La perle
inestimable
Par Ruhiyyih Rabbani
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Chapitre 9. La guerre
En relisant mon journal (je n'ai cité qu'une
faible partie des centaines de pages que j'ai écrites au cours des ans), il
me paraît étrange de ne voir pratiquement aucune référence a la Guerre mondiale
qui a fait rage partout pendant presque six ans et qui a constitué une menace
terrible pour la sécurité du Centre Mondial et en particulier le Gardien, en
tant que Chef de la foi. Ce vide, plus que toute autre chose témoigne éloquemment
des commotions intérieures qu'il a traversées pendant ces années. Les pressions
quotidiennes et le travail, l'inquiétude et l'épuisement étaient si grands qu'ils
laissaient a l'arrière plan la mention de cette menace et de cette anxiété.
Shoghi Effendi était un grand observateur de la conjoncture politique et suivait
assidûment tous les événements. Son intelligence et ses facultés analytiques
ne lui permettaient pas de se bercer de quelques fausses complaisances, y compris
par l'idée infantile que certains ont sur la signification de "la foi". Il savait
très bien qu'avoir "la foi en Dieu" ne veut pas dire qu'on ne doit pas se servir
de la raison, évaluer le danger, anticiper les mouvements, prendre les décisions
appropriées lors d'une crise.
C'est avec une grande répugnance que je parle de la vie privée du Gardien, si
innocente, si pleine d'épreuves. Deux considérations me poussent néanmoins a
le faire. La première c'est que tant qu'on ne saisit pas, ne serait ce qu'en
un léger aperçu, ce qu'il fut en tant qu'être humain, on ne pourra réellement
apprécier la grandeur de ses oeuvres. La seconde est que toute personne de renom
est sujette, le long des siècles, a des recherches historiques poussées jusqu'aux
détails; beaucoup de choses dans les notes trouvées ici ou la seront mises en
lumière. S'il n'y a pas un témoin pour les expliquer, elles seront vraisemblablement
mal interprétées et donneront lieu a de sottes légendes nées de la pure imagination.
A l'époque où Shoghi Effendi invita mon père a venir avec nous, après la mort
inattendue de ma mère en Argentine en 1940, le Gardien avait décidé, pour des
raisons personnelles de se rendre en Angleterre. Il est presque impossible de
donner une image des difficultés qu'un tel déplacement, a un tel moment de l'histoire,
impliquait a ceux qui n'étaient pas sur le théâtre de la guerre au Moyen-Orient
européen. Malgré le prestige et l'influence du Gardien, les Autorités de la
Palestine ne pouvaient donner aucun visa pour l'Angleterre. Notre demande de
visa fut donc transmise a Londres.
Shoghi Effendi fit aussi appel a son viel ami, Lord Lemington, et lui demanda
d'utiliser ses bons offices pour qu'un visa nous soit donné. Entre temps, il
devint impératif pour nous de partir tout de suite pour l'Angleterre, si jamais
nous devions y arriver. Les autorités de la Palestine n'avaient encore reçu
aucune réponse et la réponse du Lord Lemington tardait a nous parvenir. Poussé
par des forces qui l'animaient si mystérieusement dans toutes ses décisions,
le Gardien décida de partir pour l'Italie, pays pour lequel nous avions obtenu
un visa. Nous quittâmes donc Haïfa, le 15 mai, sur un petit et malodorant aquaplane
italien. La mer nous éclaboussait par dessus bords et nous avions les pieds
dans l'eau comme dans un vieux canot a rames. Nous arrivâmes quelques jours
plus tard a Rome. Je partis pour Gênes accueillir mon père qui arrivait au dernier
voyage que fit le "SS Rex" en tant que transporteur de passagers.
A notre retour, le Gardien nous envoya, mon père et moi, au Consulat britannique
pour nous enquérir si, par hasard, notre visa avait été transmis de la Palestine.
Il n'en était rien. Le Consul nous dit qu'il ne pouvait pas nous donner de visa
car toutes les autorisations devaient venir de Londres et qu'il n'était plus
en mesure de contacter son Gouvernement! Nous retournâmes avec cette mauvaise
nouvelle. Il nous y envoya une nouvelle fois. Naturellement nous lui obéirent,
parce qu'il était le Gardien. Mais ni mon père, ni moi ne voyions ce que nous
pouvions faire de plus que, ce que nous avions déjà fait. Nous nous trouvâmes
donc, une nouvelle fois, assis devant le Consul, lui disant et redisant les
mêmes choses. Incidemment, je dis que Shoghi Effendi était le petit-fils de
Sir 'Abdu'l-Baha 'Abbas. J'avais naturellement déjà dit qu'il était le Chef
de la foi baha'ie etc... Le Consul me regarda et me dit "je me souviens d'Abdu'l-Baha"...
et il raconta les quelques contacts qu'il avait eu avec le Maître.
Il était, de toute évidence, très ému par ces souvenirs. Il prit nos passeports,
y apposa un visa pour l'Angleterre et dit qu'il n'avait pas le droit de le faire
et que ce visa n'était pas valable, mais que c'était tout ce qu'il pouvait faire
pour nous. Si nous voulions essayer d'entrer en Angleterre, cela nous regardait,
mais nous risquerions d'être refusés. Nous partîmes aussitôt pour la France,
passant a Menton le 25 mai et, continuant sur Marseille. Quelques jours plus
tard, l'Italie entrait en guerre contre les Alliés.
Il est difficile de décrire la période qui suivit. Tout l'épisode ressemblait
a un vrai cauchemar, un cauchemar personnel pour nous, un cauchemar géant où
était plongée l'Europe. Nous primes le train pour Paris. A chaque gare une foule
de réfugiés fuyait devant le front croulant du Nord. Il n'y avait aucun moyen
d'obtenir des informations précises. Le chaos descendait. A Paris, nous découvrîmes
avec consternation que tous les ports pour l'Angleterre étaient fermés. Il nous
restait un espoir pour aller en Angleterre, un espoir qui diminuait d'heure
en heure, c'était St. Malo. Nous attendîmes une semaine a St. Malo avec des
centaines d'autres personnes essayant de rentrer chez elles, en Angleterre.
Finalement deux bateaux se présentèrent.
