La perle inestimable
Par Ruhiyyih Rabbani


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Chapitre 10. Les écrits du Gardien

A une époque où les gens jouent au football avec les mots les lançant a droite et a gauche, sans distinction ni respect de leur sens ni de leur utilisation correcte, le style du Gardien apparaît dans une beauté éblouissante. Sa joie des mots était une de ses caractéristiques les plus marquantes, aussi bien en anglais, une langue a laquelle il avait donné son coeur, qu'en ce mélange de persan et d'arabe qu'il employait pour ses lettres générales a l'Orient. Malgré la simplicité de ses goûts personnels, il avait un amour inné pour la richesse qui se manifeste dans sa façon d'arranger et de décorer les lieux saints baha'is, dans le style du Mausolée du Bab, dans ses préférences en matière d'architecture et dans le choix et les combinaisons des mots. On peut dire de lui, selon les mots d'un autre grand écrivain, Macaulay, qu' "il écrivait dans un langage... précis et lumineux." Contrairement a tant de gens, Shoghi Effendi écrivait exactement ce qu'il voulait dire, et voulait dire exactement ce qu'il écrivait. Il est impossible d'éliminer le moindre mot d'une de ses phrases sans sacrifier une partie de sa signification, si concis et si condensé est son style. Un livre tel que "Dieu passe près de nous" est une véritable essence de l'essence. A partir de cette simple histoire de cent ans, on peut facilement écrire cinquante livres dont aucun ne serait superficiel ni ne manquerait de matériel, si riche est la source fournie par le Gardien, si condensée sa manière de la traiter.

Le langage dans lequel Shoghi Effendi a écrit est un modèle pour les baha'is. Il devrait les empêcher effectivement de descendre au niveau des littérateurs illettrés, niveau qui caractérise tristement la génération actuelle en ce qui concerne l'emploi et l'appréciation des mots. Il ne s'accommodait jamais de l'ignorance de ses lecteurs, il attendait d'eux, de leur soif de savoir, qu'ils surmontent leur ignorance.

Shoghi Effendi choisissait, du mieux qu'il pouvait, le véhicule de sa pensée. Il ne s'occupait pas de savoir si l'homme moyen allait comprendre le mot qu'il utilisait ou non. Après tout, on peut toujours connaître ce qu'on ignore. Malgré sa grande maîtrise de la langue, il s'assurait du sens exact du mot qu'il voulait employer en consultant le grand dictionnaire Webster. Souvent, une de mes fonctions consistait a lui porter ce dictionnaire, et c'était vraiment lourd! Il choisissait parfois, la deuxième ou la troisième acception d'un terme, débordant quelquefois. sur l'archaïque; mais c'était le mot exact qui convoyait sa pensée et il l'employait. Je me rappelle, ma mère a dit une fois qu'en devenant baha'i on entre, en quelque sorte, dans une université, seulement on ne finissait jamais d'apprendre, et on n'avait jamais de diplômes. Par ses traductions des écrits Baha'i, et surtout par ses propres compositions, Shoghi Effendi donnait un modèle au lecteur et élevait son niveau intellectuel tout en nourrissant son âme et sa raison de la vérité.

Depuis le commencement de ma vie avec le Gardien j'étais presque toujours présente quand il traduisait ou quand il écrivait ses livres, ses lettres et ses câbles. Il aimait avoir quelqu'un dans la pièce pour écouter ce qu'il écrivait. Sa méthode de composition était nouvelle et me fascinait. Il rédigeait a haute voix, prononçant les mots qu'il écrivait. Je pense que cette habitude venait du persan. Un bon texte persan ou arabe non seulement peut mais doit être chanté. On se souvient du Bab révélant le Qayyum'l-Asma a haute voix, et de Baha'u'llah révélant ses "Tablettes" de la même manière. C'était aussi une habitude du Gardien, que ce soit en anglais ou en persan. Je pense que c'est pour cette raison que ses longues phrases touffues sont encore plus coulantes et intelligibles quand on les lit a haute voix. Je faisais parfois des commentaires sur la longueur de certaines phrases. Shoghi Effendi levait sa tête et me regardait de ses yeux merveilleux dont la couleur et l'expression changeaient si fréquemment, avec une expression de défi et de rébellion; mais il ne les écourtait pas! je me rappelle, une seule fois il admit que c'était une phrase longue, mais il ne la changea pas. Elle exprimait ce qu'il voulait dire, c'était dommage qu'elle soit si longue. D'autres part, il aimait employer, parfois, une structure de phrases courtes, se succédant l'une après l'autre, comme les claquements d'un fouet. Il attirait mon attention sur cette variation de style, soulignant l'efficacité de chaque méthode et insistant sur le fait que la combinaison des deux structures enrichissait l'ensemble et conduisait a des fins différentes.

Il aimait beaucoup l'allitération, très utilisée dans les langues orientales, mais beaucoup moins, maintenant, en anglais. Un exemple de cet emploi est fourni par cette phrase de l'un de ses télégrammes répétant des mots commençant par un "p": "Time pressing opportunity priceless potent aid providentially promised unfailing" (Temps presse occasion inestimable aide puissante promise providentiellement indéfectible) .

La méthode de composition de Shoghi Effendi ressemblait a celle d'un artiste de mosaïque qui crée son image avec des pièces bien définies et séparées. Chaque mot avait sa place propre et s'il se heurtait a une phrase difficile, il ne la changeait pas. Il ne modifiait pas une pensée parce qu'elle ne pouvait entrer, grammaticalement, dans la structure de la phrase. Mais il s'y collait, littéralement, pendant des heures. Il arrivait a m'épuiser, pour le moins par ses répétitions verbales de la phrase. Il luttait pour la subjuguer et la mettre sous la forme telle qu'il la désirait, essayant une pièce de sa mosaïque après l'autre, pour trouver finalement la solution de son problème. Je ne me souviens pas qu'il ait jamais abandonné une phrase pour commencer une nouvelle formule. Dans le choix de ses mots, il ne voyait aucune raison d'éviter un terme a cause de son mauvais emploi populaire ou de l'altération de sa signification. Il employait les mots dans leur acception propre et exacte. Il n'avait pas peur de parler de la "conversion" des gens a la foi, ou de les appeler des "convertis". Il louait le "zèle missionnaire" des pionniers dans leurs "missions étrangères, tout en précisant que nous n'avions pas de prêtres, de missionnaires et que nous ne faisions pas de prosélytisme.

je me rappelle que Shoghi Effendi me donna une fois a lire un article d'un journal britannique, lequel attirait l'attention sur le langage bureaucratique qui se développait surtout aux Etats-Unis, un langage où l'on emploie de plus en plus de mots pour exprimer de moins en moins d'idées et qui produit tout simplement une sacrée confusion. Shoghi Effendi soutenait de tout coeur cet article! Les mots étaient, selon lui, des instruments précis. Je me rappelle également, un jour où il parlait a des pèlerins dans la Maison des Pèlerins occidentaux, il fit cette distinction particulièrement belle: "Nous sommes orthodoxes mais pas fanatiques".

Souvent le langage de Shoghi Effendi s'élevait a des hauteurs très poétiques: témoins des passages tels que ceux-ci qui brillent avec l'éclat des vitraux de cathédrales: "Nous voyons, en survolant les épisodes de ce premier acte d'un drame sublime, la figure de son héros et maître, le Bab, s'élever comme un météore au-dessus de l'horizon de Shiraz, traverser du sud au nord le ciel sombre de l'Iran, décliner avec une rapidité tragique et périr dans une apothéose de gloire. Nous voyons ses satellites, une constellation de héros enivrés de l'amour de Dieu, monter a ce même horizon, irradier la même lumière incandescente, se consumer avec cette même rapidité et imprimer, a leur tour, une impulsion supplémentaire a la force cinétique, sans cesse croissante, de la foi naissante de Dieu."

Il appela le Bab "Ce jeune Prince de Gloire" et décrit ainsi la scène de son inhumation sur le Mont Carmel: "Lorsque tout fut terminé, et que la dépouille terrestre du Prophète-Martyr de Shiraz fut, a la fin, déposée sans dommage, pour son repos éternel, au coeur de la sainte montagne de Dieu, Abdu'l-Baha, qui avait enlevé son turban, retira ses chaussures, rejeta son manteau et s'inclina bas sur le sarcophage encore ouvert; Sa chevelure blanc d'argent flottant autour de sa tête, le visage transfiguré et lumineux, il resta le front appuyé sur le bord du cercueil de bois et, sanglotant a haute voix, il pleura, il versa tant de larmes que tous ceux qui étaient présents pleurèrent avec lui." "La seconde période... est soumise a l'influence de la figure auguste de Baha'u'llah, prééminent en sainteté, impressionnant dans la majesté de sa force et de son pouvoir, inaccessible par l'éclat transcendant de sa gloire". "Dans les ombres qui s'amassent de plus en plus autour de nous, nous pouvons discerner le rayonnement de la souveraineté non-terrestre de Baha'u'llah apparaissant, par a coups, a l'horizon de l'histoire".

Ou encore ces paroles adressées a la Plus Sainte Feuille: "Au plus profond de notre coeur, ô toi, Feuille exaltée du Paradis d'Abha, nous avons érigé un manoir brillant que la main du temps ne pourra jamais détruire, un mausolée qui enchâssera éternellement la beauté incomparable de ton visage, un autel où brûlera a jamais le feu de ton amour consumant." Ou encore cette description du châtiment de Dieu en ce jour: "En haute mer, dans l'air, sur la terre, sur les fronts des batailles, dans les palais des rois et les demeures des paysans, dans les sanctuaires les plus saints, qu'ils soient séculiers ou religieux, les preuves de l'acte vengeur et du châtiment mystérieux de Dieu, sont manifestes.

Son glas pesant s'amplifie régulièrement: un holocauste n'épargnant personne, prince ou paysan, homme ou femme, jeune ou vieux". Ou encore ces paroles concernant l'attitude des vrais croyants de la Cause: "De ces hommes et de ces femmes, on peut dire que pour eux tout pays étranger est la mère Patrie, et que toute mère-Patrie est un pays étranger. Car ils ont la citoyenneté... du Royaume de Baha'u'llah. Tout en désirant profiter au maximum des avantages temporels et des joies fugaces que cette vie terrestre peut donner, tout en s'empressant de participer a toute activité qui mène a la richesse, au bonheur et a la paix dans cette vie, ils ne peuvent a aucun moment oublier qu'elle n'est rien de plus qu'une étape transitoire et très brève de leur existence, que ceux qui la vivent ne sont que des pèlerins et des voyageurs dont l'objectif est la cité céleste, et dont la patrie est le pays de la joie et de l'éclat perpétuels`.

