Le prisonnier de Saint-Jean-d'Acre
Par André Brugiroux, célèbre globe-troteur ayant parcouru le monde en auto-stop


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Chapitre 3. LA PAIX EST-ELLE POSSIBLE ?

"On a toujours fait la guerre, y'a pas de raison pour que ça change!"

Tout le monde s'accorde quand même pour dire que la guerre est une chose abominable, surtout avec les moyens de destruction modernes

Je suis né avant quarante, et mes premiers souvenirs de la vie sont ceux d'une société déréglée par des hommes en conflit. Des mots que je ne comprenais pas, qui donnaient des visages de peur aux adultes, ont bercé mes premières années: bombardement, nazi, tortures, gestapo, kommandantur, "papir", exode. La famille priait alors pour un oncle prisonnier dans un camp.

La plupart des gens pensent que ce fléau, la guerre, est inévitable, comme les famines d'antan; certains soutiennent même qu'elle est nécessaire au progrès! Ceux qui l'ont connu, toutefois, n'en veulent plus à aucun prix.

Oui, l'histoire ancienne et contemporaine, nos manuels scolaires si rébarbatifs le montrent bien, est une histoire rougie de sang humain où les hommes s'entretuent comme des loups sauvages oubliant les simples lois de l'amour et de la tolérance (Toutes les phrases en italiques sont extraites des écrits baha'is (voir la bibliographie à la fin de cet ouvrage)). Un rapport de forces où la raison du plus fort est toujours la meilleure. Une longue suite d'oppressions et d'exploitations, une lutte style "homme de caverne" où prime le gourdin. Ce qui différencie notre époque des précédentes, c'est que le gourdin, aujourd'hui, peut asséner le coup définitif.

Napoléon III ne faisait pas la guerre différemment d'Alexandre le Grand: il y allait à cheval "Y'a pas de raison que ça change", aurait pu penser l'empereur. Pourtant, à peine un siècle plus tard, au Viêt-nam, personne ne chargeait au galop, sabre au clair! Bientôt, il ne sera même plus nécessaire de se déplacer, on enverra des fusées.

"Il n'y a pas de raison pour que cela change", le beau et facile leitmotiv. Les hommes ont toujours eu beaucoup de difficultés à anticiper.

Les idées nouvelles ne s'installent que lentement dans l'esprit.

Dans l'Antiquité, le bâtisseur de pyramides n'imaginait pas la construction sans l'esclave; au Moyen Age, le preux chevalier croyait son château fort inattaquable des airs. Ceux qui disent que "ça a toujours été comme ça" montent en voiture ou en avion sans penser que cela n'a pas toujours été. Avant, on allait à pied.

Et dans quel but les hommes se massacrent-ils?

Pour s'emparer d'une portion de terre. Les êtres les plus élevés de la création combattent pour s'emparer de la matière sous sa forme la plus primaire: la terre. La terre n'appartient pas à un seul peuple mais à tous cette planète n'est pas la demeure de l'homme mais sa tombe. C'est donc pour leur tombe que les hommes se battent!

Le plus grand des conquérants ne garde-t-il pas à la fin, de tous ses territoires conquis, qu'une minuscule portion: sa tombe?

Mais, soutiennent certains, c'est dans la nature de l'homme de se battre. Les grands penseurs ne sont toutefois pas d'accord à ce sujet Konrad Lorenz, pour qui l'homme est fondamentalement une créature agressive, est loin de la théorie du "noble sauvage" de Rousseau, essentiellement bon mais que 1es institutions corrompent. Les églises chrétiennes ont toujours peint l'homme comme un pécheur inné. L'expérience ne montre-t-elle pas plutôt que sa nature est ambivalente, qu'elle a le potentiel pour faire soit le bien, soit le mal ?

"La tragédie de l'homme ne vient pas d'un excès d'agressivité, mais d'un excès de dévouement (religion, patrie, juste cause)", avoue judicieusement Arthur Koestler. "Ce n'est pas la haine qui pousse le soldat mais le loyalisme". D'où le besoin urgent de trouver un loyalisme élevé.

Je crois profondément à la paix.

