Le prisonnier de Saint-Jean-d'Acre
Par André Brugiroux, célèbre globe-troteur ayant parcouru le monde en auto-stop


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Chapitre 7. LE PRISONNIER QUI ÉCRIVAIT AUX ROIS !

"Le monde est en désarroi, la clé de tous ses problèmes se trouve entre les mains du prisonnier de Saint-Jean-d'Acre"
Tolstoï

Depuis l'aube des temps, l'avènement de l'âge d'or, celui où "le loup habitera avec l'agneau et la panthère se couchera avec le chevreau" (Esaie, 11:6), celui de la justice et de la paix universelle, a fait rêver les hommes.

Tous, au cours des siècles, ont souhaité que l'humanité ne forme plus qu'un seul royaume. Royaume qui ne pourrait voir le jour, selon Virgile, que grâce à un "Personnage exalté".

"Que ta volonté soit faite sur la terre", implorent les chrétiens depuis deux mille ans. Pour que le règne arrive. Ils voient dans le retour du Christ "sur les nuages de la gloire" ce personnage exalté.

Tant d'attente, tant d'espoir depuis des millénaires, ne seraient-ils qu'un vain rêve ou bien alors un présage encore indéterminé?

En 1848, l'année du "Printemps des peuples", le monde était secoué par d'étranges frissons.

Tandis que révolutions et émeutes ébranlaient les fondements de la vieille Europe, quatre-vingt-un révolutionnaires inspirés se réunissaient en secret à Badasht, village insignifiant de Perse, pays également déchiré par des troubles violents; des révolutionnaires traqués, persécutés avec une cruauté sans pareille, dont l'héroïsme allait atteindre le sublime.

A Tabarsi, à la fin de cette année, trois cent treize des leurs tinrent tête à plus de douze mille soldats du Shah. Celui-ci menaça d'exterminer, tous les habitants de la province:

- Nous avons envoyé l'armée combattre une poignée d'hommes faibles et sans force et elle ne peut rien !

Ils ne furent vaincus, après un siège infernal de sept mois, que par la traîtrise.

Plusieurs années auparavant, en Iraq, un groupe d'éminents membres du clergé musulman avait, tout comme les adventistes de Miller aux Etats-Unis, conclu que l'arrivée du "Personnage exalté" était imminente (le Mahdi, selon leur croyance). A la mort du fondateur, Shaykh Ahmad, il fut ordonné aux disciples (les shaykhis) de partir à la recherche du Promis, dont ils possèdent la description. Ce Promis d'origine divine, tant invoqué par les poètes romantiques.

Le 24 mai 1844, Morse lançait sa grande question dans les airs: Qu'est-ce que Dieu a forgé?

L'avant-veille, le 22 mai, à l'autre bout de la terre, à Shiraz exactement, l'un de ces shaykhis, Mulla Husayn, rencontrait hors des remparts de la ville, peu avant le coucher du soleil, un jeune homme inconnu qui s'approcha de lui et l'invita à venir se reposer dans son logis. Jeune homme rayonnant d'une beauté et d'une humilité qui l'impressionnèrent. Mulla Husayn était fatigué: il avait cheminé longuement depuis le port de Bouchir à travers les traîtres sentiers du plateau naissant. Shiraz, la ville encensée des poètes, l'avait attiré comme un aimant sans qu'il pût s'en expliquer la raison. Il refusa d'abord l'invitation, prétextant d'attendre le retour de ses deux compagnons partis à la recherche d'un caravansérail. Puis, subjugué par l'inconnu, pensant pouvoir faire avancer sa quête, il le suivit. L'invitation prononcée avec pouvoir et majesté l'avait ébranlé.

Après avoir prié ensemble, ils se mirent à converser. C'est dans une pièce aux vitraux multicolores, ornée de tapis, sise au premier étage d'une bâtisse en briques blondes typiques de la région (En 1971,j'eus le privilège de pouvoir visiter cette maison surveillée par la police. Elle a été détruite en 1979 au cours des récents événements par un groupe de fanatiques), que ce jeune homme réputé pour sa grande noblesse de caractère et sa piété se déclara être le promis:

- Regarde, tous les signes sont manifestes en moi, dit-il avant de lui expliquer la sourate de Joseph, sourate abstrus qui, de tous temps, a intrigué et confondu les théologiens musulmans. Mulla Husayn s'était juré de lui en demander la signification comme une des preuves, mais l'élu avait devancé sa requête. Après quelques jours d'anxieuses études et de réflexions, Mulla Husayn fut fermement convaincu que le messager longtemps attendu par les shiites était vraiment apparu.

L'ardent enthousiasme que cette découverte souleva en lui fut bientôt partagé par plusieurs de ses amis.

Ils prirent le nom de babi.

Quarante jours plus tard, après bien des recherches, priant et jeûnant, dix-huit personnes, connues sous le nom de "Lettres du Vivant", s'étaient jointes à lui. Aussitôt, la renommée du jeune prophète, appelé le Bab, grandit et se répandit comme un éclair à travers tout le pays.

Au moment de sa proclamation, le Bab avait vingt-cinq ans. Né à Shiraz, le 20 octobre 1819, dans une famille marchande, il était seyyid, c'est-à-dire descendant du prophète Mahomet. Très tôt orphelin, il fut élevé par un oncle maternel. Dès son jeune âge, il manifesta une telle intelligence et tant de science que son maître le renvoya:

- C'est moi qui apprends de cet enfant et non lui, de moi!

