La révélation de Baha'u'llah
Volume 2
Andrinople 1863-68

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CHAPITRE 1: Baha’u’llah à Constantinople

On peut considérer la période de cinq ans que Baha’u’llah passa à Constantinople et à Andrinople comme l’une des plus prodigieuses et des plus riches en événements de son ministère. Durant cette courte période, le soleil de sa révélation monta au zénith et, dans la plénitude de sa splendeur, irradia de tout son éclat l’ensemble de l’humanité. Ce fut aussi une période des plus turbulente pendant laquelle il supporta avec beaucoup de résignation et d’endurance les souffrances, les trahisons et les calamités accumulées sur lui par son frère infidèle Mirza Yahya, qui brisa l’Alliance du Bab et se rebella contre Celui que le monde avait opprimé.

L’arrivée de Baha’u’llah à Constantinople, capitale de l’empire ottoman, le 16 août 1863, marque un jalon significatif dans le dévoilement de sa Mission. Ce fut au cours du séjour de Baha’u’llah dans la capitale, que l’attitude de conciliation des autorités se mua en hostilité, conséquence directe des intrigues et des préjugés de Haji Mirza Husayn Khan, le Mushiru’d-Dawlih, l’Ambassadeur de Perse. Ce fut aussi pendant cette même période riche en événements, que fut entamée la phase initiale de la proclamation du Message de Baha’u’llah aux rois et aux dirigeants du monde, par le biais de la révélation d’une épître adressée au sultan ‘Abdu’l-’Aziz et à ses ministres, épître qui les réprimandait sévèrement pour leurs actions contre la nouvelle Foi de Dieu et son Chef.

Très peu de personnes parmi ses bien-aimés ne virent probablement à cette époque dans ce bannissement, qu’une étape supplémentaire dans son exil vers la Terre sainte où, d’après la prophétie, le Seigneur des armées, le Père éternel, devait manifester sa gloire à l’humanité. Quelque trois mille ans auparavant, Michée, le prophète d’Israël, avait prédit l’apparition du Seigneur en ces termes:

«En ce jour aussi il viendra vers toi d’Assyrie, et des villes fortifiées, et de la forteresse jusqu’au fleuve, et d’une mer à l’autre, et d’une montagne à l’autre.» (n1) (r1)

Combien l’accomplissement de cette prophétie s’avéra de manière frappante ! Baha’u’llah venait d’Assyrie. Constantinople et Acre sont toutes deux des villes fortifiées et la dernière était même une forteresse. Il voyagea sur la Mer Noire et la Méditerranée et son périple alla des montagnes du Kurdistan au Mont Carmel.

Amos, un autre prophète d’Israël, fait allusion à Baha’u’llah à Constantinople lorsqu’il affirme:

«Car voici: Celui qui façonne les montagnes, qui crée le vent, qui révèle à l'homme quel est son dessein, qui, des ténèbres, produit l'aurore, qui marche sur les hauteurs de la terre, il se nomme le Seigneur, le Dieu des puissances.» (r2)

Dans l’une de ses épîtres révélées à Acre, Baha’u’llah déclare que cette prophétie s’applique à lui, qu’elle concerne l’année quatre-vingt (1280 À.H. - 1863 À.D.) et que les «lieux élevés de la terre» désignent Constantinople et la Terre sainte (le Mont Carmel). De plus, en faisant allusion à Mirza Yahya, dont le titre était Subh-i-Azal (Matin d’éternité), il affirme que par son pouvoir, le faux matin fut complètement obscurci. (r3)

Baha’u’llah arriva à Constantinople dans l’éclat de sa majesté et fut reçu par les autorités avec grand honneur alors qu’il débarquait du bateau. Il fut conduit avec tous les membres de sa famille, à la résidence de Shamsi Big, un fonctionnaire qui était présent au port et nommé par le gouvernement pour accueillir ses invités. On logea ses compagnons ailleurs dans la ville.


La maison de Shamsi Big, une habitation à deux étages sise dans le voisinage de la mosquée Khirqiy-i-Sharif, s’avéra être une résidence trop petite pour Baha’u’llah. Bientôt, il fut déplacé dans la Maison de Visi Pasha, un immeuble de trois étages plus spacieux que le premier et situé non loin de la mosquée du sultan Muhammad. Aucune de ces demeures n’existe de nos jours sous sa forme d’origine.

La maison de Visi Pasha, comme la plupart des maisons à cette époque, consistait en un appartement intérieur et un autre, extérieur. Chacun avait trois étages. Baha’u’llah résidait dans la section intérieure au rez-de-chaussée. Sa famille occupait le reste. Dans l’appartement extérieur, ‘Abdu’l-Baha résidait au rez-de-chaussée, les croyants au premier étage, tandis que le deuxième étage fut transformé en réserve et cuisine.

Shamsi Big, au nom du gouvernement, avait l’habitude de lui rendre visite chaque matin et de se charger de toutes les questions concernant les besoins et le bien-être de Baha’u’llah et de ses compagnons. Dans la cour, une tente était dressée pour deux serviteurs chrétiens que le gouvernement avait envoyés pour s’occuper des achats et diverses autres fonctions.

Plusieurs personnalités éminentes, y compris des ministres d’état, rendaient visite à Baha’u’llah et lui présentaient leurs hommages. Parmi eux, il y avait Kamal Pasha, un ancien Sadr-i-A‘zam (Premier ministre), qui, en ce temps-là, était l’un des ministres du sultan. Il connaissait bien plusieurs langues et tirait orgueil de cette performance. Baha’u’llah relate une de ses conversations avec lui en ces termes:

«Un jour à Constantinople, Kamal Pasha rendit visite à cet opprimé. Notre conversation porta sur les sujets bénéfiques à l’homme. Il dit qu’il avait appris plusieurs langues. A cela, nous observâmes: «Vous avez perdu votre temps. Il vous appartient, à vous et aux autres membres du gouvernement, de vous réunir pour choisir l’un des langages et l’une des écritures existantes, ou bien de créer une langue et une écriture nouvelles, à enseigner aux enfants des écoles du monde entier. Ainsi ils n’apprendraient que deux langues: leur langue maternelle et la langue dans laquelle s’entretiendraient tous les peuples du monde. Si l’on s’en tient à ce qui vient d’être mentionné, la terre entière sera considérée comme un seul pays, et ses habitants libérés de la nécessité d’apprendre et d’enseigner des langues différentes.» Devant nous, il acquiesça et manifesta même une grande joie et une entière satisfaction. Nous lui demandâmes alors de soumettre la question aux fonctionnaires et ministres du gouvernement, afin que ce projet puisse être mis en oeuvre dans les différentes provinces. Toutefois, bien qu’il revînt souvent nous voir par la suite, il ne fit jamais plus référence à ce sujet ; pourtant notre suggestion aurait contribué à la concorde et à l’unité des peuples du monde.» (r4)

Nombre des fonctionnaires de haut rang, qui rendirent visite à Baha’u’llah, s’attendaient à ce qu’il sollicite leur aide afin d’assurer le soutien du gouvernement pour lui-même et sa Cause. Mais bientôt, ils découvrirent qu’il était bien loin des pratiques opportunistes courantes parmi les hommes. Ses valeurs étaient au-dessus de la condition humaine, fondée sur le compromis et souvent sur la tromperie et les hauts faits égoïstes. Les autorités prirent conscience de ses pouvoirs spirituels issus de Dieu et furent profondément impressionnées par sa droiture et sa dignité. Certains de ces hommes avaient pressé Baha’u’llah d’envoyer un appel à la Sublime Porte pour une enquête juste et exhaustive de son cas, afin que soient dissipés tous malentendus dans l’esprit du sultan et de ses ministres.

On rapporte que Baha’u’llah donna cette réponse:

«Si les dirigeants éclairés [de votre nation] sont sages et diligents, ils feront certainement une enquête et se familiariseront d’eux-mêmes avec le véritable état de l’affaire. Sinon, atteindre la vérité [leur] sera impraticable et impossible. Dans ces circonstances, quel besoin y a-t-il d’importuner des hommes d’état et de supplier les ministres de la Cour ? Nous sommes libres de toute angoisse, prêts et préparés pour ce qui nous est prédestiné. «Dis, tout vient de Dieu» est un argument intelligent et suffisant, et «Si Dieu te touche d’une blessure, rien ne peut la cicatriser si ce n’est lui», est un médicament qui guérit.» (r5)

Dans l’une de ses épîtres révélée peu après son arrivée à Constantinople, Baha’u’llah exprime sa déception des gens qu’il avait rencontrés, en disant que l’accueil qu’ils lui avaient témoigné n’était qu’un acte de formalité et qu’il les trouvait froids comme de la glace et inanimés comme des arbres morts. (r6) Dans un passage de la Suriy-i-Muluk (épître aux Rois) qui s’adresse aux habitants de Constantinople, Baha’u’llah déclare qu’il trouve leurs dirigeants «assemblés comme des enfants qui jouent avec le sable». Plus loin, il commente ainsi:

«Nous n’en avons trouvé aucun ayant une maturité d’esprit suffisante pour recevoir de nous les vérités que nous tenons de Dieu ni qui soit prêt à entendre nos merveilleuses paroles de sagesse. Notre coeur a pleuré sur eux et sur leurs transgressions, ainsi que sur leur ignorance des raisons de leur création. Voilà ce que nous avons observé dans cette cité et ce que nous avons voulu noter dans notre livre en guise d’avertissement pour eux et pour le reste de l’humanité.» (r7)

Les compagnons de Baha’u’llah, ces amoureux fidèles de sa gloire qui avaient fait le voyage avec lui jusqu’à Constantinople, reçurent le privilège d’être en sa présence de temps à autre. D’après une liste (r8) qui porte le sceau de Baha’u’llah, (n2) et dont on peut présumer qu’elle fut préparée sous ses ordres pour les autorités de Bagdad, en tout cinquante-quatre personnes y compris les membres de sa famille, devaient l’accompagner à Constantinople. Parmi elles, un enfant mourut, et au moins deux autres personnes, dont Mirza Yahya, le rejoignirent en route.

Cette liste est ainsi composée:

Mirza Husayn-‘Ali [Baha’u’llah], 1 ; fils aîné, 1 ; frères, 2 ; membres féminins de la maisonnée, 12 (n3) enfants de tous âges, 12 (moins un qui mourut) ; serviteurs, 20 (n4) ; autres, avec leurs propres mules, [qui devaient retourner], 7 ; chevaux, 6.

Il est intéressant de noter que Baha’u’llah chevauchait un étalon arabe rouan roux pendant une partie du périple, mais qu’il voyageait la plupart du temps dans un howdah (n5) qu’il partageait avec sa femme Asiyih Khanum. (n6) ‘Abdu’l-Baha supervisait tout le convoi, organisait et dirigeait les activités de ceux à qui étaient confiées certaines tâches. Il montait souvent le cheval de Baha’u’llah afin de rester en contact avec les divers membres du groupe. Une heure environ avant l’entrée dans une ville, il avait pour habitude d’amener à Baha’u’llah sa monture, qui alors parcourait la ville à cheval, tandis que ‘Abdu’l-Baha prenait sa place dans le howdah. Des arrangements identiques étaient organisés lorsque la caravane quittait la ville.

* LAWH-I-HAWDAJ :

Baha’u’llah avait averti en de nombreuses occasions ses compagnons de leur destin et des calamités qui les accableraient à l’avenir. Maintenant, c’est dans la Lawh-i-Hawdaj (Épître du Howdah), révélée en arabe dans le port de Samsun, en partance pour Constantinople, qu’il prédit de terribles afflictions. À la demande de son secrétaire, Mirza Aqa Jan, il révéla cette épître alors qu’il apercevait de son howdah la Mer Noire. Pour autant que nous en sachions, ce fut la première épître révélée par Baha’u’llah après qu’il eut quitté Bagdad. Dans cette épître, il faisait allusion au prochain voyage par mer et déclara que celui-ci avait été prévu dans l’Épître du Saint Nautonier. Ainsi, il liait l’épître du Howdah avec celle du Saint Nautonier et mentionnait que l’étude de ces deux épîtres permettrait aux croyants de comprendre les mystères de la cause de Dieu et de se fortifier dans la Foi. Les sombres prédictions, déjà pressenties dans l’Épître du Saint Nautonier, passeraient, affirme-t-il. Plus loin, il avertit ses compagnons des «torts cruels et douloureux» qui les assailleraient de toutes parts, et qui feraient office de pierre de touche divine par laquelle la foi de chacun serait sévèrement éprouvée et la vérité séparée du mensonge.

Probablement quelques-uns parmi ses compagnons comprirent que ces «torts cruels et douloureux» émaneraient du propre demi-frère de Baha’u’llah, Mirza Yahya, précipitant une crise aux proportions énormes au sein de la communauté, ou bien qu’il deviendrait l’incarnation de la rébellion humaine, le centre de toutes les forces des ténèbres, se soulevant pour engager une lutte avec la lumière de la Manifestation suprême de Dieu.