La puissance descriptive de Shoghi Effendi est encore plus visible dans les phrases qu'il choisit pour décrire le rang de Baha'u'llah. Toutes les paroles qui suivent sont extraites des écrits du Gardien, choisies a différentes sources, mais qui réunies ici, transmettent leur extraordinaire portée et puissance: "Le Père éternel, le Seigneur des armées, le Plus Grand Nom, la Beauté ancienne, la Plume du Plus-Haut, le Nom caché, le Trésor préservé, la Plus Grande Lumière, le Plus Grand Océan, le Paradis Suprême, la Racine préexistante, l'Astre du Jour de l'Univers, le juge, le Législateur, le Rédempteur du genre humain, l'Organisateur de toute la planète, l'Unificateur des enfants des hommes, l'Inaugurateur du Millenium longtemps attendu, le Créateur d'un nouvel Ordre mondial, le fondateur de la Plus Grande Paix, la Fontaine de la Plus Grande Justice, le Proclamateur de la venue de l'âge de l'unité de toute la race humaine, l'Inspirateur et le Fondateur d'une nouvelle civilisation mondiale". Ou encore, prenons la traduction de Shoghi Effendi de titres tels que ceux-ci se rapportant a Abdu'l-Baha: "La Cheville ouvrière de l'Unité de l'humanité", "I'Enseigne de la Plus Grande Paix", "Le membre de la Loi de Dieu".

Quand les disciples américains d'Abdu'l-Baha se levèrent pour exécuter son Plan, Shoghi Effendi dit que, de ce fait, "ils entouraient toute la terre d'une ceinture de gloire" et qu'ils allaient" blasonner leurs boucliers des emblèmes de nouvelles victoires".

Dans son dernier message de Ridvan au monde baha'i, il exhorte les adeptes de Baha'u'llah en des termes d'une splendeur unique: "Revêtant l'armure de son amour, attachant fermement le bouclier de son puissant Covenant, montant sur le coursier de la constance, tenant haut la lance de la Parole du Seigneur des Armées, et avec une confiance absolue en ses promesses comme meilleure provision de voyage, qu'ils tournent leur regard vers ces champs encore inexplorés et dirigent leurs pas vers ces buts qui ne sont pas encore atteints, certains que celui qui les pousse a réaliser de tels triomphes et a cueillir tant de butin dans son Royaume, continuera a les aider en enrichissant leur patrimoine spirituel a un degré qu'aucune raison finie ne peut imaginer et qu'aucun coeur humain ne peut concevoir".

Il y a tant d'aspects dans la vie littéraire de Shoghi Effendi! je peux nommer les livres (autres que son bien-aimé Gibbon) qu'il lisait pour se délasser, pendant les vingt années que je passai avec lui, quoiqu'il ait beaucoup lu pendant sa jeunesse sur de nombreux sujets. C'est dû, sans doute, au fait qu'en 1937, lorsque je commençai ma nouvelle vie a Haïfa, il était déjà surchargé par la montagne toujours grandissante des choses a lire; les journaux, les procès-verbaux des Assemblées nationales, les circulaires et le courrier. Vers la fin de sa vie, s'il ne lisait pas au moins deux a trois heures par jour, il n'aurait pu faire face a son travail. Lorsque nous étions hors de Haïfa, il lisait dans l'avion, dans le train, dans les jardins et a table. A Haïfa, il lisait, pendant des heures a son bureau puis, fatigué, il se mettait au lit, s'y asseyait et continuait a lire.

Il suivait les nouvelles politiques et les événements du monde dans le Times, Le Jérusalem Post, et parfois le quotidien européen bien connu Le Journal de Genève, et l'édition parisienne du New York Herald Tribune. Avant la guerre, il était abonné a un magazine anglais The nineteenth Century, qui avait beaucoup d'articles d'actualités. C'était le seul magazine que je lui ai jamais vu lire. Mais après la guerre, il trouva que son niveau avait décliné et il y renonça. Il avait souvent aux lèvres le mot "éliminer". Il éliminait ce qui n'était pas essentiel, se débarrassait des choses secondaires, rejetait les débris futiles de la vie. Il employait cette méthode d'élimination pour ses journaux. Il savait exactement quelles pages du Times contenaient les informations qu'il voulait voir (les articles de fond, les nouvelles du monde, et par-dessus tout les éditoriaux).

Il les regardait rapidement, déchirait de ses doigts les articles qu'il voulait lire attentivement et jetait le reste. Il l'avait éliminé! Il ne faut pas beaucoup de perspicacité pour comprendre que, son efficacité mise a part, c'était le réflexe d'un homme profondément fatigué, essayant de repousser ses si nombreuses charges. Même un morceau de papier en trop était devenu une charge. Il m'était, dès lors, bien difficile d'avoir jamais la moindre chance d'avoir un journal complet, ou de lire autre chose que les longues colonnes agrafées que le Gardien me tendait en disant "lis-y cela, c'est intéressant" et je me trouvais avec un débat a la Chambre des Communes ou un article pénétrant sur la situation politique, sur les événements sociaux ou économiques de l'époque, des informations religieuses etc. et le tout en désordre dans une grande poignée que je bourrais dans mon sac ou ma poche, en attendant un moment lointain où je pourrais trouver le temps de les lire.

La façon d'écrire du Gardien était intéressante: il n'aimait pas les grandes feuilles de papier, il écrivait habituellement ses livres et ses grandes communications sur de petits blocs de papiers a lignes. Il faisait toutes ses compositions a la main. Si le premier brouillon était trop surchargé, il le recopiait patiemment en entier. Il tapait avec deux doigts sur une machine a écrire portative tous ses manuscrits, en y apportant, au fur et a mesure, des modifications. Il n'est donc pas surprenant que, par cette méthode, il ait produit des oeuvres si hautement raffinées. Pour le persan, il donnait a son secrétaire un original autographe propre. Le secrétaire le recopiait d'une belle écriture et Shoghi Effendi envoyait alors la copie a Téhéran. J'étais toujours intriguée par la constatation suivante, en devenant Gardien, l'écriture anglaise de Shoghi Effendi avait tiré vers la gauche. Elle était toujours forte, bien formée et lisible. Son écriture persane était exquise. Il y a de nombreux styles calligraphiques en persan et en arabe et le sien était une variante de "Shikastih Nasta'Iiq". Il avait un charme, une originalité, une grâce et une force qui lui étaient propres. Il faut se rappeler que la calligraphie était le plus noble art graphique dans les pays islamiques et une jolie écriture était l'apanage des hommes cultivés. Le Bab, Baha'u'llah et Abdu'l-Baha avaient une très belle écriture et Shoghi Effendi prouvait qu'en cela aussi il était digne de leur héritage.

Cependant il n'était pas tatillon. Quand il parcourait les nombreuses pages de mes quelquefois longues lettres aux Assemblées nationales, il mettait, dans la marge une série de "X" ou de "XX" ou encore de "XXX" afin que j'ajoute un mot ou une idée oubliés.

A la fin de la lettre il commençait son post-scriptum autographe et habituellement il allait d'une marge a une autre, d'une page a une autre, d'une façon vraiment orientale. Ce que j'essaie de dire c'est que s'il y avait des erreurs corrigées tout au long du texte d'une importante lettre en anglais, il ne s'en inquiétait pas, du moins tant que l'idée était la, claire comme le jour.

L'importance des traductions et des communications anglaises de Shoghi Effendi ne peut jamais être suffisamment soulignée, importance due a sa fonction de seul interprète autorisé des Ecrits sacrés. Il existe de nombreux exemples où, a cause de l'imprécision de la construction des phrases persanes, il pourrait avoir une ambiguïté, concernant le sens d'une phrase, dans l'esprit du lecteur. L'anglais précis et correct, ne se prêtant a aucune ambiguïté de prime abord, devenait, combiné avec le raisonnement brillant de Shoghi Effendi et avec son pouvoir d'interprète des Ecrits, ce que nous pourrions appeler le véhicule cristallin des enseignements. Souvent grâce aux traductions anglaises de Shoghi Effendi, la signification des écrits du Bab, de Baha'u'llah ou d'Abdu'l-Baha devient claire et elle est sauvegardée contre les mauvaises interprétations futures. Dans ses traductions il était méticuleux et s'assurait toujours que le mot employé convenait de façon absolue et ne s'éloignait pas de l'idée et de la parole originelles.

Seul celui qui possède parfaitement le persan et l'arabe peut comprendre ce qu'il a fait. Par exemple, en lisant l'original, on trouve qu'un mot arabe pouvait être traduit par deux ou plusieurs mots anglais, ainsi Shoghi Effendi pouvait-il, dans la construction de ses phrases anglaises, employer les mots "puissance", "force" ou "Pouvoir" alternativement pour un seul mot, il choisissait la nuance exacte qui convenait le mieux, qui éliminait la répétition, qui mettait plus de couleur dans sa traduction sans pour autant sacrifier la signification, mais qui, en fait, mettait en valeur la vraie signification. Il disait qu'habituellement, les synonymes en arabe exprimaient la même idée, tandis qu'en anglais, il y avait toujours une légère nuance entre eux, et de ce fait certains mots étaient plus appropriés que d'autres pour rendre l'idée originelle. Il disait aussi qu'il croyait qu'on ne pourrait jamais traduire certains écrits très mystiques de Baha'u'llah, car ils seraient si exotiques et si fleuris que la beauté et le sens originels seraient complètement perdus et donneraient une fausse idée du texte.