Je ne vis jamais le Gardien dans un état pareil qu'en ces jours. Du matin au
soir, il restait assis, coi, immobile comme une statue de pierre et j'avais
l'impression qu'il se consumait comme se consume une chandelle. Deux fois par
jour il m'envoyait avec mon père a la compagnie de navigation, au port, pour
nous enquérir des nouvelles d'un éventuel bateau. Deux fois par jour nous revenions
dire "pas de nouvelles". Il peut paraître étrange aux autres que Shoghi Effendi
ait été si inquiet. Mais une raison comme la sienne était infiniment plus équipée
que la nôtre pour comprendre le danger de la situation. Et, Dieu sait si j'étais
malade d'inquiétude. Mon père et moi étions encore sous le choc de la mort soudaine
de ma mère et cela, ajouté a toutes les autres choses, rendait mon père, pour
le moins, paralysé. Quant au Gardien il se rendait compte que s'il tombait dans
les mains des Nazis, qui avaient déjà interdit la Cause dans leur propre pays
et qui étaient étroitement liés avec le grand Mufti de Jérusalem (le grand Mufti
était activement engagé dans la politique et était l'ennemi déclaré du Gardien),
il serait vraisemblablement emprisonné, sinon pire, et que la Cause elle-même
serait laissée sans leader, ni personne pour encourager et diriger le monde
baha'i a cette époque de chaos mondial.
Il me paraît que la situation était très similaire a ces jours où le Maître,
a 'Akka, était en danger d'être déporté vers une nouvelle terre d'exil et où
il attendait les nouvelles d'un bateau. Nous embarquâmes finalement dans le
premier des deux bateaux venus, dans la nuit du 2 juin, pour évacuer les personnes
échouées a St. Malo. Nous navigâmes dans l'obscurité complète pour Southampton
où nous arrivâmes le lendemain matin. Le lendemain de notre départ, les Allemands
je m'en souviens, marchaient sur St. Malo.
Nous eûmes presque autant de difficultés pour sortir de l'Angleterre que pour
y entrer. C'était a l'époque de la grande campagne "l'évacuation des enfants".
Ils avaient la priorité absolue. C'était seulement grâce a la position de Shoghi
Effendi et de l'amitié de mon père avec le Haut Commissaire Canadien a Londres
que nous réussîmes a obtenir des places sur le "SS Cape Town Castle', a destination
de Cap Town, en Afrique du Sud, le 28 juillet. On nous laissa, une fois quittés,
sous bonne escorte, les rivages anglais. Je me rappelle, J'observais les étranges
zigzags du sillage du navire sur la mer, alors qu'il poursuivait une course
fantastique pour être une cible moins vulnérable aux sous-marins. Comme l'entrée
en guerre de l'Italie avait fermé la Méditerranée aux bateaux alliés, la route
a travers l'Afrique était la seule ouverte pour revenir en Palestine. Shoghi
Effendi avait déjà parcouru l'Afrique, une fois, au début de son Gardiennat.
En septembre 1929, il s'était embarqué en Angleterre pour le Cap Town, puis
il était parti de Cap Town au Caire, en majeure partie par la route. Mais a
cette époque, il n'avait pu obtenir un visa pour le Congo belge qui le fascinait.
Son esprit aventureux, son amour des beautés scéniques, l'attiraient vers les
hautes montagnes et les forêts profondes de la terre, et l'avaient poussé a
entreprendre son voyage précédent. Maintenant, au beau milieu de la guerre,
par une sorte de miracle, nous obtînmes un visa pour le Congo belge. Quand nous
arrivâmes a Stanleyville, nous fîmes une excursion dans la forêt vierge. Je
m'aperçus alors que c'était l'amour de Shoghi Effendi pour les beautés naturelles
qui avait été une des raisons qui l'avaient conduit la. Il voulait voir la forêt
en fleurs. Hélas, ce n'était ni l'endroit ni la saison pour la voir. Et nous
continuâmes notre chemin, déçus.
Shoghi Effendi, soucieux de la santé de mon père (il avait alors soixante-six
ans et était de santé fragile) ne lui permit pas de nous accompagner par la
route et nous le laissâmes dans un hôtel a Durban, en attendant qu'il puisse
prendre un avion.
La liste d'attente était très longue et les personnes non gouvernementales ou
non militaires devaient laisser leur place aux prioritaires. C'est pendant ces
jours d'attente que mon père dessina la pierre tombale de ma mère, non seulement
selon ses idées et les miennes mais avec des suggestions faites par Shoghi Effendi
pour son embellissement.
Après un voyage en voiture de trois jours de Stanleyville a Juba, au Soudan,
suivi d'une descente du Nil en barque, nous arrivâmes a Khartoum qui est, en
ce qui me concerne, l'endroit le plus chaud du monde. Nous étions assis sous
le porche de notre hôtel, après le dîner, quand un groupe de passagers, venu
passer la nuit, sortit de l'obscurité et parmi eux M. W.S. Maxwell! En fait,
c'était un étrange hasard d'être réunis au coeur de l'Afrique, et c'était également
rassurant car aucun de nous n'avait la moindre idée de l'endroit où se trouvait
l'autre et nous n'avions aucun moyen de prendre contact. A Durban, Shoghi Effendi
avait simplement dit a mon père d'aller dans un hôtel a Nazareth et de nous
y attendre afin que nous puissions retourner ensemble a Haïfa.
Le premier octobre, a notre grande surprise, le Gouverneur Général Sir Stewart
Symes, nous invita a déjeuner au Palais. Après avoir renoué connaissance avec
le Gouverneur, nous continuâmes notre route vers le Caire et la Palestine, rencontrant
mon père, comme prévu et retournant a Haïfa, presque six mois après notre départ.
On imagine très bien qu'un tel voyage chargé d'inquiétude, d'attente, de dangers
du début jusqu'à la fin était en lui-même une grande expérience épuisante. Shoghi
Effendi ne visita jamais l'Hémisphère occidental, n'alla pas plus loin que Damas,
a l'Est. Mais il est intéressant de noter qu'il traversa l'Afrique deux fois
du Sud au Nord.
Comme les Baha'is britanniques auraient été étonnés et émus, s'ils avaient su
que lorsque le Gardien envoyait le 27 décembre 1940, le câble suivant a leur
Assemblée Nationale "Télégraphiez sécurité amis Londres, Manchester - Prie constamment
admiration affectueuse", il venait lui-même d'échapper de justesse au grand
bombardement sur Londres, et a peine de réussir a rentrer en Terre Sainte!
Les années qui suivirent notre retour en Palestine comportèrent de graves dangers
pour la Terre Sainte, dangers qui menacèrent le Centre Mondial de la foi et
son Gardien, en même temps que les Baha'is de nombreux pays.
