Le courage
d'aimer
Shoghi Ghadimi
8. Vivre et aimer ne font qu'un
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8.1. Mille façons d'aimer
Il y a un très ancien livre qui s'appelle
le Talmud. Ce livre est plein de sagesse et de beaucoup d'histoires instructives.
Je vals vous en raconter une ce soir.
Le livre en question dit que le site du Temple de Salomon était anciennement
un champ légué par un père à ses deux fils qu'il aimait profondément. Les deux
garçons ayant labouré et cultivé ensemble le champ en question en retirèrent
une bonne récolte. Puis chacun des fils estimant que l'autre a travaillé plus
que soi-même et que, par conséquent, il mérite plus de la moitié de la récolte,
une nuit, il emporte de son entrepôt autant de gerbes qu'il peut afin de les
placer en cachette dans le dépôt de son frère.
A mi-chemin ils furent étonnés de se rencontrer chacun chargé de gerbes de blé.
Devinant l'intention l'un de l'autre, ils jetèrent à terre leurs fardeaux et
les larmes aux yeux ils s'embrassèrent.
Le Talmud dit que c'est sur cette terre consacrée par les larmes d'amour et
l'esprit de fraternité que le Temple de Salomon fut érigé.
C'est une très belle histoire de l'amour entre deux frères.
Mais qu'est-ce qu'il faut entendre par le terme frère? Le dictionnaire donne
cette définition: "Deux êtres humains sont appelés frères s'ils ont le même
père".
Et qu'est-ce qu'un être humain? Qu'entend-on lorsqu'on dit: "c'est un homme,
c'est vraiment un homme"? Est-ce un homme parce qu'il a des yeux, des oreilles
ou d'une manière générale cinq sens? Sûrement pas, étant donné que l'animal
possède ces mêmes cinq sens, souvent même plus perfectionnés que ceux de l'homme.
Qu'est ce qui donc distingue l'homme de l'animal? Ce sont ses qualités morales,
ses attributs spirituels. C'est donc le point de vue spirituel qui doit l'emporter
quand on veut définir l'homme. Et son véritable père est celui qui est à l'origine
de ses qualités spirituelles, celui qui, pour ainsi dire, lui donne naissance
au point de vue spirituel.
Vu sous cet aspect l'homme n'a comme père que Dieu seul. C'est Dieu qui est
notre Père à tous. Nous avons donc tous un même Père qui est Dieu ; nous sommes
tous des frères habitant la même maison (la planète) sous le même toit (le voûte
des cieux). La seule différence parmi les frères c'est qu'il y en a qui sont
comme des enfants, il faut les traiter comme on traite les enfants. Il y en
a qui sont comme des malades, il faut les soigner ; il y en a qui sont comme
des gens peu instruits, il faut leur donner plus d'instruction, et tout cela
sans rejeter qui que ce soit de notre famille, sans exclure qui que ce soit
de la famille humaine.
Ce n'est pas là le langage que pouvait tenir la religion dans la passé. Et la
raison en est bien simple. C'est que l'humanité se trouvait encore au stade
de son enfance, et ne pouvait pas encore comprendre un tel langage. Il en résulte
que par le terme "frère" on entendait uniquement les coreligionnaires. Ainsi,
par exemple, selon l'Évangile celui qui obéissait à l'Église était un frère,
s'il désobéissait, c'était un païen (Mat.18/17).
Il en était de même dans l'islam, où il est dit "les musulmans sont des frères".
Mais dans la foi baha'ie, stade actuel de l'évolution de la religion, tous les
habitants de la planète sont des frères.
Ceci dit, voyons comment un baha'i s'efforce de mettre en pratique cet amour
fraternel dont parle l'histoire du Talmud.
Cet amour commence d'abord au sein du foyer familial, où en premier lieu il
s'agit de l'amour entre les époux.
De nos jours on confond cet amour avec les relations sexuelles, oubliant le
fait que l'appétit sexuel provoque un intérêt passionné pour le corps, tandis
que le véritable amour tout aussi passionnément s'intéresse à la personne tout
entière avec son caractère, son tempérament et ses goûts.
Un tel amour implique qu'on se connaisse avant de se marier, condition primordiale
dans le mariage baha'i, condition qui n'est généralement pas remplie dans notre
société actuelle. On se marie sans se connaître et, par conséquent, sans s'aimer
vraiment ; la satisfaction sexuelle l'emporte sur toute autre considération.