Une fois, une seule fois hélas, dans notre vie si occupée et harassée, Shoghi Effendi me dit que je savais maintenant suffisamment le persan pour comprendre l'original et il me lut un passage des "Tablettes" de Baha'u'llah et me dit: ~( comment peut-on traduire cela en anglais?" Nous essayâmes pendant deux heures, c'est-a-dire qu'il essaya et je le suivis faiblement. Quand je suggérais une phrase qui donnait le sens, Shoghi Effendi disait: "Ah! mais ce n'est pas une traduction. Vous ne pouvez pas modifier et supprimer les mots de l'original et ne mettre en anglais que ce que vous croyez qu'il signifie". Il souligna qu'un traducteur doit être absolument fidèle a son texte, et cela, dans certains cas, sous-entendait que la traduction était laide et sans signification dans une autre langue. Comme Baha'u'llah est toujours subliment beau dans ses écrits, on ne pouvait le faire. A la fin, il l'abandonna et dit qu'il ne pensait pas que cela pourrait jamais être traduit en anglais et pourtant ce passage était loin d'être une oeuvre des plus abstruses et des plus mystiques de Baha'u'llah.

je connais un seul exemple où Shoghi Effendi dit qu'il avait légèrement modifié quelque chose de l'original, c'est quand il traduisit, immédiatement après l'ascension du Maître, son Testament. La phrase en question dit, parlant de la Maison Universelle de Justice, "Le Gardien de la Cause de Dieu est le Chef sacré et le membre distingué, et a vie, de ce corps." Shoghi Effendi dit que le mot exact qu'il a remplacé par "membre a vie" était "inamovible". Rien ne peut mieux révéler sa propre humilité que cette atténuation de son propre rapport avec la Maison Universelle de justice.

Le Gardien était excessivement méticuleux pour tout ce qui concernait la parole originelle et n'expliquait ni ne commentait un texte anglais qui lui était soumis (quand il ne s'agissait pas de sa propre traduction) tant qu'il n'avait pas vérifié avec l'original. Il était très précis dans l'emploi des termes qu'il utilisait pour commenter les événements survenus dans la foi, refusant, par exemple, de désigner une personne comme martyr (qui est un rang) juste parce qu'elle était tuée, et quelquefois, il désignait comme martyr des gens qui n'avaient pas été tués mais dont il associait la nature de leur mort a un martyre.

Un autre aspect très important de la position d'interprète des enseignements, divinement conférée a Shoghi Effendi, fut non seulement de protéger la Parole sacrée, de la mauvaise interprétation, mais aussi de préserver soigneusement les rapports des différents aspects des enseignements les uns par rapport aux autres et de sauvegarder le rang exact des trois figures centrales de la foi. Un exemple très intéressant de ceci est le cas du savant français, A.M. Nicolas qui a traduit le Bayan du Bab en français et dont on peut dire qu'il fut un Babi. Pendant des années, il avait l'impression que les baha'is avaient ignoré la grandeur et amoindri le rang du Bab. Quand il découvrit que Shoghi Effendi, dans ses écrits, exaltait le Bab, perpétuait sa mémoire en traduisant un livre comme l'Histoire de Nabil et, de façon répétée, ses paroles en anglais, il changea complètement d'attitude et dans une lettre a une croyante de France, il écrivit: "Enfin, je puis mourir tranquille... Gloire a Shoghi Effendi qui a calmé mon tourment et mes inquiétudes, gloire a lui qui reconnaît la valeur de Siyyid 'Ali Muhammad dit le Bab. Je suis si content que je baise vos mains qui ont tracé mon adresse sur l'enveloppe qui m'apporte le message de Shoghi. Merci mademoiselle. Merci du fond de coeur".

Shoghi Effendi était tolérant et pratique dans l'approche de son travail. Pendant des années, il envoya ses traductions et manuscrits a George Townshend dont il admirait la maîtrise et la connaissance de l'anglais. Dans une de ses lettres, Shoghi Effendi lui écrivait: "je vous suis profondément reconnaissant pour les suggestions très valables, détaillés et précises que vous m'avez faites..." Horace Holley donna un titre a de nombreuses lettres générales de Shoghi Effendi a l'Occident, il inséra aussi des sous-titres dans le texte, prenant pour cela une phrase du texte du Gardien qui paraissait la plus descriptive du sujet. Shoghi Effendi n'y voyait aucun inconvénient, si cela devait le rendre plus intelligible au croyant américain moyen. Horace était lui-même un écrivain et les titres qu'il donnait aux communications du Gardien ne servaient pas seulement a les identifier mais aussi, a dramatiser les messages et a captiver l'imagination.

Un des premiers actes du ministère de Shoghi Effendi fut la diffusion de ses traductions des Ecrits saints: un an et dix jours après la lecture du Testament d'Abdu'l-Baha, il écrivait a l'Assemblée Nationale d'Amérique: "C'est un grand plaisir pour moi de partager avec vous la traduction de quelques prières et tablettes de notre Bien-Aimé Maître..." et il ajoutait qu'il espérait "qu'au cours des ans, je pourrai vous envoyer régulièrement des traductions correctes et sûres... qui dévoileront a vos yeux une nouvelle vision de sa glorieuse mission... et vous donneront un aperçu du caractère et de la signification de ses enseignements divins."

Il mentionne souvent dans ses premières lettres a divers pays qu'il joint une traduction pour les baha'is. Un mois plus tard, dans une lettre a l'Amérique, il écrit: "je joins également une traduction révisée des Paroles Cachées de Baha'u'llah, en arabe et en persan, et j'espère vous envoyer encore plus de ses paroles et enseignements a l'avenir." Le 27 avril de la même année, il écrit une nouvelle fois a l'Assemblée Nationale d'Amérique: "je joins également ma traduction de divers passages du Kitab-i-Aqdas que vous prendrez peut-être la liberté de diffuser parmi les amis". En novembre de la même année, il écrivait a la même Assemblée qu'il lui envoyait "la translitération des termes orientaux, confiant que les amis ne sentiront pas leur énergie et leur patience mises a l'épreuve par une adhésion scrupuleuse a ce code pour orthographier les termes orientaux, qui fait autorité en la matière mais qui est arbitraire". Il n'y a pas de doute, la translitération est ennuyeuse et on s'y perd souvent, mais ce que l'homme moyen ignore c'est que la translitération transcrit le mot exact et les familiers du système savent immédiatement quel est le mot original et peuvent le réécrire en persan ou en arabe. Pour les savants et les critiques de la foi cette précision est très importante. Elle sert également a éviter des orthographes multiples du même mot et évite par la même la confusion.

Il est intéressant de noter que Shoghi Effendi, dans la citation ci-dessus, écrit Kitab-i-Aqdas plus ou moins phonétiquement, car il n'avait pas encore introduit le système de translitération qu'il adopta plus tard. Il faut dire un mot au sujet de ce livre le plus saint, car, bien qu'il soit la source des Lois de Baha'u'llah, il est néanmoins petit en volume et contient beaucoup d'autres sujets. A sa mort, Shoghi Effendi avait déjà donné aux baha'is de l'Occident, dans un excellent anglais, la plupart de ses passages ainsi que les lois qu'il pensait applicables pour le moment pour des baha'is vivant dans des sociétés non baha'ies.

Non seulement il traduisit et diffusa des extraits des enseignements, mais il s'assura aussi que les croyants, par excès de zèle ou manque de prévoyance, n'exagèrent pas dans leur façon d'éditer ou d'imprimer les compilations baha'ies.

En réponse a certaines propositions qu'un ami avait faites concernant l'impression d'un livre complet et détaillé de prières, il écrivit a celui qui avait transmis la proposition: "je suis d'accord avec lui, mais il ne faut pas que la classification aille au-dela de ce que Baha'u'llah a prescrit, sinon nous nous enfoncerons dans un credo sévère et fixe".

Ecrire, traduire et publier des livres baha'is étaient un sujet d'intérêt capital pour Shoghi Effendi, un sujet dont il ne se fatigua jamais et qu'il soutint activement. La situation idéale consiste, pour les communautés locales et nationales, a payer pour leur propres activités, mais en cet âge de formation de notre foi, le Gardien se rendait pleinement compte du fait que ce n'était pas toujours possible.

Avec les fonds mis a sa disposition, il aida substantiellement, au cours des ans, au financement de la traduction et de la publication de la littérature baha'ie. En période d'urgence, lorsque l'achèvement des buts chers était en panne, Shoghi Effendi remplissait la brèche, ainsi, en une seule année, aida-t-il l'Assemblée Nationale de l'Inde dans son programme des traductions et publications avec des contributions s'élevant a plus de deux milles Livres Sterling. A la fin de la Conférence Intercontinentale de l'Amérique qui inaugura la Croisade de Dix ans, Shoghi Effendi câbla a l'Assemblée Nationale d'Amérique: "Presse démarches immédiates publication brochures langues allouées Amérique". Deux jours plus tard, il envoya un télégramme similaire au Comité Européen d'Enseignement pour les "langues européennes". Des messages semblables partirent pour l'Inde et la Grande Bretagne, assurant cette dernière qu'il enverrait mille Livres Sterling pour l'aider.

Il se préoccupait constamment de la grande diffusion de la littérature baha'ie dans les différentes langues, depuis les premiers jours de son ministère, et fut le seul responsable de la majorité des traductions entreprises durant les trente-six ans de son Gardiennat. Il saisissait toutes les occasions. Une lettre a un Polonais qui étudiait les enseignements en Pologne est typique de cette attitude: Shoghi Effendi lui dit qu'il lui envoyait les paroles de la Reine Marie de Roumanie au sujet de la foi et lui demande s'il désire les traduire en Polonais et les lui envoyer! C'était en 1926, mais le même enthousiasme et la même persévérance caractérisèrent ses efforts dans ce domaine jusqu'à la fin de sa vie.

En outre il s'attacha, pendant les premières années de son Gardiennat, alors que l'espéranto se propageait rapidement, particulièrement en Europe, a encourager la publication d'une Gazette baha'ie en espéranto, expliquant a ses éditeurs que son intérêt était dû "a mon grand désir de promouvoir dans les parties du monde baha'i où les circonstances le permettent, l'étude d'une langue internationale".

Le Gardien collectionnait la littérature de toutes langues a Haïfa, plaçant des livres dans sa propre bibliothèque, dans celles des deux Maisons des Pèlerins, au Manoir de Baha'u'llah a Bahji, et dans les Archives internationales. A ce sujet, il est intéressant de noter la façon dont il les rangeait, car c'était très inédit pour moi, disons qu'il avait quelques livres d'une reliure grise plutôt terne, d'une édition bon marché, et un plus grand nombre en bleu ou toute autre couleur. Avec ceux-ci, il remplissait son étagère dans un certain ordre, cinq rouges, deux bleus, cinq rouges etc., utilisant des variations dans les couleurs et dans les nombres pour ajouter un charme a l'effet général d'une bibliothèque qui, autrement aurait présenté un aspect monotone et peu intéressant.