A quinze ans son tuteur le prit dans son commerce. Il se maria vers l'âge de vingt-deux ans et eut un fils qui mourut en bas âge

Il envoya ses premiers disciples et messagers à travers le pays avant de partir lui-même en pèlerinage à La Mecque pour exposer le caractère de sa mission aux plus hautes autorités musulmanes.

Ce fut un échec.

Dès son retour, la Perse était en effervescence. Son éloquence convaincante, son écriture rapide et inspirée, son savoir et sa sagesse extraordinaire, son courage et son zèle de réformateur soulevèrent le plus grand enthousiasme parmi ses fidèles, mais provoquèrent la haine et la jalousie des milieux musulmans orthodoxes. Il fut accusé d'hérésie, et les persécutions commencèrent.

Le Bab connut ainsi une longue série d'emprisonnements, de déportations, d'interrogatoire, de châtiments et d'insultes, qui se termina par son martyre à Tabriz, en 1850.

Le clergé, au début, envoya d'habiles érudits pour le confondre dans les réunions publiques où il apparaissait. Peine perdue. Le Shah finit par déléguer son plus éminent théologien, Vahid, pour faire une enquête. Imbu de sa renommée, il se présenta de façon hautaine. Mais trois entrevue suffirent pour le convaincre de l'authenticité du message. Il ne rentra pas à la cour et devint un ardent disciple, s'immortalisant dans la bataille de Nayriz.

A Ispahan, en 1846, affolés par l'ascendant que prenait le Bab sur le peuple, les hauts membre du clergé, craignant pour leur prestige et leur autorité, signèrent un document le condamnant à mort.

Il fut incarcéré aux confins de l'empire, dans une région montagneuse du Nord-Ouest, à Mah-kù, puis à Chihriq. Chaque fois, les mesures rigoureuses ne purent empêcher l'admiration des populations et le flot des pèlerins.

La rapidité inquiétante avec laquelle les gens de toutes classes, riches et pauvres, érudits et ignorants, répondaient à ses enseignements provoqua une répression de plus en plus implacable. Clergé et cour se liguèrent contre le danger que représentaient à leurs yeux ces réformes. L'horreur de la répression détaillée par les "reporters" de l'époque, est insoutenable. Les babis, dont le seul crime était de refuser d'abjurer leur nouvelle foi, furent massacrés comme des moutons. Chaque ville les répartissait comme trophée entre les différents corps de métiers, bouchers, boulangers, maçons, cordonniers. Chacun s'ingéniait alors à trouver la torture la plus raffinée. On mutila leurs corps de toutes les façons imaginables, Ils furent trempés dans l'huile et brûlés vivants, attachés à la bouche des canons; on buvait leur sang. Les corps étaient exposés dans les marchés afin d'être profanés pendant des jours, les têtes servaient de ballons ou d'ornements pour les lances. Plus d'une femme reçut dans sa cour la tête ou le tronc d'un être aimé projeté par une foule en joie. L'une d'elles, saisissant la tête de son fils adoré jetée chez elle, la relança à la foule en criant: "Ce que j'ai donné à Dieu, je ne le reprends pas!"

Le capitaine autrichien Von Goumoens écrivait à un ami: "Ces malheureux dont les yeux avaient été arrachés avec le pouce devaient manger sur la scène de leur martyre, sans sauce, leurs oreilles amputées. Les gens avaient creusé de larges trous dans leurs épaules et leur poitrine et inséré dans les blessures des mèches brûlantes qui faisaient grésiller la chair; le Bazar en était illuminé! Je ne quitte plus ma maison désormais de crainte d'avoir à supporter de nouvelles scènes..."

Les révolutionnaires de Badasht étaient des babis qui se réunissaient secrètement afin de trouver entre autres, le moyen de délivrer leur leader emprisonne alors à Chihriq.

La révolution babie, cri d'espoir et de justice au milieu de la cruauté et du fanatisme, provoqua une réaction violente en un pays tombé dans la plus déplorable des décadences. Plus de vingt mille martyr sacrifièrent leur vie à ces idées universelles.

Persécutions encore perpétrées de nos jours. Un des participants se distingua durant ces massacres, une poétesse de grand renom, la seule femme "Lettre du Vivant". Tahirih (dont Sarah Bernhardt voulut interpréter le rôle à Paris) (Elle demanda à Catulle Mendès de lui écrire la pièce). Sorte de Jeanne d'Arc persane qui fit le geste sublime et inconcevable de retirer son voile publiquement, soulevant ainsi symboliquement des siècles d'oppression féminine et accomplissant une des prophéties du Coran: "la trompette sonnera...". Geste sans équivalence en Europe. Cette femme au courage exceptionnel et d'un savoir remarquable fut finalement étranglée à Téhéran en 1852 par des soudards enivrés. Avant de mourir, elle déclara: "Vous pouvez me tuer, mais vous ne pourrez pas arrêter l'émancipation des femmes." Les mouvements féministes font grand bruit aujourd'hui, sans jamais mentionner Tahirih.

La vie tragique du Bab rappelle celle du Christ. Même jeunesse, même humilité, même pouvoir charismatique, un ministère bref.

Lors de sa première convocation à Tabriz pour être jugé, il fut reçu avec enthousiasme par la foule. Hosanna. La dignité et l'autorité du Bab déroutèrent totalement le tribunal. Cependant, peu de temps après, devant dix mille spectateurs, il fut exécuté par le feu d'un peloton de sept cent cinquante soldats. Il avait trente et un ans. Comme sur le Golgotha, un vent violent s'éleva et un épais tourbillon de poussière obscurcit le soleil et aveugla les gens jusqu'au soir. Son corps repose maintenant sur les pentes du Mont Carmel, à Haïfa, en Terre sainte.

