La perle inestimable
Par Ruhiyyih Rabbani


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Chapitre 4. Martha Root et la reine Marie de Roumanie

Shoghi Effendi avait l'habitude de dire que quelque chose semblait toujours naître de ses souffrances. Il subissait ces ordalies de feu, car réellement il souffrait a tel point qu'il semblait se consumer, et alors quelque pluie du ciel sous forme de bonnes nouvelles, se déversait sur lui et aidait a sa résurrection. J'ai peur que le mystère du sacrifice reste encore un mystère pour moi. Mais assurément les saints de ce monde paient très cher leurs victoires.

C'était a ce moment où l'affliction avait littéralement englouti le Gardien que, le 4 mai, Le Toronto Daily Star publiait une déclaration très élogieuse faite par la Reine Marie de Roumanie sur la foi baha'ie; une déclaration qui, suivie d'autres tout au long de la visite de la Reine aux Etats-Unis et au Canada, fut imprimée par presque deux cents journaux et qui constitua une des plus larges et des plus spectaculaires publicités que la foi ait jamais reçue. Dans une lettre confidentielle du 29 mai, le Gardien fait allusion a ceci comme l'événement le plus étonnant et le plus important du progrès de la Cause."

L'acceptation de la positon de Baha'u'llah par la Reine de Roumanie, la première tête couronnée a embrasser la foi, est a elle seule un chapitre dans la vie de Shoghi Effendi. Cette acceptation est inextricablement liée aux services rendus par Martha Root, cette "étoile servante de la foi de Baha'u'llah" comme l'appelait Shoghi Effendi, et a la part qu'elle joua dans la vie du Gardien, en fait aucun récit de sa vie ne peut être complet sans la mention des relations entre cette noble âme et Shoghi Effendi. Miss Martha Root était journaliste et appartenait a une honorable famille américaine. Elle rencontra le Maître lors de sa visite aux Etats-Unis et embrasée par Ses Tablettes du Plan Divin, elle entreprit ses voyages historiques au service de la Cause, en 1919.

Non seulement elle voyagea plus longtemps et plus loin qu'aucun baha'i depuis le commencement, mais elle le fit souvent, comme a dit le Gardien "dans des circonstances des plus périlleuses". Elle avait déjà quarante-neuf ans au moment de l'ascension d'Abdu'l-Baha. C'était une femme simple pour ne pas dire modeste, mais d'une beauté extraordinaire, des yeux franchement bleus et, une foi unique, qui l'avait convaincue que Baha'u'llah pouvait tout faire, et ferait tout si, comme elle avait l'habitude de le dire, on se tenait a l'écart pour le laisser faire. Ses grands voyages d'enseignements qui l'amenèrent tout autour du monde, et ses qualités vraiment hors pair la rendirent chère a Shoghi Effendi qui la qualifia de "l'archétype de l'enseignant itinérant baha'i". Les services d'aucun autre croyant ne lui apportèrent jamais autant de satisfaction que les victoires singulières de Martha Root. En 1926 Shoghi Effendi écrit d'elle: "Dans son cas, nous avons véritablement compris, .ans erreur possible, ce que peut réaliser le pouvoir d'une foi intrépide quand elle accompagne un caractère sublime, quelles forces elle peut libérer et quelles hauteurs elle peut atteindre."

Dès le commencement du ministère de Shoghi Effendi, non seulement elle tourna son grand coeur vers lui, mais elle chercha son conseil en tout. Il ne serait pas exagéré de dire qu'ils étaient partenaires dans tout ce qu'elle entreprenait, marqués par une confiance et un amour mutuels tous deux trop rares dans la vie harassée du Gardien. Ils étaient en étroite relation, un flot continuel de lettres et câbles apprenait au Gardien les plans de Martha Root, ses besoins, ses victoires, ses demandes de directives et des réponses infaillibles lui donnaient conseil et encouragement. Il la qualifia en 1923 "d'indomptable et zélé disciple d'Abdu'l-Baha." Dans ses lettres nous trouvons d'innombrables phrases exprimant la chaleur de ses sentiments, telles: il a lu ses lettres avec "fierté et reconnaissance"; elles "'ont comme d'habitude réjoui mon coeur"; "c'est toujours une joie d'avoir de vos nouvelles, bien-aimée Martha". En juillet 1926, alors qu'elle prenait tant contact avec les royautés de l'Europe, il lui demandait: "... écrivez moi longuement, et fréquemment, car je suis impatient de connaître vos activités et tous les détails de vos réalisations. Vous assurant de mon affection sans bornes pour vous ..." Et en août, il lui disait: "j'ai soif de chaque détail de votre avance triomphale dans le champ de service ... Je joins une copie de ma lettre a la Reine. Ne communiquez a personne son contenu".

Mais il s'était empressé de la communiquer a elle qui avait enseigné la Reine. En septembre, il écrivait: "je suis heureux de vous communiquer le contenu de la réponse de la Reine a ma lettre. Je pense que c'est une lettre remarquable, dépassant nos espérances les plus grandes. Le changement qui s'est effectué en elle, sa manière franche, son témoignage pénétrant et sa position courageuse, sont, en vérité, une preuve éloquente et convaincante de l'esprit conquérant de la foi vivante de Dieu et des services magnifiques que vous rendez a sa Cause."

Cet échange de câbles, qui eut lieu en octobre 1926, illustre parfaitement le lien de confiance qui régnait entre Shoghi Effendi et Martha: "Amour Approuvez-vous que je continue mon plan originel commençant fin novembre au Portugal. Prière télégraphiez", câblait-elle. Rien ne peut-être plus tendre et plus révélateur sur Martha que cette intense terme de tendre "Amour" au commencement, qui s'échappait fréquemment et naturellement et inconsciemment vers le Gardien qu'elle adorait. Il répondait: "Faites comme la direction divine vous inspire. Plus tendre Amour." Peu après il lui envoie 50 Livres Sterling "comme ma modeste contribution au travail splendide que vous faites pour notre Cause bien-aimée". Ce n'était pas un acte isolé: de temps en temps nous trouvons qu'il lui a envoyé une somme pour "votre travail exemplaire dans le vignoble divin", pour aider a '"vos longs voyages, vos dépenses croissantes et votre travail prodigieux"; et, au moins une fois, lorsqu'il apprit qu'elle était malade. Il lui envoya également de l'argent pour l'aider dans la traduction et la publication en différentes langues, du livre du Dr. Esslemont, un livre que Shoghi Effendi a qualifié de manuel de la foi.