En raison de leur proximité avec la personne de Baha’u’llah, la sincérité de ses compagnons fut jusqu’au bout mise à l’épreuve, car s’associer à celui qui incarnait dans sa chair l’Esprit de Dieu, et qui était le point central de tous ses attributs et pouvoirs, exigeait le degré le plus élevé de foi et de détachement. (n7) Une autre caractéristique de cette association, c’était la façon par laquelle la majesté imposante de Baha’u’llah touchait ceux qui entraient en contact avec lui. L’autorité qui émanait de lui, le rayonnement de sa prestance et tout particulièrement le pouvoir magnétique de ses yeux, le tout avec son amour et sa compassion universels qui entourent toutes choses créées, exerçaient une influence qui submergeait, vivifiait et réconfortait ses disciples et les transportait dans les royaumes de l’esprit.

Haji Mirza Haydar-‘Ali d’Isfahan, (n8) l’un des disciples les plus dévoués de Baha’u’llah et qui fut en sa présence à Andrinople et à Acre en de nombreuses occasions, a laissé de sa propre observation quelques descriptions qui nous éclairent. Faisant allusion à l’effet que la présence de Baha’u’llah avait sur les croyants, il écrit:

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Décrire une expérience spirituelle est impossible. Par exemple, deux ou trois personnes peuvent atteindre la Présence ensemble. Chacune considèrera sa gentillesse, sa compassion et sa bonté comme dirigées vers elle seule et sera encline à déclarer «il est mon Dieu». Bien que tous soient parvenus en présence de la même Personne bénie, dont les paroles ne sont pas adressées à un seul individu, cependant ses paroles pénètrent dans les veines et les artères, dans le coeur, l’esprit et les âmes. Chacun sera touché d’une manière personnelle et éprouvera des sentiments spirituels intérieurs qu’il trouve impossible de décrire à d’autres. Tout ce qu’on peut dire, c’est qu’on peut s’adresser à ses amis et dire: «J’étais ivre et dans un état d’extase». Ses amis, qui peuvent avoir éprouvé des effets similaires à un moment, ne peuvent estimer ce sentiment que dans la mesure de sa propre sensibilité (...) Ce que je veux dire, c’est que tout ce qui concerne les sentiments intimes d’une personne, sa perception et son illumination intérieures, et tout ce qui appartient aux royaumes de la divinité, se trouve bien loin et bien au-dessus de la nature, des choses matérielles, du lieu, du temps, de la forme et de la substance. Par exemple, nul ne peut expliquer l’état de maturité ou encore les facultés mentales d’une personne mature à un enfant qui est, lui, immature, quand bien même ces mêmes facultés sont en relation avec le monde de la nature. Car l’enfant n’a pas encore acquis la capacité de comprendre. Combien moins il est possible, alors, d’expliquer une question spirituelle, une condition abstraite, à une personne.

Si une personne devait être capable d’acquérir, grâce à la bonté et à l’aide de Dieu et de ses Manifestations, un sentiment spirituel intérieur [après s’être retrouvée en présence de Baha’u’llah], le laissant pénétrer son âme, non pas sous la forme d’un éclair fugace ou d’une vaine imagination, mais comme quelque chose imprégnant son être même, alors une telle réalisation paverait le chemin pour son progrès dans les royaumes de l’esprit, pourvu qu’elle ne se mélange pas avec la glorification de soi et l’égotisme...

Ce qui ressort de ces paroles, c’est qu’il est impossible de décrire les effusions de la grâce [de Baha’u’llah] éprouvée en sa présence ou de relater les gloires effulgentes de Celui qui parle sur la Montagne...» (n9) (r9)
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Au sujet du pouvoir et de l’autorité de Baha’u’llah, Haji Haydar-‘Ali a écrit:

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Un homme, qui était un disciple d’Azal, (n10) demanda une fois à feu Haji Siyyid Javad-i-Karbila’i (n11) (...) un tout premier croyant et l’un des Miroirs de la révélation babie, de décrire la prestance du Bab (...) et la beauté de cette dernière. Il répondit: "Nul ne le surpassait en beauté et en douceur ; j’ai vu en lui toute la bonté et la beauté attribuées à la personne de Joseph."

Comme celui qui le questionnait était un azali et que quelques autres azalis étaient aussi présents, je sentais que ces hommes pouvaient déduire de la déclaration de feu Haji Siyyid Javad qu’il était aussi un disciple d’Azal. Par conséquent, je lui demandai de nous parler à propos de la beauté de celui (n12) en la sainte présence duquel le Royaume de la beauté se prosterne lui-même, et au seuil duquel le royaume de toute-puissance et de majesté le plus haut élève un chant de louange et de gloire. Il répondit: «Sache, avec une absolue certitude, que quiconque, qu’il soit ami ou ennemi, qui proclame qu’il a été capable de soutenir directement du regard le visage béni de Baha’u’llah, est un menteur. Je l’ai maintes fois tenté et essayé encore et encore de fixer du regard son visage béni, mais j’ai été incapable de le faire. Parfois, lorsqu’une personne parvient à la présence de Baha’u’llah, il en est si amoureux et si transporté qu’en fait, il en devient muet, immobilisé sur place, oublieux de lui-même et du monde. Et lorsqu’il n’est pas transporté, s’il devait tenter de regarder son visage béni avec concentration, ce serait comme s’il regardait le soleil en face. De même que l’oeil est aveuglé par les rayons effulgents du soleil, faisant couler des larmes, si l’on devait s’entêter à fixer la contenance de la Beauté bénie, (n13) des larmes rempliraient les yeux, ce qui rendrait impossible de se faire une idée de lui.»

J’ai personnellement fait cette expérience. Au cours des sept mois que je suis resté à Andrinople, j’étais tellement transporté et ébloui [par sa présence] que j’en étais totalement oublieux de moi-même et de toute la création. Quatorze ou quinze ans après, j’arrivai dans la sainte cité d’Acre, le Lieu lumineux que parcourt en adoration l’Assemblée céleste, (n14) le Sinaï de la révélation à Moïse. Je restais en présence de Baha’u’llah pendant trois mois. Pendant tout ce temps, j’avais voulu connaître la couleur du taj (n15) béni qu’il portait, et pourtant, j’oubliais d’y penser chaque fois que je me trouvais en sa présence, jusqu’au jour où il orna, parfuma et illumina de ses pas bénis le Jardin de Ridvan. (n16) Les réalités des jardins promis du Paradis, à la fois cachées et manifestes, se prosternent dans ce Jardin de Ridvan [Paradis]. Il prenait un repas de midi dans la pièce que les pèlerins visitent toujours et où sont conservés un divan, une chaise et quelques objets qu’il utilisait. Deux ou trois personnes se tenaient à l’intérieur de la pièce et plusieurs autres à l’extérieur. Elles étaient toutes éprises de son incomparable, impérissable et glorieuse Beauté. Je vis alors le taj (...) comme je me tenais derrière les amis et ses compagnons (...) il était de couleur verte... (r10)
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On peut trouver un autre récit qui illustre l’étonnante gloire de la prestance de Baha’u’llah dans les mémoires de Haji Muhammad-Tahir-i-Malmiri (n17), qui se rendit en pèlerinage à Acre vers 1878. Il y resta pendant neuf mois et Baha’u’llah l’autorisa à venir le voir chaque jour. Au cours de ces mémorables rencontres, il désirait regarder complètement le visage de Baha’u’llah, mais chaque fois qu’il venait en sa présence, il se trouvait lui-même abasourdi par sa beauté et envoûté par ses paroles. Jusqu’au jour où il lui arriva de regarder le visage de Baha’u’llah. Voici une traduction de ses propres paroles:

«Un jour, je me trouvais en présence de la Beauté bénie. Il me demanda avec grâce de m’asseoir. Lorsque je m’assis, il appela Khadimu’llah (n18) et dit: «Apportez du thé pour Aqa Tahir.» Khadimu’llah apporta une tasse de thé qu’il me tendit. Alors que je prenais la tasse dans mes mains, mes yeux tombèrent sur le visage de la Beauté bénie et je devins inconscient. Je ne pouvais écarter mes yeux de la beauté transcendante de son visage. Il me dit alors: «Oh, mais regardez ce que vous avez fait ! Vous avez renversé le thé et taché votre ‘aba ! (n19) Prenez soin de cet ‘aba, il va devenir le seul vêtement tout le long de votre route vers la Perse. Nous n’avions aussi qu’une seule chemise et un seul sous-vêtement durant notre voyage vers Sulaymaniyyih.» (n20) À ces paroles de la Beauté bénie, je réalisai que je ne tenais plus en main que la soucoupe et que j’avais fait tomber la tasse. Le thé bouillant s’était renversé sur mon ‘aba et avait pénétré dans les vêtements. Mais je n’avais rien senti du tout.» (n21) (r11)

Haji Mirza Haydar-‘Ali, auquel nous avons fait allusion précédemment, a relaté une brève histoire dans laquelle il décrit la réaction de quelques fonctionnaires du gouvernement à Acre, lorsqu’il vit Baha’u’llah pour la première fois. Il écrit dans son livre, le Bihjatu’s-Sudur:

«... C’était pendant la fête de Ridvan, qui était célébrée chez Jinab-i-Kalim. (n22) Je restais dans l’appartement extérieur de sa maison. (n23) Il y avait d’autres appartements occupés par des non-baha’is ; l’un était la résidence d’un certain «Big» ou «Pasha» (n24) qui était arrivé à Acre comme chef du département des douanes et des taxes. Dans l’après-midi du premier jour de Ridvan, Baha’u’llah sortit de l’appartement intérieur pour rejoindre la pièce où étaient assis le chef du département des douanes et ses officiers. Dès qu’il arriva, ils se levèrent spontanément et, bien que ce ne fût pas dans leur habitude, ils s’inclinèrent. Confus et émerveillés, ils restaient debout. Leur coeur était épris de sa prestance incomparable et magnifique. Baha’u’llah vint à eux et prononça des paroles d’affection. Puis il revint dans l’appartement privé. Confus et perplexe, l’officier demanda: «Qui était ce distingué personnage ? Est-il l’Esprit saint ou le Roi des rois ?» Nous répondîmes: C’est le père de ‘Abbas Effendi.» (25) (r12)

Ces récits font part de quelques impressions sur la gloire de Baha’u’llah et son imposante majesté, et peut-être expliquent-ils pourquoi aucun de ses disciples ne fut capable de faire un portrait de lui par écrit. La seule description écrite que nous avons, a été rédigée par l’orientaliste Edward Granville Browne, qui n’était pas baha’i. Voici comment il décrit sa visite à la Maison de Bahji en 1890 et sa rencontre avec Baha’u’llah:

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... Mon guide s’arrêta un moment tandis que j’enlevais mes chaussures. Alors, d’un mouvement rapide de la main, il se retira, et, comme je passais, remit en place le rideau. Je me retrouvais dans un grand appartement, dont l’extrémité supérieure était occupée tout le long par un divan bas, tandis que deux ou trois chaises étaient placées du côté situé face à la porte. Bien que sachant vaguement où j’allais et qui j’allais voir, aucune précision ne m’ayant été fournie, il me fallut une ou deux secondes avant que, le coeur battant de surprise et de crainte respectueuse, je réalise que la chambre n’était pas inoccupée. Dans le coin où le divan touchait le mur, se tenait un merveilleux et vénérable personnage, couronné d’une coiffe de feutre, du type que les derviches appellent taj (mais d’une hauteur et d’une confection inhabituelles), et qu’un petit turban blanc entourait à la base. Le visage de celui que je contemplai, je ne saurais l’oublier et pourtant je ne puis le décrire. Ses yeux perçants semblaient pénétrer jusqu’au tréfonds de l’âme ; de larges sourcils soulignaient la puissance et l’autorité ; tandis que les rides profondes du front et du visage supposaient un âge que les cheveux d’un noir de jais, ainsi que la barbe qui s’écoulait presque jusqu’à la taille dans une incroyable luxuriance, semblaient démentir. Il eût été superflu de demander en la présence de qui je me trouvais ; je me prosternai devant celui qui fait l’objet d’une dévotion et d’un amour que les rois envieraient, et auxquels les empereurs aspireraient en vain !

Une voix douce, empreinte de courtoisie et de dignité, me pria de m’asseoir et continua:"Loué soit Dieu de ce que tu sois parvenu au but ! (...) Tu es venu voir un prisonnier et un exilé (...) Nous ne désirons que le bien du monde et le bonheur des nations ; cependant, on nous suspecte d’être un élément de désordre et de sédition, digne de captivité et de bannissement (...) Que toutes les nations deviennent une dans la foi et que tous les hommes soient frères ; que les liens d’affection et d’unité entre les enfants des hommes soient fortifiés ; que la diversité des religions cesse et que les différences de races soient annulées, quel mal y a-t-il en cela ? (...) Cela sera, malgré tout ; ces luttes stériles, ces guerres ruineuses passeront et la paix suprême viendra (...) N’en avez-vous pas besoin aussi en Europe ? N’est-ce pas ce que le Christ avait prévu ? (...) Pourtant, nous voyons les rois et les dirigeants dépensant leurs trésors avec prodigalité pour la destruction du genre humain plutôt que pour ce qui mènerait au bonheur de l’humanité (...) Ces combats, ces massacres et ces discordes doivent cesser, et tous les hommes seront comme une seule tribu et une seule famille (...) Ce n’est point d’aimer son propre pays qu’il convient de se glorifier, c’est d’aimer le monde tout entier..."

