LA FOI BAHA'IE
L'émergence d'une religion mondiale
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10. En avant vers un siècle nouveau
Le 29 mai 1992, le jour du centième anniversaire du décès de Baha'u'llah, la
Chambre brésilienne des députés s'est réunie pour une séance spéciale de deux
heures, afin de rendre hommage à sa vie et à son oeuvre. L'orateur a lu un message
de la Maison Universelle de Justice, et les porte-parole de tous les partis
politiques représentés à la Chambre contribuèrent à cet hommage. Pour les baha'is
du monde entier, l'événement fournit une illustration supplémentaire de la reconnaissance
grandissante de leur foi, comme religion indépendante et respectée sur la scène
contemporaine. Mais ce qui semble le plus important est le fait que dans ce
processus, la personne du fondateur de la foi émerge progressivement de l'obscurité
qui enveloppait le premier siècle au cours duquel son influence commença à s'exercer.
Cette préoccupation fut primordiale en ce qui concerne les efforts personnels
des croyants pour faire connaître leur religion à leurs amis et à toute autre
personne désireuse de se renseigner. Dès la naissance de la nouvelle foi, la
revendication prophétique du Bab et de Baha'u'llah fut le point de mire de l'activité
individuelle d'enseignement. La littérature baha'ie aussi s'était principalement
préoccupée de présenter la mission des deux fondateurs de la foi, dans le contexte
de la succession des révélations divines qui leur avaient ouvert la voie.
Un effort parallèle avait néanmoins été entrepris très tôt par des communautés
organisées, en Occident particulièrement, pour fournir des informations plus
générales à un public plus large. Alors que les institutions baha'ies se consolidaient
partout dans le monde durant la seconde moitié du vingtième siècle, le discours
officiel de la communauté s'orientait de plus en plus vers la tâche consistant
à démontrer l'applicabilité des enseignements baha'is aux problèmes auxquels
doit faire face l'humanité : les conflits raciaux, les disparités sociales et
économiques, les injus-tices qui handicapent le rôle des femmes dans la société
et les conséquences des préjugés religieux et culturels.
L'expression la plus développée de ce message social parut en octobre 1984 lorsque,
pour la première fois de son histoire, la Maison Universelle de Justice adressa
une déclaration aux peuples du monde, sous le titre Promesse de la Paix mondiale.
[Nota:
La promesse de paix mondiale ,
Maison Universelle de Justice.]
Étant donné le contexte politique existant lors de sa publication, sa thèse
débutait de façon optimiste; à la lumière des événements ultérieurs au niveau
mondial, il se révéla également extraordinairement prémonitoire. L'établissement
de la paix internationale fut déclaré, " non seulement comme possible, mais,
comme inévitable ", en fait, l'étape suivante dans l'évolution de cette planète...
Le défi auquel doivent faire face les dirigeants de l'humanité, selon la déclaration,
consistent à se libérer de l'opinion paralysante selon laquelle l'agressivité
et le conflit représentent un comportement intrinsèque de la nature de l'homme
et sont, dès lors, indéracinables. Le fait de rejeter cette illusion sur la
nature humaine, profondément enracinée, et d'opter pour la paix ne signifie
pas renier le passé de l'humanité, mais le comprendre.
[Nota:
La promesse de paix mondiale ,
pp. 5-7.]
La déclaration affirme que :
" Reconnaître sincèrement que le préjugé, la guerre et l'exploitation ont été
l'expression d'étapes d'immaturité dans un vaste processus historique, et que
le genre humain fait aujourd'hui l'expérience d'un tumulte inévitable qui marque
son accès collectif à la maturité n'est pas une raison de désespoir, mais une
condition préalable à l'entreprise de la prodigieuse construction d'un monde
de paix. Les thèmes que nous vous demandons d'examiner sont la possibilité d'une
telle entreprise, l'existence des forces nécessaires à sa construction, et le
pouvoir d'établir les structures sociales unificatrices. "
[Nota:
La promesse de paix mondiale ,
pp. 6-8.]
Le document fut distribué dans de nombreuses langues, et par centaines de milliers
de copies aux membres de gouvernements et aux maîtres à penser, dans différents
domaines de l'activité humaine, démonstration spectaculaire du réseau mondial
que la foi avait développé. Au cours de la décennie suivante, les concepts qu'il
avançait devinrent des thèmes majeurs du débat baha'i et de l'information publique.
Identifiant explicitement Baha'u'llah comme l'auteur des principes et des concepts
présentés, ainsi que comme le fondateur de la foi baha'ie, le document ne tenta
pas de discuter la nature de sa mission ni la divine autorité dont il se réclamait.
[Nota:
La promesse de paix mondiale ,
pp. 2-3.]
Depuis lors, comme le montre l'hommage rendu par la Chambre des Députés du Brésil,
le discours public baha'i en est venu à se focaliser beaucoup plus sur la personne
de Baha'u'llah, pas seulement en tant que fondateur de la religion, mais en
tant qu'auteur d'un corpus incisif de pensées sur la nature de l'humanité et
l'organisation de la société. Le fait que son débat public sur les problèmes
mondiaux et les efforts de ses membres pour l'enseignement semblent converger
est sans doute, un signe de la confiance croissante de la communauté baha'ie
dans son audience auprès du public. À l'occasion de la commémoration du centenaire
du décès de Baha'u'llah, la communauté internationale baha'ie a publié une brève
présentation de sa vie et de son oeuvre, qui fut largement distribuée, et qui
débute par ces paroles :
" À la veille du nouveau millénaire, le genre humain ressent le besoin crucial
de trouver une vision unificatrice de la nature de l'homme et de la société...
Cependant, sans une conviction commune quant au sens et à la direction de l'histoire
humaine, il est inconcevable que les fondations d'une société mondiale, auxquelles
puisse participer l'ensemble de la société, puissent être posées.
Une telle vision est développée dans les Écrits de Baha'u'llah, la figure prophétique
du dix-neuvième siècle, dont l'influence grandissante constitue le développement
le plus remarquable de l'histoire religieuse contemporaine... Ce phénomène n'a
aucune référence dans le monde contemporain : il faut plutôt l'associer à des
changements de direction cruciaux survenus dans le passé collectif du genre
humain. Baha'u'llah proclama n'être autre que le messager de Dieu pour l'âge
de la maturité humaine... "
[Nota:
Baha'u'llah ,
p. 7.]
Le terme Année sainte avait été utilisé par Shoghi Effendi en 1953 pour désigner
le centenaire du début de la mission de Baha'u'llah dans l'obscurité du Siyah-Chal.