Dans une lettre a Martha Root, en 1931, il lui dit: "J'ai maintenant dans ma chambre des exemplaires imprimés de sept traductions" (il s'agissait du livre du Dr. Esslemont). Il insiste pour qu'elle active les autres traductions, disant: "je serai seulement trop heureux d'aider a leur éventuelle publication". Un an plus tard, écrivant a Siyyid Mustafa Roumie de Birmanie, le Gardien montre clairement quelle satisfaction lui apportait ces nouvelles publications: "... Joins une somme de neuf Livres sterling pour aider et accélérer l'achèvement de la traduction du livre en birman. Seize traductions imprimées ont été déjà réunies et placées au Manoir de Baha'u'llah a Bahji tout près de son Tombeau sacré, et le livre est maintenant en cours de traduction en seize langues supplémentaires dont le birman." En 1935, il est en position d'informer cet ami que ""il y a déjà trente et une versions imprimées de ce livre en circulation dans le monde baha'i."

Il y a d'innombrables télégrammes dans les archives de Shoghi Effendi tel celui-ci adressé a Asgarzadeh a Londres: "Prière câbler coût minimum impression livre Esslemont en russe." Ayant reçu de toute évidence une réponse, il câble une nouvelle fois: "Envoie quarante pounds. Pense cinq cents suffisent. Première partie du manuscrit russe postée aujourd'hui. Reste posté bientôt. Apprécie profondément votre collaboration services continuels".

A Ouskouli de Shanghai, il câblait: "Télégraphiez date publication livre d'Esslemont. Postez cinquante exemplaires. Amour." A tout moment de sa vie occupée et préoccupée, Shoghi Effendi décidait que tel aspect du travail avait besoin d'une impulsion énergique. Un exemple en est ces quatre télégrammes écrits le même jour de 1932, l'un après l'autre, a Martha Root en Europe, a l'Amérique, a la Nouvelle Zélande et a la Birmanie: "Trouve vigoureusement nécessité traduction rapide d'Esslemont en tchèque, hongrois, roumain, grec, comme préliminaire campagne intensive enseignement Europe. Impatient aider financièrement attends estimations. Amour". "Trouve vigoureusement souhaitable entreprendre traduction rapide Esslemont en braille. Prière télégraphier si faisable. Amour."; "Informez B- s'assurer traduction rapide d'Esslemont maori"; "Presse entreprendre rapidement traduction livre d'Esslemont en birman. Amour." S'impatientant du manque de résultats des différents projets qu'il avait mis sur pied, nous trouvons ces câbles envoyés plus tard dans la même année: "Attends impatiemment version kurde livre d'Esslemont"; "Esslemont français est-il traduit? Câblez".

Shoghi Effendi encouragea divers baha'is a écrire au sujet de la foi. En 1927, il télégraphiait a une croyante anglaise, Miss Pinchon: "Votre livre admirable en présentation, exquis en style. Presse publication rapide, envoie dix-neuf pounds"; en 1926, il câblait a Horace Holley: "Prière poster cent exemplaires votre livre. Affectueusement." Shoghi Effendi, non seulement, payait pour publier des livres, mais aussi il les commandait. Il câbla a l'Amérique: "Prière poster immédiatement pour cinquante dollars édition la moins chère livre Esslemont. Poste chèque."

Les faits et les événements restent sans grande signification a moins d'être vus dans leurs perspectives propres. L'un des aspects les plus marqués du génie du Gardien était la manière dont il dégageait le sens d'un événement, d'un phénomène isolé, de son environnement tumultueux et l'associait au développement de la Cause et le plaçait dans son optique historique, focalisant sur lui la lumière de son jugement d'expert et nous faisant comprendre ce qui était advenu et ce que cela signifiait maintenant et a jamais. Ce n'était pas une chose statique, une image des formes et des lignes, mais plutôt une description du mouvement d'un grand navire sur l'océan, le grand navire des mouvements coordonnés a l'intérieur de la communauté des disciples de Baha'u'llah sur l'océan de sa Dispensation.

Une Assemblée était formée, quelqu'un était mort, un certificat était reconnu par une obscure administration gouvernementale, des faits isolés en eux-mêmes, mais aux yeux du Gardien, ils faisaient partie d'un modèle qu'il nous faisait voir, ce modèle étant tissé sous nos yeux aussi. Dans les volumes de The Baha'i World, le Gardien faisait ceci non seulement pour les baha'is mais aussi pour le grand public. Il dramatisait le progrès de la foi et d'une masse de faits éparpillés et de photos sans rapports, il faisait un témoignage de l'universalité de cette foi.

Il est intéressant de noter que la suggestion effective pour un volume de The Baha'i World lui fut faite par Horace Holley, dans une lettre de février 1924. Toutefois, et je n'ai aucun doute a ce sujet, je pense que c'est le souffle de la vision du jeune Gardien et la forme qu'il avait déjà donnée au travail de la Cause dans ses messages a l'Occident qui, travaillant dans l'esprit créateur d'Horace, l'encouragèrent dans cette idée. Shoghi Effendi saisit cette idée et depuis, Horace devint l'instrument principal de Shoghi Effendi, par ses qualités d'écrivain doué et de secrétaire de l'Assemblée Spirituelle Nationale d'Amérique, pour faire de The Baha'i World le livre remarquable et unique qu'il devint. Le Volume n° 1, publié en 1925 et appelé Baha'i Year Book couvrait la période allant d'avril 1925 a avril 1926 et comprenait 174 pages. Avec le deuxième volume il reçut son titre permanent de "The Baha'i World, A Biennial International Record" (Le Monde Baha'i, un Rapport Biennal International), titre suggéré par l'Assemblée Nationale et approuvé par Shoghi Effendi. Au moment de l'ascension du Gardien douze volumes avaient paru, les plus volumineux comprenant plus de 1000 pages.

Tout en étant préparés sous la supervision de l'Assemblée Nationale d'Amérique, publiés par son comité de publication, compilés par un groupe de rédacteurs et dédiés a Shoghi Effendi, ce serait plus conforme avec les faits de les appeler le livre de Shoghi Effendi. Il fit lui-même office de rédacteur en chef. Les énormes matériaux que chaque volume contient lui étaient envoyés par l'Assemblée américaine avec toutes les photos et la décision finale de ce qui serait mentionné et de ce qui serait éliminé lui appartenait. Comme six de ces volumes furent publiés pendant la période où j'avais le privilège d'être avec lui, je pus observer comment il les éditait. Avec sa capacité infinie de travail, Shoghi Effendi parcourait les paquets de feuilles et de photos qui lui étaient envoyés et éliminait ce qui lui paraissait pauvre ou hors de propos.

Section après section, suivant la table de matières qu'il avait lui-même établie, il les préparait et les mettait de côté jusqu'à ce que le manuscrit entier soit prêt a être envoyé en Amérique pour la publication. Il déplorait toujours que les articles ne soient pas d'un haut niveau. C'est seulement grâce a sa détermination et a sa persévérance que les Baha'i World sont si brillants et impressionnants. Les rédacteurs (dont certains étaient nommés par Shoghi Effendi) luttaient contre la force d'inertie qui habite tout corps essayant d'arriver a ses fins par la correspondance avec des sources situées a des milliers de kilomètres, et cherchant a travailler le plus souvent avec des organes administratifs inefficaces et inexpérimentés. Dans ces conditions, ils n'auraient jamais pu réussir a rassembler les matières nécessaires sans la direction et l'autorité du Gardien. Après la publication du volume, Shoghi Effendi reprenait le manuscrit et le conservait a Haïfa, au Centre mondial...

Dès la publication d'un volume il commençait lui-même a réunir les matériaux pour le prochain volume. Outre ses rappels répétés a l'Assemblée Nationale d'Amérique, il envoyait d'innombrables lettres et télégrammes aux différentes Assemblées et a des personnes privées, en ce sens. Par exemple, en un seul jour il télégraphia a trois Assemblées Nationales: "Photo Assemblée Nationale pour Baha'! World essentielle..." Il câblait a des endroits isolés et lointains tels que Shanghai pour obtenir les matériaux qu'il désirait. "Manuscrit Baha'i World posté; Conseille publication rapide soignée" n'était pas un type de message inhabituel pour l'Assemblée Nationale d'Amérique. C'était Shoghi Effendi qui arrangeait l'ordre du livre, il tapait a la machine, a Haïfa, la table des matières en entier, mettait des titres a toutes les photos, choisissait tous les frontispices, décidait de la couleur de la reliure du volume et par dessus tout, donnait des instructions exactes et détaillées dans de très longues lettres a Horace Holley qu'il avait lui-même choisi, comme la personne la plus douée et la mieux informée pour écrire le "Survol international des activités baha'ies actuelles" auquel il attachait une grande importance. "Lettre détaillée postée pour survol international confinant votre traitement magistral données réunies," lui câblait-il. Un exemple de ce que furent les lettres du Gardien, lettres détaillées et précises, est donné par l'extrait suivant écrit par le secrétaire de Shoghi Effendi a Horace Holley, mais j'en doute un peu, sous la dictée du Gardien:

"Shoghi Effendi a soigneusement examiné ce matériel, il l'a modifié, arrangé, enrichi en ajoutant des matières nouvelles qu'il avait réunies, il les a mis dans leur forme définitive et vous enverra le manuscrit avant la fin de ce mois... Il a consacré un temps considérable a son examen minutieux et a son arrangement et il a trouvé ce travail très exigeant et ardu. Il désire souligner l'importance d'adopter strictement l'ordre qu'il a établi. Il espère que, contrairement au volume précédent rien ne sera déplacé".

Shoghi Effendi a écrit ce qu'il pensait de The Baha'i World. Pas plus tard qu'en 1927, alors que seul le premier volume avait été publié, il écrivait a un non baha'i: "je vous conseillerais fortement de vous procurer un exemplaire du Baha'i Year Book... qui vous donnera une idée claire et officielle de ce que sont le but, la revendication et l'influence de la foi." Dans une lettre générale adressée (en 1928) "Aux Bien-Aimés du Seigneur et aux Servantes du Miséricordieux de l'Est et de l'Ouest" et entièrement consacrée a The Baha'i World, Shoghi Effendi écrit: "J'ai pris, dès le commencement, un intérêt vif et soutenu a son développement, j'ai personnellement participé a la collection de ses matières, a l'arrangement de son contenu et a l'examen minutieux et précis de ce qu'il contient. Je le recommande avec confiance et énergiquement a tout disciple réfléchi et zélé de la foi, de l'Est et de l'Ouest..." Il dit que la matière était lisible, attractive, qu'elle faisait autorité et englobait tout, que le traitement des principes fondamentaux de la Cause était concis et persuasif et ses illustrations vraiment représentatives: qu'aucune autre publication baha'ie similaire ne l'égalait ni ne l'approchait. Shoghi Effendi vit toujours ce livre comme étant, et en réalité il le conçut pour l'être, éminemment convenable pour le public, pour les savants, pour mettre dans les bibliothèques et pour être un moyen, comme il le disait "d'élimination des mauvaises interprétations malicieuses et des malentendus malheureux qui ont si longtemps caché sous un nuage la lumineuse foi de Baha'u'llah."

