La révélation de Baha'u'llah
Volume 1
Baghdad 1853-1863

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10. LE KITAB-I-IQAN

a) Circonstances de sa révélation


Parmi tous les Écrits de Baha'u'llah, et à l'exception du Kitab-i-Aqdas (Le Livre le plus saint) le Kitab-i-Iqan (Le Livre de la certitude) est celui qui a le plus d'importance. Il a été révélé à Bagdad, en l'honneur de Haji Mirza Siyyid Muhammad, l'oncle maternel du Bab, à peu près deux ans avant sa déclaration.

Le Bab avait trois oncles maternels. Le premier à accepter sa foi fut Haji Mirza Siyyid 'Ali appelé Khal-i-À'zam (le plus grand oncle). C'était lui qui s'était occupé du Bab, et qui après le décès de son père avait eu la responsabilité de l'élever.

Haji Mirza Siyyid 'Ali était conscient des qualités spirituelles et des pouvoirs surhumains que manifestait son neveu dès son plus jeune âge. Il reconnut sans hésiter le rang du Bab et devint un croyant fidèle dès qu'il connut ses revendications. En effet, après les Lettres du Vivant, il est la première personne de Chiraz à reconnaître l'origine divine du message du Bab. À partir de ce moment, il consacra sa vie tout entière à la promotion de la Foi nouveau-née et à la protection du jeune Fondateur. Quelques mois avant le martyre du Bab, il fut arrêté et publiquement martyrisé après avoir refusé de renier sa foi. Il est l'un des sept martyrs de Téhéran.

L'aîné des oncles, Haji Mirza Siyyid Muhammad, bien que très conscient des qualités extraordinaires de son neveu, ne se convertit pas à la Foi, jusqu'à ce qu'il rencontrât Baha'u'llah à Bagdad et reçût, le Kitab-i-Iqan, en réponse à ses questions. Le troisième oncle était Haji Mirza Hasan-'Ali.

Pendant quelques années Haji Mirza Siyyid Muhammad mena, loin de chez lui, à Bushihr ses affaires de marchand, en collaboration avec son frère Haji Mirza Siyyid 'Ali et son neveu le Bab. Lorsque ces deux derniers partirent pour Chiraz, il continua à travailler seul et il vivait toujours à Bushihr lorsque le Bab déclara sa mission à ses premiers disciples. Plus tard, lorsque le Bab accomplit son pèlerinage à La Mecque, il voyagea en passant par Bushihr où il demeura chez Haji Mirza Siyyid Muhammad. Il y retourna, quelques mois plus tard, lors de son voyage de retour à Chiraz. C'est pendant ce séjour que Haji Mirza Siyyid Muhammad fut témoin de la transformation de l'esprit du Bab ; il écrivit à ce sujet à sa propre mère et à sa soeur (la mère du Bab), en ces termes:

"… Son Éminence Jinab-i-Haji (*) est arrivé sans problème et je suis heureux de passer mon temps en sa présence. Il serait recommandable qu'il resta à Bushir pendant quelque temps. Mais soyez assurées qu'il partira bientôt pour rentrer à la maison… En vérité, cette âme généreuse est source de félicité pour les peuples de ce monde et du monde futur. Il nous apporte l'honneur à tous… (1)"
(*) Nota: Le Bab avait le titre de Haji à cause de son pèlerinage à la Mecque.

Pourtant, malgré ces remarques et son admiration à toute épreuve et son respect du Bab, pendant de longues années, Haji Mirza Siyyid Muhammad ne reconnut pas le rang du Bab et ne s'engagea pas dans sa cause.

Pendant ce temps, les martyres du Bab et de son illustre oncle en 1850 apportèrent tristesse et indignation à tous les membres de la famille. La mère du Bab, Fanimih-Bagum, ne supportant plus de vivre dans sa maison de Chiraz, alla s'établir à Karbila dans le lointain Irak, pour pouvoir ainsi être près du Tombeau de l'Imam Husayn. Elle demeura ignorante de la signification du message du Bab, jusqu'à ce que, après son incarcération dans le Siyah-Chal, Baha'u'llah arrivant en Irak prit contact avec elle. Ce fut Baha'u'llah qui organisa une visite avec l'un des premiers disciples éminents du Bab, Haji Siyyid Javad-i-Karbila'i (*), accompagné d'une croyante dévouée, la femme d'un certain Shaykh 'Abdu'l-Majid-i-Shirazi, pour lui démontrer la vérité de la mission de son illustre fils. Ce contact, établit par Baha'u'llah, apporta une merveilleuse réponse. L'âme de la mère du Bab fut vivifiée et la gloire de la nouvelle Foi de Dieu qu'il avait fondée, se dévoila à ses yeux. Plus tard, elle reconnut le rang de Baha'u'llah, embrassa sa Foi et resta ferme jusqu'à la fin de ses jours.

(*) Nota: un prêtre éminent d'un grand savoir qui devint un disciple dévoué du Bab la première année de sa déclaration et plus tard reconnut le rang de Baha'u'llah et embrassa sa Foi. (voir Nabil-i-A'zam, La Chronique de Nabil).

Bien que plusieurs des parents du Bab, y compris sa femme, aient accepté la foi durant les premiers jours de son ministère, et que des milliers de ses disciples aient donné leur vie dans son sentier, pourtant Haji Mirza Siyyid Muhammad n'était pas tout à fait convaincu que le Bab, son propre neveu, puisse être le Promis de l'islam. Plusieurs croyants essayèrent de dissiper ses doutes, mais, malgré tous leurs efforts, ils n'y arrivèrent pas. Haji Mirza Habibu'llah, un Afnan qui était l'un des gardiens de la maison du Bab à Chiraz, a rapporté le récit suivant de son père, Aqa Mirza Nuru'd-Din, disciple du Bab, au sujet d'une série de discussions qu'il avait eues avec Haji Mirza Siyyid Muhammad. Ces discussions semblent avoir été le tournant de la vie spirituelle de l'oncle du Bab.

"… Durant nos premières discussions, Haji Mirza Siyyid Muhammad gardait une attitude négative et rejetait toute preuve ou argument que j'avançais. Ces discussions durèrent pendant plusieurs réunions. Une fois, j'étais en train de lui parler avec une grande ferveur et conviction de la Foi, quand il se tourna vers moi avec stupéfaction et s'exclama: "Êtes-vous en train de me dire que mon neveu est le Qa'im Promis ?" Lorsque je lui réaffirmais ma conviction qu'il l'était bien, Haji Mirza Siyyid Muhammad devint perplexe et exprima l'opinion que ceci était vraiment très étrange. Il commença alors à méditer et à se perdre dans ses pensées. Le voyant dans cette humeur pensive, je ne pouvais m'empêcher de rire. Il me demanda ce qui me faisait rire mais comme cela pouvait avoir de mauvaises conséquences sur lui, j'étais peu enclin à le lui dire. Mais il insista, alors je lui dis: Votre idée que votre neveu ne peut pas être le Qa'im promis, est semblable à l'objection que faisait Abu-Lahab [nota: Un oncle de Muhammad qui refusait de reconnaître son prophétisme et qui lui était hostile]. Il dit: "comment serait-il possible que mon neveu devienne un prophète ?" Muhammad était le vrai prophète de Dieu. Maintenant il vous appartient de rechercher le bien-fondé de cette Cause. Vous devriez être très fier que le Soleil de vérité se soit levé dans votre famille et que sa lumière ait rayonné de votre maison. Ne vous en détournez pas et ne soyez pas surpris. Car Dieu peut très bien faire que votre neveu soit le Promis de l'islam. Soyez assuré que les mains de Dieu ne sont jamais enchaînées."
Haji Mirza Siyyid Muhammad fut très ému par ses paroles. Il dit: "Ceci est une réponse irréfutable. Qu'allons-nous faire maintenant ?" Je lui suggérais d'aller en pèlerinage aux saints Tombeaux de l'islam (*) en Irak, où il pourrait en même temps rendre visite à sa soeur (la mère du Bab) qui y vivait depuis le martyre de son fils, puis aller à Bagdad rendre visite à Baha'u'llah, lui poser des questions concernant le Bab et lui expliquer ses difficultés. Je lui conseillai de persévérer dans sa recherche et de faire confiance à Dieu. J'exprimai l'espoir que les voiles qui l'empêchaient maintenant de voir la vérité soient ôtés de ses yeux et qu'il puisse accéder à la vraie foi de Dieu… Il approuva ma suggestion et me dit qu'il sentait dans son coeur que c'était le bon chemin à suivre.

(*) Nota: Certains Imams de l'islam chiite, y compris l'Imam Husayn, sont enterrés à Karbila, Najaf, Kazimayn et Samarra.

Sur ce, Haji Mirza Siyyid Muhammad écrivit une lettre à son plus jeune frère Haji Mirza Hasan-'Ali, qui était marchand à Yazd, l'informa de ses projets de rendre visite aux Tombeaux et à leur soeur, et l'invita à se joindre à lui dans ce voyage. Haji Mirza Hasan-'Ali accepta et demanda à son frère de l'attendre jusqu'à ce qu'il le rejoigne à Chiraz… Ils voyagèrent tous deux jusqu'en Irak via Bushihr. Cependant, Haji Mirza Siyyid Muhammad ne révéla à son frère qu'à leur arrivée à Bagdad, la véritable raison de son voyage. Là, il l'informa que le principal objectif de leur voyage en Irak était de rechercher l'authenticité de la Foi, et puis de visiter les Tombeaux et la mère du Bab. Il invita son frère à rester à Bagdad pendant une courte période de façon à pouvoir tous deux se trouver en présence de Baha'u'llah et ensuite continuer vers les Tombeaux.
Entendant cela, Haji Mirza Hasan-'Ali se fâcha et bien que plus jeune en âge, parla très rudement à son frère. Il le prévint qu'en aucun cas, il ne s'associerait à lui dans cette affaire et qu'il ne désirait pas entendre parler de foi. Il quitta Bagdad le jour même. (2)"

Après cette discussion, Haji Mirza Siyyid Muhammad décida d'accompagner son frère aux Tombeaux. Et c'est à son retour à Bagdad qu'il fut amené à la maison de Baha'u'llah où seul, il accéda en sa présence. Ceci se passait en 1278 AH (1862).

Le secrétaire de Baha'u'llah, Mirza Aqa Jan décrivit les circonstances qui ont amené à la révélation du Kitab-i-Iqan, dans une épître [nota: Voir chapitre concernant les épîtres rapportées par Mirza Aqa Jan] adressée à Shaykh 'Abdu'l-Majid-i-Shirazi. Il raconte qu'un jour Haji Siyyid Javad-i-Karbila'i alla voir Baha'u'llah et l'informa que les deux oncles du Bab qui avaient visité les saints Tombeaux de Najaf et de Karbila étaient maintenant à Bagdad et rentreraient bientôt chez eux. S'étant assuré auprès de Haji Siyyid Javad qu'il ne leur avait pas parlé de la Foi, Baha'u'llah le réprimanda affectueusement de ne pas s'être engagé dans le travail d'enseignement de la Cause. Puis, il lui donna l'ordre d'inviter les deux frères de venir en sa présence.

Le jour suivant Haji Siyyid Javad arriva avec l'oncle du Bab, Haji Mirza Siyyid Muhammad. Le plus jeune frère ne vint pas. Les paroles de Baha'u'llah élevèrent et submergèrent l'oncle du Bab tandis qu'il s'asseyait devant lui. Finalement, il supplia Baha'u'llah de clarifier la vérité du message du Bab en gardant à l'esprit que, de son point de vue, certaines des traditions de l'islam concernant le Qa'im promis, n'étaient apparemment pas remplies par son neveu. Ce à quoi Baha'u'llah consentit sans hésitation. Il lui ordonna de retourner chez lui, et après avoir mûrement réfléchi, de faire une liste de toutes les questions qui l'avaient intrigué et de toutes les traditions qui avaient nourri le doute dans son esprit et ensuite de les lui apporter.

Le jour suivant Haji Mirza Siyyid Muhammad arriva avec ses questions. En l'espace de deux jours et deux nuits le Kitab-i-Iqan, une longue épître (plus de deux cents pages) traitant de toutes ces questions, fut révélée par Baha'u'llah. Au début ce livre était appelé Risaliy-i-Khal (Épître à l'oncle) mais par la suite Baha'u'llah le désigna comme le Kitab-i-Iqan.

Dans les papiers préservés par la famille Afnan se trouve la liste de questions présentées à Baha'u'llah. Elles sont sur deux feuilles de papier, écrites de sa propre main et sous quatre titres, chacun parlant de la venue du Qa'im promis. La sincérité de l'oncle du Bab cherchant à connaître la vérité est évidente dans ses questions. À plusieurs fois, il supplie Baha'u'llah de dissiper ses doutes afin que son coeur puisse être assuré et qu'il puisse acquérir une foi absolue et la certitude de la Cause du Bab.

Haji Mirza Siyyid Muhammad fut si touché par sa rencontre avec Baha'u'llah qu'immédiatement il écrivit une lettre à son fils Haji Mirza Muhammad-Taqi, dans laquelle il disait:

"… Je suis allé en présence de son honneur Baha (que la paix soit sur lui) et j'aurais aimé que vous soyez présent ! Il m'a traité avec la plus grande affection et faveur et gracieusement m'a demandé de rester la nuit. C'est une vérité absolue qu'être privé de sa présence généreuse est une perte douloureuse. Puisse Dieu m'accorder le privilège d'accéder éternellement en sa présence… (3)"

Le Kitab-i-Iqan dissipa tous les doutes que Haji Mirza Siyyid Muhammad avait nourris dans sa tête. La lecture de ce livre eut pour résultat de lui faire atteindre l'état de certitude et de reconnaître le rang du Bab. Dans son testament, écrit quelques années plus tard, il déclara sa foi, reconnut l'authenticité des messages du Bab et de Baha'u'llah et se déclara un disciple de ces deux Manifestations de Dieu.

Quant au plus jeune oncle du Bab, Haji Mirza Siyyid Hasan-'Ali, il retourna à Yazd sans avoir rencontré Baha'u'llah. Quelques années plus tard cependant, grâce aux efforts dévoués de la femme de son frère, il accepta aussi la Foi et resta ferme tout au long de sa vie.

En vérité, toute la famille du Bab, y compris sa mère, sa femme, ses oncles et leurs enfants (dénommés Afnan) embrassa la Foi. En fait, ceci avait été prophétisé par le Bab lui-même, car il avait dit que Dieu dans sa bonté guiderait toute sa famille à reconnaître la vérité de sa Cause.

La copie originale du Kitab-i-Iqan que Haji Mirza Siyyid Muhammad avait reçu, fut transcrite par Abdu'l-Baha qui avait alors dix-huit ans. Dans la marge de quelques pages, Baha'u'llah de sa propre main avait fait quelques corrections et vers la fin du livre écrivit ce passage:

"Avec la plus entière soumission, j'ai placé ma vie dans ma main, afin que, par la miséricorde divine, cette lettre manifeste [nota: Baha'u'llah] et révélée soit sacrifiée dans le chemin du Premier Point [nota: Le Bab] et du Verbe sublime ! Si tel n'était pas mon voeu, par celui qui manifeste l'Esprit, je ne resterais pas une seconde de plus dans cette ville ! Et le témoignage divin me suffit. (4)"

Pendant de nombreuses années, la copie originale du Kitab-i-Iqan demeura auprès de la famille de Haji Mirza Siyid Muhammad, jusqu'à ce qu'en 1948 son arrière petite-fille Fanimih Khanum-i-Afnan l'offrit à Shoghi Effendi, le Gardien de la Foi. Elle lui parvint quelques années plus tard et fut placée dans le bâtiment des Archives internationales baha'ies sur le Mont Carmel à Haïfa [nota: Voir GIACHERY, Shoghi Effendi Recollections p.149 pour une description de cet heureux événement].


b) L'importance du Kitab-i-Iqan

Nous pouvons peut-être dire que le Kitab-i-Iqan fut plus diffusé parmi les premiers croyants en Perse que n'importe quel autre écrit de Baha'u'llah. À cette époque, le seul moyen de rendre les Écrits saints disponibles auprès des amis, était de les transcrire. Au fur et à mesure que les nouvelles épîtres arrivaient, les croyants étaient désireux d'en faire faire des copies pour eux-mêmes. Des copies de plusieurs de ces épîtres étaient souvent rassemblées et reliées comme un livre. Il y a beaucoup de volumes de cette sorte comprenant des compilations des épîtres du Bab, de Baha'u'llah et de 'Abdu'l-Baha, en possession des familles bahai'es qui les ont hérités de leurs ancêtres et qui leur sont très précieux.

Il y avait aussi des gens en Perse dont l'occupation à plein temps était de transcrire les Écrits, et les croyants obtenaient habituellement leurs copies chez eux. Le Kitab-i-Iqan fut l'un de ces titres qui occupa ces gens pendant de nombreuses années afin de pourvoir à la demande.

Du point de vue littéraire, le Kitab-i-Iqan peut être considéré comme une oeuvre de la littérature persane hors du commun. Shoghi Efendi, le Gardien de la Foi, qui traduisit magnifiquement ce livre en anglais, le décrit en ces termes:

"Le Kitab-i-Iqan se range au premier rang des trésors inestimables jetés par les vagues de l'océan tumultueux de la révélation de Baha'u'llah … Modèle de prose persane au style tout à fait original, châtié, vigoureux et remarquablement clair, aux arguments convaincants, sans pareil par son irrésistible éloquence, ce livre, traçant les lignes générales du grand plan de rédemption de Dieu, occupe une position sans égale dans l'ensemble de la littérature baha'ie, à l'exception du Kitab-i-Aqdas, le Très-Saint-Livre de Baha'u'llah. (5)"

Jusqu'à la révélation du Kitab-i-Iqan, la signification des missions de tous les prophètes de Dieu, le but de leur révélation et le véritable sens de leur Verbe n'avaient pas été divulgués. Avec la révélation de ce livre, la signification des paroles, qui d'après Daniel, devaient "rester scellées jusqu'au temps de la fin" (6) devint apparente. Le "sceau" que pendant des milliers d'années la providence avait placé sur les Livres saints de toutes les religions avait été ôté.

Le Kitab-i-Iqan est le meilleur exemple de la façon d'enseigner la cause de Dieu. Au lieu de donner immédiatement les preuves de l'authenticité du message du Bab, Baha'u'llah parle tout d'abord des autres prophètes, fait le portrait de leurs vies et de leurs souffrances, démontre la vérité de leurs missions et décrit les traits communs de leur Foi. Par ce moyen, il fait jaillir chez le lecteur la compréhension de la vérité de sa propre religion lui permettant ainsi de reconnaître la réalité de son propre prophète. Alors, vers la fin du livre, ayant construit cette base solide, il parle du Bab et de son message et applique à cette nouvelle révélation les normes qu'il a appliquées pour vérifier l'authenticité des autres prophètes.

Étant donné que toutes les Manifestations de Dieu tirent leur autorité de la même Source, il est donc possible de reconnaître la dernière Manifestation si l'on connaît les qualités et attributs de celui qui est apparu dans une époque précédente.

Il est pourtant enseigné à la plus grande majorité des disciples des religions du monde de croire uniquement en un seul messager de Dieu. Bien que sincères dans leur croyance que leur religion est véritable et d'origine divine, ils n'ont souvent pas reconnu la réalité de leur propre prophète. Il y a beaucoup de différences entre avoir connaissance d'une religion et connaître la réalité du fondateur de sa foi. Par exemple, un homme peut posséder une pièce d'or et savoir qu'elle est précieuse et pourtant ne pas pouvoir distinguer l'or du cuivre. Un tel homme ne pourra pas reconnaître une nouvelle pièce d'or lorsqu'il la verra.

Telle est la condition de l'homme aujourd'hui. Mais si quelqu'un reconnaît la réalité du fondateur de sa propre religion, il n'aura aucune difficulté à accepter Baha'u'llah comme la Manifestation de Dieu pour cette époque.

Le Kitab-i-Iqan a permis à un grand nombre de personnes, d'horizons différents de comprendre la vérité de leur propre religion, premier pas vers la croyance en Baha'u'llah. Ce livre a projeté une grande lumière sur les Livres saints des révélations passées. Il a dévoilé le schéma et révélé la signification de la révélation progressive. Il a posé une fondation durable pour l'unité finale de toutes les religions du passé. Il a servi comme une clef avec laquelle les disciples de Baha'u'llah ont ouvert les portes de connaissances jusqu'à là inconnues à l'homme. Il est devenu une source d'inspiration pour les érudits baha'is et les enseignants qui depuis ont écrit des volumes prouvant l'authenticité du message de Baha'u'llah par des preuves rationnelles et intellectuelles ou par l'interprétation des Écritures saintes du passé. En effet, ce livre a donné une nouvelle vision aux baha'is leur permettant de dévoiler les mystères de la religion et d'enseigner leur Foi avec une plus grande perspicacité et une plus grande connaissance.


c) Thèmes principaux du Kitab-i-Iqan (première partie)

La première chose à laquelle nous devons penser lorsque nous étudions le Kitab-i-Iqan est le fait que Baha'u'llah écrivit ce livre pour un homme d'origine musulmane ; les passages qu'il cite proviennent souvent du Coran. Dans les paragraphes d'ouverture Baha'u'llah a rendu la reconnaissance de la vérité conditionnelle au détachement de l'homme des choses de ce monde. Un point qu'il accentue à travers tout le livre. Voici ces paroles:

"Nul ne peut atteindre les rives de l'océan de la vraie compréhension s'il n'est détaché de tout ce qui existe au ciel et sur la terre…
Ces paroles signifient que ceux qui marchent dans le chemin de la foi, ceux qui ont soif du vin de la certitude, doivent se laver de tout ce qui est terrestre, c'est-à-dire détourner leurs oreilles des paroles oiseuses, leurs pensées des imaginations vaines, leurs coeurs des attachements terrestres et leurs yeux de la vue des choses périssables. Ils doivent mettre leur confiance en Dieu et, lui restant fidèles, suivre son sentier. C'est alors qu'ils deviendront dignes des gloires resplendissantes du soleil de la connaissance et du savoir divin et bénéficieront d'une grâce invisible et infinie… (7)"

* Raisons pour lesquelles l'homme s'oppose aux prophètes de Dieu

Dans la première partie du Kitab-i-Iqan, Baha'u'llah s'étend sur l'histoire des prophètes du passé et explique les principales raisons pour lesquelles l'homme s'oppose à eux. En comprenant ces raisons, l'on peut être amené à reconnaître la vérité de la cause de Dieu pour ce jour. Il attache une telle importance à ce thème, qu'il y consacre une partie considérable du livre.

Après avoir décrit certaines des cruautés et des outrages qui furent accumulés sur certains prophètes du passé, Baha'u'llah fait remarquer:

"Réfléchis à ces événements: Pourquoi tant de contestations et de conflits, tant de luttes et de tumulte, tant de tyrannie et de bouleversements se produisent-ils à l'avènement de chaque Manifestation de Dieu ? Et ce, bien que tous les prophètes de Dieu, lors de leur manifestation aux peuples du monde ont invariablement prédit la venue d'un autre prophète après eux, indiquant les signes qui annonceraient l'avènement de la future loi, ainsi qu'en témoignent toutes les Écritures. Bien qu'on recherchât et qu'on attendît les manifestations de sainteté, et en dépit des signes inscrits dans les livres saints, pourquoi en chaque âge, tous les prophètes et élus de Dieu eurent-ils à subir de tels actes de violence, d'oppression et de cruauté ? (8)"

Baha'u'llah énumère alors différentes causes du rejet de la Manifestation de Dieu par l'homme. Tout d'abord on trouve le fait qu'à chaque époque, les masses ont toujours suivi aveuglément leur clergé qui pour la plupart se sont aussi opposés au nouveau prophète de Dieu. En ce qui concerne les chefs religieux, Baha'u'llah écrit:

"De tout temps les chefs religieux ont tenu les peuples sous leur joug et les ont détournés des rivages du salut éternel, les uns par amour du pouvoir, les autres par ignorance. C'est à cause d'eux que tous les prophètes de Dieu ont bu la coupe du sacrifice et se sont envolés au plus haut horizon de gloire. Combien de cruautés indicibles, les gouvernants et les prêtres de chaque âge ont-ils fait subir à ces rois du monde, ces gemmes de vertu divine ! lls ont été détournés des possessions immortelles par leurs biens terrestres et périssables. (9)"

Plus loin dans le livre, Baha'u'llah condamne les prêtres pour leur ignorance et leur manque de discernement:

"Parmi ces… il faut compter les prêtres et les docteurs du temps de la Manifestation de Dieu qui, manquant de compréhension, et tout à leur amour du pouvoir matériel, ne se rendent pas à la Cause de Dieu. Non seulement ils n'entendent pas la voix divine, mais "ils se bouchent les oreilles" [nota: Coran II.19]. Et les hommes, les prenant pour guides, au lieu de Dieu, attendent d'être repoussés ou acceptés par ces bonzes entêtés; ils n'ont ni oreilles, ni yeux, ni coeur pour reconnaître le vrai du faux ! (10)"

Une autre cause du refus de l'homme à accepter le nouveau messager est que celui-ci apporte de nouveaux enseignements, abroge les lois du passé et établit un ordre nouveau. Ce changement radical contrarie les chefs religieux, car ils voient ce nouveau messager comme un défi à leur autorité et de toute leur force se lèvent pour lui faire opposition.

Une autre raison pour rejeter le nouveau prophète est que des signes pour l'avènement de la prochaine Manifestation de Dieu sont donnés dans chaque religion. Comme l'homme s'attend à voir la réalisation littérale de ces signes et qu'il n'a pas véritablement compris leur signification exacte, il est incapable de reconnaître le nouveau messager de Dieu.

* Les signes du retour du Christ

Pour élucider ce point, Baha'u'llah consacre non moins de soixante-dix pages à l'interprétation d'un passage des Évangiles qui donne les signes du retour du Christ [nota: Matthieu XXIV 29-31]. Ce faisant il effleure plusieurs autres sujets.

Concernant les signes de la venue du Christ, il révèle:

"Les disciples du Christ lui demandèrent ensuite quels étaient les signes du retour de sa Manifestation, et dans quel temps il aurait lieu. Ils le questionnèrent plusieurs fois et, à chaque fois, cette beauté incomparable répondit en leur indiquant un signe particulier qui annoncerait l'avènement de la dispensation promise, ainsi qu'il est écrit dans les quatre Evangiles.
Celui qu'on traite injustement va te citer une de ses réponses et, pour l'amour de Dieu, je vais donner aux hommes les bienfaits encore dissimulés dans le trésor de l'arbre sacré et caché, afin que les mortels ne restent pas privés de leur part du fruit immortel.
Peut-être ainsi, et sans que j'en attende la moindre récompense, obtiendront-ils quelques gouttes des eaux de la vie éternelle qui sont offertes à l'humanité depuis le "séjour de paix" de Bagdad.
Et voici la mélodie, chantée avec puissance et majesté, par Jésus, fils de Marie, dans le Ridvan de l'Évangile, révélant les signes qui doivent annoncer l'avènement de la manifestation qui suit. Dans le premier Évangiles de saint Matthieu, on peut lire: "Et aussitôt après l'affliction de ces jours-là, le soleil s'obscurcira, la lune ne donnera pas sa lumière, les étoiles tomberont du ciel, et les puissances seront ébranlées. Alors le signe du Fils de l'homme paraîtra dans le ciel ; alors aussi toutes les tribus de la terre se lamenteront en se frappant la poitrine, et elles verront le Fils de l'homme venir sur les nuées du ciel avec une grande puissance et une grande gloire. Il enverra ses anges avec un grand son de trompette…" [nota: Matthieu cité dans le Kitab-i-Iqan]
Comme les prêtres chrétiens n'ont pas compris le sens de ces paroles, ni leur dessein spécifique, et qu'ils s'en sont tenus à leur sens littéral, ils ont été privés de la grâce jaillissante de la révélation de Muhammad et de ses rafraîchissantes bontés. (11)"

* Interprétations des termes symboliques

Baha'u'llah explique alors plus longuement la signification de ces mots:

"… l'affliction est celle qui résulte du manque de capacité à acquérir la connaissance spirituelle et à comprendre la parole de Dieu. Elle a lieu à la disparition de l'étoile de vérité et des miroirs qui réfléchissent sa lumière, lorsque l'humanité affligée ne sait plus vers qui se tourner… C'est ce qui se voit de nos jours. Les peuples ne sont-ils pas conduits par des ignorants qui les mènent selon leurs caprices ? Dans leur bouche, la mention de Dieu est devenue un mot vide de sens, et sa sainte parole, lettre morte ?… Bien que reconnaissant dans leur coeur l'unité de la loi de Dieu, ils ont tout de même proclamé dans tous les sens de nouveaux ordres et, à chaque saison, de nouveaux décrets. On n'en peut trouver deux qui soient d'accord sur une même loi car ils ne cherchent d'autre Dieu que leur propre désir et ne suivent d'autre voie que la mauvaise… Ils s'efforcent de tout leur possible de protéger leurs occupations insignifiantes de peur que leur autorité soit discréditée ou que l'étalage de leur magnificence soit terni. Si le voile qui recouvre leurs yeux était enlevé à l'aide du collyre du savoir de Dieu, on découvrirait très certainement qu'un grand nombre de bêtes voraces rongent le cadavre des âmes des hommes.
Quelles "afflictions" plus grandes que celles-ci ? Un homme qui veut connaître la vérité et atteindre à la connaissance de Dieu ne sait où aller ni qui interroger, tant les idées et les voies sont nombreuses et contradictoires. Cette "affliction" est la caractéristique essentielle de chaque révélation. Autrement il n'y aurait pas de raison pour que le Soleil de vérité apparût. En effet, l'apparition du matin de la direction divine doit nécessairement suivre l'obscurité de la nuit de l'erreur… (12)"

En ce qui concerne les mots "soleil" et "lune", Baha'u'llah déclare:

"Les mots soleil et lune, mentionnés dans les écrits des prophètes de Dieu, ne s'appliquent pas seulement aux soleil et lune visibles, mais ils ont de nombreuses significations particulières aux cas où ils sont employés. Ainsi, "soleil" signifie en un sens les Soleils de vérité qui se lèvent de l'horizon de l'ancienne gloire et répandent sur le monde une effusion de grâce céleste. Ces soleils de vérité sont les Manifestations universelles de Dieu dans les mondes de ses noms et attributs. Et de même que le soleil visible, ainsi que l'a décrété Dieu, le Vrai, l'Adoré, aide au développement de toutes choses terrestres: aux arbres, aux fruits avec leurs diverses couleurs ; aux minéraux et à tout ce qui existe dans la création ; de même, les arbres de l'unité divine, les fruits de son unicité, les feuilles du détachement, les fleurs de la connaissance et de la certitude, la myrte de la sagesse et de l'explication, apparaissent par leur soins attentifs et l'influence éducative de ces astres divins… C'est grâce à la chaleur de ces soleils divins et aux feux éternels qu'ils allument que la flamme de l'amour de Dieu brûle avec ardeur dans le coeur des hommes…
D'autre part, ces termes s'appliquent aux prêtres de la révélation précédente, qui vivent au temps de la suivante et tiennent fermement en mains les rênes de la religion. Si ces prêtres sont éclairés par la lumière de la révélation suivante, ils seront agréables à Dieu et resplendiront d'une éternelle lumière. S'il en est autrement, on pourra dire qu'ils sont plongés dans l'obscurité, bien que, selon toute apparence, ils soient les guides des hommes, car la foi et l'incroyance, la direction et l'erreur, la félicité et la misère, la lumière et l'obscurité dépendent toutes des décrets de celui qui est l'étoile du matin de la vérité. Quiconque, parmi les prêtres de chaque âge, reçoit la source de la connaissance, aux jours de la reddition des comptes, le témoignage de foi, celui-là reçoit en vérité la science, la faveur divine et de la lumière de la véritable intelligence. Autrement il est marqué du signe de la folie, du reniement, du blasphème et de l'oppression.
Il est évident et manifeste pour chaque observateur de discernement que comme la lumière de l'étoile s'estompe devant l'effusion de la splendeur du soleil, de même le luminaire de la connaissance terrestre, de la sagesse et de la compréhension disparaît dans le néant lorsqu'il est mis face à face avec les gloires resplendissantes du Soleil de vérité, la source de la compréhension divine…
On emploie en troisième lieu les mots soleil, lune et étoiles pour désigner les lois et les commandements qui sont proclamés dans chaque religion, telles les lois de la prière et du jeûne…
… Donc, il est clair et manifeste que, par les mots "le soleil sera obscurci et la lune ne donnera plus sa lumière et les étoiles tomberont du ciel" est sous-entendu l'inconstance des prêtres et l'abrogation des lois fermement établies par la révélation divine, tout ceci ayant été prédit en langage symbolique par la Manifestation de Dieu….
On sait qu'à chaque nouvelle Manifestation, le "soleil" et la "lune" des enseignements, lois, commandements et interdictions, qui avaient brillé dans la précédente révélation, perdent leur éclat et les peuples qui avaient vécu à l'ombre de ces enseignements sont privés de son influence. (13)"

À propos du "signe du Fils de l'Homme dans le ciel", Baha'u'llah affirme que ce signe est rendu manifeste dans le monde visible comme dans le monde invisible. Avant la venue de chaque prophète, non seulement une étoile est apparue dans les cieux, indiquant la naissance d'une nouvelle révélation, mais un héraut a annoncé ces bonnes nouvelles au peuple de cette époque. Par exemple, les devins à l'époque de Moïse mirent en garde le Pharaon:

"Une étoile venait d'apparaître au ciel, signe de la conception d'un homme qui tiendrait en sa main son sort et celui de son peuple. En même temps, ainsi que les Livres nous l'enseignent, un vieillard apportait la Bonne nouvelle consolatrice au peuple d'Israël. (14)"

Avant les jours de la révélation du Christ, des mages allèrent voir Hérode et dirent: "Où est le roi des juifs qui vient de naître ? car nous avons vu son étoile en Orient, et nous sommes venus pour l'adorer" [nota: Matthieu II,2]. C'était le signe apparaissant dans le ciel visible. Cependant l'étoile spirituelle était Jean Baptiste. Il prédit la venue du Christ et prépara le peuple pour sa révélation.

Avant l'avènement de Muhammad, il y eut aussi des événements similaires. Voici les paroles de Baha'u'llah à propos de celui qui fut le héraut du Prophète de l'islam:

"Et dans le ciel spirituel, donnant au peuple la bonne nouvelle de l'apparition de ce soleil d'unité, quatre hommes se succédèrent annonçant sa venue. Ruz-bih (appelé plus tard Salman) fut leur serviteur à tous les quatre, chacun d'eux, au moment de mourir l'ayant envoyé servir l'autre. Quand le quatrième fut sur le point de mourir, il dit: "Oh Ruz-bih, quand tu m'auras enseveli, va en Hijaz où apparaîtra le soleil de Muhammad et soit heureux de le rencontrer" ! (15)"

Et dans cette révélation, avant la déclaration du Bab, ces signes jumeaux apparurent. Baha'u'llah déclare:

La plupart des astronomes ont parlé de l'apparition des étoiles dans le ciel, et sur terre nous avons constaté la venue des deux brillantes lumières, Ahmad et Kazim(*)… (16)
(*) Nota: Shaykh Ahmad-i-Ahsa'i est le fondateur de l'école Shaykhi de l'islam. Il fut suivi par Siyyid Kazim-i-Rashti. Tous deux enseignèrent à leurs disciples que la venue du promis de l'islam était proche et les prépara pour son avènement… La plupart des premiers babis appartenaient à la secte Shaykhi.
À propos des lamentations des "tribus de la terre" et la venue du Fils de l'Homme dans les "nuages du ciel", Baha'u'llah écrit:

"Ce symbole veut dire qu'alors les peuples gémiront d'être privés du soleil de la beauté divine, de la lune du savoir et des étoiles de la sagesse révélée et qu'ensuite cette apparition promise de la beauté adorée descendra du ciel, et chevauchant sur les nuages. En d'autres termes, que cette beauté divine, du ciel de la volonté de Dieu apparaîtra dans la forme humaine ; Le mot ciel se rapporte à la grandeur et à l'élévation apparaissent ces saintes aurores et ces éternels Orients. Si ces êtres éternels semblent venir du sein d'une mère, en réalité ils descendent du ciel des causes, et s'ils habitent sur terre, ils reposent sur le siège spirituel. Lorsqu'ils marchent parmi les hommes, ils volent dans l'atmosphère de la présence divine ; ils circulent sur la terre sans mouvoir leurs pieds ; ils atteignent les hauteurs de l'unité sans le secours des ailes ; ils parcourent en un instant l'immensité de l'espace et traversent instantanément le monde visible et le royaume invisible. (17)"

Quant à la signification de "nuages", Baha'u'llah affirme:

"Ainsi, ces "nuages" obscurcissent le ciel lorsque les commandements sont modifiés, la religion changée, quand les coutumes, les lois sont détruites et que le plus humble des croyants passe avant les docteurs et les prêtres infidèles. De plus, l'apparition de la Beauté éternelle [nota: Baha'u'llah] dans une forme humaine, buvant, mangeant, sujette à la pauvreté ou à la richesse, à la gloire ou à l'humiliation, dormant, veillant, etc., toutes ces choses constituent autant de nuages qui mènent les gens au doute et à la perdition. Et ce sont ces "nuages" qui, dans le ciel d'instruction et de savoir, doivent être dissipés. (18)"

Concernant l'envoi d'"anges", Baha'u'llah explique que ces saintes âmes se sont:

"Les anges sont des hommes qui ont détruit tout ce qui était humain en eux, par le pouvoir spirituel du feu de l'amour de Dieu, et qui se sont parés des attributs des chérubins. (19)"

En interprétant le passage des Évangiles mentionné plus haut, Baha'u'llah élucide plusieurs autres points, jette la lumière sur quelques paroles obscures et cachées des prophètes, cite longuement le Coran et les traditions de l'islam et révèle un large éventail de nouvelles vérités qui étaient restées inconnues et cachées au sein des religions précédentes. Il explique la signification de termes comme "le changement de la terre", le "ciel qui se fend" qui d'après l'islam doit se passer à la dernière heure, le jour de la Résurrection, le jour "où le ciel produira une fumée palpable, qui enveloppera l'humanité" [nota: Coran XLIV 10].