Si, dans le passé, on cherchait à aimer sans tomber dans la luxure, aujourd'hui
on veut assouvir sa sexualité sans aimer. On juge l'amour du partenaire par
le degré de sa volupté. Les effets néfastes d'un tel jugement se font ressentir
quand on avance en âge, car avec l'âge la femme perd son charme, et l'homme
ne garde pas la même passion qu'au début du mariage.
Dans le monde d'aujourd'hui le mariage " coup de foudre " sans qu'on se connaisse,
sans qu'il y ait vraiment amour, finit souvent par être considéré comme une
folie.
Ginette demande à son amie mariée:
"Qu'est-ce que tu penses d'Oscar?"
"C'est un fou" répond son amie.
"Figure-toi qu'il veut se marier avec moi".
"Et bien tu vois".
Et ce sont précisément de tels mariages conclus sans amour véritable entre les
futurs conjoints qui finissent par des divorces, ce qui constitue à son tour
un fléau social.
Il faut donc, selon la foi baha'ie, qu'avant le mariage on se connaisse, on
se comprenne.
La connaissance vient avant l'amour.
La tradition symbolise les vertus sous forme d'anges qui sont au nombre de neuf.
Et parmi ces anges la première place est occupée par l'ange de la connaissance
et la seconde par celui de l'amour.
La connaissance précède donc l'amour. On doit donc avant tout s'efforcer de
se connaître pour voir s'il y a similitude de goûts d'habitudes, de but dans
la vie...
C'est cette similitude qui permet que non seulement, l'amour soit ressenti,
mais que cet amour croisse avec le temps. Le mariage est un être vivant, et,
en tant que tel il doit croître.
Remarquez qu'il s'agit de la similitude et non pas de l'identité des goûts.
L'identité est impossible, car tout être humain, selon la foi baha'ie, est unique
à tous les points de vue.
Disons en passant que l'un des moyens pour se connaître c'est de s'efforcer
de connaître les beaux-parents. Car de même que les parents laissent un héritage
matériel, la nature a voulu qu'ils laissent un héritage psychologique.
Mais comme il est impossible de se connaître parfaitement, de même qu'il est
impossible d'arriver à l'identité des goûts et du caractère, il faut s'efforcer
de rester objectif, c'est-à-dire accepter son partenaire (ou sa partenaire)
tel qu'il est et non pas tel qu'on voudrait qu'il soit. Le mari doit céder autant
qu'il faut de ses préférences, et la femme, de son côté doit faire le même effort.
L'objectivité est donc la deuxième moyen d'assurer l'amour conjugal.
Un troisième moyen pour assurer l'amour conjugal c'est de mettre des lunettes
roses. Les partenaires doivent s'appliquer à voir le bon côté des choses plutôt
que les mauvais.
"Ma femme - disait un mari - a deux habitudes qui me gênent. Un jour je lui
ai proposé de s'en débarrasser, en échange je chercherai à me guérir de deux
défauts de son choix."
"Je n'en connais aucun - m'a-t-elle répondu. Après cela comment pouvais-je penser
à ses défauts".
Ce n'est pas que monsieur n'ait aucun défaut. Il en avait sûrement, mais elle
y fermait les yeux, ce qui a poussé son mari à en faire autant.
Voilà un merveilleux exemple à suivre. Par contre, ce qu'il faut absolument
éviter, c'est de chercher des défauts, et ce qui est pire encore, c'est d'avoir
des soupçons.
En voilà un exemple:
Un monsieur décide de se présenter aux élections municipales.
"Tu es fou - lui dit sa femme - Personne ne votera pour toi. Tu n'auras que
deux voix".
"Voyons chérie, il faut toujours être optimiste. Et bien tu verras".
Le soir du scrutin on fait les comptes. Le candidat a trois voix.
"Ah ! s'écrie sa femme - je savais bien qu'il y a une autre femme dans ta vie".
De tels soupçons dans la vie familiale sont réellement impardonnables. Et le
Prophète Muhammad a raison en disant: "Certains soupçons sont des péchés".
Un quatrième moyen pour contribuer à l'amour conjugal c'est de s'interdire les
propos durs et de ne tenir qu'un langage doux.
Ce quatrième moyen est en réalité indissolublement lié au troisième. Car lorsqu'on
découvre une bonne qualité, il faut en parler. Les Arabes disent: "On reconnaît
un homme par ses deux petits organes, son coeur et sa langue".
En effet quand on a un coeur pur on ne voit que le bon côté des choses, et on
en parle quand on a une langue douce.