Suivant cet exemple, la Maison Universelle de Justice déclara alors la période
entre avril 1992 et avril 1993, comme étant la seconde Année sainte baha'ie,
marquant à la fois le centenaire du décès de Baha'u'llah, survenu le 29 mai
1892, et l'inauguration de son alliance en novembre de la même année. Plusieurs
milliers de croyants désignés parmi les centaines de nations et d'ethnies représentées
dans la communauté baha'ie, se rassemblèrent au Centre mondial baha'i, afin
de rendre hommage au fondateur de leur foi lors du premier de ces deux événements
commémoratifs.
Six mois plus tard, un congrès mondial attira au centre Javits à New York, ville
de l'alliance [Nota: C'est-à-dire où 'Abdu'l-Baha a proclamé l'alliance lors
de sa visite en 1912. Voir p. 71], le rassemblement le plus important et
le plus diversifié de baha'is qui ait jamais eu lieu, pour célébrer pendant
quatre jours l'expansion mondiale que la puissance unificatrice de l'alliance
de Baha'u'llah avait rendue possible. Un réseau, d'une conception très pointue,
de huit satellites relia le congrès à des conférences secondaires données à
Buenos Aires, Sydney, New Delhi, Nairobi, Panama City, Bucarest, Moscou, Singapour
et à Samoa-Ouest.
Ce fut un moment galvanisant lorsque les baha'is rassemblés à Moscou, qui participaient
pour la première fois à un événement baha'i international, s'adressèrent au
congrès de New York, situé aux antipodes de Moscou. Le dernier jour, un relais
vidéo par satellite permit aux membres de la Maison Universelle de Justice,
siègeant sur le Mont Carmel, de s'adresser directement à l'assemblée de New
York. Un cadre d'une société canadienne de diffusion qui avait aidé à coordonner
cette opération dit à cette occasion " qu'un nouveau monde de possibilités s'était
ouvert à une religion dont le principe de base est l'unité. "
La même année, un développement parallèle servit à concentrer l'attention sur
le rôle de Baha'u'llah comme source de l'autorité au-delà du message de la foi.
Référence a déjà été faite à l'apparition, en 1973, d'un Synopsis et Codification
du Kitab-i-Aqdas, le livre des lois de Baha'u'llah, travail préliminaire mis
en route par Shoghi Effendi.
[Nota: Voir pp. 194 à 203.]
Au cours des années ultérieures, le travail avait lentement progressé dans les
tâches complexes et exigeantes de la traduction, de la codification et de l'annotation
du corps du document qui allait finalement constituer le texte édité. L'achèvement
du projet, que le monde baha'i avait ardemment attendu depuis des années, coïncida
avec les événements de l'Année sainte.
Le Gardien de la foi avait lui-même traduit en anglais et publié environ deux
tiers du livre. Cette tâche, après son décès, fut achevée par un comité supervisé
par la Maison de Justice. Plus exigeante encore fut la traduction de textes
supplémentaires de Baha'u'llah en rapport avec l'oeuvre, et de commentaires qu'il
avait écrits sur le texte original, en réponse aux questions qui lui avaient
été posées. Selon Shoghi Effendi, l'ouvrage entier devait alors être abondamment
annoté de commentaires sur des passages spécifiques, tirant leur autorité de
déclarations explicites de 'Abdu'l-Baha et de Shoghi Effendi, les interprètes
désignés du Livre. En conséquence, alors que le document principal ne compte
que soixante-neuf pages dans sa version anglaise, l'ouvrage complet, qui inclut
les textes supplémentaires et les notes, atteint les cent cinquante et une pages.
Il serait impossible d'exagérer l'importance de ce livre pour la mission de
la foi baha'ie, livre que Shoghi Effendi a décrit comme l'acte le plus significatif
de la mission de Baha'u'llah et la charte de son nouvel ordre mondial.
[Nota: Shoghi Effendi,
Dieu passe près de nous,
p. 204.]
Alors qu'il reprend les vérités des grandes religions du passé, le Kitab-i-Aqdas
est considéré par les baha'is comme étant l'Écrit qui pose le fondement spirituel
et moral pour l'âge de la maturité collective de l'humanité, en fournissant
un système de lois, de préceptes moraux et d'institutions destinés à favoriser
la naissance d'une communauté mondiale régie par des principes spirituels et
moraux.
[Nota: Ces commentaires sont basés sur des articles de Douglas Martin, The
Kitab-i-Aqdas, Its Place in Baha'i Literature, et de William Hatcher, The Kitab-i-Aqdas,
The Causalty Principle in the World of Being, dans la nouvelle série de Baha'i
World, vol. 1 et 2 respectivement.]
Dans ce texte central de sa révélation, Baha'u'llah réaffirme la souveraineté
de Dieu, la seule autorité qui gouverne la vie morale. Dieu est la Source de
tout ce qui existe; par ses messagers, à toutes les époques, il a révélé ces
lois et ces principes qui furent les éléments civilisateurs essentiels de la
nature humaine. L'autonomie de l'individu n'est donc pas seulement conditionnée
par les limites du monde naturel dans lequel il vit, mais également par l'univers
spirituel qui transcende et anime ce monde. Aujourd'hui, le genre humain assiste
à l'aurore de l'âge de la justice, promis dans toutes les révélations passées.
À travers le travail et la souffrance, les peuples du monde s'éveillent aux
possibilités que leur confère leur humanité commune. Ils se préparent à accepter,
à la fois, leur propre unicité et leur dépendance ultime de la justice d'un
Créateur aimant et infaillible.
Le Kitab-i-Aqdas est l'expression de cette justice divine. " Le but de la justice,
affirme Baha'u'llah, est l'apparition de l'unité parmi les hommes. "
[Nota:
Les Tablettes de Baha'u'llah
révélées après le Kitab-i-Aqdas, p. 69.a]
Amour, miséricorde et pardon sont des qualités qui doivent caractériser les
êtres humains dans leurs relations mutuelles. Mais, pour que ces qualités fleurissent
comme les traits distinctifs de la civilisation, chaque membre, chaque groupe
qui compose la société doit avoir l'assurance d'être protégé par des normes
qui s'appliquent à tous de la même façon. Les concepts, les lois et les principes
énoncés dans le Kitab-i-Aqdas ont pour objectif de fournir la base spirituelle
de cette assurance pour la vie collective de l'humanité.
Dans l'introduction du texte publié, la Maison Universelle de Justice explique
:
" En ce qui concerne les lois elles-mêmes, une étude attentive permet de découvrir
qu'elles s'adressent à trois domaines : la relation de l'individu avec Dieu,
les questions physiques et spirituelles qui bénéficient directement à l'individu,
les relations entre individu, et entre les individus et société. On peut aussi
les regrouper sous les titres suivants : prière et jeûne; lois relatives au
statut personnel traitant du mariage, du divorce et de la succession; une série
d'autres lois, ordonnances et interdictions, ainsi que les exhortations; abrogation
de lois et d'ordonnances précises de dispensations antérieures. "
[Nota:
Le Kitab-i-Aqdas
, p. 4.]