Elle était activement engagée dans ce travail de traduction et de publication et il l'encouragea et la poussa a le développer. Il lui envoyait également de l'argent, mais plus occasionnellement, pour d'autres buts. Les cadeaux n'étaient pas unilatéraux, loin de la. Nous trouvons Shoghi Effendi qui écrit: "j'ai reçu la bague en or que vous m'avez envoyée... Je l'ai offerte a la plus Sainte Feuille, après l'avoir portée moi-même... Vous ne pouvez savoir quelle assistance morale, quel réconfort et quelle inspiration vous apportez a nos frères harassés et tristement frappés de l'Iran. Grand, en vérité, sera votre mérite dans le monde a venir. Puissiez vous avoir plus d'énergie dans vos bras!" En post-scriptum a cette lettre de février 1929, il ajoute: "j'ai reçu le beau mouchoir que vous m'avez envoyé et je m'en sers comme un souvenir chéri de votre chère personne'

C'est un trait typique de Shoghi Effendi: ayant donné la bague, il a dû soudain penser que Martha pourrait en être blessée et il s'empresse de la rassurer au sujet du mouchoir! Il semble qu'ils aient échangé beaucoup de choses. Il avait l'habitude de lui envoyer des livres a distribuer et dans une lettre de 1931, il lui écrit qu'il lui envoyait deux paquets de lettres estampés du Plus Grand Nom "pour votre correspondance avec les personnes importantes". Elle lui envoie, une fois, 19 dollars pour couvrir les frais des câbles envoyés en réponse aux questions qu'elle a posées!

Un des télégrammes de Martha a Shoghi Effendi dit: "Amour le plus tendre impatiente d'avoir de vos nouvelles". Une lettre de Shoghi Effendi a Martha dit: "... les générations pas encore nées se réjouiront du souvenir de celle qui a si énergiquement, si rapidement et si magnifiquement pavé la route de la reconnaissance universelle de la foi de Baha'u'llah". Il l'appela "le héraut incomparable de la Cause". Ce que les lettres et les services de Martha Root pendant les dix premières années de son ministère signifiaient pour Shoghi Effendi, a une époque, où, il le lui écrivit lui même, la réponse des croyants aux besoins de l'enseignement était "si inadéquate et insuffisante", est indescriptible. "Vos lettres..? lui écrit-il, le 10 juillet 1926, "m'ont donné force, joie et encouragement a un moment où je me sentais déprimé, fatigué, découragé." En juin 1927, il l'assure que correspondre avec elle n'était pas une charge pour lui, "... au contraire, cela rafraîchit mon âme fatiguée, ranime en moi l'esprit d'espérance et de confiance que tendent a obscurcir par moments les soucis accablants et les nombreuses inquiétudes."

En décembre de la même année, quand il reçut une copie de la lettre de la princesse Ileana a Martha Root, Shoghi Effendi lui affirme qu'elle a "provoqué des larmes de joie dans les yeux de la Plus Sainte Feuille... Je suis sûr que vous ne vous rendez pas compte de ce que vous faites pour la Cause de Dieu! " Dans une autre lettre écrite en septembre 1928 et commençant par. "Ma plus chère et plus précieuse Martha", Shoghi Effendi, après avoir mentionné sa tristesse au sujet de la situation de la foi en Russie, continue: "je vous assure que sans vos lettres je me sentirais complètement déprimé et épuisé... Je dois m'arrêter car je me sens incapable d'écrire d'avantage. Mes nerfs sont secoués et fatigués. Votre frère triste et reconnaissant."

En novembre, il accuse réception de cinq lettres (ce qui nous donne une idée de la fréquence de ses lettres) et dit "Cela m'est un réconfort et un encouragement dans mon travail que par vos belles lettres, il me soit constamment rappelé la puissance conquérante de Baha'u'llah qui brille, a travers vous, dans toutes vos vastes entreprises sacrées..." et il lui donne neuf pierres de bague "pour donner a ceux que vous pensez devoir les posséder" et 30 Livres Sterling "si indignes et inadéquates quand on les compare a vos prodigieux efforts ..."

Elle se tournait vers lui a tout moment, lui demandant sans hésiter ce qu'elle croyait être dans l'intérêt de la foi. Le Gardien connaissait la pureté de ses motifs et son bon jugement et il accédait presque toujours a ses demandes qui allaient des lettres d'encouragement a des particuliers jusqu'aux messages télégraphiques a des personnalités éminentes. "je joins, selon votre demande, les lettres que vous m'avez demandé d'écrire", l'informait-il. A son tour il lui demandait beaucoup, l'utilisant comme un instrument toujours volontaire pour promouvoir les intérêts de la foi et pour défendre celle-ci contre ses ennemis. Il l'encourageait d'assister et en fait l'envoyait quelque fois comme son représentant a divers conférences et congrès internationaux dont les intérêts et les buts étaient similaires a ceux des baha'is.

Sa lettre du 12 juin 1929 adressée a la Troisième Conférence Biennale de la Fédération Mondiale des Associations Educatives en est un exemple: "Mes chers Collaborateurs pour l'humanité: j'envoie Miss Martha Root, journaliste américaine, conférencière et enseignante internationale baha'ie, en tant que représentant international baha'i a votre congrès de juillet. Elle vous présentera ma lettre de salutations a ce congrès. Avec tous mes meilleurs voeux pour votre noble entreprise, je suis votre frère et collaborateur, Shoghi". La plupart de ces congrès étaient ceux des Espérantistes, Martha Root étant une conférencière accomplie dans cette langue. Des télégrammes tels que celui-ci envoyé en avril 1938 n'étaient pas rares: "Martha Root, Bombay. Transmettez a la Ligue de toutes les fois expression mes meilleurs voeux pour succès délibérations. Puisse la direction divine rendre représentants réunis a même réaliser leur objectif élevé et étendre gamme leurs activités méritoires."