Elle n'est pas chez moi un désir secret, un vague rêve d'espérance ou un voeu pieux, mais la certitude que j'ai retirée de l'étude de l'histoire.

L'humanité n'aura bientôt plus qu'une solution: réaliser la paix universelle.

Pourquoi?

La vie est mouvement. Tout est en perpétuel devenir. L'humanité évolue, progresse sans cesse. Elle "grandit", tout comme un être humain. De même que le pépin de la pomme est programmé pour donner le pommier, l'ovule fécondé l'est pour engendrer l'adulte. L'un et l'autre traversent différents stades avant d'arriver à maturation. Le pépin de la pomme ne donnera jamais un figuier. L'enfant ne peut pas décider d'arrêter sa croissance à sept ans, il deviendra adulte en son temps, qu'il le veuille ou non. Il réalisera son "dessein", cela est indépendant de sa propre volonté (ce qui est dépendant de la sienne est le type d'adulte qu'il sera).

La maturation demande un certain temps. Il est inutile d'ouvrir prématurément les pétales d'un bourgeon pour obtenir une fleur !

Qui pourrait imaginer dans l'embryon inconscient, le bébé-instinctif, l'enfant-égoïste et l'adolescent en crise, l'adulte posé et réfléchi? Qui pourrait imaginer, lors d'une promenade en campagne, que d'une petite chenille se traînant sur des ronces sortira un beau papillon aux couleurs éblouissantes ? Qui le pourrait s'il ne le savait d'avance?

Pourquoi l'humanité, en constante croissance, ne pourrait-elle connaître une telle métamorphose? De la rude chrysalide des temps de gestation voir naître le beau papillon de l'âge d'or?

Le lotus ne tire-t-il pas son éclat de la vase où puisent ses racines?

Ne peut-on faire un parallèle entre la croissance de l'être humain et celle de l'humanité? Celle-ci n'étant, après tout, que l'homme collectif. Chacun de nous ne représentant qu'une cellule du corps de cette humanité.

Au cours des six mille dernières années environ, l'histoire a été écrite. En l'étudiant, nous nous apercevons que cette société est passée à travers différents stades de croissance, des stades d'inconscience quand l'homo sapiens ressemblait au têtard ou au singe, d'instinct avec l'homme des cavernes, d'égoïsme avec l'homme des premières civilisations, puis de crises que les fameuses dates de nos manuels scolaires ponctuent.

Nous avons vécu jusqu'ici une histoire barbouillée de sang ou les plus grands tueurs ont été érigés en héros, histoire honteuse lorsqu'on la juge d'un regard contemporain, mais cette évolution devait être nécessaire: sans elle le développement n'aurait pas eu lieu.

La guerre est la rougeole de l'humanité, disait Einstein. Souhaitons que la crise planétaire actuelle soit la dernière grande crise pubertaire qui permettra enfin au monde de s'ouvrir sur l'ère adulte.

Ainsi, pas plus qu'on ne peut empêcher l'enfant espiègle de devenir un jour adulte rien ne pourra empêcher l'humanité turbulente d'arriver à sa maturité, c'est-à-dire d'être capable d'établir la paix.

Cette humanité de paix n'est peut-être pas si éloignée, les derniers grands tueurs (Hitler, Staline, Mao, Franco.) passent déjà plus pour des vilains que pour des héros

Nos mentalités obéissent involontairement à un nouvel esprit-principe. Mon grand-père était parti joyeux à la guerre de quatorze, en chantant la Marseillaise à tue-tête. Son petit-fils n'y voyait déjà plus une fête héroïque. Et pourtant, ce petit-fils est parti au service militaire en cinquante-huit sans penser un seul instant qu'on pouvait ne pas le faire. Son fils, s'il en avait un, contesterait, comme beaucoup de ses copains, l'idée même de l'armée (Elle est toutefois facile à contester quand on n'est pas envahi ou occupé).

L'historien Toynbee fait remarquer que les motivations des guerres changent. Tout comme les guerres de religion se sont épuisées d'elles-mêmes au XVIIIe siècle en Europe, les guerres présentes, motivées par l'économie, n'auront qu'un temps.