De 1844 à 1853, la cruauté de la répression persane horrifia le monde civilisé. La haine ne connut pas de limite. Ernest Renan ne put s'empêcher d'en établir la comparaison avec l'ardeur des premiers chrétiens sacrifiés dans l'arène, et d'y voir la même ferveur qu'au début du christianisme (Les Apôtres, .Michel Lévy Ed).

Vers 1853, le mouvement semblait exterminé. La lutte du Bab contre la corruption, l'hypocrisie religieuse, la haine avait déchaîné un fanatisme sanguinaire. Et cela, parce qu'il avait eu la témérité d'annoncer: Je viens à vous avec un message salutaire, des innovations nécessaires, des lois et des doctrines nouvelles; ce que je dis n'est pas de moi mais de votre Dieu qui m'a envoyé vous guider sur le chemin du progrès et du bonheur

"Il faut qu'Elie vienne premièrement" (Marc, 9:12)

Le Bab accepta avec joie d'endurer toutes les afflictions pour préparer la venue de "Celui que Dieu rendra manifeste", dont je ne suis pas digne "d'être l'anneau du doigt". disait-il.

Le Bab n'était que la porte (bab, en arabe).

Elie, saint Jean-Baptiste, l'histoire recommençait.

Dix-neuf ans exactement après le début de la révolution babie, deux ans après l'édit d'émancipation abolissant le servage signé par le tsar Alexandre II, quatre mois avant la proclamation solennelle de la suppression de l'esclavage par le président Lincoln, précédent d'un an la Première Internationale et la fondation de la Croix-Rouge, le 21 avril 1863, sur les bords du Tigre à Bagdad, le fils aîné d'un vizir, Mirza Husayn Ali Nouri déclara être Celui que le Bab était venu annoncer. L'éducateur de l'ère moderne, le promis de tous les âges, le promoteur du cycle universel.

Il était connu sous le nom de Baha'u'llah (la Gloire de Dieu).

1863 L'année signalée par le prophète Daniel pour marquer la "fin de l'abomination de la désolation en Terre sainte" (Voir calculs chapitre XIV) et qualifiée de "grand tournant" par Lincoln.

Baha'u'llah est né à Téhéran, le 12 novembre 1817, dans une famille riche et distinguée, descendante de la dynastie Sassanide (Dynastie perse, originaire du Fars. qui constitua un vaste empire étendu depuis le Khurasan jusqu'à la Mésopotamie entre les années 226 et 651).

Bien que n'ayant fréquenté aucune école, il montra dès son enfance une sagesse et un savoir étonnants. A treize ans, il éclaircissait des questions religieuses totalement obscures aux yeux des théologiens musulmans.

Quand il eut vingt-deux ans, son père mourut. La haute position à la cour qu'il occupait lui fut offerte. Il refusa cet honneur. Le Premier ministre dit:

- Qu'il garde sa liberté. Cette position est indigne de lui. Je ne puis le comprendre, mais je suis convaincu qu'il est destiné à quelque haute mission.

En 1844, à l'âge de vingt-sept ans, après avoir rencontre Mulla Husayn à Téhéran, Baha'u'llah épousa hardiment la nouvelle foi proclamée par le Bab. Il est à noter que ces deux grands éducateurs, quoique vivant à la même époque, ne se rencontrèrent jamais.

Il fut l'instigateur de la réunion de Badasht (1848). Rencontre historique qui marqua la rupture avec les coutumes étroites du passé.

Défenseur intrépide de la nouvelle cause, Baha'u'llah se dirigea ensuite vers Tabarsi pour aller aider les babis assiégés, mais il fut arrêté en chemin et subit la bastonnade. En août 1852, il fut emprisonné pour la troisième fois. Un attentat manqué sur le Shah par un babi déséquilibré avait déclenché d'immédiates et féroces représailles contre toute la communauté babie. Ce fut l'occasion d'essayer d'exterminer une fois pour toute ces réformateurs' enthousiastes.

Les rues de la capitale ruisselèrent de sang.

On livrait les victimes une nouvelle fois à la fureur de la population, qui inventait des atrocités à étonner les bourreaux eux-mêmes La plupart des rescapés des "boucheries" précédentes périrent dans cette nouvelle tourmente.

Condamnant vigoureusement l'attentat, Baha'u'llah, loin de se cacher, se dirigea vers le QG de l'armée impériale. Malgré la protection d'un ministre russe, il fut facile de l'arrêter. Conduit pieds et tête nus sous un soleil brûlant jusqu'au "Siyah-Chal" de Téhéran, injurié, lapidé, plusieurs fois dévêtu, Baha'u'llah, comme tous ses prédécesseurs, foula ainsi à son tour la via dolorosa.

Il s'arrêta un instant pour laisser une vieille femme percluse le rattraper et lui lancer sa pierre!

- Ne décevez pas cette femme, dit-il aux soldats qui l'escortaient et qu'elle importunait, ne l'empêchez pas de faire ce qu'elle considère être méritoire aux yeux de Dieu. C'est un homme riche et en pleine santé qui pénétra dans le "Siyah-Chal", une affreuse citerne souterraine utilisée comme prison. Quatre mois plus tard, il en ressortit, ombre de lui-même, marqué à vie par d'épouvantables chaînes et dépossédé de tout. Voici sa description du lieu:

L'obscurité la plus complète régnait dans ce cachot, et nos compagnons de captivité près de cent cinquante hommes, se composaient de voleurs, d'assassins et de bandits de grand chemin. Bien que bondé ce lieu n'avait pas d'autre issue que le couloir par lequel nous étions entrés. La plume est impuissante à décrire cet endroit, et aucune parole n en peut définir la répugnante odeur. La plupart de ces hommes n'avaient ni vêtements ni literie pour s'étendre...