En mars 1936, elle lui câbla la mort de la soeur de la Reine Marie. Le lendemain, le Gardien lui télégraphia: "... Assurez bien-aimée Reine plus profonde sympathie..."

Shoghi Effendi et Martha Root savaient toujours, tous deux, la façon la plus appropriée, la plus sage et la meilleure de faire une chose. Martha était une femme naturelle, simple, chaleureuse et charmante. C'est, sans doute, cette sincérité, cette simplicité, cette noblesse naturelle qui la rendirent aussi chère au roi de Baha'u'llah, le Gardien, qu'a la première reine a accepter la foi. Dans un de ses télégrammes de 1934 elle dit: "Notre Marie vous envoie affection. Remerciements entrevue magnifique."

Elle télégraphie au Gardien, a une occasion: "... peut-être penserez-vous sage m'envoyer immédiatement salutations Président Hoover". Le lendemain Shoghi Effendi câblait: "Prière transmettre Président Hoover de la part des disciples de Baha'u'llah monde entier expression leurs ferventes prières pour succès ses généreux efforts promotion cause de fraternité internationale et paix une cause pour laquelle ils travaillent fermement depuis presque un siècle." Un an auparavant, exactement, en novembre 1930, lors d'une visite de Martha au japon, un échange similaire de câbles eut lieu: Martha disait: "Amour, magnifique si vous me câbliez salutations Empereur", et le jour même Shoghi Effendi répondait: "Prière transmettre sa Majesté Impériale Empereur japon de la part de moi-même et baha'is monde entier expression notre profonde affection ainsi que assurance nos prières sincères pour sa santé et prospérité son royaume ancien." L'amour engendre l'amour. Le grand amour de Martha pour Shoghi Effendi suscita la réponse et l'amour de celui-ci de la même manière qu'un diamant qui, pour pouvoir réfléchir la lumière, capte les rayons et les renvoie brillamment.

En mars 1927, Shoghi Effendi écrivait a Martha: "... Ma plus chère Martha, je vous assure que, où que vous soyez, en Scandinavie, en Europe Centrale, en Russie, en Turquie ou en Iran, mes prières ferventes et continuelles vous accompagneront et j'ai confiance, vous serez protégée, fortifiée et guidée pour accomplir votre mission unique et sans précédent en tant que l'avocat exemplaire de la foi baha'ie".

Martha ne put jamais aller en Russie mais elle alla en Iran car le Gardien désirait beaucoup cette visite. Le 22 janvier 1930; Shoghi Effendi lui câblait: "Que Bien-Aimé vous soutienne par progrès triomphal en Inde, Shoghi Effendi lui écrivait, tout en accusant réception de pas moins de 12 lettres: "Vous avez entièrement mérité l'honneur, l'amour et l'hospitalité que les amis persans ont si remarquablement montré envers vous.

J'ai été si occupé après ma longue et sérieuse maladie, que je n'ai pu répondre rapidement a vos lettres. Mais vous avez toujours été présente dans mes pensées, particulièrement aux heures où je visitais les Tombeaux Sacrés et où je posais la tête sur le seuil sacré". Les années passèrent et Martha, cheveux blancs, frêle et indomptable continua ses voyages jusqu'à ce qu'elle soit frappée, comme l'a dit Shoghi Effendi par "une maladie pénible et mortelle". Elle mourut a Honolulu, le 28 septembre 1939. Les dernières semaines d'une tournée aux Antipodes, elle avait été fiévreuse et percluse de douleurs. Sur le chemin du retour en Amérique pour participer a la poursuite du premier Plan de Sept Ans, elle quitta littéralement sa route, offrant une vie dont la Gardien a dit qu'elle pouvait être considérée comme le meilleur fruit jamais produit par l'âge de Formation de la Dispensation de Baha'u'llah.

je me souviens du jour où Shoghi Effendi reçut le télégramme annonçant la mort de Martha Root. Il était lui-même très malade, une fièvre de trois jours, avec plus de 400. Hélas, il n'aurait jamais dû recevoir une telle nouvelle dans un tel état. Mais il n'y avait aucun moyen de la lui cacher. Il était le Gardien, et c'était Martha Root qui était morte. Malgré les remontrances de sa mère, de son frère et de moi-même, il s'assit dans son lit, blanc, terriblement affaibli et très secoué par cette nouvelle soudaine. Il dicta un câble pour l'Amérique annonçant sa mort. Que pouvait-il faire d'autre? dit-il, tout le monde baha'i attendait de savoir ce qu'il dirait. Dans ce long message, il disait entre autres; "'Les innombrables admirateurs de Martha partout dans monde baha'i se lamentent avec moi extinction terrestre sa vie hër6ique... Postérité la reconnaîtra comme plus grande Main... premier siècle baha'i... Premier et plus beau fruit âge formation foi..." Il disait qu'il se sentait poussé a partager avec l'Assemblée Nationale de l'Amérique les dépenses de construction de sa tombe, la tombe de celle, "dont les actes jettent lustre impérissable Communauté Baha'ie américaine." C'était la dernière somme dépensée pour cette association qui avait duré dix-huit ans. Il câbla aux amis chez qui elle était décédée:

"... Réjouissez vous son ascension siège Concours Suprême..."