C'était un livre qu'il offrait souvent aux royautés, aux hommes d'Etat, aux professeurs, aux universitaires et aux rédacteurs des journaux non baha'is. Il leur envoyait, en général, avec sa simple carte de visite "Shoghi Rabbani". La réaction de l'un d'eux, un professeur américain, exprime clairement l'impression que produisait ce cadeau de Shoghi Effendi:

"Nous avons reçu deux exemplaires du Baha'! World... Je ne puis vous dire combien j'apprécie de pouvoir étudier ce livre qui est excessivement intéressant et inspirant dans tous les domaines... Je vous félicite particulièrement d'avoir développé la littérature, et de tenir vivant un tel esprit salutaire parmi les différents groupes qui cherchent auprès de vous la direction". Mais peut-être le plus grand hommage a la grandeur d'une telle publication pour laquelle Shoghi Effendi dépensa, au cours des ans, beaucoup de temps et d'énergie, fut qu'une fière reine écrivit des textes spéciaux consacrés a la foi et consentit que ces hommages et sa photographie apparaissent en frontispice dans les différents volumes de cette publication. "Aucune parole" écrivait Shoghi Effendi a Martha Root en 1931 au reçu d'un de ces hommages écrit par la reine Marie, "ne peut mieux exprimer mon plaisir a la réception de votre lettre contenant la précieuse appréciation qui constituera une contribution saillante et précieuse pour le prochain volume du Baha'i World".


Il est difficile de comprendre, en passant en revue les oeuvres de Shoghi Effendi, qu'il n'écrivit lui-même qu'un seul livre, en tant que tel, et c'est Dieu passe près de nous, publié en 1944. Même Voici le jour Promis, écrit en 1941, n'est qu'une longue lettre générale de 136 pages aux baha'is de l'Occident. Ce fait seul est une indication réelle du caractère profondément modeste de l'homme. Il écrivait aux baha'is parce qu'il avait quelque chose d'important a dire, parce qu'il était le Gardien de la foi de Baha'u1lah, parce qu'il avait été désigné pour les guider; il était poussé par des forces plus grandes que lui, sur lesquelles il n'avait aucun contrôle. Outre le flot de lettres, d'une longueur modérée, qu'il envoya aux baha'is de l'Occident et a leurs Assemblées nationales, il y a certaines lettres générales de nature différente, adressées aux baha'is des Etats-Unis et du Canada, d'autres aux baha'is de l'Occident, qui ont été réunies dans un volume intitulé "The World Order of Baha'u'llah" (L'Ordre Mondial de Baha'u'llah). The World Order of Baha'u'llah et The World Order of Baha'u'llah Further Considerations (l'Ordre Mondial de Baha'u1lah D'autres considérations) ont été écrites respectivement en 1929 et en 1930. Elles étaient destinées a clarifier pour les croyants la vraie signification et le but de leur foi, ses tenants, ses implications, sa destinée et son avenir; et a guider la communauté qui s'étendait et mûrissait lentement en Amérique du Nord et en Occident, vers une meilleure compréhension de ses devoirs, de ses privilèges et de son destin.

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Suivit, alors, en 1931, la lettre générale connue sous le titre de Le But d'un Nouvel Ordre Mondial, qui, avec une maîtrise nouvelle et un ton assuré, s'élève au-dessus du niveau d'une lettre adressée a des collaborateurs dans une activité commune, et commence a refléter la puissance extraordinaire d'exposition de pensée qui doit caractériser un grand leader et écrivain. Dans une lettre, écrite en janvier 1932 de la part du Gardien, son secrétaire, parlant de toute évidence du But d'un Nouvel Ordre Mondial, dit: "Shoghi Effendi a écrit sa dernière lettre générale aux amis occidentaux parce qu'il avait le sentiment que le public devrait pouvoir comprendre l'attitude de la foi baha'ie face aux problèmes politiques et économiques dominants: nous devrions faire connaître au monde le but réel de Baha'u'llah." Shoghi Effendi associa cette lettre au dixième anniversaire de l'ascension d'Abdu'l-Baha et il s'y étend longuement sur la condition du monde et sur les changements qui doivent être apportés a ses parties composantes, a la lumière des enseignements de Baha'u'llah et d'Abdu'l-Baha.

The Golden Age of The Cause of Baha'u'llah (l'Age d'Or de la Cause de Baha'u'llah) suivit en 1932. Ce fut un exposé magistral de la divinité de sa foi qui, écrivit Shoghi Effendi, se nourrit "de la force céleste des sources cachées". Une fois encore il clarifiait les rapports entre cette Dispensation et celles du passé et expliquait la solution des problèmes actuels que le monde affronte.

En 1933, il donna aux baha'is de l'Amérique du Nord Ametica and the Most Great Peace (l'Amérique et la Plus Grande Paix) qui traitait largement du rôle que cette partie du monde doit jouer, selon la Volonté de Dieu durant cette période de l'histoire, il rappelait les voyages et les services pleins de sacrifices du Maître en Occident et récapitulait les victoires déjà emportées pour la foi par cette communauté favorisée. L'important traité connu sous le titre de La Dispensation de Baha'u'llah écrit en 1934, éclata sur les baha'is comme une lumière blanche et aveuglante. Je me rappelle quand je le lus pour la première fois, j'eus l'extraordinaire sentiment que l'univers tout entier se déroulait autour de moi et que je regardais l'éblouissante immensité des étoiles. Toutes les frontières de notre compréhension s'écroulaient, la gloire de cette Cause et le rang véritable de ses figures centrales nous étaient révélées et nous n'étions plus jamais les mêmes.

On pourrait penser que l'étourdissant impact de cette seule communication du Gardien avait tué la petitesse de notre âme pour toujours! Quoi que Shoghi Effendi ait pensé de ses autres oeuvres, je sais d'après ses remarques, qu'il considérait avoir dit tout ce qu'il avait a dire, et de toutes les façons possibles, dans la Dispensation.

En 1936 il écrivit Vers l'Apogée de la Race Humaine. Une fois encore, comme il le fit souvent, Shoghi Effendi le rattacha a l'ascension d'Abdu'l-Baha. C'était un exposé encore plus approfondi de l'état du monde, de son déclin rapide et évident dans les domaines politique, moral et spirituel; de l'affaiblissement du christianisme et de l'islam; des dangers que courait l'humanité par son inconscience; du remède fort, divin et plein d'espérance que les enseignements de Baha'u'llah offraient. Ces importantes et éducatives lettres du Gardien fournissaient, par les riches extraits appropriés des paroles de Baha'u'llah que le Gardien traduisait et citait avec prodigalité, une nourriture aux croyants, car nous savons que les paroles de la manifestation de Dieu sont la nourriture de notre âme. Ces lettres contenaient également d'innombrables et très beaux passages des tablettes du Bien-Aimé Maître. Tous ces dons, le Gardien les répandait sur les croyants, fête après fête, nourrissant et élevant une nouvelle génération de serviteurs de la foi. Ses paroles embrasaient leurs imaginations, les mettaient au défi de s'élever a de nouvelles hauteurs, et faisaient pénétrer leurs racines plus profondément dans le sol fertile de la Cause.

C'est en fait, vers 1930 que l'on voit réellement un changement manifeste dans les écrits de Shoghi Effendi. Avec le trait de plume qu'il a maintenant en main, il se révéla être un géant. La où l'on pouvait trouver la trace d'un certain manque de confiance en soi, d'un écho de l'affliction qu'il avait subie après l'ascension du Maître et de son élévation a cette haute charge, des pleurs de son coeur et de son chagrin de la disparition du Bien-Aimé de sa vie, on voit maintenant un changement de ton: un homme parle avec assurance, confiance et force. Le guerrier sait maintenant ce qu'est la guerre. Il avait été surpris, assailli, grièvement blessé par des ennemis vicieux et spirituellement pervers. Quelque chose de tendre, de confiant, de jeune était parti pour toujours. Ce changement est manifeste non seulement dans la nature et la force de ses directives au monde baha'i dans la façon dont il forme l'administration a l'Est et a l'Ouest et soude ensemble les communautés diverses et disparates, mais aussi dans la beauté et l'assurance de son style se couvrant constamment de gloire, au cours des ans.

Shoghi Effendi entreprenait, en même temps que les premières lettres sur les principaux sujets de la foi, la traduction de deux livres. Dans une lettre du 4 juillet 1930, Shoghi Effendi dit: "je me sens excessivement fatigué après une année de travail acharné, en particulier parce que je m'étais organisé pour ajouter a mes travaux la traduction de l'Iqan que j'ai déjà envoyé en Amérique". C'est la première de ses importantes traductions, le grand exposé de Baha'u'llah sur le rang et le rôle des manifestations de Dieu et plus particulièrement a la lumière des enseignements et des prophéties islamiques, connu sous le nom de Kitab-i-1qan ou le Livre de la Certitude. C'était un complément inestimable pour l'étude de la foi que les Occidentaux avaient embrassée et il enrichissait infiniment leur compréhension de la Révélation divine.

La même année, le Gardien commença une autre oeuvre. Une oeuvre qui n'était pas une traduction des paroles de Baha'u'llah, ni une lettre générale, mais qui doit être considérée comme un chef d'oeuvre littéraire et un don inestimable pour tous les temps. C'était la traduction de la première partie des chroniques d'un des disciples contemporains du Bab et de Baha'u'llah, connu sous le surnom de Nabil, traduction qui fut publiée en 1932 sous le titre The Dawn-Breakers. Si les critiques et les sceptiques étaient tentés de classer la littérature de la foi baha'ie comme typique des meilleurs manuels religieux, destinée a des initiés seulement, ils ne pourraient écarter, ne serait ce qu'un seul instant, un livre de la qualité de l'Histoire de Nabil qui mérite qu'on le compte parmi les classiques des histoires épiques de la langue anglaise, bien que ce soit apparemment une traduction de persan. Cependant on peut dire que Shoghi Effendi le recréa en anglais, sa traduction étant comparable a celle de Fitzgerald des Rubaiyat d'Omar Khayyam qui donna au monde un poème en langue étrangère qui dépassait de loin les mérites de l'original. Les meilleurs et les plus descriptifs commentaires sur ce chef d'oeuvre du Gardien, on les trouve dans les appréciations de non baha'is éminents. Le dramaturge Goldon Bottomley a écrit: "... vivre avec lui a été une des expériences les Plus saillantes de ma vie; mais c'était, en outre, une émouvante expérience de ma propre vie par la lumière psychologique qu'il jette sur l'histoire du Nouveau Testament."