La prise de conscience collective ne pourrait-elle évoluer maintenant que chacun de nous est averti instantanément de ce qui se passe dans l'univers, des maux et des dangers qui nous menacent?

"Dieu bénit le septième jour, et il le sanctifia, parce qu'en ce jour il se reposa de toute son oeuvre" mentionne la Bible. Ce même livre dit plus loin qu'un jour représente mille ans. Six mille ans d'histoire se sont écoulés depuis Adam. Si l'on s'en tient à lui comme "premier homme", les six premiers jours représentant chacun mille ans sont donc terminés. Avec ce symbolisme, on peut se demander si nous n'entrons pas dans le septième jour, celui où Dieu se reposa de son travail? Celui où les hommes harassés et fatigués de la semaine vont enfin se reposer, c'est-à-dire faire la paix?

Un hippie de Haight Ashbury clamait qu'au lieu de dépenser tant d'argent en bombes pour arrêter la guerre au Viêt-nam, il aurait suffi de lâcher, en pluie de billets, le quart de cette somme. La population enrichie aurait cesse les hostilités. Ce que le Club de Rome confirme: "Prendre au voisin par une guerre est devenu aujourd'hui tout simplement plus coûteux que de créer ou d'accélérer l'expansion économique à l'aide de ce qu'on aurait consacré à la guerre!"

La guerre, qui permettait de trancher les problèmes dans le passé, ne fait que les rendre désormais plus aigus et plus inextricables.

L'homme a été créé pour oeuvrer à l'avancement de la civilisation. Il "fait" l'histoire, chaque individu fait progresser la civilisation à différents degrés.

Mais la dirige-t-il?

Comprend-il ses propres efforts?

Selon Lamartine, "l'humanité est un tisserand qui travaille en arrière à la trame des temps. Un jour viendra où, passant de l'autre côté de la toile, elle contemplera le tableau magnifique et grandiose qu'elle aura tisse pendant des siècles de ses propres mains, sans en voir autre chose que le pêle-mêle des fils enchevêtres. Ce jour-là, elle saluera la Providence manifestée en elle-même."

Ce jour est-il enfin arrivé?

Pour le savoir, il serait peut-être bon d'essayer de comprendre ce qui fait progresser les civilisations. Reprenons l'exemple de l'enfant, cette humanité-maquette. Dès sa naissance, même si son degré de compréhension semble faible, la mère lui prodigue conseils et amour. Elle n'attend pas qu'il ait vingt ans pour commencer son éducation. Dès le berceau, elle lui inculque patiemment des notions sagement adaptées à son degré d'entendement. Notions que celui-ci assimilera petit à petit, oubliera, déformera, qu'il faudra souvent lui répéter. Elle n'attendra pas non plus qu'il soit formé pour l'aimer, car elle sait pertinemment que, sans amour, il ne pourra s'épanouir.

Tel le rosier qui a besoin des soins du jardinier pour ne pas retomber à l'état sauvage, il est clair que l'enfant a besoin d'un éducateur qui l'instruise et qui l'aime.

L'histoire des sociétés montre que l'on cherche à développer le potentiel des individus, à telle enseigne qu'aujourd'hui un gouvernement suggérant la fermeture des écoles serait renversé.

Tout comme l'enfant, l'humanité dans sa croissance ne peut être abandonnée à elle-même, elle a besoin de tendres éducateurs. Sans eux, elle ne pourrait progresser. En effet, d'époques en époques, sont apparus de grands éducateurs universels qui, par leurs leçons de sagesse, leur message inspiré, ont permis à l'humanité d'évoluer. Des hommes dont nous connaissons tous les noms: Adam, Abraham, Khrisna, Moïse, Zoroastre, Bouddha, Jésus, Mahomet...

Educateurs apparaissant tous les mille ans environ, pour donner à l'humanité une impulsion mystérieuse, un influx spirituel qui transforme un pêcheur ignare comme Pierre en un géant spirituel et fait germer d'un peuple barbare la brillante civilisation de l'Islam.