En fait, Shoghi Effendi avait payé depuis longtemps son plus beau tribut a "l'incomparable Martha", la "principale ambassadrice de la foi de Baha'u'llah" comme il l'avait appelée. En 1929, dans une lettre générale aux baha'is de l'Ouest, il avait écrit:

"En conclusion, je désire, en quelques mots, quoique inadéquats, rendre hommage aux magnifiques services rendus par l'enseignante exemplaire et infatigable de la Cause, notre soeur chèrement aimée, Miss Martha Root. Ses voyages internationaux au nom de la foi baha'ie, si étendus par leur portée, si longs par leur durée, si inspirants par leurs résultats, orneront et enrichiront les annales de la foi immortelle de Dieu. Ses premiers voyages aux limites les plus méridionales du continent américain, aux Indes et en Afrique du Sud, aux confins orientaux de l'Asie, aux îles des Mers du Sud, et aux pays Scandinaves du Nord; ses contacts plus récents avec les dirigeants et les têtes couronnées de l'Europe et l'impression que son esprit intrépide a créé dans les cercles royaux des pays balkaniques; son affiliation étroite avec les organisations internationales, les associations pacifiques, les mouvements humanitaires et les cercles Espérantistes; et ses dernières victoires dans les cercles universitaires d'Allemagne, tout constitue la preuve irrésistible de ce que peut réaliser la puissance de Baha'u'llah. Ces travaux historiques, exécutés sans aide et dans des circonstances de resserrement financier et de mauvaise santé, ont été caractérisés par un esprit de fidélité, d'abnégation personnelle, de perfection et de vigueur que personne n'a surpassé". Elle avait "le plus, approché de l'exemple donné par 'Abdu'l-Baha a ses disciples lors de ses voyages en Occident".

Martha Root était absolument convaincue qu'elle possédait la gemme la plus inestimable que le monde ait jamais vue: le Message de Baha'u'llah. Elle croyait qu'en montrant cette gemme et en l'offrant a quiconque, roi ou paysan, elle lui faisait le plus beau cadeau qu'il ait jamais reçu. C'était cette noble conviction qui la rendit a même, elle, une femme sans richesse ou prestige social, simple, habillée sans élégance, ni savante, ni grande intellectuelle, de rencontrer les rois, les reines, les princes et les princesses, les présidents et les personnalités connues et éminentes et de leur parler de la foi baha'ie ' chose qu'aucun autre baha'i de toute l'histoire de la Cause n'a jamais faite. Comme cette histoire concerne le Gardien de la foi et sa vie et non les autres, il est impossible de rentrer dans le détail des nombreuses entrevues de Martha Root (d'ailleurs amplement rapportés par d'autres écrits baha'is) et les réactions de ces éminentes personnalités envers le Message qu'elle leur apportait. Notre propos doit concerner principalement les relations de la Reine Marie avec Shoghi Effendi.

Martha Root rendit compte a Shoghi Effendi de la première des huit entrevues qu'elle eut avec la Reine Marie de Roumanie, entrevue qui eut lieu le 30 janvier 1926 au Palais Controceni a Bucarest, a la demande de la Reine elle-même. La Reine avait déjà reçu le livre du Dr. Esslemont, Baha'u'llah et l'Ere Nouvelle, que lui avait envoyé Martha. La Reine avait été, de toute évidence, attirée par les enseignements. Quand le bruit courut qu'elle pourrait visiter l'Amérique du Nord, Shoghi Effendi donna les instructions suivantes a l'Assemblée Spirituelle Nationale de l'Amérique, instructions écrites par son secrétaire le 21 août 1926: "Nous lisons dans The Times que la reine Marie de Roumanie vient en Amérique. Elle paraît avoir montré un grand intérêt pour la Cause. Aussi devons-nous être sur nos gardes de peur que nous ne fassions un geste pouvant lui porter préjudice et la détourner. Shoghi Effendi désire, au cas où elle entreprend ce voyage, que les amis se conduisent avec une grande réserve et sagesse et qu'aucune initiative ne soit prise de la part des amis sauf après consultation avec l'Assemblée Nationale".

C'était au cours de ce voyage que Sa Majesté, le coeur touché par les enseignements de la foi qu'elle avait étudiés, témoigna, "en un langage d'une beauté exquise", comme le qualifia Shoghi Effendi, "de la puissance et de la sublimité du Message de Baha'u'llah, dans des lettres ouvertes largement diffusées par les journaux des Etats-Unis et du Canada". Comme résultat de la première de ces lettres, Shoghi Effendi, "mû par une impulsion irrésistible" écrivit a la Reine "l'admiration joyeuse et la reconnaissance" de lui-même et des baha'is de l'Est et de l'Ouest pour le noble hommage qu'elle a rendu a la foi. Le 27 août 1926, la reine Marie répondit a cette première communication du Gardien par ce qu'il décrit comme "une lettre profondément touchante":

"Bran 27 août 1926

Cher Monsieur,

J'ai été profondément émue a la réception de votre lettre.

En réalité, une grande lumière est venue a moi avec les messages de Baha'u'llah et d'Abdu'l-Baha. Elle est venue, comme viennent tous les grands messages, a une heure de douleur cruelle, de conflit intérieur et de détresse, aussi la semence est-elle profondément enfouie.

Ma plus jeune fille trouve également une grande force et réconfort dans les enseignements des bien-aimés maîtres.

Nous transmettons le message de bouche a oreille et tous ceux a qui nous le donnons voient soudain une lumière briller

devant eux et la plupart des choses qui étaient obscures et embarrassantes deviennent simples, lumineuses et pleine d'espérance comme jamais auparavant.

Que ma lettre ouverte ait été un baume pour ceux qui souffrent pour la Cause, c'est réellement un grand bonheur pour moi et je le considère comme un signe que Dieu a accepté mon humble hommage.

L'occasion qui m'était donnée de pouvoir m'exprimer publiquement était également son oeuvre car c'était en réalité une chaîne de circonstances dont chaque anneau m'amena inconsciemment un peu plus loin jusqu'au moment où soudain tout a été clair devant mes yeux et j'en ai compris la raison d'être.

Ainsi nous conduit-il finalement vers notre ultime destinée.

Quelques uns de ceux de ma caste s'étonnent et désapprouvent mon courage de franchir le pas en prononçant des paroles que les têtes couronnées n'ont pas l'habitude de prononcer, mais j'avance, poussée par une force intérieure a laquelle je ne peux résister.

La tête courbée je reconnais que moi aussi je ne suis qu'un instrument dans des Mains plus puissantes et je me réjouis de le reconnaître.

Peu a peu le voile se lève, la douleur l'a déchiré en deux. Et la douleur me conduit toujours plus près de la vérité; je ne me plains donc pas de la douleur!

