891, Introduction, p. 8.

9. Cité dans Nabil-i-A'zam, The Dawn-Breakers, Nabil's narrative of the Early Days of the Baha'i Révélation, Translated from the original persian and edited by Shoghi Effendi, reed. Wilnette, Illinois, Baha'i Publishing Trust, 1970, p. 65.

10. Cite dans The Dawn-Breakers, p. 69.

11. A.-L. M. Nicolas, orientaliste, diplomate, Siyyid 'Ali-Muhammad dit le Bab, Paris, Dujarrie et Cie 1905, pp. 189-190.

12. J.-A. de Gobineau, écrivain, diplomate, Religions et Philosophies dans L'Asie Centrale, Paris, 1er ed. Perrin 1865, 6e ed. Gallimard, 1957, pp. 134-135.

13. "Bab et les Babis", in Journal Asiatique, 1866, tome 7, p. 341.

14. Le Bab, Epître du Bab aux dix-huit "Lettres du Vivant", Bruxelles, Maison d'Editions Baha'ies, 2e ed., 1972.

15. Cite dans The Dawn-Breakers, pp. 173-175.

16. Ibid., p. 177.

17. Le Bab, cite dans E.G. Browne, A Traveller's Narrative written to illustrate the episode of the Bab, p. 349.

18. Cite dans A.-L. M. Nicolas, Siyyid 'Ali-Muhammad dit le Bab, p. 207.

19. Le Bab, Le Bayan Persan, Paris, Paul Gouthner, 1911-1914, p. 103.

20. A.-L. M. Nicolas, op. tit., pp. 273-274.

21. E. G. Browne, A Traveller's Narrative written to illustrate the Episode of the Bab, tome II, p. 309.

22. Ibid., pp. 8-9.

23. Cite dans The Dawn-Breakers, p. 296.

24. A.-L. M. Nicolas, op. tit., pp. 387-388.

25. Le Bab, Epître du Bab aux dix-huit "Lettres du Vivant".

26. Cite dans le Tarikh-i-Jadid, Cambridge, The University Press, 1893, p. 109.

27. J.-A. de Gobineau, op. tit., p. 208.

28. Cite dans The Dawn Breakers, p. 413.

29. Ibid., p. 447.

30. Ibid., p. 315.

31. Ibid., p. 507.

32. Ibid., p. 509.

33. Journal Asiatique, p. 378.

34. Cite dans The Dawn-Breakers, pp. 512-513.

35. Cite dans E. Renan, Les Apôtres, Paris, Levis, 1866, p. 379.

36. V. Rosen, diplomate, Collections de L'lnstitut des Langues Orientales, Saint-Petersbourg, 1886.

37. J. Bois, journaliste français, cite dans The Baha'i World, Haifa, The Universal House of Justice, 1970, volume XIII, 1954-1963, p. 824.

38. J. Grinevskaye, Bab et Tahirih, livret d'un opéra du compositeur russe Orlov.

39. J.-A. de Gobineau, op. cit., pp. 269-270.

40. E. Renan, Les Apôtres, p. 378.

41. G. N. Curzon, Persia and the Persian Question, London, Longmans Green and Co., 1892, tome I, p. 501.

42. J.-A. de Gobineau, op. cit., p. 318.

43. Cite dans Shoghi Effendi, Dieu Passe Près de Nous, Bruxelles, Maisons d'Editions Baha'ies, 1976, p. 72.

44. La pièce demandée par Sarah Bernhardt fut écrite par Jules Bois et avait pour titre: Sa Sainteté la Pure.

45. T. K. Cheyne, docteur en théologie, professeur à l'Université d'Oxford, The Reconciliation of Races and Religions, London, Adam and Charles Black, 1914, p. 115.

46. M. Hainisch, active féministe, 1870, citée dans The Baha'i World, volume II, 1926-1928, pp. 257-262, elle inspira aussi la poétesse autrichienne Marie Von Najmajer qui publia Qurratu'l-'Ayn en 1874.

