Le courage d'aimer
Shoghi Ghadimi

3. L'amour et l'objectivité
Chapitre précédent Chapitre précédent Retour au sommaire Chapitre suivant Chapitre suivant


3.7. Les bienfaits de l'oubli

Deux amis se rencontrent: "Tu as un noeud dans ton mouchoir", remarque l'un. "C'est ma femme qui a fait ce noeud pour que je n'oublie pas de poster sa lettre." "Et tu l'as postée?", "Non, elle a oublié de me la remettre."

Ce n'est pas ce genre d'oubli qui fait l'objet de mon exposé. Ce n'est pas le genre d'oubli qui est très agréable et, en principe, on doit toujours s'efforcer de l'éviter. Il n'y a que les grands savants qui y arrivent difficilement et ceci pour la simple raison qu'ils ne chargent pas leur cerveau par le souvenir de " petites choses", ne pensant qu'uniquement à leurs problèmes. Ils ne retiennent exactement que ce qu'il faut afin de concentrer au maximum leur esprit sur la question qui les préoccupe. Les anecdotes sur cet oubli des grands savants sont nombreuses, je vais vous en raconter une.

Newton avait invité un ami chez lui pour déjeuner.

Il avait dit à la bonne de préparer deux poulets et que la table soit servie pour midi. Arrive l'invité, il voit deux poulets. Il a faim et Newton n'arrive pas. Après avoir attendu une heure, il se met à table et mange non seulement sa part, mais également la part de Newton. Et il s'en va vers deux heures. Newton se rappelle qu'il doit manger. Il quitte son travail, arrive à la maison et se met à table. Mais il ne voit que les os soigneusement nettoyés.

Il réfléchit un instant et se dit: "Que je suis distrait. J'ai oublié que j'avais déjà déjeuné!"

De tels oublis, surtout de la part des savants, ne présentent pas beaucoup d'importance. L'oubli qui est digne d'être étudié c'est l'oubli de ce qui est désagréable. C'est cet oubli qui est un bienfait. A ce point de vue, les enfants nous servent de meilleur exemple.

"Maman, j'aimerais que Charlotte vienne dîner ce soir à la maison, "dit une petite fille à sa mère. "Mais, voyons, tu m'as dit hier que Charlotte t'a insultée et que tu ne l'aimes pas." "Ah oui, mais j'ai oublié, c'était hier. "répond la petite.

La pureté du coeur de l'enfant n'est pas compatible avec le souvenir des choses désagréables.

Et c'est du point de vue de cette pureté du coeur que Jésus demande qu'on ressemble à l'enfant. "Le royaume des cieux est pour ceux qui leur ressemblent." (Matt. 19 /14.)

Dès sa naissance, l'homme possède donc cette qualité merveilleuse d'oublier les choses désagréables, pourquoi l'abandonnera-t-il en grandissant? Heureusement que, même quand il est adulte, son esprit, est plus disposé à retenir les choses agréables que les choses désagréables. Pourquoi ne pas profiter de cette disposition de notre esprit?

Rentrant d'un voyage, l'homme n'oublie-t-il pas les fatigues et les imprévus de ce voyage pour ne se souvenir que des beaux moments qu'il a passés? Remarquons que c'est dans l'intérêt même de l'homme. Car le souvenir d'une offense, par exemple, avec le désir de se venger, porte préjudice à notre santé corporelle, en plus de ses effets néfastes sur notre santé morale.

Et c'est la science qui le démontre. L'homme a donc tout intérêt à l'éviter, c'est-à-dire à oublier toute pensée désagréable. C'est là où il doit appliquer tous ses efforts et s'il lui arrive de le perdre de vue, d'oublier qu'il doit oublier tout ce qui l'ennuie, qu'il s'en souvienne.

L'éminent philosophe allemand Kant avait un domestique, un nommé Lampe qui le servit pendant des années et en qui il avait confiance. Un jour, il s'est aperçu qu'il le volait. Il l'a congédié, mais il lui était difficile de se passer de ses services. Et c'est alors qu'il inscrit dans son journal ces paroles si célèbres: "Me souvenir d'oublier Lampe."

Théoriquement, tout cela paraît bien beau, mais pratiquement comment y parvenir? Voilà le problème. La foi baha'ie nous en donne la solution, ce que je vais essayer d'expliquer.

