Le prisonnier
de Saint-Jean-d'Acre
Par André Brugiroux, célèbre
globe-troteur ayant parcouru le monde en auto-stop
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Chapitre 17. POGROM SECRET
Chez les Mukhtari, dans la province du
Khurasan, on est baha'i depuis des générations. Asadu'llah naquit en 1910 a
Gal'ih-Kuh. En 1946, il alla établir avec sa famille dans un village voisin,
à Andrun. C'était un homme de taille moyenne, solide, résolu, courageux et d'une
grande humilité. Chacun se plaisait à dire que son caractère et sa façon de
vivre étaient exemplaires. Il exhortait toujours ses enfants à bien agir et
à faire preuve d'un comportement bienveillant, afin d'être, eux aussi, des exemples
pour les non baha'is. De plus, il était très généreux. Un jour Asadu'llah offrit
un sac de blé à un indigent. Lorsque celui-ci se mit en route vers le moulin
pour faire moudre le blé, les habitants de Shirk, un village voisin, connus
pour leur conduite agressive et cruelle ainsi que pour leur haine tenace envers
les baha'is, essayèrent de le provoquer et de s'emparer de son blé. Asadu'llah,
averti par les cris de la rue, les invita chez lui et leur donna un autre sac
de blé pour les empêcher de prendre celui du pauvre homme.
En 1960, quelques personnes de ce même village pillèrent sa maison et lui demandèrent
soit de quitter le village soit de devenir musulman. Asadu'llah répondit calmement:
"Quel mal avons-nous fait pour devoir partir? Et pourquoi Seriez-vous gênés
par notre religion, puisque nous croyons aussi a l'islam?" A ces réponses, la
foule accourue s'agita, et l'un des curieux, un certain Chupani, frappa M, Mukhtari
à la tête, avec une massue, lui fracturant le crâne. Il saigna abondamment et
dut être hospitalisé quelques temps. Le gouvernement arrêta les coupables. Mais,
suite à l'intervention personnelle d'Asadu'llah exprimant son pardon par écrit,
ceux-ci furent relâchés. Une autre fois, sous prétexte que le chef du village
de Shirk voulait le voir, on le força à quitter sa maison et, en route, il fut
battu rudement et blessé de nouveau à la tête, ce qui l'obligea à garder le
lit pendant trente-cinq jours. Il ne porta même pas plainte aux autorités. Enhardis,
les fanatiques de Shirk prirent alors l'habitude de venir chez Asadu'llah sans
y être invités et de l'obliger à égorger un mouton pour leur préparer un festin.
Pendant qu'ils s'imposaient ainsi odieusement, ils prenaient note des meubles
et des tapis se trouvant dans la maison. Et quelques jours plus tard, lorsque
la famille travaillait aux champs, ils venaient la vider de tout son mobilier.
Asadu'llah et sa famille subirent sans arrêt des épreuves de ce genre, forgées
par les mains des ennemis de sa foi. Une fois il engagea un berger pour garder
son troupeau. Celui-ci ne put empêcher une bande de voleurs de venir régulièrement
dérober des moutons. Un soir, le berger, qui était musulman, excédé, se rendit
chez les voleurs et, voyant qu'ils avaient déjà égorgé les moutons, protesta
en leur disant que, d'après leur religion, il était interdit de manger de la
nourriture volée. Ils répondirent en s'esclaffant: "Nos ulémas nous ont dit
que, selon l'islam, il n'est pas défendu de voler la propriété des baha'is et
que nous serons même récompensés si nous prenons tout ce qui leur appartient!"
Maintes fois, au cours de ces dernières années, des représentants du terrible
Tablighat-i-Islami (secte orthodoxe de l'islam), sous prétexte que le gouvernement
leur recommandait d'avoir des discussions religieuses avec les baha'is, venaient
l'injurier et le maltraiter. A la fin novembre 1978, peu avant le déclin du
Shah, une centaine d'hommes de Shirk vinrent à Andrun pour assiéger les maisons
des baha'is. Ils ramassèrent d'abord tous leurs livres et documents. Puis, ils
se mirent à torturer Asadu'llah en exigeant qu'il renie sa foi. Devant sa fermeté,
la foule devint de plus en plus furieuse. Quelqu'un suggéra de le brûler vif.
Asadu'llah dit: "J'ai quelques belles bûches dans ma réserve et un bidon de
pétrole." Il sortit alors une boîte d'allumettes de sa poche et, l'offrant au
chef de bande, ajouta: "Même si vous me brûlez vif, je ne renierai jamais ma
foi!" Ce soir-là, ils le battirent violemment et s'emparèrent une nouvelle fois
de ses biens. Sa femme les aida à piller plus aisément en tenant une lampe à
leur portée. Les malheureux furent abandonnés sans une seule couverture, un
seul tapis.
Asadu'llah et sa famille s'éloignèrent d'Andrun pendant deux mois et demi. Au
retour, ils achetèrent quelques moutons Asadu'llah, cette fois-ci, n'avait plus
les moyens d'engager un berger, et il dut surveiller le troupeau lui-même. Souvent,
il avait comme un pressentiment et confiait à sa femme qu'il était bien possible
qu'un soir elle ne le voie pas revenir, car il pourrait être tué. Le 18 mai
1980, Asadu'llah prit son havresac, quelques pains et autres fournitures, et
gagna les pâturages, comme d'habitude. Au crépuscule, les moutons rentrèrent
seuls au bercail. Ses enfants essayèrent toute la nuit de le retrouver. A l'aube,
ils découvrirent finalement son corps baignant dans son sang, à cinq kilomètres
d'Andrun. Il avait été lapidé et assommé à coups de gourdin. Et, selon le médecin,
aussi étranglé. Il fut trouvé face contre terre, son havresac toujours sur le
dos. Devant une foule excitée, au poste de garde, les meurtriers se vantèrent
de l'avoir tué de leurs propres mains. Et ils ajoutèrent triomphalement que
les baha'is d'Andrun étaient condamnés à mort et qu'ils seraient bientôt tous
tués. Les policiers tentèrent de les calmer, mais ces rustres n'y prirent garde
et, sous les yeux médusés de la police et des gardes, commencèrent à tirer des
pierres sur des enfants baha'is. Ils furent finalement maîtrisés et conduits
à Birjand, où le tribunal les accusa du meurtre d'Asadu'llah. Cependant, lors
du procès en appel à Mashad, la capitale du Khurasan, ils furent acquittés,
et, vers la mi-novembre 1980, ils regagnèrent Shirk, où ils furent accueillis
en héros.