C'est pourtant dans ce "puits noir" lugubre et nauséabond que Baha'u'llah fut averti en songe, de son rô1e et de sa mission futurs; tandis que je sombrais sous le poids des afflictions, j'entendis une vois qui m'appelait en vérité Nous te rendrons victorieux par toi-même et par ta plume.

Bien que reconnu innocent, le gouvernement du Shah ordonna son exil à Bagdad, en Iraq (partie alors de l'empire ottoman voisin). Il dut cheminer en plein hiver avec sa famille, subissant le froid particulièrement rigoureux de l'année 1853, avant d'atteindre "le séjour de paix" mentionné dans le Coran. Première étape d'un long exil de quarante ans!

Il a toujours été dur pour le prophète, depuis les temps immémoriaux, de trouver un lieu de repos. La vérité n'est jamais neutre. Et comme la vérité religieuse, fraîchement révélée, se situe toujours à l'opposé des clichés décadents de l'époque et défie l'ordre existant, elle rencontre automatiquement oppositions et persécutions.

La première année à Bagdad, sans dévoiler encore son rang, Baha'u'llah entreprit de redonner confiance à la communauté babie locale. Puis, pour éviter les dissensions fomentées par son demi-frère jaloux, il se retira dans les montagnes du Kurdistan. Muni d'un seul vêtement de rechange. Sa "traversée du désert" dura deux ans.

En mars 1856, supplié par les siens de revenir, il rentra à Bagdad, où commencèrent sept ans d'une activité incessante. Il "brisa le sceau" dont parlait le prophète Daniel, en rédigeant un livre, "le Livre de la Certitude", qui "descellait" le sens des écritures et montrait l'unité des révélations successives.

Sa renommée grandit de plus en plus, et les gens affluèrent pour le voir et entendre ses enseignements.

Les moullas (théologiens musulmans) cependant, jaloux, complotaient obstinément sa ruine. Un jour, après bien des tracas, ils lui demandèrent de produire un miracle comme preuve de sa mission. Baha'u'llah accepta à condition que les moullas soient d'accord sur le miracle et qu'ils signent un document stipulant que, sitôt son accomplissement, ils reconnaîtraient l'authenticité de sa mission et cesseraient toute opposition. Redoutant d'apprendre la vérité, ceux-ci se dérobèrent à cet audacieux défi!

Finalement, prétextant que sa présence trop proche de la Perse était un danger pour ce pays, ses ennemis obtinrent son départ pour Constantinople.

Tandis que l'on préparait la caravane pour ce long voyage, il se retira, entre le 21 avril et le 2 mai 1863, dans un jardin hors de la ville, où il annonça ouvertement sa mission. Ces douze jours se commémorent dans le monde entier sous le nom de "fête de Ridvan" (paradis).

Baha'u'llah, loin d'être triste, montrait la plus grande joie, la plus grande majesté De grandes foules accouraient pour témoigner leur vénération. Tous les notables de Bagdad, jusqu'au gouverneur lui-même, vinrent rendre hommage au prisonnier qui s'en allait.

Il avait alors quarante-huit ans. La foi vaincue resurgissait!

Ses ennemis politiques et religieux constatèrent avec stupéfaction que la cause perdue des babis refleurissait grâce à l'homme qu'ils avaient laissé "filer entre leurs doigts", pensant que son exil tuerait définitivement cette "hérésie"".

Le 3 mai, Baha'u'llah partit au milieu des pleurs et des regrets, accompagné de sa famille et de vingt-six fidèles. Il atteignit, après de nombreuses souffrances infligées par les intempéries, la capitale ottomane, le 16 août 1863. Son séjour y fut de courte durée, car le sultan décida quatre mois plus tard, sans raison, de le bannir plus loin encore à Andrinople (l'Edirne d'aujourd'hui sur la route de Katmandou).

Pendant quatre ans et demi, Baha'u'llah se remit à enseigner, groupant autour de lui un vaste auditoire. Il annonça publiquement sa mission au monde. Il écrivait, dictait, jour et nuit, des tablettes, prières, méditations occupant plusieurs secrétaires qui n'arrivaient pas "à tout transcrire".

Les babis prirent désormais le nom de baha'is. Baha'u'llah fut trahi par des proches qui réussirent à nouveau à pousser les autorités à le bannir, définitivement, dans la ville forteresse d'Akko, qu'il rejoignit par mer le 31 août 1868. C'est ainsi qu'il pénétra en Terre sainte sans l'avoir cherché "par la porte qui était du côté de l'Orient", comme l'avait prédit Ezéchiel (43:4).

Parmi tant d'autres, les prophéties de Michée (7:11) semblent décrire ce voyage avec une extraordinaire précision:

1- "Il viendra de l'Assyrie", L'Iran en faisait partie anciennement,

2- "Il viendra des villes fortifiées", Constantinople, Saint-Jean-d'Acre,

3- "de la forteresse jusqu'au fleuve", De la forteresse d'Akko au fleuve Na'mayn près de celle-ci, où Baha'u'llah se rendit à la fin de sa vie

4- "Il viendra d'une montagne à l'autre", Des monts du Kurdistan au Mont Carmel

5- "Il viendra d'une mer à l'autre", De la mer Noire, sur laquelle il vogua lors de son premier exil vers Constantinople, à la Méditerranée, pour atteindre Akko

6- "Le pays sera dévasté", Description exacte de la Palestine à l'époque, pays stérile et infesté de maladies.