Dans les Écrits baha'is nous lisons cette parole de Dieu: "Oublie tout sauf moi et entre en communion avec mon esprit." (Paroles cachées de Baha'u'llah - Maisons d'Éditions baha'ies - éd. 1943).

Or, l'esprit de Dieu est tout ce qui est essentiellement BON. Jésus n'a-t-il pas dit qu'il n'y a que Dieu qui soit BON? Et l'amour est tout ce qu'il y a de MEILLEUR. Par conséquent, lorsqu'on est tourmenté par un mauvais souvenir, il faut penser à celui qu'on aime (pour les croyants, c'est Dieu à qui on pense en priant) ou à ce qu'on aime. Je m'explique par un exemple. Supposons que je suis sur la route qui me conduit à la demeure de ma bien-aimée et que soudain surgisse un homme qui m'offense.

D'abord, je ne m'arrête pas pour me venger et puis, en continuant ma route, je n'y pense même pas, car c'est le souvenir de l'imminente rencontre avec ma bien-aimée qui me préoccupe. La pensée de l'amour fait oublier tout.

Et, pour appliquer dans la vie courante cette exhortation, `Abdu'l-Baha nous dit que lorsqu'un mauvais souvenir nous vient à l'esprit, il ne faut pas s'y arrêter pour le réprimer. Plus on s'efforce de le faire, plus on l'aggrave. Il faut tourner le miroir de notre esprit vers autre chose, vers ce qui est agréable pour en avoir l'image dans notre esprit.

C'est comme lorsque vous êtes occupés à faire votre toilette devant votre miroir (vous vous rasez ou vous vous maquillez) et votre enfant se met aussi devant le miroir et commence à faire des grimaces qui vous agacent. Plus vous lui dites de cesser, plus il vous agace. Qu'est-ce que vous faites? Vous tournez le miroir et vous ne voyez plus son image dans le miroir.

Comme je l'ai dit, les croyants " tournent le miroir de leur esprit " par le moyen de la prière, qui avant tout est une question d'expérience personnelle qui permet à chacun d'en ressentir l'effet. Et puis qui dit prière, dit méditation.

Etant donné que les paroles de la prière sont pardon, amour, détachement et jamais vengeance, haine et attachement, rien qu'en répétant sincèrement ces paroles, on se rappelle ce que l'on doit faire, peu importe si d'aucuns l'appellent autosuggestion.

Pour ceux qui s'imaginent n'être pas croyants, le moyen pratique pour " tourner le miroir de leur esprit " c'est de penser à ce qui leur est agréable, au succès qu'ils comptent remporter, à la fortune qu'ils vont gagner, à l'étude qu'ils vont entreprendre.

Tous ces bienfaits de l'oubli passent au second plan quand on pense à cet effet de l'oubli qui contribue au progrès aussi bien dans le domaine de la science que dans le domaine de la religion.

Dans le domaine de la science, c'est l'oubli qui est un facteur de progrès. Si Einstein n'avait pas oublié ce que ses contemporains estimaient comme seul valable (le principe de Newton), il n'aurait jamais découvert sa théorie de la relativité dont les applications nous ont rendu la vie facile et agréable à vivre, d'autant plus agréable quand on s'en tient à observer les lois morales.

Dans le domaine de la religion, l'oubli de ce qu'on entend dire en tant que seule vérité, est la condition essentielle du progrès. Un juif ne peut pas progresser vers la foi chrétienne s'il n'oublie pas ce qu'il entend dire et répéter: Moïse est le dernier prophète, celui qui rompt le Sabbat est un hérétique, etc.

De même aujourd'hui, l'homme ne peut pas progresser vers le stade actuel de l'évolution de la religion (foi baha'ie) s'il n'oublie des propos tels que:

"Tous portent le péché originel par suite du péché d'Adam. C'est le baptême qui efface le péché. Tout homme non baptisé est rejeté par Dieu, etc."

Pris à la lettre tout cela devrait être oublié si nous voulons faire des progrès dans le domaine de la religion.

Puisqu'on parle de l'oubli, je vous prie d'oublier tant de choses qui manquent à mon exposé.

Chapitre précédent Chapitre précédent Retour au sommaire Chapitre suivant Chapitre suivant