Cette présentation offre aussi une explication intéressante sur le style de
langage dans lequel le Kitab-i-Aqdas a été rendu en anglais :
" Baha'u'llah maîtrisait superbement l'arabe et préférait l'utiliser dans les
tablettes et les autres écrits dans lesquels sa précision sémantique était particulièrement
appropriée à l'exposé d'un principe de base. Pourtant, au-delà du choix de la
langue elle-même, le style employé est d'un caractère élevé, émouvant et très
imposant, surtout pour ceux qui connaissent la grande tradition littéraire d'où
il vient. Entreprenant sa tâche de traduction, Shoghi Effendi dut faire face
au défi de trouver un style en anglais qui, non seulement transmettrait fidèlement
le sens précis du texte, mais qui évoquerait aussi pour le lecteur l'esprit
de respect méditatif qui est un trait distinctif des réactions produites par
le texte original. Il choisit une manière de s'exprimer rappelant le style des
traductions anglaises de la Bible du dix-septième siècle, qui rend la noblesse
de l'arabe de Baha'u'llah, tout en restant accessible au lecteur contemporain.
"
[Nota:
Le Kitab-i-Aqdas ,
p. 10.]
Une discussion sur ce sujet dépasse le cadre de cette courte étude. Mais il
est important de noter que seule une part relativement peu importante des lois
morales et spirituelles qui y sont contenues a été appliquée, à ce jour, par
la communauté baha'ie. Il a déjà été fait référence au fait souligné par Baha'u'llah,
que le même principe de progressivité qui a gouverné la série de révélations
divines au cours de l'histoire, guide aussi, l'application graduelle des exigences
de la révélation qu'il a apportée à la vie de l'humanité, comparant ce processus
à la venue du printemps.
[Nota: Voir pp. 194-195.]
Dès que ceux qui reconnaissent le nouveau messager divin commencent à mettre
en pratique les lois et les principes qu'il enseigne, ils développent leur capacité
de compréhension et servent d'exemple à d'autres dimensions de la volonté de
Dieu. Dans le cas de la révélation de Baha'u'llah, comme l'a précisé la Maison
de Justice dans son Synopsis et Codification, beaucoup de lois du Kitab-i-Aqdas
sont destinées à une société qui émergera de l'époque de troubles et de souffrances
qu'elle traverse actuellement.
Pour les baha'is, l'apparition tant attendue du Plus Saint Livre marqua une
nouvelle étape dans l'évolution de la mission de Baha'u'llah, une étape durant
laquelle le concept du messager de Dieu comme législateur revêtira une importance
croissante dans l'expérience baha'ie. Publié justement au moment où la communauté
entière commémorait le centenaire du décès du fondateur de leur foi et l'inauguration
de son alliance, la publication du Kitab-i-Aqdas donna un élan supplémentaire
à la décision de diriger l'attention de manière plus explicite vers celui qui
est la source de la croyance baha'ie aussi bien que la raison du profond sentiment
de confiance en l'avenir qui caractérise les adhérents à la foi.
Lors de la commémoration de ce centenaire, les baha'is du monde entier prirent
conscience d'une autre dimension importante de l'autorité spirituelle, dimension
incarnée par la cause dans laquelle ils s'étaient engagés. Il s'agissait de
l'extension à toutes les communautés baha'ies [Nota: La loi fut appliquée
depuis la naissance de la foi aux communautés baha'ies du Moyen-Orient]
de l'opération du Droit de Dieu (Huququ'llah), une forme de contribution financière,
par tous les baha'is, à l'autorité centrale de leur foi, et un moyen d'une conception
et d'une évidence indiscutable, pour accomplir la mission de Baha'u'llah à l'échelle
mondiale. Comme expliqué précédemment [Nota: Voir pp. 223-224.], le principe
central du financement du travail des communautés baha'ies est la participation
volontaire. Chaque individu doit décider en privé, en son âme et conscience,
des contributions à apporter aux différents fonds baha'is. Le système de collecte
de fonds, devenu familier dans la vie religieuse de nombreux pays est totalement
proscrit dans les Écrits baha'is. Il est exclu de solliciter ou d'exercer quelque
forme de pression que ce soit, directe ou indirecte, et aucune contribution
ne peut être reçue de personnes qui ne sont pas enregistrées comme membres de
la communauté baha'ie.
En dépit de ces contraintes scripturales, l'approche de cette forme de contribution
s'est révélée très fructueuse pour faire face aux besoins des communautés baha'ies,
tant au niveau national que local. De telles contributions sont versées, par
les baha'is à travers le monde, au fonds international de la foi. Pour l'âge
qui verra la résolution des inégalités et des problèmes liés aux divisions qui
ont fracturé le genre humain, Baha'u'llah s'appliqua à s'assurer que l'autorité
internationale de sa religion aurait directement à sa disposition les moyens
matériels nécessaires pour poursuivre les tâches mondiales qu'il avait établies
pour elle, libre de toute dépendance envers des canaux nationaux ou locaux.
C'est à ce besoin que s'adresse le Droit de Dieu.
Il réalise cela en ajoutant aux liens spirituels, qui relient individuellement
le croyant à l'autorité centrale de la foi, un lien explicitement matériel.
En attirant l'attention sur l'analogie que Baha'u'llah avait faite entre le
corps de l'humanité et celui de l'individu, 'Abdu'l-Baha explique :
" En contemplant la vaste étendue de la création, tu remarqueras que, plus élevé
est un règne de choses créées sur l'échelle d'ascendance, plus manifestes sont
les signes et les preuves de la vérité, selon laquelle, la coopération et la
réciprocité au niveau d'un ordre élevé sont plus importantes, que celles qui
existent au niveau d'un ordre inférieur...
... plus cette relation mutuelle est renforcée et développée, plus la société
progressera et prospérera. En effet, sans ces liens vitaux, il serait absolument
impossible pour l'humanité d'atteindre la vraie félicité et le véritable succès.
"
Maintenant, considère que, si parmi les êtres qui sont simplement les manifestations
du monde de l'existence, ce sujet insignifiant est d'une telle importance, alors
combien plus grand l'esprit de coopération et d'assistance mutuelle doit-il
être parmi ceux qui [ont reconnu la révélation de Dieu] ... Donc, il
n'y a aucun doute qu'ils doivent être désireux de sacrifier leur vie pour leurs
semblables.
Ceci est le principe de base sur lequel l'institution du Huququ'llah est établie,
puisque ses montants sont consacrés au progrès de ces buts.
[Nota: Cette citation, ainsi que celles qui suivent, sont toutes tirées de
la compilation Huququ'llah
ou le Droit de Dieu, pp. 27-28.]