(Photo)
Imprégnés des enseignements depuis son enfance, compagnon alerte et observateur
de son grand-père, Shoghi Effendi semble avoir été toujours conscient de ce
qu'il appela "les premières perturbations d'une catastrophe secouant le monde
qui attend une humanité incroyante". Tout en prévoyant une autre guerre, il
n'avait pas vécu dans un état constant de fausse urgence. Il rassura Martha
Root qui, en 1937, lui écrivit d'Europe, exprimant ses craintes a ce sujet.
Il lui répondit en effet: "En ce qui concerne l'éventualité d'une guerre qui,
éclaterait en Europe, ne vous en inquiétez pas et ne vous en souciez pas du
tout. Cette perspective est lointaine et le danger pour le futur immédiat inexistant".
Et pourtant la même année, il affirmait qu'un autre conflit mortel devenait
de plus en plus inévitable.
Il préparait constamment les Baha'is a affronter le fait qu'une conflagration
mondiale allait venir. En 1938, il écrivait: "Les deux processus jumeaux de
désintégration interne et de chaos extérieur s'accélèrent et, chaque jour, nous
marchons inexorablement vers leur point culminant. Les grondements sourds qui
précèdent l'éruption de ces forces qui doivent faire 'trembler les membres de
l'humanité' peuvent déjà s'entendre. 'Le temps de la fin' 'les dernières années'
prédits par les Ecritures, sont enfin sur nous". Et dans le lire "L'avènement
de la Justice divine" ', qu'il écrivit fin décembre 1938, il prédisait nettement
la guerre: "Qui ignore que ces rares fugaces années qui restent seront imprégnées
de... conflits plus dévastateurs que tous ceux qui les ont précédés". Et en
avril 1939, il avait écrit: "Les graines d'une civilisation moribonde s'épuisent
inexorablement".
Alors que l'ombre épaisse de la guerre descendait sur l'Europe, je me rappelle
très bien le sentiment tangible de la catastrophe qui m'emplit, quand Shoghi
Effendi écrivit du coeur même du continent, les paroles poétiques et merveilleuses
qui commençaient son télégramme du 30 août 1939: "Ténèbres nuit descendant humanité
en danger s'épaississent inexorablement..." En juillet 1940, une semaine avant
son embarquement de l'Angleterre pour l'Afrique du Sud, il télégraphiait via
Haïfa (où passaient invariablement ses lettres et télégrammes pendant ses absences,
que "les feux de la guerre... menacent maintenant dévaster a la fois Proche-Orient
et Far West enchâssant respectivement Centre Mondial et principale citadelle
restante foi Baha'u'llah..." -
Il semble incroyable qu'au milieu de tant d'inquiétudes et après une absence
de six mois durant laquelle nous paraissions, a tout instant, atteindre le sommet
d'une vague de fond (d'abord pour quitter Haïfa a temps, ensuite pour y revenir
a temps) il semble donc incroyable que le Gardien ait eu la puissance mentale
et la force physique de s'asseoir et d'écrire un livre tel que Voici venu le
Jour Promis. Un livre où il dit clairement que la "calamité punitive" qui s'est
abattue sur l'humanité, quelles qu'en soient les causes politiques et économiques,
était due avant tout au fait qu'elle a ignoré pendant cent ans, le Message de
Dieu pour ce jour.
Shoghi Effendi fit face avec un calme remarquable aux dangers et aux problèmes
créés par la guerre a Haïfa et dans le monde Baha'i en général. Cela ne veut
pas dire qu'il n'en souffrit pas. Le poids de la responsabilité était toujours
la, il ne pouvait jamais le déposer un seul instant. Je me rappelle qu'une fois
j'étais excédée de voir qu'il devait s'occuper de tout ce qu'on lui soumettait
pour décision, même quand il était malade; il me dit que les autres leaders,
même les Premiers Ministres, pouvaient déléguer leur pouvoir a l'autres, au
moins pour un temps très court, lorsqu'ils y étaient obligés; mais que lui ne
pouvait déléguer le sien, ne serait ce qu'un instant, aussi longtemps qu'il
serait en vie. Personne d'autre n'était divinement guidé pour remplir ses fonctions
et il ne pouvait déléguer son pouvoir de décision a personne d'autre.
La seconde guerre mondiale n'atteignit pas en pratique la Terre Sainte. Mais
pendant des années, nous vécûmes dans le danger imminent qu'elle pourrait arriver
a tout moment. Les bâtiments de la maison d'Abdu'l-Baha avaient presque cent
fenêtres et c'était un vrai problème. Il n'était pas possible, ni nécessaire
de les aveugler toutes, mais cela constituait un grand écart aux appels fréquents
a l'obscurité de la garde aérienne irritée. Haïfa est un grand port et possède
une grande raffinerie de pétrole, c'était donc un important point stratégique.
La ville possédait de nombreux canons anti aériens, dont deux a environ un kilomètre
et demi de la maison du Gardien. Il y eut quelques bombes sur la ville, mais
les dommages étaient négligeables (en fait ce fut une protection miraculeuse)
nous avions cependant souvent des raids aériens et les shrapnells que les gros
canons antiaériens dispersaient partout... -
c'était une inquiétude supplémentaire pour Shoghi Effendi, car une pièce de
shrapnell de la dimension d'un grain de raisin aurait facilement et irrémédiablement
endommagé le beau monument en marbre élevé sur les tombes de la famille d'Abdu'l-Baha.
On en trouvait souvent de grandes pièces près d'eux, mais jamais effectivement
sur eux. Nous avions dû construire un abri anti aérien, mais le Gardien et moi,
nous n'y allâmes jamais. Parfois quand l'alerte était donnée dans la nuit, le
Gardien se levait pour regarder par la fenêtre, mais habituellement il ne le
faisait pas. La plus grande opération eut lieu lorsque les Britanniques investirent
le Liban. Pendant une semaine, nous pouvions entendre le feu intense, et le
port qui est a 700 m. de notre maison, fut fréquemment bombardé par des bâtiments
vichyssois.
Tout cela ne fut jamais bien grave, ni très dangereux. En novembre 1941, Shoghi
Effendi, dans un message télégraphique, avait prévu l'avenir et avait décrit
les prochaines années "... comme furie destruction effroyable ordre mondiale
atteint période la plus intense..." Malgré ce qui attendait le monde, nous en
Palestine, nous avions déjà passé, en 1941, les mois les plus angoissants de
toute la guerre qui causèrent au Gardien le plus d'inquiétude. Cette année la
eut lieu la révolution avortée anti alliée de Rachid Ali, en Irak; les forces
britanniques étaient refoulées constamment en Libye par Rommel, et finalement
les Allemands arrivaient aux portes d'Alexandrie ( 1942). Les forces nazies
occupèrent la Crète (le second tremplin de leur conquête projetée du Moyen-Orient).