Baha'u'llah termina sa vie en Terre sainte. Ce dernier exil dura vingt-quatre ans. Après deux années d'un emprisonnement rigoureux, la sévérité des mesures se relâcha quelque peu. La vieille histoire de la captivité du Bab se répétait quelle que soit la bassesse des accusations qui le précédaient, la vilenie des injures et calomnies, la violence de l'hostilité dont il était victime, la dignité de son caractère, le don persuasif de ses pensées, sa noblesse, son amour, sa générosité, la brillance de ses doctrines, faisaient fondre rapidement la suspicion et lui gagnaient les coeurs autant des officiels que du peuple. Il sut montrer aux fonctionnaires et à la population qu'il n'était ni un hérétique ni un ennemi de l'Etat. Et, paradoxe ce furent les autorités mêmes d'Acre qui l'encouragèrent à sortir librement de la ville fortifiée.

Au bout de onze ans il quitta sa réclusion pour aller demeurer dans une splendide résidence inoccupée à Bahji, à trois kilomètres de là.

Le proscrit condamné à un isolement perpétuel, vit affluer à sa demeure une foule de visiteurs de tous les milieux. L'un d'eux, le professeur E G Browne, de l'université de Cambridge, en fit la description suivante:

"Le visage de celui que je contemplais, je ne saurais l'oublier et pourtant je ne puis le décrire. Ses yeux perçants semblaient pénétrer jusqu'au tréfonds de l'âme; de larges sourcils soulignaient la puissance et l'autorité, tandis que les rides profondes du front et du visage semblaient indiquer un âge que la chevelure noire comme le jais et la barbe, d'une luxuriance étonnante, atteignant presque la taille, semblaient démentir. Il eût été superflu de demander en la présence de qui je me trouvais; je me prosternais devant celui qui fait l'objet d'une vénération et d'un amour que les rois lui envieraient et auxquels les empereurs aspireraient en vain!"

Baha'u'llah se rendit plusieurs fois au Mont Carmel (Il planta sa tente à côté de la maison korntalite portant inscription: "Le Seigneur est proche". Il est curieux de noter que ces templiers allemands venus en Palestine enflammés par le désir d'assister au retour du Christ et Baha'u'llah qui se proclame être ce retour sont arrivés presque en même temps (en 1868) !), de l'autre côté de la baie de Haïfa, rédigea son oeuvre fondamentale, le Kitab-i-Aqdas, le livre des lois et ordonnances, et entretint une correspondance abondante avec les centres se créant en Perse, en Iraq, au Caucase, au Turkestan et en Egypte.

En 1891 paraissait son dernier livre. Malgré les écrits détruits ou perdus, il reste plus d'une centaine de volumes et recueils.

Aucune religion n'a possédé pareille richesse de documents.

Le 29 mai 1892, à l'âge de soixante-quinze ans, il s'éteignit à la suite d'un accès de fièvre, à Bahji, où il repose désormais. Après quarante ans de ministère, sa mission accomplie. Dans son épître au Shah, Baha'u'llah justifie sa position ainsi:

"0 Souverain ! Je n'étais qu'un homme comme tant d'autres, endormi sur mon lit, lorsque le souffle du Très-Glorieux passa sur moi et m'enseigna la science de ce qui fut. Cela ne vient pas de moi, .mais de Celui qui est tout-puissant et omniscient"

On peut se demander pourquoi des écrits aussi inspirés et lumineux restent encore peu connus du grand public et totalement ignorés des intellectuels européens. Ces écrits que le président Edouard Herriot qualifiait de "si importants".

Doit-on oublier que le premier à avoir reconnu le message du Christ ne fut pas un grand savant mais un humble pêcheur ne sachant pas même compter, Pierre! "L'essentiel est invisible pour les yeux, on ne voit bien qu'avec le coeur", dit le Petit Prince de Saint-Exupéry.

J'aimerais maintenant raconter la belle histoire de Hashim Khan.

Dans les premiers jours du babisme, un marchand de Kashan, érudit et riche, partit avec sa famille en pélerinage à Najaf et Karbila, les villes saintes de l'Islam shiite. Les circonstances l'avaient forcé à engager comme conducteur de caravane un certain babi du nom de Hashim Khan. Ce qu'il regrettait, malgré la réputation excellente de son caravanier. Hashim Khan était grand et fort, mais peu instruit. Pourtant son coeur, touché par la lumière du nouveau message divin, comprenait l'essence des choses. Le marchand et sa famille évitaient Hashim, qui, pour eux, était un hérétique. Durant ce long voyage, la caravane devait s'arrêter deux ou trois fois par jour pour se reposer et nourrir les animaux. A l'occasion d'une de ces haltes, le marchand décida d'aborder Hashim pour essayer de lui faire voir son erreur et de le ramener chez 1es shiites. Apres l'avoir remercié pour son travail irréprochable, il lui fit cette remarque: "Comment se fait-il que moi avec tout mon savoir, je n'ai pas reconnu la validité du message du Bab et que toi, qui es presque illettré, tu prétends reconnaître la vérité de sa mission?" Hashim prit une poignée de sable dans sa main et dit: "Les gens comme moi n'ont pas de mérite dans la société. Ils sont comme les grains de sable dans le désert qui n'ont pas de valeur, cependant, lorsque le soleil apparaît à l'aube, le sable est le premier à être illuminé par ses rayons. Un homme savant, lui, est comme un précieux diamant. Il est mis dans une boite et enfermé dans une pièce, si bien que lorsque le soleil se lève il reste dans l'obscurité."