Le savant et humaniste bien connu, le Dr. Alfred W. Martin, de l'Ethical Culture Society, dans sa lettre de remerciement a Shoghi Effendi pour lui avoir envoyé l'Histoire de Nabil écrit: "Votre magnifique et monumentale oeuvre... sera un classique et un modèle pour les temps a venir. Je m'émerveille de votre capacité a préparer une telle oeuvre de publication en plus de toutes les activités que votre position professionnelle régulière vous impose." Un des anciens professeurs, Bayard Dodge, de l'Université Américaine de Beyrouth, après avoir reçu en présent l'Histoire de Nabil dans la traduction faite par le Gardien, lui écrit: "... le dernier livre, (The Dawn-Breakers) est une contribution particulièrement précieuse. Je vous félicite de tout coeur pour sa publication. Vous avez dû travailler très dur pour produire une telle traduction splendide, avec des photos et des notes si intéressantes."

A une date ultérieure, il commente longuement ce livre unique:

"J'ai profité des loisirs de l'été pour lire l'Histoire de Nabil... Toute personne intéressée par la religion et par l'histoire vous doit une grande dette de reconnaissance pour avoir publié une si belle oeuvre. La profondeur de cette oeuvre est si impressionnante qu'il me paraît difficile de s'engager a vous féliciter sur les matières pratiques concernant la traduction. Cependant, je ne peux m'empêcher de vous dire combien j'apprécie que vous ayiez pris le temps, dans votre vie si occupée, pour accomplir une si grande tâche.

La qualité de l'anglais et la délicieuse facilité de lecture de la traduction sont extraordinaires, car habituellement les traductions sont difficiles a lire. Vous avez été splendide en rendant le livre si neutre et en ajoutant les annotations qui font de l'oeuvre un matériel scientifique de l'histoire plutôt qu'une quelconque propagande. La force du livre est très grande, car la traduction est si scientifique et la qualité de l'auteur originel si spontanée, que l'ensemble de l'oeuvre doit être regardée comme authentique, même par le critique le plus cynique.

Du point de vue historique, l'oeuvre est de la plus grande valeur. Elle est également très utile, car elle explique la psychologie qui dort dans nos grands mouvements de révélation religieuse. Bien sûr, sa valeur principale est la lumière qu'elle jette sur l'histoire du début du mouvement baha'i. Les vies des premiers convertis sont très inspirantes.

Je prête mon exemplaire au Prof. Crawford et au Professeur Seelye et j'espère que beaucoup de nos professeurs et étudiants trouveront le temps de lire un livre si instructif et encourageant."


Bien qu'une telle appréciation compréhensive, venant d'une telle source, sur ce que représentait son oeuvre, ait dû plaire a Shoghi Effendi et l'ait touché, néanmoins, la lettre de Sir E. Denison Ross, l'Orientaliste bien connu de l'Ecole des Etudes Orientales de Londres, fut l'hommage le plus apprécié qu'il reçut:

"27 Avril 1932

Mon cher Shoghi Effendi,

Cela a été très aimable a vous de vous souvenir de moi et de m'envoyer des exemplaires de vos deux dernières oeuvres et je suis très fier de les posséder, particulièrement venant de votre part. The Dawn-Breakers est vraiment un des plus beaux livres que j'ai jamais vus depuis des années. Le papier, l'impression et les illustrations sont vraiment exquis et en ce qui concerne votre style anglais, il ne pourrait vraiment être amélioré et on ne le lit jamais comme une traduction. Permettez moi de vous exprimer mes plus chaleureuses félicitations pour la réalisation la plus réussie de ce que vous cherchiez quand vous êtes venu a Oxford, a savoir, arriver a une parfaite maîtrise de notre langue.

En plus de cela l'Histoire de Nabil me rendra de très grands services dans les conférences que je donne ici a chaque session sur le Bab et Baha.

Vous espérant en bonne santé, je reste, très sincèrement vôtre

E. Denison Ross.
Directeur."


Shoghi Effendi lui-même, dans une lettre a Martha Root, écrite le 3 mars 1931, décrit ce qu'est le Dawn-Breakers et ce que cette publication signifiait pour lui: "je viens juste de terminer, après huit mois de travail continuel et acharné, la traduction de l'histoire des premiers jours de notre Cause et j'ai envoyé le manuscrit a l'Assemblée Nationale américaine. L'oeuvre comprend 600 pages et 200 pages de notes supplémentaires que j'ai recueillies dans différents ouvrages pendant les mois d'été.

J'ai été si absorbé par ce travail que j'ai été obligé de retarder ma correspondance... Je suis maintenant si fatigué, si exténué, que je peux difficilement écrire... L'histoire est authentique et traite principalement du Bab. Certaines parties ont été lues par Baha'u'llah et ont été révisées par 'Abdu'l-Baha... Je suis si abattu par la fatigue causée par la longue et sévère tension de ce travail que j'ai entrepris, que je dois m'arrêter et m'étendre".

Par anticipation sur la parution prochaine du livre, Shoghi Effendi télégraphiait en octobre 1931 a l'Amérique: "Presse tout croyant de langue anglaise concentrer étude histoire immortelle Nabil comme préliminaire essentiel au renouveau campagne enseignement intensif exigée par finition Mashriqu'l-Adhkar.

Sens fortement large utilisation de ses matières variées riches et authentiques constitue arme la plus efficace pour élever défi d'une heure critique. Recommande sans hésitation a tout prochain visiteur terre natale de Baha'u'llah."

Le livre que Shoghi Effendi recommande aux croyants d'étudier a 748 pages et contient plus de 150 photographies. Il contient une généalogie détaillée du Bab préparée par le Gardien de sa propre main et reproduite en fac-similé. Outre le texte original, mais transfiguré par le brillant traitement qu'il a reçu en passant par l'esprit et le vocabulaire de Shoghi Effendi, de nombreuses annotations furent ajoutées par lui en anglais et en français, puisées dans de nombreuses sources, jetant un éclairage sur les événements qu'il raconte et qui rehaussent grandement son intérêt et sa valeur historique. Une édition de luxe de trois cents exemplaires signés et numérotés fut publiée en même temps que l'édition générale. Cela prit a Shoghi Effendi presque deux ans de recherche, de compilation et de traduction pour finir ce livre remarquable.

En 1930, il envoya un photographe baha'i australien en Iran pour retracer minutieusement les pas du Bab dans sa terre natale, son lieu de martyre et de ceux des martyres de ses disciples et de nombreux autres sites historiques. N'aurait-il pas fait cela, que beaucoup de ces lieux sacrés restés plus ou moins dans leur état originel, aurait été perdus a jamais. Outre la sélection des photos, Shoghi Effendi prit des mesures précises pour envoyer a l'Amérique ce qu'il décrivit comme "un dépôt inestimable", rien de moins que les tablettes originales du Bab a ses dix-neuf disciples, et celle infiniment plus précieuse, qu'il adressa a Baha'u'llah en tant que: "Celui qui sera rendu manifeste". Ces "Tablettes" étaient reproduites en fac-similé, dans leur totalité. Il choisit comme frontispice une reproduction colorée de l'intérieur du Tombeau du Bab. Enfin, le Gardien avait un cadeau de valeur, entièrement de lui, pour offrir a celle qu'il aimait le plus:

"A la Plus Sainte Feuille, la dernière survivante d'un âge glorieux et héroïque, je dédie cette oeuvre comme une marque d'une grande dette de reconnaissance et d'amour."

Les baha'is de l'Ouest émergeaient, de l'étude de cette histoire de la vie de l'époque du Bab, transfigurés. C'était comme si quelque sang précieux de ces premiers martyrs giclait sur eux. Ils saisissaient un peu de la tradition de leur passé, ils voyaient que c'était une foi pour laquelle on portait sa vie a bout de bras, ils comprenaient ce dont parlait Shoghi Effendi et ce qu'il attendait d'eux, lorsqu'ils les appelaient les descendants spirituels des Dawn-Breakers. Les graines que ce livre sema dans les coeurs des disciples occidentaux de Baha'u'llah, poussèrent et mûrirent lors de la Croisade de Dix ans, et sa moisson continuera a être engrangée toujours plus abondamment au fur et a mesure que le Plan divin d'Abdu'l-Baha étendra sa conquête sur le globe.

En 1935, Shoghi Effendi présenta aux baha'is occidentaux un autre magnifique cadeau, publié sous le titre Extraits des Ecrits de Baha'u'llah, que le Gardien lui-même décrit, dans une lettre a Sir Herbert Samuel, comme "consistant en une sélection des passages les plus caractéristiques et non encore publiés des oeuvres inestimables de l'auteur de la Révélation baha'ie." Rappelant les insuffisantes pages du Nouveau Testament, les paroles attribuées a Bouddha et la simple poignée de dires de quelques autres flambeaux divins qui ont, néanmoins, transfiguré pour des siècles la vie de millions d'hommes, Les Extraits seuls paraissent fournir une source de direction et d'inspiration suffisante pour la Dispensation spirituelle de tout prophète.

Le Professeur Norman Bentwich, en remerciant Shoghi Effendi pour l'exemplaire qu'il lui avait envoyé, dit: "je l'estime avec les autres fruits de votre ardente piété", vraiment une belle description de la nature du travail de Shoghi Effendi pour porter au monde occidental les paroles de la Manifestation de Dieu en ce jour. Mais sûrement l'hommage le plus précieux rendu a ce livre fut ce que la reine Marie de Roumanie dit a Martha Root: "Même les sceptiques y trouveraient une force puissante, si seulement ils le lisaient et donnaient a leur âme le temps de s'élargir". En janvier 1936, la reine écrit a Shoghi Effendi; après avoir reçu un exemplaire de sa part: "Puis-je vous envoyer mes remerciements les plus reconnaissants pour le magnifique livre dont chaque mot m'est précieux et doublement en ce temps d'anxiété et d'inquiétude" et Shoghi Effendi répondit qu'il sentait que ses efforts pour le traduire avaient été pleinement récompensés parce qu'elle avait dit avoir tiré profit de sa lecture.