Soyez bénis et soutenus, vous et ceux qui sont sous votre direction, par la force sacrée de ceux qui sont partis avant vous.
Marie."


La reine Marie n'était pas seulement d'une grande beauté, mais aussi un écrivain et une femme indépendante et de caractère. Parmi les choses qu'elle écrivit dans "ses lettres ouvertes" publiées en 1926, le 4 mai et le 28 septembre dans le Toronto Daily Star et le 27 septembre dans le Evening Bulletin de Philadelphie, figurent des paroles telles que celles-ci: "Une dame m'a apporté l'autre jour un Livre. Je l'écris avec une majuscule car c'est un Livre glorieux d'amour et de bonté, de force et de beauté... Je vous le recommande a tous. Si jamais votre attention est attirée par le nom de Baha'u'llah ou d'Abdu'l-Baha, n'écartez pas de vous leurs écrits. Recherchez leurs livres, et laissez leurs glorieuses paroles et leçons pénétrer votre coeur comme elles ont pénétré le mien. Il peut sembler que notre journée chargée soit trop pleine pour la religion. Ou encore, on peut avoir une religion qui nous satisfait. Mais les enseignements de ces hommes nobles, sages et bons sont compatibles avec toutes les religions et avec aucune religion. Recherchez-les et soyez plus heureux."

"Nous concevons d'abord Dieu comme quelque chose ou quelqu'un qui est séparé de nous; ce n'est pas ainsi. Nous ne pouvons saisir complètement, avec nos facultés terrestres sa signification, pas plus que nous ne pouvons réellement comprendre le sens de l'Eternité... Dieu est tout, toute chose. Il est le pouvoir qui précède tous les commandements. Il est la source inépuisable de provision, d'amour et de bien, de progrès, de réalisation. Dieu est donc le Bonheur. La voix qui en nous, nous indique le bien et le mal est la sienne. Mais le plus souvent nous ignorons et comprenons mal cette voix. Aussi a-t-il choisi des Elus pour descendre sur terre, parmi nous, pour expliquer sa parole, sa vraie signification. D'où les prophètes, d'où le Christ, Muhammad, Baha'u'llah, car l'homme a besoin, de temps en temps, d'une voix sur terre qui lui apporte Dieu, qui affine sa compréhension de l'existence du vrai Dieu. Ces voix qui nous sont envoyées doivent devenir chair afin que nous puissions les entendre et les comprendre de nos oreilles terrestres."


Le 29 mai, venant de recevoir une copie de la première "lettre ouverte" de la reine, Shoghi Effendi écrivait a Martha Root que c'était "un témoignage digne et mémorable de vos remarquables et exemplaires entreprises pour la propagation de notre Cause bien-aimée. Il m'a ému et a grandement renforcé mon esprit et ma force. C'est un triomphe mémorable, pour vous, et difficilement surpassé en importance dans les annales de la Cause". Il lui demande dans cette même lettre, de considérer s'il est judicieux de parler a Sa Majesté des martyrs de Jahrum et d'enregistrer sa sympathie pour la cause des persécutés de l'Iran. On ne peut douter que cette considération ait influencé la Reine dans ses courageuses déclarations ultérieures sur la foi, comme le montre d'ailleurs sa lettre a Shoghi Effendi. La nouvelle de cette victoire arriva a Shoghi Effendi le soir de la commémoration de l'ascension de Baha'u'llah a Bahji a un moment qu'il décrit ainsi dans une de ses lettres générales: "... Ses serviteurs attristés s'étaient réunis autour de son bien-aimé Tombeau, suppliant soulagement et délivrance pour les piétinés de l'Iran" et Shoghi Effendi poursuit: "'La tête basse et le coeur reconnaissant, nous voyons dans cet hommage chaleureux que la royauté a ainsi rendu a la Cause de Baha'u'llah, une déclaration faisant date et destinée a annoncer ces événements troublants qui, comme l'a prophétisé 'Abdu'l-Baha, signaleront, en leur temps, le triomphe de la foi sacrée de Dieu".

Cela marqua le commencement d'une relation de Martha Root, et quelques rares fois de Shoghi Effendi lui-même, avec non seulement la Reine, mais aussi d'autres têtes couronnées et royautés de l'Europe. Le Gardien non seulement encouragea et guida Martha Root dans ses relations, mais, tout en restant dans les limites de la dignité et du savoir vivre et toujours sincère dans ses relations humaines, il utilisa ces contacts pour servir les intérêts de la Cause en rehaussant son prestige aux yeux du public, et en ayant soin qu'ils soient minutieusement portés a l'attention des ennemis de la foi.

jusqu'à la mort de la Reine, en 1938, Martha Root resta en étroite relation avec elle, l'informant des activités baha'ies et recevant d'elle des lettres manuscrites qui étaient amicales et révélaient son attachement aux enseignements de Baha'u'llah. Il y avait également un échange de lettres et de câbles entre Shoghi Effendi et la Reine. Mais le plus souvent, il envoyait ses messages par l'intermédiaire de Martha, ce qui était un moyen plus intime de la contacter et exigeait moins de la haute position que lui et la Reine occupaient dans leurs sphères respectives. Il y avait un autre facteur qu'on ne peut écarter légèrement, c'était la pression constante exercée sur la Reine qui occupait un si haut rang dans sa nation (une nation ballottée par les tempêtes politiques durant son propre règne et alors qu'elle était la Reine Douairière), pression exercée par les facteurs politiques et ecclésiastiques pour qu'elle garde le silence sur une religion qui n'était pas alors aussi largement connue que maintenant et qui était considérée comme islamique par les ignorants. La caution ouverte qu'elle apportait a cette religion n'était pas seulement désapprouvée mais elle était considérée aussi comme hautement impolitique.

La reine elle-même mentionne dans sa toute première lettre au Gardien: "Quelques uns de ceux de ma caste s'étonnent et désapprouvent mon courage de franchir le pas en prononçant des paroles que les têtes couronnées n'ont pas l'habitude de prononcer..." Cela exigeait un courage extraordinaire et une profonde sincérité d'écrire de manière répétée des témoignages de sentiments personnels au sujet de la foi baha'ie et d'autoriser leurs publications. En fait, Sa Majesté écrivit délibérément quelques uns de ces témoignages a fin de publication dans le Baha'i 'World. Le 1er janvier 1934 elle écrivait a Martha, en joignant un des précieux hommages et en donnant des nouvelles d'elle-même et de sa famille: "Est-ce que cela ira pour le Vol. V?