Aujourd'hui, le montant des recettes du Droit de Dieu constitue une partie majeure
des revenus qui financent le travail de la Maison Universelle de Justice et
du Centre mondial baha'i. Ces revenus sont utilisés d'une part, à promouvoir
les enseignements de Baha'u'llah et le développement des institutions internationales
de la foi et, d'autre part, à financer un programme de plus en plus vaste de
projets de développement dans le monde.
Comme le nom l'indique, le Droit de Dieu n'est pas une contribution ou une donation.
Pour les baha'is, il représente plutôt une revendication par Dieu, pour ceux
qui croient en sa révélation, de supporter le travail servant les intérêts du
genre humain tout entier. Il n'est pas lié aux revenus, mais au capital accumulé,
et son application assurera un équilibre progressif des bénéfices de la possession
de richesses matérielles entre les activités baha'ies exercées dans les parties
riches du monde, et celles entreprises dans des régions économiquement moins
développées. Fondamentalement, il appelle chaque croyant à rendre à Dieu dix-neuf
pour cent du capital qu'il a accumulé, après que toutes les dépenses pour vivre
ont été couvertes et que toutes les dettes ont été remboursées. Les avoirs tels
que la maison, les meubles et les possessions personnelles d'une personne ou
d'une famille ne sont pas inclus dans le calcul de la fortune, et la détermination
du montant, de l'échéance du paiement et de toutes les questions y affairant
est laissée à la personne qui prendra sa décision en son âme et conscience.
Même concernant l'obligation elle-même, comme pour d'autres affaires financières
de la foi, Baha'u'llah interdit toute forme de sollicitation de la part des
institutions baha'ies; et aucun individu ne peut être informé de ce qu'un autre
a fait. La loi est une sommation à la maturité personnelle et à l'identification
de soi avec l'humanité. " Le Droit de Dieu est une obligation pour tous, déclare
'Abdu'l-Baha . Cependant, il n'est pas permis de le solliciter ou de le demander.
Si quelqu'un a le privilège de payer le Huquq et le fait dans un esprit de joie
et de rayonnement, un tel acte est acceptable, sinon il ne l'est pas. De plus
... le paiement du Droit de Dieu dépend de la capacité financière de chacun
à le faire. Si une personne est incapable de remplir cette obligation, Dieu
l'en excusera certainement. Il est Celui qui toujours pardonne, l'Infiniment
généreux. " En participant à cette institution unique, le croyant, selon les
paroles du fondateur de la foi, purifie la richesse que sa situation personnelle
lui a permis d'amasser et contribue directement à l'immense entreprise que Baha'u'llah
a établie comme le but de sa foi, à savoir, la transformation de la vie spirituelle
et matérielle sur la planète.
[Nota: Huququ'llah
ou le Droit de Dieu.]
À ce stade récent de son application, alors que cette institution commence à
devenir un acte courant de la vie personnelle de la plupart des baha'is, elle
est probablement ressentie, surtout, comme un principe spirituel qui discipline
l'attitude personnelle face à l'utilisation de la fortune. Cependant, la portée
de ses implications est stupéfiante. Shoghi Effendi imagina le jour où les dépositaires
de l'institution, opérant sous la guidance de la Maison Universelle de Justice,
administreront un complexe d'agences de développement et de fonds d'investissement,
qui mettront en pratique les principes de justice qui résident au coeur de la
mission de Baha'u'llah. En rendant possible la participation directe de chaque
baha'i - en plus et au-delà de toute impulsion de charité et de toute contrainte
nationale et culturelle - un processus, représentant une approche tout à fait
neuve pour servir les besoins de développement international, a été lancé.
L'émission par satellite de l'Année sainte, qui avait relié le Congrès mondial
avec des conférences simultanées à Bucarest et à Moscou, souligna l'importance
d'un autre développement de cette fin de siècle, un développement que peu de
baha'is s'étaient attendus à voir de leur vivant. Il s'agissait du rétablissement
spectaculaire et de l'efflorescence de communautés baha'ies en Russie, en Asie
centrale et en Europe de l'Est, qui ont immédiatement suivi la chute du bloc
soviétique. Avant la Deuxième Guerre mondiale et grâce aux efforts énergiques
fournis par des voyageurs baha'is occidentaux pour l'enseignement, de petites
communautés baha'ies étaient nées dans la plupart des pays d'Europe de l'Est.
Les restes émiettés de ces communautés avaient survécu à l'occupation nazie
ainsi qu'à la répression soviétique. En effet, durant les années qui ont précédé
la guerre, l'une des voix les plus prestigieuses et les plus claires de la scène
internationale promouvant la vision de Baha'u'llah, était la Reine Marie de
Roumanie. Convertie à la foi dans les années 1920 grâce aux efforts infatigables
de l'enseignante itinérante Martha Root [Nota: voir p. 84.], la Reine
Marie avait pris des mesures inhabituelles, pour que son témoignage du pouvoir
de la révélation baha'ie soit publié dans les journaux de différentes régions
du monde. Voici l'une de ces déclarations en 1926 :
" Baha'u'llah et son fils 'Abdu'l-Baha nous ont livré un merveilleux message...
C'est le message renouvelé du Christ, prononcé presque avec les mêmes mots,
mais adapté aux mille ans à venir et à toutes les différences qui existent entre
l'an un et aujourd'hui...
Je vous le recommande à tous. Si le nom de Baha'u'llah ou de 'Abdu'l-Baha arrive
à vos oreilles, ne rejetez point leurs Écrits. "
[Nota: Toronto Daily Star, 4 mai 1926.]
Aucun autre pays cependant, à part la Perse elle-même, n'avait joui d'une association
aussi intime avec les prémices de l'histoire de la foi baha'ie et avec la personne
de son fondateur, que l'avait fait la Russie. Particulièrement franc, le prince
Dmitri Dolgorukov, ambassadeur du gouvernement impérial russe, fut parmi les
diplomates de plusieurs gouvernements occidentaux qui protestèrent en 1850 auprès
de Nasiri'd-Din Shah, contre le traitement barbare infligé à d'innocentes victimes
babies. En effet, Baha'u'llah attesta que Dolgorukov était intervenu directement
en sa faveur, alors qu'il affrontait la mort dans le Siyah-Chal. En écrivant
des années plus tard au Tsar Alexandre II, l'auteur de la révélation baha'ie
rappela cet acte plein d'humanité, assurant au monarque que cet acte serait
considéré comme un trésor spirituel pour la nation et pour le peuple au nom
duquel il avait été entrepris.