Un témoin oculaire raconte que le jour où Ihsan, un autre baha'i, fut amené
sur le lieu d'exécution avec ses deux compagnons, il tomba à genoux devant ses
gardes, disant: "Je suis à votre disposition. Comme vous le voyez, je n'ai aucun
moyen de me défendre, ni aucune intention de le faire. Mon dernier souhait,
cependant, serait de connaître lequel d'entre vous tirera la balle qui provoquera
ma mort."
Aucun des gardes ne répondit. Il répéta sa demande et, devant leur silence,
se mit à pleurer amèrement, les suppliant de répondre Finalement, l'un d'eux
dit: "Moi." A ce moment, Ihsan s'agenouilla devant l'homme qui avait parlé et
lui embrassa les pieds en criant: "Loué soit Dieu que je puisse offrir ma vie
dans le sentier de la Beauté Bénie (Baha'u'llah). Je suis prêt maintenant, mais
j'ai encore un souhait. Pourriez-vous ne pas me bander les yeux? Pourriez-vous
me laisser libre, afin que je puisse assister à ma mort les yeux ouverts lorsque
vous me tirerez?" Vahdat, un de ses compagnons, adressa la même supplique. Cet
événement ne date pas d'obscurs siècles lointains. Il eut lieu le jeudi 30 avril
1981, à sept heures du soir, à Shiraz.
Le 22 novembre précédant, la pleine lune inondait le petit village de Nuk, près
de Birjand. Les Masumis venaient de regagner leur ferme après une dure journée
de labeur dans les champs. Ils se lavèrent, récitèrent leurs prières et prirent
leur dîner, se composant, ce soir-là, de restes d'un mouton fumé la veille en
prévision de l'hiver. Après le dîner, ils se mirent à décortiquer des amandes
avec de petits marteaux dont les coups masquaient les bruits venant de l'extérieur.
Vers neuf heures, ils décidèrent de prendre le thé. Nisa prépara le samovar
et l'alluma. Ils se remirent au décorticage des amandes en attendant que l'eau
bouille. Ils ne se doutaient pas qu'à ce moment précis leurs ennemis, qui avaient
constamment raconté aux musulmans du village que c'étaient de dangereux hérétiques,
complotaient en secret de les tuer. Les Masumis avaient eu de nombreuses occasions
de sauver leur vie en cherchant refuge dans les villages voisins où résidaient
d'autres familles baha'ies, mais ils avaient choisi de rester à Nuk.
Cette nuit fut particulièrement propice aux assassins pour mettre leur plan
à exécution, car les voisins des Masumis étaient absents. Le frère de Husayn,
un musulman qui habitait non loin de là, avait été éloigné de son foyer par
la ruse.
Il était dix heures du soir lorsque Husayn annonça à sa femme qu'il lui fallait
aller à l'étable pour affourager les moutons. Celle-ci lui dit: "Reviens vite
car ton thé sera froid." Elle venait, en effet, juste de le lui verser. Elle
avait à peine bu quelques gorgées du sien lorsqu'elle entendit la porte s'ouvrir.
Elle prononça le nom de son mari mais n'obtint aucune réponse. Soudain, plusieurs
hommes masqués firent irruption dans la pièce. Nisa comprit immédiatement qu'ils
avaient de mauvaises intentions. La grille de la cour ayant été fermée, ils
avaient dû franchir le mur pour entrer. La vieille lampe à pétrole fournissait
une lumière si faible que, même si les hommes n'avaient pas été masqués, elle
n'aurait pu les reconnaître.
De peur, elle laissa tomber son verre de thé. Sans un mot, ils la saisirent
par les bras et la tirèrent à travers la pièce. Elle se mit à crier le nom de
son mari, à appeler au secours. L'un des bandits tenta de l'étrangler pour l'empêcher
de crier. Elle les supplia de ne pas faire de mal à son mari. Un homme la tint
fermement pendant qu'un autre sortit chercher des cordes. Pendant qu'elle continuait
à les prier de ne pas maltraiter son mari, ils la ligotèrent solidement de la
tête aux pieds, sans faire la moindre attention à ce qu'elle disait. Ils la
tirèrent ensuite dans le corridor, la jetèrent au pied du mur et la recouvrirent
d'une lourde porte en bois qui traînait là. Elle ne connaissait toujours pas
leurs intentions. Mais lorsqu'ils déposèrent quelques brindilles de bois sec
sur la porte, apportèrent la lampe à pétrole et en versèrent le contenu sur
le bois et ses vêtements, elle réalisa avec horreur qu'ils voulaient la brûler
vive!
Elle racontera plus tard à ses voisins: "Ma vie entière traversa mon esprit,
mais, chose étrange, mes frayeurs se transformèrent en acquiescement et je ne
me souciais plus de rien sauf de ma confiance en Dieu. Ces hommes impitoyables
mirent le feu avec des allumettes et un briquet et restèrent quelques minutes
près de moi pour s'assurer que les flammes soient assez hautes pour me réduire
en cendres rapidement. Ils partirent et je compris que le même sort attendait
mon pauvre mari. La chaleur fut intense et je criai Ya Baha'u'llah! Je ne cessais
de penser à mon mari. Les flammes atteignirent les cordes de nylon, qui se mirent
à fondre sous l'effet de la chaleur C'est ainsi que je pus me libérer, bien
que la moitié de mon corps fût atrocement brûlée."
Lorsque ses voisins lui ouvrirent la porte, ils furent horrifiés de la voir
les cheveux roussis, les mains carbonisées jusqu'à l'os, et les enfants commencèrent
à pleurer. Elle leur raconta tout ce qui était arrivé et leur demanda d'aller
aider son mari. Rien n'y fit. Le chef de famille n'eut pas le courage de quitter
sa maison. Elle ne put attendre plus longtemps, aussi, leur empruntant une lampe-tempête
qu'elle prit dans ses mains calcinées, elle se précipita elle-même à sa recherche.