47. P. Berger, "Motif messianique et processus social dans le baha'isme", p. 95.

48. J.-A. de Gobineau, op. cit., p. 310.

49. P. Berger, op. cit., pp. 95-100.

50. Abdu'1-Baha, cite dans J. E. Esslemont, Baha'u'llah et l'Ere Nouvelle, Bruxelles, Maison d'Editions Baha'ies, 5e ed., 1972, p. 33.

51. Baha'u'llah, Le Livre de la Certitude, Paris, Presses Universitaires de France, 1965, pp.130-131.

52. Baha'u'llah, Extraits des Ecrits de Baha'u'llah, Bruxelles, Maison d'Editions Baha'ies, 2e ed. 1979, pp. 187-188.

53. Baha'u'llah, Les Sept Vallées, Bruxelles, Maison d'Editions Baha'ies, 1970, p. 30.

54. Baha'u'llah, Livre de Prières, Bruxelles, Maison d'Editions Baha'ies, 1973, p. 27.

55. Baha'u'llah, La Proclamation de Baha'u'llah aux Rois et aux Dirigeants du Monde, Bruxelles, Maison d'Editions Baha'ies, 1967, p. 79.

56. P. Berger, op. tit., pp. 95-100.

57. Baha'u'llah, cité dans Shoghi Effendi, Appel aux Nations, Bruxelles, Maison d'Editions Baha'ies, 1977, p. 22.

58. La reine Victoria, citée dans Shoghi Effendi, Voici le Jour Promis, Paris, Comité national baha'i de publication, 1960, p. 59.

59. Cite dans Shoghi Effendi, Dieu Passe Près de Nous.

60. E.-G. Browne, op. cit., Introduction.

61. G. Townshend, La Promesse de tous les Ages, Bruxelles, Maison d'Editions Baha'ies, 1971, p. 83.

62. Cité dans Shoghi Effendi, Dieu Passe Près de Nous, p. 191.

63. G. N. Curzon, Persia and the Persian Question, p. 107.

64. Baha'u'llah cite dans Shoghi Effendi, Dieu Passe Près de Nous, p. 190.

65. Cite dans Shoghi Effendi, Dieu Passe Près de Nous, p. 212.

66. Baha'u'llah, Les Paroles Cachées, Bruxelles, Maison d'Editions Baha'ies, 2e ed., 1977, p. 4.

67. Baha'u'llah, Extraits des Ecrits de Baha'u'llah, p. 37.

68. Ibid., p. 36.

69. Cite dans J. E. Esslemont, op. tit., p. 99.

70. Baha'u'llah, Les Paroles Cachées, p. 4.

71. Ibid.

72. Baha'u'llah, Les Sept Vallées, 1970, p. 45.

73. Baha'u'llah, Les Paroles Cachées, p. 44.

74. Ibid., p. 37.

75. Ibid., p. 6.

76. Baha'u'llah, Les Sept Vallées, p. 44.

77. Baha'u'llah, Les Paroles Cachées, p. 35.

78. Ibid.

79. Thème développé par Abdu'l-Baha, voir entre autres J.E. ESSLEMONT, op. Cit. PP94-114

80. Baha'u'llah, Extraits des Ecrits de Baha'u'llah, p. 189,

81. Ibid., p. 7.

82. Baha'u'llah, Les Paroles Cachées, p. 19.

83. Baha'u'llah, Extraits des Ecrits de Baha'u'llah, p. 164.

84. Baha'u'llah, Cite dans J. E. Esslemont, op. cit., p. 153.

85Baha'u'llah, Foi Mondiale baha'ie, Bruxelles, Maison d'Editions Baha'ies, 1968, pp. 303 et 325.

86. Baha'u'llah, Extraits des Ecrits de Baha'u'llah, p. 90.

87. Baha'u'llah, Les Paroles Cachées, p. 50.

88. 'Abdu'1-Baha, Promulgation of Universal Peace, Chicago, Baha'i Publishing Committe, 1925, pp. 448-49.