La difficulté c'est de ne pas me répéter..."

Le 25 octobre 1925, Shoghi Effendi écrivait a Martha: "J'ai reçu vos très chères lettres... Je suis vivement ému par les nouvelles qu'elles contenaient, en particulier par votre entrevue remarquable et historique avec la reine et la princesse. Je vous envoie quelques pierres baha'ies... pour que vous les présentiez de ma part a la Reine et a la princesse et a toute autre membre de la Famille royale qui, selon vous, les apprécierait et y attacherait du prix... Je vous prie d'assurer la Reine et la princesse de notre grand amour pour elles, de nos prières pour leur bonheur et succès et de notre cordiale invitation a visiter la Terre Sainte, a être reçues dans la maison du Bien-Aimé".

Derrière cette entrevue avec la Reine, a laquelle fait allusion Shoghi Effendi dans la lettre ci-dessus, il y avait son influence et les confirmations qui découlaient de ses instructions a Martha Root dans une lettre écrite le 29 juin de la même année: "J'espère que vous réussirez a rencontrer non seulement la Reine de Roumanie, mais aussi sa fille, Reine de Serbie, et le Roi de Bulgarie; et j'ai confiance que vous n'hésiterez pas a m'envoyer tous les détails de votre travail dans ce domaine si important". Le télégramme envoyé par la Reine a Shoghi Effendi prouve qu'elle a bien reçu les pierres baha'ies et l'invitation du Gardien a visiter Haïfa. Ce télégramme a été envoyé du Palais Sinaia, le 27 juillet:

"Shoghi Effendi Haifa -

Reconnaissante vous remercie et tous les vôtres avec qui je me sens spirituellement et étroitement en contact.
Marie."


Martha Root réussit également a suivre les autres instructions de Shoghi Effendi, car il lui écrit en mai 1928: "... Vos entrevues merveilleuses et historiques avec les membres des familles royales de Serbie et de Roumanie nous ont tous, inspirés et fait frissonner de joie..."

Peu avant, en avril, la Reine Marie et sa fille Ileana visitaient Chypre. Dans sa lettre a Martha, le Gardien dit que les journaux ont publié que la Reine avait l'intention de visiter Haïfa, et il se demande: "si elles avaient une telle visite en vue et si cette révélation prématurée les a dissuadées d'accomplir le pèlerinage qu'elles projetaient..." Pendant la visite de la Reine a Chypre, le Gardien télégraphiait le texte suivant a Sir Ronald Storrs, Gouverneur de Chypre, chez qui séjournait la suite royale:

"Prière de transmettre a Sa Majesté Reine de Roumanie et Son Altesse Royale la Princesse Ileana au nom de la famille d'Abdu'l-Baha et amis notre appréciation sincère du noble hommage rendu par elles deux aux idéaux qui animent la foi baha'ie. Prions les assurer nos meilleurs voeux et profonde reconnaissance". Sir Ronald transmit a Shoghi Effendi les remerciements de la Reine et de la princesse."

La brouillon suivant, de la main du Gardien lui-même, d'une lettre qu'il écrivit a la Reine est d'un intérêt historique:

"Haifa, Palestine
3 décembre 1929

Sa Majesté, la Reine Douairière Marie de Roumanie
Bucarest

Votre Majesté,

J'ai reçu par l'intermédiaire de ma chère soeur baha'ie, Miss Martha Root, le portrait autographie de Votre Majesté, portant en des termes simples et émouvants, le message que Votre Majesté a bien voulu gracieusement écrire en personne. Je garderai comme un trésor cet excellent portrait et je vous assure que la Très Sainte Feuille et la famille d'Abdu'l-Baha partagent pleinement ma vivre satisfaction, de recevoir une si belle et remarquable photographie d'une reine que nous avons appris a aimer et a admirer.

Ces dernières années j'ai suivi avec une profonde sympathie le cours agité des événements dans votre cher pays et qui, je le sens, ont dû vous causer beaucoup de soucis et de peines. Mais quelles que soient les vicissitudes et les perplexités qui assaillent la route terrestre de Votre Majesté, je suis certain que, même aux heures les plus tristes, vous avez trouvé une nourriture et une joie abondantes a la pensée d'avoir apporté consolation et force, par vos déclarations éclatantes et historiques sur la foi baha'ie aussi bien que par les preuves ultérieures de votre sollicitude pour sa prospérité, au grand nombre de ses adeptes fidèles longtemps persécutés partout en Orient. Votre rang, reine chèrement aimée, est certainement celui ordonné par Baha'u'llah dans les royaumes de l'Au-dela, rang que les efforts d'aucune puissance terrestre ne pourront jamais espérer atteindre.

Immédiatement après la publication du second volume du "Baha'i World" par le Comité des Publications baha'ies américain, j'ai fait suivre a Bucarest, a l'intention de Votre Majesté et de Son Altesse Royale la Princesse Ileana, des exemplaires de cette récente et vaste publication baha'ie. Je prendrai la liberté de vous présenter, au cours de l'année prochaine, le volume III de cette même publication qui, je l'espère, captera l'intérêt de Votre Majesté.

Puis-je en terminant réitérer l'expression des sentiments de profonde appréciation et de joie que la famille d'Abdu'l-Baha et les baha'is de tous pays ressentent universellement envers la forte impulsion que vos nobles et franches paroles ont donnée a la marche en avant de leur foi bien-aimée.