Lorsqu'on adopte une telle attitude on peut dire que le ménage devient un petit
paradis créé par les époux et les mots qu'ils échangent.
Un cinquième moyen pour contribuer à l'amour conjugal c'est la consultation.
Les Écrits baha'is insistent sur la capacité de se consulter. Savoir se consulter
pour les baha'is est une vertu, qu'ils s'efforcent d'acquérir aussi bien au
sein du foyer familial, que lors de toutes leurs réunions.
A noter qu'habituellement la consultation n'est qu'une façon respectueuse de
demander à quelqu'un d'être de notre avis. Nous cherchons uniquement la confirmation
de notre opinion, alors qu'il nous serait plus profitable de connaître un point
de vue différent.
`Abdu'l-Baha dit que l'étincelle de vérité jaillit du choc des opinions, et
il nous demande de nous consulter les uns les autres même dans les petits problèmes
qui surgissent dans la vie.
Un tel conseil s'applique plus particulièrement au cas des époux, car ce sont
deux personnes qui étant plus souvent ensemble qu'avec d'autres, ont inévitablement
plus de petits problèmes, grâce auxquels elles apprennent de mieux en mieux
la façon dont on doit se consulter.
Disons en passant que l'un de ces petits problèmes est le problème d'argent,
dont la solution est dans le fait de faire caisse commune et de se consulter.
Un sixième moyen pour contribuer à l'amour conjugal c'est la générosité.
En faisant caisse commune chacun doit s'efforcer de laisser une part plus grande
pour l'autre, cette part étant assimilable aux gerbes que chacun des frères
de notre histoire décida de déposer dans l'entrepôt de l'autre.
Un septième moyen pour contribuer à l'amour conjugal c'est le service, ce qui
est la manifestation même de l'amour.
Là encore il faut qu'il y ait compétition entre les époux, compétition dans
le genre de celle des deux frères: chacun doit s'efforcer de rendre plus de
services que l'autre. Que le mari lave la vaisselle, par exemple, cela ne fait
que contribuer à plus d'affection et d'amour au sein du foyer familial.
Notons, en passant, que les baha'is portent une bague dont l'inscription leur
rappelle cet esprit de service.
Un huitième moyen pour contribuer à l'amour conjugal c'est que les partenaires
se soucient de leur santé, étant donné que leur moral dépend de leur santé,
et que le moral joue un grand rôle dans les relations conjugales.
Pour les baha'is le maintien de la santé est un devoir qu'ils remplissent en
s'imposant volontairement une discipline alimentaire garantissant la santé corporelle.
Ainsi, par exemple, ils s'abstiennent des boissons alcoolisées. Et l'on connaît
assez la responsabilité de l'alcool dans les scènes de ménage et la désunion
conjugale qui en résulte.
Un neuvième moyen pour contribuer à l'amour conjugal, moyen sublime, c'est le
recours à la prière, autrement dit la demande adressée à Dieu pour qu'Il dissipe
les malentendus et instille l'amour dans les coeurs.
Lorsqu'un baha'i face aux frictions inévitables démesurément grossies, voit
l'amour conjugal s'anémier, il a sans hésitation recours à la prière. Et comme
il croit à l'effet de cette prière, généralement il obtient satisfaction.
Pour nous résumer disons que l'union conjugale est une plante qui demande des
soins constants ; faute d'un effort mutuel cette plante pourrait un jour dessécher.
Ces soins peuvent se manifester de mille façons ; nous en avons cité neuf à
titre d'exemple ; les voici résumées:
1° Se connaître.
2° Etre objectif.
3° Etre optimiste.
4° Recourir au langage doux.
5° Se consulter.
6° Etre généreux.
7° Servir.
8° Veiller à sa santé.
9° Prier.
Indiscutablement toutes ces considérations s'appliquent à l'amour paternel,
maternel, filial et, d'une manière générale, à l'amour du prochain.
Ce qu'on appelle de nos jours le conflit des générations vient en principe de
ce qu'on n'observe pas ces règles élémentaires que nous venons de citer.
Pour éviter ces conflits et créer une ambiance d'amour au sein du foyer familial,
les parents doivent connaître et comprendre leurs enfants. Les parents doivent
être objectifs, sans jamais s'efforcer de modeler leurs enfants conformément
à l'image qu'ils se sont faite dans leur esprit. Les parents doivent toujours
voir le bon côté dans le comportement de leurs enfants et les encourager. Les
parents doivent se consulter avec leurs enfants, ce qui non seulement leur apprendra
comment on doit se consulter, mais en plus, leur permettra de prendre conscience
de leur dignité humaine.