De plus, il affirme:

"…si, dans chaque ère, les signes d'une Manifestation devaient apparaître en ce monde, juste comme il est écrit, il n'y aurait pas de contradicteurs ; et comment alors distinguer les bons des méchants, les pécheurs des justes ? Juge équitablement: Si les paroles qui sont écrites dans l'Évangile se réalisaient matériellement, et si les anges venaient avec Jésus, fils de Marie, sur les nuages du ciel, qui aurait la force de nier, et s'enorgueillir ? Tous les hommes seraient pris d'une telle peur que, loin de vouloir renier ou accepter, ils ne pourraient prononcer une seule parole. (20)"

* Autres raisons qui font que l'homme rejette les prophètes

La raison pour laquelle les gens n'ont pas compris la signification des signes donnés dans les Livres saints est qu'ils ont aveuglément suivi leurs chefs religieux. Baha'u'llah confirme ceci dans le Kitab-i-Iqan en ces mots:

"Ainsi, dans chaque ère, le désaccord et la contradiction se glissent entre les peuples qui passent leur temps à discuter, disant: tels signes ne sont pas venus, tels autres non plus, etc. Ces erreurs ont été les leurs parce qu'ils s'en sont rapportés à leurs prêtres, reniant ces joyaux uniques, ces êtres divins. Quant aux prêtres, enfermés dans leurs basses ambitions et leur avidité sordide, ils ne voyaient dans ces éternels soleils que des adversaires de leur savoir et de leur intelligence, et des obstacles à leurs efforts. Ils expliquaient les paroles divines, celles des Traditions et des Lettres d'unité, dans leur sens matériel. Et ils s'éloignaient sans recours, aussi bien eux que leurs peuples, des ondes de bonté et de merci de Dieu. (21)"

Pour pouvoir comprendre les mystères enchâssés dans la religion de Dieu Baha'u'llah déclare à plusieurs reprises, l'homme doit purifier son coeur de toutes choses terrestres. Voici l'un des passages:

"Si tu purifies le miroir de ton coeur de la poussière de tes préférences injustes, tu comprendras tous les symboles révélés par le Verbe de Dieu manifesté dans chaque religion, et tu sauras les mystères de la sagesse. Mais tant que tu ne consommeras pas par les flammes du détachement absolu les voiles du prétendu savoir humain, tu n'atteindras pas l'aurore éclatante du vrai savoir.
Saches en vérité qu'il y a deux sortes de savoir: le divin et le satanique. L'un coule de la fontaine de l'inspiration divine et l'autre n'est que le reflet de pensées vaines et obscures. La source du premier est Dieu lui-même; la motivation du second sont les murmures des désirs égoïstes. L'un est guidé par le principe: "crains Dieu, il t'instruira", l'autre est une confirmation de cette vérité que "le savoir est le plus grand voile qui nous sépare de Dieu". Les fruits du premier sont la patience, le désir ardent, la vraie compréhension et l'amour ; ceux du second l'arrogance, la vanité et la suffisance. Et dans les explications données par les Envoyés, nul ne risque de respirer les parfums de ce sombre savoir dont l'obscurité étouffe la terre, qui ne produit que rébellion et iniquité et dont les résultats sont la rancune et la haine: ce sont des poisons mortels, et l'ombre des arbres de ce savoir n'est qu'un feu dévorant. (22)"

Un autre facteur important qui a fait obstacle à la reconnaissance des Manifestations de Dieu sont les épreuves qui sont associées à leurs révélations. Dans chaque cas, certains événements dans la vie de la Manifestation ont agi comme l'obstacle principal pour le peuple, les empêchant de reconnaître la vérité. À ce propos, Baha'u'llah a révélé ces paroles:

"Et toutes ces paroles symboliques et énigmatiques qui sont descendues de l'Origine des causes sont destinées à éprouver les peuples, afin de reconnaître les coeurs dont la terre est féconde et ceux dont la terre est stérile ; et c'est une des coutumes de Dieu avec ses peuples, ainsi qu'on le voit dans les Ecritures. (23)"

Il démontre cet important principe en donnant quelques exemples. Parlant de Muhammad qui avait l'habitude de se tourner vers Jérusalem lorsqu'il conduisait la prière avec ses disciples, Baha'u'llah raconte cette histoire où Muhammad soudainement se tourna vers La Sainte Mosquée (La Mecque):

"… Et un jour que Muhammad et quelques-uns de ses disciples étaient en train de faire la prière obligatoire du milieu du jour, et avaient déjà fait deux prosternations, Gabriel [nota: L'ange qui personnifie l'Esprit Saint pour Muhammad] leur apparut et dit: "Tournez-vous vers la plage de l'oratoire sacré."
Et, au milieu de la prière, Muhammad se tourna de Jérusalem vers La Mecque. Alors la crainte et l'effroi s'emparèrent de ses disciples, et beaucoup d'entre eux abandonnèrent la prière et vinrent grossir le nombre des infidèles. Ce trouble n'avait d'autre but que d'éprouver ses serviteurs.… Oui, ces choses qui sèment le trouble sont pour Dieu la pierre de touche par laquelle il distingue et sépare le sincère du menteur. (24)"

Une autre histoire mentionnée par Baha'u'llah en illustration de ce thème, concerne Moïse:

"Considère Moïse, fils d'Imran, qui fut l'un des plus grands prophètes et révéla un livre inspiré de Dieu… il rencontra sur la place publique deux hommes qui se disputaient. L'un d'eux lui demanda de lui venir en aide. Moïse le secourut et tua l'autre…
Pense donc un peu aux épreuves auxquelles Dieu nous soumet ! Un homme connu pour être un assassin, qui avoue son crime, ainsi qu'il est écrit, qui avait été élevé aux yeux de tous pendant environ trente ans dans le palais du Pharaon, c'est cet homme que Dieu choisit pour lui donner le suprême pouvoir ! Et il l'a laissé devenir, au vu et au su de tous, un assassin, causant ainsi étonnement et réprobation parmi les gens. (25)"

L'humanité a également été testée lorsque le Christ est apparu. Mais à cette occasion, les circonstances de sa naissance furent l'épreuve, ainsi que l'explique Baha'u'llah:

"Vois aussi Marie: Cette femme admirable, sous le poids de circonstances prodigieuses, se désolait d'avoir vu le jour, ainsi qu'on peut le comprendre par la lecture des livres saints… Que pouvait-elle répondre au peuple ? Comment lui dire que cet enfant d'un père inconnu lui était venu par l'oeuvre du Saint-Esprit ? Chaste, elle prit son enfant et retourna à la maison… Quelle terrible épreuve ! Néanmoins Dieu fit un prophète de cet enfant de l'Esprit qu'on savait n'avoir pas de père légitime, et fit de lui sa preuve envers tous les peuples du ciel et de la terre. (26)"


d) Thèmes principaux (deuxième partie)

* Nature de Dieu et de ses manifestations

Ayant clairement démontré certaines des raisons qui ont empêché les hommes de reconnaître les Messagers de Dieu, Baha'u'llah commence la deuxième partie du Kitab-i-Iqan avec l'un des passages les plus éclairants qu'il ait révélé, à propos de la nature de la Manifestation et de sa relation avec Dieu et l'homme. Dans les paroles suivantes, il déclare d'une façon très éloquente, que l'homme seul ne pourra jamais connaître son Créateur, mais que par sa bonté Dieu se révèle en chaque époque, à travers un prophète:

"Pour les hommes instruits, au coeur éclairé, il est évident que l'Essence inconnaissable, l'Etre divin, est, à un degré incommensurable, exalté au-dessus de tout attribut humain. Il n'a pas à vivre dans un corps, à monter ni à descendre, à entrer ni à sortir ; il est plus grand que les qualifications de chacun ne peuvent l'exprimer et plus mystérieux que le coeur humain ne peut le saisir. À jamais il a été et sera invisible dans son identité. À jamais Il sera voilé dans son essence éternelle et sera éternellement caché aux yeux des hommes dans sa réalité… Car entre lui et les hommes, il n'y a pas de commune mesure ni aucun terme de comparaison ; on ne peut dire qu'il est loin ni qu'il est près ; rien n'indique sa présence ou son absence. Car tout ce qui est dans les cieux et sur terre n'existe que par son Verbe, et c'est par son désir, qui est la Volonté primordiale, que les êtres, de la non-existence, passent dans le monde de l'existence… Les prophètes, les docteurs, les prêtres, les philosophes et les sages de chaque génération reconnaissent tous qu'ils ne peuvent arriver à connaître cette quintessence de la vérité, et qu'ils sont impuissants à comprendre cette réalité des réalités. (27)"

Le rang et la nature de la Manifestation de Dieu sont exaltés au-dessus du monde de l'humanité. Il est en vérité l'incarnation des attributs de Dieu révélée à l'homme. Il est la source de toutes les énergies spirituelles qui sont relâchées d'âge en âge. De même que le soleil est la source de vie et d'énergie pour cette terre, de même la Manifestation de Dieu est le Soleil de l'humanité. La vie, la croissance et le progrès de l'humanité sont causés par l'apparition de ces Âmes célestes et en dépendent. Baha'u'llah loue le rang des Manifestations de Dieu et révèle une mesure de leur gloire en ces termes:

"Comme les portes sont fermées par lesquelles cette identité réelle serait accessible aux hommes, par la miséricorde infinie de celui dont "la miséricorde englobe tous les êtres" et dont "la merci dépasse toutes choses", les joyaux brillants du monde de l'esprit sont apparus sur cette terre dans le corps noble de l'homme et se sont manifestés à lui, afin qu'il puisse à son tour faire connaître au monde les mystères de cette Identité éternelle et de cette impérissable Essence. Ces saints miroirs, lieux d'apparition de l'ancienne gloire, sont tous, et chacun, les interprètes sur terre de celui qui est l'astre central de l'univers, son essence et son but ultime. Leur savoir est son savoir, leur pouvoir son pouvoir, leur puissance sa puissance, leur beauté sa beauté, leur Révélation un signe de sa gloire immortelle ; ils sont les trésors de la connaissance et les dépositaires de la sagesse suprême, l'apparition de la bonté infinie, et les aurores du Soleil éternel, ainsi qu'il est dit: "Il n'y a pas de différence entre toi et eux, si ce n'est qu'ils sont tes serviteurs et tes créatures." C'est ce que veut également dire: "Je suis lui, et il est moi", qu'on trouve dans les Traditions. (28)"

Et à nouveau, il révèle ce qui suit:

"… Ceux d'entre les hommes qui sont les plus parfaits, les meilleurs, sont les Manifestations du Soleil de vérité et l'on peut dire que les autres n'existent que par leur vouloir, n'agissent que par leur bonté. "Si ce n'était pour toi, Je n'eusse pas créé les cieux." En leur sainte présence rien n'existe plus, rien n'a plus de valeur. La langue ne peut convenablement chanter leurs louanges ni la parole dévoiler leurs mystères. Ces tabernacles de sainteté, ces miroirs qui réfléchissent une lumière glorieuse et éternelle, ne sont que les expressions de celui qui est l'Invisible des invisibles, avec tous ses noms et attributs: savoir, pouvoir, souveraineté, grandeur, miséricorde, sagesse, gloire, bonté et générosité. (29)"

Il y a deux passages dans le Coran qui sembleraient être contradictoires. L'un parle de l'unité des Messagers de Dieu, l'autre en exalte certains au-dessus des autres. Baha'u'llah cite ces passages et d'une part, explique l'unité des Manifestations de Dieu et de l'autre leurs différences. De leur unité, il déclare:

"De plus, il est évident pour toi que les confidents de Dieu se présentent aux hommes comme les révélateurs d'une cause nouvelle et les porteurs d'un message nouveau. Puisque ces oiseaux du trône céleste viennent tous du ciel de la volonté de Dieu et ne s'élèvent que pour proclamer sa foi irrésistible, on les considère comme une seule et même personne.…
Il y a deux façons de considérer les Manifestations de Dieu: la première consiste à envisager leur c condition abstraite, pure et sans mélange, la condition de l'unité incomparable ; dans cette condition, on peut appeler les Prophètes d'un seul nom et les qualifier tous d'une seule manière. Il est dit: "Nous ne faisons aucune distinction entre les prophètes de Dieu." [nota: Coran, II, 285]. Car tous attirent les hommes à l'unité de Dieu, et leur donnent les bonnes nouvelles de la miséricorde infinie ; tous ils ont endossé la robe glorieuse du prophétisme… Tu sais donc, à n'en pas douter, que les différents Prophètes sont les temples de la cause de Dieu, apparus sous des aspects différents. Et si tu y fais attention tu verras qu'ils habitent tous dans le même tabernacle, planent dans les mêmes hauteurs, sont assis sur le même trône, parlent le même langage, proclament les mêmes lois. Telle est l'unité de ces essences de l'existence et de ces soleils incommensurables. Si l'une de ces saintes Manifestations dit: je suis le retour de tous les Prophètes, Elle dit vrai, et il est certain que chaque apparition est le retour de la précédente. (30)"

Puis, parlant des différences qui distinguent les Manifestations de Dieu, Baha'u'llah explique:

"… Ainsi chacune porte un nom qui la qualifie personnellement, accomplit une mission précise et apporte une révélation particulière. "Nous élevâmes les prophètes les uns au-dessus des autres. Les plus élevés sont ceux à qui Dieu a parlé. Nous avons envoyé Jésus, fils de Marie, accompagné de signes évidents et nous l'avons fortifié par le Saint-Esprit." [nota: Coran II.253]
Selon leurs différents degrés d'élévation et leur mission, les paroles qui coulent de ces sources de savoir divin semblent plus ou moins différer. Seuls ceux qui savent les mystères des questions divines comprennent que toutes ces Manifestations ont une seule origine. (31)"

De même que la réalité de chaque Manifestation est identique à celle de la Manifestation précédente, de même leurs disciples sont aussi le retour de l'essence des disciples de la révélation précédente. À ce sujet Baha'u'llah se sert de l'analogie suivante:

"Ainsi, par exemple, qu'une rose fleurisse en Orient ou en Occident, c'est toujours une rose. Ce qui importe, ce n'est pas la forme extérieure de la fleur mais bien plutôt le parfum qu'elle exhale. (32)"

Comme déjà indiqué, la Manifestation de Dieu a une double nature, divine et humaine. L'explication de Baha'u'llah est lumineuse:

"Mais, dans l'unité et dans les hauteurs de l'abstraction, ces perles de l'existence s'appellent Autorité, Divinité, Unité et Identité sans mélange ; car toutes siègent sur le trône de la révélation de Dieu, et toutes se tiennent sur les hauteurs divines de l'Invisible. C'est-à-dire que Dieu apparaît par leur apparition ; sa beauté brille dans leur beauté. C'est ainsi que la parole de Dieu lui-même est sortie des lèvres de ces Etres d'Unité.
Envisagées sous le rapport de leur diversité, de leur limitation et de leurs caractéristiques, les Manifestations font preuve d'une servitude, d'un dévouement et d'une renonciation sans égaux: "Je suis le serviteur de Dieu, et je ne suis qu'un être humain comme vous."
Si une des Manifestations universelles dit: "Je suis Dieu", c'est exact ; car nous avons démontré qu'avec leurs révélations, les noms et qualités de Dieu deviennent visibles sur terre… Si le Prophète dit au contraire: "Je suis le serviteur de Dieu", ceci n'est pas moins exact, car extérieurement, il apparaît au dernier degré de servitude, et nul ne peut être aussi humble que cette perle de l'existence. (33)"

* La souveraineté des prophètes

Une des questions que Haji Mirza Siyyid Muhammad demanda à Baha'u'llah de résoudre pour lui, concernée les circonstances de l'apparition du Qa'im. D'après les traditions de l'islam, il doit venir en grande majesté et gouverner les peuples. Ces conditions ne furent pas littéralement accomplies par le Bab. Baha'u'llah consacre une grande partie du Kitab-i-Iqan à sa réponse, démontrant que tous les prophètes de Dieu sont apparus avec majesté et pouvoir, mais que ceci était des conditions spirituelles plutôt que physiques. Leur souveraineté était céleste, et par elle, ils établirent leur ascendance et leur puissance sur l'humanité. Parlant de la souveraineté du Qa'im, il écrit:

"Mais ce n'est pas la puissance que le monde a imaginée. D'abord, tous les anciens Prophètes qui ont annoncé aux peuples la bonne nouvelle de la prochaine apparition, toutes ces anciennes Manifestations ont parlé dans leur Livre de la puissance de la Manifestation suivante. Et il n'y a là rien de spécial au Qa'im. Si nous considérons ces anciennes Manifestations, nous pouvons sans hésitation leur attribuer la force et la puissance et toutes les qualifications divines, et cela uniquement parce qu'elles sont les manifestations des qualifications invisibles et les aurores des divins mystères.
De plus, la puissance exercée sur le monde entier par le Qa'im, qu'il soit ou non revêtu du pouvoir matériel, dépend uniquement de sa volonté propre. Tu n'ignores pas que, si les Livres anciens parlent de puissance, de richesse, de vie, de mort, de résurrection, ce n'est pas dans le sens qu'on donne communément à ces mots aujourd'hui. La puissance est ce pouvoir qui apparaît dans chaque Soleil de réalité, qui est en lui-même, et qui ne sert qu'à lui. C'est cette autorité interne qui agit surtout ce qui existe, et qui est rendue sensible suivant la réceptivité spirituelle des hommes. (34)"

Comparant l'ascendance et le pouvoir créatif de la Manifestation de Dieu à la brève souveraineté des rois de la terre, Baha'u'llah déclare:

"Cette puissance qui, par une seule parole, une seule lettre, peut disposer de tout, vaincre et dominer toutes choses, n'est-elle pas plus grande que la puissance des rois de la terre qui, en dépit de leur sollicitude pour leurs sujets et de leur assistance à ceux qui sont dans le besoin, arrivent tout juste à se faire obéir mais ne sont au fond jamais aimés ni respectés ? La vraie puissance, au contraire, avec une seule parole, a soumis le monde entier et a conféré l'existence à tous les êtres. "Quelle différence il y a entre la poussière terrestre et le Roi des rois !" En effet, comment les comparer ? Rien ne peut être mis en parallèle avec le saint royaume, dont les plus humbles serviteurs sont les véritables rois de l'univers. (35)"

Parmi les autres histoires que Baha'u'llah raconte pour démontrer la signification de la souveraineté et de l'autorité attribuées aux prophètes de Dieu, il y a celle de Jésus durant sa captivité aux mains des Juifs:

"Un jour, comme les juifs avaient demandé à Jésus, fils de Marie, d'avouer qu'il était le Messie et le Prophète, afin de pouvoir le condamner comme infidèle à la peine de mort, lui qui était l'astre de la révélation divine, ils l'amenèrent devant Pilate et devant Caïphe, le grand prêtre d'alors, assemblés avec les plus éminents docteurs. Un nombreux public assistait à la séance, raillant et maudissant Jésus. Aux questions réitérées de ses juges, il garda le silence. Enfin, un maudit d'entre les hommes vint en face de lui et dit: "N'as-tu pas dit: je suis le Messie, le Roi des rois, ma parole est le Verbe de Dieu, le destructeur du Sabba ?" Alors Jésus releva la tête et dit: "Ne voyez-vous pas le Fils de l'homme assis à la droite du pouvoir et de la toute puissance ?" Et cependant, en apparence, il n'avait d'autre pouvoir que le pouvoir intérieur venant de Dieu, qui se trouve dans tout ce qui est au ciel et sur la terre ! (36)"

Au cours de sa présentation de la souveraineté, Baha'u'llah s'attarde sur les souffrances qui ont été amoncelées sur les prophètes de Dieu et ses Élus. Il décrit le martyre de l'Imam Husayn qui a répandu un éclat glorieux sur la foi de l'islam. Il fait aussi le portrait des souffrances et des tribulations qui furent infligées à Muhammad pendant les premiers temps de son ministère. À ce sujet, Baha'u'llah démontre que le Verbe énoncé par la Manifestation transporte l'âme humaine d'un état de détresse et d'ignorance vers le glorieux royaume des vertus et des perfections divines. Par la puissance de sa révélation, il soude les coeurs des peuples et familles en conflit et fait d'eux une seule nation. Et il souligne la pertinence d'une célèbre prophétie de la Bible:

"… En outre, que de gens de diverses croyances et de tempéraments opposés ont revêtu les nouvelles robes d'union, et ont bu à la coupe d'unité dans la grâce du glorieux paradis et du céleste printemps embaumé ! - C'est ce que veut dire la fameuse Tradition: "L'agneau et le loup boiront à la même source." [nota: Isaïe LXV.25] Considérez combien sont ignorants ceux qui, à l'exemple des anciens, s'attendent à voir ces animaux se réunir réellement pour un repas en commun ! Telle est la condition des hommes: on dirait qu'ils n'ont jamais bu à la coupe d'intelligence ni fait un pas sur la route du discernement ! Quel bien résulterait pour le monde de la réalisation effective de ces choses ? Et comme ce verset s'applique bien à eux: "Les hommes ont des coeurs avec lesquels ils ne comprennent rien, des yeux avec lesquels ils ne voient rie !" [nota: Coran VII.178] (37)

* La signification de "vie" "mort" et "résurrection"

À nouveau, Baha'u'llah révèle la signification des termes usités dans les Saints Livres des religions passées, tels que "vie", "mort", "résurrection", le "coup de trompette", "paradis", et "enfer". Il déclare:

"… La mort et la vie sont ici celles de la foi. Et c'est parce que les hommes n'ont pas compris cela qu'ils se sont révoltés contre chaque Manifestation, qu'ils ne se sont pas laissé conduire par le Soleil de direction, et qu'ils n'ont pas suivi la Beauté éternelle. (38)"

Baha'u'llah affirme que le Jour de la résurrection est introduit par l'avènement de chaque Manifestation de Dieu ; par sa révélation, les croyants sortent des sépultures de l'incroyance et acquièrent la vie spirituelle. Voici quelques-unes de ses paroles:

"Et les mêmes faits se sont reproduits lors de l'apparition de chaque Manifestation. Comme l'a dit Jésus: "Vous devrez renaître à nouveau" [nota: Jean III.7], et ailleurs: "Celui qui n'est pas né de l'eau et de l'esprit n'entrera pas dans le Royaume de Dieu, car celui qui est né de la chair est chair, et celui qui est né de l'esprit est esprit" [nota: Jean V.5-6]. Autrement dit, quiconque est né du souffle de l'esprit des saintes Manifestations lors de leurs apparitions est vivant, ressuscité ; il entre dans le divin paradis d'amitié ; sinon, la mort, la privation, le feu de l'infidélité, la colère de Dieu l'attendent. Dans toutes les Ecritures sacrées, nous voyons que ceux qui n'avaient pas bu aux coupes éthérées du vrai savoir, et dont le coeur n'avait pas reçu les grâces du Saint-Esprit au temps des Manifestations, ont été considérés comme morts, livrés à la géhenne, privés de vue, de coeur, d'entendement. Nous vous rappelons ce verset déjà cité: "Les hommes ont des coeurs avec lesquels ils ne comprennent rien." [nota: Coran VII.178]
Dans les Evangiles, il est écrit qu'un jour un des disciples du Christ, qui avait perdu son père, vint lui demander la permission d'aller l'enterrer et de revenir ensuite. Cette essence du détachement dit: "Laissez les morts enterrer les morts" [nota: Luc IX.60, tel que cité dans le Kitab-i-Iqan] (39)

Dans le Coran, il y a de nombreuses références au jour où l'homme arrivera en la présence de Dieu. Ceci affirme Baha'u'llah peut uniquement être interprété comme accéder à la présence de la Manifestation de Dieu:

"Arriver en cette présence n'est possible qu'au jour de la résurrection, qui est ce jour où Dieu lui-même apparaît dans sa révélation universelle. C'est le sens de l'expression "le Jour de la Résurrection" dont parlent toutes les Ecritures saintes, un jour annoncé à tous.
Peut-on imaginer un jour plus précieux, plus grand et plus glorieux que ce jour de la grande manifestation ? Pourtant, les hommes ne s'en soucient pas et se privent des bienfaits que la miséricorde divine verse sur nous comme une ondée printanière ! Alors qu'il a été prouvé de toutes les façons possibles que ce jour sera le plus grand, et cette cause la plus importante, comment l'homme désespère-t-il en se laissant gagner par le doute des sceptiques ? En dehors de ces arguments irréfutables pour ceux qui réfléchissent, ne connais-tu pas la fameuse Tradition: "La résurrection aura lieu à l'arrivée du Qa'im" ? Les Imams qui sont la lumière de direction ont expliqué également, en l'attribuant à l'apparition du Qa'im, ce verset du Coran: "Les hommes attendent-ils que Dieu vienne à eux dans les ténèbres des nuages ?" [nota: Coran II.210], lequel, de l'avis général, s'applique à ce qui se passera au jour de la résurrection, c'est-à-dire au Qa'im et à sa manifestation. (40)"

* Le voile de la connaissance

Il y a plusieurs références dans la deuxième partie du Kitab-i-Iqan concernant les prêtres et les chefs religieux qui par leur "soi-disant connaissance" ont empêché les peuples de se tourner vers les Manifestations de Dieu. Ces déclarations sont semblables à celles que l'on trouve dans la première partie du livre, mais là, elles sont principalement dirigées vers les prêtres de l'islam [nota: Voir appendix IV pour un récit sur Hadji Mirza Karim Khan, l'un des prêtres auquel Baha'u'llah se réfère dans le Kitab-i-Iqan] Car le savoir acquis peut devenir un voile entre l'homme et Dieu. Se référant à ce voile, Baha'u'llah déclare:

"Ces sciences, pour lesquelles il est dit: "La science est le plus grand voile", nous les avons détruites par le feu de l'amour du Bien-Aimé, et nous avons dressé une autre tente. Nous nous glorifions en rendant grâces à Dieu d'avoir consumé le plus grand voile par le feu de la beauté du Bien-Aimé, et de n'avoir laissé aucune place dans les coeurs pour ce qui n'est pas le désir du Bien-Aimé ! Nous ne tenons qu'à un seul savoir: le sien ; à une seule connaissance: l'apparition de sa lumière. (41)"

La reconnaissance de la Manifestation de Dieu ne dépend pas de la connaissance acquise:

"Pour saisir les paroles divines et comprendre les explications des colombes spirituelles [nota: Les Manifestations de Dieu], point n'est besoin d'être un érudit. Il suffit d'avoir un coeur pur, une âme chaste et un esprit libre de préjugés ; la preuve en est aujourd'hui les gens qui n'ont jamais rien appris de science humaine et qui reposent sur les divans du savoir. Les nuages de la divine bonté ont fait pousser dans leur coeur les roses de la sagesse et les anémones de la compréhension. Bénis sont les purs et les sincères pour la part qu'ils ont de la lumière du plus grand jour ! (42)"

* Le chercheur sincère

Une des plus éblouissantes allégations de Baha'u'llah dans le Kitab-i-Iqan se trouve dans les passages concernant les qualités et les attributs du chercheur sincère. Voici ses paroles telles qu'il les adresse à Haji Mirza Siyyid Muhammad, l'oncle du Bab:

"Mais, mon frère, le chercheur qui veut s'engager dans les chemins qui conduisent à la connaissance de l'Eternel, doit purifier son coeur de la noire poussière de la science humaine et des insinuations sataniques; car c'est dans son coeur que les divins et invisibles mystères apparaissent. Il doit le purifier de toute souillure, car c'est le sanctuaire de l'amour éternel du Bien-Aimé ; il lui faut affranchir son âme de tout ce qui est l'eau et la boue des choses sans réalité, des ombres vaines, afin de ne conserver en lui aucune trace d'amour ou de haine. Car l'amour risque de le conduire dans le mauvais chemin, et la haine de l'empêcher de suivre la bonne voie. De nos jours, n'est-ce pas l'amour ou la haine qui ont privé bien des gens de la face éternelle de la majesté divine, et qui les retiennent sans pasteur dans les déserts de perdition et d'oubli ? Le chercheur doit aussi s'en remettre à chaque instant de sa vie à Dieu, se détourner des hommes, se séparer du monde de poussière pour s'unir au Seigneur des seigneurs, ne se préférer à nul autre, effacer de son coeur l'orgueil et la fierté, s'armer de patience et d'endurance, et suivre la loi du silence pour se garder de vaines paroles. Car la langue est un feu qui couve, et l'abus des paroles est un poison mortel ; et tandis que le feu naturel consume les corps, le feu de la langue consume les esprits et les coeurs. Celui-là ne laisse aucune trace après une heure, tandis que celui-ci dure des siècles !
Le chercheur doit savoir que la médisance est une grave erreur, et s'en garder à jamais; car elle éteindrait la lampe brillante de son coeur, et détruirait la vie de l'âme. Il doit se contenter de peu, et ne jamais demander plus qu'il n'a. Il doit chercher à s'allier à ceux qui sont détachés des choses de ce monde et éviter les vaniteux. Il doit prier dès l'aurore, s'efforcer de tout son pouvoir de trouver le Bien-Aimé, et lutter contre sa négligence à l'aide du feu de l'amour et de la prière. Il doit passer, aussi rapide que l'éclair, loin de tout ce qui n'est pas lui, et donner tous ses soins aux malheureux afin de leur faire partager les bénédictions qu'il possède. Il doit être bon pour les animaux, encore meilleur pour son semblable, l'homme, qui a le don de la parole. Pour l'amour du Bien-Aimé, il ne doit pas tenir à la vie, et les critiques des gens ne doivent pas le détourner de la vérité. Il ne doit pas faire à autrui ce qu'il n'aime pas qu'on lui fasse. Il ne doit pas promettre ce qu'il ne pourra tenir. Il doit éviter de se lier avec les pécheurs et implorer pour eux le pardon de Dieu. Il ne doit pas mépriser les méchants, car nul ne sait qui sera jugé bon. Combien de méchants avant de mourir recevront l'essence de la foi, goûteront le vin immortel et s'envoleront au royaume suprême ! Et combien de fidèles qui, au moment de l'ascension de leur esprit, auront changé d'attitude et résideront dans les derniers degrés de la géhenne !
Le but de toutes ces explications et de ces claires paroles est de faire savoir au chercheur que tout ce qui n'est pas Dieu est mortel, et que rien n'existe que l'Adoré. Celui-là seul qui se conforme à ces règles de conduite sera un homme d'une haute spiritualité. Nous les avons déjà mentionnés à propos des exigences que doit remplir celui qui avance sur le chemin de la connaissance positive. Lorsque le voyageur, sincère et détaché, réunit ces qualités, qui sont implicites dans le verset: "Quiconque fait un effort pour nous" [nota: Coran XXIX.69], il jouira de la bénédiction conférée par ces mots: "En vérité nous le guideront dans nos chemins." [nota: Coran XXIX.69] Car s'il allume dans son coeur la lampe de la recherche, des efforts, de l'amour, de la passion et de l'extase et si la brise de la miséricorde divine souffle sur lui, la nuit de l'erreur, du doute et de la crainte ne tardera pas à disparaître pour faire place à la lumière du savoir et de la certitude. Alors le Messager spirituel de la cité divine se lèvera comme l'aurore, avec son cortège de bonnes nouvelles, et réveillera par la trompette d'instruction l'âme, le coeur et l'esprit, endormis sur les couches de négligence ! C'est ainsi que la bonté et le secours invisible de L'éternel Saint-Esprit donnent une vie nouvelle ; au point que le chercheur se découvrira de nouveaux yeux, un nouvel entendement, un nouveau coeur et une âme nouvelle, avec lesquels il verra les signes évidents du monde et les obscurs secrets de l'âme, et il comprendra que dans le moindre atome se trouve une porte par laquelle on entre dans le domaine de l'évidence, de la certitude et de la conviction. Dans chaque chose, il verra le mystère de la révélation divine et l'évidence d'une manifestation éternelle. (43)"

* Preuves de la révélation du Bab


Ayant clarifié ces points fondamentaux pour Haji Mirza Siyyid Muhammad, Baha'u'llah présente alors les preuves de l'authenticité du message du Bab. À nouveau il prépare le chemin en parlant d'une façon générale des Manifestations de Dieu, consacrant plusieurs pages à expliquer que la plus grande preuve d'un prophète est le prophète lui-même, de même que la preuve du soleil est le soleil lui-même.

Puis suit en importance la preuve que la Manifestation de Dieu est la révélation de la Parole de Dieu. Baha'u'llah montre comment Muhammad, à plus d'une occasion indiqua le Coran comme preuve de sa mission:

"Au début de ce Livre, il est écrit: Seul le Livre subsiste au début duquel il est écrit: "A. L. M. ('Alif, Lam, Mim.) Voici le livre sur lequel il n'y a point de doute ; c'est la direction de ceux qui craignent le Seigneur." [nota: Coran II.1]… Ainsi Dieu a fait du Coran le guide de tous les peuples de la terre, et cette invisible unité témoigne elle-même de sa valeur jusqu'au dernier jour… Dans un autre passage, on trouve: "Si vous avez des doutes sur le Livre que nous avons envoyé à notre serviteur, produisez un chapitre au moins pareil à ceux qu'il renferme, et appelez, si vous êtes sincères, vos témoins, ceux que vous invoquez à côté de Dieu." [nota: Coran II.23] Combien alors les paroles de Dieu sont élevées, et combien grande est leur valeur, puisque l'argument suprême, le pouvoir tout-puissant, la volonté accomplie et la preuve parfaite y sont contenus ! (44)"

L'étude des vies des Fondateurs de toutes les religions démontre que le Verbe de Dieu est l'instrument le plus effectif par lequel le prophète crée une nouvelle civilisation. Il pénètre dans le coeur des peuples et devient l'esprit de l'âge. Lorsqu'un chercheur reconnaît la Source de la parole révélée, il pénètre dans le Cité de la certitude, affirme Baha'u'llah, et il décrit cette cité comme:

"…n'est autre que le Verbe de Dieu: la Bible au temps de Moïse ; l'Evangile au temps de Jésus ; sous Muhammad le Prophète de Dieu, le Coran ; de nos jours le Bayan, et au temps de "Celui que Dieu manifestera", son Livre qui sera le complément de tous les autres qu'il dominera de toute sa supériorité ! (45)"

À propos de la révélation du Bab, il écrit ce qui suit:

"L'univers cependant n'a jamais vu ni éprouvé une bonté comparable à celle qui émane aujourd'hui des Paroles divines, comme les pluies d'avril des nuages du Miséricordieux ; car les plus grands Prophètes, dont le caractère divin et la gloire brillent comme le soleil, n'ont apporté qu'un seul Livre dont les versets sont connus de tous. Tandis que, de ce nuage de la miséricorde divine, il a été révélé tellement d'ouvrages que nul ne peut les compter. On n'en connaît jusqu'ici qu'une vingtaine de volumes, mais combien y en a-t-il qui ne nous sont pas parvenus, ou qui sont tombés entre les mains des ennemis qui en ont fait ce que personne ne sait ! (46)"

Comme souvent au commencement des révélations du passé, des âmes inconnues embrassèrent la Foi de Dieu, les érudits l'ont rabaissée et ont méprisé ses disciples. Baha'u'llah fait remarquer combien était différente la situation lorsque apparut le Bab:

"Aujourd'hui, au contraire, dans cette sublime Manifestation, un grand nombre de prêtres élevés, de docteurs accomplis, d'érudits incontestés ont bu à la coupe de l'approche et de la rencontre, et ont reçu le plus haut bienfait. Dans le chemin du Bien-Aimé, ils ont sacrifié leur vie et leurs biens. Certains de leurs noms que tu connais encourageront les indécis et tranquilliseront ceux dont l'âme est inquiète.
L'un d'eux, Mulla Husayn [nota: Un éminent homme de savoir, un des plus grands parmi les disciples de Siyyid Kazim. Il fut le premier à reconnaître le Bab et il est le grand héros de la révélation babie], reçut l'éclat de la Manifestation: "Sans lui, Dieu ne se serait pas assis sur le siège de sa miséricorde, trône de sa gloire éternelle." Siyyid Yahya [nota: Connu sous le nom de Vahid, voir annexe III] fut incomparable et unique dans son temps… et tant d'autres, près de 400, dont les noms sont écrits dans les Tablettes préservées de Dieu ?
Ils ont tous été attirés par ce Soleil divin et lui ont obéi au point d'abandonner biens et familles pour obéir aux désirs du Très-Glorieux: Leurs coeurs se sont levés pour le Bien-Aimé. Ils ont sacrifié tout ce qu'ils possédaient. (47)"

Puis suit un passage de louanges de Baha'u'llah au Bab où il décrit sa ténacité à proclamer sa Cause face à une farouche opposition. Une telle ténacité a été une caractéristique de tous les prophètes de Dieu et est encore un de leurs critères. Voici quelques unes des déclarations de Baha'u'llah à propos du Bab:

"Il y a une autre preuve, brillante parmi les preuves ; j'entends parler de la fermeté qu'a montrée, dans la cause de Dieu, cette Beauté éternelle, le Bab, alors qu'il n'était qu'un adolescent, et que sa Manifestation se heurtait contre tout ce qui existait, contre les idées de chacun, des humbles, des nobles, des riches, des pauvres, des puissants, des méprisés, des rois comme de leurs sujets. Nul ne lui fit peur, à nul il ne prêta attention ! De telles choses peuvent-elles se passer sans le commandement de Dieu et le divin vouloir ? Je jure qu'il y a là de quoi faire réfléchir ! Même avec le courage du monde entier, qui oserait se risquer à pareille aventure, s'il n'en avait la permission de Dieu, et s'il ne sentait dans son coeur la miséricorde et dans son âme la bonté divines ? (48)
La fermeté dans la cause est donc un solide argument et une preuve sublime de la vérité…
Considère maintenant cet arbre de la cause de Dieu, ce tout jeune homme, le Bab qui s'est levé pour la proclamer ; de quelle fermeté il fit preuve ! Des peuples entiers s'efforcèrent en vain de le faire reculer ! Plus ils amoncelaient les calamités sur cet arbre de sainteté (arbre du Paradis), plus son ardeur augmentait, plus le feu de son amour se développait, ainsi que chacun a pu le voir. À la fin, il donna sa vie et son âme s'envola dans l'au-delà. (49)"

Quant aux effets de la révélation du Bab sur ses disciples, Baha'u'llah écrit:

"Et parmi les preuves de la vérité de sa manifestation on peut citer l'autorité, le pouvoir transcendant et la suprématie que lui, qui est le révélateur et la Manifestation de l'Adoré, a révélés, seul et sans aide, au monde entier. La Beauté éternelle apparut à Shiraz en l'an 60 [nota: 1260 A.H. (1844) année de la déclaration du Bab] où elle déchira les voiles. En peu de temps, dans tout le pays, les marques de la victoire, du pouvoir et de l'autorité de cette Essence des essences et de cette Mer des mers étaient manifestées ; partout la cause recrutait des adhérents à ce soleil d'identité. Combien de nobles et purs coeurs prirent exemple sur lui, et combien de gouttes de savoir se répandirent sur tout l'univers, de cette mer de sagesse divine ! Dans chaque ville pourtant, les prêtres et les nobles s'efforçaient de le combattre par la haine, l'injustice et la jalousie ! Combien d'hommes saints, essences de justice, furent mis à mort comme des criminels ; combien d'êtres purs, conformant leurs actes à leur doctrine, furent tués dans les plus affreux tourments ! Ce qui ne les empêcha pas jusqu'à la fin d'évoquer le souvenir de Dieu, et de s'envoler dans les hauteurs de la résignation et du consentement. Ces hommes étaient à ce point transformés qu'ils ne s'occupaient que de la volonté du Bab et n'acceptaient d'autres ordres que les siens. Se soumettant à son bon plaisir, leurs âmes étaient unies à son souvenir. (50)"

Il est important de comprendre que le Bab a accompli les prophéties citées dans les Écritures et particulièrement celles de l'islam. La révélation du Bab avait un lien particulier avec l'islam. Non seulement il était lui-même un descendant de Muhammad, mais son avènement était très sincèrement attendu par les Musulmans, par les chi'ites comme par les sunnites. Il était considéré comme l'apogée et le fruit de la Foi de l'islam. Muhammad et les saints Imams avaient laissé derrière eux, d'innombrables prophéties concernant la venue du Promis. Toutes les circonstances de sa révélation, le temps, le lieu et les nombreux aspects de sa cause sont mentionnés dans les traditions de l'islam soit clairement soit par des allusions.

Mirza Ahmad-i-Azghandi, qui devint un ardent croyant, fut l'un des prêtres les plus prodigieux du Khorasan. Avant la déclaration du Bab, il avait senti le besoin de compiler toutes les prophéties et traditions de l'islam se rapportant à l'avènement du Promis. Si vaste est l'envergure de ces prophéties que sa compilation consistait en près de douze milles traditions !

L'accomplissement des prophéties concernant l'apparition du Qa'im est de la plus grande importance pour l'islam chiite. Pendant plus de mille ans, ces adhérents en ont parlé dans leur mosquée, leurs écoles et maisons. C'est peut-être pour cette raison que Baha'u'llah a consacré quelques pages dans le Kitab-i-Iqan pour expliquer quelques-unes de ces traditions. Ce faisant, il démontre comment le Bab a clairement accompli ces prophéties.