Comme nous l'avons dit précédemment [Nota: Voir p. 40-41], les érudits
russes avaient été parmi les premiers à s'intéresser aux fois babie et baha'ie,
leurs travaux publiés contribuant de façon non négligeable, à attirer sérieusement
l'attention sur les événements qui se déroulaient en Perse. La proximité du
berceau de la foi baha'ie en Perse avait aussi contribué au premier établissement
des communautés baha'ies locales dans le sud de la Russie. En 1902, avec le
soutien du gouvernement russe, et en présence du gouverneur provincial, la première
maison d'adoration baha'ie fut érigée à `Ishqabad, en Adhirbayjan. Les baha'is
russes sont aussi très fiers, et à juste titre, du fait que leur pays fut le
premier à intervenir directement pour protéger les droits civils des membres
de la foi vivant sous sa juridiction. Lorsque des fanatiques musulmans assassinèrent
un baha'i important à `Ishqabad, les autorités russes réprimèrent l'agression
et une cour civile condamna le meurtrier à mort, une sentence qui fut commuée
en emprisonnement, uniquement grâce à l'appel de la communauté baha'ie locale.
[Nota: Voir The Baha'i Yearbook, vol. 1 (Wilmette, Ill.: Baha'i Publishing
Trust, 1980) p. 79.]
Avec la chute du régime soviétique, sous lequel les activités de la foi avaient
été sévèrement réprimées [Nota: Voir p. 281], des assemblées baha'ies
locales se multiplièrent dans toute la Russie et dans les républiques voisines;
la consolidation de ces dernières réanima des communautés, et ajouta finalement
une vingtaine d'assemblées nationales dans cette région du globe. L'une des
trois Mains de la cause encore en vie, `Ali Akbar Furutan, qui était né et avait
grandi en Russie, eut la satisfaction, à l'âge respectable de 86 ans, de retourner
à Moscou pour l'élection de la première Assemblée spirituelle nationale de Russie,
en avril 1991. Aujourd'hui, la littérature baha'ie est disponible dans la plupart
des langues de la région, et les institutions baha'ies sont engagées dans la
poursuite énergique de la même forme de reconnaissance civile que leurs homologues
ont atteint ailleurs.
La dernière décennie de ce siècle a contribué à mettre en relief l'importance
du diagnostic de Baha'u'llah concernant les maux de l'humanité et sa prescription
pour guérir ces maux. Lors d'une série de conférences internationales organisées
par les Nations unies, dont plusieurs étaient désignées sous le terme de sommets
car des chefs d'États y assistaient, les gouvernements nationaux furent poussés
à considérer des questions cruciales qui interpellent l'humanité. Celles-ci
incluaient : les besoins des enfants dans le monde, la crise de l'environnement,
les droits de l'homme, les problèmes de population, un développement soutenu,
l'avancement de la femme et le problème de l'habitat. Les médias ont accordé
beaucoup d'attention à ces questions, et plusieurs milliers d'organisations
non-gouvernementales y ont également collaboré. La Communauté internationale
baha'ie fut aussi profondément impliquée dans la majorité des événements.
La volonté des décideurs du monde entier de se concentrer précisément sur les
thèmes situés au coeur du message de Baha'u'llah, donna à cette série de conférences
une grande signification pour les baha'is, allant bien au-delà des résultats
immédiats. En fait, aussi faible que soit la volonté internationale de changer
et aussi chimériques que soient certaines résolutions, le système des Nations
unies avait déterminé - juste un siècle après le décès de Baha'u'llah - que
les thèmes contenus dans son message représentent en effet les réalités urgentes
auxquelles doit faire face l'humanité. Beaucoup d'Écrits dans lesquels Baha'u'llah
avait développé ces concepts avaient été adressés à l'origine à des contemporains
du dix-neuvième siècle tels que la reine Victoria, l'empereur d'Allemagne et
le tsar de Russie - dont le contexte historique semble à présent aussi lointain
que celui d'Agamemnon ou Mithridates.
Lorsque la série de réunions s'acheva en 1996, il était devenu évident au corps
dirigeant de la foi, que l'époque réclamait une nouvelle initiative destinée
à explorer plus systématiquement les implications des enseignements de Baha'u'llah
relatives aux questions de transformation de la société, ainsi que l'interprétation
des conclusions qui en découlent dans le langage du discours international contemporain.
En conséquence, vers la fin de la même année, la Maison Universelle de Justice
donna son accord à la proposition de créer une nouvelle agence de la Communauté
internationale baha'ie, l'Institut d'études pour la prospérité mondiale. Destinée
à fournir une plate-forme d'échanges entre les érudits et les spécialistes baha'is
d'une part, et leurs homologues dans un grand nombre d'organisations non gouvernementales
et académiques d'autre part, la nouvelle institution emboîta le pas de Vers
une Humanité prospère, un document qui avait été préparé par la Communauté internationale
baha'ie en 1995 pour la série de conférences des Nations unies. Parce que le
document exprime si clairement la " prescription " baha'ie - sur les efforts
à fournir par la communauté internationale, pour s'attaquer à la crise à laquelle
l'humanité est confrontée en cette fin de siècle - son contenu mérite une attention
particulière.
[Nota:
Vers une humanité prospère ,
(New York : Baha'i International Community, 1995) Librairie Baha'ie, Paris,
éd. 1995.]
Cette déclaration souligne en introduction, qu'avec l'unification physique de
la planète durant ce siècle, " l'histoire de l'humanité en tant que peuple unifié
commence ". Ce fait appelle à un réexamen minutieux " des attitudes et des postulats
qui sous-tendent les approches actuelles du développement économique et social.
"
[Nota:
Vers une humanité prospère ,
p. 2.]
Elle argumente sur le fait, qu'une telle reconsidération doit commencer par
l'abandon de deux hypothèses erronées, qui paralysent tout effort visant à concevoir
une stratégie de développement réaliste, même si elles sont bien intentionnées
et largement fondées. La première est la foi dans l'idéologie d'un matérialisme
dogmatique, que la déclaration regarde comme ayant essentiellement retiré tout
pouvoir à la grande majorité des peuples de la terre. La seconde hypothèse est
la croyance connexe selon laquelle, l'humanité entière ne peut apprendre à assumer
la responsabilité de son avenir collectif, mais qu'elle doit se démettre de
telles prises de décisions au profit de groupes d'élites commis précisément
dans la vision du monde qui a conduit l'humanité au bord du désastre. La déclaration
est intransigeante quant à débattre ces deux questions. À propos des doctrines
matérialistes très répandues, elle dit :
" Au soir du vingtième siècle, il n'est plus possible de persister à croire
que l'approche du développement social et économique née de la conception matérialiste
de la vie puisse répondre aux besoins de l'humanité. Les prévisions optimistes
relatives aux transformations que cette approche aurait dû provoquer se sont
toutes dissipées dans l'abîme qui sépare toujours plus, d'une part les niveaux
de vie d'une petite minorité de la population en régression relative, et, d'autre
part, la pauvreté qui afflige la grande majorité des habitants de la planète.
"
[Nota:
Vers une humanité prospère ,
p. 3.]