Les parents doivent être plus généreux pour leurs enfants que pour eux-mêmes.
Les parents doivent par l'exemple apprendre à leurs enfants la serviabilité.
Les parents doivent, toujours par l'exemple, apprendre à leurs enfants comment
on doit veiller à la santé. Les parents doivent prier pour leurs enfants, et
surtout, humblement écouter la prière des enfants, ce à quoi ceux-ci sont très
sensibles.
Si les cas de divorce sont rares dans les ménages baha'is c'est que les conjoints
s'efforcent, dans la mesure du possible, d'observer les règles élémentaires
dont nous avons cité quelques-unes.
Et nous arrivons à l'amour du prochain, en général. La encore il faut recourir
à ces mêmes moyens que nous venons de mentionner.
Mais dans les relations sociales c'est surtout par le TRAVAIL qu'on peut et
on doit manifester son amour à l'égard du prochain.
Et je précise bien: on peut et on doit. On peut, car le travail c'est l'amour
rendu visible. On doit, parce que notre existence même dépend du produit du
travail de notre prochain. Notre santé ne dépend-elle pas de notre alimentation,
et par conséquent, de la qualité du travail des fournisseurs des aliments?
Sommes-nous aujourd'hui sûrs qu'on nous nourrit d'aliments sains?
Le client flaire le repas qu'on vient de lui apporter, et fait la grimace. Le
garçon fronce le sourcil et demande
"La composition du menu ne vous plaît-elle pas"
"Ce qui me déplaît c'est sa décomposition " répond le client.
Mais notre histoire ne finit pas là. Car le consommateur ne se contente pas
de faire la grimace en signe de protestation. Il décide de se venger quand le
restaurateur s'adresse à lui pour acheter un vêtement, par exemple. Et il l'assure
"Ce pardessus vous va comme un gant".
"C'est vrai. Les manches m'arrivent jusqu'aux bouts des doigts", répond le restaurateur
plus malin que le vendeur.
Et la compétition continue entre les deux soi-disant " frères", compétition
dans un esprit opposé à celui de l'histoire du Talmud.
Selon les Écrits baha'is si un homme dans l'exercice de son métier ne s'en tient
pas à l'esprit de justice, il est comparable à un roi injuste. Un commerçant,
par exemple, qui vend sa marchandise trop cher est à blâmer autant qu'un souverain
injuste. Dans un cas comme dans l'autre il s'agit de l'abus du pouvoir.
La tromperie par le travail est un autre fléau de notre siècle. Et l'on peut
combattre ce fléau par un coup de baguette magique. La seule solution, selon
les baha'is est dans l'éducation.
Et dans cette éducation le rôle principal est joué par la religion et non par
la science. Etant donné que c'est précisément là où la science est très avancée
qu'on trompe les uns les autres plus que dans le pays en voie de développement.
L'éducation religieuse baha'ie consiste à considérer le travail consciencieux
comme signe de la foi. Or on adhère à la foi baha'ie quand on se sent en mesure
de s'imposer volontairement, par amour pour l'humanité, l'observance d'un certain
nombre de lois et de principes. Partant de là celui qui entre dans la communauté
baha'ie s'engage à faire consciencieusement son travail et à éduquer ses enfants
dans ce même esprit.
C'est cette éducation qu'on donne dans les écoles baha'ies. A supposer qu'on
en fasse autant dans toutes les écoles du monde, d'ici une vingtaine d'années
ce fléau disparaîtrait complètement. On y arrivera tôt ou tard, en attendant
il faut bien commencer, car pour tout il y a un commencement, et les baha'is
sont les premiers à commencer.
Tout en donnant une telle éducation à leurs enfants, les baha'is eux-mêmes s'appliquent
à faire leur travail aussi consciencieusement que possible, s'efforçant ne fut
ce que de cette manière de justifier le titre qu'ils ont adopté volontairement.
Ce titre a été défini par `Abdu'l-Baha en 1912 quand il a débarqué à New York
pour une tournée de conférences en Amérique.
En réponse à la question d'un représentant de la presse qui lui demande qu'est
ce qu'un baha'i, il répondit:
"Etre baha'i signifie simplement aimer tout le monde, aimer l'humanité et s'efforcer
de la servir, travailler pour la paix et la fraternité universelle".