Après avoir marché un petit moment au clair de lune, elle aperçut une forme
dans le fossé, courut vers elle et constata avec épouvante qu'il s'agissait
bien du corps de son mari. Il avait été brûlé jusqu'à la mort pour l'amour de
son Bien-Aimé Incroyable, mais les autres villageois qui avaient entendu les
cris de Husayn avaient assisté du seuil de leurs portes ou du rebord de leurs
fenêtres au martyre de cet homme courageux sans broncher. Ils rapportèrent que
lorsque Nisa arriva avec sa lanterne près du fossé et découvrit le corps carbonisé
de son mari, elle s'écria: "C'est un meurtre cruel et si les meurtriers échappent
à la punition dans ce monde, je m'accrocherai avec mes mains brûlées au pan
de la robe de la justice de Dieu dans l'autre et Lui demanderai de les punir.
Nous ne vous avons témoigné qu'amour et gentillesse et vous avez commis cette
chose atroce!"
Un témoin raconta qu'un des meurtriers, présumé être le chef de bande, qui regardait
avec tout le monde le crime de loin, fut terriblement surpris de revoir Nisa,
qui aurait dû être réduite en cendres, se tenir debout près du fossé. Effrayé
qu'elle puisse le reconnaître, lui ou ses acolytes, il se précipita vers le
fossé, et on peut penser qu'il frappa cette femme sans défense au crâne parce
qu'après elle perdit l'usage de la parole.
L'homme revint tranquillement auprès des spectateurs, et tous rentrèrent dans
leur foyer. Aucun ne vint aider cette femme à moitié brûlée qui gisait sur l'herbe
dans le froid rigoureux du désert et lui offrir un refuge.
Le lendemain, dimanche 23 novembre 1980, le gendre des Masumis accourut sur
les lieux. En entrant, il trouva des cendres dans le corridor, certains tapis
et rideaux brûlés, des amandes et des écorces mélangées de suie. Un verre de
thé attendait sur la table, un autre gisait sur le sol. Le samovar était rempli
et il y avait encore du thé dans la théière. Il vit ensuite quelque chose bouger
sous une couverture dans un coin de la pièce, et, lorsqu'il la souleva, il trouva
sa belle-mère, qui avait réussi à se traîner jusque-là. Elle était dans un état
critique. Lorsqu'il lui demanda ce qui était arrivé, il constata qu'elle avait
perdu l'usage de la parole. Le seul langage qui fut le sien furent les larmes
qui coulèrent de ses tristes yeux. Nisa tomba dans le coma et, six jours plus
tard, son âme prit son envol vers le royaume "d'Abha"
Les martyres de Dihqani et Anvari, en avril 1981, à Shiraz, provoquèrent un
grand émoi dans la population. Jusqu'au dernier instant de leur vie, les gardes
révolutionnaires tentèrent de les faire abjurer leur foi pour pouvoir surseoir
à l'exécution. Ce qui n'eut aucun effet. Ils procédèrent même à un simulacre
d'exécution, tirant en l'air, et demandèrent aux prisonniers de renier leur
foi. En réponse, l'une de ces âmes héroïques dit: "Notre Bien-Aimé a reçu sept
cent cinquante balles (Allusion au martyre du Bab à Tabriz, en 1850). Nous,
nous sommes impatients d'en recevoir trois ou quatre!"
Anvari avait précisé dans son dernier testament que sa famille devait distribuer
des douceurs à ceux qui l'exécuteraient. Le famille apporta de l'argent aux
autorités, en disant que, d'après le testament, cet argent était destiné à acheter
des friandises pour les distribuer aux bourreaux, car elle ne désirait pas les
connaître. C'est pourquoi elle apportait de l'argent au lieu de sucreries.
"Yusif Subhani était radieux et heureux", reportent ses proches lorsqu'ils le
virent pour la dernière fois dans la terrible prison d'Evin à Téhéran, le 9
juin 1980. "Quand nous le vîmes dans cet état, nous eûmes honte parce qu'avant
de lui rendre visite nous nous étions préparés à le consoler et à l'encourager.
En fait, c'est son courage qui nous donnait de la force et estompait notre peur."
Lorsque la prison appelait la famille pour une visite, c'était clair, le détenu
serait fusillé sous peu. Etant donné que Yusif était un baha'i très connu de
la capitale, un ami lui avait suggéré quelques mois auparavant de quitter le
pays par prudence. Il avait répondu: "En temps de crise, nous devons redoubler
nos efforts pour la cause de Dieu. Nous ne devons avoir aucune crainte et nous
ne devons pas abandonner nos positions." Il souriait et plaisantait maintenant
avec les membres de sa famille dans ce lieu sinistre. Il dit à sa femme: "Ne
pleure pas pour moi et n'aie pas de peine, car cela troublerait le repos de
mon âme!" Il demanda qu'après sa mort personne ne porte le deuil, et il fit
promettre à sa femme, qui avait passé une élégante robe de couleur vive, de
la porter le jour de son enterrement. Il ajouta: "Si vous saviez combien je
suis heureux, vous vous réjouiriez. Si ce n'était pas contraire au souhait de
Dieu, je vous aurai demandé de célébrer l'anniversaire de ma mort comme une
grande fête au lieu d'en faire une commémoration. Si ces messieurs me le permettent
(montrant les gardes), je danserai jusqu'à la potence !" Il adressa ensuite
quelques paroles aimables au chef du peloton d'exécution et ajouta: "Dites à
vos hommes de tirer très fort, car je ne pense pas que les balles habituelles
puissent causer aucun mal à un corps aussi costaud que le mien. Dites-leur que
cette poitrine est pleine d'amour pour Baha'u'llah et demandez-leur de me permettre
de donner moi-même le signal de faire feu."
Subhani termina en disant que si de telles choses ne se produisaient pas, la
cause de Dieu ne progresserait pas.
Si l'on martyrise des innocents depuis un siècle et demi avec une telle haine
et une telle cruauté, faut-il que leur cause soit puissante. Car les suppliciés
d'aujourd'hui font preuve du même héroïsme que ceux du début.