Les forces françaises et britanniques envahirent le Liban et supplantèrent le
régime contrôlé par le Gouvernement de Vichy, dans ce pays.
En plus de ces dangers trop palpables, le grand Mufti de Jérusalem l'ennemi
de la foi et du Gardien, était un ferme allié du Gouvernement nazi. Il ne faut
pas beaucoup d'imagination pour comprendre ce qui serait advenu de Shoghi Effendi,
des Tombeaux, des documents du Centre Mondial et du matériel des archives, si
une armée allemande victorieuse, accompagnée de l'intrigant et injurieux Mufti,
avait pris la Palestine. Shoghi Effendi disait souvent qu'il ne s'agissait pas
seulement de ce que feraient les Allemands mais aussi du fait qu'il y avait
tellement d'ennemis locaux qui, combinés avec le Mufti, pouvaient intoxiquer
complètement les Allemands contre lui et par la, aggraver une situation déjà
suffisamment dangereuse puisque nos idées Baha'ies étaient, par bien des égards,
si inamicales envers l'idéologie nazie.
Pendant des mois, Shoghi Effendi observa la marée toujours plus proche de la
guerre avec inquiétude, pesant, dans son esprit, l'attitude a adopter si une
invasion avait lieu et quel serait le meilleur moyen de protéger la foi dont
il étai l'emblème vivant.
Pendant les années de guerre, Shoghi Effendi put maintenir le contact avec la
masse des croyants dans le pays où les communautés les plus anciennes et les
plus nombreuses existaient, la Perse, l'Amérique, l'Inde, la Grande Bretagne,
ainsi que certains centres très rapidement croissants de l'Amérique Latine.
Les communautés relativement petites du japon, des pays Européens, de la Birmanie
et pendant quelques temps l'Irak, étaient les seules dont il était coupé. Cette
séparation le chagrinait et lui causait beaucoup de soucis. Shoghi Effendi put,
par ce contact quelque peu miraculeusement maintenu avec le corps des croyants
partout dans le monde Baha'i, non seulement envoyer ses directives aux différentes
Assemblées nationales, mais aussi indiquer ce que cette grande guerre signifiait
pour nous, les Baha'is.
Dans son épître intitulé "Voici venu le Jour Promis", il affirmait que
"Le dessein de Dieu n'est d'autre que d'introduire, par des voies que Lui
seul peut amener, et dont Lui seul peut sonder la pleine signification, le grand
Age d'Or d'une humanité longtemps divisée, longtemps affligée. Son état actuel,
et même en fait son futur immédiat est sombre, effroyablement sombre. Son avenir
lointain, toutefois, est brillant, glorieusement brillant, si brillant que notre
oeil ne peut le visualiser... L'âge de l'enfance et de la jeunesse est passé
pour ne plus revenir, tandis que le grand Age, la consommation de tous les âges,
qui doit marquer l'apogée de la race humaine tout entière, est encore a venir.
Les convulsions de cette période transitoire et des plus troublées des annales
de l'humanité, représentent les conditions préalables essentielles et annoncent
la proximité inévitable de cet âge des âges, 'le temps de la fin', pendant lequel
la folie et le tumulte du conflit qui a, depuis l'aube de l'histoire, noirci
les annales du genre humain, se sera finalement transformé en une paix calme,
sage et tranquille, universelle et durable où la discorde et la séparation des
enfants des hommes auront cédé la place a une réconciliation mondiale et a l'unification
complète des divers éléments constitutifs de la société humaine... C'est de
ce stade que l'humanité, bon gré, mal gré, s'approche inéluctablement. C'est
pour ce stade que cette vaste et brûlante épreuve de feu qu'expérimente l'humanité,
pave mystérieusement le chemin".-
Le soulagement et la joie du Gardien furent si grands quand la phase européenne
de la guerre finit en mai 1945, qu'il télégraphia a l'Amérique: "Disciples Baha'u'llah
partout cinq continents se réjouissent unanimement fin partielle guerre ayant
déchiré humanité soulèvement titanesque" et exprima son sentiment profond: "acclame
avec reconnaissance signal évidence interposition Providence divine qui pendant
années si périlleuses permit Centre Mondial notre foi échapper..." et continue
a exprimer une reconnaissance égale pour la manière dont les autres communautés
ont été si miraculeusement préservées, récapitulant les victoires vraiment étonnantes
remportées par la foi pendant et malgré la guerre. Le 20 août 1945, il câbla
une nouvelle fois: "Coeurs exaltés rendent grâce cessation complète long conflit
mondial sans précédent". Il presse les croyants américains a se lever et a poursuivre
leur travail, saluant la levée des restrictions qui leur permettra maintenant
de lancer la seconde étape du Plan divin. Rien, mieux que ces messages envoyés
au lendemain de la pire des guerres de toute l'histoire, ne peut illustrer la
détermination, l'enthousiasme et la brillante direction du Gardien.
La situation interne de la Palestine continua cependant a empirer a tous égards.
L'holocauste qui avait englouti les Juifs européens, l'amertume des juifs de
la Palestine envers la politique britannique concernant l'immigration juive
qui était strictement contrôlée et limitée, l'ardent ressentiment des Arabes
envers cette même politique, tout servit a augmenter les tensions et les haines
locales. Alors que les autres pays commençaient lentement a sortir de la période
de restrictions et du rationnement sévère de l'alimentation, nous y entrions.
Tout était difficile. Nous n'étions plus en danger d'invasion ou de bombardement,
mais la perspective d'avenir de ce cher pays, petit mais sacré, devenait de
plus en plus sombre. Nous entrions dans cette période décrite par Shoghi Effendi
comme "la plus grave agitation ébranlant la Terre Sainte dans les temps modernes".