89. Cite dans Shoghi Effendi, Dieu Passe Près de Nous, p. 246.

90. Voir la bibliographie.

91. Abdu'1-Baha, L'Art Divin de Vivre, Bruxelles, Maison d'Editions Baha'ies, 1970, pp. 23-24.

92. Cite dans Shoghi Effendi, Dieu Passe Près de Nous, p. 246.

93. Cite dans The Baha'i World, volume II, p. 495.

94. H. Dreyfus, Essai sur le Baha'isme, Paris, Presses Universitaires de France, 3e ed. 1962, pp. 6-7.

95. H. C. Ives, Les Voies de la Liberté, Bruxelles, Maison d'Editions Baha'ies, lre ed., pp. 30-31.

96. Abdu'1-Baha, Causeries d''Abdu'l-Baha Paris, Comité national de traductions et de publications, 1961, p. 35.

97. Ibid., p. 37.

98. Baha'u'llah, cite dans Shoghi Effendi, Appel aux Nations, pp. 45-46.

99. Abdu'1-Baha, Lettre au Professeur Auguste Forel, lrc ed., Bruxelles, Maison d'Editions Baha'ies, 1961, p. 8.

100. Ibid., p. 12.

101. Abdu'1-Baha, cite dans G. Townshend, op. cit., p. 203.

102. Abdu'1-Baha, cite dans J. E. Esslemont, op. cit., p. 80.

103. Cite dans Shoghi Effendi, Dieu Passe Près de Nous, p. 302.

104. Ibid., p. 303.

105. Cite dans P. Birukoff, Tolstoi und der Orient, Zurich, 1925, p. 98.

106. Cite dans L. Stendardo, "Tolstoj et la foi baha'ie", mémoire de licence en lettres, Université de Genève, 1980.

107. Cite dans The Baha'i World, volume XIII, p. 822.

108. Lettre publiée dans Egyptian Gazette, 24 sept. 1913, citée dans M. Hollach, Nineteenth Century, in "The Baha'i Movement" London, Fev. 1915, pp. 465-6.

109. Shoghi Effendi, Appel aux Nations, p. 44.

110. Baha'u'llah, Extraits des Ecrits de Baha'u'llah, p. 210.

111. Cite dans Ruhiyyih Rabbani, La Perle Inestimable, Bruxelles, Maison d'Editions Baha'ies, 1976, pp. 130-131.

112. Shoghi Effendi, Appel aux Nations, p. 26.

113. Mattieu, XXIV, 35, se référer & W. Sears, Voleur dans la Nuit, Bruxelles, Maison d'Edition Baha'ies, 1973.

114. Baha'u'llah, cite dans Shoghi Effendi, Appel aux Nations, p. 10.

115. Abdu'1-Baha, dans L'Art Divin de Vivre, p. 217.

116. Abdu'1-Baha, dans L'Evolution de l'Ame Humaine, Bruxelles, Maison d'Editions Baha'ies, p. 6.

117. Baha'u'llah, les Paroles cachées, p. 110.

118. Cite dans The Baha'i World, vol. VIII, p. 622.

119. Ibid., p. 614.

120. Cite dans The Baha'i World, vol. VIII, p. 621.

121. Cité dans la lettre du présent de 1'Inde, N. Sanjiva Reddy à l'Assemblée Spirituelle National des baha'is de 1'Inde, datée du 15 avril 1980.

122. Abdu'1-Baha, cite dans Shoghi Effendi, Baha'i Administration, Wilmette, Illinois, Baha'i Publishing Trust, 1968, pp. 21-22.

123. Abdu'1-Baha, cite dans Shoghi Effendi, Le But d'un Nouvel Ordre Mondial Paris, Assemblée Spirituelle Nationale des baha'is de France, 1968, p. 16.

124. Shoghi Effendi, Appel aux Nations, pp. 31-32.

125. Baha'u'llah, Les Paroles Cachées, p. 23.


Bibliographie

Ecrits baha'is :

'ABDU'L-BAHA,

- Causeries d''Abdu'l-Baha, Paris, Comité national de traductions et de publications, 1961.