La famille se joint également a moi pour souhaiter a Votre Majesté et a Son Altesse Royale la Princesse Ileana la plus cordiale bienvenue a la Maison d'Abdu'l-Baha et en ces lieux rendus si sacrés par les vies et les actes de Baha'u'llah et d'Abdu'l-Baha, si jamais Votre Majesté se propose de visiter la Terre Sainte.
Shoghi"


En 1930, Sa Majesté et la Princesse Ileana visitèrent l'Egypte. Shoghi Effendi, ayant eu l'expérience malheureuse de la publicité indiscrète faite lors de leur visite a Chypre, télégraphia le 19 février a Alexandrie: "Avisez Assemblée au cas Reine visite Egypte transmettre seulement expression écrite de bienvenue et appréciations au nom baha'is. Lettre devrait être brièvement et soigneusement écrite. Pas objection envoi fleurs. Communications individuelles devraient être strictement évitées. Informez Le Caire".

Dans l'espoir que la Reine pourra enfin visiter les Lieux Saints Baha'is en Palestine, le Gardien avait fait copier la Tablette de Baha'u'llah a la Reine Victoria, la grand-mère de la Reine Marie, avec une jolie calligraphie persane et enluminée a Téhéran. Le 21 février, il câblait a Téhéran: "La Tablette enluminée Reine Victoria doit arriver Haïfa pas plus tard que dix mars sur une ou plusieurs pages." Ce devait être son cadeau a Sa Majesté. N'ayant aucune nouvelle des projets de la Reine depuis son arrivée en Egypte, il lui télégraphia directement le 8 mars: "Sa Majesté, La Reine Douairière Marie de Roumanie, a bord de Mayflower, Aswan. Famille d'Abdu'l-Baha se joint a moi pour renouveler a votre gracieuse Majesté et Son Altesse Royale la Princesse Ileana l'expression de notre sincère et affectueuse invitation a visiter sa maison a Haïfa.

L'acceptation par votre Majesté de visiter le Mausolée de Baha'u1lah et la cité-prison d'Akka sera, outre son importance historique, une source d'espérance, de joie et d'énergie incommensurables pour les victimes silencieuses de la foi partout a l'Est. Notre plus affectueux amour, prières et meilleurs voeux pour le bonheur et la prospérité de Votre Majesté".

Ne recevant pas de réponse Shoghi Effendi envoya, le 26 mars, un autre câble a la Reine, a l'hôtel Semiramis au Caire:

"Craignant que mes précédents lettre et télégramme par lesquels la famille d'Abdu'l-Baha se joignait a moi pour inviter Votre Majesté et Son Altesse Royale la Princesse Ileana, soient peut-être mal transmis, nous sommes heureux d'exprimer a nouveau le plaisir qui serait donné a nous tous si Votre Majesté trouvait la possibilité de visiter les Mausolées de Baha'u'llah et d'Abdu'l-Baha et la cité-prison d'Akka. Regrette profondément la publicité non-autorisée donnée par la presse". Deux jours plus tard, le Ministre Roumain au Caire télégraphiait a Shoghi Effendi: "Sa Majesté regrette, ne passant pas par la Palestine, de ne pouvoir vous rendre visite."

Dans sa lettre du 2 avril 1930 a Martha Root, Shoghi Effendi décrit sa réaction a cette situation:

"je vous écris aujourd'hui très confidentiellement au sujet de la visite prévue de la Reine a Haïfa. Elle ne se matérialisera malheureusement pas. J'en ignore absolument la raison."


Il ajoute que malgré son invitation écrite et ses deux télégrammes en Egypte (qu'il cite en entier) la seule réponse qu'il reçut en tout fut le télégramme du Ministre roumain (qu'il cite également). Il semble que la publicité non-autorisée dont parle Shoghi Effendi dans son télégramme a la Reine ait été largement diffusée en Palestine, en Angleterre et en Amérique. Il informe Martha Root que: "les reporters qui m'ont rendu visite représentant la "United Press" en Amérique ont câblé a leurs journaux juste le contraire de ce que je leur ai dit. Ils ont altéré la vérité. Je désire que nous puissions nous assurer qu'elle connaît au moins la vraie situation! Mais comment pouvons-nous être certains que désormais nos lettres a Sa Majesté lui parviendront. Je crois que vous devriez lui écrire et lui expliquer toute la situation et l'assurer de la grande déception". Il lui demande de considérer tout cela comme strictement confidentiel et il ajoute: '"Je chéris l'espoir que ces développements malheureux serviront seulement a intensifier la foi et l'amour de la Reine et renforceront sa détermination a se lever et propager la Cause". Naturellement le Gardien fut très peiné par cet événement malheureux, mais il réconforta Martha "Ne soyez pas triste et peinée, très chère Martha. Les graines que vous avez si amoureusement, si dévotement, si assidûment semées germeront..."

L'annulation de la visite de la Reine et de sa fille au Lieux Saints baha'is, auxquels elle s'était définitivement attachée, fut une source de déception non seulement pour le Gardien mais aussi pour la Reine elle-même.

Derrière la scène il devait y avoir une réelle lutte entre la Reine courageuse et indépendante et ses conseillers. Car, après un long silence, elle écrivit de sa propre main, a Martha Root décrivant, du moins un peu, ce qui s'était passé. Dans une lettre datée du 28 juin 1931, elle affirmait:
"Ileana et moi nous avons été toutes les deux, cruellement déçues d'avoir été empêchées d'aller aux mausolées sacrés et de rencontrer Shoghi Effendi. Mais a cette époque nous traversions une crise cruelle et chaque mouvement que je faisais était tourné contre moi et exploité politiquement de manière malveillante. Cela me causa de grandes souffrances et diminua le plus sévèrement ma liberté. Cependant, il y a des périodes où l'on doit subir la persécution; néanmoins, quelque volontaire que l'on soit, on est toujours peiné et étonné quand les gens sont mesquins et malveillants. A cette époque, je devais défendre mon enfant; elle traversait une amère expérience et je ne pouvais me lever et défier le monde. Mais la beauté de la vérité demeure et je lui reste fidèle a travers toutes les vicissitudes d'une vie devenue plutôt triste... Je suis heureuse d'apprendre que vos voyages ont été fructueux et je vous souhaite des succès continuels, sachant quel beau message vous portez de pays en pays".