Et que deviennent mes amis personnels?
Où est Youssef Ghadimi (Le merveilleux Docteur K dont parle Marc Kravetz dans
"Irano Nox" éd. Grasset 81), à qui je dédie cet ouvrage, qui me sauva de la
maladie lors de mon tour du monde et m'aida si généreusement à mon retour en
France, si généreusement que j'ai honte d'en parler. Ou est cet homme si fin,
cultivé et courtois qui fut kidnappé le 21 août 1980 à Téhéran, avec les huit
autres membres de l'Assemblée Spirituelle Nationale d'Iran, dont on est sans
nouvelle depuis? Il parlait le russe, l'arabe, le persan, l'anglais et le français
à la perfection. Il aimait la France, où il avait fait ses études, et lorsqu'il
venait à Paris, nous avions l'habitude de dîner ensemble dans un restaurant
chinois de la rue Erlanger. Je ne peux oublier un de ses traits d'esprit: "En
Iran" me dit-il, "les tomates s'appellent fruits français. Ici, en France, vous
avez des tomates farcies! (farsi veut dire persan en iranien)."
Quelles sont les chances de survie de Mme Tai, retenue comme otage avec sa petite-fille
au Turkestan? Mme Tai, avec qui j'avais passé une semaine merveilleuse dans
le Limousin l'été dernier, et dont j'admirais le courage: "Je n'ai pas peur
de retourner en Iran, ils ne peuvent que me tuer!"
Pourquoi avoir abattu lâchement d'un coup de revolver dans sa clinique, le 12
janvier 1981, le docteur Hakim, éminent professeur de l'Université de Téhéran
et médecin de réputation mondiale, spécialiste en gastro-entérologie, agrégé
de médecine à Paris et cité à deux reprises dans la fameuse encyclopédie médicale
"Le Rouvière" pour ses découvertes dans le domaine de l'anatomie, décoré en
1976 de la Légion d'honneur pour ses services humanitaires, et dont les traités
sont toujours étudiés dans les universités iraniennes?
Pourquoi l'Iran massacre-t-il ses meilleurs éléments? Pourquoi ?
En Iran, depuis la prise du pouvoir par les ayatollahs, le cauchemar a recommencé
pour le baha'is. Car le récents événements ont permis aux éléments traditionnellement
hostiles à la Foi bahaie d'encourager la population à extérioriser de nouveau
son fanatisme aux dépens de cette communauté qui, quoique numériquement la plus
importante, est aussi la plus vulnérable des minorités religieuses. Personne,
certes, n'est à l'abri du vent de folie qui souffle sur ce pays. La rumeur du
bazar laisse même entendre qu'il n'y aurait plus que les pelotons d'exécution
qui fonctionnent dans cet indescriptible chaos! Mais le drame, en ce qui concerne
les baha'is, est la mise en application systématique d'un plan ayant pour but
de les éliminer tous comme les juifs sous les nazis !
Khomeiny, annonçait en avril 1981 un ayatollah de l'aile droite très influent,
Mahmoud Sadduqi, a classé les baha'is comme "mahdour ad-damm", ceux dont le
sang doit être répandu. Un autre ayatollah, Mousavi Tabrizi, déclare: "Le Coran
ne reconnaît que les gens du livre (chrétiens et juifs) comme communautés religieuses.
Les autres sont de païens. Les païens doivent être élimines."
La constitution de la République Islamique d'Iran, qui reconnaît et "protège"
le autres minorités religieuses, juive, chrétienne et zoroastrienne, refuse
néanmoins de reconnaître la plus importante, la Foi bahaie. Ses quelque trois
cent mille adeptes ne sont donc pas protégés par la loi, avec tout ce que cela
entraîne comme conséquence. Ces "hors-la-loi" ne sont pourtant pas des éléments
étrangers du pays, mais des citoyens dédiés au bien-être de leur nation et de
leurs concitoyens. C' est une communauté pacifique et tolérante, qui, en accord
avec le principes de sa foi, croit à l'origine divine de toutes les religions,
s'abstient de toute politique partisane, se refuse à toute activité subversive
et se montre loyale et obéissante au gouvernement en place. Les baha'is ne menacent
donc personne ni aucune institution en Iran. Il est difficile, à première vue,
de comprendre pourquoi les membres d'une telle communauté font l'objet d'une
haine si féroce de la part de leurs concitoyens. Il faut en chercher, je crois,
la raison non seulement dans l'histoire, mais aussi dans la psychologie de la
société persane. Après plus d'un siècle de méfiance et d'incompréhension, l'hostilité
envers les baha'is s'est profondément enracinée dans la conscience nationale
du peuple iranien.
C'est uniquement dans le fanatisme religieux que se trouve la racine de la persécution
des baha'is. Depuis ses premiers jours, les principes et objectifs de cette
foi nouvelle ont été dénatures aux yeux d'une masse ignorante par un clergé
cruel et fanatique. Le préjugé contre les baha'is s'est finalement institutionnalisé
en Iran. A aucun moment de son histoire, le gouvernement impérial ni la constitution
iranienne n'ont voulu reconnaître la foi baha'ie comme une religion indépendante.
Aux yeux de la loi, elle n'existe pas! (Sauf pour rançonner ses membres). Et
comme la nouvelle constitution ne veut pas l'admettre non plus, les effets adverses
de cette pratique discriminatoire ne font que s'intensifier. Le résultat et
simple: il permet aux éléments fanatiques et criminels du pays d'attaquer violemment
les baha'is et leurs propriétés avec l'assurance de l'impunité. Mais ces persécutions,
hélas, ne sont pas chose nouvelle. Dès la naissance de la Foi en 1844, le baha'is
durent faire face, comme nous l'avons vu au chapitre VII, à une répression impitoyable.
Leurs idées libérales ainsi que l'expansion rapide de cette religion attisèrent
le fanatisme aveugle et la jalousie d'une partie du clergé. Celui-ci incita
les autorités civile à persécuter, torturer et martyriser les adeptes de la
nouvelle foi, accusés évidemment d'être des hérétiques. Cependant, il est à
noter que de nombreux théologiens et membre du clergé, dont le plus haut dignitaire
ecclésiastique rattache à la cour, embrassèrent la cause du Bab.