L'écrin du diamant, la pièce de sécurité ne seraient-ils pas ces nuages dont parlait le Christ, qui voleraient son retour aux yeux des hommes? Nuages du savoir, nuages des préjugés, nuages de la richesse, nuages du pouvoir, nuages du matérialisme ?

D'Andrinople (Là fut prise la seule photo connue de Baha'u'llah), à l'ombre d'une des plus belles mosquées du monde, la mosquée Selimiye, Baha'u'llah adressa une première lettre à Napoléon III. On rapporte que l'empereur des Français rejeta dédaigneusement la lettre :

- Si cet homme se croit un dieu, je suis deux fois dieu!

La lettre est perdue.

De la prison-forteresse de l'empire ottoman de Saint-Jean-d'Acre, où l'on enfermait les pires criminels de l'époque (une ville si puante, dit-on, que, si un oiseau la traversait, on tombait raide mort!), il écrivit une deuxième lettre à Napoléon III (L'agent consulaire français de Saint-Jean-d'Acre qui la traduisit, voyant la rapide condamnation prévue pour cet égotiste empereur, déclara sa foi en la divine station de Baha'u'llah) dans laquelle il l'admonestait de ne pas "gérer ses affaires selon les exigences de ses désirs" mais "de faire le bien de son peuple et de chercher à établir la paix avec les autres souverains."

0 Souverain ! lui écrit-il, Nous avons entendu la réponse que tu adressas au Tsar de Russie concernant ta décision au sujet de la guerre (de Crimée). Tu dis: "J'étais endormi dans mon lit et je fus réveillé par les cris des malheureux qui se noyaient dans la Mer Noire". Tel est ce que Nous t'avons entendu dire, et ton Seigneur est témoin de mes paroles. Nous attestons que ce ne sont pas leurs cris qui t'ont réveillé mais tes propres passions. Si tu avais parlé avec sincérité tu n'aurais pas jeté à terre le livre de Dieu lorsque le Tout-Puissant, le Très-Sage te l'a envoyé. Pour avoir agi ainsi et pour te punir, ton royaume sera jeté dans la confusion et ton empire t'échappera. Des troubles violents se produiront parmi le peuple de ton pays à moins que tu ne décides de soutenir cette Cause. Ton faste t'a-t-Il enorgueilli. Par ma vie il ne durera pas, il sera bientôt anéanti.

Il est intéressant de noter que cette lettre fut reçue en 1869, un an, donc, avant l'ignominieuse défaite de Sedan. Par un étrange revers de médaille, alors que Napoléon III était destitué, Baha'u'llah obtenait le droit de quitter sa prison. On connaît la suite. Napoléon exilé à Londres, les Français s'entre-tuait à Paris sous les yeux de l'occupant, puis l'enchaînement des deux autres guerres. Sedan semble être pour la France l'amorce de son déclin. Sur les bancs de la classe, je ne m'étais pas explique cette défaite soudaine. Pas plus que le monde de cette époque, qui resta médusé par ce revers. La France au sommet du monde, qui prêtait de l'argent, construisait partout (Suez, Panama), stupéfiait l'étranger par ses expositions universelles, ses fêtes impériales éblouissantes, ses expéditions militaires aventureuses, la France défaite par la Prusse !

Nous voyons l'humiliation à tes trousses, alors que tu es dans l'insouciance. Vraiment étonnante, la vision de Baha'u'llah. L'histoire oeuvrait dans le sens indiqué par ce prisonnier inconnu qui se permettait d'écrire aux rois et aux grands de la terre.

Le Kaiser Guillaume 1er, après sa victoire, reçut des paroles tout aussi prémonitoires: Te souviens-tu de celui dont la puissance dépassait ta puissance (Napoléon III) et dont le rang surpassait ton rang?? Profite de cet avertissement. 0ù est-il? Que sont devenus ses biens? 0 rives du Rhin ! Nous vous avons vues couvertes de sang. Et cela se produira encore Et nous entendons les lamentations de Berlin bien que, en ce jour, sa gloire soit évidente. Deux guerres mondiales ont, en effet, couvert les rives rhénanes de sang depuis, et Berlin, jubilante à l'époque, gémit aujourd'hui, coupée par le mur de la honte. Toutes ces prédictions ne sont pas une preuve de la grandeur des écrits de Baha'u'llah, le modeste prisonnier de Saint-Jean-d'Acre, mais elles se sont néanmoins réalisées. Elles éclairent l'histoire récente d'une lumière nouvelle qu'aucun historien sérieux ne devrait négliger. Tous les grands souverains de l'époque reçurent des lettres les invitant à se tourner vers cette Nouvelle Cause, celle de la paix et de l'unité du genre humain, et à oublier leurs gloires et vanités. Napoléon III fut le seul à en recevoir deux, non pas parce qu'il était le souverain le plus important, mais parce qu'il était le plus mauvais! Rêveur, conspirateur, hypocrite, indécis et téméraire selon le jugement de ses contemporains.

Seule, la reine Victoria qui avait aboli l'esclavage le 1er août 1843, à la veille de la révolution babie, fut complimentée: Nous avons appris que tu as interdit la vente des esclaves, hommes et femmes; c'est bien ce qu'a commandé Dieu dans cette merveilleuse révélation. Certes, il a été décrété pour toi une récompense à ce sujet. Et nous avons appris que tu avais confié les rênes de la délibération aux mains du Parlement. Tu as bienfait, car c'est ainsi que les fondements de l'édifice des affaires sont affermis.