Cette lettre se termine par une phrase après la signature de Sa Majesté, qui, plus que toute autre chose révèle l'attitude et le caractère de la Reine: "je joins quelques mots qui pourront être utilisés dans votre Annale". Dès réception Martha Root câbla a Shoghi Effendi les points essentiels de la lettre. Il répondit télégraphiquement qu'il s'en réjouissait et qu'elle lui envoie la lettre.

Je me rappelle que Shoghi Effendi me décrivit plusieurs fois comment la Plus Sainte Feuille avait attendu, heure par heure, dans la Maison d'Abdu'l-Baha pour recevoir la reine et sa fille. Elle s'était effectivement embarquée pour Haïfa. Cette nouvelle avait encouragé Shoghi Effendi a croire qu'elle allait réaliser son projet de pèlerinage. Mais le temps passa sans qu'aucune nouvelle ne leur parvienne même après le débarquement. Shoghi Effendi sut plus tard, qu'on avait rencontré la reine et sa suite sur le bateau, qu'on lui avait dit que sa visite était impolitique et non permise, qu'on les avait fait monter dans une voiture et qu'on les avait emmenées, sans bruit, hors de Palestine, dans un autre pays du Moyen-Orient. Rien d'étonnant qu'elle ait écrit a Martha que les gens avaient été "mesquins et malveillants".

(Photo)

La loyauté de cette "convertie royale", comme la qualifia Shoghi Effendi, avançant en âge, et face a son isolement croissant et aux orientations politiques en Europe qui allait engloutir tant de membres de la famille royale, toucha profondément Shoghi Effendi qui, le 23 janvier 1934, lui écrivait une nouvelle fois:

"Votre Majesté

Je suis profondément touché par l'appréciation splendide que Votre Majesté a gracieusement écrite. pour le Baha'i World, et désire offrir ma reconnaissance sincère et durable pour cette remarquable preuve de l'intérêt soutenu de Votre Majesté a la Cause de Baha'u'llah.

Je suis poussé d'en entreprendre la traduction, en personne, et je suis certain que les innombrables adeptes de la foi en Orient et en Occident se sentiront stimulés dans leurs efforts continuels pour l'établissement final de la plus Grande Paix prédite par Baha'u'llah.

Je présente a Votre Majesté, par les soins de Miss Martha Root, un manuscrit précieux de l'écriture de Baha'u'llah enluminé par un disciple dévoué de sa foi a Téhéran.

Puisse-t-il servir comme un gage de mon admiration pour l'esprit qui a incité Votre Majesté a exprimer des sentiments si nobles pour une foi persécutée et en lutte.

Avec l'assurance de mes prières au seuil de Baha'u'llah pour la prospérité et le bonheur de Votre Majesté,

Je suis sincèrement vôtre,
Shoghi."


Après avoir envoyé a la reine un exemplaire de sa récente traduction des Extraits des Ecrits de Baha'u'llah et reçu d'elle une lettre exprimant ses "plus reconnaissants remerciements" et qui se termine par: "Puisse le Père très grand être avec nous en esprit, nous aidant a vivre et a agir comme nous le devons",

Shoghi Effendi lui écrivit:

"Haïfa, 18 février 1936.

Votre Majesté,

Miss Root m'a transmis l'appréciation écrite par Votre Majesté pour le , prochain volume du Baha'i World. Je suis vraiment touché et profondément reconnaissant de l'intérêt soutenu et de l'admiration de Votre Majesté pour les enseignements baha'is.

Les communautés baha'ies du monde entier se souviendront toujours, avec fierté et reconnaissance, de ces témoignages magnifiques, impressionnants et historiques de la plume de Votre Majesté; témoignages qui les inspireront et les encourageront grandement dans leurs efforts continuels a propager la Cause de Baha'u'llah.

Je suis heureux et encouragé de savoir que Votre Majesté a tiré beaucoup de profit de la lecture des "Extraits" et je sens que mes efforts pour traduire ces passages sont pleinement récompensés.

Je présente a Votre Majesté grâce a l'obligeance de Mme McNeill la dernière photographie reçue récemment de l'Amérique montrant l'avancement de la construction de la Maison d'adoration baha'ie a Wilmette.

Que l'Esprit de Baha'u'llah bénisse et soutienne a jamais votre Majesté dans la noble assistance que vous apportez a sa Cause.

Avec mon affection et gratitude les plus profondes
Shoghi."


Madame McNeill mentionnée dans cette lettre vivait près d'Akka, dans le manoir de Mazra'ih d'abord occupé par Baha'u'llah. Elle avait connu la reine enfant a Malte. Lorsqu'elle sut par le Gardien, l'intérêt de la reine pour la foi, elle l'informa de son propre intérêt pour la Cause et ses relations avec la maison où elle habitait. La reine lui avait écrit: "C'était vraiment bien d'avoir de vos nouvelles, et de penser que vous êtes parmi toutes les choses qui vivent près de Haïfa et que vous êtes, comme je le suis, un disciple des enseignements baha'is... La maison où vous vivez... rendue précieuse par ses liens avec l'homme que nous vénérons tous..."

Le dernier hommage de Sa Majesté a la foi, publié en 1936, deux ans avant qu'elle ne meure, semble décrire avec justesse ce que le message de Baha'u1lah signifiait pour elle: "A ceux qui cherchent la Vérité, les enseignements baha'is offrent une étoile qui les conduira a une compréhension plus profonde, a la certitude, a la paix et a la bonne volonté avec tous les hommes". Elle s'était acquis, écrit Shoghi Effendi, "un renom impérissable... dans le Royaume de Baha'u'llah - par sa "confession intrépide et historique de la foi en la paternité de Baha'u'llah"; cette reine illustre mérite bien le rang de premier de ces soutiens royaux de la Cause de Dieu qui doivent se lever, a l'avenir, et chacun d'eux, selon les paroles de Baha'u1lah lui-même, doit être acclamé comme "l'oeil même de l'humanité, un ornement lumineux sur le front de la création, une source de bénédictions pour le monde entier".

Tout ceci (qui commença début 1926) nous montre que les crises qui marquèrent le commencent du Gardiennat de Shoghi Effendi libérèrent, comme toujours, les forces spirituelles inhérentes a la foi et amenèrent des victoires telles que la conversion de la première reine baha'ie.


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