* Baha'u'llah anticipe sa propre révélation

En prévision de sa propre révélation, faisant allusion à lui-même comme à la "Quintessence de la Vérité", "la Réalité interne", la "Source de toute lumière", et, "le Roi de pouvoir céleste", Baha'u'llah s'adresse aux chefs de la communauté babie et aux érudits en ces termes:

"Aujourd'hui, nous demandons au peuple du Bayan, aux instructeurs, aux docteurs, aux lettrés et aux témoins du Bayan, de ne pas oublier les recommandations que Dieu leur a faites dans leurs livres et de s'en tenir aux éléments essentiels de leur cause, de peur que, lorsque celui qui est la quintessence de la vérité, la réalité interne de toutes choses et la source de lumière apparaîtra, ils ne se laissent arrêter par quelques phrases du Livre, et qu'ils ne renouvellent à son sujet les injustices des peuples du Coran. Car ce roi de puissance divine [nota: Ceci est une référence à "Celui que Dieu doit rendre manifeste"] a, en vérité, le pouvoir de faire disparaître, d'un seul mot, tout souffle de vie dans le Bayan et son peuple, et, d'un autre mot, il peut leur donner à tous la vie éternelle, en les ressuscitant des tombes des plaisirs et des désirs. Soyez attentifs et veillez, car la fin suprême des hommes doit être de croire en lui, d'arriver à sa rencontre et de voir sa présence divine. (51)"

Dans un autre passage, faisant allusion à lui-même comme à "l'Oiseau céleste", il affirme:

"Par Dieu ! cet oiseau céleste, vivant maintenant dans la poussière, peut chanter des milliers d'autres chants que ces mélodies et dévoiler encore d'innombrables mystères dont le moindre détail est encore plus sublime que tout ce qui est jamais venu sous notre plume ! Mais nous les réservons pour le temps où la volonté divine fera sortir les épouses spirituelles des palais mystiques, et les fera entrer sans voiles sur la terre de l'existence ! (52)"

Et pourtant, Baha'u'llah anticipe dans certains passages du Kitab-i-Iqan l'opposition qu'il allait rencontrer et les souffrances qu'il allait endurer des mains d'ennemis à l'intérieur de la communauté babie. Faisant allusion à Mirza Yahya, et aux gens autour de lui, Baha'u'llah écrit:

"En ces jours le vent de jalousie et d'envie est en train de souffler, et je jure, par l'Educateur de tout ce qui existe, que depuis le commencement du monde qui n'a jamais commencé, jusqu'à nos jours, il n'y a jamais eu jalousie pareille à celle qu'on voit en ce moment. Des hommes qui n'ont jamais respiré le parfum de la justice ont brandi contre nous le drapeau de la révolte ; de tous côtés les épées sont tirées, les flèches sont lancées. Je ne me suis jamais mis en avant ni au-dessus de qui que ce soit, je me suis au contraire toujours considéré comme le compagnon et le très humble et fidèle ami de chacun. Avec un pauvre j'ai toujours été comme un pauvre, avec les savants et les nobles je me suis toujours tenu sur la réserve. (53)"

Baha'u'llah parle de ses souffrances dans beaucoup de ses Écrits et explique clairement que la plus grande souffrance infligée à la Manifestation de Dieu provient de ceux qui professent sa foi mais qui lui sont infidèles. La douleur que subit Baha'u'llah suite à l'infidélité de Mirza Yahya, son hypocrisie et sa conduite infamante, n'était pas physique. Il ressentit ce chagrin et cette douleur dans son âme et déclare dans le Kitab-i-Iqan:

"Et malgré tout, je jure par Dieu qui est Un, que tout ce que j'ai eu à subir des ennemis et des docteurs [nota: docteurs de l'islam] n'est rien à côté de ce que j'ai eu à supporter de la part de ceux qui se disent mes amis: si je le racontais, pas un de ceux qui ont l'esprit équitable ne pourrait le supporter ! (54)"

L'autorité avec laquelle Baha'u'llah parle dans le Kitab-i-Iqan , le ton de beaucoup de ses remarques et les allusions qu'il fait à lui-même indiquent tous son rang divin et sa déclaration imminente. Dans un passage, il déclare:

"L'univers est en état de gestation à cause de toute cette bonté, et bientôt le résultat en sera visible à tous, dans ce monde de poussière. Alors celui qui meurt de soif parviendra au Kawthar (*) du Bien-Aimé ; celui qui est perdu dans les déserts de l'éloignement et de la non-existence arrivera aux tentes de la vie et de la présence de l'Amant. (55)"
(*) Nota: Littéralement une rivière du paradis ; symboliquement les eaux vivifiantes de la révélation de Dieu.

Le Kitab-i-Iqan est comme un océan. Il contient le tréfonds de la réalité de la religion et ses profondeurs sont insondables. On peut le lire de nombreuses fois, pourtant à chaque fois de nouvelles vérités et des nouvelles visions se manifestent devant les yeux.



11. AUTRES PREMIERS CROYANTS

a) Hadji Mirza Muhammad-Taqiy-i-Afnan


Il n'est pas surprenant de dire que peu de temps après sa révélation, le Kitab-i-Iqan devint la source de connaissance divine pour tous les croyants et la cause de la conversion d'un nombre incalculable d'âmes à la Foi. Plusieurs parents du Bab reconnurent la vérité du Message du Bab rien qu'en lisant ce livre.

Une de ces personnes fut Hadji Mirza Muhammad-Taqi (*) dénommé le Vakilu'd-Dawlih, l'un des plus éminents croyants parmi les Afnan. Dès qu'il eut lu le Kitab-i-Iqan, qui avait été révélé en l'honneur de son père, il reconnut la vérité de la Cause et se hâta vers Bagdad pour être en présence de Baha'u'llah. Dans ce voyage, il était accompagné par son frère aîné Hadji Muhammad-'Ali, qui embrassa aussi la Foi et devint l'un des plus remarquables croyants.
(*) Nota: un cousin du Bab, le fils de Hadji Mirza Siyyid Muhammad pour qui Baha'u'llah révéla le Kitab-i-Iqan.

Cette réunion avec Baha'u'llah exerça une très grande influence sur Hadji Mirza Muhammad-i-Taqi. Tout son être fut magnétisé par son amour pour Baha'u'llah et il fut rempli d'un nouvel esprit qui lui permit de se rendre compte du rang de Baha'u'llah avant sa Déclaration et de se lever en son service. Son dévouement et son enthousiasme dans la cause de Dieu furent exemplaires, et, lorsqu'il marchait dans les rues de Bagdad, il rayonnait d'une telle joie céleste que les croyants de cette cité avaient l'habitude de l'appeler le "charmant Afnan". il semblait que la flamme de l'amour divin allumé par la main de Baha'u'llah avait complètement brûlé toutes ses attaches à ce monde.

Dans cet état, il retourna à Yazd, où il continua son travail de marchand et où il était très estimé par ses concitoyens.

Bien que dès le début de cette révélation les gens de Yazd aient été des ennemis fanatiques de la Foi nouveau-née et aient impitoyablement persécuté les disciples de cette ville, la famille des Afnan n'était pas impliquée. Les fonctionnaires du gouvernement et les autres dignitaires les traitaient avec considération et respect. ils avaient, en particulier, beaucoup d'égard pour Hadji Mirza Muhammad-i-Taqi dont les actions et la personnalité le faisaient apprécier des autorités.

Vers la fin du ministère de Baha'u'llah, le noyau d'une communauté baha'ie commença à s'étendre rapidement à 'Ishqabad, dans la province du Turkistan. De nombreuses familles baha'ies de Perse émigrèrent vers cette ville où ils profitèrent d'une mesure de liberté dans leurs activités baha'ies.

À une occasion, Hadji Mirza Muhammad-i-Taqi prit ses dispositions pour acheter quelques propriétés à 'Ishqabad et, en ayant informé Baha'u'llah, il reçut les instructions de se servir d'une partie de ces propriétés pour la construction d'un Mashriqu'l-Adhkar. Après l'ascension de Baha'u'llah, Hadji Mirza Muhammad-Taqi, suite aux instructions de 'Abdu'l-Baha, alla à 'Ishqabad et entreprit la tâche de superviser la construction de cette Maison d'adoration. Il consacra tous ses efforts à l'exécution de cette vaste entreprise et y dépensa toutes ses ressources financières. Avec l'aide d'autres baha'is, il érigea ce noble édifice, le premier Mashriqu'l-Adhkar du monde baha'i [nota: Suite à un tremblement de terre dans cette région, ce bâtiment devenait dangereux et dut être démoli en 1963].

Lorsque la construction du Mashriqu'l-Adhkar fut achevée et la décoration intérieure bien avancée, 'Abdu'l-Baha fit venir Hadji Mirza Muhammad-Taqi en Terre sainte. il quitta 'Ishqabad en 1325 AH (1907 EC), confiant toutes ses affaires et celles de la Maison d'adoration à son fils aîné, Hadji Mirza Mahmud, et finit ses jours en présence du Maître.

Il mourut en Terre sainte et est enterré sur les pentes du Mont Carmel, à l'ombre du Tombeau du Bab, dans le voisinage de la caverne d'Élie.

Aucun récit sur Hadji Mirza Muhammad-Taqi ne serait complet sans la mention de sa jeunesse, lorsque adolescent de quinze ans, il s'asseyait en présence du Bab écoutant sa voix mélodieuse lorsqu'il révélait les prières et les versets de Dieu. Dans ses brèves mémoires, qu'il écrivit à 'Ishqabad, Hadji Mirza Muhammad-Taqi parle de ces jours:

"Je me souviens que chaque dimanche, j'avais l'habitude d'aller à la maison de mon illustre tante, la mère du Bab, où j'avais le grand plaisir d'accéder à sa présence…Je me souviens particulièrement d'une occasion où, il m'autorisa à m'asseoir en sa présence et gentiment me coupa une tranche de melon qu'il me donna. Il était occupé à écrire des prières et des versets. Il me tendit alors une des prières qu'il avait révélée pendant le week-end et me demanda de la chanter en sa présence… Le Bab quitta Chiraz pour La Mecque en passant par Bushihr cette même semaine ou la semaine d'après… Deux ou trois mois plus tard j'allais à Bushihr pour rejoindre mon père… À son retour de La Mecque, le Bab vint à notre maison de Bushihr où je passai plusieurs jours en sa présence. Durant ces jours, il passait chaque moment de son temps à révéler les versets de Dieu et à écrire des prières… Un soir avec des larmes dans les yeux, je le suppliai en toute sincérité de prier pour moi afin que je puisse passer mes jours au service de Dieu et à la fin j'obtins son assentiment. Il m'assura que ce serait ainsi. (1)"

Hadji Mirza Muhammad-Taqi était la personnification du détachement, de l'humilité et de la servitude. Son seul but dans la vie était de servir la Cause qu'il aimait tellement. Il communiait souvent en esprit et par la prière avec Baha'u'llah. On raconte de lui, que chaque jour, chez lui, il mettait ses plus beaux habits, s'asseyait seul quelques heures dans sa chambre et avec la plus grande dévotion et sincérité, il dirigeait son coeur et son âme vers Baha'u'llah, se considérant comme étant en présence même de la Beauté bénie.

'Abdu'l-Baha disait que chaque fois qu'il était saisi de chagrin, le fait de voir Hadji Mirza Muhammad-Taqi faisait disparaître sa tristesse et emplissait son coeur de joie.

Durant ses heures sombres d'incarcération à Acre, lorsque les briseurs d'alliance travaillaient la main dans la main avec les autorités turques pour attenter à sa vie, 'Abdu'l-Baha écrivit une épître à Hadji Mirza Muhammad-Taqi et lui donna les instructions pour organiser l'élection de la Maison Universelle de justice (*), si les menaces contre lui devaient être mises à exécution.
(*) Nota: Baha'u'llah a ordonné la Maison Universelle de Justice comme corps suprême de la Foi. Elle fut élue pour la première fois en 1963 et a son siège à Haïfa.

Dans la même épître 'Abdu'l-Baha parle de la grandeur de la cause de Dieu et prédit les attaques futures qui seront portées contre elle. Voici ses paroles prophétiques et de mauvais augures, écrites à une époque ou le message de Baha'u'llah n'avait atteint qu'un petit nombre de personnes du monde occidental.

"Que la cause est grande, très grande ! Qu'il est féroce l'assaut de tous les peuples et habitants de la terre. Sous peu, se feront entendre, aux quatre coins du monde, la clameur de la multitude à travers l'Afrique, à travers l'Amérique, le cri de l'Européen et du Turc, le gémissement de l'Inde et de la Chine. Tous sans exception, ils se dresseront et de toute leur force ils résisteront à sa cause. Alors, les chevaliers du Seigneur, assistés de sa grâce céleste, raffermis par la foi, soutenus par la puissance de leur discernement et renforcés par les légions de l'Alliance, se lèveront et manifesteront la vérité de ce verset: "Vois la confusion qui a frappé les tribus des vaincus. !" (2)

Dans ses services dévoués, Hadji Mirza Muhammad-Taqi apporta victoire et honneur à la cause de Dieu. 'Abdu'l-Baha l'a désigné comme étant l'un des "… quatre vingt anciens qui étaient assis sur le siège devant Dieu…" mentionnés dans l'apocalypse de St Jean le divin [nota: Des autres vingt trois "anciens" seulement dix-neuf ont été nommés, il s'agit du Bab et des dix-huit Lettres du Vivant]


b) Nabil-i-A'zam

Aucun récit de la révélation de Baha'u'llah ne serait complet si l'on ne parlait pas de Mulla Muhammad-i-Zarandi, surnommé Nabil-i-A'zam, l'un de ses apôtres remarquables qui joua un grand rôle dans la propagation de son message et dans la dissémination de sa parole. Il est immortalisé par ses narrations détaillées, dont une partie, La chronique de Nabil, traitant spécialement de l'histoire du Bab, a été traduite en anglais par Shoghi Effendi, le Gardien de la Foi. L'autre partie traitant du ministère de Baha'u'llah doit encore être publiée.

Dans sa jeunesse Nabil était un berger. Il avait un grand amour de la nature et passait souvent la nuit, couché sur le sol, contemplant les étoiles et en communion solitaire avec le Créateur. Il chantait les versets du Coran en suivant son troupeau dans les champs, et priait Dieu qu'il lui permette de trouver la vérité dans sa vie.

Un jour de 1847, il entendit par hasard, deux hommes racontant l'histoire du Bab. Son coeur fut instantanément attiré vers le nouveau message et peu de temps après il rencontra un croyant qui lui enseigna la Foi. Il devint un disciple ardent du Bab et, malgré les nombreux obstacles qui furent placés sur son chemin, il resta toujours actif dans la propagation de son message.

Sa première rencontre avec Baha'u'llah eut lieu à Téhéran vers 1850. Pourtant, à ce moment, Nabil ne se rendit pas compte de la grandeur de son rang. Plus tard, lorsque la communauté babie semblait être sans chef et les croyants découragés et décontenancés, Nabil dans son égarement prétendit être "Celui que Dieu rendra manifeste", et dissémina parmi les babis quelques-uns de ses propres écrits. Puis il arriva à Bagdad et vint en présence de Baha'u'llah. Cette fois, son oeil intérieur vit la gloire de sa révélation et son âme fut vivifiée par son puissant Esprit. Il se prosterna à ses pieds et implora le pardon pour son audace. Comme acte de repentir et pour montrer la mesure de son humilité envers Baha'u'llah, il coupa sa barbe, qui à cette époque était le symbole de la dignité d'un homme, et en fit une brosse avec laquelle il balaya les abords de la maison de Baha'u'llah.

Animé par l'ardent désir de servir Baha'u'llah et fortifié par sa grâce intarissable, Nabil put rendre de remarquables services à sa cause. Sa loyauté et son dévouement envers Baha'u'llah étaient exemplaires. Il se distingue d'entre tous les compagnons de Baha'u'llah, comme celui qui était dominé par un amour passionné pour lui. Cet amour était si intense que ceux qui le rencontraient ne pouvaient manquer de détecter le feu brûlant à l'intérieur de son âme.

Nabil était un poète doué, un génie inspiré qui écrivait avec beaucoup de facilité. Certains de ses récits sont même composés en vers. Ces poèmes révèlent l'intensité de sa foi, et l'ardeur de son amour.

En de nombreuses occasions, Baha'u'llah l'envoya en mission en Perse. Dans ces voyages, partout où il allait, il transmettait les nouvelles de Baha'u'llah et incitait les croyants à se lever et à le servir. Lorsque Baha'u'llah quitta Bagdad pour Constantinople, Nabil ne put rester en arrière. Il revêtit un costume de derviche et à pied et incognito, prit la route de Constantinople rejoignant en chemin le groupe de Baha'u'llah. De Constantinople, Baha'u'llah l'envoya vers la Perse, pour y enseigner et y propager la nouvelle de la Cause. De Perse, il alla vers Andrinople, scène de la proclamation du message de Baha'u'llah. À nouveau Baha'u'llah l'envoya en Perse pour disséminer les Écrits et pour aider les croyants à prendre conscience de la signification de sa révélation. Avec beaucoup de zèle et d'enthousiasme il voyagea partout et aida à l'établissement des bases d'une communauté baha'ie grandissante, distincte du très petit nombre qui dans leur aveuglement avait suivi Mirza Yahya. Cette dernière communauté, appelé Azalis, déclina dans les années qui suivirent, vers l'insignifiance et l'oubli. Ce fut aussi pendant cette période que le mot baha'i désignant les disciples de Baha'u'llah vint à remplacer le terme babi.

Une autre mission qui après ce voyage fut confiée à Nabil par Baha'u'llah, fût d'aller en Égypte pour faire appel au Khédive de la part de sept croyants qui avaient été incarcérés à l'instigation de l'un des ennemis de la Foi, le consul général persan dans ce pays. Mais peu de temps après son arrivée, Nabil fut lui-même jeté en prison à Alexandrie. Là, il rencontra Faris Effendi, un médecin chrétien et prêtre qui était aussi prisonnier. Nabil lui enseigna la Foi et Faris Effendi devint un croyant profond et dévoué, probablement le premier chrétien à le devenir.

Lorsque Baha'u'llah fut exilé à Acre, le bateau qui le portait jeta l'ancre à Alexandrie près de la prison. Par une étrange coïncidence Nabil en fut informé. Lui et Faris Effendi envoyèrent une lettre sur le bateau à Baha'u'llah pour l'informer de leur sort. Baha'u'llah envoya une épître en réponse, exprimant son plaisir à recevoir leur lettre et les assurant de son affection. Il écrivit spécialement pour Faris Effendi, des paroles d'encouragement ; ce dernier, s'adressant à Baha'u'llah comme à son Seigneur miséricordieux, implora d'être accepté comme l'un de ses serviteurs dévoués.

Quelque temps plus tard, Nabil put quitter l'Egypte. Il voyagea vers la Terre sainte et arriva aux portes d'Acre déguisé. Mais les ennemis de Baha'u'llah le reconnurent et le signalèrent aux autorités qui l'expulsèrent de la cité. Après cela, il vécut dans différents endroits en Terre sainte et pendant quelque temps dans une caverne sur le Mont Carmel. Il passait ses journées en prières et en supplication, aspirant au moment où il pourrait à nouveau être en présence de son Seigneur. Finalement ses prières furent entendues, les portes de la prison s'ouvrirent aux croyants, et Nabil parvint à nouveau en présence de son Seigneur avec une joie immense. Ce fut pour lui l'instant de victoire. Il passa le restant de sa vie à Acre et eut souvent le privilège d'être en sa présence. Ce fut en 1887 qu'il commença l'importante tâche d'écrire ses récits. Il commença la préface en ces termes:

"J'ai l'intention, avec l'aide et l'assistance de Dieu, de consacrer les pages d'introduction du présent récit aux informations que j'ai pu recueillir au sujet de ces deux grandes lumières, Shaykh Ahmad-i-Ahsa'i et Siyyid Kazim-i-Rashti ; après quoi, j'espère relater, dans l'ordre chronologique, les principaux événements qui se sont déroulés depuis l'an 1260 [nota: 1260 A.H soit 1844 E.C], année qui vit la déclaration de la foi du Bab, jusqu'à nos jours en l'an 1305 A.H [nota: 1887-8 EC]
Parfois, j'entrerai dans les détails et, parfois, je me contenterai d'un bref résumé des faits. Je donnerai une description des épisodes que j'ai moi-même vécus et de ceux qui m'ont été rapportés par des informateurs attitrés et dignes de foi, en spécifiant, dans chaque cas, leurs noms et leurs positions. Je suis principalement redevable envers les personnes suivantes pour les informations qu'elles m'ont apportées: Mirza Ahmad-i-Qazvini, le secrétaire du Bab ; Siyyid Isma'il-Dhabih ; Shaykh Hasan-i-Zunusi ; Shaykh Abu-Turab-i-Qazvini ; enfin et surtout, Mirza Musa, Aqay-i-Kalim, le frère de Baha'u'llah .
Je rends grâce à Dieu pour m'avoir assister dans la rédaction de ces pages préliminaires, de les avoir bénies et honorées de l'assentiment de Baha'u'llah qui a daigné les examiner et qui a signifié, par l'intermédiaire de son secrétaire Mirza Aqa Jan, qui les lui avaient lues, sa satisfaction et son approbation. Je prie que le Tout-Puissant me soutienne et me guide, de peur que je ne faillisse à la tâche que je me suis engagé à accomplir. (3)"

Lorsque Baha'u'llah mourut, Nabil fut inconsolable. Il ne pouvait vivre sans son Bien-aimé. Le feu de l'amour, qui avait brûlé en lui si intensément et si longtemps, s'était maintenant emparé de lui et allait l'enflammer avec la couronne du sacrifice. Pendant quelque temps, il essaya fortement de s'adapter, mais ceci devint de plus en plus difficile et, à la fin, incapable de contenir l'océan d'amour qui déferlait dans son âme, il mit fin à sa vie en se noyant dans la mer. Il était un véritable amant de la Beauté bénie. Il laissa derrière lui une note rendant hommage à 'Abdu'l-Baha et donnant la date de sa mort dans un seul mot arabe "Ghariq" (noyé). La valeur numérique de ce mot est 1310 AH (1892-3 EC).

L'une de ses dernières contributions fut d'écrire le récit très émouvant de l'ascension de Baha'u'llah. De plus, il fut choisi par 'Abdu'l-Baha pour sélectionner dans les Écrits de Baha'u'llah les passages qui constituent maintenant le texte de la prière de souvenance [nota: Les quatre premiers paragraphes de cette prière sont extraits d'une épître de Baha'u'llah à l'un de ses disciples, Aqa Baba ; les cinquième et sixième paragraphes proviennent d'une autre épître révélée pour un croyant baha'i que je n'ai pas pu identifier, et le dernier paragraphe est d'une épître de Baha'u'llah à Khadijih-Bagum, la femme du Bab]

Cette prière est récitée dans le plus saint Tombeau [nota: Le Tombeau de Baha'u'llah à Bahji] et dans le Mausolée du Bab pour la commémoration de l'ascension de Baha'u'llah et du martyre du Bab. C'est une prière unique, dont les baha'is se servent à travers le monde pour ces occasions ou d'autres occasions appropriées.

La contribution de Nabil à l'histoire babie et baha'ie a une immense envergure. Les croyants trouvent ses récits déjà publiés non seulement très informatifs mais aussi source d'inspiration et d'approfondissement dans la Foi. Il a laissé derrière lui une mine d'informations que le passage du temps ne détruira jamais et dans laquelle, les générations encore à naître cueilleront leur propre moisson de connaissance et d'inspiration.


c) Les Compagnons de Baha'u'llah

Quand le Kitab-i-Iqan fut révélé, un nombre considérable de babis étaient arrivés à Bagdad dans le seul but d'accéder en la présence de Baha'u'llah. Nombreux étaient ceux qui avaient reconnu son rang et étaient devenus des disciples ardents bien avant la déclaration de sa mission. Parmi ceux-ci, il autorisa quelques-uns d'entre eux à rester à Bagdad, tandis qu'il ordonna aux autres de retourner chez eux et de propager la cause de Dieu dans leur pays natal.

Ainsi, une petite communauté d'âmes dévouées qui étaient attirées par son pouvoir prit naissance à Bagdad. Ces enivrés de Dieu, compagnons de Baha'u'llah, ces géants spirituels de cette "dispensation", furent les amants de sa beauté, la personnification du détachement, une nouvelle race d'hommes qui s'étaient totalement soumis à sa volonté et qui étaient impatients de sacrifier toutes choses, même leur vie, dans son sentier. Aucun pouvoir terrestre ne pouvait détourner leurs pensées de sa gloire, ni aucune agence humaine les séparer de sa personne. Ils gravitaient autour de lui comme fait le papillon autour de la chandelle et étaient inconscients d'eux-mêmes dans l'adoration qu'ils lui manifestaient. Leur plus grande joie était d'être en sa présence et la première pensée qui leur venait à l'esprit après l'avoir quitté était comment ils pourraient à nouveau accéder en sa présence. Ils vivaient dans un état d'attente continuelle espérant que par sa bonté Baha'u'llah pourrait à nouveau les convoquer dans sa maison ou leur accorder l'insigne honneur de venir à leurs réunions ou fêtes.

L'histoire n'a jamais vu un tel degré d'amour, de dévouement et d'abnégation totale de soi, manifesté par les hommes. Et jamais dans l'histoire des religions autant de disciples dévoués se sont rassemblés autour d'un personnage qu'ils savaient être leur Seigneur bien des années avant sa déclaration. En vérité, le Bab a indiqué dans ses Écrits que le rang de "Celui que Dieu rendra manifeste" serait si exalté que, avant de dévoiler sa gloire, des âmes saintes le reconnaîtraient et avec une dévotion absolue seraient impatientes de donner leur vie dans son chemin.

Non seulement ceci est arrivé avant sa déclaration, mais il y a des êtres qui étaient assurés de son rang exalté même durant le ministère du Bab. Quoique Baha'u'llah ait reçu la première annonce de sa révélation dans le Siyah-Chal de Téhéran bien avant ceci, quelques-uns des premiers babis le reconnurent comme celui que le Bab avait prédit.

L'une d'entre eux fut Tahirih, l'héroïne immortelle de la révélation babie. Longtemps avant l'emprisonnement de Baha'u'llah dans le Siyah-Chal, elle devint totalement consciente de son rang et écrivit certains de ses plus beaux poèmes le louant comme son Seigneur et l'objet de son adoration. Shaykh Hasan-i-Zunuzi, un babi plein de zèle comprit aussi précocement le rang de Baha'u'llah. Le Bab l'avait assuré qu'il rencontrerait "Celui que Dieu rendra manifeste" dans la ville de Karbila. Dans cette même ville, un an avant l'emprisonnement de Baha'u'llah dans le Siyah-Chal, il rencontra par hasard Baha'u'llah dans la rue, celui-ci lui confia le secret de son rang qui serait révélé beaucoup plus tard à Bagdad. Nombre d'autres, qui étaient dotés de vision intérieure et spirituelle, furent de même, guidés pour voir la gloire de Dieu qui brillait derrière une myriade de voiles de dissimulation.

Beaucoup sont étonnés de ceci. Car comment une manifestation de Dieu peut-elle être reconnue avant d'avoir elle-même reçut la première annonce de sa Mission ? 'Abdu'l-Baha a expliqué cela. Il déclare qu'une Manifestation de Dieu est toujours une Manifestation. Il a en lui, tous les attributs divins longtemps avant qu'il ne reçoive l'appel d'être prophète. Il est comme un homme endormi, ou comme une lampe placée sous une couverture, sa lumière dissimulée aux yeux des hommes. Le prophète ne révèle ses pouvoirs et attributs que lorsque sonne l'heure de la naissance de sa mission. Cette heure marque son apparition comme Manifestation de Dieu, quoique la déclaration de sa mission puisse arriver plus tard lorsqu'il l'annonce publiquement. La naissance de la révélation de Baha'u'llah eut lieu à Téhéran, bien qu'il ne la déclarât que dix ans plus tard à l'extérieur de Bagdad.

Il n'est pas étonnant, que les compagnons de Baha'u'llah à Bagdad qui avaient des yeux spirituels pour voir la gloire de leur Seigneur avant la déclaration de sa mission étaient emplis de l'esprit d'extase et de joie. Ils vivaient dans un état de détachement total, oublieux de ce monde et de tous ses habitants. De leur ferveur et de leur amour pour Baha'u'llah, Shoghi Effendi écrit:

"Les fêtes joyeuses que ces compagnons, malgré leur salaire extrêmement modeste, offraient sans arrêt en l'honneur de leur Bien-Aimé, les réunions se prolongeant tard dans la nuit, au cours desquelles, après des prières, des poèmes et des chants, ils prononçaient à haute voix des louanges du Bab, de Quddus et de Baha'u'llah, les jeûnes qu'ils observaient, les veilles auxquelles ils se livraient, les rêves et les visions qui mettaient leur âme en feu et qu'ils se racontaient les uns aux autres avec des sentiments d'enthousiasme débordant, l'empressement avec lequel ceux qui servaient Baha'u'llah, attentifs à ses besoins, exécutaient ses commissions et transportaient des outres pleines d'eau pour des ablutions et autres besoins domestiques, les actes d'imprudence qu'ils commettaient parfois dans les moments d'extase, les expressions d'étonnement et d'admiration que leurs paroles et leurs actes provoquaient au sein d'une population qui avait rarement été le témoin de pareilles démonstrations de transport religieux et de dévotion personnelle, tous ces faits et beaucoup d'autres resteront à jamais associés à l'histoire de cette période immortelle qui s'écoula entre l'heure où naquit la révélation de Baha'u'llah et la proclamation qu'il en fit, à la veille de son départ d'Iraq. (4)"

Parlant de ses compagnons, Nabil décrit ce qui suit:

"Ceux qui avaient goûté à la coupe de la présence de Baha'u'llah étaient tellement exaltés, que les palais des rois leur paraissaient plus éphémères qu'une toile d'araignée…Leurs fêtes et leurs célébrations étaient telles, que les rois de la terre n'en avaient jamais rêvés de semblables…
Pendant bien des jours, au moins dix personnes vécurent tout au plus avec deux sous de dattes. Nul ne savait à qui appartenaient en réalité les souliers, les manteaux ou les robes qui se trouvaient dans leurs demeures. Celui qui allait au bazar pouvait dire que les souliers qu'il portait étaient les siens, et chacun de ceux qui étaient admis en présence de Baha'u'llah pouvait affirmer que le manteau ou la robe qu'il portait lui appartenait. Ils avaient oublié jusqu'à leurs propres noms, leur coeur ne contenait rien d'autre que leur adoration pour leur Bien-Aimé…Ô la joie de ces jours, le bonheur et l'émerveillement de ces heures ! (5)"



12. LA DÉCLARATION IMMINENTE DE BAHA'U'LLAH

Au fur et à mesure que l'année 1863 approchait, et d'après le ton des épîtres qui s'écoulaient de sa plume et des allusions qu'il faisait en public comme en privé, l'on pouvait se rendre compte que les signes de la déclaration de la mission de Baha'u'llah devenaient de plus en évidents. Le fait que chaque jour une nouvelle épître était révélée indiquait clairement que l'heure approchait où son rang suprême serait dévoilé.

Pour ceux de son entourage, ce fut une période de joie et d'extase, ils étaient radieux de lire ces épîtres émouvantes et ces odes allègres. La nuit, ils se réunissaient dans une petite pièce, allumaient de nombreuses bougies et chantaient à haute voix ces odes joyeuses. Oublieux de ce monde et totalement immergés dans les royaumes de l'esprit, ils constataient brusquement que la nuit était devenue jour. Les conversations que ces héros de Baha'u'llah avaient pendant ces nuits historiques, en plus de chanter les épîtres, concernaient entièrement sa personne bénie. Les histoires qu'ils se racontaient l'un l'autre à son sujet, le partage des sentiments de joie qu'ils avaient éprouvé en le rencontrant soit chez lui ou dans les rues et les bazars de Bagdad, les profondes discussions qu'ils avaient pour découvrir les mystères enchâssés dans ses épîtres, les spéculations qu'ils faisaient sur le moment et la nature de la déclaration de sa mission, tout cela créait une atmosphère d'excitation et de ravissement bien au-delà de l'expérience de n'importe quel homme aujourd'hui.

Du fait de leur style unique, de leurs paroles et de leur pouvoir qui enchantaient l'âme, les odes et épîtres qui furent révélées par Baha'u'llah pendant cette période sont très difficiles à décrire et presque même impossibles à traduire. Parmi celles-ci, l'on trouve: Subhana-Rabbiya'l-A'la, Ghulamu'l-Khuld, Hur-i-'Ujab, Az-Bagh-i-Ilahi et Halih-Ya-ßisharat.


a) Subhana-Rabbiya'l-A'la

Cette épître en arabe a été révélée en l'honneur de Hadji Mirza Musay-i-Javahiri, appelé le Harf-i-Barqa (Lettre d'éternité) par Baha'u'llah. Son père, Hadji Mirza Hadi, autrefois un vizir persan, était une personne distinguée tenue en haute estime par les notables de Perse et d'Irak. Il avait émigré à Bagdad où il avait établi sa résidence. C'était un homme possédant de grandes richesses et beaucoup d'influence qui avait très bonne réputation auprès des habitants de cette cité. Vers la fin de sa vie, Hadji Mirza Hadi était très attiré par Baha'u'llah et lui était entièrement dévoué. Souvent il allait en sa présence et s'asseyait à ses pieds en signe d'humilité et d'effacement.

Après sa mort, de graves difficultés surgirent concernant ses biens. Lorsque tout fut réglé, son fils, Hadji Mirza Musa, qui était un inébranlable et loyal disciple de Baha'u'llah, hérita d'une partie de ses biens. Il possédait la maison où habitait Baha'u'llah à Bagdad ainsi que d'autres propriétés et était désireux de les lui offrir. Mais Baha'u'llah refusa ce cadeau. Hadji Mirza Musa persévéra jusqu'à ce que finalement Baha'u'llah donna les instructions pour que la maison soit achetée à un juste prix. Cela fut fait et la maison devint propriété de la Foi.

Baha'u'llah désigna cette maison comme la "Maison de Dieu", la "plus grande Maison", et ordonna qu'elle devienne un centre de pèlerinage. À l'intérieur de ses murs, d'innombrables épîtres furent révélées et pendant de nombreuses années les versets de Dieu affluèrent à profusion. De ce lieu sacré, Baha'u'llah répandit la splendeur de son nom sur les peuples du monde et souffla l'esprit de vie dans le corps de l'humanité. Après les Tombeaux sacrés à Acre et Haifa où sont enterrés les restes terrestres de Baha'u'llah et du Bab, cette maison et la maison du Bab à Shiraz sont considérées par les baha'is comme les lieux les plus saints sur terre.

Le pèlerinage à la maison de Baha'u'llah à Bagdad et à celle du Bab à Shiraz est l'une des observances sacrées de la Foi ordonnées dans le Kitab-i-Aqdas. Lorsque Baha'u'llah était à Andrinople, il révéla les deux Surihs de Hajj (pèlerinage).Il commanda ensuite à Nabil-i-A'zam d'aller à Bagdad et à Shiraz en pèlerinage. Il est le premier, et jusqu'à présent le seul qui ait accompli tous les rites de pèlerinage prescrit dans ces épîtres.

Vers la fin de la vie de 'Abdu'l-Baha en accord aves ses instructions, certains travaux de construction furent réalisés sur la maison de Baha'u'llah à Bagdad. Ses fondations furent renforcées et le bâtiment fut restauré dans sa forme originelle. Cependant, peu de temps après, les ennemis de la Foi la saisir illégalement et cela finit par faire l'objet d'une démarche auprès du Conseil de la Société des Nations. En 1929, ce conseil confirma les droits des baha'is sur la maison, mais pour diverses raisons, leur verdict ne fut pas respecté par les autorités et la maison n'est toujours pas évacuée.

Dans certaines de ses épîtres, Baha'u'llah a exalté la sainteté et la gloire de ce sanctuaire sacré, il a prédit le sort et l'abaissement auxquels elle sera assujettie et a prophétisé son exaltation finale et sa grandeur dans les temps à venir. Dans l'une de ses épîtres, Baha'u'llah a révélé ce qui suit:

"Ne t'afflige point, ô demeure de Dieu, si le voile de ta sainteté est déchiré par les infidèles. Dieu t'a parée, dans le monde de la création du joyau de son souvenir. Un ornement de ce genre, nul homme ne peut, en aucun temps, le profaner. Vers toi, en toutes circonstances, les regards de ton Seigneur continueront à se tourner. Au temps fixé le Seigneur l'exaltera aux yeux de tous les hommes, par le pouvoir de la vérité. Il en fera l'emblème de son royaume, le sanctuaire autour duquel circulera la foule des croyants. (1)"

Baha'u'llah entame l'épître de Subhana-Rabbiya'l-A'la avec des paroles d'encouragement adressées à Mirza Musa, le Harf-i-Baqa, lui disant de se détacher de ce monde et de tout ce qu'il contient, pour pouvoir s'élever dans les royaumes de l'esprit et de participer aux mélodies du Royaume.

Il décrit en termes dramatiques l'apparition devant lui de "la servante céleste", personnifiant "le plus grand Esprit", et fait allusion à sa propre révélation en des termes qu'aucune plume ne peut décrire. L'épître entière transmet dans un langage symbolique les joyeuses nouvelles de l'avènement du Jour de Dieu et en même temps prévient les croyants de prendre garde aux épreuves qui vont leur advenir, entraînant nombre d'entre eux à ne pouvoir atteindre sa gloire et sa grâce.

Cette épître est écrite dans un langage allusif. Pour la comprendre, le croyant doit se tourner vers Baha'u'llah et méditer ses paroles. C'est le seul moyen pour son coeur de recevoir les grâces inépuisables de Baha'u'llah et réaliser la signification de ses paroles.


b) Lawh-i-Ghulamu'l-Khuld

La tablette de Ghulamu'l-Khuld (l'adolescent du paradis) est un autre écrit de même nature, mais écrite partie en arabe et partie en persan. C'est une très belle tablette, elle fut révélée par Baha'u'llah pour célébrer l'anniversaire de la déclaration du Bab. Remplie d'images et d'un langage allégorique, elle transmet clairement les bonnes nouvelles de la venue de Baha'u'llah. Faisant allusion à lui-même en termes symboliques, il annonce le dévoilement de sa Beauté, glorifie sa propre révélation, s'identifie comme étant le Verbe duquel dépendent les âmes de tous les prophètes de Dieu et ses élus. Il déclare à tous ses compagnons que celui qui était caché aux yeux des hommes est maintenant venu. Il affirme que par sa venue une bouffée de vie a été insufflée sur toutes choses créées, invite ses véritables amants à venir s'unir à leur Bien-aimé. Il les exhorte à purifier leurs coeurs pour être admis en sa présence et leur conseille de se débarrasser de tout attachement à ce monde, de rejeter au loin leurs vaines imaginations et superstitions.

Dans cette épître, Baha'u'llah témoigne aussi de la grandeur du rang du Bab et affirme qu'il est le Point duquel a été générée toute la connaissance. L'une des vérités de la cause de Baha'u'llah est que le Bab est la source de toute connaissance. En vérité, chaque prophète de Dieu a été la source de la connaissance pour son peuple. Cela est largement démontré par l'histoire.

Par exemple, les enfants d'Israël étaient captifs aux mains de pharaon, privés de leurs droits à la liberté et à la justice. Mais par l'influence de Moïse ils furent délivrés de cet esclavage. Sous son autorité, provenant de Dieu, ils accédèrent dans le monde à une grande renommée pour avoir construit une grande civilisation. 'Abdu'l-Baha déclare que certains philosophes grecs firent le voyage en Terre sainte spécialement pour acquérir la connaissance du peuple juif. Là, ils entendirent parler de l'unité de Dieu et de l'immortalité de l'âme et ramenèrent avec eux ces enseignements en Grèce [nota: Voir Les leçons de Saint jean d'Acre, ch.V].

De même, la foi chrétienne apporta une civilisation qui s'étendit à travers le monde occidental, balaya les critères de Rome et installa à leur place une nouvelle façon de vivre. Elle éclaira l'esprit de millions de gens et établit de nouvelles bases de savoir et de connaissance.

À ce sujet l'islam offre, cependant, le meilleur exemple. Bien qu'il trouve son origine parmi les tribus guerrières de l'Arabie, la civilisation qu'il a apportée, a donné d'un côté la vie spirituelle à des millions de personnes et de l'autre côté, a créé des lieux de savoir et de connaissance partout dans le monde musulman. Ses érudits et ses savants ont posé les fondations de nombreux arts et sciences qui plus tard atteignirent les peuples du monde chrétien et révolutionnèrent leurs vies.

Décrivant les Arabes sous l'influence de l'islam, George Townshend, le grand érudit irlandais, écrit dans Christ et Baha'u'llah:

"Vu la position hors pair du Coran, vénéré à titre de miracle littéraire, en raison également de la fierté que les arabes vouaient à leur langue, qu'ils considéraient comme la seule langue parfaite employée par l'homme, et qui est, en effet, considérée par les savants actuels comme une des plus extraordinaires réalisations intellectuelles de cette race, c'est la littérature qui prédominait sous toutes ses formes. On fonda des écoles et des universités où accouraient les étudiants venus de nombreux pays. De grandes oeuvres, traitant de sujets variés, virent le jour ; de vastes bibliothèques furent fondées, qui réunissaient des centaines de milliers de volumes. Les califes pillaient le monde en quête de connaissances nouvelles, ils équipaient des expéditions chargées de rechercher et de faire rendre aux pays inconnus et aux âges révolus leurs traditions et leurs sciences. On occupa une armée de traducteurs qui transposaient en arabe des ouvrages de langue grecque, égyptienne, hindoue et hébraïque. On étudia minutieusement la grammaire et ses règles. On édita sur une vaste échelle des dictionnaires, des lexiques et des encyclopédies. On fit venir du papier de la Chine. On emprunta aux Indes un nouveau système numérique (généralement connu sous le nom de chiffres arabes). Les califes prirent l'habitude d'inviter à la cour des hommes de lettres de réputation mondiale. Les grandes librairies de la capitale devinrent le lieu de rencontre des savants, des philosophes, des poètes et des grammairiens de divers pays.
La pratique des sciences exactes et abstraites allait de pair avec celle des belles-lettres. Dans les sciences expérimentales telles que la chirurgie et la médecine, la chimie, la physique, en géographie comme en mathématiques et en astronomie, les Arabes étaient à la tête du monde de cette époque. Les Arabes créèrent un style d'architecture nouveau et raffiné qui réunissait la grâce aérienne à la solidité imposante et à l'art d'utiliser la lumière. L'influence de ce style se retrouve aux Indes et jusqu'à l'île de Java, en Chine, au Soudan et dans toute la Russie. Les Arabes avaient créé de nombreuses industries. Ils améliorèrent leurs méthodes d'agriculture et d'horticulture. Les premiers à connaître l'emploi du compas, les navigateurs arabes guidaient leurs vaisseaux à travers les mers, pendant que les caravanes entretenaient des relations commerciales avec toutes les provinces de l'Empire, et transportaient les produits des Indes, de la Chine, du Turkestan et de la Russie, de l'Afrique et de la Malaisie.
La gloire de Bagdad, avec ses mosquées et ses palais, ses temples d'étude, ses jardins embaumés, était imitée dans les centres moins importants du monde de l'islam, tels que Basrah, Boukhara, Grenade et Cordoue. À propos de cette dernière ville, on a écrit qu'à l'apogée de la prospérité elle avait plus de vingt mille maisons et plus d'un million d'habitants, et qu'à la tombée de la nuit un homme pouvait marcher en ligne droite sur une distance de 16 km. le long de ses rues pavées et éclairées, tandis qu'en Europe, des siècles plus tard, il n'y avait pas une seule rue pavée à Paris, et qu'à Londres l'éclairage publique n'existait pas.
C'est à Cordoue que fut fondée la première université d'Europe. Une multitude d'étudiants chrétiens y suivirent des cours, parmi eux figurait Gerbert qui, par la suite, devint Sylvestre XI, le grand pape de Rome.
Inévitablement, et malgré l'antagonisme entre la chrétienté et l'islam, cette civilisation avancée exerça son influence sur l'évolution de la vie et de la pensée européenne. Des idées, des techniques et des nouvelles attitudes d'esprit passèrent de l'islam en Europe occidentale par l'intermédiaire de l'avant-poste musulman en Sicile et de la splendeur éblouissante de l'Espagne arabe, par l'intelligence des savants et les ressources des universités arabes, par ses marchands, ses diplomates et ses voyageurs, par ses soldats, ses marins et ses paysans reconvertis. (2)"

Dans cette Révélation, qui est l'accomplissement des âges et des siècles passés, l'humanité a été dotée, dans tous les domaines de la connaissance humaine, d'énormes capacités de croissance et de développement. Jusqu'au moment de la révélation du Bab, les progrès humains avaient été très lents et limités dans leur portée. Avec la venue du Bab, cependant, une nouvelle ère de connaissance, sans précédent dans son étendue s'ouvre pour l'humanité.