Telles, pour autant que je puisse m’en souvenir, étaient les paroles que, parmi de nombreuses autres, j’entendis de Beha. (n26) Que ceux qui les lisent pèsent bien en eux-mêmes si ces doctrines méritent la mort et les chaînes et si le monde est plus susceptible d’y gagner ou d’y perdre par leur diffusion. (r13)
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En ce qui concerne ceux qui accompagnaient Baha’u’llah à Constantinople, nous savons que certains d’entre eux n’avaient pas le coeur pur. Baha’u’llah avait gardé ces hommes près de lui afin qu’on puisse vérifier leur fausseté. Seuls ceux qui, par la grâce de Dieu, furent capables de se soumettre entièrement à la volonté de la Manifestation de Dieu, se détachèrent de tout désir, restèrent fermes en sa Cause et manifestèrent la foi et l’humilité les plus absolues, ceux-là furent dignes d’être appelés ses compagnons.

À l’avenir, lorsque le rang de Baha’u’llah aura été pleinement reconnu, l’humanité se souviendra de ces âmes, incarnations de la certitude et de la dévotion, avec un sentiment de louange et de gratitude. Car ce fut par leur foi et leur amour intenses qu’ils purent recevoir la grâce et les bontés de Dieu au nom de toute l’humanité. S’il n’y avait eu leur loyauté et leur abnégation de soi la plus totale face aux épreuves et aux calamités, le genre humain aurait trahi son Dieu et retardé l’établissement sur cette terre du Royaume promis.

Ces disciples, dont nombre d’entre eux sacrifièrent leur vie sur le sentier de Baha’u’llah, étaient les fruits de la révélation du Bab. Ce fut lui qui les créa tout particulièrement pour ce Jour. En effet, le but tout entier de la Mission du Bab était de préparer ses disciples à devenir dignes de rencontrer Baha’u’llah.

Dans l’un de ses Écrits, le Bab (r14) déclara que lorsqu’il se trouvera un individu prêt et apte à comprendre la révélation qui suivrait la sienne, Dieu, sans délai, se manifesterait et révèlerait sa Cause. Le Bab donna aussi l’exemple de sa propre révélation et affirma que si Mulla Husayn, le premier à croire en lui, avait été prêt à le reconnaître même quelque temps avant qu’il ne le fît, il aurait annoncé sa Mission d’autant plus tôt. La personne sur qui Dieu avait conféré la plus grande capacité de comprendre la révélation de Baha’u’llah, n’était autre que le fils aîné de celui-ci, ‘Abdu’l-Baha, qui, à l’âge de neuf ans, connaissait de manière innée le rang de son père. Peu après son arrivée en Irak, Baha’u’llah dévoila la mission que Dieu lui avait confiée, à ‘Abdu’l-Baha qui reconnut immédiatement la véracité de sa Cause, se prosterna à ses pieds et avec une grande humilité et beaucoup d’enthousiasme, supplia pour avoir le privilège de donner sa vie dans le sentier de son père.

Ces événements formidables ne s’expliquent pas par hasard. La main de Dieu était à l’oeuvre en créant le moyen de se manifester à l’humanité. Non seulement le Bab avait été envoyé pour paver le chemin pour l’avènement de Baha’u’llah, mais aussi ‘Abdu’l-Baha fut créé tout particulièrement afin de recevoir la révélation de Baha’u’llah au nom de l’humanité. Combien il est significatif que ‘Abdu’l-Baha, qui devait devenir l’instrument d’une révélation aussi sublime, était né la même nuit que celle où le Bab communiqua sa mission à Mulla Husayn et mit en marche le processus de préparation de ses disciples pour l’apparition de «Celui que Dieu rendra manifeste». (r15)

De plus, l’histoire de la foi baha’ie démontra que le pouvoir de Dieu qui suscita les incomparables Figures du Bab et de ‘Abdu’l-Baha, et définit leurs missions sacrées, vivifia aussi de nombreuses autres âmes qui reconnurent Baha’u’llah et embrassèrent sa Foi.

Dans chaque révélation, ceux qui ont reconnu la Manifestation de Dieu et l’ont suivie, sont devenus de nouvelles créations dotées d’un nouvel esprit. Il s’agit de la renaissance dont il est parlé dans les Livres saints. Dans l’une de ses épîtres très connue pour la beauté de sa conception, Baha’u’llah fait le portrait d’un délicieux panorama des mystères divins. Dans un langage allusif, il relate certains événements spirituels fascinants dans les mondes de Dieu avant le dévoilement de la révélation de Baha’u’llah. Il est impossible de décrire ces scènes d’enchantement, mais leur essence est que Dieu ordonna la naissance d’une nouvelle création, alors que personne n’était capable de comprendre cette révélation. Baha’u’llah affirme qu’il dévoile sa gloire à l’humanité seulement après qu’elle est apparue, et décrit en termes ardents le caractère exalté de cette nouvelle création.

Ayant averti ses compagnons des sévères épreuves qui les accableraient, Baha’u’llah, dans la Lawh-i-Hawdaj, s’adresse alors à eux en termes affectueux. Il les assure des bontés de Dieu grâce auxquelles ils pourront se débarrasser des vaines imaginations, purifier leur coeur des désirs terrestres et entrer dans les royaumes de la proximité de Dieu. Il leur rappelle aussi que le Tout-Puissant les a choisis parmi l’ensemble de l’humanité, leur a permis de reconnaître sa Manifestation, leur a accordé l’unique distinction d’être ses compagnons, a exalté leur rang au-dessus de tous ceux qui vivent sur terre et a inscrit leur nom sur la «Tablette Préservée». (n27)

Le sujet du reste de l’épître traite de la grandeur de la révélation de Baha’u’llah. S’adressant à l’ensemble de la création, il ordonne à l’humanité de se réjouir, car le Jour de sérénité est venu, le jour au cours duquel l’homme est parvenu en présence de Dieu.

La croyance selon laquelle l’homme, un jour, parviendra en présence de son Dieu, est fondée sur les saintes Écritures du passé. Dans le Coran, il existe de nombreuses allusions à ce sujet. En fait, c’est la promesse la plus claire et la plus importante donnée par le Prophète de l’Islam. Le grand érudit baha’i, Mirza Abu’l-Fadl, déclare que tout homme de vision, qui possède une véritable connaissance du Coran, témoignera qu’au moins un tiers de ce Livre traite de l’avènement du grand Jour de Dieu.

Les versets suivants ne sont que quelques exemples parmi de nombreux autres: «Car pour ceux qui sont incrédules à l’égard des Signes de Dieu et de sa Rencontre, voilà ceux qui désespèrent de ma miséricorde ; voilà ceux qui subiront un châtiment douloureux» (r16) ; «et que celui qui espère la rencontre de son Seigneur doit accomplir de bonnes actions» (r17) ; «Car ils savent qu’ils rencontreront leur Seigneur et qu’ils retourneront à lui» (r18) ; «Il dirige toute choses avec attention et il explique les Signes – Peut-être croirez-vous fermement à la rencontre de votre Seigneur !» (r19)

Des prophéties similaires apparaissent aussi en grand nombre dans le Nouveau Testament. Par exemple: «Il n'y aura plus de malédiction. Le trône de Dieu et de l'agneau sera dans la cité, et ses serviteurs lui rendront un culte, ils verront son visage...» (r20) «Et j'entendis, venant du trône, une voix forte qui disait: Voici la demeure de Dieu avec les hommes. Il demeurera avec eux. Ils seront ses peuples et lui sera le Dieu qui est avec eux. Il essuiera toute larme de leurs yeux, La mort ne sera plus. Il n'y aura plus ni deuil, ni cri, ni souffrance, car le monde ancien a disparu». (r21)

L’Ancien Testament est aussi plein de la promesse de la venue du Seigneur Dieu. Voici quelques exemples: «... qu'elle se couvre de fleurs des champs, qu'elle saute et danse et crie de joie! La gloire du Liban lui est donnée, la splendeur du Carmel et du Sharon, et on verra la gloire du Seigneur, la splendeur de notre Dieu.» (r22) «Dites à ceux qui s'affolent: Soyez forts, ne craignez pas. Voici votre Dieu: c'est la vengeance qui vient, la rétribution de Dieu. Il vient lui-même vous sauver.» (r23) «Alors la gloire du Seigneur sera dévoilée et tous les êtres de chair ensemble verront que la bouche du Seigneur a parlé» (r24) «Voici qu'en effet les ténèbres couvrent la terre et un brouillard, les cités, mais sur toi le Seigneur va se lever et sa gloire, sur toi, est en vue.» (r25)


Dans nombre de ses épîtres, Baha’u’llah a expliqué que Dieu se trouve au-delà de la compréhension de l’homme et «immensément exalté au-delà de tout attribut humain, tel que l’existence corporelle, l’ascension et la descente, le progrès et la régression (...) il se tient exalté au-delà et au-dessus de toute séparation et d’union, de toute proximité et d’éloignement.» (r26)

L’idée que Dieu viendra en personne va totalement à l’encontre de la nature de Dieu. Un tel événement le réduirait instantanément du royaume de l’infini à celui du fini. Mais l’homme peut parvenir en présence de Dieu en parvenant en présence de sa Manifestation. (n28) Dans le Bayan persan (6:7), le Bab a clairement déclaré que toute référence dans les saintes Écritures à la présence de Dieu, signifie la présence de «Celui que Dieu rendra manifeste».

Depuis que l’on a commencé à écrire l’histoire, les Prophètes et les Messagers de Dieu ont toujours prévu un âge d’accomplissement pour l’humanité. Les visions de tous les Prophètes, les pensées de nombre de poètes et de devins, se sont concentrées sur la venue du Seigneur. (n29) Pourtant, lorsqu’il se manifesta, tous les peuples du monde manquèrent de le reconnaître. Seuls quelques-uns virent sa gloire et reconnurent son rang. Par conséquent, combien est-il impressionnant de regarder en arrière sur ces jours, où moins d’une soixantaine d’hommes, de femmes et d’enfants accompagnèrent leur Seigneur en personne depuis Bagdad, embarquèrent du port de Samsun sur un vapeur turc, s’y entassèrent avec lui pour un périple vers Constantinople, alors que les hommes en général étaient inconscients d’événements aussi formidables. Dieu était passé près d’eux et ils restèrent profondément endormis.

* SUBHANIKA-YA-HU :

Cette belle épître écrite en arabe et de la main même de Baha’u’llah, a été révélée à Constantinople la veille du 5ème jour du mois de Jamadiyu’l-Avval 1280 À.H. (le 19 octobre 1863), l’anniversaire de la déclaration du Bab. (n30) Cette épître, à cause de son verset introductif, est connue sous le nom de Lawh-i-Naqus (épître de la Cloche). Elle est aussi désignée comme Subhanika-Ya-Hu. Elle fut révélée suite à une demande transmise par ‘Abdu’l-Baha qui émanait d’un des compagnons de Baha’u’llah, Aqa Muhammad-‘Aliy-i-Tambaku-Furush-i-Isfahani. (n31) La révélation de cette épître, lors d’une occasion aussi propice, apporta une joie immense au coeur de ceux qui célébraient cette fête historique. Baha’u’llah débute cette épître avec ces mots:

«Ô Moine de l’Incomparable ! Fais retentir la Cloche, vu que le Jour du Seigneur a resplendi et que la Beauté du Tout-Glorieux est établie sur son trône sacré et étincelant.» (r27)

Ces quelques lignes nous donnent un aperçu du caractère majestueux et sublime de cette épître. À l’instar de celles révélées à l’époque de la déclaration de Baha’u’llah, cette épître vibre d’un pouvoir indescriptible qui ne peut qu’émaner de la plume de la Manifestation suprême de Dieu. Ici, les paroles incomparables de Baha’u’llah, originales et profondes, possèdent une beauté et un rythme tels qu’aucune plume ne peut décrire. Composée dans un style qui se prête au chant choral, cette épître crée une ambiance d’extase et de joie lorsqu’elle est chantée par les croyants. (n32) Révélée peu après son départ de Bagdad, elle annonce en termes clairs et majestueux, le lever de l’Orbe de sa révélation. Elle affirme que celui (n33) qui était caché derrière les voiles de la dissimulation, est à présent rendu manifeste ; elle exalte la puissance et la gloire de sa Cause, et déclare que le Jour de Dieu est venu. Elle appelle les habitants du Paradis le plus élevé à se préparer et à acquérir la capacité d’atteindre la présence de Dieu. (n34) Elle ordonne à ses habitants de se réjouir et de célébrer la venue du Bien-Aimé, et appelle toutes choses créées à proclamer la bonne nouvelle de cette révélation à l’humanité. Finalement, il prie pour ses compagnons afin qu’ils puissent se détacher de tout ce qui n’est pas lui, et que leur coeur puisse s’embraser du feu de son amour et devienne pur et sans désir. Il prie aussi pour que ses compagnons, qui se consacrent à la promotion de sa Cause, puissent remporter la victoire sur tous ceux qui vivent sur terre.