Ces persécutions ont dure jusqu'à nos jours avec des recrudescences chaque fois
qu'on avait besoin de boucs émissaires, cela d'autant plus facilement que la
nature tolérante et pacifique de la communauté baha'i permet à ses agresseurs
de l'attaquer sans crainte de représailles.
L'épopée baha'ie, à la fois glorieuse et sanglante, réveille, d'une part, le
souvenir de la ferveur des premiers chrétiens psalmodiant devant la gueule des
lions dans les arène et, de l'autre, les sombres histoire d'inquisition, des
Cathares, de la Saint-Barthelemy...
Dans la Perse décadente du XIXe siècle, où la notion même de liberté religieuse
n'existait pas, les paroles du Bab ne pouvaient que provoquer une violente réaction.
Ses adeptes, Ô crime, rejetaient l'interprétation littérale du Coran et voyaient
en Lui l'accomplissement des prophéties le précurseur d'une nouvelle Manifestation
divine qui apporterait de nouvelles lois et ouvrirait une ère nouvelle dans
l'histoire de l'humanité. Comme nous le savons le Bab accusé d'hérésie fût emprisonné
pendant plusieurs années avant d'être finalement exécuté en 1850. La mort du
Bab n empêcha point sa doctrine de s'étendre ni ne diminua la foi de ses disciples,
qui se défendirent avec un rare héroïsme dans les sièges de Tabarsi, Nayriz
et Zanjan contre les attaques combinées du clergé et du gouvernement. La campagne
d'extermination qui s'ensuivit coûta la vie à plus de vingt mille babis participants
et observateurs neutres ont décrit avec éloquence la cruauté de ces massacres
insensés frappant sans discrimination femmes vieillards et enfants les tortures
infligées à des milliers d'innocents dans l'hystérie collective.
Treize ans après le martyr du Bab, un de ses disciples les plus éminents, que
le gouvernement impérial avait exilé à Bagdad se proclama être le Promis du
Bab. Il se fit connaître sous le nom de Baha'u'llah. La plupart des babis l'acceptèrent
et prirent désormais le nom de baha'i. Même si les babis n'avaient jamais attaqué
ils s'étaient défendu valeureusement armes à la main. Un des premiers gestes
significatifs de Baha'u'llah fut d'interdire spécifiquement à ses disciples
de résister, même en cas de persécutions. Il vaut mieux être tué que de tuer!
Depuis c'est un fait. Les baha'is n'ont jamais cherché à se défendre physiquement
ni à offrir de résistance armée. D'où la "bravoure" de leurs ennemis. "Ils sont
très bien ces gens-là", ai-je souvent entendu dire les musulmans en Iran, "dommage
qu'ils soient baha'is"! Comment peuvent-ils croire qu'un voisin dont ils connaissent
la courtoisie naturelle et la probité depuis des années puisse être un renégat
chargé de tous les vices de la création?
Les autorités religieuses et séculaires, nous l'avons vu, gardèrent Baha'u'llah
en prison et en exil jusqu'à sa mort en 1892. Ce qui ne l'empêcha pas d'écrire
les lois et principes qui inspirent la vie de millions de baha'is à travers
le monde aujourd'hui.
Le clergé musulman iranien, se sentant menace par des idées qui défiaient son
autorité et son pouvoir, demanda constamment l'extermination pure et simple
des baha'is qu'ils traitaient d'hérétiques et de dangereux égarés. Au fur et
à mesure que leur nombre s accrut, les baha'is devinrent une cible de plus en
plus facile pour les attaques démagogiques de ceux qui voulaient distraire les
masses ou créer des remous.
Les lois progressives de Baha'u'llah, notamment en ce qui concerne la haute
valeur de l'instruction et de l'éducation et du travail transformèrent petit
à petit cette communauté en une élite au standing de vie relativement élevé,
cible rêvée pour des pogroms. De plus, sa nature non violente permettait tous
les excès. Ainsi les baha'is devinrent rapidement les boucs émissaires de la
société persane. A chaque difficulté nationale, famine, révolution ou invasion,
il a été facile de les accuser des misères du pays. Si quelqu'un ne voulait
pas payer sa dette, il n'avait qu'à accuser son créditeur d'être baha'i. Si
l'épidémie faisait rage dans une province, on pouvait accuser les baha'is d'avoir
jeté un sort. (En 1971, j ai rencontré des musulmans qui refusaient de boire
du Pepsi-Cola par crainte d'être ensorcelés, l'usine était tenue par un baha'i!)
Les idéaux baha'is d'unité mondiale pouvaient être interprétés comme un manque
de patriotisme. L'acceptation de la vérité propre a chaque religion pouvait
être vue comme une trahison de l'islam.
Lorsqu'en 1896 Nasiri'd-Din le Shah tyrannique fut assassiné par un terroriste
panislamique, on accusa immédiatement les baha'is. Et, dans la brève mais violente
persécution qui suivit, plusieurs perdirent encore leur vie.
En 1903, plus dune centaine de baha'is fut massacrée a Yazd, et des atrocités
similaires ensanglantèrent beaucoup d'autres endroits. Lorsqu'en 1906 la révolution
"constitutionnelle" éclata en Iran, les baha'is, dont les idées démocratiques
étaient bien connues, subirent de nouvelles attaques, et des épisodes particulièrement
sanglants eurent lieu à Sirjan, Dughabad, Tabriz, Qom, Najafabad, Sangsar, Shahmirzad,
Isfahan, Jahrom, Mashad, Kermanshah et Hamadan. Les réactionnaires les accusèrent
faussement d'inspirer et de supporter la révolution.
L'oppression s'accentua pendant la période troublée de la Première Guerre mondiale
et des années suivantes. En 1922, l'Iran promulgue les premières lois officielles
anti-baha'ies. Médecins et infirmières sont renvoyés des hôpitaux. La fonction
publique leur est interdite. Ils sont expulsés de l'administration, de l'enseignement,
de l'armée sans indemnités. De nombreux documents en font foi. Toutefois, si
le baha'i renie sa foi, il redevient un citoyen a part entière.