Concernant l'hypothèse sous-entendue selon laquelle les masses de l'humanité
devraient être considérées comme des bénéficiaires, par essence, d'aides et
de formations venant d'un autre monde que le leur, plutôt que comme des protagonistes
conscients dans la lutte pour un développement global, la déclaration fait remarquer
que :
" Cette attitude fait l'impasse sur ce qui est probablement le phénomène social
le plus important de notre époque : s'il est vrai que les gouvernements de la
planète s'efforcent, par le biais du système des Nations unies de construire
un nouvel ordre mondial, il est tout aussi vrai que cette même perspective galvanise
les peuples du monde. Leur réaction a pris la forme d'une prolifération soudaine
de mouvements et d'organisations oeuvrant pour un changement social aux niveaux
local, national et international...
Cette réponse des peuples aux besoins criants de l'époque fait écho à l'appel
lançé par Baha'u'llah, il y a plus d'un siècle : " Soyez vigilants aux besoins
de votre époque et concentrez vos délibérations sur ses nécessités et sur ses
exigences. " Radicale du point de vue de l'histoire de la civilisation, cette
modification dans la façon dont un grand nombre de gens ordinaires en vient
à se considérer soulève des questions fondamentales quant au rôle à assigner
à l'ensemble de l'humanité dans la planification du devenir de notre planète.
"
[Nota:
Vers une humanité prospère ,
pp. 4-5.]
Vers une Humanité prospère deviendra certainement le fer de lance d'une série
d'études à travers lesquelles la communauté baha'ie s'efforce d'appliquer, toujours
plus directement, les prescriptions de Baha'u'llah aux problèmes auxquels la
société est confrontée. Plusieurs de ses thèses suggèrent le cours à suivre
par cet effort. Conseillant vivement, par exemple, que les capacités intellectuelles
soient poussées à des niveaux bien supérieurs à ce que le genre humain a atteint
jusqu'ici - il le peut et il le doit -, la déclaration accorde une attention
particulière au rôle de la connaissance, ajoutant que la statégie du développement
doit avoir pour objectif majeur de permettre aux personnes de toutes cultures
et de toutes nationalités " d'accéder sur une base égale à cette science et
à cette technologie auxquelles, elles ont, de naissance droit. " À voir avec
quel mépris les vérités spirituelles de tous bords sont considérées par beaucoup
de gens, au premier plan de la formulation de la stratégie du développement,
la déclaration pose la question suivante : " Quel poids donner à une déclaration
qui affiche son adhésion au principe de la participation universelle tout en
niant, dans les faits, la validité du passé culturel par lequel les participants
se définissent. "
[Nota:
Vers une humanité prospère ,
pp. 15-16.]
En regard des problèmes économiques, la déclaration voit une relation de cause
à effet entre l'émancipation de la femme et les solutions à la crise économique
qui s'aggrave. Elle ne réclame pas simplement pour les deux sexes, un accès
égal à l'emploi, à la possession de la fortune et à l'éducation, mais également
de repenser fondamentalement les questions économiques, ce qui permettra de
comprendre les relations humaines de manière beaucoup plus profonde que ne le
permet la compréhension alimentant actuellement le discours économique. L'approche
nécessaire, selon cette déclaration, est une approche dont le centre " est résolument
altruiste plutôt qu'égocentriqu "e, et où " des millénaires de pratique ont
préparé les femmes à jouer un rôle crucial dans cet effort commun " [à la
résolution de la crise].
[Nota:
Vers une humanité prospère ,
pp. 16-22.]
Au cours de l'histoire, la grande architecture a joué un rôle vital en mobilisant
l'énergie sociale et l'engagement requis pour atteindre des objectifs publics
ambitieux. Depuis les étapes les plus reculées de la civilisation, les sociétés
ont senti l'importance d'ériger d'imposants édifices à l'image des idéaux qui
les animaient, servant également de siège à l'autorité ainsi projetée. Ce phénomène
s'est avéré particulièrement exact en ce qui concerne l'État, mais ne s'est
pas limité au seul domaine politique. Cette perspective nous donne une idée
de l'importance que les fondateurs de la foi baha'ie ont accordée, dès l'arrivée
de Baha'u'llah en Terre sainte, au développement du Centre mondial de la foi.
Se représentant l'émergence d'institutions qui joueraient un rôle vital dans
le processus de l'unification de l'humanité, Baha'u'llah parla en termes exaltés
du Mont Carmel, qu'il désigna sous le nom de Montagne de Dieu, s'adressant en
termes maintenant familiers aux baha'is du monde entier :
" Rends grâce à ton Seigneur, ô Carmel... Réjouis-toi, car Dieu, en ce jour
a établi son trône sur toi, a fait de toi l'aurore de ses signes et la source
des témoignages de sa révélation...
... car en vérité, voici le jour où la terre et la mer se réjouissent de cette
annonce, le jour pour lequel ont été accumulées ces choses que Dieu, dans sa
bonté inconcevable à l'esprit et au coeur du mortel, a réservées pour être révélées.
Bientôt, Dieu conduira son arche vers toi et rendra manifeste le peuple de Baha,
mentionné dans le Livre des Noms. "
[Nota:
Extraits des Ecrits de Baha'u'llah,
pp. 12-13.]
La foi baha'ie jouit d'un grand avantage par rapport aux autres religions indépendantes,
en ce que ses centres spirituels et administratifs se situent au même endroit,
c'est-à-dire dans la vaste propriété qui borde la baie d'Haïfa et qui est dominée
par le Mont Carmel qui s'élève sur sa côte sud. Son point central est le tombeau
de Bahji, juste à l'extérieur de l'ancienne ville de Saint-Jean d'Acre, où Baha'u'llah
repose depuis 1892. Au fil des années, la communauté baha'ie a pu acquérir,
au prix d'un travail laborieux, les lieux de séjour du fondateur de la foi au
cours de son ministère, et un programme de méticuleuse restauration historique
permet, à des milliers de pèlerins baha'is qui se rendent chaque année au Centre
mondial de leur foi, d'enrichir d'avantage leur vécu.
De l'autre côté de la baie et s'étendant sur un versant du Mont Carmel faisant
face à Saint-Jean d'Acre, un ensemble à vous couper le souffle, de constructions
monumentales, de larges terrasses, de sources, de fontaines et de jardins luxuriants
attire chaque année des centaines de milliers de visiteurs venus du monde entier.
Les bâtiments construits dans le style grec classique [Nota: Shoghi Effendi
opta pour le style grec classique, simplement en raison de ses origines méditerranéennes,
et parce que, selon lui, ce style avait survécu à l'épreuve du temps], revêtus
de marbre étincelant et rehaussés de piliers corinthiens, abritent la Maison
Universelle de Justice ainsi que les autres institutions de l'administration
centrale de la communauté baha'ie.
Émergeant de cet ensemble, le dôme doré du tombeau du précurseur de Baha'u'llah,
le Bab, a été érigé dans des jardins particuliers, face à Saint-Jean d'Acre
situé de l'autre côté de la baie.