L’histoire de la Foi démontre amplement l’accomplissement de cette prière. Grâce à l’assistance de Dieu, ses disciples, bien qu’amèrement persécutés et dénués de tout pouvoir terrestre, triomphèrent sur les forces des ténèbres et remportèrent de mémorables victoires pour la cause de leur Seigneur. Deux monarques despotiques, Nasiri’d-Din Shah et le sultan ‘Abdu’l-’Aziz, étaient déterminés, avec une hostilité implacable, à déraciner la fondation de la toute récente foi de Dieu. Le premier, dont le règne vit le martyre du Bab et le massacre d’innombrables âmes, fit tout son possible pour éteindre la lumière de la Foi et même pour en oblitérer des pages de l’histoire jusqu’à son nom. Tandis que le second incarcéra son Auteur et imposa sur lui et ses compagnons les restrictions les plus difficiles. De nos jours pourtant, la foi de Baha’u’llah est établie dans toutes les parties du monde et ses disciples, représentant toutes les couleurs, les races et les nations, diffusent sa Cause à une vitesse et avec un enthousiasme étonnants. Ils apportaient, et apportent de plus en plus, sous les yeux d’une humanité tourmentée, les vérités essentielles de leur Foi, son histoire, ses enseignements, ses institutions universelles et son pouvoir de transformation.

Dans les révélations du passé, tout comme en ce Jour, Dieu a promu sa Foi par le travail d’hommes et de femmes qui étaient doux et humbles. De ces gens, il est dit dans le Coran: «Mais nous voulions favoriser ceux qui avaient été humiliés sur la terre ; nous voulions en faire des chefs, des héritiers.» (r28)

Similairement, ces paroles sont inscrites dans les Evangiles: «Heureux les doux: ils auront la terre en partage.» (r29)

En exaltant sa Cause à l’aide des plus humbles parmi les hommes, Dieu a prouvé l’ascendance et le pouvoir de ses Manifestations. Nul ne peut les accuser d’avoir établi la religion grâce à l’influence des notables. Par exemple, ces quelques âmes qui d’abord reconnurent et suivirent le Christ, n’étaient pas des gens remarquables. Ils furent traités avec mépris et persécutés. D’autres qui suivirent leurs traces, subirent le même destin et nombre d’entre eux moururent martyrs. Cependant, en dépit de leur faiblesse à l’époque, le message du Christ fut transmis hors des frontières et sa Foi fut établie. C’est l’une des preuves de l’authenticité de sa mission.

De même, ceux qui crurent en Muhammad dans les premiers jours se recrutaient parmi les humbles et les parias. Voilà pourquoi nombreux furent les gens à ridiculiser le Prophète en disant: «Nous ne voyons en toi qu’un mortel semblable à nous. Nous ne te voyons, à première vue, suivi que par les plus misérables d’entre nous. Nous ne voyons en vous aucune supériorité sur nous. Nous vous prenons, au contraire, pour des menteurs.» (r30) Muhammad lui-même fut l’objet d’une opposition amère et persécuté par les gens de La Mecque. En fin de compte, il s’enfuit à Médine par sécurité. Pourtant, par le pouvoir de Dieu, ses disciples et lui, bien qu’écrasés et humiliés, triomphèrent de leurs adversaires et donnèrent la vie spirituelle à d’importantes multitudes.

La façon dont la foi de l’islam fut établie, cependant, est grandement critiquée en Occident. C’est presque entièrement dû aux rapports détournés de chrétiens fanatiques qui, pendant des siècles, ignorèrent les enseignements spirituels et les nobles principes de l’islam, interprétèrent mal ses doctrines, exagérèrent son contexte peu familier et répandirent d’énormes calomnies à l’encontre de son Auteur.

Un récit intéressant à ce propos est fourni par Haji Muhammad-Tahir-i-Malmiri dans ses mémoires, citant en substance une longue entrevue qu’il eut à Yazd avec un certain missionnaire chrétien qui connaissait bien la langue persane. L’objet de cette entrevue était de prouver l’authenticité du message de Baha’u’llah. Au cours de la discussion, on aborda le sujet de l’islam. Ce qui suit est une traduction d’une petite partie de ce dialogue:

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Il [le missionnaire chrétien] me dit: «Que dire de Muhammad ?» Je dis: «Je crois que dans un sens, l’efficacité de la parole de Muhammad était supérieure à celle du Christ.» «Comment pourrait-il en être ?» fut sa prompte réponse. Je répondis: «Vous savez que le Christ naquit et grandit en Terre sainte qui est un pays oriental. Là, il y déclara sa mission, passa les années de son ministère et là, il fut finalement crucifié. Cependant, pendant bien plus de six siècles, sa Foi ne progressa pas de manière appréciable dans aucun des pays orientaux, tandis qu’aujourd’hui, chaque musulman que vous pourrez rencontrer en Orient, considère Jésus comme l’Esprit de Dieu et la Bible comme la Parole de Dieu. La croyance en le Christ et l’estime de sa mission divine furent apportées aux peuples orientaux grâce à l’influence de Muhammad. N’est-ce pas vrai ?» «Oui, c’est juste», dit-il, «mais ce fut fait par l’épée.» J’expliquai: «Durant les treize années où Muhammad vécut à La Mecque après s’être déclaré prophète, personne n’utilisa l’épée, bien que pendant tout ce temps-là, il était l’objet de moqueries et d’une oppression croissante. Ces attaques devinrent parfois si agressives, qu’il avait pour habitude de se réfugier dans les cavernes et les tranchées, et qu’à la fin, il dut par sécurité fuir à Médine. Les escarmouches où participa Muhammad étaient entièrement de caractère défensif. Cependant, mettons que vos suppositions soient justes. Supposons que Muhammad ait établi sa religion avec l’aide de l’épée, là où le Christ diffusait sa Foi uniquement avec l’aide du saint-Esprit. Vous savez que l’épée est une arme mortelle ; elle prend la vie, elle détruit, elle déchire. Cependant, dans la main de Muhammad, elle devint une bénédiction déguisée. Elle apporta la vie spirituelle à quelque trois cents millions d’âmes. Elle unit maintes factions rivales et diverses communautés par un lien permanent d’unité et de fraternité. Elle éleva les sauvages tribus arabes vers les sommets les plus beaux de la connaissance et de la culture. Maintenant, soyez juste dans votre jugement, quelle tâche est plus difficile et merveilleuse: donner la vie au moyen d’une épée ou bien par des moyens spirituels ? Lequel est le plus habile, le médecin qui soigne ses patients immédiatement en leur donnant du poison ou celui qui progressivement les soulage en administrant des médicaments apaisants ?»

«D’accord», fit-il, «mais Muhammad était un polygame lubrique, là où le Christ ne se maria même pas.» Je répondis: «Si en affirmant que le Christ ne se maria pas, vous tentez de mettre en avant ses vertus divines, je crains que vous fassiez fausse route. Car le corps physique du Christ était le même que celui de n’importe quel autre homme. Qu’il ne se maria pas était probablement dû au fait qu’il ne trouva pas d’endroit où s’installer car il se déplaçait dans tout le pays pendant la courte période que dura son ministère. Ou si vous souhaitez attribuer au Christ l’absence de désir physique, alors une telle implication signifierait la déficience physique plutôt que la vertu divine, attendu que les Messagers de Dieu sont parfaits dans leur corps et dans leur âme. De plus, le Christ n’a jamais rien dit contre le mariage. Mais supposons que nous acceptions votre hypothèse, nul ne peut néanmoins nier que Muhammad était capable d’inculquer à ses disciples le plus haut degré de chasteté et de droiture morale, ainsi que d’insuffler une quantité merveilleuse d’intégrité et de conscience spirituelle au sein d’une communauté si dégénérée qu’en ce temps-là, elle avait atteint le niveau le plus profond de la sauvagerie et de l’ignorance. Et aujourd’hui, bien plus de 1.300 ans après lui, on peut assez bien discerner partout la preuve de son pouvoir spirituel, qui lie encore ensemble ces communautés multiraciales. La spiritualité et le désir sexuel, à l’instar de l’eau et du feu, sont des opposés. Muhammad a réconcilié ces deux pouvoirs contrastants au sein de lui-même, alors que vous affirmez que le Christ n’était que pur esprit et conférait la vie en tant que tel. Maintenant, je laisse ceci à votre jugement impartial afin qu’il détermine si la nature de Muhammad était plus spirituelle ou bien lubrique. Cependant, nous ne devons pas nous laisser égarer par ces considérations matérielles. Le Christ enseigna: «Vous reconnaîtrez l’arbre à ses fruits.» Alors il répondit: "Que dire de la vérité de la mission de Baha’u’llah ?" (r31)
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Dans la plupart des épîtres révélées à Constantinople et Andrinople, comme dans la Lawh-i-Naqus, Baha’u’llah presse ses disciples de purger leur coeur des désirs terrestres et de s’accrocher fermement à sa Cause afin que les paroles et les murmures méchants des infidèles ne puissent pas les détourner du sentier de la Vérité. Quand on étudie les événements qui mènent à la rébellion de Mirza Yahya à Andrinople, on peut comprendre l’importance de telles exhortations. Comme nous le verrons, plusieurs croyants remarquables, dont quelques-uns étaient réellement présents à Constantinople lorsque fut révélée la Lawh-i-Naqus, furent pris entre les griffes de cette crise qui plus tard embrassa la communauté, et tombèrent victimes de sa force maléfique.

Mais en dépit de tout ceci, les exhortations de Baha’u’llah continuèrent sans relâche. En effet, l’un des traits remarquables de sa vie fut sa bonté pour quiconque entrait en contact avec lui. Sa miséricorde divine et universelle embrassait tout aussi bien ceux qui croyaient que ceux qui ne croyaient pas. Ce fut uniquement lorsqu’une personne était sur le point de nuire à la cause de Dieu, qu’il la chassait de sa présence. Sur ses disciples, il étendait la main de la protection et les guidait pour chaque étape du chemin. C’est ce qui ressort de manière évidente dans tous ses Écrits. Ses épîtres sont emplies de conseils, d’exhortations et de recommandations sur des aspects spirituels, moraux et sociaux de la vie. Même sur des questions personnelles, Baha’u’llah guida toujours ses disciples. Pour citer un exemple qui concerne son voyage à Constantinople: avant son départ de Bagdad, Baha’u’llah conseilla à ceux de ses compagnons qui devaient faire le voyage avec lui, de se faire pousser les cheveux à la façon des Baktashes. (n35) Cette mesure fut prise afin de leur conférer un certain prestige et quelque protection, car les Baktashes avaient beaucoup d’influence en Turquie. On ne doit pas prendre cette mesure comme une approbation de la part de Baha’u’llah, de la pratique des hommes qui faisaient pousser leurs cheveux. Ce conseil fut donné pour se conformer aux conditions prévalant en ce temps et ainsi assurer leur sécurité et leur bien-être.

En Perse, aussi, il y avait une certaine considération pour les derviches. (n36) Les gens ne les harcelaient pas, pas plus qu’ils ne s’immisçaient dans leurs croyances et leurs pratiques. En ce temps-là, quand un étranger arrivait en ville, les habitants étaient curieux de connaître son identité et le but réel de sa visite. Mais il n’en était pas ainsi dans le cas des derviches qui fréquemment allaient de ville en ville. Les gens étaient habitués à voir des derviches venir de terres lointaines et souvent ne cherchaient pas à savoir quoi que ce soit sur eux. Dans les premiers temps de la Foi, cette situation aida certains enseignants baha’is en Perse, qui s’étaient fait pousser les cheveux et avaient revêtu des habits de derviches. De cette manière, ils réussirent à se déplacer librement dans tout le pays sans être harcelés ou persécutés.

Il y eut aussi d’authentiques derviches qui avaient embrassé la Foi durant les ministères du Bab et de Baha’u’llah. Notamment parmi eux, il y eut Mirza Qurban-‘Ali, (n37) l’un des sept martyrs de Téhéran. Naturellement, ces hommes continuèrent d’apparaître comme derviches. Ils portaient leurs boîtes à aumônes et suivaient la coutume de chanter les louanges du Seigneur dans les bazars et les lieux publics. Ces chants de louanges, souvent récités à partir des oeuvres de poètes illustres, figuraient au nombre des interprétations passionnantes d’un derviche. Bien que Baha’u’llah eût exhorté ses disciples à se montrer sages et discrets en enseignant sa Cause et leur avait conseillé de ne pas proclamer leur foi en public, néanmoins certains des plus audacieux parmi ces derviches osèrent chanter les louanges de Baha’u’llah dans les rues et les bazars. Une action aussi peu judicieuse entraînait inévitablement dans son sillage une souffrance inouïe. À la fin, Baha’u’llah envoya un message fort à quelques derviches pour leur dire d’arrêter cette pratique et de les inciter à faire preuve de sagesse.