Shoghi Effendi était exténué par la tension des années de guerre, pendant lesquelles
non seulement il écrivit Voici venu le jour Promis et Dieu passe près de nous,
mais encore il poursuivit (car qui peut le nier? il était la fontaine inépuisable
d'énergie, d'enthousiasme et d'encouragement qui galvanisèrent les baha'is en
action)
le premier Plan de Sept ans, cinq années durant, jusqu'à son achèvement, pendant
lesquelles, il avait réconforté, inspiré et assuré la cohésion du monde baha'i;
pendant lesquelles il avait solidement élargi le rayon d'action de la Cause,
approfondi et développé la vie des communautés nationales; pendant lesquelles
l'élaboration du projet unique de construction de la superstructure du Mausolée
du Bab avait commencé, et pendant lesquelles il avait perdu, sans espoir de
retour, la famille d'Abdu'l-Baha, y compris sa propre famille. Il approchait
maintenant de la cinquantaine, ses cheveux blanchissaient aux tempes, ses épaules
se courbaient a force de se pencher sur son bureau, il avait le coeur non seulement
attristé par ce qu'il avait traversé, mais aussi, je le crois fermement, usé
a cause de cela.
La situation en Palestine empirait de plus en plus, a l'approche du 14 mai 1948,
terme du mandat britannique. Tout le pays était en émoi, l'appréhension, la
haine, le terrorisme augmentaient de jour en jour. Arabes, juifs, et Anglais
s'affrontaient. Mais tous savaient bien que le Gardien se tenait a l'écart des
jeux et des affaires politiques. Il n'est pas trop exagéré de dire qu'il était
universellement respecté et laissé tranquille. C'est un fait d'importance majeure,
car pendant des années et particulièrement pendant les mois qui précédèrent
la fin du Mandat britannique il n'y avait pas de terrains neutres. Les juifs
payèrent pour la défense de la communauté juive, les arabes payaient pour la
défense de la communauté arabe, de fait que le Gardien put diriger la petite
communauté baha'ie locale, en toute sécurité, a travers les rapides dangereux
de ces jours, le fait qu'on ne lui ait pas demandé de fonds pour soutenir ses
concitoyens (car on savait qu'il était né et avait grandi dans ce pays), témoignent
de la haute réputation qu'il s'était faite d'un homme de principe intransigeant
et inflexible.
Cela ne signifie pas, toutefois, qu'il n'était pas exposé aux dangers, ni que
la situation de la Cause n'était pas grave. Les grandes propriétés non construites
entourant le Mausolée du Bab étaient la plus grande source d'inquiétude, car
elles étaient bordées de toutes parts des domaines occupés par des arabes. Tout
espace ouvert, tout endroit surélevé était une source de peur pour les deux
parties de la population qui étaient si fréquemment victimes de coups de feu
d'attaques a la bombe, et de jets de grenades.
Ce fut un choc pour Shoghi Effendi, quand il découvrit un jour, en regardant
a la jumelle la propriété du Mausolée, que les soldats britanniques avaient
installé un canon sur notre propriété, surplombant la route. Ils pensaient évidemment
que la bas, ils seraient en bonne position pour riposter en cas d'attaques dans
le voisinage. Ils n'y restèrent pas. Mais l'alerte était donnée: nous courrions
le terrible danger d'être accusés de prendre parti et impliqués, de quelque
manière, et par inadvertance dans la tuerie qui continuait tout autour de nous.
je me rappelle un jour, un juif qui faisait quelques travaux pour nous, venait
de quitter la propriété du Mausolée quand quelques arabes vinrent le demander;
ils l'auraient probablement tués s'ils l'avaient trouvé, et cela aurait eu des
répercussions terribles pour une communauté si passionnément opposée a l'écoulement
de sang qui avait lieu ces jours, si totalement neutre dans la lutte politique.
Il y avait souvent, autour de la maison du Maître, des fusillades, ressemblant
parfois a de petites batailles. Personne, toutefois, ne tira sur nous, ni ne
nous attaqua. On ne devait pourtant pas sous-estimer le danger d'être frappé.
Avec l'augmentation du terrorisme, certaines régions, dont la nôtre, restaient
la nuit dans l'obscurité totale, volontairement, sans aucune lumière dans les
rues. Il y avait souvent le couvre-feu pendant la journée, quand les batailles
rangées ou d'importants actes de terrorisme avaient lieu. Seules les troupes
britanniques se déplaçaient, leurs grands chars roulant dans les rues désertes
tirant au hasard. Le gémissement de leurs sirènes étaient des plus étranges
et des plus déplaisants. La nuit cela devenait vraiment terrifiant pour une
population aux nerfs détraqués, vivant au bord d'un volcan pouvant exploser
a tout moment.
Shoghi Effendi, pendant ce temps, montait au Mont Carmel comme a l'accoutumée,
poursuivait ses propres affaires, supervisait le travail dans les jardins, visitait
les Mausolées, et rentrait a la maison avant la tombée de la nuit. Une ou deux
fois seulement, je m'en rappelle, il ne put le faire (le couvre-feu l'en empêchait).
Un jour, alors que Mme Weeden le conduisait au Mausolée, (notre chauffeur arabe
avait quitté le pays) deux voitures échangeaient des coups de fusils. Soudain
l'une d'elle dépassa l'auto du Gardien. Pendant un moment, il fut ainsi entre
les deux voitures, finalement la seconde dépassa également la voiture du Gardien,
et les deux autos continuèrent leur petite guerre privée. -
On peut imaginer notre émoi, lorsque nous apprîmes cet incident, plus tard!
Nous ne pouvions cependant rien faire. Ceux qui ont vécu de telles expériences
savent qu'il n'y a que deux solutions: partir, ou continuer comme a l'ordinaire.
Nous continuâmes. L'extrait suivant de mon journal daté du 22 février 1948,
évoque bien l'atmosphère dans laquelle nous vivions: "Nous savons que Baha'u'llah
nous protège. Mais, êtres humains, nous avons nos moments d'angoisse, comme
quand la fusillade fait rage dans la ville et que le bien-aimé Gardien n'est
pas encore descendu du Mausolée et que la route est barrée et qu'il doit revenir
a pieds. Alors, nous savons seulement que cela dépend de Baha'u'llah... Il n'est
pas exagéré de dire que nous n'avons plus de nuit sans fusillade. Parfois, le
tir commence, s'arrête, recommence, toute la nuit. Et vous vous endormez bientôt,
malgré tout, sauf pour une bombe..."
Cependant ce n'étaient pas ces dangers la qui tenaient éveillé le Gardien. Son
plus grand souci était la protection des deux Mausolées sacrés et jumeaux. Quand
le mandat prit fin et que la guerre judéo arabe éclata, un danger réel les menaçait
et il en éprouvait un grand tourment. Bahji était seulement a environ 22 Km
de la frontière par où pouvait passer, a tout moment une invasion armée. C'était
une inquiétude. Une autre, plus grande encore, venait du projet, un moment sérieusement
considéré, de placer les frontières du nouvel Etat juif de telle sorte que la
frontière septentrionale séparerait Haïfa d'Akka. Ainsi le Centre Mondial serait
divisé en deux: le centre administratif dans un pays, et le Point le Plus Sacré,
le Qiblih de la foi, dans un autre, hostile au premier et hostile a la foi elle-même.