[Nota: Voir p. 87.]
Se référant au vieil adage qui dit que le sang des martyres est le germe de
la foi, Shoghi Effendi a écrit qu'aujourd'hui, le sang des martyres babis n'est
pas seulement le germe de la foi individuelle des croyants, mais aussi des institutions
d'un nouvel ordre social. Dès lors, il n'est pas surprenant que les sites des
institutions administratives gouvernantes du système de Baha'u'llah aient été
orientés en direction du lieu où repose celui que les baha'is considèrent comme
le martyre suprême de leur foi. La dépouille mortelle du Bab avait été recueillie
par ses disciples tout de suite après son exécution, et emmenée avec beaucoup
de difficultés et en prenant infiniment de risques, de Perse en Terre sainte.
C'est lors de l'une de ses visites au Mont Carmel durant les deux dernières
années de sa vie, que Baha'u'llah choisit lui-même l'endroit qui allait accueillir
le tombeau de son illustre précurseur, et ce fut 'Abdu'l-Baha qui érigea, quelques
années plus tard, la simple structure en pierre qui sert encore actuellement
de tombeau intérieur.
Puisque Shoghi Effendi avait insisté sur le fait que le programme baha'i de
construction ne devait se poursuivre que lorsque les fonds suffisants auraient
été accumulés, le processus d'érection non seulement du tombeau du Bab, mais
aussi des institutions administratives de la foi se déroula avec une lenteur
laborieuse sur une période de plusieurs décennies. Les archives internationales
avaient été construites en 1957, alors que Shoghi Effendi était toujours en
vie, et le siège de la Maison Universelle de Justice, en 1983. En 1987, la Maison
Universelle de Justice estima que la voie était libre pour la construction des
bâtiments qui manquent encore au complexe administratif. En même temps, elle
approuva un projet parallèle envisagé par Shoghi Effendi, pour la construction
d'escaliers en pierre et en marbre, qui partant du bas du Carmel doivent en
montant, traverser neuf jardins en terrasses pour arriver au pied du tombeau
du Bab, et continuer à s'élever derrière celui-ci, à travers neuf autres terrasses
pour atteindre son sommet, l'ensemble décrivant des courbes majestueuses. L'achèvement
de ce vaste programme est prévu pour la fin de ce siècle.
Simultanément à l'oeuvre de construction sur le Mont Carmel, la communauté s'est
appliquée à réaliser ses ambitieuses activités d'enseignement et un programme
mondial de développement économique et social. L'effort a nécessité d'importants
sacrifices financiers de la part d'une communauté encore relativement réduite,
dont la majorité des membres vit dans des pays en voie de développement. Le
fait que ces effusions de dons aient jailli avec empressement, démontre efficacement
que les croyants du monde entier comprennent fort bien la signification de ce
qui est en train de s'accomplir. Pour l'observateur contemporain qui possède
une culture historique, il est très tentant d'établir un parallèle avec les
entreprises collectives, qui mues par les mêmes motivations ont élevé les cathédrales,
les mosquées et les temples à des époques plus lointaines.
'Abdu'l-Baha a prédit avec assurance le jour où même la physionomie de la région
serait transformée. Les villes jumelles d'Haïfa et de Saint-Jean d'Acre, situées
aux deux extrémités de la baie, s'uniraient, disait-il, pour ne former qu'une
seule métropole qui attirerait l'établissement des institutions internationales
dédiées à l'amélioration de l'humanité. Mentionnant le majestueux escalier qui
devait s'élever sur un des versants du Mont Carmel, Shoghi Effendi parla d'une
façon toute aussi visionnaire de l'influence morale que le Centre mondial de
la foi exercerait progressivement sur la direction des affaires internationales.
Le jour viendra, disait-il, où les dirigeants du monde monteront respectueusement
les terrasses menant au tombeau du Bab pour y déposer, sur le seuil, les symboles
de leur pouvoir.
[Nota: Shoghi Effendi, message de Naw Ruz aux baha'is de Perse, 1951, traduit
et publié dans Mountain of the Lord : The Terraces and the Ark (Oakham, U.K.:
Baha'i Publishing Trust, 1989).]
Aujourd'hui, les villes de Saint-Jean d'Acre et de Haïfa sont devenues un seul
ensemble urbain, qui comme l'avait prédit 'Abdu'l-Baha se reflète, la nuit,
dans les eaux de la Méditerranée, tel un ruban de lumière ininterrompu encerclant
la baie. De petits groupes de chefs de gouvernements et d'autres personnalités
influentes dans les affaires humaines se sont déjà rendus à Haïfa, pour consulter
l'institution gouvernante d'une communauté religieuse, qui démontre de façon
persuasive les potentialités d'unification inhérentes au message de Baha'u'llah.
Peu importe ce que nous réserve le futur proche, il n'y a rien dans la vision
des fondateurs de la foi baha'ie qui aujourd'hui semble plus improbable que
ce qui a déjà été accompli. Aucun observateur du moment historique quand il
y a cent trente ans, Baha'u'llah posa le pied sur le sol de cette colonie carcérale
turque de Saint-Jean d'Acre, n'aurait pu imaginer les développements à l'échelle
mondiale, qui seraient inspirés par les paroles d'un exilé méprisé, condamné
à un emprisonnement à vie, et incapable de soulager ne serait-ce que la faim
et la soif des membres de sa propre famille. Il serait audacieux l'observateur
qui se risquerait, à ce stade de son développement, à écarter la possibilité
selon laquelle l'entreprise lancée alors, accomplira finalement tous les autres
objectifs que son fondateur lui a assignés.
L'effondrement global que Baha'u'llah avait prévu se déroule au même rythme
que le progrès de l'entreprise qu'il avait lancée. Face à ce qui s'est déjà
produit, il semblerait aussi par trop téméraire, de négliger ses mises en garde
concernant le cours que les événements mondiaux vont prendre dans les années
à venir. La souffrance et le chaos social atteindront un tel degré - encore
inimaginable pour l'humanité à l'heure actuelle - que finalement ils amèneront
les peuples du monde à abandonner leurs préjugés et leur hostilité hérités des
générations précédentes, par souci commun de simple survie. Parlant de la consolidation
de la Moindre Paix, il prédit le moment où tous les gouvernements nationaux
se verront obligés par des circonstances hors de leur contrôle, d'abandonner
une part importante de leur souveraineté nationale au profit de la sécurité
collective. Si un gouvernement devait prendre les armes contre un autre, la
communauté internationale aurait le droit et l'obligation, non seulement de
riposter, mais également de retirer tout pouvoir aux responsables de cette agression.