En 1933, toujours sous le règne de Reza Shah (le père du dernier Shah), on ferme
les écoles baha'ies, on organise des pogroms, on maltraite des familles entières,
on brûle leur maison. On les accuse de dépravation. Le mariage civil n'existant
pas en Iran et le mariage baha'i n'étant pas reconnu, ils sont considérés comme
des concubins. Et cette licence est passible de mort en pays musulman! Autre
orientalisme raffiné: on les arrête pour cause de moeurs délictueuses car hommes
et femmes - dévoilées - se réunissent pour se consulter et prier lors des fêtes
des dix-neuf jours et des célébrations religieuses. Entre 1930 et 1940, interdiction
fut faite aux baha'is de se réunir ou d'imprimer leurs livres. Les meurtres
se perpétrèrent, au hasard, et ce processus continua pendant la Deuxième Guerre
mondiale et la période immédiate de l'après-guerre.
En 1955, une attaque de grande envergure se déclencha contre la communauté au
cours du mois de Ramadan le mois du jeûne musulman. Dans une des principales
mosquées de Téhéran, le Shaykh Muhammad Taqui Falsafi, un redoutable mollah,
vieil ennemi de la Foi baha'ie, incitait ses ouailles du haut du pupitre à détruire
la "fausse religion". Ses sermons inflammatoires furent retransmis par la radio
à travers tout le pays avec les résultats que l'on peut imaginer. Les vieilles
suspicions se réveillèrent. Le 7 mai le centre national baha'i de Téhéran, une
jolie bâtisse recouverte d'un dôme au coeur de la ville, fut à moitié détruit
par l'armée, et tous les autres centres administratifs furent attaqués. Le 17,
le ministre de l'Intérieur déclarait au Parlement: "La secte baha'ie est interdite".
D'après un rapport contemporain, une orgie insensée de meurtres, de viols, de
pillage et de destruction commença. A deux reprises, la maison natale du Bab
fut profanée et sérieusement endommagée, la maison familiale de Baha'u'llah
à Takur occupée. Des moissons furent brûlées, du bétail abattu; les corps de
baha'is déterres dans les cimetières et mutilés. Des jeunes femmes furent enlevées
et forcées d'épouser des musulmans, des enfants ridiculisés et chassés de leurs
écoles, des employés gouvernementaux congédies et les baha'is subirent toutes
sortes de contraintes pour qu'ils renient leur foi. (Voir France Observateur
du 30 juin 1955 et Coopération, Journal suisse du 27 août 1955)
Des appels de protestations envoyés par des personnalités éminentes du monde
entier, ainsi que des interventions aux Nations Unies, mirent fin à ces excès.
Après une première phase de batailles héroïques, puis une autre d'acceptation
résignée, les baha'is cherchent désormais à se défendre en faisant appel, par
des procédures légales, aux institutions internationales et à l'opinion mondiale.
Depuis lors, les contraintes subites par les baha'is furent principalement d'ordre
administratif. En 1971, je me souviens de ce brillant jeune homme rencontré
à Abadan, qui se vit refuser un poste dans l'une des raffineries pour avoir
écrit en face de religion sur le formulaire d'emploi le mot baha'i.
De novembre 1978 à mars 1979, les journaux Le Monde et Le Nouvel Observateur
relèvent que près de huit cents maisons appartenant aux baha'is ont été pillées,
détruites et incendiées. "L'attaque a été plus violente à Miyan-du-Ab, où la
foule, après avoir complètement rasé le centre baha'i local, a pillé et incendié
quatre-vingts maisons d'un coup, tués deux baha'is, le père et son fils, dont
les corps ont été traînés dans les rues, puis dépecés et enfin brûlés." En 1979,
l'ayatollah Khomeiny rentre en Iran, et, pendant un mois, c'est la "fête de
la liberté". Les baha'is croient pouvoir souffler un instant. Malheureusement,
en mars de la même année, tout recommence. Le conseil de la révolution décide
de confisquer tous les biens des baha'is. La haine de nouveau se déchaîne, et
on va jusqu'à défoncer au bulldozer leurs cimetières! C'est de nouveau le cortège
familier de l'élimination physique de ceux qui, le couteau sous la gorge, refusent
d'abjurer leur foi; ce sont les pillages dirigés par des mullas, les pogroms,
la mainmise sur les biens de la communauté, leurs hôpitaux et organisations
charitables, les emprisonnements arbitraires, la destruction des lieux saints,
etc.
Cette fois-ci, sous prétexte de la protéger, la maison du Bab à Shiraz, lieu
de pèlerinage vénéré, est d'abord confisquée puis rasée complètement! Sur un
autre plan, moins violent mais tout aussi virulent, les différents comités islamiques
mènent une sournoise et ignominieuse campagne d'intoxication. Ils accusent les
baha'is de tous les maux, sous prétexte que le Shah, pour sa "révolution blanche",
avait bel et bien copié certains de leurs principes: alphabétisation, réforme
agraire, participation des ouvriers aux entreprises, droit de vote aux femmes,
etc. De plus, à l'aide de tampons et de listes dont ils se sont emparés et en
imitant le vocabulaire baha'i, ces comités produisent des faux pour essayer
de jeter le trouble parmi les croyants.
Officiellement, aucun baha'i n'est tué en tant que tel. On emprisonne et on
assassine à mains feutrées. Nous sommes en train d'assister là à un véritable
holocauste silencieux car, CE QUI EST TRES GRAVE, les ennemis de la foi baha'ie
agissent sans tapage publicitaire, ni harangues publiques, ni communiqué, ni
dénonciation dans les médias. Depuis 1981, les persécutions sont devenues systématiques.