Dans l'une des traditions de l'islam, il est clairement stipulé que "la connaissance comprend vingt-sept lettres. Tout ce que les prophètes ont révélé à ce jour ne correspond qu'à deux lettres. Aucun homme à ce jour n'a connu plus que ces deux lettres. Mais lorsque le Qa'im se lèvera, il sera la cause qui rendra les vingt-cinq autres lettres manifestes." (3)

Depuis l'apparition du Bab, les progrès de l'homme dans la civilisation matérielle comme dans la spirituelle ont été prodigieux. L'augmentation sans précédent des découvertes scientifiques a, dans une courte période de temps, établi un merveilleux système de communication à travers le monde, qui est de la plus grande importance si nous devons correctement évaluer le plan de Dieu pour l'humanité.

La diffusion de la lumière de la foi de Baha'u'llah à travers la planète tout entière et la proclamation de son message à l'échelle mondiale ne pouvaient être réalisées avant que les peuples du monde ne soient capables de communiquer facilement les uns avec les autres. Sans un système mondial de communication, liant l'humanité ensemble, la foi de Baha'u'llah aurait été impraticable et inefficace. Car c'est une Foi dont les enseignements fondamentaux gravitent autour du principe de l'unité de l'humanité. Son message est universel et son but est d'établir un ordre mondial spirituel pour tous ceux qui habitent sur terre.

Au début de la Foi en Perse, de nombreux croyants ne pouvaient visualiser le moyen par lequel la cause de Baha'u'llah pourrait atteindre les coins les plus éloignés de la terre. La seule façon de voyager qu'ils connaissaient, était la marche, ou monter un âne ou une mule. La question qui les déconcertait le plus était comment pourraient-ils couvrir de si longues distances pour enseigner la Cause. À ce moment-là, nul ne pouvait offrir de solution si ce n'était de dire que Dieu créerait les moyens. Mais le Bab avait déclaré que l'humanité devrait établir un système de communications rapides pour que la nouvelle de la venue de "Celui que Dieu rendra manifeste" puisse atteindre le monde entier.

Maintenant cela est arrivé, et dans une courte période de temps une révolution scientifique miraculeuse a eu lieu. Aujourd'hui le monde est devenu un seul monde. L'homme peut communiquer à la vitesse de la lumière et voyager plus vite que le son. Le Bab a vraiment ouvert la voie à une nouvelle ère de connaissance humaine, pavant le chemin pour la venue de Baha'u'llah. Aujourd'hui la cause de Baha'u'llah a touché toute l'humanité et les institutions en pleine ascension de son Ordre mondial sont fermement établies dans chaque pays.

L'affluence de connaissance dans cette révélation s'est produite dans les domaines spirituels comme matériels. Ils doivent tous deux progresser la main dans la main de façon à ce qu'une civilisation divine puisse être amenée à l'existence. L'un sans l'autre créerait un tel déséquilibre dans la vie de l'homme qu'il compromettrait sa progression. La connaissance scientifique seule mènera au matérialisme, et la connaissance spirituelle seule aboutira en superstition.

La révélation de Baha'u'llah a pour but de créer cet équilibre dans la société humaine. La civilisation baha'ie naîtra lorsque cela sera réalisé à l'échelle mondiale. Alors, la connaissance de Dieu dominera tellement l'âme humaine que la noblesse de caractère et les vertus divines seront les traits distinctifs de l'espèce humaine. Alors, le progrès scientifique assorti aux acquisitions spirituelles ouvrira la voie à une ère nouvelle de réalisations humaines. Dans une telle société, les arts baha'is, la littérature, la musique, ainsi que les autres effusions de l'esprit humain germeront et se développeront et l'arbre de l'humanité fleurira et grandira vers sa maturité.


c) Hur-i-'Ujab

Une des autres épîtres de Baha'u'llah révélée vers la même époque est la Hur-i-'Ujab (La merveilleuse servante). Elle est écrite en arabe et est semblable aux deux épîtres précédentes, en ce qu'elle transmet les mêmes bonnes nouvelles. Elle est écrite dans un langage allégorique et contient le symbole de la "Servante céleste".

Baha'u'llah y fait allusion à la révélation de son glorieux rang, affirme que la lumière de sa face s'est répandue sur les hommes et déclare que les effusions de sa révélation ont été si prodigieuses que les coeurs purs en ont été stupéfaits. Il dénonce aussi la perversité et l'aveuglement des incroyants parmi ses compagnons. Cela fait allusion à Mirza Yahya et à ses acolytes, qui trahirent la foi de Dieu et causèrent beaucoup de tristesse et de douleur à Baha'u'llah.


d) Az-Bagh-i-Ilahi

Az-Bagh-i-Ilahi est une ode révélée peu de temps avant la déclaration de Baha'u'llah. C'est l'une de ses odes les plus joyeuses, composée dans un style exalté. Chaque verset en persan est suivi d'un verset en arabe et l'ensemble des deux crée une mélodie riche de beauté inégalée et d'enchantement. Son thème est l'événement du Jour promis de Dieu, mais décrire son contenu n'est pas une tâche aisée, particulièrement en l'absence de traduction en anglais.

Dans chacune des lignes, Baha'u'llah fait allusion à lui-même et loue ses propres attributs. Il dévoile les splendeurs de son rang exalté et parmi d'autres dénominations, se réfère à lui-même comme au Seigneur de toute l'humanité, la Source de vérité, le Promis de tous les temps, l'Adolescent du paradis, le Vivificateur des hommes et l'Essence de l'esprit de vérité. Ce poème est une description éloquente du rang prodigieux de Baha'u'llah, du caractère de sa mission et des effusions de sa révélation.

Le chant de cette ode magnifique crée une atmosphère d'extase et de joie. Elle émeut le coeur et suscite dans l'âme un sentiment de respect et d'émotion. Il n'est pas étonnant que les compagnons de Baha'u'llah à Bagdad qui la chantaient dans leurs réunions aient été emportés vers les royaumes de l'esprit, complètement oublieux de ce monde et de tous ses peuples.


e) Halih-Halih-Ya-Bisharat

Une autre ode en persan, révélée pendant cette période est connue sous le nom de Halih-Halih-Ya-Bisharat. Par son contenu, elle est très semblable à Az-Bagh-i-Ilahi.

Nabil raconte dans ses récits non encore publiés l'histoire d'une réunion qui eut lieu un soir dans la maison de Baha'u'llah à Bagdad, quelque temps avant sa déclaration. Il considère cette réunion comme ayant été l'une des plus mémorables de toute sa vie.

Cette nuit-là, un somptueux festin avait été organisé par 'Abdu'l-Baha alors âgé de dix-huit ans et qui en était l'hôte. Sa jeunesse et sa personnalité radieuse ajoutaient à la distinction de l'assemblée. Un certain nombre de croyants de Bagdad et de Karbila étaient présents et parmi eux des éminentes personnalités telles que Hadji Siyyid Javad-i-Karbila'i, Shaykh Sulnan et Sayyah.

Après avoir pris part au repas, ils commencèrent à chanter les épîtres de Baha'u'llah, et bientôt l'atmosphère devint profondément spirituelle. Les coeurs étaient emplis d'amour divin et les âmes illuminées par la lumière du nouveau Jour ; alors, lorsque fut chanté le poème de Az-Bagh-i-Ilahi, ses mystères s'éclaircirent pour eux, révélant ainsi l'imminente approche de l'heure du dévoilement du rang divin de Baha'u'llah. Dans ce groupe, chaque âme sincère découvrit l'extase et la joie et l'atmosphère devint vibrante d'émotion et de ravissement.

Un incident intéressant se produisit pendant le chant de cette ode. Dans l'un des versets, Baha'u'llah condamne les infidèles d'entre ses compagnons. Lorsque ce verset particulier fut chanté, les fidèles se tournèrent tous vers Siyyid Muhammad-i-Isfahani. Quoique embarrassé, il se leva et à l'amusement de certains et la stupéfaction d'autres, il exécuta une danse de ravissement essayant par ce moyen d'écarter leur suspicion.

Puis, soudainement, la porte s'ouvrit et Baha'u'llah pénétra majestueusement tenant dans sa main une petite coupe en verre contenant de l'eau de rose. Il les acueillit avec la salutation "Allah'u'-Akbar" [nota: Littéralement "Dieu est le plus Grand", les disciples du Bab se saluaient ainsi], et les pria de ne pas se lever ni d'interrompre leur réunion. Il avait ressenti la spiritualité de cette réunion, dit-il, et était donc venu pour les oindre avec de l'eau de rose [nota: À cette époque, c'était considéré pour l'hôte comme un acte affable que d'oindre ses invités]. Il fit cela de façon gracieuse, allant vers chaque personne dans la pièce, après quoi il repartit.

Ce fut un grand moment et l'apogée de la soirée. Nul ne put dormir cette nuit-là, tellement ils étaient grisés par le vin de sa présence. Nabil écrivit "que l'oeil de la création n'avait jamais vu une nuit semblable".



13. AMIS ET ENNEMIS

a) Hadji Siyyid Javad-i-Karbila'i


Hadji Siyyid Javad-i-Karbila'i à qui il a été fait référence dans les chapitres précédents, était notoire parmi les compagnons de Baha'u'llah en Irak, il rendit des services mémorables à la Foi et fut tout particulièrement mentionné par Nabil dans le récit mentionné précédemment.

C'était l'un des disciples remarquables de Siyyid Kazim-i-Rashti et, dans son adolescence, il avait rencontré le célèbre Shaykh Ahmad-i-Ahsa'i, fondateur de la secte Shaykhi de l'islam. Il se distinguait par son savoir et sa connaissance, sa piété et sa droiture. Il était réservé dans ses propos et très doux dans ses manières, et avait une allure très digne qui le faisait apprécier des gens.

Hadji Siyyid Javad fut l'un des premiers croyants de la "dispensation" babie. Il connaissait le Bab depuis l'enfance, des années avant sa déclaration et était fasciné par les qualités remarquables qui apparaissaient en lui de manière frappante. Quelques années plus tard, il alla à Bushihr et pendant près de six mois vécut dans le bâtiment où le Bab et son oncle avaient leur lieu de travail. Là, il fut attiré par le Bab et accéda en sa présence de nombreuses fois. Mais jamais il ne lui traversa l'esprit que le Promis de l'islam pourrait être quelqu'un d'autre que l'un des ecclésiastes ou hommes de savoir.

Dans une chronique orale rapportée par Mirza Abu'l-Fadl, le remarquable érudit de la Foi, Hadji Siyyid Javad évoque avec émotion les circonstances qui le menèrent à embrasser à Karbila, la foi du Bab:

"… Ce fut en 1844 que Mulla 'Aliy-i-Basnami retourna à Karbila venant de Shiraz, apportant la nouvelle de l'apparition du Bab (*) et annonçant que lui-même avec d'autres disciples avait déjà atteint sa présence. Cette nouvelle, qui s'étendit rapidement, créa une grande émotion parmi les ecclésiastes qui avaient confiance en Mulla 'Ali et avaient de la considération pour sa distinction et sa vie pieuse.
Mulla 'Ali cependant, ne mentionna que le titre du Bab et refusa de révéler son identité. Il avait l'habitude de dire: "Le Bab est apparu et certains d'entre nous ont été en sa présence, mais il nous a interdit de mentionner son nom ou de révéler son identité ou celle de sa famille pour le moment. Néanmoins, son message sera divulgué bientôt à l'étranger et son nom sera révélé à tous."
Cette nouvelle suscita un sentiment d'étonnement en Irak. Dans toutes les réunions, l'apparition du Bab était le sujet de discussions. Beaucoup de personnes spéculaient sur son identité, mais nul ne suspecta que Mirza 'Ali-Muhammad pouvait être le Bab. Cette possibilité ne traversa jamais l'esprit de qui que ce soit, étant donné qu'il n'était qu'un adolescent et marchand de profession. Les gens sans aucune exception pensaient que le Bab, la Porte de la connaissance de Dieu, apparaîtrait parmi les savants et non pas parmi les classes commerçantes ou professionnelles. Les Shaykhis, en particulier, pensaient qu'il serait l'un des principaux disciples de Siyyid Kazim.
Un jour, j'invitai Mulla 'Ali chez moi… Nous parlâmes de ce merveilleux évènement, mais malgré les forts liens d'amour et d'amitié qui existaient entre nous, je ne pus lui tirer un seul indice par lequel j'aurai pu reconnaître la personne du Bab. À la fin, j'étais désespéré. En plaisantant, je serrai son bras et le poussai fortement contre le mur…
Je le tins ainsi, lui demandant de révéler le nom de cet être merveilleux. Mais calmement, Mulla 'Ali me rappela qu'il lui avait été interdit de le faire… Au cours de tout ceci, Mulla 'Ali, tout à fait par inadvertance mentionna que le Bab lui avait demandé de collecter toutes les lettres qu'il avait écrites aux gens de Karbila et de les lui renvoyer à Shiraz.
En entendant cela, la personne de Mirza 'Ali-Muhammad me traversa soudainement l'esprit. Bien que cela semblât très improbable, je me demandai si cela pouvait être lui. Je me précipitai donc vers ma chambre et allai chercher quelques-unes de ses lettres qui m'étaient adressées. Dès que les yeux de Mulla 'Ali tombèrent sur le sceau du Bab, il éclata en sanglot. J'étais tellement ému que je pleurai aussi. Entre les sanglots, la supplique constante de Mulla 'Ali était: "Je n'ai pas mentionné son nom. Je vous en prie, ne le dites à personne…"
Ce fut peu de temps après que, à la Mecque, le Bab déclara son rang et cette nouvelle fut largement propagée à travers le monde musulman et son identité révélée. (1)"
(*) Nota: Littéralement "Porte": Celui qui est considéré comme étant l'intermédiaire entre le fidèle et le Promis. C'est une dénomination bien connue des disciples de l'islam chiite

Peu de temps après cette entrevue, Hadji Siyyid Javad alla à Shiraz et vint en présence du Bab, cette fois-ci en ardent croyant. Il consacra sa vie à Karbila au service de la Cause. Ce fut dans cette ville en 1851 qu'il rencontra Baha'u'llah pour la première fois. Il reconnut immédiatement la grandeur de Baha'u'llah, mais ne prit conscience de son rang glorieux que beaucoup plus tard.

Ce qui suit est une traduction de sa chronique orale, décrivant sa première rencontre avec Baha'u'llah:

"…J'étais à Karbila lorsque la nouvelle de la venue de Baha'u'llah en cette ville me parvint. La première personne qui me donna cette information fut Hadji Siyyid Muhammad-i-Isfahani [nota: L'antéchrist de la révélation baha'ie].
Avant d'arriver en sa présence, je m'attendais à trouver en lui un adolescent de noble lignée, le fils d'un vizir, mais nullement quelqu'un doté d'une immense connaissance et de sagesse. Avec quelques amis, je suis allé rencontrer Baha'u'llah. Ainsi que le voulait la coutume, mes amis ne pouvaient pénétrer dans la pièce avant moi ; j'entrai donc le premier et occupai le siège d'honneur de cette réunion.
Après avoir échangé des salutations, Baha'u'llah se tourna vers ceux qui étaient présents et leur demanda quels étaient les sujets que les disciples de feu le Siyyid [nota: Siyyid Kazim-i-Rashti], avaient l'habitude de débattre lorsqu'ils étaient assemblés dans une réunion. Discutaient-ils des sujets de religion comme c'était courant entre hommes ? Que feraient-ils si Dieu se manifestait à l'homme, rendait obsolètes les vieilles doctrines et philosophies, révélait une nouvelle série d'enseignements et ouvrait une nouvelle page de connaissance divine ? Quelle serait alors leur attitude ?
Baha'u'llah parla de la sorte pendant quelque temps. Très rapidement je me rendis compte que nous, qui étions connus pour être des hommes de savoir et de connaissance, habitions dans les profondeurs de l'ignorance, tandis que lui, que nous considérions comme un jeune adolescent, le fils d'un vizir, se tenait sur le plus haut pinacle de compréhension et de sagesse.
Après cette expérience, chaque fois que je pénétrais en sa présence, je m'asseyais à ses pieds dans une humilité absolue et m'abstenais de parler. Je l'écoutais toujours attentivement pour pouvoir profiter de sa connaissance et de sa compréhension. Cependant, mon attitude agaçait habituellement Hadji Siyyid Muhammad. Une fois il me réprimanda disant: "En supposant que nous soyons tous d'accord pour dire que Jinab-i-Baha est du même acabit que nous-mêmes, pourquoi vous asseyez-vous en silence et montrez tellement d'humilité envers lui ."
J'implorais mon ami de ne pas être fâché avec moi. Je lui dis que je ne pouvais ni spécifier un rang pour lui, ni Dieu m'en préserve, le considérer comme l'un d'entre nous. Je le considérais comme incomparable et unique. (2)"

Début 1852, Baha'u'llah retourna de Karbila vers sa ville natale et quelques mois plus tard fut emprisonné dans le Siyah-Chal de Téhéran. Hadji Siyyid Javad se trouvait à Karbila lorsque Baha'u'llah fut exilé en Irak après avoir été libéré de cette prison. Pendant les dix années du séjour de Baha'u'llah en Irak, il fut un compagnon fidèle, un compagnon qui avait sincèrement reconnu le rang de Baha'u'llah avant sa déclaration.

Lorsque Baha'u'llah fut exilé à Andrinople, Hadji Siyyid Javad voyagea jusqu'en Perse et vécut dans différentes parties du pays, servant la Foi avec une grande distinction. Il demeura un croyant loyal et ferme jusqu'à sa mort à Kirman vers 1882.


b) Quelques ennemis puissants

À l'époque où, à Bagdad, les compagnons de Baha'u'llah jouissait du soleil de sa présence et que le destin de la Foi avait commencé à poindre, grandissait une campagne d'opposition et d'hostilité envers son Auteur. Les machinations d'un nombre de 'ulama, menés par le fourbe et malfaisant Shaykh 'Abdu'l-Husayn, habilement assisté par l'intriguant Mirza Buzurg Khan, le consul général de Perse à Bagdad auquel nous avons fait référence dans un chapitre précédent,commençaient maintenant à avoir de l'effet.

Leurs lettres de calomnies et d'accusations contre Baha'u'llah, dans lesquelles ils déformaient grossièrement sa cause, influençaient le tyrannique Nasiri'd-Din Shah. Le ministre persan des Affaires étrangères, Mirza Sa'id Khan, fut grandement surpris par la ténacité et le courage de Baha'u'llah face à l'opposition grandissante de ses puissants ennemis, lorsqu'il lut la tablette Shikhar-Shikan qui lui était adressée. Il ne prit cependant aucune mesure pour dissiper les craintes et la suspicion du Chah et au contraire exécuta ses ordres aveuglément. Ceux-ci étaient d'enjoindre à l'ambassadeur persan à Constantinople, Hadji Mirza Husayn Khan, le Mushiru'd-Dawlih, de persuader le gouvernement ottoman d'expulser Baha'u'llah de Bagdad principalement sous prétexte que sa présence dans une ville si proche des frontières de la Perse exercerait sur son peuple une influence nuisible. Un courrier particulier fut envoyé de Téhéran à Constantinople, conseillant à l'ambassadeur de rencontrer 'Ali Pasha, le grand vizir du sultan, et Fu'ad Pasha, le ministre des Affaires étrangères pour discuter avec eux de toute cette situation afin d'obtenir un ordre du sultan pour le transfert de Baha'u'llah hors de Bagdad.

Dans cette communication, Mirza Sa'id Khan condamne la communauté babie comme une secte égarée et détestable dont les fondations, affirmait-il, avaient été éradiquées par les efforts concertés du gouvernement et du souverain lui-même. Il souligna la nécessité d'exterminer sans exception chacun de ses membres et déplora la libération de Baha'u'llah du Siyah-Chal, qu'il attribua à un manque de prudence de la part du gouvernement de l'époque. Il accusa Baha'u'llah d'être la source de troubles, de corrompre secrètement et de tromper les hommes ignorants et faibles et exprima son inquiétude du prestige grandissant de Baha'u'llah à Bagdad et du nombre croissant de ses disciples qui volontiers donneraient leur vie dans son sentier. Afin de pouvoir imprégner son correspondant de ses propres craintes, il cita le célèbre verset arabe suivant: "Je vois sous les cendres la lueur du feu et il n'a besoin que de peu pour s'enflammer."

Il parle de plus dans cette communication des relations cordiales et des bonnes intentions qui lient les deux nations islamiques qui jugent de même manière toute affaire vitale à leur intérêt commun. Il déclare alors que le Chah lui a ordonné d'envoyer à Constantinople cette communication par messager particulier et de donner les instructions à l'ambassadeur de procéder sans délai à présenter ce cas au grand vizir du Sultan et à son ministre des Affaires étrangères, en leur proposant deux solutions possibles. Celle que le gouvernement persan favorisait était un ordre d'extradition, donnant les instructions à Namiq Pasha, le gouverneur de Bagdad de transférer Baha'u'llah et certains de ses disciples aux autorités persanes de Kirmanshah. De cette façon, le gouvernement persan pourrait les garder en détention dans un lieu adéquat et ainsi les empêcher de propager leur Cause. Si cette suggestion était inacceptable par le gouvernement du sultan, Mirza Sa'id Khan proposait une alternative qui était de transférer Baha'u'llah de Bagdad vers un lieu éloigné en territoire ottoman, où il pourrait être interné loin des frontières de la Perse.

De façon à pouvoir consolider son affaire, Mirza Sa'id Khan joignit à son courrier la lettre originale que Mirza Buzurg Khan, le consul général de Bagdad, avait fait parvenir au Chah par le gouverneur de Kirmanshah et qui contenait des rapports alarmants, des mensonges et des déclarations erronées au sujet de Baha'u'llah. Mais d'autres rapports concernant les remarquables qualités et attributs de Baha'u'llah étaient de temps en temps parvenus au sultan qui avait été tellement impressionné par ces récits qu'il refusa résolument d'accéder aux requêtes du gouvernement persan de faire extrader Baha'u'llah de son territoire. Au contraire, il émit l'ordre par l'intermédiaire de 'Ali Pasha, llah devait se rendre à Constantinople en tant qu'hôte du gouvernement ottoman. Une escorte montée reçut l'ordre de l'accompagner pour le protéger.

Pendant ce temps, les croyants à Bagdad, ignorant ces démarches, étaient heureux et appréciaient la compagnie de Baha'u'llah.



14. LA TABLETTE DU SAINT NAUTONIER

À l'occasion de Naw-Ruz (*) 1863, Baha'u'llah avait dressé sa tente dans un champ situé dans la banlieue de Bagdad et nommé Mazra'iy-Vashshash - endroit qui avait été loué par Mirza Musa, son frère fidèle. Baha'u'llah célébrait cette fête avec un certain nombre de ses compagnons, qui, comme lui, vivaient sous une tente dans la campagne. À cette époque de l'année, lorsque le printemps vient de commencer et que le temps est doux, les sorties campagnardes sont extrêmement plaisantes. Baha'u'llah appréciait toujours la nature et les beaux paysages et aimait être à la campagne.

(*) Nota: Une fête ancienne, lorsque les Persans célébraient leur nouvel An le jour de l'équinoxe de printemps, habituellement le 21 mars. Le calendrier baha'i commence aussi avec Naw-Ruz qui est l'un des jours saints baha'is. En 1863, Naw-Ruz fut célébré le 22 mars car l'équinoxe de printemps eut lieu après le coucher du soleil du 21.

La Lawh-i-Mallahu'l-Quds (la tablette du Saint Nautonier) fut révélée le cinquième jour de Naw-Ruz. Mirza Aqa Jan, le secrétaire de Baha'u'llah sortit de la tente de Baha'u'llah, rassembla les croyants autour de lui et leur chanta cette tablette mélancolique. Bien que durant la dernière année de son séjour en Irak, il avait en de nombreuses occasions fait allusion aux épreuves et aux tribulations qui allaient se produire, ses compagnons n'avaient jamais auparavant ressenti une tristesse semblable à celle qui fut éprouvée ce jour-là.

Nabil, qui était présent, a rapporté ce qui suit:

"Des océans de chagrin envahirent le coeur de ceux qui écoutaient lire à voix haute la tablette du Saint Nautonier… Il était évident pour tous que le chapitre de Bagdad tirait à sa fin et qu'un nouveau allait le remplacer. Dès qu'on eut fini de chanter la tablette, Baha'u'llah ordonna de démonter les tentes et dit à tous ses compagnons de regagner la ville. Tandis qu'on enlevait les tentes, il fit la remarque:"Ces tentes peuvent être comparées aux décors de ce monde, à peine sont-elles déployées qu'il est déjà temps de les replier." Ceux qui entendirent ces paroles comprirent alors que leurs tentes ne seraient plus jamais dressées en ce lieu. (1)"

Il mentionne de plus, que les tentes n'étaient pas encore enlevées qu'un émissaire de Namiq Pasha, le gouverneur de Bagdad, arriva et remis à Baha'u'llah une communication l'invitant à aller au quartier général du gouverneur pour une entrevue. Baha'u'llah accepta l'invitation, mais ne désirant pas voir les autorités au quartier général du gouvernement, il suggéra qu'à la place, la réunion ait lieu le jour suivant, dans une certaine mosquée de la ville.

Namiq Pasha, comme ses prédécesseurs, admirait Baha'u'llah et était très conscient de sa connaissance innée et de sa position élevée. Il tenait tellement Baha'u'llah en haute estime que pendant trois mois il n'eut pas le courage de lui transmettre la décision du gouvernement ottoman, de le faire partir pour Constantinople. Après avoir reçu, pour la cinquième fois, la notification du Premier Ministre d'organiser le transfert de Baha'u'llah vers la capitale, Namiq Pasha, à contre-coeur, prit les mesures nécessaires pour en informer Baha'u'llah. Se sentant honteux de le rencontrer face à face le jour de cette malheureuse circonstance, le gouverneur envoya son représentant, Amin Effendi, à la mosquée pour transmettre le message. Quelques semaines plus tard, comme Baha'u'llah était dans le jardin de Ridvan, Namiq Pasha s'y rendit, vint en sa présence et présenta ses hommages à celui qu'il considérait comme l'une des lumières de cette époque.

La tablette du Saint Nautonier est composée de deux parties, l'une en arabe et l'autre en persan. À ce jour, seule la tablette en arabe a été traduite en anglais et est publiée.

Le thème de cette tablette est l'histoire de l'alliance et de l'infidélité de l'homme à son égard. Son message s'applique non seulement à l'époque de Baha'u'llah, mais aussi aux ministères de 'Abdu'l-Baha et de Shoghi Effendi et évidemment à l'époque actuelle. Concernant cette tablette, 'Abdu'l-Baha dit: "Étudiez la tablette du Saint Nautonier afin de connaître la vérité et de constater que la Beauté bénie [nota: Baha'u'llah] a annoncé les évènements à venir. Que ceux qui entendent, prennent garde." (2)

Non seulement 'Abdu'l-Baha demanda aux croyants d'étudier cette tablette pendant son propre ministère, lorsque l'alliance de Baha'u'llah avait été violée par les briseurs d'alliance, mais peu de temps avant son ascension, il leur conseilla vivement de l'étudier à nouveau. Car il ne savait que trop bien qu'il y avait parmi ses disciples, quelques-uns qui violeraient l'Alliance et se lèveraient contre Shoghi Effendi, le Gardien de la cause de Dieu.

La tablette du Saint Nautonier est révélée dans un langage symbolique. Pour l'apprécier, nous devons acquérir pour nous-même, une connaissance des vérités spirituelles enchâssées à l'intérieur des Écrits de Baha'u'llah et méditer ses paroles. Bien que les termes allégoriques dont se sert Baha'u'llah dans cette tablette prennent diverses significations, néanmoins, il a manifestement annoncé des évènements futurs et énoncé certains aspects de l'Alliance.

Ce qui suit est une traduction de la tablette du Saint Nautonier de l'original en arabe [nota: Après chaque verset, excepté les trois derniers, est dit le refrain: "Glorifié soit mon Seigneur,le Très-Glorieux !"]:

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Il est le Miséricordieux, le Bien-Aimé !

Ô Saint Nautonier, ordonne à ton arche éternelle de paraître devant l'Assemblée céleste.

En son nom, le Très-Merveilleux, lance-la sur la mer ancienne,

Au nom de Dieu le Très-Haut, accueille les esprits angéliques,

Puis largue les amarres, qu'elle vogue sur l'océan de gloire,

Et que ses passagers trouvent abri aux abords du royaume éternel.

Parvenus à la grève sacrée, rive des océans vermeils,

Qu'ils débarquent pour atteindre cette condition éthérée, invisible,

Condition où le Seigneur apparaît au sein de l'arbre immortel, dans toute sa flamboyante beauté ;

Où les incarnations de sa cause se purifient de l'ego et de la passion ;

Où la gloire de Moïse gravite accompagnée des multitudes éternelles ;

Où Dieu retire la main du sein de sa Grandeur ;

Où l'arche de la Cause s'encalmine bien que tous les attributs divins soient révélés à ses passagers.

Ô Nautonier, enseigne aux passagers de l'arche ce que nous t'enseignâmes derrière le voile mystique,

Espérant qu'ils ne s'attardent pas en cet endroit nivéen,

Mais s'envolent sur les ailes de l'esprit vers cette condition qu'ici-bas le Seigneur exalte au-dessus de toute mention,

S'élancent dans l'espace, comme ces oiseaux élus dans le royaume de la rencontre éternelle,

Et découvrent les mystères cachés dans les océans de lumière.

Franchissant les degrés des limitations terrestres, ils accèdent à celui de l'unité divine, coeur de la providence céleste,

Ils désirent atteindre cet état que le Seigneur a voulu supérieur à leur condition.

Sur quoi, le météore de feu les rejette loin des habitants du Royaume de sa présence,

Et ils entendent la Voix de grandeur, s'élevant par-delà la tente invisible dressée sur le Sommet de gloire:

"Anges gardiens, reconduisez-les vers leur demeure dans le monde inférieur,

Car ils ont voulu s'élever jusqu'à la sphère jamais atteinte par l'aile de la colombe céleste."

S'immobilise alors le vaisseau de l'imagination que ne peut percevoir l'esprit de ceux qui comprennent.

Sur quoi, la vierge du paradis jette un regard hors de sa chambre bénie,

Fait un signe de la tête à l'assemblée céleste,

Inondant le ciel et la terre de la lumière de son visage,

Et lorsque sa beauté radieuse éclaire le peuple de poussière,

Tous se retournent dans leurs tombes.

Puis elle lance cet appel que nul, de toute éternité, jamais n'entendit ;

Elle proclame: "Par le Seigneur ! le coeur qui n'exhale pas le parfum de l'amour de cet Adolescent d'ascendance arabe, éminent et glorieux,

Ne pourra jamais s'élever jusqu'à la gloire du plus haut paradis."

Puis, elle appelle une vierge parmi ses suivantes,

Et lui ordonne: "Quitte les demeures éternelles, plonge dans l'espace,

Et vois ce qu'ils ont enfoui au plus profond de leur coeur.

Si tu reconnais le parfum du vêtement de cet Adolescent, caché sous la tente de lumière en raison des actes des méchants,

En ton for intérieur lance un appel afin que les habitants du paradis, incarnations de la richesse

éternelle, comprennent et entendent ;

Qu'ils quittent leurs demeures éternelles et frémissent,

Leur baisent les mains et les pieds pour s'être élevés sur les hauteurs de la fidélité,

Et qu'alors ils fleurent sur leurs vêtements le parfum du Bien-Aimé !"

Sur ce, le visage de l'élue rayonne au-dessus des demeures célestes comme la lumière du visage de l'Adolescent resplendit au-dessus de son temple mortel.

Elle descend alors, illuminant de sa beauté les cieux et tout ce qu'ils contiennent.

Et chacun de ses mouvements embaume toutes choses dans les plaines de sainteté et de grandeur.

Parvenant en ce lieu, elle se dresse de toute sa taille au coeur même de la création,

Et cherche à humer leur parfum, en cet instant qui ne connaît ni commencement ni fin.

Mais elle ne trouve pas en elles ce qu'elle désire et, certes, voici encore un de ses contes étonnants.

Alors, gémissant et pleurant à chaudes larmes, elle retourne à sa condition dans sa très noble demeure,

Et sa voix, douce comme le miel, murmure en secret une parole mystique.

Puis, s'adressant à l'assemblée céleste et aux immortelles jeunes filles du paradis, elle clame:

"Par le Seigneur ! Je n'ai pas respiré chez ces vains prétendants la brise de la fidélité.

Par le Seigneur ! Au pays de l'exil, cet Adolescent est resté seul et désespéré entre les mains des impies !"

Et le cri qu'elle pousse en son for intérieur est tel qu'il fait hurler et trembler l'assemblée céleste.

Puis elle tombe dans la poussière et rend l'âme. Il semble qu'elle ait entendu l'appel de celui qui la mandait au royaume d'en haut.

Gloire à celui qui la créa de l'essence de l'amour au coeur même de son paradis suprême!

Alors, les vierges célestes sur qui les yeux des habitants du plus haut paradis ne se sont jamais posés, s'élancent hors de leurs chambres.

Glorifié soit notre Seigneur, le Très-Haut !

Elles se rassemblent autour d'elle ; et voyez, son corps gît dans la poussière,

Glorifié soit notre Seigneur, le Très-Haut !

Contemplant son état et comprenant d'un mot le récit de l'Adolescent, elles dénudent leur tête, déchirent leurs vêtements, se frappent le visage, oublient leur joie, fondent en larmes, se griffent les joues. Certes, voici l'une de ces afflictions profondes et mystérieuses.

Glorifié soit notre Seigneur, le Très-Haut ! (3)
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Dans cette tablette Baha'u'llah se réfère à lui-même comme étant le "Saint Nautonier", et aux croyants comme les "habitants" de "l'arche". Dans ses Écrits, le terme "arche" symbolise souvent la cause de Dieu et l'Alliance. Ceux qui y pénètrent sont en sécurité et à l'abri ; ils voguent vers les rivages du salut et acquièrent la lumière divine.

Dans les passages d'ouverture de la tablette, Baha'u'llah fait allusion à la grandeur inconcevable de sa révélation, dans laquelle elle "apparaît au sein de l'arbre immortel, dans toute sa flamboyante beauté", autour de laquelle "la gloire de Moïse gravite accompagnée des multitudes éternelles". Il témoigne que celui qui a conversé avec Moïse sur le Sinaï est maintenant, en ce Jour, manifesté aux hommes, que les croyants - "ceux qui sont à l'intérieur de l'arche" et les "esprits angéliques" - peuvent, s'ils purifient leurs coeurs, "trouver abri aux abords du royaume éternel."

Pour saisir la signification de cette tablette nous devons nous souvenir qu'avec la venue de Baha'u'llah, le Jour de Dieu lui-même a été inauguré, et que l'humanité a reçu le don le plus précieux de sa Foi.

À travers ses Écrits, il y a de nombreuses références à la grandeur de sa révélation. Ce qui suit ne sont que quelques passages glanés de ses tablettes [nota: Ces passages sont cités dans l'Avènement de la justice divine par Shoghi Effendi]:

"Le dessein sous-jacent de toute la création est la révélation de ce Jour connu comme Jour de Dieu dans ses Livres et Écrits - le Jour dont tous les prophètes, les élus et les saints ont désiré être les témoins." "L'essence la plus élevée et l'expression la plus parfaite de tout ce que les peuples anciens ont dit ou écrit ont été envoyées à travers cette révélation la plus puissante, depuis le ciel de la volonté du Tout-Possédant, du Dieu Éternel." (p. 102)

"Par la justice de Dieu ! voici les jours où Dieu a éprouvé les coeurs de l'entière compagnie de ses messagers et prophètes et au-delà ceux qui veillent sur son sanctuaire sacré et inviolable, les habitants du Pavillon céleste et les résidents du Tabernacle de gloire." "Si la grandeur de ce Jour devait être révélée dans sa plénitude, chaque homme abandonnerait une myriade de vies dans son désir ardent de prendre part, ne fut-ce qu'un instant, à sa grande gloire - combien plus ce monde, et ses trésors corruptibles !" (p. 105)

"Par la justice de moi-même ! grande, incommensurablement grande est cette Cause. Puissant, inconcevablement puissant est ce Jour !" "Chaque prophète a annoncé la venue de ce Jour et chaque messager a gémi dans son désir ardent pour cette révélation. À peine, cette révélation avait-elle été révélée, que toutes les choses créées se sont écriées et ont dit: "La terre est à Dieu, le Très-Exalté, le Très-Grand !" (p.102)

"Je vous le dis en vérité ! Nul n'a saisi la racine de cette Cause. Il incombe à chacun, en ce jour, de percevoir avec l'oeil de Dieu et d'écouter avec son oreille. Quiconque me perçoit d'un oeil qui ets autre que le mien ne sera jamais capable de me connaître. Aucune des Manifestations de jadis, excepté à un degré prescrit, n'a jamais complètement saisi la nature de cette révélation." (p. 101)

"Grand est en vérité ce Jour ! Les allusions qui lui sont faites dans tous les Écrits sacrés en tant que jour de Dieu attestent sa grandeur. Les âmes de tous les prophètes de Dieu et de tous les messagers divins ont eu soif de ce merveilleux Jour. Toutes les tribus de la terre ont également soupiré d'y parvenir." (p. 103)
Voici le Jour où les oreilles humaines ont été privilégiées d'entendre ce que celui qui conversait avec Dieu (Moïse) entendit au Sinaï, ce que celui qui est l'ami de Dieu (Muhammad) entendit quand il monta vers lui, le Secours, l'Absolu." (p. 104)

Être né en ce Jour et être le destinataire de telles faveurs sont les plus grandes générosités de Dieu à l'homme. Mais ce privilège porte aussi en lui de grandes responsabilités. Car, une fois que le croyant a reconnu la Manifestation de Dieu, son rôle est d'obéir fidèlement à ses commandements. Si une telle loyauté et une telle dévotion ne sont pas sincères et inconditionnelles, il ne peut pas être qualifié de ferme dans l'alliance de Dieu. La destinée du véritable croyant et les hauteurs vers lesquelles il peut arriver dépendent de sa sincérité et de sa fidélité dans la cause de Dieu.

Lorsqu'un individu reconnaît Baha'u'llah et est certain de son rang divin, il pénètre alors dans "l'arche". Les énergies spirituelles libérées par Baha'u'llah, ainsi que ses Enseignements, l'aideront à progresser et à s'approfondir dans la Cause, mais en même temps, ses épreuves se multiplieront proportionnellement. Car la foi d'un croyant est éprouvée de différentes façons. Certains sont affligés par la souffrance et la persécution, d'autres ont des batailles spirituelles qui peuvent durer toute une vie. Mais, s'il a la foi et qu'il est prêt en tous temps à entièrement abandonner sa volonté à celle de Baha'u'llah, il peut les gagner. Autrement, toutes traces d'égoïsme ou de passion, de désir ou d'attachement aux choses terrestres lui interdiraient sa progression spirituelle et pourraient à la fin éteindre complètement l'étincelle de sa foi.