Educateurs universels que certains nomment initiés, prophètes, envoyés ou incarnations de Dieu, manifestations divines, et d'autres, sages, mutants ou moralistes Qu'importe! Des hommes, en tout cas, au savoir inné, c'est-à-dire dont la connaissance ne relève pas du domaine humain. Il n'est qu'à étudier leur vie (ou les légendes qu'il en reste) pour se rendre compte qu'aucun d'entre eux n'a fréquenté l'école des hommes, ni puisé dans le savoir de leurs livres et que, pourtant, leur sagesse et leur vision dépassaient de loin la conception de leurs contemporains. La plupart étaient même des illettrés, tel ce Mahomet qui conduisait les caravanes de sa riche épouse Coran veut dire lire, c'est le comble! Lorsqu'il entendit prononcer ce mot pour la première fois par l'archange Gabriel, il s'enfuit effrayé. En Occident, on connaît mieux l'exemple de Jésus émerveillant, à l'âge de douze ans, les docteurs de la Loi dans le Temple. Tous ces éducateurs reconnaissent formellement que leur savoir ne vient pas d'eux-mêmes ; ils ne sont que les porte-parole, les canaux de transmission du Grand Savoir Universel.

Leurs messages ont donné naissance aux grandes religions.

Religion. Mot si décrié, si galvaudé.

Pourtant, qu'est-ce qui a le plus influencé l'histoire des hommes jusqu'à présent, transforme leurs idéaux et motivé leurs actions ?

Les discours de nos grands généraux, politiciens ou le message des grands éducateurs universels? Alexandre le Grand, Jules César, Napoléon ont remué des foules pendant quelques années, massacre, chacun selon son pouvoir, brièvement enflammé les hommes de leur temps, mais qu'en est-il resté? Qui bâtit aujourd'hui des temples au nom de Jules César ou puise dans ses harangues? Par contre, l'Occident s'inspire encore de ce démuni qu'était le Christ, qui n'a ni tué ni conquis de territoire. Il construit encore en son nom chapelles, églises, temples et sanctuaires. Mais hélas, il se dispute encore en son nom aussi ! (Car, au fond, les guerres sont faites plus pour des mots que pour des terres). Il en est de même pour les autres éducateurs. A Djakarta quatorze siècles après Mahomet, des dépliants touristiques vantent la construction de la plus grande mosquée du monde (circa 1970). Khadafi en érige partout avec les revenus du pétrole. Mais continue-t-on à élever des arcs de triomphe à Tamerlan ou Gengis Khan?

En Israël, j'ai dormi sous une synagogue en chantier et observe des gens qui obéissent aux lois du sabbat dictées par un bègue du nom de Moïse, il y a environ deux mille cinq cents ans. Je n'ai rencontré personne guidant sa vie sur les idées du tout-puissant Nabuchodonosor.

La mappemonde se trouve divisée selon les grande zones d'influence de l'islam, du christianisme, du bouddhisme, de l'hindouisme, du judaïsme et de... l'athéisme.

Positif ou négatif, le fait religieux travaille le monde. N'a-t-on pas assisté en 1948 au plus grand mouvement de réfugiés de tous les temps entre musulmans et hindous, après l'accession à l'indépendance des Indes britanniques et leur partition en deux Etats : Inde et Pakistan? Plus de dix millions de personnes ont été déplacées. Les grands éducateurs universels, ces inspirés de l'histoire, ont joué et jouent encore une part prépondérante dans la vie des hommes, ils ont eu une influence dépassant celle de tous les autres leaders. Sans aucune comparaison même De cela, les livres d'histoire ne parlent pas. Le fait le plus important en est absent!

En dehors de l'Anglais Toynbee, il n'est pratiquement pas d'historiens ayant remarqué que ces éducateurs étaient à la base même des civilisations.

Le catéchisme ne l'expliquait pas plus. Ce pauvre Christ était transforme en un mythe peu compréhensible: c'était Dieu, c'était un homme né du Saint-Esprit, c'était le deux, c'était un personnage qu'on découpait en trois morceaux, qu'on mangeait, qu'on buvait, qui se sauvait au ciel avec ce corps qu'on devait en principe manger... Enfin une belle confusion. Comment m'était-il possible d'aimer le Christ alors que je ne le comprenais pas. Aimer implique de comprendre. Confusion qui persiste dans les esprits adulte, confusion indigne d'une ère se voulant moderne, rationnelle, éclairée et qui fait rejeter ce même Christ par un grand nombre.