À cause de leurs habitudes de mendicité et de renoncement, quelques-uns des derviches qui devinrent baha’is commencèrent à interpréter les lois et les ordonnances de la Foi afin qu’elles leur conviennent. Dans une épître, Baha’u’llah dénonce les attitudes et les pratiques de ces hommes qui recherchaient une vie retirée et il déclare que tout ce dont ils se souciaient, c’était manger et dormir. (r32)

Puisque Baha’u’llah avait adressé «Les Sept Vallées» à un soufi, ouvrage dans lequel il soulignait les préalables spirituels nécessaires à un homme pour atteindre son but ultime, et comme il était lui-même allé à Sulaymaniyyih vêtu tel un derviche, certains pourraient avoir la fausse impression que ses enseignements sont en conformité avec la pratique du soufisme. L’étude de sa Cause démontrera qu’il n’en est rien. Le fait que Baha’u’llah soit apparu en derviche pendant deux ans dans les montagnes du Kurdistan, était entièrement dû aux circonstances de sa retraite solitaire et ne peut être interprété comme une approbation du mode de vie soufi. Le principe fondamental du soufisme soutient qu’il est possible pour l’homme d’avoir une expérience directe de Dieu en recherchant le contact avec la Source de l’être et de la réalité, et ainsi parvenir à la liberté spirituelle absolue là où ses sens intuitifs peuvent avoir le champ libre. Mais la foi de Baha’u’llah enseigne qu’il ne peut y avoir de relation directe entre le Créateur et la créature, l’Infini et le fini, et que «la porte de la connaissance de l’Ancien des jours étant (...) fermée à la face de tous les êtres» (r33), la seule façon par laquelle l’homme peut connaître Dieu, c’est par la connaissance de ses Manifestations. C’est une croyance baha’ie majeure selon laquelle le progrès spirituel de l’homme dépend de son obéissance aux enseignements des Manifestations de Dieu - et de leur mise en pratique - et non pas des impulsions et des diktats de sa propre vie.

Une autre différence entre les croyances soufies et baha’ie, c’est l’interdiction prononcée par Baha’u’llah de mendier et de mener une vie d’ascète. Il a donné à ses disciples une compréhension différente du détachement et du renoncement laquelle est, en fait, contraire aux opinions soutenues par les soufis en général.


Dans l’une de ses épîtres, ‘Abdu’l-Baha affirme que «Les Sept Vallées» (n38) nous conseille alors que nous empruntons le sentier du détachement. (r34) Le but de cet ouvrage est d’enseigner le voyageur sur la manière d’aimer Dieu. Mais en aucun cas il ne trouve d’excuse ni il ne justifie l’attitude adoptée par de nombreux derviches qui clament avoir renoncé au monde. Ces hommes errent comme des vagabonds, ils sont confus et paresseux, vivent sans travailler et sont une charge pour les autres. Comme il a déjà été dit dans un précédent volume, Les Sept Vallées fut révélé par Baha’u’llah en réponse aux questions de Shaykh Muhyi’d-Din, un homme de savoir qui était fort versé en philosophie soufie. Baha’u’llah mentionne dans une épître (r35) que Les Sept Vallées fut écrit avant sa déclaration dans la langue des personnes concernées. Dans sa divine sagesse, Baha’u’llah utilisa la terminologie soufie courante à cette époque, afin que celui qui pose les questions puisse le comprendre. Dans cette épître, il affirme aussi que quiconque s’est en ce jour tourné vers lui et a vraiment reconnu son rang, a effectivement traversé l’ensemble des sept étapes mentionnées dans ce livre.

Baha’u’llah a condamné l’ascétisme, la mendicité et le monachisme. (r36) Il affirme qu’il se trouve des gens dans certaines îles qui vivent parmi les bêtes sauvages, se coupent de l’humanité, s’abstiennent de manger et mènent une vie d’ascèse. Ils se considèrent comme au-dessus des autres hommes. Cependant, aucun de ces actes n’est acceptable aux yeux de Dieu. Dans la même épître, il décrit ses propres observations, alors qu’il résidait à Bagdad, où dans un certain quartier soufi, vivait un homme qui s’infligeait des coups si sévères qu’il en tombait inconscient sur le sol. Cet exercice idiot, mené probablement pour parvenir à la maîtrise de soi, était considéré par ses co-religionnaires comme hautement méritoire et vu comme un acte surnaturel. Baha’u’llah affirme que Dieu est lassé de ces gens.

Dans l’un de ses ouvrages, Mirza Abu’l-Fadl, l’illustre érudit baha’i, a soigneusement retracé le déclin des fortunes de l’islam, en les attribuant à la montée du soufisme. Après avoir décrit l’immense contribution de l’islam à l’humanité dans des domaines de la connaissance comme la médecine, la science, les mathématiques et l’astronomie, il écrit:

«... Et tous les pays et toutes les cités de l’islam, d’est en ouest, furent illuminés de la lumière de la connaissance. Mais hélas, avant que les arbres nouvellement plantés du savoir et de l’éducation aient donné leurs fruits, l’épine de la piété grandit dans le jardin de cette brillante nation [l’islam]. Lorsque la maladie du soufisme, que l’on pourrait comparer à la paralysie et à la dégénérescence, afflige les organes sains d’une nation, sa joie, sa suprématie, son progrès et son influence disparaissent complètement. C’est cette maladie qui désormais s’en est pris à la nation de l’islam. Un grand nombre de gens, au nom de l’ascétisme et de la purification de soi, se sont engagés à l’excès dans la prière et la méditation (...) Bien qu’il soit admis, en toute impartialité, que quelques grands hommes soient apparus parmi ces gens et qu’à cause de leur piété authentique, les coeurs de quelques-uns aient été illuminés des splendeurs de la lumière de la vérité, cependant, comme la grande majorité n’étaient des adorateurs que de leurs propres désirs égoïstes plutôt que de Dieu, qu’ils ne cherchaient qu’à obtenir l’autorité sur les autres au lieu de la foi, ils inventèrent souvent de fausses dévotions et introduisirent des expressions étrangères aux principes de la religion. Par leurs nombreux actes de tromperie, ils réussirent à tourner vers eux-mêmes le coeur des rois et des dirigeants. En conséquence, l’énergie que les rois consacraient à diffuser la science s’affaiblit, et la propagation de la connaissance fut remplacée par l’adoration portée à des théologiens. Les lumières du savoir commencèrent à lentement diminuer et à la place, l’ombre du soufisme s’étendit.» (r37)


CHAPITRE 2: Mathnaviy-i-Mubarak

Le Mathnavi est l’une des plus belles oeuvres que Baha’u’llah a révélées à Constantinople. C’est un chef-d’oeuvre de la poésie persane, remarquable par la beauté et la puissance de sa composition ; il est acclamé comme l’un de ses poèmes les plus émouvants. Aucune plume ne peut adéquatement décrire le contenu de cette grande oeuvre, même dans la langue d’origine. Car chacun de ses trois cents vers est un livre en soi, avec une intensité infinie et de profondes significations. Tel un océan qui jaillit par une toute petite résurgence, Baha’u’llah révèle, avec une puissance qui submerge l’âme, une infime mesure de la gloire et du pouvoir de Dieu et octroie à l’humanité un reflet de sa révélation divine. La connaissance qu’il accorde à celui qui a le coeur pur, les mystères qu’il dévoile à l’âme sincère, l’intuition qu’il confère à celui qui cherche, la sagesse qu’il dispense au sage, ainsi que les conseils et les exhortations qu’il donne à ses bien-aimés, voici tout ce qui ressort de ce divin poème comme le sommet que l’homme peut espérer atteindre.

Dans ce poème, et dans les limites d’un monde fini, Baha’u’llah a dévoilé les mystères d’une révélation vaste et sans limites, divulgué certaines des réalités du monde de l’homme et indiqué la façon dont celui-ci peut parvenir au sommet de la gloire. Certaines de ses exhortations dans cette oeuvre sont de la même veine que celles des Paroles Cachées.

Baha’u’llah s’est identifié dans ce poème à l’Etoile de la vérité qui rayonne sur toutes choses créées. Tout comme le soleil physique est la cause première de la vie sur cette planète, ainsi la Manifestation suprême de Dieu est la source de la vie spirituelle pour toute l’humanité. Il libère les énergies spirituelles dans le monde humain qui fait que l’homme progresse et grandit.

Dans l’une de ses Épîtres (r1), Baha’u’llah déclare que le but principal de la révélation divine n’est pas simplement de changer des lois dans la société humaine, ni de dispenser la connaissance. Son dessein est plutôt de déverser les bénédictions célestes afin qu’au moment de la révélation divine, toutes choses créées puissent devenir les instruments de la grâce de Dieu et acquérir de nouvelles capacités.

Lorsque le Mathnavi fut révélé, la nouvelle de la déclaration de Baha’u’llah, et sa signification, n’avait pas été totalement communiquée à la communauté babie. Par conséquent, Baha’u’llah s’invite dans ce poème à déchirer les voiles et à laisser le soleil de sa révélation se lever dans toute sa splendeur. Dans un autre passage, il se propose de jeter sur ce monde obscur une mesure de sa lumière, d’ouvrir les portes de la connaissance de Dieu à l’humanité, et de faire passer sur les morts spirituels les effluves chargés de musc de sa miséricorde, afin qu’ils puissent, du sépulcre de leur ignorance et de leur insouciance, revenir à la vie.

En faisant allusion à la diffusion de la lumière de sa Foi au monde occidental, Baha’u’llah fait là une remarquable déclaration. Il presse l’esprit de Dieu en son for intérieur de dévoiler sa gloire afin que le Soleil puisse se lever à l’Ouest. Ailleurs dans ses Écrits, Baha’u’llah a prophétisé que bien que la cause de Dieu soit née en Orient, son influence apparaîtra en Occident. (n39)

Dans le Mathnavi, Baha’u’llah décrit sa venue comme l’avènement du Jour de Dieu et l’apparition du printemps. Dans nombre de ses Épîtres, il fait allusion à ce thème. Tout comme le printemps physique confère une vie nouvelle à toute la création en ce monde, ainsi la révélation de Baha’u’llah permet au coeur des hommes de s’emplir de son amour et de manifester les fruits les plus nobles des vertus et des perfections. Ces qualités célestes démontrées par le croyant ne trouvent pas leur origine en lui. Sans la lumière du soleil, l’oeil est un instrument inutile et la graine un organisme impuissant. De même, si ce n’était pour l’apparition de la Manifestation de Dieu, aucun homme ne pourrait jamais parvenir à la noblesse et à la droiture. C’est par le rayonnement de ces Soleils de vérité que l’humanité a progressivement été amenée de l’obscurité vers la lumière.

Que l’homme en soi soit une manifestation de Dieu, constitue l’un des thèmes du Mathnavi, qu’en son sein sont déposés les pouvoirs et les attributs de Dieu et que la lumière de Dieu se reflète en lui. Cependant, il est séparé de ces bénédictions par un voile et dépense les heures précieuses de sa vie dans l’inconscience des forces exaltées latentes en lui. Baha’u’llah avertit que, tant que l’homme ne fait pas d’effort pour purifier son coeur, ces qualités et ces attributs ne pourront se manifester en lui. Dans Les Paroles Cachées, s’exprimant avec la voix de Dieu, Baha’u’llah affirme:

«Ô Fils de l’existence !
Tu es ma lampe et ma lumière est en toi. Puise en elle ton éclat et ne cherche nul autre que moi. Car je t’ai créé riche, et, généreusement, sur toi j’ai répandu ma grâce.» (r2)

Baha’u’llah enseigne dans le Mathnavi que l’homme ne sera pas capable de recevoir la lumière de Dieu en ce jour à moins qu’il n’acquière un oeil nouveau. Les yeux fixés sur les choses de ce monde, ne peuvent jamais voir la gloire de sa révélation, et les oreilles attentives aux voix des impies, ne peuvent entendre les mélodies du Royaume. Par «yeux nouveaux» et «oreilles nouvelles», il veut dire les yeux et les oreilles spirituels. Il affirme que, puisque l’oeil de l’esprit reçoit sa lumière de Dieu, c’est une honte que de le tourner vers un étranger. Il réitère que le dessein de Dieu, en créant l’oeil intérieur, est de donner à l’homme la capacité de contempler la beauté de sa Manifestation en ce monde. Dans Les Paroles Cachées, Baha’u’llah révèle:


«Ô Fils de poussière !
Rends-toi aveugle et tu contempleras ma beauté, bouche-toi les oreilles et tu entendras la douce mélodie de ma voix, vide-toi de toute connaissance et tu participeras à mon savoir, dépouille-toi des richesses et tu auras une part durable de l’océan de ma richesse éternelle. Cela signifie: rends-toi aveugle à ce qui n’est pas ma beauté, bouche-toi les oreilles à ce qui n’est pas ma parole, vide-toi de ce qui n’est pas connaissance de moi, et entre, le regard clair, le coeur pur et l’oreille attentive, dans la cour de ma sainteté.» (r3)

Dans une épître (r4), il affirme que si l’oeil d’un observateur devait être aussi grand que l’univers et se tourner pour un moment vers quelqu’un d’autre que lui, cette personne ne serait pas digne d’arriver en sa présence. Nous pouvons faire cas de cette déclaration de Baha’u’llah si nous méditons sur l’homme qui recherche l’illumination à partir d’une bougie alors que le soleil brille à son zénith.

Dans une autre épître (r5), Baha’u’llah explique que ce jour est le Jour de Dieu, et rien d’autre n’est digne d’être mentionné. Plus loin, il déclare que c’est le jour des yeux, des oreilles et du coeur. Il invite ses bien-aimés à essayer de les acquérir tous trois, et il leur rappelle que seul un petit obstacle peut empêcher les yeux de voir, les oreilles d’entendre et le coeur de comprendre.