- Les leçons de Saint-Jean-d'Acre, Paris, Presses Universitaires de France, 1907, 4e ed., 1970.

- Lettre au Professeur Auguste Forel, Bruxelles, Maison d'Editions Baha'ies, 1e ed., 1961.

- Promulgation of Universal Peace, tome 1, Chicago, Executive Board of Baha'i Publishing Committee.

- Le Secret de la Civilisation Divine, Bruxelles, Maison d'Editions Baha'ies, 1957.

- Le Testament d'Abdu'l-Baha, Bruxelles, Maison d'Editions Baha'ies, 3e ed., 1970.


LE BAB,

- Le Bayan Persan, Paris, Librairie Paul Gouthner, 1911-1914, 4 tomes.

- Epître du Bab aux dix-huit "Lettres du Vivant", Bruxelles, Maison d'Editions Baha'ies, 2e ed., 1972.

- Le Livre des Sept Preuves, Paris, J. Maisonneuve, 1902.

- Selections from the Writings of the Bab, Haifa, Baha'i World Center,1976.


BAHA'U'LLAH,

- L'Epître au Fils du Loup, Paris, ed. Ernest Leroux, 1913.

- Extraits des Ecrits de Baha'u'llah, Bruxelles, Maison d'Editions Baha'ies, 2e ed., 1979.

- Le Livre de la Certitude, Paris, Presses Universitaires de France, 1965.

- Les Oeuvres de Baha'u'llah, Paris, ed. Ernest Leroux, 1923, 2 tomes.

- Les Paroles Cachées, Bruxelles, Maison d'Editions Baha'ies, réédition 1977.

- La Proclamation de Baha'u'llah aux Rois et aux Dirigeants du Monde, Bruxelles, Maison d'Editions Baha'ies, 1967.

- Les Sept Vallées, Bruxelles, Maison d'Editions Baha'ies, 1970.

- Synopsis and Codification of the Laws and Ordinances of the Kitab-i-Aqdas, Welwyn Garden City, Broadwater Press Limited, 1973.


SHOGHI EFFENDI,

- Appel aux Nations, Bruxelles, Maison d'Editions Baha'ies, 1977.

- L'Avènement de la Justice Divine, Bruxelles, Maison d'Editions Baha'ies.

- Baha'i Administration, Wilmette, Illinois, Baha'i Publishing Trust, 1968.

- Le But d'un Nouvel Ordre Mondial, Paris, Assemblée Spirituelle Nationale des Baha'is de France, 2e ed., 1968.

- Dieu Passe Près de Nous, Bruxelles, Maison d'Editions Baha'ies, 1976.

- Dispensation de Baha'u'llah, Bruxelles, Maison d'Editions Baha'ies, 2e ed., 1970.

- Vers L'Apogée de la Race Humaine, Comité baha'i de publication pour la Suisse romande, ed. révisée, 1957.

- Voici le Jour Promis, Paris, Comité national baha'i de publication, 1960.


Quelques compilations baha'ies :

- L'art Divin de Vivre, Bruxelles, Maison d'Editions Baha'ies, 1970.

- Evolution de L'Ame Humaine, Bruxelles, Maison d'Editions Baha'ies.

- La Foi Mondiale Baha'ie, Bruxelles, Maison d'Editions Baha'ies, 2'ed., 1968.

- Les Principes de l'administration Baha'ie, Paris, Assemblée Spirituelle Nationale de France, 1968.


Ouvrages sur la foi babie et baha'ie :

H.M. BALYUZI, 'Abdu'l-Baha: The Centre of the Covenant of Baha'u'llah, London, George Ronald, 1971.

- The Bab: The Herald of the Day of Days, Oxford, George Ronald, 1973.

- Baha'u'llah: The King of Glory, Oxford, George Ronald, 1980.

M. J. BALTEAU, Le Babisme, Reims, 1897.

A.M. barafroukhte, Le Signe de Dieu parmi les Hommes, Nice, Imprimerie Universelle, 1959.