L'histoire montre que le grands éducateurs donnent l'impulsion première permettant à l'humanité de franchir l'étape suivante de son développement. Impulsion captée et retransmise par les poète, les artistes, les savants, les mystiques, le philosophes et autres penseurs éminents. L'influence de ces derniers n'est en rien comparable à celle de l'éducateur. Ils ne font qu'appliquer son nouvel esprit-principe, filtrer sa lumière.

Certains rangent les éducateurs au niveau des philosophes. Ceci n'est pas juste, car le premiers donnent naissance aux civilisations tandis que les seconds n'en sont que le brillant produit. On parle de civilisation bouddhique, islamique, chrétienne. Qui parle de civilisation pascalienne, platonicienne, maïmonidienne? La grandeur de Socrate, le plus grands des philosophes peut-être, lui vient d'avoir su puiser dans l'éthique judaïque. Il existe une autre différence importante. Le philosophe parle souvent sans agir, tandis que l'éducateur vit ce qu'il prêche. Jusqu'au martyre même!

C'est indéniablement l'influence de ces grands éducateurs universels qui m'a le plus frappé durant mon long voyage. Que ce soit dans le monuments, la statuaire et l'art en général ou dans la vie quotidienne.

J'ai été rapidement amené à me pencher sur le textes "sacrés" et le traditions qui en découlent, afin de mieux comprendre le peuples que je visitais. Je suis même allé vivre chez les bonzes à Bangkok, dans des communautés monastiques chrétienne, dans les ashrams et gurudwaras en Inde. J'ai vu le autocars en pays musulmans s'arrêter à l'heure de la prière, des Mexicains brûlant de ferveur pour la Vierge parcourir plus d'un kilomètre à genoux le jour de sa fête, des Andalous se flageller pendant la semaine sainte, des Balinais porter respectueusement chaque matin leurs petites offrandes aux dieux locaux, des foules indiennes dévotes se prosterner aux pieds d'un Sahi Baba, avatar de civa incarné dans la banlieue de Bangalore.

Hélas, les religions sont aussi une de plus grande sources de conflit entre le hommes. D'où la conclusion rapide et "logique" de certains, abandonner toute forme de religion pour arriver à la paix.

Si les hommes ne se sont pas privés de faire la guerre au nom d'un Dieu quelconque, de leur "dieu", ils l'ont toujours fait contre l'esprit du message de leur éducateur. Par ignorance, fanatisme ou orgueil.

Je n'ai pas noté un seul verset du Coran incitant à aller couper des têtes. "Ne commettez point d'injustice en attaquant le premiers" (sourate II: 186). Bien au contraire, ce livre exhorte à la pitié, la compassion et met en garde de ne contraindre personne en matière de religion. Cela n'a pas empêché le Arabes d'utiliser leurs sabres. Mais les chrétiens, soutenant à grands cris que l'islam n'a pu se répandre qu'à la force du cimeterre, ne se sont-ils pas servis de l'épée? Plus près de nous, Allemands et Français se sont fait deux guerres atroces en faisant bénir leurs canons au nom du même Dieu! L'Evangile ne dit pas d'aller faire la guerre, mais "d'aimer même votre ennemi". Les premiers adeptes étaient des pacifistes notoires, certes, mais Charlemagne, le grand empereur très chrétien, convertit la Saxe en faisant opérer des baptêmes de masse (en 777 à Paderborn), massacrant quatre mille cinq cents otages à Verden et déportant trente mille familles en 793. Un de ses édits stipule que "tout Saxon qui ne se convertit pas au christianisme sera mis à mort ainsi que tout chrétien retournant à sa religion précédente". Au Xe siècle, un roi de Norvège convertit son peuple en le faisant défiler devant un énorme billot. Tout individu refusant la nouvelle foi se faisait immédiatement couper la tête. Argument pour le moins tranchant!