Ce rang que le véritable croyant peut atteindre en ce jour est extrêmement élevé. Car Baha'u'llah est venu au Jour de Dieu et il a déversé sa gloire sur l'humanité. Le monde de l'existence s'est empli de l'océan de sa révélation et l'humanité a reçu une nouvelle capacité. Ce qui suit sont les paroles de Baha'u'llah concernant le rang du véritable croyant:

"Ô peuple de Baha ! La rivière qui est la vie même s'est écoulée par amour de vous. Videz la coupe, en mon nom, malgré ceux qui n'ont pas cru en Dieu, le Seigneur de la Révélation. Nous avons fait de vous les mains de notre Cause. Rendez victorieux cet Être lésé douloureusement et éprouvé par les artisans d'iniquité. Lui, en vérité, assistera chacun de nous qui l'assiste et se souviendra de chacun qui se souvient de lui. Cette tablette en porte témoignage qui a répandu la splendeur de la bienveillance de votre Seigneur, le Tout-Puissant, l'Irrésistible". "Béni est le peuple de Baha ! Dieu m'en est témoin ! Ils sont la consolation des yeux de la création. À travers eux les univers ont été parés et la Tablette Préservée embellie. Ils sont ceux qui ont navigué sur l'arche de l'indépendance complète, leurs visages tournés vers l'Aurore de Beauté. Combien est leur béatitude qu'ils aient atteint ce que leur Seigneur, l'Omniscient a voulu. À travers leur lumière, les cieux ont été ornés et les faces de ceux qui l'ont approché ont été rendues resplendissantes." "Par les chagrins, qui affligent la beauté du Tout-Glorieux ! Telle est la station ordonnée pour le vrai croyant que, si à un moindre degré que le chas d'une aiguille la gloire de ce rang était dévoilée au genre humain, chaque spectateur serait consumé par son ardent désir d'y parvenir… Pour cette raison, il a été décrété que durant la vie terrestre la mesure complète de la gloire de son propre rang resterait voilée aux yeux d'un tel croyant." "Si le voile était ôté et l'entière gloire du rang de ceux qui se sont entièrement tournés vers Dieu et qui, par leur amour pour lui, ont renoncé au monde, était rendue manifeste, la création tout entière serait stupéfaite." (4)

Et 'Abdu'l-Baha écrivit ces paroles:

"La condition qu'atteindra celui qui a réellement reconnu cette révélation est la même que celle qui a été conférée à ceux d'entre les prophètes de la maison d'Israël qui ne sont pas considérés comme des manifestations douées d'immuabilité". (5)

Quiconque atteint cette condition devient la personnification de l'abnégation, de l'humilité et de la servitude, meurt en lui-même et vit en Dieu. Un tel croyant est, en vérité, ainsi que Baha'u'llah le mentionne dans la tablette du Saint Nautonier, digne de "s'envoler sur les ailes de l'esprit vers cette condition qu'ici-bas le Seigneur exalte au-dessus de toute mention", de "S'élancer dans l'espace, comme ces oiseaux élus dans le royaume de la rencontre éternelle", et de "découvrir les mystères cachés dans les océans de lumière."

Parmi ses compagnons, certains avaient atteint ce rang élevé. Ces âmes manifestaient un tel degré de foi et de dévouement, une telle humilité et un tel détachement que cela avait rarement été éprouvé par l'humanité dans les révélations précédentes.

D'autres arrivaient en présence de Baha'u'llah et partageaient son divin savoir, mais, à cause de leur ego et de leur ambition, étaient incapables d'acquérir les qualités nécessaires d'humilité et de modestie devant la Manifestation de Dieu. Ils étaient aveugles au rang divin de Baha'u'llah, étaient emplis de jalousie à cause de son prestige et de son pouvoir grandissants et aspiraient à occuper la même position que lui.

L'homme a été créé pour aimer et adorer Dieu, pour reconnaître sa Manifestation et pour lui obéir. Sa plus grande réussite est, d'habiter dans le royaume de servitude et de développer des qualités spirituelles. Mais il y a toujours eu ceux qui, ayant reconnu la Manifestation de Dieu, se levèrent pour s'opposer à lui et consciemment essayèrent de s'élever vers son rang. De tels agissements invoquent la colère de Dieu et apportent la destruction sur l'homme. Par exemple, ceux qui brisèrent l'alliance du Bab et s'opposèrent à Baha'u'llah étaient de cette sorte, comme le furent ceux qui brisèrent l'alliance de Baha'u'llah et s'opposèrent au Centre de l'alliance, 'Abdu'l-Baha.

C'est au sujet de tels individus que Baha'u'llah écrit dans la tablette du Saint Nautonier:

"Ils désirent atteindre cet état que le Seigneur a voulu supérieur à leur condition.
Sur quoi, le météore de feu les rejette loin des habitants du Royaume de sa présence,
Et ils entendent la Voix de grandeur, s'élevant par-delà la tente invisible dressée sur le Sommet de gloire:
"Anges gardiens, reconduisez-les vers leur demeure dans le monde inférieur,
Glorifié soit mon Seigneur, le Très-Glorieux !
Car ils ont voulu s'élever jusqu'à la sphère jamais atteinte par l'aile de la colombe céleste."

Par ces paroles Baha'u'llah a, pour la première fois, indiqué clairement que ceux qui s'opposent au Centre de la Cause et brisent son alliance seront exclus du peuple de Baha.

Le "météore brûlant" peut être perçu comme symbolisant un instrument puissant que Baha'u'llah a institué pour la protection de sa Cause, c'est-à-dire son alliance. Au temps de Baha'u'llah l'autorité d'exclure les briseurs d'alliance ne dépendait que de lui. Par la suite, l'exercice de cette autorité fut transmis à 'Abdu'l-Baha en tant que Centre de l'alliance, puis à Shoghi Effendi, en tant que Gardien de la cause. Aujourd'hui, si quelqu'un devait briser l'Alliance, son expulsion serait décidée par les Mains de la cause de Dieu résidant en Terre Sainte, et assujettie à l'approbation de la Maison universelle de justice [nota: Les fonctions des Mains de la cause, telles qu'elles sont définies dans le Testament de 'Abdu'l-Baha, sont principalement protection et propagation de la Foi. Les Mains vivant aujourd'hui sont celles nommées par le Gardien, Shoghi Effendi (le droit d'expulser les briseurs d'alliance est maintenant exercé par la Maison universelle de justice. NDT)]

Jamais auparavant dans l'histoire religieuse une Manifestation de Dieu n'a créé les moyens par lesquels sont expulsés les briseurs de son alliance et ceux qui de l'intérieur de la communauté s'opposent au Centre de l'alliance. Ceci est l'un des traits spécifiques de la révélation de Baha'u'llah. Par ce processus, la cause de Dieu est purgée des impuretés qui y pénètrent de temps à autre. Comme le corps physique qui a un organe spécifique pour ôter les substances empoisonnées du courant sanguin et les rejeter à intervalle, de même la cause de Dieu a été dotée d'institutions destinées à purger la communauté d'éléments malsains à l'intérieur de ses rangs.

À l'époque où fut révélée la tablette du Saint Nautonier, le frère infidèle de Baha'u'llah, Mirza Yahya, Siyyid Muhammad-i-Isfahani et quelques autres fréquentaient toujours les croyants. Malgré leurs mauvaises actions, ils étaient toujours considérés comme faisant partie de la communauté babie. Dans cette tablette Baha'u'llah annonce leur sort. Quelques années plus tard, comme nous le verrons plus en détail dans le prochain volume, ces hommes furent rejetés de la communauté du Plus-Grand-Nom et la foi naissante de Dieu purifiée de cette pollution, continua de grandir avec plus de vitalité et de vigueur.

Dans chaque révélation, des hommes ont violé l'alliance de Dieu et ont été infidèles envers sa Manifestation. Dans les religions passées, ils ont réussi à diviser la foi de Dieu et à créer des schismes. Mais, dans cette révélation, qui est l'aboutissement de toutes les religions et des cycles passés, bien que beaucoup de gens à l'intérieur de la communauté se soient élevés contre le Centre de la cause, ils n'ont jamais réussi à la diviser. Baha'u'llah, dans l'une de ses tablettes, déclare: comme en ce jour, la Cause est très grande, de même les forces de négation qui y font opposition le sont aussi ; l'attaque des infidèles contre elle est impressionnante. Les violateurs de l'alliance du Bab et de Baha'u'llah ont fait tout ce qui était en leur pouvoir pour ébranler l'édifice de la cause de Dieu. Pourtant malgré leurs efforts concertés ils furent incapables de briser son unité. Ceci est l'un des traits particuliers de la Cause et est dû à l'alliance de Baha'u'llah par laquelle l'unité de sa foi est définitivement sauvegardée.

Chaque violateur de l'alliance de Baha'u'llah a été expulsé de sa communauté. Une branche malade coupée de l'arbre peut tout d'abord paraître pleine de vie, mais éventuellement elle mourra dans l'isolation. Ceci est aussi vrai des briseurs d'alliance en ce jour, qui, à cause de leurs attaques contre la Foi, semblent tout d'abord avoir créé la dévastation à l'intérieur de ses rangs. Mais coupés de l'arbre de la cause de Dieu, ils périront finalement. Aujourd'hui seuls leurs noms ont été retenus ; leur influence a depuis longtemps cessé d'exister.

L'apparition de la "vierge du paradis" mentionnée dans la tablette du Saint Nautonier est allégorique. Dans les Écrits de Baha'u'llah, il se sert du terme "vierge du paradis" pour se référer à lui-même ou à l'un des attributs de Dieu. Dans cette tablette, il se réfère aussi à lui-même par le terme "Adolescent" exalté et glorieux, qui a été "caché sous la tente de lumière".

La tablette contient de nombreux joyaux de connaissance, et de nombreuses vérités de sa Cause y sont cachées. Celles-ci ne peuvent être découvertes que par l'approfondissement dans la Foi et par la méditation sur ses paroles.

La tablette du Saint Nautonier en persan, dans sa plus grande partie, est similaire dans sa forme à la tablette en arabe. De plus, elle contient quelques-unes des exhortations et des conseils les plus importants de Baha'u'llah à ses disciples. Par exemple, il conseille vivement les croyants de ne pas troquer la bonté de sa présence contre tout ce qui se trouve sur la terre et dans les cieux et de ne rechercher la proximité de quiconque, si ce n'est la sienne. Il leur rappelle que le coeur est le siège du Bien-Aimé et les met en garde de ne pas laisser l'étranger y pénétrer. Il les appelle à se lever et à sortir des sépultures de l'ego et de la passion, et les exhorte à être fidèles ; et même s'ils sont incapables d'atteindre les sommets élevés du détachement et de la sainteté, ils devraient au moins essayer de devenir sincères, et de lutter résolument pour que leur conduite puisse fidèlement refléter les secrets de leurs coeurs.

La sincérité et la fidélité sont les attributs d'un véritable croyant. La peine la plus douloureuse pour la Manifestation de Dieu est l'infidélité montrée par ceux qui se prétendent ses disciples. Aucune autre souffrance, même la torture physique et le martyre, ne peut la blesser autant que cela.

Prendre conscience que Baha'u'llah serait affligé de souffrances telles que celles qui sont annoncées dans la tablette du Saint Nautonier entraîna chez ses compagnons la plus profonde anxiété lorsqu'ils l'entendirent pour la première fois. En effet, le jour suivant sa révélation, la triste nouvelle de la décision de faire venir Baha'u'llah à Constantinople lui parvint. Ce fut une nouvelle qui porta un coup accablant à tous ceux qui l'aimaient en Irak, à chaque homme, femme et enfant. Cette nuit-là, aucun de ses compagnons terrassés ne put ni manger ni dormir. Certains jurèrent qu'ils se tueraient s'ils étaient empêchés de l'accompagner dans son exil. Finalement, cependant, par le pouvoir de ses paroles et la chaleur de son amour, Baha'u'llah réussit à calmer leur émotion et ils furent contents d'abandonner leur volonté à la sienne.

* Autres tablettes de cette période

Les autorités de Bagdad furent surprises de voir que Baha'u'llah n'avait pas fait d'objection à la décision du gouvernement de l'inviter à Constantinople. En fait, la lettre de 'Ali Pasha qui fut remise à Baha'u'llah dans la mosquée était formulée en langage courtois, et le gouverneur de Bagdad exprimait son empressement à communiquer tout message qu'il pourrait désirer transmettre au Premier Ministre, y compris celui de décliner son invitation. Mais Baha'u'llah accepta, demandant simplement que sa famille et un certain nombre de ses compagnons puissent l'accompagner et qu'ils puissent avoir un mois pour se préparer au voyage.

Pendant cette période, Baha'u'llah déversa son amour particulièrement sur ceux de ses disciples qui devaient rester à l'arrière et les prépara pour le jour où ils seraient laissés seuls. Il désirait qu'ils puissent témoigner dans leurs vies de leur intégrité et de la hauteur de leur dessein, de leur foi et du rayonnement de leur esprit. Il révéla aussi à cette époque de sa propre main une tablette pour chacun d'eux, y compris les enfants. Dans ces tablettes, il fait souvent allusion à la future rébellion de Mirza Yahya et anticipe la très sévère crise qui allait apparaître à l'intérieur de la Cause ; il conseille vivement aux croyants d'être fermes dans les jours d'épreuves et de difficultés. Nous ne mentionnerons que deux des nombreuses tablettes qu'il révéla durant cette courte période à Bagdad: Lawh-i-Bulbullu'l-Firaq (la tablette du rossignol de chagrin) et la Suratu'l-llah (La sourate de Dieu).

La Lawh-i-Bulbulu'l-Firaq est l'une de ses tablettes adressée à l'ensemble des croyants. Baha'u'llah y rappelle à ses bien-aimés, que la période de l'union est arrivée à sa fin, que le Rossignol du paradis a pris son envol de la branche sur lequel il se trouvait vers une autre branche sur laquelle il va construire son nid. Il réprimande le peuple de sédition de se tourner vers les "oiseaux de nuit" [nota: Ceci fait allusion à Mirza Yahya et ses acolytes] alors que le Soleil de vérité brille dans la splendeur de son apogée. Les mots de Baha'u'llah dans cette tablette sont écrits avec une telle tendresse que, lorsque les croyants la chantaient, leur coeur était bouleversé et ils étaient emplis de tristesse à la pensée de se séparer de lui.

La Suratu'llah fut révélée pour un croyant nommé Muhammad-'Ali. Baha'u'llah s'y adresse aux peuples du Bayan [nota: Les babis] et réprimande ceux qui ont été aveugles ou ont montré de la méchanceté envers lui. Se référant à leur attitude, il leur rappelle que s'ils considéraient comme un crime le fait qu'il révèle la parole de Dieu, il n'était pas le premier à l'avoir fait. Car c'était le Bab qui avait révélé la parole de Dieu avant lui et avant celui-ci, Muhammad, Jésus et Moïse. Chacune de ces Âmes saintes était animée et soutenue par le Saint-Esprit.

Cette tablette dévoile au peuple du Bayan, la grandeur du rang de Baha'u'llah, car il y affirme qu'il est sans pareil dans la création tout entière et qu'il est son puissant Dirigeant. Celui qui s'écarte de lui, affirme-t-il, s'est en fait détourné de Dieu, et celui qui renie sa cause a renié tous les prophètes du passé.

Les conseils de Baha'u'llah aux destinataires de cette tablette sont, de se détourner du peuple du doute, de renoncer au monde et de fixer leur regard sur les splendeurs de sa révélation. Un tel acte, leur assure-t-il, leur permettra de s'élever dans l'atmosphère de la proximité de Dieu et les dotera d'une telle connaissance, d'une telle compréhension et d'une telle sagesse qu'aucun homme sage, aussi érudit soit-il, ne pourra jamais les égaler. Et dans cette tablette, à nouveau, Baha'u'llah s'étend sur l'inimitié des infidèles parmi les babis et parle de leur opposition envers lui.



15. MIRZA YAHYA ET SIYYID MUHAMMAD-I-ISFAHANI

Dans nombre de ses épîtres révélées à Bagdad et à Sulaymaniyyih, Baha'u'llah fait allusion à l'infidélité de Mirza Yahya et à celle de l'instigateur de sa perversité, Siyyid Muhammad-i-Isfahani. La crise que Mirza Yahya provoqua à l'intérieur des rangs des croyants devait atteindre son paroxysme à Andrinople, avec une scission complète entre les disciples de Baha'u'llah et ceux de Mirza Yahya. Avant ce moment-là, cependant, grâce au pouvoir pénétrant que Baha'u'llah exerçait sur la communauté de Bagdad, Mirza Yahya n'avait pu élever l'étendard de la rébellion. Son séjour en Irak se passa surtout à se cacher et dans l'isolement. Il arriva à Bagdad déguisé et partit de la même façon une décennie plus tard.

À l'époque de la libération de Baha'u'llah du Siyah-Chal, Mirza Yahya, qui pendant près de deux ans avait vécu déguisé dans différentes parties du Mazindaran et du Gilan, partit pour Kirmanshah. Afin que personne ne puisse l'identifier là-bas, il travailla avec un certain 'Abdu'llah-i-Qazvini, fabricant de linceuls, et fut engagé pour vendre sa marchandise.

En route pour l'Irak, Baha'u'llah, traversa différentes villes avant d'arriver à Kirmanshah au début de l'hiver de 1853. Contrastant avec Mirza Yahya, Baha'u'llah, bien que méprisé par le Chah et affligé par la pauvreté, manifesta une telle grandeur que durant son voyage beaucoup de personnes de haut rang ou de position élevée vinrent lui rendre visite et présenter leur respect. À Kirmanshah un prince, 'Imadu'd-Dawlih, lui envoya un message et fut déçu lorsque Baha'u'llah ne le reçut pas.

Mais à Kirmanshah, Mirza Yahya craignit de prendre contact avec Baha'u'llah. Son état était tel, que lorsque son demi-frère, Mirza Musa, vint lui rendre visite, il redouta que quelqu'un puisse découvrir son identité. À la fin, il arriva à rassembler assez de courage pour venir rencontrer Baha'u'llah et exprimer son désir d'aller à Bagdad pour y ouvrir un commerce, vivre incognito et seul dans une maison proche de celle de Baha'u'llah. Avec une petite somme d'argent que Baha'u'llah lui donna, il acheta quelques balles de coton, se déguisa en arabe et gagna Bagdad.

Peu de temps après son arrivée, il apparut à l'extérieur de la maison de Baha'u'llah. Mirza Musa, qui répondit à la porte, ne le reconnut pas au premier abord, car il était habillé comme un derviche, avec une kashkul (boîte pour les aumônes) accrochée à son épaule. Il resta là pendant quelques jours, mais demanda que son arrivée et son identité ne soient divulguées à personne à Bagdad. Par la suite, il trouva un logement dans le quartier arabe de la ville, là où ne vivaient aucun persan et s'y installa. Pendant le jour, il refusait de rencontrer qui que ce soit. Le soir, la nuit tombée, il allait souvent à la maison de Baha'u'llah pour y retrouver Mirza Musa, retournant dans ses quartiers au coeur de la nuit.

Entre temps, il employait un marchand persan nommé Abdu'l-Qasim et s'en servait comme liaison entre lui-même et les croyants à Bagdad. Étant théoriquement le dirigeant de la communauté babie, il commença à répandre dans celle-ci ses idées peu judicieuses, se servant de 'Abdu'l-Qasim comme intermédiaire.

Ce fut pendant ses premiers jours à Bagdad que Siyyid Muhammad-i-Isfahani se trouva en contact avec lui. Siyyid Muhammad qui devait devenir "l'antéchrist de la révélation baha'ie" avait embrassé la foi babie peu de temps après la déclaration du Bab. Il résidait à Karbila lorsque Baha'u'llah se rendit dans cette ville, à peu près un an après le martyre du Bab. C'est dans cette circonstance, que quelques-uns des disciples du Bab, ainsi que quelques Shaykhis qui étaient parmi les hommes de savoir et de connaissance à Karbila, reconnurent en Baha'u'llah des qualités exceptionnelles de grandeur, et démontrèrent, par leurs paroles et leurs attitudes, un amour et une admiration sans borne pour lui. Mais dès le début, Mirza Muhammad était rempli d'envie. Les marques de vénération et d'estime témoignées à Baha'u'llah par les autres ne servirent qu'à attiser le feu de l'animosité et de la jalousie qui avait commencé à brûler en lui.

Lorsqu'en 1853 Baha'u'llah arriva pour la seconde fois en Irak, Siyyid Muhammad ne pouvait pas manquer de voir l'autorité avec laquelle il conduisait les affaires de la communauté babie. Avant son arrivée dans ce pays, les disciples du Bab étaient perplexes et sans chef. Baha'u'llah en leur insufflant une nouvelle vie, leur donna du courage et les unit.

Une telle transformation de leur esprit, suscitée par Baha'u'llah excita encore plus la jalousie de Siyyid Muhammad et augmenta son animosité. Étant un intrigant peu scrupuleux, il trouva en Mirza Yahya un instrument de bonne volonté qui, il le savait, pouvait servir pour s'opposer à Baha'u'llah.

Ensemble, ils fomentèrent la dissension parmi les croyants, présentèrent Baha'u'llah et sa cause sous un faux jour et créèrent une situation dans laquelle les fortunes de la Foi commencèrent à décliner. C'est à ce moment-là que Baha'u'llah partit pour les montagnes du Kurdistan.

Pendant son absence, les nouvelles du martyre d'un croyant de Najaf-Abad en Perse arrivèrent à Bagdad. Ceci alarma Mirza Yahya, car il pensait que les autorités de Téhéran pouvaient le rechercher et connaissant ses allées et venues le faire arrêter à Bagdad. Ces pensées le forcèrent à changer son domicile. Avec l'aide d'un certain Mirza 'Aliy-i-Tabrizi, il acheta une certaine quantité de chaussures, se déguisa en marchand juif, et alla vers Basrah où il vécut quelque temps comme marchand de chaussures. Plus tard, il acheta un lot de tissu en soie qu'il transporta à Bagdad avec lui. Là, sous le nom d'emprunt de Hadji 'Aliy-i-Las Furush [nota: Marchand de soie] et changeant de couvre-chef, remplaçant son chapeau contre un grand turban, il se lança dans sa nouvelle occupation.

La lâche conduite de Mirza Yahya n'égala que ses actes d'infamie qui ont pour toujours entaché les annales de la Foi. Pendant que Baha'u'llah était au loin dans les montagnes de Kurdistan, Mirza Yahya commit un acte honteux qui infligea le déshonneur sur le Bab, en épousant sa deuxième femme (*) et un mois plus tard, la donna en mariage à Siyyid Muhammad. Lorsque Baha'u'llah apprit ceci, son chagrin ne connut plus de limite. Dans une épître, il affirme que la création tout entière pleura sur cette trahison et s'y réfère aussi dans l'épître au Fils du Loup en ces paroles:

"Songe un instant au déshonneur infligé au Point premier. Considère ce qui est arrivé. Lorsque, suite à l'intervention de quelques personnes qui l'avaient longtemps cherché dans le désert, cet opprimé retourna à Bagdad après une retraite de deux années durant lesquelles il erra à travers les déserts et les montagnes, Mirza Muhammad 'Ali de Rasht vint le voir et relata, devant une vaste assemblée, les manoeuvres affectant l'honneur du Bab, qui avaient véritablement accablé de chagrin toutes les contrées. Mon Dieu ! Comment ont-ils pu approuver cette très cruelle trahison ? Nous supplions Dieu d'aider l'auteur de cet acte à se repentir et à retourner à lui. En vérité, il est le Secours, le Très-Sage. (1)"

(*) Nota: Dans la Perse du XIXe siècle le mode de vie différait radicalement du mode de vie actuel en Occident. Les circonstances sociale et religieuse dans les pays musulmans exigeaient pratiquement qu'un homme (et particulièrement s'il était un personnage éminent) de prendre plus d'une femme. Pendant les six mois de son séjour à Isfahan, le Bab prit une seconde femme, Fanimih, qui était la soeur de Mulla Rajab 'Aliy-i-Qahir, un babi d'Isfahan

Un autre acte qui apporta d'énormes souffrance et tristesse à Baha'u'llah fut le meurtre d'un nombre de babis illustres sur l'ordre de Mirza Yahya. Le plus éminent parmi eux était le très compétent Mirza Asadu'llah de Khuy, surnommé par le Bab, Dayyan (Celui qui récompense ou juge). Le Bab s'était référé à lui comme au dépositaire de la confiance de Dieu et le trésor de sa connaissance. Il avait, de plus, promis qu'il serait la troisième personne à croire en "Celui que Dieu rendra manifeste".

Pendant que Baha'u'llah était dans le Kurdistan, Dayyan, qui habitait alors en Adhirbayjan, écrivit une lettre à Mirza Yahya dans laquelle il posait certaines questions. Les réponses enfantines et sans rapport avec le sujet qu'il reçut suffirent à le convaincre de l'ignorance et du manque de qualités spirituelles de ce dernier. Il est présumé qu'après cette communication, Dayyan, après mûre méditation, se laissa emporter et revendiqua pour lui-même le rang de "Celui que Dieu rendra manifeste".

Cependant, dans le Kitab-i-Badi', Baha'u'llah a réfuté cette affirmation et soutient que Dayyan ne fit aucune revendication de ce genre. Il mentionne que Dayyan avait écrit et fait circuler quelques prières, dont il avait lui-même reçu copie, mais qu'elles ne contenaient absolument rien contre les enseignements du Bab et de son alliance. Au contraire, les paroles de Dayyan portaient ample témoignage de son humilité et de sa servitude en sa foi en Dieu, et de sa loyauté envers les Manifestations de Dieu. Baha'u'llah déclare que lorsque Mirza Yahya vit ces prières il devint extrêmement jaloux de Dayyan et fut déterminé à lui faire du mal.

Dayyan avait aussi écrit une épître dans laquelle il exposait l'ignorance de Mirza Yahya, réfutait sa prétention d'être le successeur du Bab et citait de nombreux passages des Écrits du Bab qui soutenaient ses arguments. Mirza Yahya fut exaspéré par cette épître et en réponse écrivit un livre intitulé Mustayqiz (le dormeur éveillé). Dans ce livre, il réprimande sévèrement Dayyan, ainsi qu'un autre croyant nommé Siyyid Ibrahim qui était un ami proche et un admirateur de Dayyan, condamne leurs actions, dénonce le premier comme étant le "Père des calamités" et l'autre comme le "Père des iniquités", et dans un langage exécrable appelle les babis à se lever et à prendre leurs vies.

En même temps, il envoya son serviteur Mirza Muhammad-i-Mazindarani en Adhirbayjan avec les ordres explicites de tuer Dayyan. Cependant, lorsque Mirza Muhammad arriva là-bas, il se rendit compte que Dayyan était déjà parti pour Bagdad.

En arrivant dans cette cité, Dayyan fut confronté à un nombre de babis qui, à cause des déclarations de Mirza Yahya, lui furent hostiles. Sa vie était en danger et la situation devint si sérieuse qu'un jour, dès potron-minet, jusqu'à tard le soir, Baha'u'llah appela, un par un, tous ceux qui dans sa maison étaient impliqués, les réprimanda pour leur conduite et leur commanda clairement de cesser de vouloir perpétrer un tel crime.

Deux jours plus tard, Baha'u'llah honora Dayyan en le rencontrant dans sa maison. Là, il fut témoin de l'accomplissement de la promesse que le Bab lui avait faite, qu'il croirait en "Celui que Dieu rendra manifeste". Il reconnut le rang de Baha'u'llah, accepta sa foi et se prosterna à ses pieds.

Quelques jours après ce glorieux accomplissement, Dayyan fut assassiné à Bagdad par Muhammad-i-Mazindarani mentionné plus haut. Cet évènement tragique amena beaucoup de tristesse au coeur de Baha'u'llah et aux croyants. Ce jour-là, un vent violent d'une force exceptionnelle balaya Bagdad, faisant se lever une épaisse couche de poussière qui obscurcit la lumière du soleil. L'obscurité engloba la ville et les gens, effrayés et pris de panique, durent se réfugier dans leur maison.

Après le meurtre de Dayyan, Mirza Yahya dirigea son attention vers d'autres personnes qui admiraient Dayyan, donna des instructions pour aussi les tuer, y compris Mirza 'Ali-Akbar (un cousin du Bab du côté de son père), qui fut mis à mort par le même serviteur.

Dans l'épître au Fils du Loup Baha'u'llah s'adressant, à Hadji Mirza Hadiy-i-Dawlat Abadi, le successeur de Mirza Yahya, a mentionné cet épisode en ces mots:

"De même, il s'adresse en ces termes à Dayyan, qui fut maltraité et souffrit le martyre: "Tu reconnaîtras ta valeur dans les paroles de Celui que Dieu rendra manifeste". Il l'appelle d'ailleurs la troisième Lettre à croire en Celui que Dieu rendra manifeste en disant: "Ô toi qui es la troisième Lettre à croire en Celui que Dieu rendra manifeste". Et il ajoute: "Toutefois, si Dieu le veut, il te fera connaître par les paroles de Celui que Dieu rendra manifeste". Et ce Dayyan qui était, selon les paroles du Point [nota: Le Bab] - que les âmes de tous sauf la sienne, soient sacrifiées par amour pour lui -, le dépositaire de la confiance du seul vrai Dieu - exaltée soit sa gloire - et le trésor des perles de sa connaissance, subit un martyre si cruel que le concours céleste pleura et se lamenta. C'est à lui que le Bab enseigna le savoir caché et préservé, et confia ces paroles: "Ô toi qui a reçu le nom de Dayyan ! Voici un savoir caché et préservé. Nous te l'avons apporté et te l'avons confié comme une marque d'honneur émanant de Dieu, car l'oeil de ton coeur est pur. Tu en apprécieras la valeur et en chériras l'excellence. En vérité, Dieu a daigné conférer au Point du Bayan un savoir caché et préservé, comme jamais encore il n'en avait envoyé ici-bas avant cette révélation. Il est plus précieux aux yeux de Dieu - glorifié soit-il - que tout autre savoir. En vérité, il en a fait sa preuve, tout comme il a fait des versets sa preuve". Cet être maltraité, dépositaire du savoir de Dieu, ainsi que Mirza 'Ali Akbar, l'un des parents du Point premier [nota: Le Bab] - sur lui, la gloire de Dieu et sa miséricorde -, Abu'l-Qasim-i-Kashi et plusieurs autres disciples, subirent le martyre sur ordre de Mirza Yahya.…
Quant à Dayyan - sur lui, la gloire de Dieu et sa miséricorde -, il parvint en notre présence conformément à ce qui avait été révélé par la plume du Point premier. Nous prions Dieu d'aider les insouciants à se tourner vers lui, ceux qui se sont détournés à se diriger vers lui et ceux qui l'ont renié à reconnaître cette Cause à l'apparition de laquelle toutes choses créées proclamèrent: Il est venu, celui qui était caché dans le réceptacle de la connaissance et inscrit par la Plume du Très-Haut dans ses livres, ses écritures, ses manuscrits et ses épîtres !" (2)

Les nouvelles du départ imminent de Baha'u'llah pour Constantinople alarmèrent et effrayèrent Mirza Yahya. Baha'u'llah lui conseilla de retourner en Perse et là, de propager les Écrits du Bab. Mais il n'était pas intéressé par la Cause, son intérêt majeur étant sa propre protection. Il ne considérait pas non plus la Perse comme un lieu sûr, puisque les autorités de ce pays, civiles comme ecclésiastiques, étaient déterminées à déraciner la Cause et à exterminer les babis.

Tout d'abord ses pensées furent concentrées sur la fuite en Inde ou en Abyssinie. Mais plus tard, il changea d'opinion et alla voir Baha'u'llah avec le plan d'établir sa demeure à Huvaydar, dans le voisinage de Bagdad, dans un jardin qui appartenait à Shaykh Sulnan, un Arabe, disciple dévoué de Baha'u'llah. Il demanda tout spécialement que Shaykh Sulnan reçoive des instructions de Baha'u'llah pour lui construire une petite chaumière de roseau dans laquelle il pourrait vivre à l'écart de tous. Baha'u'llah accéda à sa requête et Shaykh Sulnan commença à lui construire une chaumière. Peu de temps après, cependant, Mirza Yahya ne se sentant pas en sécurité, retourna vers Baha'u'llah et se plaignit que le lieu choisi n'était pas idéal pour une cachette ; il préférait aller à Mosul avant le départ de Baha'u'llah. Il fit clairement comprendre qu'il ne désirait pas accompagner le groupe de Baha'u'llah, car il craignait qu'une fois qu'ils auraient quitté Bagdad, les autorités agissent traîtreusement avec eux soit en les transférant aux mains des autorités persanes soit en les tuant en chemin.

Étant finalement arrivé à une décision, il envoya un certain Hadji Muhammad-Kazim, qui lui ressemblait, à la maison du gouverneur pour lui procurer un passeport. Ceci fut fait et le passeport fut émis sous le nom d'emprunt de Mirza 'Aliy-i-Kirmanshahi. Déguisé et ayant encore choisi un autre nom, Mirza Yahya quitta Bagdad avec un serviteur arabe et partit vers Mosul.

Parlant de ceci, Baha'u'llah dans l'épître au Fils du Loup écrit:

"Nous désignâmes certaines personnes pour rassembler tout particulièrement les écrits du Point premier. Cela fait, nous convoquâmes dans un endroit précis Mirza Yahya et Mirza Vahhab-i-Khurasani, connu sous le nom de Mirza Javad. Suivant nos instructions, ils menèrent à bien la tâche de transcrire deux exemplaires des oeuvres du Point premier. Je le jure par Dieu ! Du fait de ses relations constantes avec tout le monde, cet opprimé n'a point consulté ces livres ni jeté un regard sur ces écrits. Lorsque nous partîmes, ils étaient en la possession de ces deux personnes. Il fut convenu que Mirza Yahya emporterait ces écrits en Perse afin de les diffuser à travers le pays. À la demande des ministres du gouvernement ottoman, cet opprimé se rendit alors à la capitale, Constantinople. Lorsque nous arrivâmes à Mosul, nous constatâmes que Mirza Yahya y était arrivé avant nous et qu'il nous y attendait. Bref, les livres et les écrits furent laissés à Bagdad, tandis qu'il se rendait lui même à Constantinople pour rejoindre ces serviteurs. Dieu m'est témoin ! Que Mirza Yahya, ignorant nos efforts assidus, ait abandonné les écrits et rejoint les exilés affecta cet opprimé. Pendant longtemps, celui-ci fut accablé de chagrins infinis jusqu'à ce qu'il pût, en application de mesures dont nul n'est informé, hormis le seul vrai Dieu, expédier les écrits dans un autre pays, car en Irak, tous les documents doivent être examinés chaque mois, de peur qu'ils ne pourrissent et ne disparaissent. Mais Dieu les protégea et les envoya en un lieu qu'il avait antérieurement ordonné. En vérité, il est le Protecteur, le Sauveur.
Partout où se rendit cet opprimé, Mirza Yahya le suivit. Toi même tu l'as vu et tu sais fort bien que tout cela est la vérité. Cependant, le Siyyid d'Isfahan [nota: Siyyid Muhammad-i-Isfahani] le dupa sournoisement. Leurs actes provoquèrent la plus grande consternation. Si seulement tu voulais enquêter auprès des officiels du gouvernement sur la conduite de Mirza Yahya dans ce pays ! (3)"

'Abdu'l-Baha mentionne que parmi ceux qui accompagnèrent Baha'u'llah dans son voyage vers Constantinople se trouvait Siyyid Muhammad-i-Isfahani et que souvent il dénonçait Mirza Yahya et sa conduite. Il était pourtant évident, qu'en cela il n'était pas sincère.

Lorsque le groupe de Baha'u'llah atteignit le voisinage de Mosul, Siyyid Muhammad informa 'Abdu'l-Baha qu'il venait juste de voir Mirza Yahya dans la région et se demandait s'il devait le faire venir. 'Abdu'l-Baha nous dit que lorsque Mirza Yahya apparut et vit quelques étrangers dans les parages, il prétendit ne pas connaître Baha'u'llah ni aucun de ceux qui voyageaient avec lui. Il se présenta comme étant Hadji 'Ali et dit qu'il revenait de la Mecque. Après quoi, il voyagea avec le groupe d'une telle façon que pendant le jour il ne s'associait à personne. Mais la nuit, il rejoignait les compagnons de Baha'u'llah, se reposant tout seul dans une tente.

Mirza Yahya voyagea de cette manière pratiquement tout le chemin jusqu'à Constantinople. En route, son seul confident était Siyyid Muhammad, que Baha'u'llah rejeta plus tard de sa compagnie. Ce fut à Andrinople que le Siyyid rejoignit ouvertement Mirza Yahya et comme nous le verrons dans d'autres volumes, ensemble ils précipitèrent une crise sans pareille dans l'histoire de la Foi.

L'un des meilleurs témoignages de l'ignorance et de la duplicité de Mirza Yahya se trouve dans ses écrits. Ayant été élevé par Baha'u'llah depuis l'âge de 8 ans, il connaissait naturellement la Foi depuis son adolescence. Dans sa jeunesse, il consacra beaucoup de son temps à étudier les Écrits du Bab. Dans l'une de ses épîtres, Baha'u'llah déclara que Mirza Yahya apprenait toute chose comme un perroquet. Sa compréhension de la Foi était donc superficielle, et nombre des disciples de Baha'u'llah ont témoigné de cela. Des hommes perspicaces qui furent en contact avec lui étaient déçus par son ignorance et son caractère futile.

En tant que chef désigné par le Bab, Mirza Yahya devint le centre d'intérêt pour les croyants après son martyre, et tous étaient désireux de le voir. Shaykh Salman était l'un d'eux. Après maintes requêtes pour le rencontrer, Mirza Yahya donna son accord pour le rejoindre en haut d'une certaine colline près de Bagdad. Durant leur conversation tout entière, Mirza Yahya parla de banalités et Shaykh Salman qui était très perspicace, ne put détecter aucun signe de grandeur en lui. Comme de nombreux autres babis, il se rendit rapidement compte que Mirza Yahya, dont la célébrité comme chef de la communauté babie était très étendue, n'était qu'un chef symbolique, manquant de toutes les qualités d'autorité et de spiritualité.

À un moment, Baha'u'llah avait demandé à Mirza Yahya de transcrire quelques Écrits du Bab ; il fut occupé à cette tâche pendant quatre ans, et à la fin, il avait appris à copier le style de l'écriture du Bab. Plus tard, lorsqu'il se rebella contre Baha'u'llah, il se servit de cette même technique pour composer des passages apparemment similaires à ceux du Bab dans le ton comme dans la calligraphie. Dans ces soit-disant épîtres qu'il faisait circuler, Mirza Yahya introduisit de nombreuses fausses déclarations concernant sa propre position dans la Foi. Il corrompit aussi, dans certains cas, le texte des Écritures du Bab et y fit certaines insertions pour soutenir sa prétention d'être le successeur du Bab.

La plupart des écrits de Mirza Yahya sont composés de chapelets de mots maladroits et dépourvus de sens, qui, à leur tour, constituent des phrases absurdes. Un simple coup d'oeil à n'importe lequel d'entre eux, révèle l'ignorance, l'incapacité et l'aveuglement d'un homme ambitieux qui, toute sa vie, fut mené par une passion invincible pour l'autorité et le pouvoir.



16. LA DÉCLARATION DE BAHA'U'LLAH DANS LE JARDIN DE RIDVAN

a) Son influence sur le peuple de Bagdad


Le contraste entre Baha'u'llah et Mirza Yahya est le même qu'entre la lumière et l'obscurité. Incontestablement, la Manifestation est exaltée au-delà de l'humanité et il ne peut y avoir de comparaison entre la Source de toute bonté et ceux qui se lèvent pour s'y opposer. Non seulement cela est vrai dans le sens spirituel, mais dans son apparence, la Manifestation de Dieu est dotée d'un pouvoir et d'une autorité qui lui sont inhérents. Ceci est particulièrement vrai de Baha'u'llah, dont la révélation est le point culminant de toutes les révélations du passé.

La majesté impressionnante de l'apparition publique de Baha'u'llah et l'autorité avec laquelle il parlait aux amis comme aux ennemis sont des faits que mêmes ses plus grands adversaires ont reconnus. 'Abdu'l-Baha mentionne que ceux qui ont persécuté les prophètes du passé ont pu les ridiculiser et les vilipender. Ils se moquaient de Moïse parce qu'il était bègue, et raillaient le Christ car à leur avis, il n'avait pas de père. Les peuples barbares d'Arabie, à l'époque de Muhammad, riaient aussi de lui, à cause de son incapacité d'engendrer un héritier !