A la lecture de ce message, la reine fit cette remarque: "S'il vient de Dieu, cela durera, sinon il n'en peut sortir aucun mal"

Baha'u'llah, du fond de sa prison, prédit alors qu'elle aurait le plus long règne. Ce qui n'était pas évident, car cette souveraine connut des débuts difficiles. Ce fut elle, en effet, qui eut le plus long règne des souverains contactés par Baha'u'llah. Le plus long et le plus glorieux, puisque, durant son règne, la Grande-Bretagne paracheva son fameux empire où le soleil ne se couchait jamais. Si bien qu'en 1901, Victoria fut même proclamée impératrice des Indes et que l'île d'Albion atteint à son tour le sommet du monde, dépassant la France d'un Napoléon qui avait dédaigneusement jeté à terre la lettre du prisonnier inconnu.

Pendant ce temps, François-Joseph 1er, le monarque amoureux de Sissi, l'héritier de cinq siècles d'histoire glorieuse, tombait de son trône, mettant fin au formidable Saint Empire romain pour avoir manqué de se renseigner sur la Cause nouvelle et de visiter le prisonnier d'Akko lors de son pèlerinage en Terre sainte: Tu passas près de Lui sans t'informer.

Que reste-t-il de ce formidable empire qui domina l'Europe pendant des siècles? Un petit pays, l'Autriche, avec la seule capitale au monde qui ait vu ses habitants diminuer au cours de notre siècle. Un empire encore plus grand que l'austro-hongrois vit son déclin s'amorcer après avoir refusé l'offre de Baha'u'llah. L'empire ottoman, qui s'étendait des rives du Maroc aux confins de la Perse avec pour capitale, la prestigieuse Istanbul, dite "la Porte sublime". Ne passe jamais les bornes de la modération et traite équitablement ceux qui te servent, écrit-il à Abdu'l-Aziz, le despotique sultan qui le bannit trois fois, car le jour approche où des troubles violents apparaîtront et la confusion se répandra à cause de ce qu'ont fait éprouver à ces captifs (Baha'u'llah et ses proches) les armées de l'oppression. Par vos actions, l'étendard de l'Islam a été renversé et son trône puissant est tombé.

De l'empire ottoman, il ne reste qu'une parcelle nommée Turquie, où l'alphabet latin a évincé l'arabe, où le dimanche a remplacé le vendredi comme jour de repos et où, pis, le chapeau mou des Européens a détrôné le traditionnel turban! Le sultanat et le califat se sont évaporés au profit d'une république sécularisée. Les muezzins sont désormais silencieux. Si le grand vizir d'Abdu'l-Aziz avait pâli en lisant la communication adressée à son Maître, faisant la remarque qu' "on croirait entendre le Roi des Rois donner des ordres au plus humble de ses vassaux et régler sa conduite", le Shah, lui, n'hésita pas à faire torturer à mort le jeune homme de dix-huit ans, Badi, porteur du message par lequel Baha'u'llah demandait que justice Lui soit rendue: 0 Roi, considère cet Adolescent avec les yeux de la justice et juge impartialement ce qui Lui est arrivé. Nous voulons espérer que sa majesté le Shah apportera l'espoir au coeur de ces exilés.

Non seulement ce Shah égoïste et cruel, Nasiri'd-Din dont le grand-père avait posséda plus de mille concubines, n'apporta aucun espoir à Celui qu'il avait banni, mais il continua, au contraire, à l'affliger et à persécuter ses fidèles. Ce Shah qui noya son pays dans un degré d'obscurantisme rare fut assassiné le jour même de son jubilé, le jour qu'il avait proclamé comme le plus grand de la Perse! Les jours de la terrible dynastie des Qajars étaient désormais comptés. Lève-toi et conduis à Dieu les nations, put lire le tsar Alexandre Il dont la politique décevante donna naissance au nihilisme et à ses conséquences. Il périt, lui aussi assassiné. La fin tragique des tsars est connue. Ce pays est loin de conduire les nations à Dieu en ce moment! Les dirigeants et présidents des républiques d'Amérique n'ont pas été oubliés : Ecoutez la mélodie que chante la Colombe sur l'arbre d'Eternité Pansez les êtres meurtris avec les mains de la justice, et, avec le sceptre des commandements de votre Seigneur, brisez l'oppresseur qui prospère.

Dans une autre lettre générale, le prisonnier persan s'adressait aussi à "tous les élus du peuple et représentants du monde" en ces termes : Consultez-vous et occupez-vous seulement de ce qui est profitable à l'humanité et capable d'améliorer sa condition.

Quel beau programme toujours d'actualité!

Le remède souverain ordonné par le Seigneur, le moyen le plus puissant pour la guérison du monde entier, c'est l'union de tous ses peuples en une Cause universelle, une même Foi. Constatation faite plus tard par un ministre français jugeant que la civilisation mondiale ne pourra se faire sans une religion. Ce ministre, qui ignorait l'existence du brillant prisonnier, avait pour nom Malraux.

N'est-ce pas un fait extraordinaire, ce prisonnier admonestant et conseillant depuis sa geôle les grands et les puissants de ce monde en des tablettes d'une majesté et d'un style incomparable? Ce prisonnier dont le théologien David Rhy Williams dit "qu'Il possède la pureté de saint François d'Assise, le courage de Socrate, l'humilité de Moïse, la puissance de Confucius, le pouvoir de Mahomet, la majesté d'Esaïe, la compassion de Bouddha et la sainteté de Jésus-Christ".