Doit-on oublier que, pendant les cinq siècles "d'occupation" arabe en Espagne, juifs et chrétiens jouissaient non seulement d'une liberté totale, mais étaient respectés et occupaient même de postes importants. L'Occident ignore trop souvent que la formidable expansion arabe à partir du VIIe siècle ne s'est pas faite au nom de Mahomet, mais suite à l'émigration naturelle d'un peuple en croissance. Certes, cette expansion n'a pu se faire que parce que des tribus divisées et guerroyantes se sont soudain trouvées unies et dynamisées par l'islam. Au début, la tolérance des conquérants était remarquable. Les Arabes n'avaient aucun intérêt à "faire" de nouveaux musulmans, pour la bonne raison que ceux-ci ne payaient pas la jizyah (impôt) et que les armées et administrateurs avaient besoin de beaucoup d'argent! Dès la reconquête de l'Espagne par les très saints rois catholiques, Ferdinand et Isabelle en 1492, les persécutions commencèrent. Alors que sous la domination musulmane, juifs et chrétiens pouvaient vivre tranquillement, il n'est plus reste un seul musulman sur ce territoire, et l'inquisition s'est chargée des juifs. Ces même Espagnols ont par la suite, au nom d'une civilisation très chrétienne, massacré sans vergogne les Indiens d'Amérique (il est vrai que ceux-ci n'étaient pas considérés comme des êtres humains!)

Et les glorieuses croisades, devoir sacré de tout chrétien de l'époque était-ce obéir aux injonctions du Christ où à l'ambition de quelques rois, papes où évêques? Les chrétiens sont vraiment bien placés pour insinuer que les musulmans ont répandu leur religion par le sabre!

Quant à la fameuse victoire de Charles Martel qui nous aurait évité la honte d'être musulman, ne serait-ce pas plutôt le malheur de l'Occident?

"Les écoliers arabes étudiaient Aristote", écrit le professeur Philipp Hitti, "au temps où Charlemagne et ses seigneurs apprenaient péniblement à écrire leur nom. Les savants de Cordoue, ville riche de dix-sept grandes bibliothèques (dont une contenait plus de quatre cent mille volumes) fréquentaient des établissements de bains luxueux, alors que se laver le corps était considéré comme un rite dangereux à l'université d'Oxford". Car, pendant qu'en Europe les cités étaient devenues des égouts à ciel ouvert, le églises des institutions de bigoterie où diable et superstitions menaient la danse, où l'on brûlait sorcière et savants, dans le monde islamique se construisaient des universités, des hôpitaux, les grande bibliothèque, les rue étaient propres et éclairées, le sciences prospéraient, on traduisait les anciens, le commerce fleurissait. La tolérance était si grande que même un pape, Sylvestre II, alla faire ses humanités à Cordoue chez les Arabes!

Les croisés qui partaient exterminer l'hérétique (l'hérétique, lui, se défendait contre l'infidèle. Ah, la magie des mots!) et s'imaginaient tomber chez les barbare, trouvèrent en arrivant une civilisation bien plus brillante que la leur. Séduits, certains s'y installèrent. Ceux qui revinrent ramenèrent avec eux des idées nouvelle qui sont à l'origine des réformes, de la Renaissance.

Cette fabuleuse technologie dont nous somme si fiers, où a-t-elle pris sa source, sa vigueur, si ce n'est dans les découvertes de l'Islam. Ce sont le Arabes qui nous ont apporté l'algèbre, les chiffres et les fractions utilisés pour nos calculs scientifiques, la boussole qui ne fut pas négligeable pour le découvertes maritime, le savon pour "décrasser" un peu l'Europe, etc...

Un caillou lancé dans une mare forme des cercles concentrique de plus en plus grands. La Renaissance "point de départ" de notre technologie, semble avoir été le plus grand et le dernier cercle provoqué par l'impact de paroles du prophète d'Arabie.

Ce ne sont pas les Arabes qui ont développé la guerre sainte, mais les chrétiens. Depuis saint-Augustin, précisément parlant de "guerre juste", jusqu'à la bénédiction de la Groß Bertha lors de la Première Guerre mondiale par des prêtres!