Mais dans le cas de Baha'u'llah, sa gloire était si écrasante que chacun se sentait inférieur en sa présence. Même ses ennemis devenaient humbles lorsqu'ils se trouvaient en contact avec sa personne. Lorsqu'il fut enchaîné et mis aux fers dans le Siyyah-Chal de Téhéran, les fonctionnaires de cette prison furent dominés par sa grandeur. Et lorsqu'il fut libéré de cette prison et conduit dans le bureau du Premier ministre à Téhéran, ce ne fut pas ce dernier qui domina la scène, ce fut Baha'u'llah qui parla avec autorité et réprimanda le Premier ministre pour son manque de perspicacité et son incompétence. De même, à Constantinople, à Andrinople et à Acre, les ennemis et les autorités aussi bien civiles que cléricales furent confondues lorsqu'elles furent témoins du pouvoir spirituel dont il était investi.

Avant l'arrivée de Baha'u'llah à Bagdad, les disciples du Bab dans cette cité n'osaient pas s'associer en public les uns aux autres de crainte d'être persécutés. La Foi était considérée comme une hérésie et ses adhérents courraient le risque de perdre la vie s'ils déclaraient ouvertement leur foi.

Pourtant, peu de temps après son arrivée dans la ville, Baha'u'llah décida d'apparaître en public. Il allait souvent dans les rues et les bazars de Bagdad, et fréquentait certains cafés. Quoiqu'il fût bien connu comme la figure de proue de la Foi nouveau-née, le peuple de Bagdad était charmé par son amour inné et sa dignité, et beaucoup d'entre eux devinrent ses admirateurs.

Grâce à sa majesté qui venait de Dieu, les ennemis étaient humiliés. Pour ne citer qu'un seul exemple: Dans les premiers jours de son séjour à Bagdad, à une occasion, Baha'u'llah passa par le domaine du Prince 'Ali Shah, le Zillu's-Sulnan en compagnie de quelques croyants [nota: Il ne faut pas confondre avec le fils aîné de Nasiri'd-Din Shah, le prince Mas'ud Mirza, aussi connu sous le nom de Zillu's-Sulnan, qui fut stigmatisé par Baha'u'llah en tant que "l'Arbre infernal"]. Là, il entendit par hasard une remarque désobligeante sur la Foi provenant de quelques hommes attachés à la maisonnée du Prince. Immédiatement Baha'u'llah se retourna, les réprimanda sévèrement pour leur conduite et demanda à ce qu'ils soient punis par leur maître. De plus, il dit à la foule de rappeler au prince que ni la pompe et la puissance du souverain Nasiri'd-Din Shah, ni toutes les persécutions qu'il avait infligées n'avaient fait la moindre impression sur les disciples du Bab et qu'ils avaient échoué à briser leur volonté. Ils seraient alors encore bien moins affectés par l'opposition du prince. Si puissante furent ses paroles que l'orgueilleux prince punit ses gens et envoya son fils Shuja'u'd-Dawlih présenter ses excuses à Baha'u'llah.

Pendant non moins de huit années, la suprême Manifestation de Dieu vécut librement parmi les habitants de Bagdad. Il marchait parmi eux, s'asseyait avec eux et déversait son affection et ses générosités sur eux. Bien qu'il ne leur révélât pas son rang, pourtant la multitude des gens de tous les milieux, était attirée par sa personne et avait hâte d'être en sa présence, d'entendre ses paroles ou même de l'entr'apercevoir lorsqu'il marchait dans les rues ou arpentait les berges du Tigre, absorbé dans ses méditations.

Durant cette période, de nombreux babis de Perse se mirent en contact avec Baha'u'llah et certains d'entre eux devinrent de grands héros de la Foi. À ceux déjà mentionnés, nous devons ajouter deux frères qui furent parmi les apôtres les plus illustres de Baha'u'llah. Ceux-ci furent honorés par sa plume de la qualification de "Roi des Martyrs" et "Bien-Aimé des Martyrs".


b) La Fête de Ridvan

L'amour et l'admiration des gens pour Baha'u'llah furent totalement démontrés le jour de son départ de sa "Plus Grande Maison" à Bagdad. Alors, sa majesté et sa grandeur furent évidentes pour les amis comme pour les ennemis. La nouvelle de son prochain départ pour Constantinople s'était rapidement répandue parmi les habitants de Bagdad et des villes avoisinantes, et maintes personnes désiraient venir en sa présence et lui rendre un dernier hommage. Mais bientôt il devint évident que dans cette optique, sa maison devenait bien trop petite. Lorsque Nadjib Pasha, l'un des notables de la cité de Bagdad entendit cela, il mit immédiatement son jardin, Najibiyyih, à la disposition de Baha'u'llah. Ce magnifique jardin, appelé par ses disciples le Jardin de Ridvan (paradis), était situé dans la périphérie de Bagdad, de l'autre côté de la rivière, en face de la maison de Baha'u'llah.

Trente et un jours après Naw-Ruz, le 22 avril 1863 (*), dans l'après-midi, Baha'u'llah se transporta vers ce jardin, où il demeura pendant douze jours. Le premier jour, il déclara sa mission à ses compagnons [nota: Cela est attesté par 'Abdu'l-Baha dans une causerie donnée à Bahji le 29 avril 1916]. Ces douze jours sont célébrés par les baha'is, et sont le Festival de Ridvan.

(*) Nota: Trente-et-un jours après Naw-Ruz (21 mars) tombe normalement le 21 avril. Parfois, comme ce fut le cas en 1863, l'équinoxe du printemps a lieu après le coucher du soleil. Dans ce cas, la fête de Naw-Ruz était célébrée le 22 mars.

Le départ de Baha'u'llah de sa maison provoqua une agitation dont Bagdad avait rarement vu la pareille. Des gens de tous les milieux, hommes et femmes, riches et pauvres, jeunes et vieux, hommes de savoir et de culture, princes, fonctionnaires du gouvernement, commerçants et ouvriers, et par-dessus tout, ses compagnons, envahirent les abords de sa maison et s'entassèrent dans les rues et sur les toits des maisons situées le long de son trajet vers le fleuve. Ils se lamentaient et pleuraient le départ de celui qui, pendant une décennie, leur avait donné la chaleur de son amour et le rayonnement de son esprit, qui avait été un refuge et un guide pour tous.

Lorsque Baha'u'llah apparut dans la cour de sa maison, ses compagnons, accablés de douleur et désespérés, se prosternèrent à ses pieds. Il se tint là quelque temps, au milieu des pleurs et des lamentations de ses bien-aimés, leur prodiguant des paroles de réconfort en leur promettant de recevoir plus tard chacun d'eux dans le jardin. Dans une épître, Baha'u'llah mentionne qu'après qu'il ait parcouru une certaine distance vers le portail, un enfant [nota: Aqa 'Ali, le fils de Hadji Mirz Kamalu'd-Din-i-Naraqi] de seulement quelques années, sortit de la foule et courut vers lui et s'accrochant à ses robes, pleura très fort, le suppliant de sa petite voix d'enfant de ne pas partir. Dans une telle atmosphère, où l'émotion avait été si profondément éprouvée, ce geste de la part d'un petit enfant émut les coeurs et occasionna pour chacun encore plus de chagrin.

Les scènes de lamentation et de pleurs de ceux qui à l'extérieur de la maison ne confessaient pas être de ses disciples, n'étaient pas moins spectaculaires et déchirantes. Dans cette rue noire de monde, chacun cherchait à l'approcher. Certains se prosternaient à ses pieds, d'autres attendaient pour entendre quelques paroles, tandis que d'autres encore se contentaient d'un contact de ses mains, d'un coup d'oeil à son visage. Une dame persane, de naissance noble, qui elle-même n'était pas une croyante, se fraya un chemin dans la foule et avec un geste de sacrifice jeta son enfant aux pieds de Baha'u'llah. Ces démonstrations continuèrent tout le chemin jusqu'aux berges du fleuve.

Avant de traverser le fleuve, Baha'u'llah s'adressa à ses compagnons qui s'étaient réunis autour de lui, et leur dit:

"Ô mes compagnons, je vous confie la tâche de garder cette ville de Bagdad dans l'état où vous la voyez aujourd'hui, alors que, comme les pluies au printemps, des pleurs coulent des yeux des étrangers et des amis qui se rassemblent sur les toits des maisons, dans les rues et sur les marchés, et que je m'en vais. Il vous appartient maintenant de veiller afin que vos actes et votre conduite n'affaiblissent pas la flamme d'amour qui brille dans le coeur de ses habitants. (2)"

Baha'u'llah traversa le fleuve en ferry, accompagné de trois de ses fils: 'Abdu'l-Baha, Mirza Mihdi (La Branche la plus pure) et Muhammad-'Ali, qui avaient respectivement dix-huit, quatorze et dix ans. Il y avait aussi avec eux son secrétaire Mirza Aqa Jan. L'identité des autres personnes qui l'accompagnèrent, ou de ceux qui plantèrent leur tente dans le jardin et faisaient des préparatifs pour son arrivée, ou de ceux qui le suivirent ce jour-là n'est pas formellement connue.

L'appel pour la prière de l'après-midi fut lancé de la mosquée et les mots 'Allah-u-Akbar' (Dieu est le plus Grand) chantés par le mu'adhdhin [nota: Muezzin: celui qui lance l'appel pour la prière] résonnèrent à travers le jardin, tandis que le Roi de gloire y pénétrait. Là, Baha'u'llah apparut dans la plus grande joie, marchant majestueusement dans ses allées bordées de fleurs et d'arbres. Le parfum des roses et le chant des rossignols créaient une atmosphère de beauté et d'enchantement.

Les compagnons de Baha'u'llah savaient, depuis quelque temps, que la déclaration de son rang était imminente. Cette compréhension leur était venue non seulement à cause de nombreuses remarques et allusions faites par lui les derniers mois de son séjour à Bagdad, mais aussi par un changement visible qui s'opérait dans son comportement. Un autre signe qui indubitablement indiquait que l'heure approchait était le fait d'adopter le jour où il quitta sa maison de Bagdad, un couvre-chef différent, appelé taj (haut chapeau de feutre) qu'il porta tout au long de son ministère.

'Abdu'l-Baha a décrit comment, à son arrivée dans le jardin, Baha'u'llah déclara son rang à ceux de ses compagnons qui étaient présents, et annonça avec une grande joie la fête de Ridvan.

"La tristesse et le chagrin disparurent et les croyants furent emplis d'allégresse à cette annonce. Bien que Baha'u'llah fût exilé vers des terres lointaines et sût les souffrances et les tribulations qui l'attendaient lui et ses disciples, il changea grâce à cette déclaration historique toute tristesse en joie exquise et passa le moment le plus agréable de son ministère dans le jardin de Ridvan. Effectivement, dans l'une de ses épîtres, il se réfère au premier jour de Ridvan comme au "Jour de suprême félicité", et a appelé ses disciples à se "réjouir avec une allégresse extrême" en souvenir de ce jour. (3)"

La manière dont la déclaration de la mission de Baha'u'llah a été faite, n'est pas claire, ni l'identité de tous ceux qui l'ont entendu. Une chose, cependant, est claire. Durant les dix années de son séjour en Irak, Baha'u'llah ne s'est jamais désigné comme "Celui que Dieu rendra manifeste", bien qu'il ait fait allusion à son rang, et se soit identifié avec les paroles de Dieu révélées dans ses épîtres. C'est dans le jardin de Ridvan, au cours de sa déclaration, qu'il l'a fait sans équivoque, se présentant comme celui dont le Bab avait proclamé l'avènement, pour l'amour de qui il s'était sacrifié et pour qui il avait établi une alliance avec ses disciples. Ce fut un jour plein d'évènements dans la vie de Baha'u'llah. Pendant toute la journée, il fut occupé par des affaires importantes qui aboutirent à la déclaration de sa mission - l'événement suprême de son ministère.

Une des différences entre la Manifestation de Dieu et l'homme est que ce dernier est rapidement dépassé lorsqu'il est affligé par les souffrances et qu'il doit faire face à des obstacles insurmontables. Dans de telles circonstances, même les hommes aux talents exceptionnels montrent leur faiblesse et révèlent leur incompétence. Leur esprit ne peut considérer qu'un seul problème à la fois, et souvent lorsqu'ils doivent prendre une décision, ils recherchent l'aide d'experts et de conseillers.

Avec une Manifestation de Dieu, il n'en est pas ainsi. Tout d'abord, il agit indépendamment et aucun individu ne pourra jamais l'aider. Son âme n'est pas liée aux limitations du monde de l'humanité et son esprit n'est pas débordé lorsqu'il doit faire face à un grand nombre de problèmes simultanés. Au milieu des calamités, lorsque les plus capables des hommes succombent à la pression, il peut rester détaché et canaliser ses pensées sur ce qu'il désire. Ceci est l'une des distinctions caractéristiques de la Manifestation de Dieu, et Baha'u'llah dans le Kitab-i-Iqan a expliqué ceci en citant le célèbre passage de l'islam: "Aucun obstacle au monde ne les empêche d'agir". (4) Par exemple, lorsque Baha'u'llah déclara son rang, les croyants qui étaient en sa présence furent extasiés. Leurs pensées devaient être concentrées uniquement sur l'extraordinaire déclaration. Mais Baha'u'llah dirigea son attention vers les évènements qui avaient eu lieu une décennie auparavant, vers l'héroïsme et le sacrifice des disciples du Bab dans la petite ville de Nayriz, en Perse dans la province du Fars.


c) Lawh-i-Ayyub

Il fit cela en révélant la Suriy-i-Sabr (la sourate de la Patience), connue aussi sous le nom de Lawh-i-Ayyub (la tablette à Job) qui est de longueur égale à pratiquement un quart du Kitab-i-Iqan. Cette épître, écrite en arabe, fut révélée en l'honneur de Hadji Muhammad-Taqi, un natif de Nayriz, auquel Baha'u'llah avait accordé le titre de Ayyub (Job).

C'était un homme riche et cultivé, hautement respecté par ses concitoyens, ces derniers avaient une telle confiance en lui qu'ils lui confiaient leurs économies et échangeaient souvent ses reçus au lieu d'argent. Lorsqu'en 1850, Vahid arriva à Nayriz, un nombre considérable d'âmes dévouées furent profondément affectées et se rassemblant autour de Vahid, elles embrassèrent la foi du Bab, ce qui provoqua une agitation spirituelle d'une portée immense dans ses conséquences [nota: Voir annexe III concernant Vahid]. Le premier d'entre eux fut Hadji Muhammad-Taqi, qui offrit de fournir les moyens pour propager la Cause dans cette région.

Zaynu'l-'Abidin Khan, le gouverneur de Nayriz, était inquiet par la tumultueuse réception accordée à Vahid par les gens de la ville, et fut choqué et en colère lorsqu'il vit qu'en l'espace de quelques jours un grand nombre avait rejoint la Foi. Il décida de prendre une action immédiate et ordonna à l'armée d'anéantir la communauté nouvellement formée et de tuer son chef. Rapidement il y eut un grand bouleversement et les disciples du Bab furent forcés de s'abriter dans un vieux fort à l'extérieur de la ville. Bien que largement moins nombreux que l'armée, et malgré leur manque d'entraînement, ces défenseurs du fort de Khajih combattirent avec un tel courage et un tel héroïsme que leurs ennemis subirent une défaite humiliante et furent forcés de se retirer terrorisés.

Ayant compris la futilité d'une intervention armée, Zaynu'l-'Abidin Khan recourut à la tromperie et à la trahison. Habilement, il lança le cri de paix, envoya un message écrit aux défenseurs du fort et invita Vahid et d'autres dirigeants à visiter le camp de son armée en donnant sa parole de rechercher la vérité de la cause du Bab et de mettre fin à toute effusion de sang et au conflit. Pour pouvoir leurrer ces hommes simples au coeur pur, lui et son état-major apposèrent leur sceau sur le Coran et l'envoyèrent avec ce message comme témoignage d'honnêteté et de véracité. Vahid savait leur trahison, mais pour honorer le Coran il sortit du fort et alla au camp, où tout d'abord il fut reçu cérémonieusement. Là, il réprimanda les autorités pour leur tyrannie et leur aveuglement ; il leur demanda d'approfondir et d'embrasser la foi de Dieu nouveau-née. Ses paroles étaient si pénétrantes que le gouverneur et ses hommes furent déconcertés par la force de son argument. Reconnaissant la profondeur de sa connaissance et la sincérité de ses croyances, le gouverneur se mit à craindre que ses hommes donnent leur allégeance à Vahid. En trois jours, par tromperie et traîtrise, le gouverneur réussit à évacuer le fort. Mais ses défenseurs furent pris dans une souricière et la plupart furent massacrés par l'armée. Vahid fut honteusement mis à mort et son corps fut tiré à travers les rues et les bazars de Nayriz au son des tambours et des cymbales, tandis que hommes et femmes dansaient joyeusement autour de lui.

Le martyre de Vahid projeta un éclat impérissable sur la foi de Dieu. L'histoire de sa vie orne les pages de l'histoire de la Cause et l'exemple qu'il a laissé guidera et inspirera des générations innombrables à travers les âges. Il était sans pareil dans le royaume du savoir et de la connaissance, invincible dans sa foi, stimulant dans ses discours publics, héroïque dans la défense de la cause de Dieu et inégalé dans son amour pour le Bab.

Dans la Suriy-i-Sabr Baha'u'llah décrit la proclamation de la Foi par Vahid et les circonstances qui menèrent à la révolte de Nayriz. Il raconte, longuement les évènements qui menèrent à l'incarcération des croyants et loue leur héroïsme, leur sacrifice et leur martyre final. Il dépeint l'agonie et les souffrances qui furent infligées aux survivants, principalement des femmes et des enfants, qui furent forcés d'accompagner jusqu'à Shiraz les têtes des martyrs qui étaient plantées sur des lances et de parader dans les rues et les bazars de cette cité. Il condamna sévèrement ceux qui avaient perpétré de telles atrocités et les avertit de ne pas se réjouir de leurs actions mais de craindre la colère de Dieu tout-puissant qui dans le monde à venir les punira justement pour les cruautés qu'ils ont infligées à ses bien-aimés.

Trois années après la première révolte, un autre massacre plus brutal que le premier s'abattit sur les croyants de Nayriz. Dans sa narration, Nabil a brièvement rapporté certains des évènements qui y furent associés:

"Je ne tenterai point de rappeler les diverses circonstances qui conduisirent au carnage qui marqua la fin de cet épisode. Je reporterai mon lecteur au récit pittoresque et détaillé que Mirza Shafi'-i-Nayrisi a écrit dans un livret séparé et dans lequel il se réfère, avec précision et force, à chaque détail de ce poignant événement. Il suffit de dire que pas moins de cent quatre-vingt des vaillants disciples du Bab subirent le martyre. Un nombre identique d'entre eux furent blessés et, bien quoique rendus invalides par leurs blessures, reçurent l'ordre de partir pour Téhéran.
Seuls vingt-huit d'entre eux survécurent aux souffrances du voyage vers la capitale. Sur ces vingt-huit, quinze furent conduits à la potence le jour même de leur arrivée. Les autres furent jetés en prison et durent souffrir durant deux ans les plus horribles atrocités. Quoiqu'ils fussent finalement relâchés, nombreux furent ceux qui périrent sur le chemin du retour, épuisés par les épreuves d'une longue et cruelle captivité.
Un grand nombre de leurs condisciples périt à Shiraz sur l'ordre de Tahmasb-Mirza. Les têtes de deux cents victimes furent placées sur des baïonnettes et transportées triomphalement par leurs oppresseurs à Abadih, un village du Fars. On avait l'intention de les emporter à Téhéran, lorsqu'un messager royal ordonna d'abandonner ce projet, après quoi on décida d'enterrer les têtes dans ce village.
Quant aux femmes, qui étaient au nombre de six cents, la moitié d'entre elles fut relâchée à Nayriz, alors que les autres étaient transportées deux par deux sur un même cheval sans selle, à Shiraz, où, après avoir été soumises à de sévères tortures, elle furent abandonnées à leur sort. Nombre d'entre elles périrent en route ; beaucoup succombèrent aux afflictions qu'elles durent supporter avant de recouvrer la liberté. Ma plume se refuse, horrifiée, à essayer de décrire ce qui advint à ces vaillants hommes et femmes qui durent souffrir si cruellement pour leur foi. La barbarie effrénée qui caractérise le traitement qu'on leur réserva atteignit le tréfonds de l'infamie dans les phases finales de ce lamentable épisode. (5)"

Les traditions de l'islam rapportent de nombreux signes concernant l'apparition du Promis. Dans une de celles-ci, il est prophétisé que les têtes de certains de ses disciples seraient décapitées et que les ennemis s'en serviraient comme cadeau. Cette prophétie fut littéralement accomplie pendant les deux massacres sanglants de Nayriz. Baha'u'llah a cité cette tradition dans le Kitab-i-Iqan:

"… Ainsi que cela a été rapporté… dans la "Tablette de Fanimih", au sujet des caractéristiques du Qa'im: Il aura la perfection de Moïse, la gloire de Jésus, la patience de Job. Ses disciples seront méprisés durant sa vie ; et leurs têtes seront envoyées à titre de présents, ainsi qu'on envoie aujourd'hui les têtes des Turcs et des Daylamites. Ils seront massacrés et brûlés. Ils seront épouvantés, terrorisés ; la terre sera rougie de leur sang ; les lamentations et les gémissements seront le lot de leurs femmes. En vérité ils sont mes élus." (6)

Dans la Suriy-i-Sabr Baha'u'llah célèbre le rang de Vahid en termes qu'aucune plume ne peut décrire adéquatement. Il rend un hommage élogieux à l'ardeur de sa foi et à la grandeur de sa vision, déclare qu'il est resté fidèle à l'Alliance de Dieu et affirme qu'il a rempli sa promesse envers son Seigneur. Il lui ordonne de se réjouir avec "l'Assemblée céleste" pour avoir été évoqué dans cette épître, une épître si exaltée que les Livres saints du passé en ont tiré leur essence.

Baha'u'llah s'adresse aussi dans cette épître aux croyants de Nayriz, avec des paroles d'encouragement et de louange. Il leur demande de se remémorer les premiers jours d'insouciance et d'ignorance, lorsque Dieu déversait ses faveurs sur eux à travers le personnage de Vahid, leur permettait de reconnaître sa Manifestation et les guidait vers l'Océan de connaissance. Il leur conseille d'apprécier ce merveilleux cadeau, de remercier le Tout-Puissant pour avoir été fait les dépositaires de sa grâce et de se réjouir du rang élevé qu'il leur a conféré. Si ce rang devait être révélé aux yeux des hommes, déclare-t-il, sans aucune hésitation ils offriraient leur vie pour l'atteindre. La sagesse de cette dissimulation est pour que l'homme puisse être éprouvé, que le bien puisse être distingué du mal et les justes des méchants. Avec beaucoup d'amour, Baha'u'llah exhorte les croyants de Nayriz à manifester dans leur vie les attributs de Dieu, à purifier leur âme de la crasse de ce monde et à être fermes dans la foi et tenaces face à l'opposition.

L'histoire des martyrs de Nayriz démontre le dévouement et l'héroïsme des croyants de cette ville. Pendant plusieurs générations, ces âmes ont périodiquement subi de violentes persécutions des mains d'ennemis acharnés. Pourtant, ils sont restés fidèles à la cause de Dieu, endurant avec une patience exemplaire les tribulations amoncelées sur eux.

Il est intéressant de noter que Vahid et ses compagnons sacrifièrent leurs vies dans son sentier juste dix jours avant que le Bab ne soit exécuté publiquement. Près de soixante ans plus tard, à Naw-Ruz 1909, lorsque les restes du Prophète-Martyr furent déposés pour reposer sur le Mont Carmel, dix-huit croyants furent assassinés à Nayriz suite à l'agression brutale du sanguinaire Shaykh Zakariyya [nota: Il pénétra dans Nayriz avec un groupe de soldats armés, occupa la ville et entre autres choses, lança une attaque brutale contre les baha'is. Non seulement ses hommes recherchaient les baha'is pour les tuer, mais il offrit de payer cent toumans pour la tête décapitée d'un baha'i] 'Abdu'l-Baha atteste que l'enterrement d'un legs aussi sacré que les restes saints du Bab requérait un sacrifice, qui fut accompli par le martyre de ces croyants. Il rendit un hommage très chaleureux aux baha'is de Nayriz pour avoir, par leur sacrifice, gagner un tel honneur.

Dans la Suriy-i-Sabr, Baha'u'llah rend un hommage vibrant à Hadji Muhammad-i-Taqi. Il rappelle le rôle important qu'il joua dans le soulèvement de Nayriz, l'aide matérielle apportée à Vahid, la fortune qu'il dépensa pour défendre le fort et les souffrances qu'il supporta avec résignation et sacrifice. Lorsque les croyants se réfugièrent dans le fort de Khajih, leur nourriture et autres besoins furent fournis par Hadji Muhammad-i-Taqi. Sans cette aide matérielle, les babis n'auraient pas pu se défendre contre l'armée. Hadji Muhammad-i-Taqi fut l'un des survivants du siège. Le gouverneur de Nayriz, sachant qu'il était l'un des personnages clés, responsables de la propagation de la Foi dans sa ville, confisqua toutes ses propriétés et l'emprisonna avec l'intention de le torturer à mort, avec quelques autres, y compris Siyyid Ja'far, le religieux érudit de Nayriz que nous avons déjà mentionné plus haut.

Un récit des souffrances de Hadji Muhammad-i-Taqi en prison, sa libération ultérieure et son voyage à Bagdad, aboutissant à son arrivée en la présence de Baha'u'llah, a déjà été fait. En faisant référence à l'esprit de résignation et d'indulgence qu'il avait montré lors du massacre de Nayriz, Baha'u'llah déclare que le Tout-Puissant assistera toujours ceux qui volontairement sacrifient leurs possessions pour promouvoir la cause de Dieu, et qui endurent patiemment les épreuves en son chemin. De telles âmes, déclare-t-il ne se plaignent jamais lorsqu'elles sont accablées par les calamités ; au contraire, elles accueillent les épreuves et la persécution dans le chemin de leur Seigneur [nota: Lorsque Hadji Muhammad-i-Taqi voyagea vers Bagdad, il était accompagné de sa femme, de son fils et de sa fille. Ce fils, Muhammad-'Ali, tout jeune homme, fut tué à Bagdad. Lui-même mourut quelques années plus tard dans cette ville et Baha'u'llah l'honora en participant à ses funérailles. Sachant que la femme de Hadji Muhammad-Taqi était accablée de douleur suite à la perte tragique de son fils et de son mari, Baha'u'llah fit en sorte qu'un certain Ahmad 'Ali, un adolescent de très bon caractère, aille avec elle à Nayriz et vécut là en tant que fils adoptif]

Il y a beaucoup de mystères cachés dans la création de Dieu. L'un de ceux-ci est le mystère de la souffrance. Dans sa vie, l'homme fait l'expérience de nombreuses épreuves et tribulations, mais souvent il n'en comprend pas la raison. Bien que la signification de la souffrance ne puisse être totalement appréciée dans ce monde, ses effets sur l'individu peuvent être observés facilement.

Dans le monde de la nature, la plupart des objets sont affectés par des influences extérieures. Par exemple, un morceau de fer abandonné est froid et se rouille. Cependant, suite à une friction, il produit de la chaleur, sa surface devient luisante et en augmentant la force de la friction il peut même devenir un corps lumineux. Mais seule, une pression exercée sur le fer, sans volonté de sa part, fera se manifester ces caractéristiques qui sont latentes en lui.

Il y a de même, de nombreuses qualités et vertus qui sommeillent à l'intérieur de l'homme. Souvent, la souffrance aide à libérer les potentialités qui sont dans l'homme, faisant apparaître à la surface de nobles qualités qui jusqu'ici étaient restées cachées. L'histoire a montré que nombre d'hommes éminents ont réalisé de grandes choses, simplement en faisant face à des épreuves et à des difficultés. Grâce à la persévérance et à la ténacité, ils ont surmonté les obstacles, démontré leur force de caractère et révélé les pouvoirs cachés latents en eux. Par contre, le frêle et le faible ont souvent fléchi devant de telles difficultés et ont péri. Clairement, la souffrance révèle la force, le caractère et la foi en chaque être humain. Plus grande est la cause, plus ardus sont les tests et les épreuves auxquels l'individu sera soumis. Dans cette "dispensation", de grands héros, dont la vie a illuminé l'histoire de la cause de Dieu par leur courage et leur sacrifice de soi, ont émergé des bains de sang du martyre.

Dans la Suriy-i-Sabr, Baha'u'llah raconte avec force détails l'histoire de Job, l'un des prophètes d'Israël. Il déclare que Dieu a conféré à Job le manteau de prophète. Il était riche, possédait une vaste parcelle de terrain et vivait avec sa femme et sa famille dans le grand luxe et le confort. Ayant reçu de Dieu, le mandat de guider le peuple vers la droiture et la vérité, il consacra sa vie à remplir cette mission dans sa communauté. Il les convia tous à la cause de Dieu, mais ils devinrent jaloux et l'accusèrent d'hypocrisie, disant que sa dévotion à Dieu était uniquement due à ses richesses et à ses possessions matérielles.

De façon à pouvoir manifester sa droiture aux yeux des hommes, Dieu l'entoura de tribulations. Chaque jour une nouvelle calamité tombait sur lui. Premièrement, ses fils lui furent pris, toutes ses possessions lui furent retirées et ses récoltes brûlées. Puis il tomba malade et son corps fut affligé de maladie et recouvert de pustules. Malgré toutes ces calamités, il resta reconnaissant envers Dieu et endura patiemment ses épreuves avec un esprit de résignation et de détachement. Pourtant ses afflictions ne se terminèrent pas là, car il fut écarté de son village avec personne pour l'aider hormis sa femme, qui croyait en lui et qui fit tout ce qu'elle put pour alléger sa douleur. À la fin, il se trouva, pendant de nombreux jours, démuni et sans nourriture.

Baha'u'llah affirme que Job était si patient et résigné à la volonté de Dieu que sa reconnaissance et sa dévotion envers son Seigneur augmentaient avec les épreuves. À la fin, ayant prouvé son détachement des possessions terrestres, Dieu accorda à nouveau à Job tout ce qui lui avait été pris. Ses enseignements se propagèrent et ses paroles pénétrèrent dans les coeurs des sincères, leur permettant de constater et de reconnaître son rang.

Avec cette histoire dans la Suriy-i-Sabr, Baha'u'llah jette une lumière sur la patience, l'une des vertus les plus importantes dont Dieu a doté l'homme. Il loue le rang de ces croyants qui ont supporté les épreuves et les calamités avec patience et résignation. Par leur détermination et leur constance, leur indulgence et leur patience à toute épreuve, la récompense est sans limites, ainsi qu'il en est attesté dans le Coran [nota: Ceux qui sont constants recevront leur incommensurable récompense. Coran XXXIX.10].

Ces vertus, déclare Baha'u'llah, Dieu les octroient à ses Manifestations dans une alliance avec chacun d'eux. L'homme devrait suivre leur exemple. Premièrement, il devrait être patient avec lui-même et apprendre à s'écarter de la passion, du désir et des actions qui sont interdites par Dieu. Deuxièmement, il devrait supporter avec détermination, toute souffrance qui lui est infligée dans cette vie et être ferme dans la cause de Dieu. Finalement, il devrait être indulgent et patient avec les croyants et, pour l'amour de Dieu et de sa religion, supporter toute épreuve qu'ils peuvent lui apporter.

Cette épître révélée par Baha'u'llah à la veille de quitter l'Irak, eut un effet extraordinaire sur les croyants de ce pays. Elle les prépara pour les jours de test et d'épreuve que Baha'u'llah avait prévus depuis assez longtemps. Cela leur donna aussi de la foi et du courage pour supporter les épreuves de la séparation d'avec leur Seigneur dans un esprit de résignation et de détermination.

Faisant référence à son départ d'Irak, Baha'u'llah fait allusion à la future rébellion de Mirza Yahya et prévient que, après que le soleil se sera couché, les "oiseaux de nuit" s'envoleront, signifiant ainsi qu'en son absence, les âmes sataniques se lèveront pour propager leurs rumeurs insidieuses parmi les fidèles. Il exhorte ses disciples à protéger la cause de Dieu de la division et de rester ferme et inébranlable comme la montagne.

Dans cette épître, Baha'u'llah rejette la doctrine, d'origine humaine, de la finalité de la religion, donne la signification de "Sceau des Prophètes", confirme le principe de la continuité de la révélation divine et déclare que Dieu enverra ses Manifestations jusqu'à la fin qui n'a pas de fin. De plus, il condamne les prêtres et les érudits de l'islam pour leur aveuglement et prétend qu'ils n'ont jamais eu de véritable connaissance ni compréhension des mystères de la cause de Dieu, qu'ils ont erré dans le désert de l'ego et de la passion. Il les réprimande pour renier la vérité de la révélation du Bab et pour l'avoir mis à mort, loue son rang, atteste qu'il manifesta la beauté de Dieu, et déclare que sous peu toute l'humanité le reconnaîtra.

Dans un autre passage, il fait une déclaration similaire concernant la future victoire de la Cause dans laquelle il réprimande ceux qui ont répudié la Foi et qui se sont levés contre elle. Il les avertit que tous leurs efforts pour déraciner l'arbre de la Cause finiront par échouer. Et à nouveau, il prophétise que le jour viendra où tous les peuples du monde embrasseront sa Foi.

Dans l'une des épîtres de Baha'u'llah, il est dit que Dieu a prescrit pour lui-même la tâche d'assister ceux qui se lèvent pour le servir. Effectivement cela stupéfie l'imagination que Dieu puisse se donner une tâche à lui-même. Pourtant on trouve un autre exemple dans cette épître, car Baha'u'llah affirme que Dieu a promis de rassembler l'espèce humaine tout entière sous l'ombre de l'arbre de sa Cause. Baha'u'llah déclare que ceci est un décret irrévocable.

De même que dans beaucoup d'épîtres de Baha'u'llah, la Suriy-i-Sabr peut être décrite comme un océan contenant de merveilleuses gemmes de connaissance et de sagesse. Révélée à un moment décisif lorsque son Auteur venait de révéler son rang à ses bien-aimés, alors que les espoirs et les visions d'un nombre incalculable de prophètes à travers les âges venaient d'être accompli, et que la tristesse et l'agonie de ses compagnons s'étaient transformées en joie bienheureuse, cette épître se distingue comme un monument éternel à ce Jour des jours.

Quelques passages dans cette tablette font allusion à la déclaration de Baha'u'llah et font entrevoir l'annonce de sa gloire dans le jardin de Ridvan. Dans une de ses épîtres, il se demande à lui-même de déchirer les voiles qui avaient jusqu'alors caché sa beauté aux yeux des hommes, et en général, de répandre les fragrances de l'esprit qui était resté scellé depuis le commencement des temps et de manifester sa gloire par le pouvoir du Tout-Puissant. Dans un autre passage, faisant référence aux souffrances qui lui avaient été infligées, il désigne sa propre personne comme la "Manifestation de Dieu lui-même". Il loue le jour, l'heure et le moment de sa déclaration, et affirme qu'à cet instant précis depuis la cité de Bagdad, il s'adresse à la création tout entière, de façon à ce que chaque créature puisse recevoir cette part de la gloire que Dieu a décrétée pour elle. De plus, il affirme qu'en ce jour, toutes choses créées furent illuminées par le lever du Soleil de vérité provenant d'Irak.


d) Signification de Ridvan

Dans un nombre d'épîtres, dont la plupart n'ont pas encore été traduites, Baha'u'llah loue la sainteté et la gloire des jours de Ridvan. L'une de ces épîtres, révélées quelques années après sa déclaration, a été traduite en anglais par Shoghi Effendi.

En voici quelques extraits:

"Voici venu le printemps divin, ô Plume sublime, car la fête du Miséricordieux approche à grands pas. Lève-toi donc pour magnifier le nom de Dieu devant la création tout entière, et célébrer sa louange de telle sorte que toutes choses créées en soient régénérées et rénovées. Parle, et ne prends aucun repos. Le soleil de l'allégresse brille à l'horizon de notre nom, le Bienheureux, car le nom de ton Seigneur, Créateur des cieux, orne le royaume du nom de Dieu. Lève-toi face aux nations de la terre, arme-toi du pouvoir de ce plus grand Nom, et ne traîne pas….
Voici le jour où le monde invisible s'écrie: "Ô Terre, grande est ta bénédiction car tu es devenue le marchepied de ton Dieu, et tu as été choisie pour être le siège de son trône puissant", et le royaume de gloire s'exclame: "Que ma vie te soit offerte en sacrifice, car le Bien-aimé du Très-Miséricordieux a établi sur toi sa souveraineté par le pouvoir de son nom promis à toutes choses, passées et futures." Voici le jour où mon vêtement répand sur toute la création son parfum qui imprègne toute chose embaumée. Voici le jour où les torrents de la vie éternelle jaillissent de la volonté du Très-Miséricordieux. De tout votre coeur et de toute votre âme, hâtez-vous d'y boire à satiété, ô Assemblée des royaumes célestes !
Dis: Il est la Manifestation de l'Inconnaissable, l'Invisible des invisibles, puissiez-vous le comprendre. Il est celui qui découvre à vos yeux le précieux Joyau caché, si vous êtes de ceux qui cherchent. Il est le Bien-aimé de toutes choses passées et futures. Que votre amour et votre espoir soient placés en lui !…
Le Bien-aimé est venu, il tient dans la main droite le vin cacheté de son nom. Heureux l'homme qui se tourne vers lui, qui boit à satiété et s'écrie: "Loué sois-tu, ô révélateur des signes de Dieu !" Par la vertu du Tout-Puissant ! toute chose cachée est révélée par le pouvoir de la vérité. Toutes les faveurs de Dieu sont dispensées en signe de sa miséricorde, et toutes les eaux de vie éternelle sont offertes aux hommes. La main du Bien-aimé fait passer chaque coupe à la ronde, l'une après l'autre. Approche-toi, ne t'attarde pas, ne fût-ce qu'un instant. …
Ô peuple de Baha, réjouis-toi d'une joie sans pareille en évoquant ce Jour de suprême félicité où s'exprima la langue de l'Ancien des jours car il a quitté sa demeure pour se rendre au lieu d'où il répandit sur la création tout entière les splendeurs de son nom, le Très-Miséricordieux. Dieu est notre témoin. Si nous révélions les secrets de ce jour, tous les habitants du ciel et de la terre s'évanouiraient et mourraient à l'exception de ceux que préserverait Dieu, le Tout-Puissant, l'Omniscient, le Très-Sage.
L'effet enivrant des paroles de Dieu sur le Révélateur de ses preuves indubitables est tel que sa plume ne peut se mouvoir plus longtemps. Et de conclure sa tablette par ces paroles: Il n'est de Dieu que moi, le Sublime, le Tout-Puissant, l'Excellent, l'Omniscient !" (7)

Pendant les douze jours où Baha'u'llah resta dans le jardin de Ridvan, un grand nombre de personnes vinrent lui rendre hommage. Parmi elles se trouvaient des notables, des dignitaires de la cité de Bagdad, hommes de savoir et de culture, ainsi que la masse des gens qui étaient ses admirateurs. Quant aux croyants, Baha'u'llah invitait un certain nombre de ses compagnons à lui rendre visite chaque jour, et les renvoyait dans la soirée. Seuls ceux qui n'avaient pas d'attache familiale avaient l'autorisation de rester toute la nuit, tandis que certains d'entre eux montaient la garde autour de sa tente.