On pourrait se demander pourquoi le Gardien, divinement guidé, s'inquiétait
tant de telles choses. Je voudrais donner une explication de ceci tel que je
le comprends. Il me semble qu'il y a toujours trois facteurs qui interviennent
dans une situation: la volonté de Dieu dans laquelle sont impliquées sa Providence,
son omnipotence et la destinée qu'il a ordonnée pour l'homme, l'élément accidentel
qu'Abdu'l-Baha dit inhérent a la nature, et le libre arbitre et la responsabilité
de l'homme. Il n'est donc pas surprenant que le Gardien soit soucieux des situations
affectant les intérêts et la protection de la foi, qu'il pèse anxieusement les
problèmes, cherchant a trouver d'une manière certaine la solution exacte, a
saisir la meilleure occasion, a obtenir le plus grand bénéfice pour la foi.
Shoghi Effendi parlait souvent de la protection miraculeuse du Centre mondial
pendant la période dangereuse couvrant la fin du Mandat britannique et l'établissement
de l'Etat juif. La liste même des dangers évités, des réalisations effectuées
pendant cette période, énumérée dans le télégramme du Gardien a la Convention
des baha'is de l'Amérique, câble envoyé le 25 avril 1949, cette liste seule
est suffisante pour avoir une idée de son angoisse et de la gravité des problèmes
affrontés. La version publiée de ce télégramme soulignait la grandeur "des preuves
protection divine sauvegardé Centre mondial foi cours troisième année second
Plan de Sept ans" et poursuivait "hostilités prolongées ravageant Terre Sainte
terminées providentiellement. Lieux Saints baha'is contrairement ceux autres
fois miraculeusement sauvegardés. Périls non moins graves que ceux menacèrent
Centre mondial foi sous 'Abdu'l-Baha et Jamal Pacha et par intention avortée
Hitler faire conquête Proche-Orient. Etat indépendant souverain dans confins
duquel Terre Sainte établie reconnu marquant fin vingt siècles statut provincial
- Assurance formelle protection lieux saints baha'is continuation pèlerinage
baha'i donnée par Premier Ministre état nouvellement émergé. Invitation officielle
envoyée par son gouvernement occasion historique ouverture premier parlement
de l'Etat. Procès verbal mariage baha'i confirmé - Dotations baha'ies exonérées
par autorités responsables ce même Etat. Merveilleux voeux bien-être futur foi
Baha'u'llah envoyé par écrit par Chef Etat nouvellement élu, en réponse au message
félicitations adressé occasion son entrée fonction."
Au cours des années d'après guerre, alors que les victoires remportées par les
baha'is se multipliaient et que les Nations Unies, le plus grand instrument
de paix que l'homme ait jamais conçu, émergeaient, beaucoup d'entre nous espéraient,
sans doute, et croyaient ardemment que nous avions laissé derrière nous la pire
période de la longue histoire de guerres de l'humanité et que nous pouvions
maintenant, discerner les premières lueurs de l'aube qui (nous, baha'is, nous
en sommes convaincus) attend le monde. Mais la raison tempérée du Gardien, guidée
par Dieu, ne voyait pas les événements sous cette optique. Il continua, jusqu'à
la fin de sa vie, a faire les mêmes remarques (remarques basées sur les propres
paroles de Baha'u'llah) qu'il avait faites si souvent avant la guerre: "L'avenir
lointain est très brillant mais le futur immédiat est très sombre "
Cette note d'avertissement et de pressentiment revenait a tout moment dans les
messages d'encouragement qu'il envoyait fréquemment aux baha'is du monde, dans
ses louanges pour les merveilleux services qu'ils rendaient, dans les plans
qu'il avait conçus avec tant de détails pour qu'ils les réalisent. En 1947,
il affirmait que les baha'is étaient ainsi aidés, avec bienveillance, a poursuivre
leur route "non déviée par les courants contraires et par les vents violents
des tempêtes qui doivent nécessairement agiter de plus en plus la société humaine
avant qu'approche l'heure de sa Rédemption finale".
Dans cette communication qui invitait la communauté américaine a progresser
dans le travail, suprêmement important, du second Plan de Sept ans, il parlait
également de l'avenir: "Alors que la situation internationale empire, alors
que le sort du genre humain sombre dans un déclin de plus en plus bas... alors
que les trames de la société d'aujourd'hui s'étirent et craquent sous la pression
de la violence des événements de mauvais augure et des calamités, alors que
les fissures, accentuant les clivages, séparant les nations des nations, les
classes des classes, les races des races et les croyances des croyances, se
multiplient..." Loin d'avoir doublé le cap et tourné le dos a notre malheureux
passé, "une crise de plus en plus profonde" nous attendait.
En mars 1948, il allait encore plus loin dans une conversation que je notai
dans mon journal:
"Ce soir Shoghi Effendi m'a dit quelque chose d'intéressant: il a déclaré
rudement qu'affirmer qu'il n'y aurait pas une autre guerre, a la lumière des
conditions présentes, était idiot et dire que s'il y a une autre guerre la bombe
atomique ne sera pas utilisée, c'était encore idiot. Ainsi, nous devons croire
qu'il y aura probablement une autre guerre et que la bombe sera utilisée et
qu'il y aura une destruction terrible. Mais il pense que les baha'is s'en sortiront
pour former le noyau de la future civilisation mondiale. Il a ajouté que ce
n'était pas juste de dire que les bons périront avec les mauvais, car, dans
un sens, tous sont mauvais, toute l'humanité est a blâmer pour avoir ignoré
et répudié Baha'u1lah qui a d'une manière répétée, proclamé au son de la trompette
son Message a tout le monde. Il a dit que les saints des monastères et les pécheurs
des pires ripailles de l'Europe sont tous coupables d'avoir rejeté la Vérité.