"Point de violence en matière de religion", dit le verset 257 de la sourate II du Coran. C'est plutôt la Bible qui ne précise pas comment traiter les autres religions! Les Arabes ont émigré plus par faim que par enthousiasme religieux, voilà ce qu'on nous cache, et leurs conquêtes ont souvent été très bien accueillies. Les chrétiens de Syrie et d'Egypte, persécutés par l'église orthodoxe, les ont reçus comme des libérateurs. Contrairement à l'intolérance brutale de Héraclius et des croisés à l'occasion des conquêtes de Jérusalem, Omar et Saladin (Philippe Auguste, roi de France et Richard Coeur de Lion, roi d'Angleterre considérèrent Saladin comme un modèle des valeurs chevaleresques.), chacun en leur temps, ont fait honte aux chrétiens lors des reconquêtes en leur laissant la liberté de culte et les églises ouvertes.

Ces considérations sur l'Islam démontrent qu'il ne faut pas s'en tenir aux préjugés ni aux lieux communs, commodes pour sa patrie et sa religion. Mieux vaut aller regarder de plus près.

Mais pourquoi ces messages de paix ont-ils engendré des guerres? Les fondateurs des grandes religions n'ont prêché que l'amour et la paix, et jamais la guerre. Celle-ci est le fait des hommes et non des éducateurs.

Reprenons l'exemple de l'enfant en train de grandir. Malgré les justes notions inculquées par ses parents, il commet inévitablement des bêtises, parce qu'il n'est pas encore en âge de tout comprendre. Mais qui doit-on blâmer, de l'enfant ou des éducateurs. L'enfant, certes, plus ou moins bien appliqué.

Ainsi, l'humanité grandissante a plus ou moins bien compris ses éducateurs, les temps n'étaient pas encore mûrs. Les hommes, malgré de sages exhortations, ont commis de tragiques et regrettables erreurs. Valait-il mieux ne rien dire? Il est temps de cesser d'imputer les guerres aux fondateurs de religion et de regarder plutôt la faiblesse des hommes et leur manque de maturité. C'est bien en s'inspirant du message d'amour, au lieu d'écouter ses pulsions égoïstes, que l'homme fera cesser les guerres.

"Paix aux hommes de bonne volonté", on connaît tous cette maxime. Qui l'a proférée, sinon l'un de ces messagers. Qui d'autre a exhorté les hommes à l'amour, la sagesse, la justice et la paix? Personne, en réalité, avec autant de véhémence et de sacrifices. La graine ne germe pas en un jour. Les idées de paix semées au cours des temps ne pouvaient donner leur fruit instantanément mais elles ont pris lentement corps au point de devenir la préoccupation majeure de l'humanité.

Malheureusement, on peut déplorer que la paix ne s'établisse pas par idéal mais par nécessité. La civilisation n'est bonne que lorsqu'elle reste dans les limites de la modération. Bouddha avertissait déjà, il y a deux mille cinq cents ans, de garder le "chemin du milieu". Le corps de l'humanité est malade, malade d'un tel abcès qu'il ne peut plus être soigné à l'aspirine de nos politiciens et technocrates. Seul, un événement "supérieur" violent, un coup de scalpel, peut y remédier. Devant son imminence, beaucoup pensent que tout est perdu. Il me semble que, sans lui, l'humanité ne pourra guérir. En d'autres termes, si le futur lointain de l'humanité parait très brillant, l'immédiat est plus que sombre. Voilà pourquoi tant doutent de la paix.

Nous avons tous connu, en été, ces journées d'orages irritantes où un nuage noir plonge l'horizon dans les ténèbres. Ce nuage chargé d'électricité grésille, et l'on sait bien qu'il doit éclater pour redonner au ciel la sérénité. De même, aujourd'hui, un nuage oppressant enveloppe notre planète, la plongeant dans l'angoisse, nuage gonflé de charges négatives dues au racisme, à la haine, à la violence, à l'oppression, à l'injustice. La crise actuelle ne fait que le surcharger. Comme les hirondelles rasant le sol devant l'imminence de l'orage, les hommes frémissent.

La paix mondiale dépend, malheureusement, de cette tempête proche dont les embruns attristent de plus en plus notre monde.


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