Selon les termes de 'Abdu'l-Baha :
" Ils [les dirigeants des gouvernements nationaux] doivent conclure un
traité obligatoire et établir une alliance dont les stipulations seront saines,
inviolables et précises. Ils doivent la proclamer au monde entier et la faire
sanctionner par la race humaine entière... Le principe fondamental sous-jacent
à ce pacte solennel devrait être établi de telle sorte que si quelque gouvernement
devait ultérieurement violer l'une de ses clauses, tous les gouvernements de
la terre devraient se lever pour le réduire à une complète soumission; mieux
encore, la race humaine tout entière devrait prendre la résolution d'anéantir
ce gouvernement par tous les moyens mis à sa disposition. "
[Nota: 'Abdu'l-Baha ,
Le secret de la Civilisation Divine,
pp. 89-90.]
Selon 'Abdu'l-Baha , d'ici la fin de ce siècle, l'émergence visible de la Moindre
Paix marquera la vie collective de l'humanité.
[Nota: Voir p. 175]
Si tel est en effet le cas, les historiens du futur feront remonter le début
du processus dans l'établissement des Nations unies, dont les pouvoirs pour
préserver la paix, obstinément refusés à l'infructueuse Société des Nations,
furent octroyés au Conseil de Sécurité. Au cours du siècle, ces pouvoirs furent
expérimentalement testés à divers endroits du globe assiégés par des troubles;
plus récemment, ils sont intervenus par les armes pour réprimer des agressions
particulièrement flagrantes. Quoique les initiatives soient hésitantes et les
résultats insatisfaisants, un tournant historique dans les relations entre les
États nationaux a déjà été clairement amorcé.
[Nota: Pour marquer le 50e anniversaire des Nations unies, la Communauté
internationale baha'ie publia un document sous le titre Tournant pour les Nations,
New York, octobre 1995, dans lequel elle développa les recommandations pour
la prochaine étape du développement de l'organisation.]
Mais cette percée est néanmoins loin de constituer le pacte global obligatoire
et inconditionnel prévu par Baha'u'llah et qui ne sera possible, selon lui,
qu'à la condition d'un changement profond de la conscience humaine. Pour celui
qui connaît les événements historiques qui ont suivi les mises en garde explicites
qu'il avait adressées à différents monarques du dix-neuvième siècle [Nota:
Napoléon III, L'Empereur Guillaume I, le Sultan Abdul Aziz, le Pape Pie IX.
Voir pp. 49 à 57], la description par Baha'u'llah des situations que l'humanité
traversera pour entrer dans le siècle prochain est pleine de gravité :
" Voici le jour promis, le jour où les pénibles épreuves auront déferlé sur
vos têtes et sous vos pieds, en disant : goûtez à ce que vos mains ont oeuvré
".
[Nota: Shoghi Effendi,
L'avènement de la justice divine ,
pp. 100-112.]
" La civilisation, tant vantée par les représentants qualifiés des arts et des
sciences, apportera de grands maux à l'humanité, si on lui laisse franchir les
limites de la modération ... Méditez ceci, ô peuples, et ne soyez pas de ceux
qui errent dans le désert de l'erreur. Le jour approche où ses flammes dévoreront
les cités, où la Langue de grandeur proclamera : Le royaume est à Dieu, le Tout-Puissant,
le Loué. "
[Nota:
Extraits des Ecrits de Baha'u'llah,
pp. 225.]
Tout aussi catégorique est néanmoins l'assurance de Baha'u'llah, que l'humanité
ressortira de cette plus grande mise à l'épreuve de sa vie collective, libérée
des habitudes et des attitudes anachroniques - et étroitement unie en un seul
peuple - engagée dans la tâche difficile de la construction d'un commonwealth
global :
" Celui qui est votre Seigneur, le Très-Miséricordieux, nourrit en son coeur
le désir de voir la race humaine tout entière ne former qu'une seule âme et
qu'un seul corps. Hâtez-vous, en ce jour qui éclipse tous les autres jours créés,
de gagner votre part de la grâce et de la miséricorde divines. Grande est la
félicité réservée à l'homme qui renonce à tout ce qu'il possède dans le désir
d'obtenir les choses de Dieu ! Cet homme est, Nous l'attestons, parmi les bénis
de Dieu. "
[Nota:
Extraits des Ecrits de Baha'u'llah,
p. 140.]
" ... voici le jour où les précieuses faveurs ont été prodiguées aux hommes,
le jour où sa puissante grâce a imprégné toutes les choses créées... Bientôt,
le présent ordre des choses sera révolu et un nouveau le remplacera. Vraiment,
la vérité sort de la bouche de ton Seigneur, Celui qui connaît toutes choses
invisibles. "
[Nota:
Extraits des Ecrits de Baha'u'llah,
p. 7.]
Enfin, comme c'est le cas de toutes les révélations divines de l'histoire, le
message de Baha'u'llah s'adresse au coeur et à l'esprit de l'individu. Selon
ses propres paroles : " Ceci est la foi immuable de Dieu, éternelle dans le
passé, éternelle dans l'avenir. "
[Nota:
Le Kitab-i-Aqdas,
§ 182]
Il appelle l'individu à avoir une relation plus mature avec son créateur, une
relation qui est de mise avec un genre humain qui a amorcé son passage vers
la maturité collective. Toutes les questions spirituelles avec lesquelles se
bat la conscience humaine - le but de la vie, la découverte de soi, le développement
de ses capacités - sont remaniées dans cette perspective :
" Ô mon frère, lorsqu'un chercheur honnête se décide à entreprendre une recherche
sur la voie menant à la connaissance de l'Ancien des jours, il doit, avant toutes
choses, purifier son coeur qui est le siège de la révélation des mystères intimes
de Dieu, de la poussière " obscurcissante " de toutes les connaissances acquises
et de toutes les allusions des incarnations de l'imaginaire satanique. Il doit
purifier sa poitrine qui est le sanctuaire de l'amour constant de l'Aimé de
toute profanation, et sanctifier son âme de tout ce qui est propre à l'eau et
à l'argile, de tous les attachements chimériques et éphémères...
Ce n'est que lorsque la lampe de la quête, de l'effort sérieux, du désir ardent,
de la dévotion passionnée, de l'amour fervent, du ravissement et de l'extase
sera allumée dans le coeur du chercheur, et que la brise de sa tendre bonté soufflera
sur son âme, que les ténèbres de l'erreur se dissiperont, que les brouillards
des doutes et des craintes se lèveront, et que les lumières de la connaissance
et de la certitude envelopperont son être. À ce moment, le héraut mystique portant
la joyeuse nouvelle de l'Esprit, brillera de la cité de Dieu resplendissant
comme le matin et, du coup de trompette de la connaissance, il sortira le coeur,
l'âme et l'esprit du sommeil de la négligence.
... cette cité n'est rien d'autre que le verbe de Dieu à chaque époque et dans
chaque dispensation. "
[Nota: Baha'u'llah, Kitab-i-Iqan (Le
Livre de la certitude),
éd. 1965, pp. 92-96.]