Il a dit que c'est faux de penser, comme le font certains baha'is, que le bien
périrait avec le mal, tous les hommes sont mauvais parce qu'ils ont répudié
Dieu en ce jour et s'en sont détournés. Il a dit encore que nous pouvons seulement
croire, que d'une façon mystérieuse, malgré la terrible destruction, il en restera
suffisamment pour construire l'avenir."-
En novembre de la même année, encourageant encore une fois les baha'is américains
a persévérer dans leur Plan, il écrivait: "Alors que la menace de convulsions
encore plus violentes d'un âge en gestation s'accroît, et que les ailes d'un
autre conflit, destiné a contribuer pour une part distincte et peut-être décisive
a la naissance du nouvel ordre qui doit marquer l'avènement de la Moindre Paix,
assombrissent l'horizon... les grondements sourds d'autres catastrophes encore
plus meurtrières agitent avec une fréquence croissante un monde douloureusement
tendu et chaotique... ainsi, toute aggravation de l'état d'un monde harassé
par les ravages d'un conflit dévastateur et planant aux bords d'une lutte encore
plus critique, doit-elle être accompagnée par une manifestation encore plus
ennoblissante de l'esprit de cette seconde croisade..."
Le même mois il faisait allusion a "l'approfondissement d'une crise menaçant
de façon inquiétante, de rompre l'équilibre d'une société politiquement ébranlée,
économiquement déséquilibrée, socialement ruinée, moralement décadente et spirituellement
moribonde". Et il poursuivait en parlant des "grondements sourds et prémonitoires
d'une troisième épreuve de feu menaçant d'engloutir les hémisphères occidental
et oriental', et il ajoutait la perspective du monde s'assombrit de plus en
plus". Il pressait les baha'is de "courir en avant vers le futur, sereinement
confiants car l'heure de leurs plus grands efforts et l'occasion suprême de
leurs plus grands exploits doivent coïncider avec le soulèvement apocalyptique
marquant le reflux le plus bas de la destinée rapidement déclinante du genre
humain."
Et cela continua toujours et toujours. Les victoires remportées, les louanges,
les encouragements, la joie du Gardien et ses avertissements. En 1950, il disait
aux baha'is qu'ils devaient être "intrépides" dans les périls d'une "situation
internationale se détériorant progressivement", et en 1951, il informait la
Conférence Européenne d'Enseignement que les "périls" qu'affrontaient ce "continent
douloureusement éprouvé s'amoncelaient de plus en plus". Mais ce fut en 1954,
dans une lettre d'un ton grave et poussant a la réflexion, que Shoghi Effendi
s'étendit le plus longuement sur ce conflit futur, ses causes, son cours, ses
effets et ses conséquences en Amérique, avec plus de détails, et un langage
plus énergique que Jamais auparavant.
Il associe "le matérialisme cancéreux" et "grossier" qui prévaut aujourd'hui
dans le monde, aux avertissements de Baha'u'llah et affirme qu'il l'a comparé
"a une flamme dévorante" et l'a considéré "comme le facteur principal précipitant
les épreuves sinistres et les crises ébranlant le monde qui doivent nécessairement
impliquer l'incendie des villes et la propagation de la terreur et de la consternation
dans le coeur des hommes". Et Shoghi Effendi poursuit: "En fait un avant goût
de la dévastation que ce feu dévorant exercera sur le monde et qui ravagera
les cités des nations participant a cette tragique lutte mondiale, marquant
la seconde étape de ce ravage de tout le globe que l'humanité, oublieuse de
son Dieu et négligente des avertissements de son Messager désigné pour ce jour,
doit hélas, inévitablement expérimenter."
La lettre dans laquelle ces terrifiantes prédictions sont exprimées était adressée
aux baha'is américains. Le Gardien y souligne que la détérioration de la situation
d'un "monde insouciant" et l'accroissement des armements de plus en plus destructifs
auxquels contribuaient les deux blocs engagés dans une lutte mondiale, "saisis
dans un tourbillon de crainte, de suspicion et de haine", affectaient de plus
en plus leur propre pays et devaient, si on n'y remédiait pas, "impliquer la
nation américaine dans une catastrophe de dimensions inimaginables et de conséquences
inouïes pour la conception, le mode de vie et la structure sociale du peuple
et du gouvernement américain... La nation américaine... traverse, en fait, sous
quelque angle qu'on observe son destin immédiat, un grave péril. Les afflictions
et les tribulations qui la menacent sont en partie évitables, mais pour la plupart
inévitables et envoyées par Dieu..." Il souligne que les changements que ces
afflictions inévitables doivent apporter dans la "doctrine surannée de la souveraineté
absolue" a laquelle son gouvernement et son peuple restaient encore fidèles
et qui étaient si "manifestement contraire aux besoins d'un monde déjà rétréci
en un voisinage et qui crie pour son unité".
Il affirme que cette nation sera purifiée, par ses afflictions, de ses conceptions
anachroniques et préparée a jouer le grand rôle qu'Abdu'l-Baha a prédit pour
elle dans l'établissement de la moindre Paix. Les "tribulations enflammées"
a venir, non seulement "souderaient la nation américaine a ses nations soeurs
dans les deux hémisphères" mais aussi l'assainiraient "des déchets accumulés
qu'ont créé un préjugé racial ancré, un matérialisme rampant, une impiété largement
répandue et un relâchement moral, au cours des générations successives, et qui
l'ont ainsi empêchée d'assumer le rôle de la direction spirituelle prédit par
la plume infaillible d'Abdu'l-Baha, un rôle qu'elle devrait remplir dans le
travail et la peine."-
Pendant le dernier hiver de sa vie, comme si déjà fatigué par sa longue lutte
contre nos faiblesses, par ses années de labeurs incessants et de dévouement
total, le Gardien parlait plus fortement que jamais sur ce sujet... Son thème
n'était pas seulement un avertissement sur ce que l'avenir tenait caché, mais
aussi une éva1uation sévère du manquement des baha'is, de tous les baha'is de
l'Est et de l'Ouest, a poursuivre en nombre adéquat leur grande tâche et a enseigner
la Cause de Dieu partout, dans les territoires et les îles du globe récemment
ouverts, tant qu'ils avaient encore le temps et l'opportunité de le faire, et
créer ainsi, par un grand accroissement du nombre des adeptes de la foi, ces
noyaux spirituels qui pourraient repousser les forces de destruction en travail
dans la société d'aujourd'hui et constituer les plates-bandes du futur Ordre
mondial qui, nous le croyons fermement, peut et doit émerger du chaos présent.