Jamais éducateur universel n'avait proclamé sa mission à une telle échelle dans le passé. Le Christ n'avait avoué sa position que devant Ponce Pilate et Mahomet n'avait averti que deux rois. Toute l'humanité, cette fois-ci, a été informée, sans équivoque, que le "Jour promis" est enfin arrivé. Même le clergé et les peuples des différentes religions reçurent des tablettes dont une fut adressée spécialement au pape, le deux cent cinquante-quatrième de la série, le comte Mestal-Ferretti, dit Pie IX sorte de Louis XIV de la papauté, c'est lui qui définit le dogme de l'Immaculée Conception (1854) et de l'infaillibilité pontificale (1870).

Homme d'Etat médiocre, peu disposé à la conciliation et décidé à conserver tout son pouvoir, il ne porta aucune attention aux sages conseils de Baha'u'llah. Après tout, n'était-ce pas lui le représentant de Dieu sur terre? Qui pouvait bien être ce prisonnier persan qui osait lui écrire: Peux-tu résider dans des palais alors que Celui qui est le Roi de la Révélation habite la plus délabrée des demeures. Abandonne le monde. Vends les ornements somptueux que tu possèdes et utilise la somme ainsi recueillie dans le chemin de Dieu. Agis comme ton maître. A cette époque, en effet, le "représentant" du Christ était loin de marcher pieds nus sous les oliviers et de dormir n'importe où. C'était un véritable monarque possédant de Vastes territoire, des armées, de palais, une fortune.

Ce que le pape refusa de faire sur le conseils de Baha'u'llah se produisit quand même. Déjà forcé de s'enfuir avant de Rome, au milieu de la nuit, vêtu en simple prêtre, il fut cette fois-ci dépossédé de toutes ses richesses par le roi Victor-Emmanuel Ier. Et, ironie du sort, il se retrouva prisonnier d'un minuscule territoire, en 1870, l'année même où il se proclamait infaillible.

Au Vatican, sur la longue liste des papes, son nom est absent. Coïncidence?

La chute impressionnante de toutes le grandes dynastes de l'époque, les Bonaparte, les Romanov, les Habsbourg, les Hohenzollem, les Uthman, les Qajar, et la perte du pouvoir temporel des papes n'est-elle pas un signe, une réponse à cette prophétie du prisonnier qui leur écrivait:

Bientôt, l'ordre présent disparaîtra et un ordre nouveau verra le jour à sa place?

Ces souverains et chefs religieux si puissants qui tenaient la vie de leur peuple entre leurs mains, ayant fait la sourde oreille à son appel d'unité, de justice et de paix inspireront à Baha'u'llah ce verset: Le pouvoir a été retiré des rois et du clergé.

L'histoire a très vite évolué depuis ce temps, et personne ne peut nier aujourd'hui que la gloire des premiers a subi des éclipses et que le pouvoir des seconds s'est perdu sans espoir de retour (le vedettariat de Jean-Paul II ne peut faire illusion. Quant à l'Islam, ses présents soubresauts ressemblent plus aux convulsions d'un agonisant qu'au fameux réveil dont se regorge la presse. Les ayatollahs et autre chefs religieux en Iran, par exemple, se sont joué un mauvais tour en prenant le pouvoir. Leur mauvaise gestion 1es fait irrémédiablement condamner pour toujours). Par contre, la splendeur de Baha'u'llah est en train de conquérir petit à petit la planète.

Déjà, pendant son exil, Il déployait tant de noblesse et de dignité que même ceux qui régnaient sur la Palestine enviaient son influence. Les gouverneurs, les mué-rifs, les fonctionnaires sollicitaient humblement l'honneur d'être admis en sa présence!

Un jour, un général européen fut tellement impressionné par sa majesté qu'il en resta agenouillé sur le seuil de la porte. Le fils aîné de Baha'u'llah qui partagea son exil depuis le début écrit à ce sujet:

L'affectueuse vénération des amis, la considération et la déférence témoignées par les hauts fonctionnaires et les notables à son égard, le pot de pèlerins et de chercheurs de vérité, l'esprit de dévotion et de service qui se manifestait dans son entourage, l'efficacité de son commandement, le nombre de ses disciples dévoués, tout cela portait témoignage du fait que Baha'u'llah était, non un prisonnier, mais en réalité le Roi des rois.

Celui qui étudie sa vie ne but manquer d'être frappé par l'extraordinaire pouvoir qu'il avait. Une des preuves indéniables de son pouvoir exalté réside dans le fait qu'il était capable de transformer le plus redoutable geôlier ou ouvreau en son meilleur ami. Si bien que le cruel gouvernement ottoman se voyait contraint de changer régulièrement ces derniers et d'en envoyer de plus impitoyables qui animaient par devenir à leur tour les plus humbles servants de la Beauté Bénie (un des titres de Baha'u'llah).

Avoir de la sympathie mur des gens indifférents ou antagonistes n'est pas facile, mais aimer quelqu'un qui vient délibérément vous faire du mal, est-ce du ressort du simple humain?

A Bagdad, pendant son premier exil, les gens étaient déjà attirés malgré eux par Baha'u'llah avant même l'annonce de Sa mission. Les plus humbles qui pleurèrent amèrement lors de son départ, comme les érudits et les gouvernants qui venaient prendre concis auprès de lui.

Pendant deux ans, il s'était retiré complètement pour méditer dans les montagnes de Soulémaniyé (Kurdistan), vivant de peu et à l'écu. Malgré cela, la renommée de cet ermite arriva vite jusqu'à Bagdad. Sa vie d'une parfaite exemplarité, les faits historiques aussi troublants et probants qu'ils soient, ne peuvent toutefois confiner une preuve valable de l'audacieuse revendication de Baha'u'llah: celle d'être l'éducateur universel de l'ère moderne.

Seul, l'examen de son message peut compter.

"On reconnaît le bon arbre à ses fruits."


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