E. G. BROWNE :

- A Traveller's Narrative written to illustrate the episode of the Bab, Cambridge, University Press, 2 tomes, 1891.

- Materials for the Study of the babi Religion, Cambridge, University Press, 1926.

- A Year amongst the Persians, Cambridge, University Press, 1926.

T.K. CHEYNE, The Reconciliation of Races and Religions, London, Adam and Charles Black, 1914.

G.N. CURZON, Persia and the Persian Question, London, Longmans Green and Co., 2 vol., 1982.

J. DARMESTETTER, Le Mahdi depuis les origines de l'Islam jusqu'à nos jours, Paris, Bibliothèque orientale elzevirienne, 1885.

H. DREYFUS, Essai sur le Baha'isme, Paris, Presses Universitaires de France, 3'ed., 1962.

J.E. ESSLEMONT, Baha'u'llah et l'Ere Nouvelle, Bruxelles, Maison d'Editions Baha'ies, 1972.

H. FATHEA'ZAM, Le Nouveau Jardin, Bruxelles, Maison d'Editions Baha'ies, 2eed., 1977.

Sh. GHADIMI, Le Courage d'Aimer, Bruxelles, Maison d'Editions Baha'ies, fascicule 1, 1971 - fascicule 7, 1980.

J.-A. GOBINEAU, Les Religions et les Philosophies dans L'Asie Centrale, Paris, 1865, 1928.

D. HOFMAN, La Renaissance de la Civilisation, Bruxelles, Maison d'Editions Baha'ies, 2e ed, 1972.

H. HOLLEY, L'Economie Mondiale de Baha'u'llah, Paris, Librairie Ernest Leroux, 2e ed., 1936.

M. E. SHEIL, Glimpses of Life and Manners in Persia, London, John Murray, 1856.

D.C. JORDAN, Réalisez-vous pleinement!, Bruxelles, Maison d'Editions Baha'ies, 1971.

W. SEARS, Voleur dans la Nuit, Bruxelles, Maison d'Editions Baha'ies, 1973.

C. HUART, La Religion de Bab, Paris, Ernest Leroux, 1889.

M. C. IVES, Les Voies de la Liberté, Bruxelles, Maison d'Editions baha'ies, 1972.

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Périodiques :

- Baha'i World, édité par: Baha'i World Center, Haifa.

- Etudes Baha'ies, une publication de l'Association Canadienne des Etudes sur la Foi Baha'ie.

- Journal Asiatique, "Bab et les Babis", sixième série, tomes 7, 8, 1866.

- La Pensée Baha'ie, publiée sous les auspices de l'Assemblée Spirituelle Nationale des Baha'is de Suisse.

- Star of the West, reed. Oxford, George Ronald, 1978.

- World Order, édité par: The National Spiritual Assembly of the Baha'is of the United States of America.


Quelques thèses sur la foi baha'ie :

A. ANKER RIIS "Sociologie de la religion baha'ie", maîtrise es lettres, Université de Paris, 1978.

P. BERGER, "From Sect to Church": a sociological interpretation of the Baha'i Movement, Ph. D. dissertation. New School of Social Research, New York, 1954.

G. BAGHDADI, "Religion, Santé et Médecine, Place de la Foi Baha'ie". Thèse de doctorat en médecine, Grenoble, Université Scientifique et Médicale, 1977.

C. HAKIM,

- "Etude d'une institution religieuse: l'ordre administratif baha'i et la communauté des fidèles", thèse de doctorat du troisième cycle, Paris, Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales, 1979.

- "La foi baha'ie et son processus social", maîtrise es lettres, Paris, Université de Nanterre, 1972.

L. STENDARDO, "Tolstoi et la foi baha'ie", mémoire de licence en lettres, Université de Genève, 1980.

J. P. VADER, "For the good of Mankind: Auguste Forel and the Baha'i Faith", doctorat en médecine, Université de Lausanne, 1982.

F. YASDANI, "Deux ailes d'un oiseau ou: une introduction à la conception baha'ie de la santé", Thèse de doctoral en médecine, Lyon,1976.


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