Au début de la révolution islamique, les attaques semblaient venir de quelques
bandes d'extrémistes isolées. Mais il est vite devenu apparent que leurs incessantes
et croissantes répétitions ne pouvaient plus être 1'oeuvre de la malveillance
sporadique de groupes fanatiques. Non seulement, les autorités révolutionnaires
ne prirent aucune mesure pour protéger les baha'is, mais on s'aperçut qu'elles
étaient à la base de beaucoup d'actions. Il ne fait plus de doute maintenant
que le gouvernement révolutionnaire organise et coordonne une campagne systématique
de persécutions contre toute la communauté baha'ie, dont le but est la disparition
totale et définitive, l'éradication de cette foi de son pays d'origine. Des
responsables du gouvernement haut placés ont confirmé ce plan en conversation
privée, indiquant que l'élimination des baha'is devait s'accomplir comme suit:
- arrêt et exécution des baha'is 1es plus connus;
- confiscation de tous les biens de la communauté;
- strangulation financière et intimidation pour forcer les individus à abjurer
leur foi.
On ne peut être plus clair. Cette campagne pour paralyser, démoraliser et intimider
les baha'is a déjà bien avancé et se poursuit actuellement avec une vigueur
et un élan sans cesse accrus.
Le 16 mars 1981, deux membres de l'Assemblée spirituelle locale de Shiraz furent
exécutés. Pour la première fois, le Conseil suprême de la Justice révolutionnaire
déclarait que l'appartenance aux institutions baha'ies était un délit majeur.
Ce qui ouvre la dernière porte de l'holocauste.
La chasse aux baha'is est donc ouverte. L'étau se resserre. Depuis la mise hors
la loi et la dissolution des institutions baha'ies, le 29 août 1983, le nombre
de prisonniers baha'is a effectivement augmenté. Début 1984, il serait de 450.
Il est à noter qu'à chaque fois qu'un baha'i va être renvoyé, pillé, torturé,
brûlé ou fusillé, on Lui offre le salut en lui demandant de renier sa foi. Là,
et uniquement là est le mal!
Les autorités révolutionnaires vont même jusqu'à exiger de la veuve ou des survivants
des martyrs le règlement des frais d'exécution, y compris le coût de la munition
ayant servi à fusiller les défunts.
Y a-t-il un espoir?
Alertés par les baha'is du monde entier, une commission de l'ONU pour les droits
des minorités a passé en septembre 1980 une résolution condamnant la position
des autorités iraniennes pour violation flagrante du droit international en
matière de libertés civiles et religieuses. En septembre 1980 également, puis
en avril 1981, le Parlement européen, réuni à Strasbourg, a condamné par deux
fois sans équivoque les persécutions dont sont l'objet les baha'is et autres
minorités en Iran. En novembre 1981, le Comité des ministres, puis en janvier
1982, l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe condamnaient à nouveau
ces persécutions. En juillet 1983, le Parlement Européen désapprouvait encore
une fois "de tels actes qui relèvent d'un fanatisme inqualifiable".
Plusieurs parlements ou députés de nations les plus diverses (Canada, Australie,
France, Pays-Bas, Inde, etc) se sont aussi élevés contre les persécutions des
baha'is en Iran. En mai 1983; le président Reagan lui même demande aux chefs
d'Etat d'intervenir auprès du gouvernement iranien pour arrêter ces exécutions
insensées.
En mars 1983, la Commission des Droits de l'Homme des Nations Unies exprime
enfin sa "profonde" préoccupation et demande le respect et la garantie du droit
des baha'is lors de sa 40e session.
Dans de nombreux pays, la Foi baha'ie et les persécutions actuelles en Iran
sont devenues l'objet de reportages détaillés dans la presse et les autres médias.
Malheureusement, les autorités iraniennes font non seulement la sourde oreille
à tous ces appels, mais ils nient purement et simplement les évidences. Quant
aux opposants du régime en exil, ils ne s'intéressent pas à cette partie de
leur peuple que l'on égorge. Il ne faudrait toutefois pas croire que les persécutions
des baha'is sont l'apanage de l'Iran. Il n'est pas question ici de dresser un
bilan de tous les torts infligés aux baha'is à travers le monde, mais il est
bon de ne pas oublier, par exemple, le procès de Nador en 1962 au Maroc, où
cinq personnes furent condamnées à mort pour leur appartenance à la Foi baha'ie.
Dans ses mémoires (Publie chez Albin Michel), le souverain de ce pays écrit
notamment que la constitution du Maroc garantit la liberté de religion, que
la religion de l'Etat est l'islam, et que la liberté de religion ne veut pas
dire n'importe quoi et surtout pas la secte des bahayyins (baha'is).
Dans les années trente, en Russie, la révolution bolchevique, qui s'attaquait
à toutes les religions, n'épargna pas les baha'is. Leur temple d'Ishqabad, le
premier jamais construit, fut confisqué. Sous Staline, la communauté fut déportée.
L'Allemagne nazie les pourchassa sans pitié, brûlant leurs livres. Mais ce sont
les pays d'obédience musulmane qui se sont toujours dressés comme les ennemis
les plus féroces de cette foi moderne. J'ai moi-même rencontre en Tanzanie une
jeune Irakienne traumatisée par le moindre bruit la nuit, souvenir des descentes
de police at home. Elle m'expliquait comment on pendait ses coreligionnaires
au plafond pour leur casser les tibias à coup de bambou en le faisant tourner.
En Egypte, à Alexandrie, j'ai pu visiter en 1973 une famille de baha'is qui
venait juste de faire six mois de prison pour leur croyance. Et j'ai rencontré
un autre ami, corpulent comme Nasser, qui avait du mal à marcher pour avoir
été bastonné sous les pieds.
La liste serait longue, mais que reproche-t-on aux baha'is? Sous quelles allégations
le tribunaux révolutionnaires islamique les expédient-ils devant le pelotons
d'exécution?