Ce livre fut suivi par la traduction de ce qu'on peut appeler son jumeau, comparable en richesse et complémentaire dans sa matière, nommément. "Prayers and Méditations" by Baha'u'llah ("Prières et méditations" par Baha'u'llah). Nous retrouvons, encore une fois, l'ancien Professeur de Shoghi Effendi, Bayard Dodge, qui lui écrit avec une appréciation exacte de ce que ce travail implique: "La traduction des pensées profondes et poétiques telles que les Prayers and Meditations, exigent une énorme somme de travail acharné... Je vous ai dit auparavant combien je m'émerveille quand je vois la qualité de l'anglais que vous employez"; quand il avait reçu les Extraits le Professeur Dodge avait écrit au Gardien: "Vous avez maîtrisé l'anglais d'une façon si remarquable que je suis sûr que les paroles n'ont pas perdu leur charme et leur signification par la traduction". Et quand la traduction de Shoghi Effendi des Paroles Cachées lui parvint, il lui écrivit, de nouveau, avec une singulière vue pénétrante sur ce qu'un tel travail représentait: "je me rends compte de la difficulté excessive de traduire en anglais les belles pensées orientales et je vous félicite pour la qualité du langage que vous avez employé".

Immédiatement après la publication de cette mine de diamants pour la communion avec Dieu, jamais surpassé par aucune littérature religieuse du monde, Shoghi Effendi entreprit d'écrire une lettre générale plus longue que toutes celles écrites auparavant et qui parut en 1939 sous le titre de The Advent of Divine justice (l'Avènement de la Justice Divine). Elle fut écrite durant l'année où le Gardien resta en Europe a cause des activités terroristes en Palestine et elle était adressée aux baha'is des Etats-Unis et du Canada. Shoghi Effendi y décrit, comme jamais auparavant, le rôle que cette communauté devait jouer dans la destinée future de l'homme sur cette planète. Il y décrit les objectifs du Plan de Sept ans récemment lancé, le premier pas vers l'implantation des clauses du Plan divin d'Abdu'l-Baha. Il y souligna que du succès de cette entreprise commune des adeptes de Baha'u1lah devait dépendre le sort de toutes les activités futures concernant la promulgation de son Ordre mondial a travers les autres continents du globe. D'une main aimable mais ferme, il tenait devant la communauté nord-américaine le miroir de la civilisation qui l'entourait et l'avertissait de ses maux, en des termes rivant les yeux et refroidissant les coeurs; soulignant une vérité que peu d'entre nous n'avaient jamais méditée, c'est-a-dire, que ces mêmes maux de cette civilisation étaient la raison mystique pour laquelle Dieu avait choisi leur pays comme le berceau de son Ordre mondial en ces jours.

Les avertissements que contient The Advent of Divine Justice font partie intégrale de la vision et de la direction que Shoghi Effendi donna aux fidèles, tout au long de son ministère. Ils ne peuvent pas être passés sous silence si nous voulons obtenir une compréhension correcte de sa propre mission. En des termes précis, il fustigea le relâchement de la morale, la corruption politique, le préjugé racial et le matérialisme corrosif de leur société, la mettant en opposition avec les modèles si élevés, inculqués par Baha'u'llah dans ses enseignements et imposés par lui a ses disciples. Il les avertissait de la guerre qui devait bientôt arriver, et les exhortait a rester fermes malgré les épreuves que l'avenir pourrait leur infliger ainsi qu'a leur nation, pour s'acquitter de leur tâche sacrée, en poursuivant jusqu'à son issue triomphale le plan qu'ils avaient récemment commencé dans Hémisphère occidental.

Une autre lettre générale, cette fois adressée a l'ensemble des baha'is de l'Occident, parut sous presse en 1941. Elle fut appelée Voici venu le Jour Promis et ensemble avec The Advent of Divine justice, elles exposent la décomposition, jusqu'à la racine, du monde d'aujourd'hui. Dans Voici venu le jour Promis, écrit durant la seconde année de la guerre, Shoghi Effendi fulmine en condamnant la perversité et la culpabilité de cette génération, employant comme missiles les citations des paroles de Baha'u'llah lui-même: "Le temps de la destruction du monde et de ses habitants est arrivé"; "Le jour promis est venu, le jour où des épreuves torturantes, surgissant au-dessus de vos têtes et sous vos pas, clameront: "Voyez ce que vos mains ont forgé". "Bientôt le souffle de son châtiment s'abattra sur vous et la poussière de l'enfer vous recouvrira comme une linceul". "Et lorsque l'heure fixée sonnera, il apparaîtra soudain ce qui fera trembler les membres de l'humanité"; "Le jour approche où ses flammes (celles de la civilisation) dévoreront les cités, où la Langue de Grandeur proclamera: 'Le Royaume est a Dieu, le Tout Puissant, le Glorieux!' - "Le jour bientôt viendra où, appelant a l'aide, ils ne recevront aucune réponse"; "Nous avons fixé une heure pour vous, ô peuple! Si a l'heure désignée, vous manquez de vous tourner vers Dieu ' lui, en vérité, il vous saisira avec violence et il suscitera des afflictions douloureuses qui vous assailliront de tous côtés.

Combien sévère, en vérité, le châtiment par lequel votre seigneur vous punira alors!"; "0 vous, peuples du monde! Sachez, en vérité, qu'une calamité imprévue vous suit et qu'une cruelle punition vous attend. Ne croyez pas que les actes que vous avez commis soient effacés de devant mes yeux. Par ma Beauté! toutes vos actions ont été gravées par ma plume, en caractères clairs sur des Tablettes de chrysolite".

Le Gardien peint une image de la situation où l'humanité a été réduite par son rejet de Baha'u'llah, une image terrible, terrifiante et majestueuse: "L'épreuve universelle qui tient dans ses griffes l'humanité" est, écrit-il, tout d'abord un jugement de Dieu prononcé contre les peuples de la terre qui ont pendant un siècle, refusé de reconnaître celui dont l'avènement a été promis a toutes les religions". Shoghi Effendi récapitule les souffrances, les persécutions. les calomnies et les cruautés que le Bab, Baha'u1lah et Abdu'l-Baha endurèrent et raconte leur innocence, leur patience, et leur courage face a ces épreuves et leur lassitude finale de ce monde quand ils regagnèrent les Royaumes célestes de leur Créateur. Shoghi Effendi énumère les péchés de l'humanité contre ces Etres immaculés et pointe un doigt accusateur sur les dirigeants de l'humanité, sur ses rois, ses plus hautes personnalités ecclésiastiques a qui les deux Manifestations jumelles de Dieu avaient adressé la pleine force de leur message et parce qu'ils avaient négligé leur devoir suprême de prêter attention a l'appel de Dieu, Baha'u'llah avait affirmé: "A deux catégories d'hommes le pouvoir a été arraché; aux rois et au clergé".

Les écrits de Shoghi Effendi sont si fascinants, si prodigues, si vastes quant a leurs sujets que, lorsqu'on commence a toucher un livre tel que Voici venu le jour Promis, on se retrouve errant dans la procession des idées qu'il a émises, oubliant que le but de ces pages n'est pas de passer en revue ses livres mais d'essayer de revoir les nombreuses facettes de sa vie et de ses oeuvres. Néanmoins, je ne peux résister a citer une lettre qu'un très humble baha'i lui écrivit quand ce livre fut publié: "Voici venu le jour Promis est la fleur des livres pour moi - je l'aime. Maintenant tout ce dont j'ai besoin c'est une compréhension claire dans mon coeur. Merci Shoghi Effendi, pour votre gentillesse, vous ne pouvez savoir ce que vous avez fait pour moi... Qu'avons-nous fait pour vous? Vous avez tout fait pour nous..."

Entre ces deux lettres générales, The Advent of Divine justice et Voici venu le Jour Promis, Shoghi Effendi donna aux croyants occidentaux sa cinquième et dernière traduction des Ecrits de Baha'u'llah. entreprise durant l'hiver 1939-1940, a une période la plus difficile et la plus hasardeuse de sa vie. Il l'envoya a l'Amérique aux fins de publication, a la veille de son départ pour l'Europe en pleine guerre. The Epistle to the Son of the Wolf (l'Epître au fils du Loup), était la dernière oeuvre importante de Baha'u'llah et contient une sélection de ses propres Ecrits, faite par Baha'u'llah lui-même (certainement un événement unique dans l'histoire religieuse! ) pendant les deux dernières années de sa vie. Il a, par conséquent, une position particulière dans la littérature de notre foi. Dans un télégramme, peu avant la publication du livre, Shoghi Effendi disait: "Sincèrement espère son étude puisse contribuer éclairer plus profondément compréhension vérités dont la poursuite efficace entreprises administratives enseignement finalement dépendent..."

Je cite le début de mon propre journal daté du 22 janvier 1944: "Aujourd'hui, les dernières corrections de l'Examen rétrospectif et perspectives d'avenir du dernier chapitre du livre de Shoghi Effendi ont été faites et il sera envoyé a Horace. Il y avait presque deux aux peut-être plus que le Gardien l'avait commencé. Cela a signifié un travail presque continuel pour lui, une charge et un effort terrible, mais cela le méritait certainement! C'est un livre merveilleux." Les grands événements d'une vie finissent souvent par de telles petites notes faites par ceux qui y participent et en sortent exténués, trop fatigués pour dire autre chose que des banalités et des futilités! Ainsi, fatiguée a ce point pour me souvenir qu'il a fallu effectivement plus de deux ans a Shoghi Effendi pour écrire ce que lui et moi, nous appelions "le Livre". Il reçut son beau titre a la fin "God Passes By" (Dieu passe près de nous), l'histoire la Plus brillante et la plus étonnante d'un siècle qui ait jamais été racontée. Il est vraiment "la Mère" des histoires futures, un livre dont chaque mot compte, dont chaque phrase porte une idée, chaque idée ouvre la voie vers un domaine qui lui est Propre. Formé de faits saillants, il a la gamme et la précision des cristaux d'un flocon de neige, chaque forme parfaite en elle-même, chaque thème brillant dans son contour, coordonné, équilibré, contrôlé, un modèle pour ceux qui suivront, étudieront, évalueront et élaboreront le message et l'ordre de Baha'u'llah.

Ce fut une des oeuvres les plus concentrées, les Plus prodigieuses de la vie de Shoghi Effendi, le seul vrai livre que nous ayons de sa plume, car toutes les autres publications étaient, sans doute a cause de sa propre modestie et humilité, rédigées sous forme de lettres adressées a une communauté particulière ou a une section du monde baha'i.