Les voiles qui s’immiscent entre l’oeil intérieur de l’âme et la Manifestation de Dieu, proviennent tous du monde de l’homme. Un grand nombre de gens dans le monde aujourd’hui sont cependant incapables de voir la gloire de Baha’u’llah, la Manifestation suprême de Dieu, car ils ont enveloppé leur coeur dans de nombreux voiles. L’un des voiles les plus cruels, c’est celui de la tradition. Les hommes naissent dans une tradition, et ils sont enclins à en rester prisonniers pour la vie. L’histoire montre que lorsque Dieu s’est manifesté et a introduit de nouveaux critères et de nouveaux enseignements à l’humanité, ces hommes ont suivi leurs pères, leurs chefs religieux et leurs compatriotes pour dénoncer la nouvelle Manifestation de Dieu. Le meilleur exemple, c’est la venue du Christ, où seule une poignée de gens l’ont reconnu, tandis que le reste, qui était esclave de la tradition, a rejeté sa Cause. L’un des enseignements les plus importants de Baha’u’llah est que l’homme ne devrait pas imiter ses semblables sur des questions de foi, qu’il devrait mener une recherche libre de la vérité et ouvrir son oeil intérieur pour contempler la gloire de la nouvelle Foi de Dieu en ce jour.

Un autre voile sérieux qui a empêché les gens de reconnaître la Manifestation de Dieu, c’est celui de la connaissance. Les hommes qui possèdent la connaissance deviennent souvent orgueilleux, parfois sans le comprendre, et ils ferment leurs yeux à la vérité. C’est l’un de ces «voiles de gloire» - dont parle l’islam et auquel Baha’u’llah fait allusion dans nombre de ses Écrits, y compris le Kitab-i-Iqan - par lequel l’un des attributs élevés de Dieu devient une barrière. (n40) Bien que la connaissance soit un attribut digne d’être acquis par l’homme et que Baha’u’llah, comme Muhammad, a enjoint à ses disciples de l’obtenir, elle devient cependant un «voile de gloire» si par elle, l’homme est rendu vaniteux et égoïste.

Dans les premiers jours de la Foi, un riche notable de Kashan était parti avec sa famille en pèlerinage vers les villes de Najaf et de Karbila. Les circonstances l’avaient obligé à engager un conducteur de caravane babi du nom de Hashim Khan pour transporter ses gens vers ces destinations et en revenir. La raison de sa répugnance à voyager en compagnie de Hashim Khan, en dépit du fait qu’il était le conducteur de caravane le plus fiable de la région, c’était qu’il était babi. Hashim Khan était grand et fort. Il était peu éduqué cependant son coeur fut touché par la lumière de la nouvelle foi de Dieu. En conséquence, il était doué du don de compréhension et il était capable de convaincre les gens, à sa manière simple, de la vérité de la Cause qu’il avait épousée. On le surnommait habituellement Hashim Babi. Le marchand et sa famille ignorèrent Hashim pendant tout le voyage. Ils ne voulaient pas connaître un homme qui, dans leur jugement, avait embrassé une foi hérétique. Au cours de ces longs voyages, le groupe devait s’arrêter deux ou trois fois par jour afin de reposer et nourrir les animaux. À l’occasion de l’une de ces haltes, le marchand décida de parler à Hashim afin de tenter de le guider pour qu’il revienne au bercail. Alors il l’appela à venir rejoindre les autres. Après l’avoir remercié de ses services et de ses soins désintéressés, il commença à converser avec Hashim et il fit cette remarque: «Comment cela se fait-il qu’avec tout mon savoir, je ne sois pas parvenu à apprécier la validité du message du Bab, tandis que vous, une personne presque illettrée, proclame avoir reconnu la véracité de sa mission ?»

Hashim prit une poignée de sable dans sa main et dit: «Les gens comme moi n’ont aucun mérite dans la société. Ils sont comme le sable dans le désert qui n’a aucune valeur. Pourtant, lorsque le soleil se lève le matin, c’est ce sable qui est le premier à être éclairé par ses rayons. Un homme éduqué, cependant, est semblable à un joyau précieux. Il est conservé dans un écrin et enfermé dans une salle, et lorsque le soleil se lève, il reste dans l’obscurité.» Le marchand fut touché par cette réponse. Il continua à apprendre de Hashim tout au long du retour, jusqu’à ce que les voiles qui obscurcissaient sa vision disparaissent et que le joyau de son coeur soit illuminé par le rayonnement de la nouvelle foi de Dieu. Cette réponse simple de Hashim est en fait très profonde. Tandis qu’elle exalte le rang de la connaissance, elle montre que lorsque le Soleil de vérité apparaît dans le monde, les érudits doivent faire un effort pour ouvrir leur coeur et leur âme à ses rayons et en être illuminés.

D’autres voiles qui empêchent les gens d’embrasser la nouvelle foi de Dieu, sont les préjugés de toutes sortes, le matérialisme, la richesse, le pouvoir et de nombreux autres qui ont entouré la société humaine d’aujourd’hui et l’ont plongé dans un état de ténèbres et de dénuement absolus.

* LE DETACHEMENT :

Dans le Mathnavi, Baha’u’llah parle de la puissance de sa révélation et affirme que, par son intermédiaire, l’homme peut atteindre les plus hauts sommets de vertu et de spiritualité. Il invite ses bien-aimés à s’efforcer de parvenir à ce rang en se tournant vers lui, le coeur pur et avec dévotion, et ensuite en se détachant eux-mêmes des choses terrestres. Dans nombre de ses Épîtres, Baha’u’llah a déclaré que la plus grande réussite de l’homme consiste en le détachement de tout sauf de Dieu. L’âme peut acquérir la foi et le progrès vers Dieu à la mesure de son détachement de ce monde. Mais la notion de détachement est souvent mal comprise et est interprétée comme un renoncement au monde. De nombreuses sectes et groupes de gens sont enclins à se retirer dans des monastères ou des institutions similaires, en croyant que cette pratique améliorera leur statut spirituel. Les enseignements de Baha’u’llah sont catégoriquement contre. Par exemple, dans sa deuxième Épître à Napoléon III, Baha’u’llah s’adresse aux moines en ces termes:

Ô assemblée de moines, ne vous confinez pas dans des cloîtres et dans des églises. Avec ma permission, quittez-les et consacrez-vous à ce qui sera profitable à vos âmes et à celles des hommes. Ainsi vous l’ordonne le Roi du jour du règlement. Retirez-vous dans la forteresse de mon amour. C’est assurément la retraite qui vous convient, si vous pouviez vous en rendre compte. Celui qui s’enferme dans une maison est vraiment comme un mort. Il appartient à l’homme de faire connaître ce qui est utile à toutes les créatures, et celui qui ne produit pas de fruit est bon à jeter au feu. (r6)

L’homme peut posséder toutes les bonnes choses de la terre, vivre dans le luxe et cependant être détaché des choses terrestres. (n41) Dieu a créé ce monde et tout ce qu’il contient pour l’usage de l’homme et son plaisir, pourvu qu’il vive selon les enseignements de Dieu.

Baha’u’llah, dans l’une de ses Épîtres (r7), mentionne que ce monde est empli de bénédictions matérielles provenant de Dieu, que toutes les choses, belles et bonnes, sont des manifestations de ses attributs et que les posséder n’est pas de l’attachement. Il avertit, cependant, que les choses de ce monde sont toutes transitoires et que l’homme ne devrait pas fixer son affection sur elles, ni s’autoriser à être possédé par elles. Dans la même épître, Baha’u’llah explique le sens de l’attachement au monde comme étant l’attachement à ceux qui l’ont renié et se sont détournés de sa Cause. Dans une autre Épître (r8), Baha’u’llah déclare qu’il y a trois barrières entre Dieu et l’homme. Il exhorte les croyants à les franchir afin qu’ils puissent parvenir en sa présence. La première, dont nous venons de parler, c’est l’attachement à ce monde mortel. La deuxième est l’attachement à l’autre monde et à tout ce qui est destiné à l’homme dans la vie de l’au-delà. La troisième consiste en l’attachement au «Royaume des noms».

Pour comprendre le sens de la deuxième barrière, souvenons-nous que le but de la vie est de connaître et d’adorer Dieu. L’une des traditions de l’islam affirme qu’au début, Dieu était un trésor caché. Parce qu’il désirait être découvert et reconnu, il créa l’homme. Et l’homme, par l’effort et l’instinct spirituel, a réussi à découvrir Dieu. Grâce aux pouvoirs et aux attributs dont Dieu l’avait doté, ainsi que par la lumière que ses Manifestations ont jetée sur son sentier, il a pu connaître son Créateur (n42) et le vénérer. Baha’u’llah déclare dans Les Paroles Cachées:

«Ô Fils de l’homme !
J’ai aimé ta création, aussi t’ai-je créé. Aime-moi donc afin que je mentionne ton nom et que, de l’esprit de vie, j’emplisse ton âme.» (r9)

Et dans une prière que Baha’u’llah révéla pour être récitée par ses disciples, il écrit: «Ô mon Dieu, je témoigne, que tu m’as créé pour te connaître et pour t’adorer...» (n43) (r10).

Voici par conséquent le but de la création. Les actes de l’homme sont dignes de louange aux yeux de Dieu lorsqu’ils sont faits uniquement par amour pour lui et pour aucune autre raison. Baha’u’llah en atteste dans le Kitab-i-Aqdas: «Observez mes commandements pour l’amour de ma beauté.» (r11) Si la motivation de l’homme derrière ses actions, consiste en l’obtention d’une récompense pour lui-même dans l’autre monde, alors c’est de l’attachement. Être détaché signifie tout faire pour l’amour de Dieu et ne rechercher aucune récompense.

Quel contraste entre cette attitude et celle qui prévaut dans la société humaine à l’heure actuelle, où presque chaque action est conçue pour rapporter quelque récompense à l’individu. Cette attitude d’opportunisme et d’intérêt personnel a tellement conditionné l’esprit de l’homme aujourd’hui que même dans des questions spirituelles comme la foi et la croyance en Dieu, l’homme recherche souvent quelque chose qui satisfera principalement ses propres besoins. Nombreux sont les gens de nos jours qui rejoignent une religion ou une autre dans l’espoir de recevoir quelque aide spirituelle ou d’autres bénéfices tels que la paix de l’esprit ou le salut. Ce ne sont pas de justes motivations pour suivre une religion. Car l’histoire de chaque religion est écrite dans le langage de l’amour. Un véritable amant n’a pas de motivations cachées ou d’intérêt personnel, mais seulement un amour passionné pour sa bien-aimée. Le premier devoir de l’homme est de reconnaître et d’aimer la Manifestation de Dieu et ensuite de la suivre, car elle seule dans toute la création mérite d’être glorifiée et exaltée, elle seule est digne de louange et de vénération.

L’être humain, à cause de sa nature animale, est égoïste. L’instinct de survie le conduit à trouver nourriture, vêtements et autres nécessités de la vie. Puis, il recherche la sécurité, la richesse, le pouvoir et autres possessions similaires. Tout ceci, ainsi que ses poursuites intellectuelles, émotionnelles et spirituelles, tourne autour de son propre moi et est destiné à servir son bien-être, sa prospérité et son bonheur. Il est toujours à la recherche de choses à ajouter à la liste de ses biens aussi longtemps qu’il peut en tirer quelque profit.

Lorsque l’homme rencontre la foi de Dieu et reconnaît sa gloire, il a tendance à l’ajouter, de la manière habituelle, à ses autres trésors. Il met sa religion sur un pied d’égalité avec ses autres intérêts et il s’attend égoïstement à en tirer profit tout comme il le fait avec ses autres possessions. Il veut que la foi de Dieu le serve et lui apporte joie et satisfaction. Ce concept et cette pratique sont de l’attachement au monde et vont contre la loi de la création. Car Dieu n’a pas donné sa révélation pour qu’elle puisse satisfaire les intérêts égoïstes de l’être humain. Au contraire, on attend de l’homme qu’il puisse organiser sa vie de façon à servir et à graviter autour de la révélation divine. Si l’individu suit la cause de Dieu de manière altruiste et avec une pureté d’intention, sa vie sera si bénie que les pouvoirs et les attributs de Dieu se révèleront en son âme. Alors que s’il recherche ces attributs pour gratifier son propre ego, cette motivation fera en sorte qu’il soit privé de ce déversement sur lui de la grâce et de la bonté de Dieu.

En ce jour où ceux qui ont complètement reconnu le rang de Baha’u’llah, et qui sont doués du don de la véritable compréhension, ont embrassé sa Foi non pas parce qu’ils ont découvert qu’elle leur apporterait le bonheur, résoudrait leurs problèmes personnels, dissiperait leurs afflictions et enrichirait leur vie spirituelle, mais plutôt parce qu’ils ont reconnu que Baha’u’llah est la Manifestation de Dieu pour cet âge et qu’ils ont été attirés vers lui comme l’acier est attiré par un aimant. Leurs yeux ont été éblouis par la gloire de sa révélation et leur coeur saisi par la puissance de sa Parole. Ils savent que la Cause qu’il a révélée est exaltée au-dessus de toute création et que l’homme a été appelé à l’existence principalement pour la servir. Cette motivation, et elle seule, devrait être à l’origine de l’adhésion à la foi de Dieu.