1. Ils sont accusés d'être d'anciens supporters du Shah, d'avoir collaboré avec
lui et d'avoir bénéficié de son régime. Bien que certains baha'is, en raison
de leurs capacités et de leur intégrité, aient été nommés par l'ancien gouvernement
à de postes importants dans de domaine tels que la médecine, la gestion et l'administration,
la communauté baha'ie elle-même fut continuellement et systématiquement persécutée
pendant toute la durée du régime Pahlavi. Des mesures répressives prises à l'origine
par Reza Shah, puis intensifiées par son fils (le Shah déchu) et mises à exécution
par leurs gouvernements successifs au moyen de lois et décrets ministériels
discriminatoires, ainsi qu'à l'aide de divers organismes gouvernementaux, tels
que la Savak, ont privé les baha'is de leurs droits humains les plus fondamentaux
et les ont réduits aux rang de citoyens de deuxième classe. Ces mesures, comme
nous l'avons mentionné plus haut, ont donné libre cours aux violentes attaques
des éléments fanatiques du pays au détriment de la vie et des possessions des
baha'is
2. Ils sont accusés d'être une organisation politique opposée au gouvernement
actuel. Dire que certains hommes politiques iraniens, tels que l'ex-premier
ministre Hoveyda, seraient baha'i est absolument faux. Aucun homme politique,
en Iran ou ailleurs n'est ni peut être baha'i pour la simple raison qu'il est
interdit à tout membre de la communauté, sous peine d'exclusion (Ce qui se produisit
une fois sous le Shah), de faire de la politique ou même simplement de s'inscrire
à un parti. A tel point qu'en 1975 ils refusèrent d'adhérer au parti Rastakhiz,
le parti unique rendu obligatoire par Mohammad Reza Pahlavi malgré les menaces
et une pression énorme. Plus récemment, la communauté baha'ie, toujours fidèle
à son principe de non-engagement politique, a refusé de voter à l'occasion du
référendum national au sujet de la formation d'une république islamique, ce
qui lui valut une hostilité accrue. Ainsi, l'allégation que les baha'is constituent
une organisation politique (raison de leur exclusion de la nouvelle constitution)
et non une minorité religieuse n'est confirmée d'aucune façon, ni par les faits
ni par des conclusions hâtives qu'on aimerait tirer des principes et pratiques
de cette foi.
3. Ils sont accusés de collaboration avec la Savak. Piètre accusation; La Savak
était, tout au long du régime Pahlavi, l'un des principaux instruments de l'oppression
dirigée contre 1es baha'is! Il était courant de voir les membres de la Savak
ou autres organisations de la sûreté brutaliser des particuliers baha'is. Il
n'existe aucune preuve formelle de collaboration entre la Savak, dont les activités
étaient contraires aux principes 1es plus fondamentaux de la Foi baha'ie, et
la communauté ou des particuliers baha'is.
4. Ils sont accusés d'être des ennemis de l'islam, Alors que les musulmans croient
que la révélation divine s'est terminée avec Mahomet, la Foi baha'ie enseigne
que la révélation est continuelle et progressive, et que Baha'u'llah est le
plus récent, mais non le dernier, des éducateurs divins pour guider l'humanité.
La Foi baha'ie est la seule religion mondiale indépendante qui, à part l'islam
même, reconnaisse Mahomet comme un prophète de Dieu et le Coran comme un livre
divinement révélé. S'opposer à l'islam, le déprécier ou essayer de le détruire
équivaudrait pour un baha'i à rejeter ses propres enseignements. Ce sont ses
lois sociales modernes ainsi que ses pratiques religieuses épurées qui servent
à nourrir des accusations gratuites. Les baha'is ne sont pas plus une secte
de l'islam que les chrétiens ne sont une secte du judaïsme. Le 10 mai 1925,
le grand Mufti de la cour d'appel religieuse de Beba en Egypte rendit le verdict
suivant; "La foi baha'ie est une nouvelle religion, entièrement indépendante,
avec des croyances, des principes et des lois qui lui sont propres, qui sont
différents de ceux de l'islam. Par conséquent, un baha'i ne peut être considéré
comme un musulman et vice versa".
5. Ils sont accusés d'être des agents du sionisme et d'avoir partie liée avec
Israël. Afin de soutenir cette allégation, on donne comme prétexte que le centre
mondial baha'i se trouve en Israël, que de nombreux baha'is visitent ce pays
et y envoient des fonds. Est-il besoin de rappeler que Baha'u'llah y fut exile
contre son gré en 1868 et y mourut cinquante-six ans avant la fondation de l'Etat
hébreu. Juifs, chrétiens et musulmans considèrent aussi cette région comme Terre
sainte, et, tout comme les baha'is, y possèdent des lieux de pèlerinage.
6. Ils sont accusés de prostitution, d'immoralité et d adultère. C'est une tradition
séculaire en Perse que d'accuser les minorités religieuses menaçant la religion
majoritaire d'immoralité, de mettre les femmes en commun et de similaires dépravations.
Ces accusations ont été portées contre les Mazdakites au Ve siècle et plus tard
contre les Isma'ilis au XIIe. Etonnante accusation pour qui connaît les idéaux
baha'is. Elle vient d'une part du fait qu'il n'y a pas de ségrégation dans les
réunions baha'ies, suite au principe d'égalité entre l'homme et la femme, et
de l'autre parce que, le mariage baha'i n'étant pas reconnu légalement et que
le civil n'existant pas, le présent régime assimile la vie des baha'is à de
la prostitution. En réalité, les lois baha'ies relatives à la chasteté et a
la fidélité dans le mariage exigent des moeurs élevées.
Dans une nation où tout le système administratif est basé sur la loi religieuse,
les membres d'une minorité religieuse non reconnue vivent de fait constamment
dans l'illégalité. Amère ironie du sort que les baha'is iraniens soient dépeints
comme des ennemis du gouvernement et du peuple d'Iran, alors que le concept
même d'inimitié est totalement étranger a leur foi qui reconnaît l'unité du
genre humain et a pour but principal d'unir peuples et nations. Les baha'is
iraniens aiment leur pays et le vénèrent comme étant le berceau de leur foi.
Ils forment une communauté de caractère paisible dont la foi exige qu'ils fassent
preuve dans leurs rapports avec autrui d'amour de compassion de justice, de
tolérance de miséricorde et de pardon et s'abstiennent de toute violence, propos
grossiers et critiques, et traitent tous les hommes en frères.
En réalité, je témoigne que le peuple iranien dans sa grande majorité, n'a aucune
idée des enseignements purs et cristallins de Baha'u'llah. Dans son ignorance,
il se laisse berner par les "sornettes" d'un clergé rétrograde, jaloux et vindicatif,
dont la rengaine diffamatoire n'est que pure calomnie. Il lui est d'ailleurs
trop tard pour étouffer cette cause triomphante qui a déjà gagné les confins
de la terre.