Nous devons être en alerte, mais non paralysés. Dans une de ses dernières lettres,
écrite en août 1957, a une Assemblée nationale d'Europe, son secrétaire écrit
de sa part: "Il ne veut pas que les amis soient craintifs ou s'attardent sur
les possibilités déplaisantes de l'avenir. Ils doivent avoir cette attitude:
S'ils font leur part qui est d'accomplir les buts du Plan de Dix ans, ils peuvent
être sûrs que Dieu fera sa part et les protégera." La politique des baha'is
en ce temps de crise mondiale a été définie dans une autre lettre écrite de
sa part par son secrétaire, un mois plus tôt, a une Assemblée nationale d'Afrique:
"Alors que la situation du monde et de votre région, empire constamment les
amis ne doivent pas perdre un seul instant pour s'élever aux plus hauts niveaux
de dévotion et de service, et particulièrement de conscience spirituelle. C'est
notre devoir de sauver autant que nous pouvons, de nos semblables dont les coeurs
sont illuminés, avant que quelque grande catastrophe ne les surprennent, soit
qu'ils y seront engloutis sans espoir, soit qu'ils en sortiront purifiés et
fortifiés et prêts a servir. Quand ce temps viendra, plus nombreux seront les
croyants pour servir de balises dans les ténèbres, mieux cela sera, d'où l'importance
suprême de l'enseignement en ces jours".
A une autre période de sa vie Shoghi Effendi avait déjà souligné que "Quelque
sévère que soit le défi quelques multiples que soient les tâches, quelque court
que soit le temps, quelque sombre que soit la perspective du monde, quelque
limitées que soient les ressources matérielles d'une communauté adolescente
fortement pressée, néanmoins, les sources de la force céleste dont elle peut
user sont incommensurables dans leurs pouvoirs, et déverseront sans hésitation
leurs influences énergétiques si le nécessaire effort quotidien est fait et
si les sacrifices exigés sont volontairement acceptés." Tant de choses dépendaient
de nous! Ce qui dépendait de Dieu, nous pouvions, avec confiance, le lui laisser,
une fois que nous avions fait notre effort suprême.
Si nous nous demandions, nous, la génération de l'aurore précédant le lever
du soleil de ce jour nouveau, pourquoi nous devrions affronter de telles catastrophes,
toutes les réponses sont la, claires et nettes données par le Gardien, dans
ses grands exposés sur la signification et les implications de nos enseignements.
Il nous a appris que deux facteurs interviennent. Le premier est contenu dans
ces paroles de Baha'u'llah: "Bientôt le présent ordre des choses sera révolu
et un Nouvel Ordre prendra sa place." Déchirer le voile protecteur, longtemps
honoré, d'innombrables sociétés, chacune empêtrée dans ses propres coutumes,
superstitions et préjugés, et leur donner une nouvelle ossature d'existence,
est une opération que seul Dieu Tout-Puissant peut réaliser et qui est nécessairement
une opération douloureuse. Elle est rendue encore plus douloureuse par l'état
de l'âme et de l'esprit de l'homme.
Certaines sociétés sont victimes d'un "sécularisme flagrant, fruit direct de
l'irréligion" d'autres sont aux prises avec "un matérialisme et un racisme criards"
qui ont, a dit Shoghi Effendi, "usurpé les droits de Dieu lui-même", mais toutes
et tous les peuples de la terre, sont coupables d'avoir, pendant plus d'un siècle,
"refusé de reconnaître celui dont l'avènement avait été promis a toutes les
religions, et c'est dans sa foi seule que toutes les nations peuvent et doivent
chercher leur vrai salut." Fondamentalement c'était a cause de cette nouvelle
foi, cette "gemme inestimable de la révélation divine enchâssant l'esprit de
Dieu et incarnant son Dessein pour l'humanité de cet âge", comme l'a décrite
Shoghi Effendi, que le monde "subissait de telles agonies". Baha'u'llah lui-même
a dit: "L'équilibre du monde a été rompu par la vibrante influence de ce plus
grand, de ce Nouvel Ordre mondial."
"Les signes de convulsions et de chaos imminents peuvent maintenant être
discernés, attendu que l'ordre régnant apparaît être lamentablement défectueux."
"Le monde est en travail et son agitation augmente de jour en jour. Sa face
est tournée vers l'obstination et l'incroyance. Telle sera sa condition que
la révéler maintenant ne serait ni convenable ni séant. Sa perversité continuera
encore longtemps. Et lorsque l'heure sonnera, il apparaîtra soudain ce qui fera
trembler membres de l'humanité. Alors, et alors seulement, sera déployé l'étendard
divin, et le Rossignol du paradis chantera sa mélodie." "Après un temps, tous
les gouvernements de la terre changeront. L'oppression enveloppera le monde.
Et suivant une convulsion universelle, le soleil de la justice se lèvera a l'horizon
du royaume invisible."
Toutefois, la vision de l'avenir, décrit par Shoghi Effendi pour nous, est si
enthousiasmante qu'elle efface toute crainte et emplit le coeur de chaque baha'i
d'une telle confiance et d'une telle joie que la perspective de la souffrance
et de la privation ne peut affaiblir sa foi ou broyer son espérance. "En vérité,
le monde est en marche vers sa destinée", écrivait Shoghi Effendi, "l'interdépendance
des peuples et des nations de la terre, quoi que disent ou fassent les dirigeants
des forces qui divisent le monde, est déjà un fait accompli". La communauté
mondiale "destinée a émerger, tôt ou tard, du carnage, de l'agonie et des ravages
de cette grande convulsion mondiale", était la fin certaine du travail de ces
forces.
Viendra d'abord la moindre Paix que les nations de la terre, encore inconsciente
de la Révélation de Baha'u'llah établiront elles-mêmes; "ce pas historique et
mémorable, impliquant la reconstitution du genre humain, résultat de la reconnaissance
universelle de son unité et de son universalité, apportera dans son sillage
la spiritualisation des masses consécutive a la reconnaissance du caractère
et a la connaissance des revendications de la foi de Baha'u'llah, condition
essentielle de cette fusion finale de toutes les faces, croyances, classes et
nations qui doit marquer l'émergence de son nouvel Ordre mondial." Et il poursuit:
"Alors sera proclamée et célébrée par tous les peuples et les nations de la
terre, la venue de l'âge de l'unité de la race humaine tout entière. Alors sera
hissée la bannière de la plus grande Paix. Alors la souveraineté mondiale de
Baha'u'llah... sera reconnue, acclamée et fermement établie. Alors avec une
plénitude de vie que le monde n'a jamais vue, ni ne peut encore concevoir...
Alors la planète, galvanisée par la croyance universelle de ses habitants en
un Dieu et leur allégeance a une Révélation commune... sera... acclamée comme
le paradis terrestre, capable de l'accomplissement de cette destinée ineffable
qui lui est fixée depuis les temps immémoriaux, par l'amour et la sagesse de
son Créateur."