Nabil a laissé pour la postérité la description vivante de la joyeuse atmosphère de cette époque historique:

"Chaque jour, avant l'aube, les jardiniers cueillaient les roses qui bordaient les quatre avenues du jardin et les empilaient par terre, au milieu de sa tente bénie. Le tas était si élevé que, lorsque ses compagnons se réunissaient pour boire leur thé du matin en sa présence, ils ne pouvaient se voir par-dessus. Chaque matin, Baha'u'llah, de ses propres mains, confiait toutes ces roses à ceux qu'il congédiait de sa vue, avec mission de les remettre de sa part aux amis arabes et persans de la ville… Une nuit, la neuvième nuit de la lune ascendante, avec d'autres personnes, je montais la garde près de sa tente bénie. Comme minuit approchait, je le vis sortir de sa tente, passer près de quelques-uns de ses compagnons endormis, et sous le clair de lune commencer à faire les cent pas dans les allées bordées de fleurs du jardin. De tous côtés, le chant des rossignols était si fort que seuls, ceux qui étaient proches de lui pouvaient entendre distinctement sa voix. Il continua de marcher jusqu'à ce que, s'arrêtant au milieu de l'une des avenues, il fît remarquer: "Voyez ces rossignols. Leur amour pour ces roses est si grand que, veillant du crépuscule jusqu'à l'aube, ils gazouillent leurs mélodies et, dans une passion brûlante, communient avec l'objet de leur adoration. Comment ceux qui se prétendent embrasés d'amour pour la beauté du Bien-Aimé - celle de la rose même - peuvent-ils se résoudre à dormir ?" Pendant trois nuits consécutives, je veillai, effectuant des rondes autour de sa tente bénie. Chaque fois que je passais près du lit sur lequel il était étendu, je le trouvais éveillé, et chaque jour, du matin au soir, je le voyais sans cesse occupé à converser avec le flot de visiteurs qui ne cessaient d'arriver de Bagdad. Pas une seule fois, je ne pus découvrir, dans les paroles qu'il prononçait, le moindre indice de dissimulation." (8)

Dans une de ses causeries [nota: Cette causerie a été donnée le neuvième jour de Ridvan en 1916, à Bahji, Acre], 'Abdu'l-Baha déclare que les ennemis de la Foi, déterminés à éteindre le feu de la Cause, ont fait tout ce qui était en leur pouvoir pour faire bannir Baha'u'llah de Bagdad. Ils ne s'étaient pas rendu compte que ce bannissement apporterait la victoire à sa Foi. Toutefois, lorsque Baha'u'llah se rendit au Jardin de Ridvan, ils virent la grandeur de sa Cause et furent consternés et démoralisés par les marques d'honneur et de respect que les habitants de Bagdad et ses notables lui donnaient. 'Abdu'l-Baha ajoute: alors que le bannissement est normalement une triste circonstance, Baha'u'llah l'a rendu le plus joyeux évènement de sa vie. Les jours de Ridvan devinrent la plus grande Fête, célébrant la déclaration de sa mission à ses disciples.

La déclaration de Baha'u'llah dans le Jardin de Ridvan peut être considérée comme étant le couronnement de dix ans de sa révélation et l'accomplissement de la première phase de son ministère. Ce jour-là, la Main d'omnipotence ôta une "myriade de voiles de lumière" de son visage, gratifiant les hommes d'un aperçu de son pouvoir et de sa gloire, et ouvrant devant eux un nouveau chapitre de leur vie sur cette planète. Baha'u'llah a déclaré que ce jour-là, "les brises du pardon ont soufflé sur toute la création" et "toutes choses créées ont été plongées dans l'océan de la purification." (9)

Dans l'épître citée un peu plus haut Baha'u'llah loue les gloires de la Fête de Ridvan et décrit sa signification en ces termes:

"En vérité, sur notre ordre irrésistible et souverain, toutes les âmes ont expiré. Puis, nous avons appelé à l'être une création nouvelle en signe de notre grâce envers les hommes. Je suis en vérité le Très-Généreux, l'Ancien des jours. (10)"

Dans l'une de ses prières révélées à Andrinople, Baha'u'llah se réfère à cette nouvelle création en ces mots:

"Qu'il est grand ton pouvoir ! Qu'elle est exaltée ta souveraineté ! Qu'elle est élevée ta puissance ! Qu'elle est excellente ta majesté ! Qu'elle est suprême ta grandeur - une grandeur que celui qui est ta Manifestation a fait connaître et avec laquelle tu l'as investi comme un signe de ta générosité et de tes abondantes faveurs. Je suis témoin, ô mon Dieu, que par lui tes signes les plus resplendissants ont été découverts, et ta miséricorde a englobé la création tout entière. Si ce n'était pour lui, comment la céleste Colombe aurait-elle pu chanter son chant ou le Rossignol du paradis, gazouiller sa mélodie selon le décret de Dieu ?
J'atteste que par la puissance de ta volonté et de ton dessein, la création tout entière fut bouleversée à peine le premier mot était-il sorti de sa bouche et le premier appel parti de ses lèvres, et que tous ceux qui sont dans les cieux et tous ceux qui sont sur terre en furent remués jusqu'au plus profond d'eux-mêmes. Par ce mot les réalités de toutes choses créées furent secouées, furent divisées, séparées, éparpillées, regroupées et réunies, révélant aussi bien dans le monde contingent que dans le royaume céleste, les entités d'une nouvelle création, et révélant dans les royaumes invisibles, les signes et les dons de ton unité et de ton unicité. (11)"

Les énergies spirituelles libérées au moment où la déclaration de Baha'u'llah conféra une toute nouvelle capacité au genre humain, permettant à chaque individu quelle que soit sa race, couleur, éducation ou origine, de reconnaître le message de Dieu pour ce jour et de jouer son rôle dans l'établissement d'une civilisation divine englobant l'humanité tout entière.


e) Trois importantes déclarations de Baha'u'llah

Bien que la façon dont s'est faite sa déclaration ne soit pas précise, il y a une épître écrite de la main de Mirza Aqa Jan et adressée à un certain Mirza Muhammad-Rida, qui jette une lumière sur quelques-unes des paroles de Baha'u'llah. D'après cette épître, le premier jour de Ridvan, Baha'u'llah fit à ses disciples, trois déclarations particulièrement importantes [nota: Cependant, ce n'est pas précisé si cela fait partie de la déclaration de son rang de "Celui que Dieu rendra manifeste", ou pas].

La première était d'interdire dans cette dispensation l'usage de l'épée.
[nota: Ceci implique toutes sortes d'arsenaux ou armes] Durant le ministère du Bab, les croyants se défendirent contre les persécuteurs, Baha'u'llah interdit ceci très clairement. Dans de nombreuses épîtres, il conseille à ses disciples d'enseigner la Cause avec sagesse et prudence et de ne pas exciter l'antagonisme d'un ennemi fanatique. Il prescrit la prudence lorsqu'on enseigne ceux qui sont déterminés à déraciner la fondation de la Foi et nuire à ses adhérents. À un moment de son ministère, il exhorta tout particulièrement ses disciples à prendre garde à ne pas tomber aux mains des ennemis, mais s'ils devaient faire face au martyre, alors de donner leur vie dans le chemin de leur Foi plutôt que de tuer leurs persécuteurs. La langue du croyant qui enseigne la Cause, déclare-t-il dans l'une de ses épîtres, est la plus puissante épée qu'il possède, car ses paroles sont dotées d'un pouvoir qui peut ôter les voiles de l'ignorance des coeurs des hommes. Rapidement, suite à de tels conseils et exhortations, l'attitude des croyants changea radicalement, et les épées et autres armes furent rangées pour ne plus jamais servir. En Perse, durant les ministères de Baha'u'llah et de 'Abdu'l-Baha, un grand nombre de baha'is furent martyrisés, mais ils n'eurent pas recours à la violence [nota: Cette attitude ne doit pas être confondue avec le pacifisme qui n'est pas en conformité avec les enseignements baha'is. En vérité, Baha'u'llah est partisan de l'usage de la force sur une échelle internationale, si nécessaire pour retenir la main d'un agresseur. S'adressant aux rois et dirigeants du monde, il écrit: "… Si l'un de vous prenait les armes contre un autre, levez-vous tous contre lui, car ce ne sera là que justice manifeste." (12)]

Ils donnèrent volontiers leur vie, et beaucoup attestèrent à l'heure de leur martyre que le sang de leur vie proclamait la vérité de la cause de Dieu pour cette époque.

Il ne fut jamais prévu cependant que les disciples de Baha'u'llah devaient rester les bras croisés sans défendre leur vie. La justice est l'un des enseignements les plus importants dans cette "dispensation" et les croyants se sont servis de tous les moyens légaux pour se protéger des attaques des ennemis. Au temps de Baha'u'llah et de 'Abdu'l-Baha, les baha'is ne pouvaient faire que peu de choses pour retenir les mains des oppresseurs, car ceux qui détenaient l'autorité soutenaient souvent ou même prenaient part à leurs crimes odieux. Aujourd'hui où la plupart des nations du monde deviennent conscientes des principes des droits de l'homme, chaque fois que la Communauté mondiale baha'ie a lancé un appel de justice, les gouvernements concernés ont très souvent accordé leur protection.

La deuxième déclaration faite par Baha'u'llah le premier jour de Ridvan, ainsi qu'il est attesté dans l'épître sus-mentionnée, est, qu'aucune autre Manifestation de Dieu n'apparaîtrait avant l'expiration de mille années. Dans le Kitab-i-Badi', qu'il révéla à Andrinople, Baha'u'llah confirme cette déclaration et plus tard dans le Kitab-i-Aqdas il s'y réfère en ces paroles:

"Quiconque prétend à une révélation directe de Dieu avant l'expiration de mille ans révolus est, assurément, un imposteur et un menteur. Nous prions Dieu de l'aider par sa grâce à se rétracter et à désavouer pareille prétention. S'il se repent, Dieu lui pardonnera sans nul doute. Si toutefois il s'obstine dans son erreur, Dieu enverra certainement celui qui le traitera sans miséricorde. Terrible, en vérité, est le châtiment de Dieu. Quiconque donne à ce verset une signification autre que celle qu'il offre de toute évidence est, en vérité, privé de l'Esprit de Dieu et de sa miséricorde qui embrasse toutes choses créées. Craignez Dieu et ne suivez pas vos vaines imaginations. Suivez plutôt le commandement de votre Seigneur, le Tout-Puissant, le Très-Sage. (13)"

La troisième déclaration de Baha'u'llah au premier jour de Ridvan est que, au moment où il prononçait ces paroles, tous les noms et attributs de Dieu furent entièrement manifestés en toutes choses créées. Par ceci, il impliquait l'avènement d'un nouveau Jour et la gratification d'une compétence nouvelle en chaque être.


f) Les prophéties du Bab accomplies

Avec la déclaration de Baha'u'llah, les prophéties du Bab concernant l'apparition de "Celui que Dieu rendra manifeste" furent accomplies. La Bab dans ses Écrits avait fait allusion à la scène de la déclaration de Baha'u'llah à "Ridvan" et aux souffles des brises de sa révélation à "Bagdad". Il avait aussi prédit dans le Bayan persan qu'il serait manifesté à l'achèvement du premier Vahid (dix-neuf ans) de la "dispensation" babie qui débuta en 1844. Dans le premier chapitre du Qayyumu'l- Asma', qui fut révélé lorsque le Bab communiqua son message à Mulla Husayn, il se réfère au "peuple de Baha" comme aux seuls "compagnons de l'Arche pourpre" flottant sur la "mer pourpre". L'Arche pourpre est une référence à la cause de Baha'u'llah qui fut inaugurée le premier jour de Ridvan. La communauté du Plus-Grand-Nom naquit ce jour-là, lorsque les disciples de Baha'u'llah reconnurent son rang.


g) Départ de Baha'u'llah du Jardin de Ridvan

Un récit mémorable du départ de Baha'u'llah a été fait par Shoghi Effendi, le Gardien de la Foi:

"Le départ de Baha'u'llah du jardin de Ridvan, à midi, le 14 Dhi'l-Qa'dih 1279 A.H. (3 mai 1863) vit se dérouler des scènes d'enthousiasme tumultueux non moins spectaculaires, et même encore plus touchantes, que celles qui avaient salué son départ de sa suprême demeure à Bagdad. "Le grand tumulte", écrit un témoin oculaire, "associé, dans nos esprits au jour du rassemblement, le jour du jugement, nous en fûmes les spectateurs en cette occasion. Croyants et incroyants sanglotaient et se lamentaient pareillement. Les chefs et les notables qui s'étaient rassemblés furent frappés d'étonnement. L'émotion atteignit un tel degré de profondeur que nul langage ne peut la décrire et qu'aucun observateur n'aurait pu échapper à sa contagion".
Monté sur son coursier, un étalon aubère de la plus pure race, le meilleur que ses adorateurs avaient pu acheter pour lui, et laissant en arrière une multitude d'admirateurs fervents qui s'inclinaient, il s'éloigna vers la première étape "un voyage qui devait le mener à la ville de Constantinople. "Nombreuses furent les têtes", raconte Nabil, lui-même témoin de cette scène mémorable, "qui, de tous côtés, se courbaient dans la poussière, aux pieds de son cheval, embrassant ses sabots, et innombrables furent ceux qui s'élançaient pour étreindre ses étriers". "Qu'il fut grand", atteste un compagnon de route, "le nombre de ceux qui, personnifications de la fidélité, se jetèrent devant ce destrier, préférant la mort à la séparation d'avec leur Bien-Aimé ! J'ai l'impression que ce coursier béni foula aux pieds les corps de ces âmes au coeur pur"." "Ce fut lui" (Dieu), déclare Baha'u'llah lui-même, "qui me permit de quitter la ville ' (Bagdad), "revêtu d'une majesté telle que nul, sauf les négateurs et les malveillants, ne pouvait manquer de reconnaître." (14)



17. LE VOYAGE VERS CONSTANTINOPLE

Tandis que Baha'u'llah quittait le jardin de Ridvan, l'appel du adhan [nota: L'appel musulman à la prière] fut lancé à l'extérieur et les mots "Allah'u'Akbar" (Dieu est grand), qui l'avait accueilli à son arrivée, résonnait à nouveau à travers le quartier. Beaucoup de personnes, y compris les non-croyants, lui rendirent un dernier hommage en marchant à côté de son cheval lorsqu'il partit.

Il y avait un homme appelé Shaykh 'Abdu'l-Hamid qui avait un immense amour pour Baha'u'llah. C'était un musulman et il ne devint jamais un croyant, mais son dévouement à Baha'u'llah ne connaissait pas de limite. En gage de respect, il l'escorta hors de Bagdad en courant devant son cheval sur une distance d'environ dix miles. L'un de ses fils, Shaykh Muhammad-i-'Arab, devint baha'i, et quelques années plus tard parcourut tout le chemin jusqu'à Acre, pour se rendre en présence de Baha'u'llah, puis il alla en Perse où, avec distinction, il servit la Foi comme enseignant.

Mirza Aqay-i-Kashani était un remarquable disciple qui voyagea avec Baha'u'llah, celui-ci le dénomma Ismu'llahu'l-Munib. Jeune adolescent, il fut attiré par la cause du Bab et rejoignit les rangs des babis. son père était un marchand réputé de Kashan, et très hostile à cette Foi nouveau-née. En apprenant que son fils avait embrassé la cause du Bab, il décida de le tuer. Un jour, il l'entraîna dans un désert isolé situé près de la ville, au moment où il allait mener à bien son sinistre dessein, son fils le convainquit que les babis de Kashan ne resteraient pas les bras croisés si son père le tuait, mais prendraient des mesures pour le punir de son crime. Son père le relâcha alors, à condition qu'il quittât définitivement la maison.

Après ce tragique incident, Jinab-i-Munib voyagea jusqu'à Bagdad où il vint en présence de Baha'u'llah. Il reçut la permission d'y rester pour quelque temps. C'était un jeune homme accompli, motivé et perspicace, plein de charme et de grâce, beau, bien éduqué, calligraphe distingué et poète doué. Sa personnalité radieuse s'ajoutant à une grande capacité spirituelle lui permit de devenir un destinataire digne du débordement de la révélation de Baha'u'llah à Bagdad. Son coeur était tellement empli d'amour pour Baha'u'llah que toutes ses pensées et ses actions lui étaient totalement vouées. Il vivait seul dans une humble maison avec très peu à manger, passant son temps à transcrire les Écrits. Ses propres écrits sont lucides, enthousiasmants et emplis d'esprit, et ses exploits d'enseignant étaient véritablement remarquables.

Après quelque temps passé à Bagdad, vers l'année 1859, Baha'u'llah envoya Jinab-i-Munib en Perse, où il rendit visite aux croyants à Téhéran, Qazvin et Tabriz. Il retourna ensuite à Bagdad et s'y trouvait au moment de Ridvan. Lorsqu'il reçut l'honneur de pouvoir accompagner Baha'u'llah à Constantinople, il décida de parcourir tout le chemin à pied au lieu de chevaucher avec son Seigneur. 'Abdu'l-Baha décrit comment, de nombreuses nuits, lui et Jinab-i-Munib marchaient chacun d'un côté du howdah de Baha'u'llah [nota: L'origine du mot howdah est arabe. C'est une litière consistant en une paire de paniers dans lesquels deux personnes peuvent prendre place, et est porté par une bête de somme, dans le cas présent une mule]

Ceux qui accompagnèrent Baha'u'llah à Constantinople, étaient des membres de sa famille y compris Aqay-i-Kalim et Mirza Muhammad-Quli, ses frères fidèles, et vingt six de ses disciples. Comme cela a déjà été mentionné, en chemin, deux personnes se joignirent au groupe, Nabil-i-A'zam et Mirza Yahya.

Shoghi Effendi a décrit en ces termes, le voyage à Constantinople:

"Une caravane se forma, composée de cinquante mules, d'une garde montée de dix soldats et de leur officier, et de sept paires de litières surmontées chacune de quatre parasols ; elle s'achemina, par petites étapes, et pendant au moins cent dix jours, à travers les régions montagneuses, les défilés, les bois, les vallées et les pâturages qui constituent les paysages pittoresques de l'Anatolie orientale, jusqu'au port de Samsun, sur la mer Noire. Tantôt à cheval, tantôt sur la litière réservée pour lui et souvent entourées par ses compagnons dont la plupart allaient à pied, Baha'u'llah reçut, au cours de son voyage vers le Nord, dans le printemps en fleurs, et grâce à un ordre écrit du pacha Namiq, un accueil enthousiaste de la part des valis, des mutisarrifs, des qa'im-maqams, mudirs, shaykhs, muftis et qadis, des fonctionnaires du gouvernement et des notables habitant les régions qu'il traversait (*). À Karkuk, à Irbil, à Mosul où il demeura trois jours, à Nisibin, à Mardin, à Diyar-Bakr où ils firent une halte de deux jours, à Kharput, a Sivas ainsi que dans les autres villages et hameaux, une délégation venait l'accueillir juste avant son entrée dans la cité, et à son départ, il était accompagné un bout de chemin par une délégation semblable. Les fêtes qui, à certaines étapes, étaient données en son honneur, les aliments que les villageois préparaient et venaient lui offrir, l'empressement qu'ils déployaient maintes fois en lui procurant les moyens d'assurer son confort, tout ceci rappelait la vénération que le peuple de Bagdad lui avait témoignée en de si nombreuses occasions. (1)"

(*) Nota: Les titres de ces fonctionnaires et notables peuvent être traduits comme suit: vali, gouverneur ; mutisarrif, gouverneur provincial ; qa'im-maqam, vice-roi: mudir, préfet ; shaykh, aîné ou chef ; mufti, interprète de la loi musulmane qui prend des décisions sur les points de la jurisprudence religieuse ; qadi, juge.

Ceux qui ont voyagé à dos de mules ou de chevaux dans les déserts, les vallées ou les hautes terres du Moyen-Orient savent combien l'allure est lente et monotone. Pendant des miles, il n'y a aucun signe de vie et ceux qui voyagent en groupe n'ont pas toujours la possibilité de se parler et de communiquer facilement les uns avec les autres. Dans ces circonstances, rien ne peut être plus grisant que d'entendre une belle voix chanter de belles chansons. Jinab-i-Munib était l'un de ceux dont la voix mélodieuse, chantant différentes odes et poèmes, résonnait à travers les champs et les montagnes de Turquie et apportait la joie et la détente à ceux qui voyageaient avec Baha'u'llah. Toutes les odes qu'il chantait indiquaient son amour pour Baha'u'llah, et les prières qu'il psalmodiait au coeur de la nuit étaient un témoignage du désir de son coeur pour Baha'u'llah.

Jinab-i-Munib fit partie des compagnons de Baha'u'llah à Constantinople, jusqu'à son départ pour Andrinople, quand il le fit venir en sa présence et lui donna les instructions d'aller en Perse, où il pourrait enseigner et propager parmi les babis la bonne nouvelle de la déclaration de Baha'u'llah. En fait, cela prit quelque temps pour que la nouvelle de la déclaration de Baha'u'llah atteignît les croyants en Perse. Tout d'abord, les méthodes de communication étaient encore primitives. Deuxièmement, la dissémination d'une nouvelle aussi importante devait être faite avec prudence. Seule l'intuition et le dévouement des disciples de Baha'u'llah pouvaient y arriver, ce qui est l'une des raisons pour laquelle Baha'u'llah envoya en Perse les plus capables de ses disciples pour y enseigner sa Cause.

Lorsque Jinab-i-Munib arriva à Téhéran, il commença à annoncer le rang de Baha'u'llah à quelques babis, tout d'abord très discrètement. Après un petit laps de temps, Baha'u'llah lui envoya d'Andrinople, une épître appelée Suriy-i-Ashab, qui lui était adressée pour le guider et le soutenir. Lorsque Jinab-i-Munib reçut cette épître, il commença à dévoiler le rang de Baha'u'llah à la masse des croyants de ce pays. C'est une épître assez longue dans laquelle Baha'u'llah parle de la grandeur de sa cause et faisant allusion à Mirza Yahya, avertit le peuple du Bayan de prendre garde à ceux qui le renient. (Plus de détails sur cette épître éloquente seront donnés dans le prochain volume).

Durant cette période, Jinab-i-Munib rendit des services mémorables à la Foi en Perse, et particulièrement à Téhéran. Après quoi, il partit pour Andrinople, et vint encore en présence de Baha'u'llah ; il s'y trouvait lorsque Baha'u'llah fut exilé à Acre. Vers cette époque, il tomba malade, et eut grand besoin de traitement. Mais en dépit de cela, il supplia Baha'u'llah de lui permettre de se joindre à son exil car il aspirait à être avec son Seigneur.

Sa requête fut finalement acceptée et il réussit à atteindre Gallipoli avec les autres, mais il était si faible que trois hommes durent le porter à bord du vapeur qui devait emmener les exilés à Acre. Peu de temps après, sa condition se détériora et le capitaine l'obligea à quitter le bateau à Smyrne.

De nombreuses fois, Jinab-i-Munib avait indiqué à Baha'u'llah que son plus grand désir dans la vie était de se sacrifier dans son chemin. Maintenant, le temps était enfin venu. Avant d'être transporté hors du bateau, il réussit, en dépit de sa faiblesse, à traîner son faible corps devant Baha'u'llah. Il se jeta à ses pieds et avec des larmes pleins les yeux, il l'implora pour la dernière fois d'accepter son sacrifice. Baha'u'llah l'accepta et ses espoirs et ses aspirations furent enfin réalisés. Il fut mené à l'hôpital de Smyrne où, peu de temps après, son âme prit son envol vers les royaumes immortels de l'esprit.

Baha'u'llah, dans une épître décrivant ces évènements, dit que lorsque l'esprit de Jinab-i-Munib s'éleva vers sa demeure dans les mondes éternels de Dieu, toutes les âmes angéliques et l'Assemblée céleste se précipitèrent dehors pour le recevoir avec enthousiasme et amour. 'Abdu'l-Baha, l'un de ceux qui le portèrent du vapeur vers l'hôpital, demanda plus tard aux croyants d'essayer de retrouver sa tombe pour que les pèlerins puissent visiter sa dernière demeure et être inspiré par son exemple. (2)

D'autres disciples accompagnèrent Baha'u'llah à Constantinople. Parmi ceux-ci, se trouvait Aqa-Muhammad-Sadiq de Isfahan, qui embrassa la Foi à Bagdad, où il demeurait près de la maison de Baha'u'llah. Il avait une extraordinaire finesse spirituelle et reconnut la véracité de la Foi à l'instant même où il en entendit parler. (3) Un autre disciple fut Aqa-Muhammad-'Ali de Isfahan, un croyant dévoué qui accompagna Baha'u'llah encore plus loin, à Andrinople et à Acre. (4) Il y avait aussi Aqa-Muhammad-'Aliy-i-Sabbagh de Yazd, qui resta à peu près deux ans à Constantinople pour aider les croyants lorsqu'ils passaient par la ville. Puis, il alla à Andrinople et fut exilé à Acre avec Baha'u'llah. (5)

'Abdu'l-Ghaffar-i-Isfahani servit comme interprète pendant tout le voyage, étant la seule personne de tout le groupe à parler correctement le Turc. Il était l'un des compagnons de Baha'u'llah à Andrinople qui l'accompagna en exil à Acre. Mais lorsque le vapeur atteignit Haïfa, les autorités le désignèrent pour être l'un des quatre baha'is qui devaient être exilés à Chypre avec Mirza Yahya. 'Abdu'l-Ghaffar en fut tellement désemparé qu'il se jeta à l'eau préférant mourir plutôt que d'être séparé de Baha'u'llah. Les officiers responsables le sortirent de l'eau et en dépit de sa forte objection l'envoyèrent de force à Chypre. Il fut emprisonné à Famagouste, mais réussit à s'échapper et se précipita à Acre où à nouveau il savoura le soleil de la présence de Baha'u'llah. (6)

Aqa-Muhammad-Ibrahim-i-Amir était un autre croyant fervent qui accompagnât Baha'u'llah à Constantinople. C'était un survivant de la révolte de Nayriz, un homme brave et courageux qui resta au service de Baha'u'llah, jour et nuit, et fut à nouveau exilé à Andrinople et Acre. (7)

Aqa Mirza Mahmud de Kashan, avec Aqa Rida de Shiraz, marchèrent devant le howdah de Baha'u'llah, tout le long du chemin jusqu'au port de Samsun . Ils prirent en main la tâche de préparer et cuire la nourriture pour le groupe à chaque halte. Ces deux âmes étaient si attentionnées, que, malgré la fatigue et les rigueurs du voyage, elles étaient constamment occupées à servir les amis tous les soirs jusqu'à minuit avec un grand dévouement. Non seulement ils cuisinaient les repas et lavaient les plats, mais ils s'assuraient que chaque personne était confortable et avait pris assez de repos. Ils étaient les derniers à se retirer la nuit et les premiers à se lever le matin, rendant, avec une dévotion exemplaire, ce service vital chaque jour du voyage de Bagdad jusqu'à Constantinople.

'Abdu'l-Baha a dit que ces deux hommes étaient la personnification du détachement de ce monde et que Baha'u'llah déversait toujours ses bénédictions sur eux. Ils vivaient à Bagdad dans la plus grande pauvreté, dans une seule petite chambre, avec cinq autres croyants. Ce groupe de sept personnes avait l'habitude chaque jour de mettre leurs gains en commun pour pouvoir acheter leur repas du soir. 'Abdu'l-Baha a rappelé une occasion où seulement l'un d'entre eux avait gagné une peu d'argent et pour ce soir-là, ils ne purent acheter qu'une poignée de dattes. Pourtant, malgré leur pauvreté, Aqa Mirza Mahmud et Aqa Rida étaient contents et heureux. Leurs visages rayonnaient de joie éternelle et leur coeur était empli d'amour pour Baha'u'llah. Leur seul désir était son bon plaisir et leur seul but était de le servir.

Par la suite, ils furent exilés à Acre où ils continuèrent à servir leur Seigneur avec sincérité et amour. Après l'ascension de Baha'u'llah, ils servirent 'Abdu'l-Baha avec le même dévouement et la même loyauté et furent les compagnons fidèles sur lesquels il se reposait durant les heures sombres de son ministère. Il a loué leur humilité et leur modestie et a dit que pendant toutes leurs longues années de service, jamais ils ne prononcèrent un mot les concernant. (8)

Une autre âme qui était sincèrement éprise de Baha'u'llah était Darvish Sidq-'Ali. Il supplia Baha'u'llah de l'autoriser à se joindre au groupe voyageant vers Constantinople, et lorsque la permission lui fut accordée il se chargea de travailler comme palefrenier pendant le voyage. Il marchait toute la journée à côté du convoi, chantant des poèmes qui apportaient la joie aux amis, et le soir il s'occupait des chevaux. De Constantinople, il accompagna Baha'u'llah dans son exil à Andrinople et puis à Acre. À l'origine, c'était un derviche qui embrassa la Foi à Bagdad, et se détacha des choses de ce monde. À partir de ce moment, il passa son temps au service des croyants, et jusqu'à la fin de sa vie, il fut le bénéficiaire des bénédictions de Baha'u'llah. (9)

Mirza Ja'far-i-Yazdi, un religieux érudit [nota: Ne pas confondre avec Siyyid Ja'far-i-Yazdi], était encore une autre personne qui accomplit une tâche difficile durant ce voyage. Après avoir reconnu la véracité de la Foi, il alla à Bagdad, vint en présence de Baha'u'llah et fut rempli d'un nouvel esprit. Il abandonna sa situation, enleva ses vêtements cléricaux, se couvrit d'un chapeau de laïc et s'engagea comme charpentier. Malgré son grand savoir, il était humble et effacé, il servit pendant pas mal de temps dans la maison de Baha'u'llah à Bagdad. En chemin vers Constantinople, il servit les amis par tous les moyens possibles. Pendant qu'ils se reposaient ou dormaient à une halte, Mirza Ja'far et 'Abdu'l-Baha avaient l'habitude d'aller dans les villages avoisinants pour acheter de la paille et d'autres provisions pour les mules et les chevaux. Parfois cela prenait des heures car il y avait la famine dans la région et il était très difficile d'obtenir de la nourriture. Mirza Ja'far resta au service de Baha'u'llah à Andrinople et fut exilé avec lui dans la plus grande Prison à Acre.

Parlant de lui, 'Abdu'l-Baha a raconté l'histoire suivante:

"Pour lui, la prison était un jardin de roses, et sa cellule étroite un lieu large et parfumé. À l'époque où nous étions dans la prison, il tomba sérieusement malade et dut garder le lit. Il souffrit de multiples complications, jusqu'à ce que le médecin le laissa tomber et ne voulut plus lui rendre visite. Puis le malade rendit son dernier soupir. Mirza Aqa Jan courut vers Baha'u'llah, avec la nouvelle de sa mort. Non seulement le patient avait cessé de respirer, mais tous les muscles de son corps se relâchaient. Sa famille était assemblée autour de lui, se lamentant et versant des larmes amères. La Beauté bénie lui dit, "Va et chante la prière de Ya Shafi - Ô Toi le Guérisseur - et Mirza Ja'far reviendra à la vie. Très rapidement il se portera aussi bien que jamais." J'allai à son chevet. Son corps était froid tous les signes de la mort étaient présents. Doucement, il commença à remuer, rapidement il put bouger ses membres, et avant qu'une heure ne passe, il leva la tête, s'assit et commença à rire et à raconter des blagues.
Il vécut longtemps par après, occupé comme jamais à servir les amis. Rendre ce service était un point d'honneur pour lui ; pour tous il fut un serviteur. Il était toujours modeste et humble, se remémorant Dieu et au degré le plus élevé, plein d'espoir et de foi. (10)"

Quelques années plus tard un accident similaire arriva à Mirza Ja'far. Hadji Muhammad-Tahir-i-Malmiri était présent à cette occasion et a rapporté l'événement dans ses mémoires. Ce qui suit est une traduction de ses notes:

"Lorsque Baha'u'llah demeurait dans la maison de Mazra'ih, Mirza Ja'far, l'un des serviteurs de la maison, avait l'habitude chaque soir de laisser une carafe d'eau à l'extérieur de la chambre de la Beauté ancienne [nota: Baha'u'llah] située à l'étage supérieur de la demeure. Ceci au cas où il aurait besoin d'eau durant la nuit. Devant la demeure, il y avait un grand balcon (*) et la Beauté ancienne avait l'habitude d'y faire les cent pas. Une nuit, approximativement quatre heures après le coucher du soleil, Mirza Ja'far comme à l'accoutumée portait sa carafe d'eau en haut de l'escalier. Cette nuit-là était très sombre et par une erreur d'appréciation, il tomba avec la carafe du bord du toit dans le jardin en-dessous. Cette partie du jardin n'était pas utilisée et d'habitude personne ne s'y rendait.
Tôt chaque matin, Mirza Ja'far trayait d'abord les vaches et puis s'occupait d'autres tâches ménagères. Mais ce matin-là, il n'y eut pas signe de lui et les amis le cherchèrent partout mais ne purent le trouver. Finalement, ils durent traire les vaches, apporter le lait à la maison et s'occuper des autres tâches de Mirza Ja'far. Ce jour-là, vers trois heures après le lever du soleil, la Beauté bénie alla marcher sur le balcon. Il se rendit directement à l'endroit même d'où Mirza Ja'far était tombé et l'appela par son nom. Mirza Ja'far se leva immédiatement, ramassa la carafe vide et sortit du jardin en parfaite santé. Chaque fois que les amis demandaient à Mirza Ja'far de raconter son accident, il disait, "J'ai perdu conscience dès que je suis tombé du toit avec la carafe à la main. Ce n'est que lorsque la Beauté ancienne appela mon nom que j'ai repris conscience." (**) (11)"

(*) Nota: Les pièces qui furent plus tard ajoutées à la demeure ont changé les caractéristiques du bâtiment, tel qu'il était au temps de Baha'u'llah.
(**) Nota: Cet épisode et d'autres similaires, ne doivent pas être considérés comme des miracles, ni comme preuves de l'authenticité du message de Baha'u'llah. Il désapprouve que l'on lui attribue des miracles, car ceci dégraderait le rang de la Manifestation de Dieu.

Mis à part le notoire Siyyid Muhammad-i-Isfahani qui voyageait avec Baha'u'llah, et Mirza Yahya qui le rejoignit en chemin pendant ce voyage, les disciples de Baha'u'llah, comme toujours d'ailleurs, démontraient un amour, une dévotion et une humilité envers lui, qu'aucune plume ne pourra jamais décrire. Le privilège inestimable qui leur était conféré de l'accompagner à Constantinople les avait totalement comblé. La joie et le contentement les inspiraient tellement que les difficultés du voyage, que ce soit à pied ou à dos de mule, avaient très peu d'effet sur leur santé.

Les marques de respect et de vénération données à Baha'u'llah par les gens le long du chemin, continuèrent jusqu'à ce qu'il atteignit le port de Samsun. De là, il voyagea par mer jusqu'à Constantinople. Shoghi Effendi a raconté cela dans Dieu passe près de nous:

"À Samsun, l'inspecteur principal de toute la province comprise entre Bagdad et Constantinople ainsi que plusieurs pachas lui rendirent visite, lui témoignant le plus grand respect, et Baha'u'llah les reçut à déjeuner. Mais sept jours après son arrivée, il fut, ainsi que le prévoyait la Tablette du Saint-Nautonier, emmené à bord d'un bateau à vapeur turc et, trois jours plus tard, à midi, débarqué avec ses compagnons d'exil dans le port de Constantinople, le premier Rabi'u'l-Avval 1280 A.H. (16 août 1863).On le conduisit ainsi que sa famille, dans deux voitures spéciales qui l'attendaient sur le débarcadère, jusqu'à la demeure de Shamsi Big, le fonctionnaire chargé par le gouvernement de recevoir ses hôtes, qui habitait près de la mosquée de Khirqiy-i-Sharif. Plus tard, on les transféra dans la maison plus spacieuse de Visi Pasha, non loin de la mosquée de Sulnan-Muhammad.
On peut dire qu'avec l'arrivée de Baha'u'llah à Constantinople, capitale de l'Empire ottoman et siège du califat (saluée par les musulmans comme "le Dôme de l'islam", mais dénoncée par Baha'u'llah comme le lieu où était établi le "trône de la tyrannie"), le chapitre le plus sinistre et le plus désastreux, mais aussi le plus glorieux de l'histoire du premier siècle baha'i, venait de s'ouvrir. Une période pendant laquelle des privations inouïes et des épreuves sans précédent furent mêlées aux plus nobles triomphes spirituels, débutait maintenant. L'étoile du matin du ministère de Baha'u'llah était sur le point d'atteindre son zénith. Les années les plus importantes de l'âge héroïque de sa "dispensation" approchaient. Le processus catastrophique annoncé déjà depuis l'année soixante par son précurseur dans le Qayyumu'l-Asma' commençait à entrer en action.
Il y avait exactement deux décennies que la révélation babie avait vu le jour à Shiraz, dans la Perse la plus arriérée. En dépit de la cruelle captivité à laquelle avait été soumis son auteur, il avait réussi à proclamer ses stupéfiantes revendications devant une assemblée distinguée à Tabriz capitale de l'Adhirbayjan. Dans le hameau de Badasht, la dispensation annoncée par sa foi avait été mise au jour avec intrépidité par les champions de sa cause. Dans le désespoir et l'agonie du Siyah-Chal, à Téhéran, neuf ans plus tard, cette révélation avait été rapidement et mystérieusement amenée à fructifier tout à coup. Le processus d'une désagrégation rapide de la prospérité de cette foi, qui s'était dessiné petit à petit et accéléré d'une manière alarmante pendant les années de retraite de Baha'u'llah dans le Kurdistan, avait été arrêté et inversé de façon magistrale, après son retour de Sulaymaniyyih. Les fondations éthiques, morales et doctrinales d'une communauté naissante avaient été fermement établies par la suite, au cours de son séjour à Bagdad. Et finalement, dans le jardin de Ridvan, à la veille de son exil à Constantinople, le délai de dix années prescrit par une Providence impénétrable, avait pris fin avec la déclaration de sa mission et l'émergence évidente de ce qui devait devenir le noyau d'une fraternité pur toute la terre. (12)"


18. "CELUI QUE DIEU RENDRA MANIFESTE"

Jusqu'à l'apparition du Bab, jamais auparavant dans l'histoire, une Manifestation de Dieu n'en a annoncé une autre qui lui soit contemporaine. Le Bab était deux ans plus jeune (*) que Baha'u'llah, et ils vécurent à 500 miles l'un de l'autre, le Bab à Chiraz et Baha'u'llah à Téhéran.

(*) Nota: Le Bab, dont le nom était Siyyid 'Ali-Muhammad, est né le premier jour de Muharram 1235 A.H., et Baha'u'llah le deuxième jour du même mois en 1233 A.H. Ces dates sont en accord avec le calendrier lunaire en usage dans le monde islamique. Il y a une tradition qui attribue à l'Imam 'Ali, le successeur de Muhammad, ce dicton: "Je suis deux ans plus jeune que mon Seigneur". (Les dates comparatives dans le calendrier chrétien sont, pour le Bab, le 20 octobre 1819, et pour Baha'u'llah, le 12 novembre 1817)

Le Bab est une Manifestation de Dieu indépendante qui a inauguré la "Dispensation" babie, a abrogé les lois de l'islam, en a formulé de nouvelles et, comme d'autres prophètes, a fondé une religion indépendante qui se propagea très rapidement à travers la Perse et l'Irak. Son avènement clôtura, d'une part le cycle prophétique dans lequel de nombreuses Manifestations de Dieu sont apparues et ont donné leurs visions et leurs prophéties concernant le Jour de Dieu, et, d'autre part, ouvert le Cycle de l'accomplissement dont la Figure centrale est Baha'u'llah. Il a été proclamé par Baha'u'llah comme "le Roi des messagers", le "Point autour duquel gravitent les réalités des prophètes et messagers", et celui dont le "rang surpasse celui de tous les prophètes", dont "la révélation transcende la conception et la compréhension de tous leurs élus". (1)

Sa Mission était de préparer les hommes pour la venue de Baha'u'llah, la Manifestation suprême de Dieu, dont l'avènement a été promis dans toutes les Écritures sacrées du passé.

Le rang de Baha'u'llah est tellement exalté qu'il fut annoncé par le Bab, lui-même une Manifestation de Dieu, qui pava le chemin pour sa venue, établit une puissante alliance concernant sa révélation et forma une nouvelle race d'hommes digne de le rencontrer et d'embrasser sa Cause.