Lorsque le croyant se tourne avec un amour véritable vers la Manifestation de Dieu, il ne peut s’empêcher de laisser de côté ses propres intérêts et désirs et ne rechercher que le bon plaisir de son Seigneur. En agissant cependant ainsi, il recevra les vertus et les pouvoirs célestes comme des produits dérivés de son amour pour la Manifestation de Dieu et de sa soumission envers elle. En effet, il est vrai de dire que les seules personnes qui éprouvent un bonheur réel et acquièrent les vertus divines au plus haut point, sont celles qui, sans intérêt personnel, reconnaissent et suivent la Manifestation de Dieu et sont détachées des récompenses de cette vie et de la vie après.

Mirza ‘Azizu’llah-i-Misbah était l’un des grands érudits de la Foi. Sa vie et son savoir ont éclairé d’un lustre impérissable les annales de la Cause au cours des ministères de ‘Abdu’l-Baha et de Shoghi Effendi. Dans son recueil de méditations - qui sont comme autant de gemmes - nous trouvons cette phrase courte mais pourtant profonde:

«Celui qui cherche la récompense pour ses actes recevra le Jardin de paradis ; et celui qui cherche Dieu n’a pas besoin de paradis.» (r12)

La troisième barrière que Baha’u’llah mentionne est l’attachement au «Royaume des noms». Dans ses Écrits, il y a de nombreuses allusions à ce royaume. Par exemple, dans une épître, Baha’u’llah affirme:

«La Plume du Très-Haut ne cesse d’appeler, et cependant combien peu sont ceux qui prêtent l’oreille à sa voix ! Les habitants du royaume des noms se sont accrochés à l’aspect agréable du monde, oubliant combien ses couleurs ne sont qu’éphémères pour tout homme qui a des yeux pour voir et des oreilles pour entendre.» (r13)

Dieu, dans son essence, est exalté au-dessus des attributs. Cependant, dans tous ses royaumes et au sein de chacun de ses mondes, à la fois spirituel et physique, il révèle le royaume de ses attributs. Chaque chose créée manifeste les noms et les attributs de Dieu. Dans le monde spirituel, ces attributs sont évidents avec une telle intensité que l’homme ne sera jamais capable de les saisir dans sa vie. Dans le monde humain, cependant, ces attributs apparaissent au sein du «Royaume des noms» et l’homme s’attache souvent à ces noms.

Dans la Lawh-i-Nasir, (n44) (r14) parlant avec la voix de Dieu, Baha’u’llah déclare qu’un nom, tiré de ses noms qu’il avait créés avec une Parole et dans lequel il avait insufflé une nouvelle vie, se leva contre lui et s’opposa à son autorité. À cause de l’attachement à ce nom, il attesta que certaines personnes du Bayan rejetèrent sa Cause et se privèrent de sa gloire. Ici, Baha’u’llah fait allusion au nom «Azal», (n45) le titre de Mirza Yahya. En effet, ce nom, qui est l’un des attributs de Dieu, devint une barrière pour nombre de gens qui aveuglément le suivirent à cause de leur attachement à un titre exalté. Mirza Yahya lui-même était égaré aussi par ce nom. Il vanta ses vertus et y resta attaché jusqu’à la fin de ses jours.

Dans beaucoup de ses Épîtres, Baha’u’llah exhorte ses disciples à ne pas devenir les esclaves du Royaume des noms. Un proverbe musulman bien connu qui affirme: «Les Noms descendent du ciel», a de nombreuses significations. Dans ce monde, chacun des attributs de Dieu est revêtu d’un nom, et chacun de ces noms révèle les caractéristiques de son attribut. Par exemple, la générosité est un attribut de Dieu et elle se manifeste chez les êtres humains. Cependant, une personne qui a cet attribut, en tire souvent orgueil et aime à être citée comme généreuse. Lorsque cette générosité est reconnue par d’autres, cette personne devient heureuse, et lorsque cette qualité est ignorée, elle en est malheureuse. C’est l’une des formes d’attachement au Royaume des noms. Bien que cet exemple ne concerne que le nom «générosité», il en va de même pour tous les noms et attributs de Dieu manifestés au sein de l’individu. Habituellement, l’homme impute ces attributs à sa propre personne plutôt qu’à Dieu et les emploie pour exalter son propre ego. Par exemple, un homme érudit utilise l’attribut de la connaissance pour devenir célèbre et se sent gratifié et élevé lorsque son nom est mentionné partout. Ou bien il y a l’individu dont le coeur saute de fierté et de satisfaction lorsqu’il entend citer son nom et se trouve lui-même être admiré. Ce sont des exemples d’attachement au Royaume des noms.

La société humaine actuelle exerce une influence pernicieuse sur l’âme de l’homme. Au lieu de lui permettre de vivre une vie de service et de sacrifice, elle lui enseigne de tirer orgueil de ses accomplissements. Depuis la plus tendre enfance, il est entraîné à développer son ego et à chercher à s’exalter au-dessus des autres. Son but ultime est d’atteindre la suffisance, le succès et le pouvoir.

La révélation de Baha’u’llah vise à inverser ce processus. L’âme de l’homme a besoin d’être parée des vertus de l’humilité et de l’effacement de soi afin qu’elle puisse se détacher du Royaume des noms.

‘Abdu’l-Baha, le véritable Exemple des enseignements de Baha’u’llah, manifesta cette forme de détachement par ses actes. Tout au long de sa vie, il ne souhaita jamais exalter son nom pas plus qu’il ne rechercha la publicité pour lui-même. Par exemple, il détestait être photographié. Il disait: «... avoir une photo de soi, c’est mettre en avant la personnalité...» (r15) Pendant les quelques premiers jours de sa visite à Londres, il refusa d’être photographié. Cependant, à la suite de l’intense pression des journalistes et des demandes insistantes de la part des amis de faire son portrait, ‘Abdu’l-Baha accepta afin de les rendre heureux.

Les titres exaltés qui lui furent conférés par Baha’u’llah, indiquaient bien le rang élevé de ‘Abdu’l-Baha. Cependant, ‘Abdu’l-Baha ne se les appliqua jamais. À la place, après l’ascension de Baha’u’llah, il prit le titre de ‘Abdu’l-Baha (Serviteur de Baha) et pressa les croyants à ne l’appeler que par ce nom. La véritable servitude au seuil de Baha’u’llah était tout ce qu’il prisait. Voici quelques-unes de ses paroles alors qu’il décrit, avec l’effacement de soi le plus absolu, la réalité de son rang:

«Mon nom est ‘Abdu’l-Baha. Ma qualification est ‘Abdu’l-Baha. Ma réalité est ‘Abdu’l-Baha. Ma louange est ‘Abdu’l-Baha. L’assujettissement à la Beauté bénie (n46) est mon diadème glorieux et resplendissant et la servitude à tout le genre humain, ma religion perpétuelle (...) Aucun nom, aucun titre, aucune mention, aucun prix n’ai-je, ni n’aurai-je, si ce n’est celui de ‘Abdu’l-Baha. Tel est mon plus cher désir. Tel est mon souhait le plus grand. C’est ma vie éternelle. C’est mon immortelle gloire.» (r16)

L’une des caractéristiques remarquables de l’embryon de l’ordre mondial de Baha’u’llah, est qu’il n’abrite pas de personnalités égotiques. Baha’u’llah a conféré l’autorité à ses institutions, qu’elles soient locales, nationales ou internationales. Mais les individus qui ont le privilège d’y servir sont dénués de toute autorité. À la différence des hommes qui détiennent le pouvoir dans le monde de nos jours et qui cherchent à acquérir la célébrité et la popularité, les membres des institutions baha’ies ne peuvent que manifester de l’humilité et de l’effacement de soi s’ils veulent rester fidèles à Baha’u’llah. Ceux qui n’arrivent pas, par immaturité ou par manque de foi, à vivre selon ces normes, sont en effet attachés au Royaume des noms et sont privés des bénédictions de Dieu en cet âge.

Se détacher du Royaume des noms peut s’avérer être la tâche la plus difficile pour un baha’i et la lutte peut en effet durer toute une vie. Si un homme pouvait seulement comprendre que ses vertus ne sont pas intrinsèquement les siennes, mais qu’elles sont plutôt les manifestations des attributs de Dieu, alors il serait délivré du Royaume des noms et il deviendrait vraiment humble. Un tel homme accordera des perfections divines au monde de l’humanité. C’est le rang le plus élevé que Dieu ait destiné à l’homme.

Certains des disciples de Baha’u’llah parvinrent à ce rang exalté d’où ils virent leurs vertus comme émanant des royaumes de Dieu et non pas d’eux-mêmes. Nabil-i-Akbar, (n47) était un de ceux-là. On pourrait le considérer comme l’un des plus érudits parmi les apôtres de Baha’u’llah. Haji Mirza Haydar-‘Ali a narré une rencontre à Qazvin où ce grand homme s’adressait à quelques-uns des croyants. Voici ce qu’il disait à propos de Nabil-i-Akbar:

«J’étais si enchanté par les causeries de ce grand Fadil (n48) que j’ai dû relater ses paroles lors de diverses réunions en de nombreuses occasions. Un trait de sa grandeur était que nul ne pouvait surpasser son extraordinaire pouvoir pour exposer et expliquer des questions. Par exemple, s’il le souhaitait, il pouvait prouver que l’eau était chaude et sèche et le feu, froid et mouillé, et personne n’était apte à le défier sur ce point. Pourtant, j’ai observé que, même lorsque l’océan de sa parole jaillissait et qu’il parlait avec une grande vigueur et une grande conviction, quelqu’un aurait-il remarqué une erreur qu’il avait faite dans son discours, ou bien s’il s’en rendait compte, immédiatement il aurait reconnu son ignorance et avoué sa méprise.
L’une de ses observations profondes et de poids, était que l’homme est naturellement impuissant, ignorant, faible, misérable et imparfait, tandis que toute la force, le pouvoir, la connaissance, la sagesse, l’ascendance, la vertu et la bonté proviennent de Dieu, louée soit sa gloire. Par conséquent, l’homme devrait en toutes circonstances, se considérer comme imparfait, ignorant et prisonnier de l’ego et de la passion. Il ne devrait pas se sentir déprimé ni blessé si les gens lui imputent ces caractéristiques qui, après tout, lui sont inhérentes. Au contraire, il devrait être heureux et leur en être reconnaissant, tandis qu’au même moment, il devrait se sentir déçu en lui-même, se réfugier en Dieu et demander protection par rapport à sa propre nature vile et avide.» (r17)

Des hommes comme ceux-ci sont réellement détachés du Royaume des noms. Nul doute qu’il s’agit de ces hommes à propos desquels Baha’u’llah écrit:

«Ô Shaykh, ce peuple a franchi le détroit des noms et dressé ses tentes sur les rives de la mer du renoncement. Il sacrifierait volontiers des myriades de vies, plutôt que de prononcer le mot attendu par ses ennemis. Il s’est attaché à ce qui plaît à Dieu, entièrement détaché et libéré des choses terrestres. Ces croyants ont préféré avoir la tête tranchée, plutôt que proférer une seule parole inconvenante.» (r18)

Ces réflexions de Nabil-i-Akbar sont totalement soutenues par les enseignements de Baha’u’llah. Nombre de prières baha’ies qu’il a révélées, regorgent de passages dans lesquels l’homme confesse sa faiblesse, son ignorance et sa pauvreté, et la puissance, la sagesse et la souveraineté de Dieu.

* LE VOILE DE L’EGO :

Il y a des passages dans le Mathnavi dans lequel Baha’u’llah exhorte l’homme à brûler tous les voiles qui s’interposent entre Dieu et lui. Alors, et seulement alors, il pourra contempler la beauté et la grandeur de son Seigneur. L’un de ces voiles est l’ego. Baha’u’llah invite les individus à allumer un feu en leur âme et à brûler toute trace du moi pour que le concept et le mot même «moi» puisse totalement disparaître de leur être. En effet, c’est là l’un des enseignements les plus profonds de Baha’u’llah. Lorsqu’une personne essaie de se glorifier, de célébrer son propre nom et aspire à devenir illustre, elle va droit, en fait, contre le plan de la création. Un tel individu empêche le flot des bénédictions de Dieu de venir à lui. Bien que l’on puisse le considérer comme une grande réussite, en réalité, il a manqué de remplir le but pour lequel il a été créé. Lorsqu’un homme parvient à la vraie grandeur, il reconnaît alors son impuissance, son indignité et sa faiblesse. Et lorsqu’il devient vraiment érudit, il découvre de manière authentique qu’il est ignorant. C’est alors qu’il peut manifester les attributs de Dieu présents en lui et les transmettre aux autres.

Nous trouvons parmi les méditations de ‘Azizu’llah Misbah les paroles suivantes qui démontrent l’exemple de sa propre vie de détachement et d’effacement de soi:

«Abandonner l’amour de soi et détruire toute trace d’ego, est une preuve que l’on a saisi le sens de l’existence et le but de la vie.» (r19)

«La différence entre la véritable connaissance et le savoir formel est que la première engendre la modestie et l’humilité dans l’âme ; la dernière mène insatiablement à rechercher la gloire et l’exaltation.» (r20)

Remarquables parmi ceux qui étaient parvenus au rang de la véritable connaissance, se trouvait Mirza Abu-Fadl, le grand érudit baha’i et l’un des apôtres de Baha’u’llah. (n49) Il était célèbre pour son vaste savoir, non seulement au sein de la communauté baha’ie mais dans tout l’Orient. Il était une autorité reconnue sur de nombreux sujets, y compris l’histoire et la philosophie divine ; il était un maître remarquable en littérature arabe et persane. Il fut une fois surnommé dans les cercles académiques en Egypte comme «Dieu de la plume, un pilier de l’histoire et la pierre angulaire de la connaissance et de la vertu.»