La méthode de Shoghi Effendi, en écrivant Dieu passe près de nous consistait a s'asseoir pendant un an et a lire tous les livres des Ecrits baha'is en persan et en anglais, manuscrits ou imprimés, et tout ce que des non baha'is avaient écrits et qui contenaient des références suffisantes a la foi. Je pense que tout cela couvrait l'équivalent de deux cents livres. Il prenait des notes en lisant, compilait et disposait les faits. Quiconque s'est attelé a un travail de nature historique, sait combien la recherche est nécessaire, que souvent il faut décider, a la lumière de pièces justificatives, entre cette date donnée par l'un a un endroit et cette autre donnée par un autre. Comme l'ensemble du travail est éreintant! Combien plus pour le Gardien qui devait, en plus, préparer le prochain centenaire de la foi et prendre des décisions concernant le plan de la superstructure du Mausolée du Bab. Quand tous les éléments de ce livre furent assemblés, Shoghi Effendi commença a les tisser dans une tapisserie décrivant son image de la signification du premier siècle de la Dispensation baha'ie. Il n'avait pas l'intention, disait-il, d'écrire une histoire détaillée de ces cent années, mais plutôt de passer en revue les traits principaux de la naissance et de l'avancement de la foi, l'établissement de ses institutions administratives et les séries de crises qui l'ont propulsée, d'une façon mystérieuse de victoire en victoire, par la libération de la puissance divine. Il nous révéla un panorama des événements que, écrivit-il, "La révolution de cent années... a déroulé devant nos yeux". Il leva le rideau de l'acte premier de ce qu'il affirmait être un "drame invisible, prodigieux et sublime, dont aucune intelligence ne peut percer le mystère, dont aucun oeil ne peut, même faiblement percevoir le point culminant, dont aucune raison ne peut présager de façon adéquate la conclusion."

Combien de centaines d'heures, Shoghi Effendi passa a lire ses sources, a compiler ses notes; combien de jours et de mois a écrire assidûment, en toutes lettres et souvent en réécrivant, la majestueuse procession des chapitres; combien de jours fastidieux, assis derrière sa petite machine portative, la martelant avec quelques doigts, parfois pendant dix heures, alors qu'il tapait la copie finale de son livre!

Et combien d'heures supplémentaires nous passâmes, tard dans la nuit, quand la frappe quotidienne était finie, assis côté a côte, a sa grande table dans sa chambre, chacun avec trois copies devant nous, lisant les épreuves, faisant les corrections, mettant les milliers d'accents sur les mots translitérés que Shoghi Effendi lisait a haute voix, jusqu'à ce que ses yeux deviennent rouges et brouillés, son dos et ses bras raides et fatigués. Ce devait être fait. Il n'y avait aucune possibilité de travailler a une cadence plus lente. Il luttait contre le temps pour présenter aux baha'is d'Occident ce cadeau inestimable a l'occasion de l'anniversaire du centenaire de leur foi. Il envoyait en Amérique le manuscrit corrigé chapitre par chapitre, mais les conditions aux Etats-Unis retardèrent la publication et le livre ne sortit qu'au milieu de novembre 1944.

Il ne suffit pas de dire "regardez ce que l'homme a fait". Il faut se demander dans quelles conditions, il l'a fait. 'Abdu'l-Baha écrivit les Tablettes du Plan Divin, lorsqu'il était âgé, épuisé et en grand danger, a la fin de la première Guerre mondiale. Shoghi Effendi, déjà écrasé et surchargé par le poids de vingt ans de Gardiennat, alors que les tentacules de la deuxième Guerre mondiale menaçaient de balayer la Terre Sainte et de l'engloutir, lui et le Centre mondial de la foi dans un flux de catastrophes, pendant une période où sa propre maison était bouleversée par les répercussions de la violation du Covenant affectant maintenant sa propre famille, dans ces conditions, il se mit a la tâche d'évaluer, pour tous les temps, la signification des événements du premier siècle de l'Ere baha'ie. A certaines occasions, c'était pour moi un malheur, de le voir pleurer comme si son coeur aller éclater, si grand était son chagrin, si écrasantes les pressions qu'il subissait!

Non content de l'histoire qu'il venait juste de finir en anglais, Shoghi Effendi pensait a la communauté affectueuse et loyale des disciples persécutés et souffrants de Baha'u'llah dans sa terre natale et commençait a composer un autre mémoire en persan sur ces cent années de la foi baha'ie. C'était une version comparable, mais plus courte, sur le même sujet, différente dans sa forme mais non moins splendide dans les faits présentés et dans l'éclat du langage. Alors que j'avais participé a une grande partie de la composition de Dieu passe près de nous en anglais, je n'avais pas les capacités nécessaires pour le faire en ce qui concerne cette épître. La différence entre le style de Shoghi Effendi dans ses lettres et discours souvent parsemés d'arabe,

et le persan de tous les jours est comparable entre l'anglais de Shakespeare et celui des journalistes d'aujourd'hui! Ma maîtrise du persan et mon ignorance de l'arabe était telle que je ne pouvais saisir plus de trois mots sur dix. Néanmoins il me lisait ou plutôt me chantait, quelques uns des passages et le flot majestueux de ses paroles, leurs perfections et leur puissance étaient évidentes pour moi, même si je ne suivais pas pleinement leur sens. Je me rappelle, quand je m'approchais de sa chambre, j'entendais sa voix chantant ses compositions. Il chantait une phrase qu'il était en train d'écrire jusqu'à ce qu'il rencontre une rugosité, un mot qui ne s'ajustait pas harmonieusement. L'adorable voix, inconsciente d'elle-même, s'arrêtait et reprenait dès le début de la phrase et s'arrêtait au même point, et si elle n'arrivait pas a franchir cela recommençait jusqu'à ce que la difficulté soit aplanie! C'était comme un oiseau merveilleux s'essayant a ses mélodies, perdu dans ses propres paroles. Cette épître couvre une centaine de pages dans une écriture fine et c'est un autre chef-d'oeuvre de Shoghi Effendi. Ces deux revues du centenaire furent les cadeaux inestimables du Gardien aux baha'is a l'occasion de l'anniversaire du premier siècle. Il les écrivit au prix de beaucoup d'énergie et de santé, et les composa pendant que le monde était remué par sa plus grande guerre.

Les treize ans qui suivirent, Shoghi Effendi ne fit plus de traductions, ni ne rédigea de livres. C'est une grande perte pour nous qu'il n'ait plus eu le temps de le faire. La communauté internationale qu'il avait, avec tant de peine, érigée depuis 1921 avait pris maintenant de telles proportions qu'elle prenait tout son temps et toute son énergie et laissait peu pour le travail intensif et créateur pour lequel il était si richement doté par la nature. Il continua toutefois, a diriger les croyants et les institutions nationales par des lettres, et particulièrement par de longs télégrammes. En 1941, Shoghi Effendi avait déjà commencé a énumérer les victoires remportées dans le monde. Les messages de ce type développaient finalement l'enthousiasme des revues de Ridvan de l'oeuvre accomplie, des revues qui permettaient aux croyants de voir leurs labeurs dans chaque pays comme une partie d'un grand tout...

Depuis le commencement de son ministère, Shoghi Effendi employait de plus en plus les télégrammes et les messages télégraphiques, non seulement parce qu'ils permettaient de gagner du temps, mais aussi comme me l'expliquait Shoghi Effendi, a cause de leur effet psychologique.

Le télégramme porte en soi un sens d'urgence et de drame, il est par conséquent le meilleur moyen de faire sentir les points importants. Shoghi Effendi développa ce qu'on pourrait appeler le langage télégraphique, a un niveau si haut qu'il devenait une oeuvre littéraire. Il envoya, très souvent des télégrammes longs comme des lettres. Il les pensait sous la forme abrégée dans laquelle il les écrivait. Il n'était pas question d'exprimer une idée sous la forme normale d'expression et d'éliminer ensuite tous les mots qui pouvaient l'être sans altérer le sens. Dès le commencement il ne pensait pas ces mots dans son texte. Ainsi, le style est très graphique, puissant et dramatique. On perd le style et souvent la signification exacte quand on interpose entre les termes du télégramme les 'si' les 'de', les "la', les "et' etc... qu'on croit nécessaires pour la clarté du texte. Ajouter de tels mots sans les parenthèses est une interférence injustifiée dans le texte de notre foi, car cela signifie que quelque éditeur a inséré dans les phrases de Shoghi Effendi ce qui rendrait, croyait-il, plus clair ce que Shoghi Effendi voulait dire, d'autre part, insérer quelque chose, même entre parenthèses, paraît impliquer que le lecteur est un imbécile et ne peut comprendre par lui-même ce que le Gardien voulait dire...

Jusqu'à la fin de sa vie, Shoghi Effendi continua d'inspirer le monde baha'i par ses instructions et ses idées; de sa plume coulèrent des paroles de grande puissance et signification, globalement équivalentes a plusieurs volumes. Mais une époque était finie avec la fin de la guerre et la croissance de l'activité administrative tout autour de la terre. Quoique sa puissance de direction ne l'ait jamais quitté, que les heures de travail consacrées quotidiennement a la Cause de Dieu n'aient jamais diminué jusqu'à sa mort, Shoghi Effendi était néanmoins très fatigué.

La vie et l'oeuvre de Shoghi Effendi pourraient très bien être divisées en quatre parties: ses traductions des paroles de Baha'u'llah, du Bab, d'Abdu'l-Baha et de l'histoire de Nabil; ses propres écrits comme l'histoire du centenaire, Dieu passe près de nous, ainsi que le flot ininterrompu de communications instructives de sa plume qui soulignaient pour les croyants la signification, le temps et la méthode de leurs institutions administratives; un programme continu pour étendre et consolider les assises matérielles d'une foi mondiale qui comprenait non seulement la finition, l'érection et l'embellissement des lieux saints au Centre mondial

mais aussi la construction des Maisons d'Adoration; l'acquisition des centres nationaux et locaux et des dotations dans les différents pays de l'Orient et de l'Occident; et par dessus tout, une orientation magistrale de la pensée vers les concepts enchâssés dans les enseignements en ce qu'on pourrait très bien décrire comme une large revue panoramique de la signification, des implications de la destinée et du but de la religion de Baha'u'llah, en réalité de la vérité religieuse elle-même et la description de l'homme comme l'apogée de la création de Dieu, évoluant vers la conclusion de son développement et l'établissement du royaume de Dieu sur terre.


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