L'annonce de "Celui que Dieu rendra manifeste", que le Bab fit à ses disciples, était ferme et irrévocable, plus claire et plus emphatique que celle faite par n'importe quelle Manifestation de Dieu avant lui. Dans les révélations du passé, les signes de la venue de la prochaine Manifestation étaient toujours enveloppés de mystère et exprimés en termes métaphoriques. Mais le Bab ne donna pas de tels signes. Au contraire, il indiqua que "Celui que Dieu rendra manifeste" serait si visiblement apparent qu'il n'y aurait pas besoin de signes. Pourtant nul ne pourrait le reconnaître par sa propre connaissance, prévint-il, ni le juger par ses propres normes, ni évoquer des preuves pour établir son authenticité, car il sera exalté au-dessus de la reconnaissance de ses serviteurs et connu uniquement à travers lui-même et sa révélation. Le seul témoignage de sa vérité serait celui que lui-même révèlerait et non pas celui que les hommes pourraient produire. Dans l'un de ses Écrits louant Baha'u'llah, le Bab affirme que: "La Certitude elle-même est remplie de honte d'être appelée à témoigner de sa vérité… et l'Attestation elle-même est confuse de rendre témoignage de lui." (2)

À travers son ministère, le Bab insiste continuellement sur la prééminence de la Manifestation suprême de Dieu qui le suivrait. Dans l'une de ses prières communiant avec Baha'u'llah, il révéla ces paroles:

Exalté sois-tu, ô mon seigneur, l'omnipotent ! Comme ma parole et tout ce qui se rapporte à moi paraissent mesquins et méprisables tant qu'ils ne se rattachent pas à ta grande gloire. Consens que, par l'aide de ta grâce, tout ce qui me concerne puisse être acceptable à ton regard. (3)

Dans un autre passage, il écrit:

"De tous les hommages que j'ai rendus à celui qui doit venir après moi, en voici le plus grand: mon aveu écrit qu'aucune de mes paroles ne peut le décrire adéquatement, et qu'aucune référence à lui dans mon livre, le Bayan, ne peut rendre justice à sa Cause. (4)"

La mission du Bab, ses enseignements, lois et exhortations gravitent autour de "Celui que Dieu rendra manifeste". Dans le Bayan, le Livre-Mère de sa révélation, le Bab déclare que son but en révélant toutes et chacune de ses lettres était de permettre à ses disciples de reconnaître et d'obéir à "Celui que Dieu rendra manifeste". Dans un autre passage du même Livre, il inclut ces paroles:

"Le Bayan est, du commencement à la fin, le dépositaire de tous ses attributs et des trésors de sa flamme et de sa lumière. (5)"

Le Bayan, déclara-t-il, était dépendant de "Celui que Dieu rendra manifeste", qui, par un seul mot de sa bouche, pourrait accepter ou rejeter toutes les lois qui y sont ordonnées. Le Bab mentionne que le Bayan dérive sa gloire de "Celui que Dieu rendra manifeste", qui, en vérité, l'a révélé et qui seul pouvait pleinement comprendre la signification interne de tout ce qu'il contient. Dans un autre passage, le Bab confirme que seul "Celui que Dieu rendra manifeste", et ceux qu'il voudra instruire, seront capables de comprendre la signification de tous les livres saints des "Dispensations" du passé.

Le Bab affirma catégoriquement qu'il était un messager envoyé par "Celui que Dieu rendra manifeste", un modeste serviteur à son Seuil. Il mit en garde ses disciples que, à moins de reconnaître "Celui que Dieu rendra manifeste", ils seraient infidèles au Bayan et indignes à sa vue. Il explique dans le Bayan que ceux qui l'ont suivi et qui ont fidèlement obéi aux ordonnances de Dieu, telles que révélées dans ce Livre, étaient les vrais croyants en Dieu. Cependant, lorsque "Celui que Dieu rendra manifeste" viendrait, l'esprit de foi leur serait ôté à moins qu'ils ne le reconnaissent et embrassent sa Foi. Dans un autre passage, il donna l'exemple de quelqu'un de très versé dans le Bayan, qui en avait mémorisé tous les versets, avait une connaissance immense et possédait chaque vertu. Si un tel homme hésitait pour un seul instant à accepter la vérité de la Cause de "Celui que Dieu rendra manifeste", sa croyance dans le Bayan serait annihilée et sa foi en Dieu serait invalidée. S'adressant à Vahid, l'un des plus illustres de ses disciples, le Bab prononça cet avertissement:

"Par la droiture de celui dont le pouvoir fait germer la graine et qui insuffle en toutes choses l'esprit de vie, si je devais être assuré qu'au jour de sa manifestation tu le renierais, je te désavouerais sans hésitation et je répudierais ta foi… Si d'autre part, on me disait qu'un chrétien qui n'a pas juré fidélité à ma foi croira en lui, celui-là je le considérerais comme la prunelle de mes yeux. (6)"

Dans plusieurs de ses Écrits, le Bab exprime tristesse et chagrin à la pensée de ceux qui d'entre ses disciples pourraient rejeter le Promis du Bayan. Se référant à la révélation de "Celui que Dieu rendra manifeste", il proclame:

"…Si au jour de sa révélation, tous ceux qui sont sur terre lui prêtent serment, la joie entrera au plus profond de mon être puisque tous auront atteint le sommet de leur existence… Sinon, mon âme sera dans la tristesse. J'ai véritablement préparé toutes choses avec soin dans ce but. Comment alors, quelqu'un pourrait-il être aveugle devant lui ? (7)"

Le Bab, parce qu'il était une Manifestation de Dieu, avait la véritable connaissance du rang de Baha'u'llah, une connaissance qui est au delà de portée de toute l'humanité. Sa vision de l'omnipotence et de la grandeur de celui qui était destiné à le suivre était si grande qu'aucun esprit mortel ne pouvait espérer l'atteindre. C'est pour cette raison que les paroles du Bab en louange de Baha'u'llah bouleversent l'imagination de ceux qui ne sont pas, dans une certaine mesure, avertis de son rang exalté. La révélation de Baha'u'llah, telle que décrite par le Bab, est si glorieuse et si impressionnante qu'il n'autorise aucune excuse pour ceux qui la rejettent. Pour le Bab, l'avènement de Baha'u'llah était aussi clair et évident que le soleil et, par conséquent, il conseille à ses disciples de ne permettre à aucun doute de pénétrer leur esprit lorsqu'ils seront informés du message de "Celui que Dieu rendra manifeste". Si leurs coeurs devaient faiblir dans sa Cause, la colère de Dieu descendrait sur eux tant que de tels doutes subsisteraient.

De manière répétitive dans ses Écrits, le Bab demande à ses disciples de prendre garde à ce que rien dans ce monde, y compris le Bayan et tous les autres Saints Livres, ne devienne une barrière entre eux et "Celui que Dieu rendra manifeste". Voici quelques-unes de ses paroles:

"Ne laissez pas le Bayan et tout ce qu'il contient vous cacher cette Essence de l'être, ce Seigneur du visible et de l'invisible. (8)"

Et dans un autre passage, il révèle:

"Prenez garde, prenez garde, de crainte qu'aux jours de sa révélation, la Vahid du Bayan [nota Le Bab et les dix-huit Lettres du Vivant] ne vous sépare de lui comme par un voile, attendu que cette Vahid n'est qu'une créature à ses yeux. (9)"

Et à nouveau, il s'adresse à ses disciples:

"Ô assemblée des fidèles du Bayan et de tous ceux qui en font partie ! Acceptez les limites qui vous sont imposées, car un être tel que le Point du Bayan lui-même a cru en Celui que Dieu rendra manifeste, avant que toutes choses ne fussent créées. C'est véritablement de cela que je me glorifie, devant tous ceux qui sont dans le royaume des cieux et sur la terre. (10)"

De nombreuses fois, le Bab fait allusion à "l'an neuf" comme étant la date de la venue de "Celui que Dieu rendra manifeste". La mission du Bab commença en l'année 1260 A.H. (EC 1844) L'"an neuf" était 1269 A.H., qui s'ouvrit vers le milieu d'octobre 1852, lorsque Baha'u'llah avait déjà été emprisonné pour deux mois dans le Siyah-Chal de Téhéran, scène de sa transcendante révélation.

Voici quelques paroles supplémentaires glanées du Bayan arabe et autres Épîtres que le Bab écrivit à ses disciples:

"Dans l'an neuf, vous atteindrez au bien suprême.
Dans l'an neuf, vous serez en présence de Dieu (*).
Après Hin (**), une cause vous sera révélée que vous serez amenés à connaître.
Ce n'est qu'après l'expiration de neuf années après la naissance de cette cause que les réalités des choses créées seront rendues manifeste. Tout ce que tu as vu jusqu'ici n'est que la phase qui commence avec le germe humidifié et continue jusqu'à ce que nous l'ayons revêtu de chair. Sois patient jusqu'à ce que tu contemples une nouvelle création. Dis: "Que Dieu, le créateur le plus parfait, en soit béni !".
Attends, jusqu'à l'expiration de neuf années après la révélation du Bayan. Puis proclame: Pour cela, béni soit Dieu, le créateur le plus parfait. !" (11)

(*) Nota: Le Bab explique dans ses Écrits que "être en présence de Dieu", tel que promis dans les Livres saints, ne serait tien d'autre qu'être en présence de "Celui que Dieu rendra manifeste".
(**) Nota: Numériquement, Hin égale 68, qui signifie l'année 1268. "Après Hin" indique le commencement de l'année 1269. Cette prophétie concernant Baha'u'llah provient de Shaykh Ahmad-i-Ahsa'i.

Par ailleurs, le Bab parle aussi de l'année dix-neuf, une année coïncidant avec la déclaration de Baha'u'llah à Bagdad, qui eut lieu à la fin de dix-neuf années lunaires depuis le début de l'Ère baha'ie. Voici ce que le Bab écrit:

"Le Seigneur du Jour du Jugement sera manifesté à la fin de Vahid [nota: Dix-neuf] et au commencement de quatre-vingts [nota: 1280 A.H. (1863 EC)]. (12)"

Concernant la date de la venue de "Celui que Dieu rendra manifeste", le Bab, dans le Bayan persan, demande à ses disciples d'être attentif à partir du début de sa propre Foi, jusqu'au nombre Vahid, et de prêter l'oreille au nouveau messager quand il apparaîtra. Bien que le Bab se référât fréquemment aux années neuf et dix-neuf, il déclarait néanmoins clairement que le temps de la venue de "Celui que Dieu rendra manifeste" était entièrement entre ses propres mains. Quand il choisira de se manifester, tous devront se tourner vers lui et obéir à ses commandements. Depuis la forteresse de Mah-Kù, le Bab fit cette déclaration importante:

"S'il devait apparaître en cet instant même, je serais le premier à l'adorer et à me prosterner devant lui. (13)"

Le Bab décrivit en termes élogieux la grandeur de la révélation de Baha'u'llah. Il déclara que rien dans le monde de la création ne pouvait lui donner autant de plaisir que d'entendre et comprendre les paroles de "Celui que Dieu rendra manifeste", et fit remarquer que "Mille lectures attentives du Bayan ne peuvent égaler la lecture attentive d'un seul verset qui sera révélé par "Celui que Dieu rendra manifeste". (14) Dans l'un des chapitres du Bayan le Bab proclame que le témoignage le plus évident de l'authenticité de "Celui que Dieu rendra manifeste" serait la révélation de ses paroles. Pour que ses disciples puissent être avertis du caractère exalté de la nouvelle révélation, et afin de les préparer à la venue de "Celui que Dieu rendra manifeste", le Bab ordonna qu'une fois tous les dix-neuf jours ses disciples devraient lire ce chapitre spécifique et le méditer.

Se référant à ceux qui pourraient se lever et se présenter comme étant le Promis du Bayan, le Bab affirma avec assurance que si quelqu'un prétendait fallacieusement à ce rang, il serait incapable de le soutenir, car il serait dans l'impossibilité de révéler la parole de Dieu qui est la plus grande preuve de "Celui que Dieu rendra manifeste". Néanmoins, pour honorer le rang de "Celui que Dieu rendra manifeste", il ordonna que si une personne devait prétendre à ce rang, il devrait être laissé à lui-même: nul ne devait s'opposer à lui ni faire objection à sa parole.

Très désireux de protéger Baha'u'llah, le Bab interdit à ses disciples de s'engager dans des discussions enflammées et des controverses, comme cela est pratiqué parmi les prêtres de l'islam, ce qui ne résulterait qu'en dispute et discorde entre eux. Il les exhorta à être chaste dans leurs écrits et courtois dans leur langage, particulièrement durant les discussions, lorsqu'ils exprimaient leur point de vue ou fournissaient des preuves. Son but dans ces exhortations était d'assurer que les paroles ou les actes de ses disciples, ne pourraient jamais faire offense à la personne de "Celui que Dieu rendra manifeste". De plus, comme gage de respect envers la Manifestation suprême de Dieu, qui sera exaltée au-dessus de toutes questions que ses créatures pourraient lui poser, il mit en garde ses disciples de ne pas lui poser de questions excepté celles qui étaient dignes de sa condition. Mais dans le Kitab-i-Aqdas, Baha'u'llah annula cette prohibition et autorisa les croyants à lui poser librement des questions.

Lire les Écrits du Bab, particulièrement le Bayan, est se rendre compte qu'il a préparé pour ses disciples, par tous les moyens possibles, le chemin de "Celui que Dieu rendra manifeste".

Non seulement il leur a donné une véritable compréhension de son rang et leur a révélé les préalables spirituels requis de moralité pour recevoir sa révélation, mais il les a aussi instruits sur leur conduite. Ils devaient, leur conseilla-t-il, non seulement purifier leur être intérieur de l'attachement à ce monde, mais, de plus, ils devaient faire attention à leur apparence et à leurs vêtements afin de ne pas l'offenser.

Dans différents passages du Bayan et dans d'autres Écrits, le Bab mentionne le nom de Baha'u'llah et fait allusion à lui comme étant "Celui que Dieu rendra manifeste". Toutes ces références indiquent clairement que Baha'u'llah est le promis du Bayan et l'objet de l'adoration du Bab. Un exemple frappant se trouve dans le Bayan persan où, faisant référence à "Celui que Dieu rendra manifeste", le Bab anticipe l'établissement d'un nouvel Ordre par Baha'u'llah. Voici ses paroles:

"Bienheureux celui qui fixe son regard constant sur l'ordre de Baha'u'llah et rend grâce à son Seigneur ! Car il sera, assurément, rendu manifeste. Dieu en effet l'a décrété irrévocablement dans le Bayan. (15)"

Les hommages que le Bab rendit dans ses Écrits à l'inconcevable grandeur de la révélation de "Celui que Dieu rendra manifeste" furent abondants et nombreuses furent les expressions de sa loyauté et de son effacement envers son Auteur. L'ayant reconnu comme étant la Source de son inspiration, le Révélateur de sa révélation, et l'Objet de son adoration, le Bab désirait ardemment donner sa vie en sacrifice dans le chemin de "Celui que Dieu rendra manifeste". Dans le Qayyumu'l-Asma [nota: Le premier chapitre de ce livre a été révélé par le Bab la nuit de la déclaration de son message à Mulla Husayn, le 22 mai 1844], décrit par Baha'u'llah comme "le premier et le plus grand et le plus puissant" (16) des livres révélés par le Bab, nous trouvons les références suivantes à Baha'u'llah - "Celui que Dieu rendra manifeste":

"Du néant absolu, ô Maître grand et omnipotent, tu m'as retiré par la puissance céleste de ton pouvoir, et tu m'as élevé afin que je proclame cette révélation. En toi seul j'ai placé ma confiance. Je ne me suis attaché à aucune volonté autre que la tienne… Ô toi image de Dieu ! je me suis entièrement sacrifié pour toi et je n'ai ardemment désiré rien d'autre que le martyre dans la voie de ton amour. Il me suffit que Dieu soit mon témoin, l'Exalté, le Protecteur, l'Ancien des jours…
Et quand l'heure fixée aura sonné, veuille, avec la permission de Dieu, l'infiniment Sage, révéler, des sommets de la très éminente et la très mystique montagne, un reflet ténu, un reflet infinitésimal de ton mystère impénétrable, afin que ceux qui ont reconnu l'éclat radieux de la splendeur sinaïque puissent défaillir et mourir en apercevant un éclair de la lumière ardente et pourpre qui enveloppe ta révélation. (17)"

Le Bab décrit dans ses Écrits la personne de "Celui que Dieu rendra manifeste" comme étant majestueuse, inspirant la crainte, incomparable et infiniment glorieuse. Leur étude permet à chacun d'acquérir une meilleure maîtrise des vérités de la Foi de Baha'u'llah, bien que faisant découvrir l'incapacité de l'homme à pouvoir totalement apprécier la signification de sa révélation, comprendre la puissance de ses paroles, ou reconnaître la grandeur de son rang.

C'est peut-être dû à cette incapacité qu'il y eut, à un moment du ministère de Baha'u'llah, deux écoles de pensées principales concernant son rang parmi les croyants. Certains croyaient qu'il était la Manifestation suprême de Dieu, tandis que d'autres allaient encore plus loin. Lorsque l'on demanda à Baha'u'llah des renseignements sur son rang, il confirma que tant que les individus étaient sincères dans leur croyance, les deux opinions étaient correctes, mais s'ils se disputaient entre eux ou essayaient de se convertir les uns les autres, les deux avaient tort. Ceci indique que l'homme, à cause de son esprit fini ne pourra jamais comprendre la condition véritable de la Manifestation de Dieu. Ces critères sont la sincérité et la foi. Connaissant les limitations de l'homme, Dieu accepte de lui ce qu'il est capable d'accomplir.

En dépit de cette divergence de pensées parmi les premiers disciples de Baha'u'llah concernant son rang, attribuable uniquement à leur diverse capacité à comprendre un concept si exalté, il est d'une importance extrême que ne soit jamais dévoyé le but principal de sa révélation qui est d'apporter l'unité à l'humanité. Depuis ses premiers jours la communauté baha'ie a été protégée des disputes et de la discorde et a continué à travers son histoire mouvementée à démontrer la cohésion et l'influence unificatrice qui la motivent. Ceux qui reconnaissent Baha'u'llah et embrassent sa Foi sont protégés par une unité qui est de nature spirituelle, qui surpasse toutes les limitations humaines et qui dérive du pouvoir de l'alliance de Dieu pour l'humanité en cet âge.

Dans les Écrits des Figures centrales de la Foi baha'ie, il y a de nombreuses références à la nature exaltée de la révélation de Baha'u'llah. Shoghi Effendi, le Gardien de la Foi, a aussi élucidé ce thème. Effectivement, on peut dire que ses contributions principales à la consolidation de la Foi ont été ses explications claires, concernant la signification de la révélation de Baha'u'llah. Dans son oeuvre grandiose, la Dispensation de Baha'u'llah, il place dans une juste perspective chaque aspect de la révélation: ses Fondateurs, ses institutions, ses principes directeurs, ses objectifs et ses buts, et sa destinée finale. Avant son explication et ses conseils, les baha'is ne disposaient d'aucun schéma cohérent pour l'étude correcte et systématique de leur Foi. Ce fut Shoghi Effendi qui adapta la prodigieuse révélation de Baha'u'llah aux capacités limitées de l'homme en cette époque, aida à canaliser les débordements de son énergie spirituelle, et permit aux croyants de mettre au point leur vision de la Foi, et d'en comprendre les rouages. Ce qui suit est un extrait de l'une des explications magistrales de Shoghi Effendi concernant la révélation de Baha'u'llah et de son rang:

Celui [nota: Baha'u'llah] qui, dans des circonstances aussi dramatiques, fut amené à soutenir le poids écrasant d'une aussi glorieuse mission n'était autre que celui que la postérité acclamera, et que d'innombrables partisans reconnaissent déjà, comme le juge, le législateur et le rédempteur de toute l'humanité, comme l'organisateur de la planète tout entière, l'unificateur des enfants des hommes, l'inaugurateur du millénaire tant attendu, le promoteur d'un nouveau "cycle universel", le fondateur de la très grande paix, la source de la très-haute justice, l'annonciateur de l'âge adulte de toute l'espèce humaine, le créateur d'un nouvel ordre mondial, l'inspirateur et le fondateur d'une civilisation mondiale.

Pour Israël, il n'était ni plus ni moins que la personnification du "Père éternel", du "Seigneur des armées" descendu "avec dix mille saints", pour la chrétienté le Christ, revenant "dans la gloire du Père", pour l'islam chiite le retour de l'imam Husayn, pour l'islam sunnite la descente de "l'esprit de Dieu" (Jésus-Christ), pour les zoroastriens, le Shah Bahram promis, pour les hindous la réincarnation de Krishna, et pour les bouddhistes le cinquième Bouddha.

Le nom qu'il portait alliait celui de l'Imam Husayn, le plus illustre des successeurs de l'Apôtre de Dieu - la plus brillante "étoile" scintillant sur la "couronne" dont parle la révélation de Saint Jean - à celui de l'Imam 'Ali, le Commandeur des croyants, second des deux "témoins" exaltés dans ce même livre. Il fut officiellement désigné par le nom de Baha'u'llah appellation spécifiquement mentionnée dans le Bayan persan, qui signifie à la fois la Gloire, la Lumière et la Splendeur de Dieu, et reçut les titres de "Seigneur des seigneurs", "très grand Nom", "ancienne Beauté", Plume du Très-Haut", "Nom caché", "Trésor préservé", "Celui que Dieu manifestera", "Lumière sublime", "Horizon le plus élevé", "très grand Océan", "Ciel suprême", "Racine pré-existante", "Celui qui subsiste par lui-même", "Etoile diurne de l'univers", "grande Annonce", "celui qui parla sur le Sinaï", "Examinateur des hommes", "Opprimé du monde", "Désir des nations", "Seigneur du covenant", "Arbre au-delà duquel on ne passe pas". Il descendait, d'une part, d'Abraham (le Père des croyants) par sa femme Katurah et, d'autre part, de Zoroastre ainsi que de Yazdiggird, le dernier roi de la dynastie des Sassanides. De plus, il descendait de Jessé et, par son père Mirza 'Abbas, plus connu sous le nom de Mirza Buzurg - gentilhomme faisant partie des cercles gouvernementaux de la cour du Fath-'Ali Shah -, il appartenait à l'une des familles les plus anciennes et les plus illustres de Mazindaran.

Isaïe, le plus grand des prophètes juifs fait allusion à lui en ces termes: la "Gloire du Seigneur", le "Père éternel", le "Prince de la paix", l'"Admirable", le "Conseiller", le "Rameau sorti du tronc de Jessé" et la "Branche issue de ses racines", qui "sera établi sur le trône de David", qui "viendra avec une main ferme", qui "jugera les nations", qui "frappera la terre par le glaive de sa parole" qui, "du souffle de ses lèvres, tuera le méchant", et qui "rassemblera les exilés d'Israël et réunira les dispersés de Juda des quatre extrémités de la terre". C'est lui que David chante dans les Psaumes, l'acclamant comme le "Seigneur des armées" et le "Roi de gloire" …

Jésus-Christ parle de lui comme du "prince de ce monde", du "consolateur" qui "convaincra le monde en ce qui concerne le péché, la justice et le jugement", de "l'Esprit de vérité" qui "vous conduira dans toute la vérité", qui "ne parlera pas de lui-même, mais qui dira tout ce qu'il aura entendu", comme du "Maître de la vigne" et du "Fils de l'homme" qui "viendra dans la gloire de son Père", "car les nuées du ciel avec grande puissance et grande gloire", avec "tous les saints anges" autour de lui et "toutes les nations" rassemblées devant son trône. L'auteur de l'Apocalypse le désigne comme "la Gloire de Dieu", "l'Alpha et l'Oméga", "le Commencement et la Fin", "le Premier et le Dernier". De plus, identifiant sa révélation avec "le troisième malheur", il célèbre sa loi comme "un nouveau ciel et une nouvelle terre", comme "le tabernacle de Dieu", "la cité sainte", "la nouvelle Jérusalem venant de Dieu et descendue du ciel, arrangée comme une épouse qui s'est parée pour son époux". Jésus-Christ mentionne son jour comme celui de "la régénération, lorsque le Fils de l'homme s'assoira sur le trône de sa gloire"…

C'est à lui que Muhammad, l'Apôtre de Dieu fait allusion dans son livre, l'appelant la "grande Nouvelle", et déclarant que son jour serait le jour où "Dieu descendra environné de nuages", le jour où "viendront ton Seigneur ainsi que les anges, rang après rang", où "l'esprit s'élèvera et où les anges seront alignés en ordre"…

Comme l'affirme Baha'u'llah lui-même, l'Apôtre de Dieu [nota: Muhammad] compara encore la plénitude de sa gloire à la "pleine lune dans sa quatorzième nuit". Suivant le même témoignage, l'Imam 'Ali, Commandeur des croyants, l'a placé au même rang que "Celui qui conversa avec Moïse à travers le buisson ardent, sur le Sinaï". L'Imam Husayn, toujours selon Baha'u'llah, a témoigné du caractère transcendant de sa mission, la qualifiant de "révélation dont le révélateur sera celui qui révéla" l'Apôtre de Dieu* lui-même…

Le Bab célèbre Baha'u'llah de façon non moins significative comme "l'Essence de l'existence", la "Pérennité de Dieu", le "Maître omnipotent", la "Lune pourpre qui baigne toutes choses", le "Seigneur du visible et de l'invisible", le "seul but de toutes les révélations antérieures y compris la révélation du Qa'im lui-même". Il le désigne formellement comme "Celui que Dieu rendra manifeste" ; il fait allusion à lui comme à l'"horizon Abha" où lui-même vit et demeure. Dans son oeuvre la plus connue, le Bayan persan, il mentionne son titre avec précision, fait l'éloge de son "ordre", dévoile son nom dans son allusion au "fils de 'Ali, chef authentique et incontestable des hommes". À plusieurs reprises, oralement et par écrit, il a fixé sans aucun doute possible l'époque de sa révélation, et averti ses disciples afin que le "Bayan et tout ce qu'il contient" ne les "séparent pas" de lui "comme par un voile". En outre, il déclare qu'il est le "premier serviteur à croire en lui", qu'il lui a juré fidélité "avant la création de toutes choses", qu'"aucune de ses allusions ne pourrait l'évoquer", que "le germe vieux d'un an, qui contient en lui les vertus cachées de la révélation divine à venir, est doué d'une puissance supérieure à toutes les forces réunies du Bayan tout entier". Il a, de plus, clairement affirmé qu'il avait "conclu une alliance avec toutes les choses créées" concernant Celui que Dieu rendra manifeste, avant que ne soit établi le covenant concernant sa propre mission. Il reconnaît volontiers qu'il n'est qu'"une lettre" de ce "très puissant livre", "une goutte de rosée" de "cet océan sans limites", que sa révélation n'est "qu'une feuille parmi les feuilles de son paradis", que "tout ce qui a été célébré dans le Bayan" n'est "qu'une bague" à son propre doigt, comme lui-même "n'est qu'une bague au doigt de Celui que Dieu rendra manifeste", bague qu'il "tourne comme il lui plait, pour ce qu'il lui plait, et de la manière qui lui plait". Il déclare nettement qu'il s'est "sacrifié totalement" pour lui, qu'il a "consenti à être maudit" pour l'amour de lui, et qu'il n'a "aspiré qu'au martyre" sur le chemin de son amour. Enfin, il prophétise sans aucune équivoque: "Aujourd'hui, le Bayan est au stade de la graine. Au commencement de la manifestation de Celui que Dieu rendra manifeste, sa perfection ultime deviendra apparente." "Avant un délai de neuf ans, depuis la naissance de cette cause, les réalités des choses créées ne se manifesteront pas. Tout ce que tu as vu jusqu'à présent n'est que la phase de germination, avant que le germe ne soit revêtu de chair. Sois patient jusqu'à ce que tu contemples une nouvelle création. Dis: Que Dieu, le plus Excellent des créateurs, soit donc béni !"

"Il est venu celui autour duquel gravite le Point du Bayan" (le Bab) témoigne Baha'u'llah, confirmant l'inconcevable grandeur et le caractère de prééminence de sa propre révélation. "Si tous ceux qui sont dans les cieux et sur la terre", affirme-t-il encore, "étaient en ce jour investis des pouvoirs et des attributs destinés aux lettres du Bayan dont le rang est dix mille fois plus glorieux que celui des lettres de la dispensation coranique, et si tout un chacun hésitait, fut-ce le temps d'un clin d'oeil, à reconnaître ma révélation, ils seraient rangés, au regard de Dieu, parmi ceux qui se sont égarés et considérés comme des "lettres de négation". "Il est puissant le Roi du divin pouvoir", affirme-t-il dans le Kitab-i-Iqan en faisant allusion à lui-même, "et d'une seule lettre de ses paroles merveilleuses, il est capable d'éteindre le souffle de vie qui anime le Bayan tout entier et son peuple, et par une seule lettre, il peut leur conférer une vie nouvelle et sans fin, les incite à se lever et à se hâter de sortir des sépulcres de leurs désirs égoïstes et vains." "Ce jour est le roi des jours", déclare-t-il de plus, le "jour de Dieu lui-même", le "jour qui ne sera jamais suivi par la nuit", le "printemps que l'automne ne rejoindra jamais", la "vision des âges et des siècles passés." À ce jour, "aspira l'âme de tous les prophètes de Dieu et celle de tous les messagers divins" ; après lui "toutes les races de la terre ont soupiré", et par lui "Dieu a éprouvé le coeur de tous ses messagers, de tous ses prophètes, et aussi de tous ceux qui montent la garde devant son sanctuaire inviolable et sacré, les hôtes du céleste pavillon et les habitants du tabernacle de gloire." "Dans cette révélation des plus puissantes", affirme-t-il encore, "toutes les dispensations du passé ont atteint leur suprême et finale consommation." Et il ajoute: "Aucune des Manifestation d'antan n'a jamais, sauf dans une mesure déterminée, complètement saisi la nature de cette révélation." Parlant de son propre rang, il déclare: "Sans lui, aucun des messagers divins n'aurait revêtu la robe de prophète et aucune des Écritures sacrées n'aurait été révélée."

Le dernier tribut, mais non le moindre, est celui que rend 'Abdu'l-Baha au caractère transcendant de la révélation personnifiée par son père: "Des siècles, que dis-je des âges doivent s'écouler avant que l'Etoile du jour de la vérité ne brille de nouveau dans sa splendeur de plein été, ou qu'elle n'apparaisse une fois de plus dans le rayonnement de sa gloire printanière". "La seule contemplation de la dispensation inaugurée par la beauté Bénie", affirme-t-il encore, "aurait suffi à combler de joie les saints des âges passés, eux qui désiraient ardemment partager un instant sa grande gloire." (18)

Les Écrits baha'is contiennent plusieurs références à Baha'u'llah comme la Manifestation universelle de Dieu, qui a inauguré un nouveau cycle universel dans l'histoire humaine. 'Abdu'l-Baha explique cela en réponse à une question:

"Bref, nous disons qu'un cycle général du monde signifie une longue durée de temps, des périodes et des époques innombrables et incalculables. Dans un pareil cycle, les manifestations apparaissent dans les plaines de la visibilité, jusqu'à ce qu'une manifestation universelle fasse du monde le centre de son éclat ; son apparition conduit le monde à la maturité qui s'étend sur une période considérable. Par la suite, d'autres manifestations se produisent sous son ombre, qui, selon les besoins du temps, renouvellent certains commandements relatifs aux questions matérielles et aux affaires, tout en restant sous son ombre. (19)"

Non seulement Baha'u'llah est l'auteur de la "dispensation" baha'ie dont la durée, d'après son propre témoignage, sera d'au moins mille ans, mais il est aussi l'initiateur d'un cycle universel auquel on se réfère en tant que cycle baha'i. 'Abdu'l-Baha mentionne que la durée de ce cycle sera d'au moins cinq mille siècles. Durant cette période apparaîtront plusieurs Manifestations de Dieu, qui, bien qu'établissant des religions indépendantes, dériveront leur inspiration de Baha'u'llah. Dans une épître 'Abdu'l-Baha a fait la déclaration suivante:

En ce qui concerne les manifestations qui, dans le futur, descendront "à l'ombre des nuages", sachez, en vérité, qu'en ce qui concerne leur relation avec la Source de leur inspiration, elles sont à l'ombre de la Beauté ancienne [nota: Baha'u'llah]. Cependant, par rapport à l'époque où elles apparaissent, chacune d'elles "fait ce qu'elle veut". (20)

À la lumière des déclarations ci-dessus, il apparaît clairement que Baha'u'llah, à travers sa propre révélation, est la source de la vie spirituelle pour l'humanité pendant la "dispensation" baha'ie. Il restera aussi la force motivante dans les futures révélations et libèrera progressivement, par l'avènement d'autres Manifestations de Dieu, des énergies spirituelles pour l'amélioration de l'espèce humaine tout au long du Cycle baha'i. C'est un principe essentiel de la croyance baha'ie, que la réalité des Manifestations de Dieu est une et la même et qu'elles diffèrent seulement par l'intensité de leurs révélations, chacune manifestant les attributs de Dieu en accord avec la capacité et la réceptivité du peuple de son époque. À première vue, cette croyance peut ne pas sembler concorder avec la déclaration que les Manifestations futures seront sous l'ombre de Baha'u'llah, tandis qu'elles apportent de nouvelles lois et enseignements pour l'humanité, chacune inaugurant une ère nouvelle à l'intérieur du cycle baha'i. Mais considérons la chose plus profondément.

La venue d'une Manifestation de Dieu peut être comparée à l'apparition du printemps dans le royaume physique. Tout comme le monde de la nature reçoit une nouvelle vie à chaque printemps, de même l'humanité est rafraîchie et revivifiée par l'avènement de chaque Manifestation de Dieu. Nous observons dans la nature, que, comme résultat de la succession des saisons, année après année, un arbre grandit progressivement jusqu'à ce qu'il atteigne une étape où il porte des fruits pour la première fois. Ceci est un événement d'une grande conséquence, car l'arbre a atteint sa maturité et, pendant toute sa vie, il continuera à produire les mêmes fruits chaque année.

De même l'homme a grandi progressivement et pas à pas en résultat de l'apparition de la Manifestation de Dieu. La révélation de Baha'u'llah se produit dans une ère où l'humanité est destinée à devenir adulte, une étape similaire à celle où l'arbre bourgeonne et donne ses premiers fruits. Par conséquent, tout ce que l'humanité pourra accomplir en résultat des débordements de la révélation de Baha'u'llah, quel que soit le fruit que l'arbre de l'humanité donnera pendant l'âge d'or de sa "dispensation", fournira les fondements pour le progrès dans les dispensations futures. L'étude des Écrits démontre que l'objectif final de Baha'u'llah, dans la mesure où la vie sur cette planète est concernée, est l'établissement de l'unité du genre humain. Ceci sera le fruit de sa révélation par rapport aux structures de la société humaine, le but le plus éloigné que l'humanité puisse atteindre sur cette terre.

Dans les "dispensations" à venir, l'homme suite à l'apparition des futures Manifestations de Dieu, continuera à se développer et à progresser. Il acquerra de nobles qualités et grandira spirituellement à un tel point que personne aujourd'hui ne peut visualiser les hauteurs qu'il pourra atteindre ; pourtant il fonctionnera à l'intérieur du cadre de l'unité du genre humain établi par Baha'u'llah, et les Manifestations de Dieu qui apparaîtront d'âge en âge durant le Cycle baha'i resteront sous son ombre.

Baha'u'llah, s'adressant à sa propre génération, a affirmé la nature immuable de la fondation qu'il a posée pour le genre humain:

"Ô vous, enfants des hommes, le but fondamental qui anime la foi de Dieu et sa religion est de sauvegarder les intérêts de l'espèce humaine et d'en promouvoir l'unité…Tel est le chemin droit, la base fixe et immuable. Ce qui est édifié sur cette base, ni les changements et les hasards du monde ne pourront jamais en diminuer la force, ni la révolution des siècles sans nombre en miner la structure. (21)"

Le passage lumineux suivant, rédigé par Shoghi Effendi concernant la révélation de Baha'u'llah et sa signification, et dans lequel il cite des paroles de Baha'u'llah, accentue le caractère prééminent de son auguste révélation:

"La foi de Baha'u'llah, si nous voulons être fidèles aux formidables implications de son message, devrait en effet être considérée comme le point culminant d'un cycle, comme le stade final d'une série de révélations successives, révélations préliminaires et progressives. Celles-ci, commençant avec Adam et se terminant avec le Bab, ont anticipé, avec une force toujours croissante, l'avènement de ce jour des jours où celui qui est le Promis de tous les âges serait rendu manifeste, et lui ont frayé la voie.
Les paroles de Baha'u'llah témoignent abondamment de cette vérité. La seule mention des revendications qu'en un langage véhément, et avec une puissance irrésistible, il avança lui-même à maintes reprises ne peut que démontrer pleinement le caractère de la révélation dont il était le porteur choisi. C'est sur ces paroles qui ont coulé de sa plume - la source jaillissante d'une révélation si impétueuse - que nous devrions par conséquent porter notre attention si nous désirons acquérir une compréhension plus claire de son importance et de sa signification. Que ce soit dans son affirmation de la revendication sans précédent qu'il a avancée ou dans ses allusions aux forces mystérieuses qu'il a libérées, dans certains passages de ses Écrits qui exaltent les gloires de son jour longtemps attendu ou qui magnifient le rang qu'atteindront ceux qui ont reconnu ses vertus latentes, Baha'u'llah et, à un degré presque égal, le Bab et 'Abdu'l-Baha ont légué à la postérité des mines de richesses tellement inestimables qu'aucun d'entre nous qui appartenons à cette génération ne peut les estimer à leur juste valeur. Les témoignages portant sur ce thème sont imprégnés d'un pouvoir et révèlent une beauté que ceux-là seuls qui sont versés dans les langues dans lesquelles ces textes ont été révélés à l'origine peuvent prétendre apprécier convenablement. Ces témoignages sont si nombreux qu'il faudrait écrire tout un volume afin de recueillir les plus éminents d'entre eux. Tout ce que je puis m'enhardir à tenter à présent, c'est de partager avec vous seulement certains extraits que j'ai pu glaner dans ces volumineux Écrits.
Je proclame devant Dieu, proclame Baha'u'llah, de la grandeur, de l'inconcevable grandeur de cette révélation. Maintes et maintes fois, dans la plupart de nos tablettes, nous avons témoigné de cette vérité: l'humanité peut être tirée de son insouciance. Dans cette révélation suprême, annonce-t-il sans équivoque, toutes les dispensations du passé ont atteint l'apogée de leur accomplissement ultime. Ce qui a été rendu manifeste dans cette révélation prééminente- cette révélation très exaltée - n'a pas d'équivalent dans les annales du passé, et les âges futurs n'en verront pas de pareille. Faisant référence à lui-même, il proclame de plus: C'est lui qui dans l'Ancien Testament, fut nommé Jéhovah, qui, dans les Évangiles, fut désigné comme l'Esprit de vérité, et qui, dans le Qur'an, fut acclamé comme la Grande nouvelle. Si ce n'était pour lui, aucun messager divin n'aurait été revêtu de la robe de prophète et aucune écriture sacrée n'aurait été révélée. Toutes choses créées en témoignent. La parole que prononce en ce jour le seul vrai Dieu, bien que cette parole puisse être la plus familière et la plus ordinaire, est investie d'une suprême et unique distinction. La grande masse de l'humanité est encore immature. Aurait-elle acquis une capacité suffisante que nous lui aurions accordé notre savoir en une mesure si grande que tous ceux qui demeurent sur la terre et au ciel se seraient trouvés, en vertu de la grâce qui coule de notre plume, entièrement indépendants de toutes connaissances hormis celle de Dieu, et auraient été établis fermement sur le trône de la tranquillité perpétuelle. J'affirme solennellement devant Dieu que, sur mon front immaculé, la plume de sainteté a inscrit en caractères de gloire éclatante ces mots ardents, ces mots saints au parfum de musc: "Voyez, vous qui demeurez ici-bas, et vous les habitants du ciel, soyez témoins qu'il est, en vérité, votre Bien-Aimé. Il est celui dont le monde de la création n'a pas vu le semblable ; celui dont la beauté fascinante a charmé l'oeil de Dieu, l'Ordonnateur, le Tout-Puissant, l'Incomparable !" (22)

Ces paroles de Baha'u'llah témoignent de la grandeur de sa cause, invoquent des sentiments de crainte et d'émerveillement dans les coeurs de ses disciples lorsqu'ils considèrent les potentialités énormes avec lesquelles sa révélation a investi l'espèce humaine. Elle est destinée à projeter sa lumière sur des siècles et des âges innombrables, s'étirant jusqu'à des temps très éloignés. Son Hérault, le Bab, le Point premier "autour duquel gravitent les réalités des prophètes et messagers" (23) sonna l'appel de la trompe de l'aube du Nouveau Jour et par son martyre répandit sur lui un lustre impérissable. Son Auteur, Baha'u'llah, "la Gloire de Dieu", manifesta une "lueur infinitésimale" de son "mystère impénétrable", (24) introduit dans le Jour de Dieu, amena à l'existence une nouvelle création, y insuffla une nouvelle vie, révélé les lois et les enseignements conçus pour faire avancer les intérêts et préserver l'unité de l'espèce humaine, et posa une base stable pour les nombreux milleniums à venir. Le Centre de son Alliance, 'Abdu'l-Baha, "l'incarnation de toutes les vertus baha'ies et la personnification de tout idéal baha'i", (25) le protégea des attaques des infidèles, projeta sa lumière à travers le monde occidental et détermina les caractéristiques de son Ordre administratif, le noyau et le schéma du future ordre mondial qui sera établi sur cette planète.

Les institutions croissantes de cet Ordre administratif, locales, nationales et internationale, sont construites sur les ruines du vieil ordre par les supporters fidèles de Baha'u'llah, avec la confiance totale que les énergies créatrices demeurant dans sa révélation transformeront, en fin de compte, grâce au pouvoir divin, une société humaine, aujourd'hui si désillusionnée et instable, en une communauté mondiale unie dans tous ses aspects, et destinée à atteindre, dans les siècles à venir, son âge d'or, le Royaume de Dieu sur terre tant attendu.

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