Le Dr. Habib Mu’ayyad, qui le connaissait personnellement, a beaucoup écrit dans ses mémoires concernant la grandeur de cet homme. En voici un extrait:

«Des gens lui [Mirza Abu’l-Fadl] demandèrent une fois comment il avait acquis cette vaste érudition et comment il était devenu le récipiendaire de cette connaissance donnée par Dieu. Il devint si mécontent envers ceux qui lui posaient ces questions, qu’il fit une remarque acerbe: «Qui est Abu’l-Fadl ! (n50) Qu’est-ce qu’Abu’l-Fadl ? Je ne suis qu’une goutte dans le vaste océan de l’école de Baha’u’llah. Si vous aussi, vous entrez dans la même école, vous deviendrez le maître d’Abu’l-Fadl. Si vous ne me croyez pas, allez à Gulpaygan (n51) voir ma parenté et alors vous comprendrez.» (r21)

L’histoire suivante nous donne un aperçu de sa grandeur. Dans les premières années de ce siècle, ‘Abdu’l-Baha envoya Mirza Abu’l-Fadl aux Etats-Unis d’Amérique pour enseigner et aider les croyants à s’approfondir dans la Foi. Après son retour, un certain nombre de pèlerins américains et lui étaient assis en présence de ‘Abdu’l-Baha à Acre. Les pèlerins commencèrent à faire l’éloge de Mirza Abu’l-Fadl pour l’assistance qu’il leur avait procurée, en disant qu’il avait enseigné de nombreuses âmes, défendu la Cause de la manière la plus capable contre ses adversaires, et qu’il avait aidé à bâtir en Amérique une communauté baha’ie forte et dévouée. Alors qu’ils continuaient à se répandre en éloges prodigues sur lui, Mirza Abu’l-Fadl devint de plus en plus triste et abattu, jusqu’à ce qu’il fondit en larmes et pleura bruyamment. Les croyants furent surpris et n’arrivaient pas à le comprendre. Ils pensaient même qu’ils n’avaient pas fait assez sa louange !

Alors ‘Abdu’l-Baha expliqua qu’en le louant ainsi, ils l’avaient amèrement blessé, car il se considérait comme rien du tout dans la Cause et croyait avec une sincérité absolue qu’il n’était digne d’aucune mention ni d’éloge. (n52)


Mirza Abu’l-Fadl a vraiment montré l’exemple à suivre pour les baha’is, en ce sens que tout au long de sa vie baha’ie, il n’a jamais utilisé les mots «je» et «moi» pour s’attribuer quelque mérite.

* COURAGE ET SACRIFICE :

Dans le Mathnavi, Baha’u’llah parle de la grandeur de sa Cause et dans un langage incomparable, il décrit l’ardent désir des Prophètes du passé de parvenir en sa présence et prendre leur part de cette révélation. Dans ce poème, il chante les amants de sa Beauté qui sans hésiter sacrifient leur vie dans le sentier de Dieu, et les exhorte à ne jamais se détourner du champ du martyre.

Ceux qui reconnurent réellement le rang de Baha’u’llah, acceptèrent les persécutions et les souffrances pour son amour. Ils savaient qu’après avoir embrassé la foi de Dieu, leur vie serait en danger. En effet, lorsqu’ils quittèrent leurs maisons, ils n’étaient pas certains d’y jamais revenir. L’ennemi se tenait prêt à frapper quiconque était identifié avec la nouvelle Foi. Alors, ceux qui suivirent le Bab et Baha’u’llah dans les premiers temps, comprirent clairement qu’à n’importe quel moment, ils pouvaient être amenés à donner leur vie dans le sentier de Dieu. C’était leur épreuve de foi et la grande majorité d’entre eux restèrent fermes jusqu’à la fin.

Le récit suivant, décrivant la scène du martyre de l’un des tout premiers croyant, démontre cette foi.

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En voici un qui donna sa vie d’une façon si spectaculaire que nombreux étaient ceux qui, parmi la multitude des témoins amassés sur la place et venus pour railler la victime et se réjouir à la vue de son exécution, en furent émus jusqu’aux larmes. Même le coeur de ces hommes rudes qui avaient été désignés pour commettre cet acte de haine, en fut profondément ébranlé.

L’illustre héros qui parut sur cette scène tragique s’appelait ‘Ali-Akbar-i-Hakkak, un jeune homme beau et très charmant, originaire de Yazd, en Perse. Il était graveur de profession et un artisan hautement qualifié dans sa partie. Il était marié et avait un fils de quatre ans du nom de Habibu’llah. Dès que la nouvelle tragique du soulèvement de Nayriz parvint à Yazd, ‘Ali-Akbar partit immédiatement en voyage pour visiter le lieu historique où l’incomparable Vahid, avec son groupe de vaillants compagnons, avaient combattu et étaient tombés. À son retour à Yazd, il manifesta une telle joie spirituelle et déploya un zèle si submergeant dans le travail d’enseignement, que bientôt il fut dénoncé et catalogué comme «babi». Là-dessus, le gouverneur despotique le fit arrêter sur l’accusation d’hérésie et porta l’affaire à Téhéran en demandant des ordres.

Presque deux mois s’écoulèrent et aucune instruction ne vint de Téhéran. Par conséquent, on extorqua une amende au prisonnier et ensuite, il fut remis en liberté provisoire, à la condition de se mettre immédiatement à la disposition du gouverneur dès que le décret parviendrait.

Pas du tout troublé par le sort difficile qui l’attendait, ‘Ali-Akbar reprit son travail dans un esprit de résignation totale jusqu’à ce qu’un message, après un laps de temps de trois mois, arriva de Téhéran avec pour ordre de mettre à mort immédiatement toute personne qui s’avèrerait appartenir à la foi babie. Cet ordre odieux investissait le gouverneur des pleins pouvoirs pour mettre à exécution son dessein. En conséquence, tôt le matin du 15 juillet 1852, il envoya ses hommes arrêter ‘Ali-Akbar chez lui. Ayant ainsi fait, ils le conduisirent chez le gouverneur dans les casernes où ce dernier l’interrogea.

Bien que les gens de Yazd étaient imbibés de préjugés contre la nouvelle Foi et capables d’entrer dans une furie sauvage à la vue de quiconque identifié comme «babi», néanmoins ils admiraient ‘Ali-Akbar pour ses qualités rares et ses manières charmantes. De plus, sa réputation comme meilleur graveur lui avait gagné l’affection réelle de tous ceux qui l’avaient connu. Même le gouverneur et les fonctionnaires éprouvaient de la répugnance à le faire exécuter. Ils firent tout ce qui était en leur pouvoir pour lui faire prononcer un simple mot de reniement du bout des lèvres contre la nouvelle Foi et ainsi sauver sa propre vie. Ils utilisèrent nombre de paroles de persuasion, de menaces et de promesse, mais personne ne put inciter ce vaillant héros à renier, pas plus que la pompe et la puissance d’un potentat brutal ne poussa cet intrépide homme de Dieu à compromettre sa foi bien-aimée en faveur de cette vie transitoire et de ses vanités terrestres. Le gouverneur se mit en colère ; il ne pouvait tolérer quiconque osait défier son autorité et persistait dans ses propres idées.

Rendu furieux par la rage, le gouverneur convoqua son Farrash-bashi (son lieutenant principal) et lui ordonna de mettre à mort immédiatement ce babi réfractaire, en le faisant propulser de la bouche d’un canon. Cet ordre fut aussitôt transmis à la compagnie d’artillerie qui sortit son canon des cantonnements et le transporta vers la place publique voisine. Alors, le Farrash-bashi, accompagné du bourreau, mena la courageuse victime sur la place au milieu d’une foule de spectateurs.

Désireux de sauver ‘Ali-Akbar de son sort, le Farrash-bashi employa des moyens ingénieux d’intimidation et de tentation dans un effort vain pour briser son esprit et le faire abjurer son allégeance à la nouvelle Foi.

Le canon d’où il devait être éjecté était d’un vieux type qui se chargeait par la bouche, et le Farrash-bashi, sachant qu’il était encore à armer, eut l’idée de mettre en scène une fausse exécution dans l’espoir que la victime succomberait à l’effroi et à la terreur que cette épreuve provoquait habituellement. Par conséquent, faisant mine de se montrer cruel et sérieux, il aboya des ordres au bourreau de se dépêcher, de ligoter étroitement la victime à la bouche du canon et de la faire sauter sans plus de retard. Donc, ‘Ali-Akbar fut lié au canon et abandonné dans cette effrayante posture pendant un long moment au cours duquel les servants de la pièce continuaient d’aller et venir en courant en prétendant être en train de régler leur canon, comme s’ils étaient sur le point de faire feu.

Pendant tout ce temps, le Farrash-bashi regardait de près la victime, la pressant de renier. Cependant, il fut stupéfait de constater qu’au lieu d’être de plus en plus terrifié et tremblant, ‘Ali-Akbar avait gardé tout ce temps son calme et son endurance. Le Farrash-bashi comprit bientôt que l’intimidation n’avait pas pu provoquer ce qu’il avait espéré. Il courut vers l’artilleur, l’arrêta dans sa fausse tentative pour faire tirer le canon sans sa charge et il demanda au bourreau de libérer sa victime.

À ce moment-là (environ 11 heures du matin), l’ensemble de la place était entièrement recouverte d’une foule grouillante de spectateurs qui semblaient stupéfaits et abasourdis.

Dès que ‘Ali-Akbar eut ses liens défaits, le Farrash-bashi vint à lui en lui exprimant sa sympathie de manière affable. Il le conduisit ensuite vers une citerne publique adjacente, loin de la foule où il lui offrit de s’asseoir près de lui sur une petite plate-forme. Il raisonna très sérieusement avec ‘Ali-Akbar, le pressa et le persuada encore et encore de dénoncer la Foi et de sauver sa propre vie, mais ses efforts s’avérèrent un échec. Là, était assis ‘Ali-Akbar, solide comme un roc, inamovible et réfractaire à tout compromis, résistant à toute la force de ces pénibles épreuves. Alors que s’éternisaient ces moments douloureux, le Farrash-bashi commença à percevoir, avec une amère clarté, que rien ni quoi que ce soit ne pouvait inciter ce jeune homme invincible à renier. Consterné et déçu, il le ramena vers la scène de la mort et ordonna aux servants de la pièce de charger immédiatement leur canon. Pendant ce temps, il lui vint une nouvelle idée qui pourrait bien s’avérer efficace pour briser l’endurance de la victime. Il envoya ses hommes chercher la pauvre épouse de ‘Ali-Akbar et leur enfant, et les amener sur les lieux, ce qui constituait en effet une très forte et très provocante incitation. Après quelques instants, la malheureuse femme apparut dans un état de panique en tenant la main de leur enfant adoré qui semblait doux et mignon dans son plus bel habit.

Elle fit face à son mari et en pleurant amèrement, elle implora: «Viens prendre pitié de cet enfant !» «Que vais-je faire sans toi ?» sanglota-t-elle. Mais ‘Ali-Akbar ne répondit pas ; il leur tourna le dos. Encore une fois, la femme et l’enfant s’approchèrent et se tinrent devant lui. Elle se jeta à ses pieds, suppliant et implorant. Mais ‘Ali-Akbar resta silencieux et se détourna encore une fois d’eux. Alors le petit enfant courut vers son père et attrapant le pan de son vêtement, s’exclama: «Papa, papa, pourquoi est-ce que tu te détournes de moi ? Tu ne m’aimes plus ?»

Ces paroles, simples et poignantes, ont dû émouvoir ‘Ali-Akbar plus que toute autre chose. Peut-être qu’il ne pouvait le supporter, car il leva la tête vers les cieux dans un geste semblable à un appel passionné. C’était comme s’il disait: «Oh Dieu, je te conjure de m’épargner toute autre tentation.»

Ce tragique épisode avait atteint son paroxysme. Le moment était devenu si passionnant, si émouvant, que nombreux parmi les badauds furent touchés par le chagrin et la compassion. Même les yeux du Farrash-bashi étaient embués de larmes.

L’héroïque renonciation de soi et l’endurance surhumaine démontrée par ce vaillant martyr fracassa la dernière miette d’espoir que le Farrash-bashi entretenait en faisant en sorte que la victime abjure sa foi. Le sourcil bas, décontenancé, il décida de mettre fin à ce triste spectacle en mettant immédiatement à exécution l’ordre du gouverneur.

Donc, la victime fut bientôt ligotée une fois de plus à la bouche du canon, devant sa malheureuse femme et leur enfant. Dès que ceci fut fait, l’endroit fut dégagé de tous ceux qui s’y trouvaient, mais l’enfant refusa d’être écarté de son père. Il devint rétif et continua à pleurer et à implorer: «Emmenez-moi voir mon papa ! Laissez-moi aller le voir !»

L’horrible fin était désormais proche. Une sensation tendue avait saisi les âmes et un sentiment d’effroi et de crainte submergea toute la masse des gens sur la place.

Sur le signal acerbe du Farrash-bashi, l’artilleur alluma la charge explosive qui était conçue pour envoyer la victime haut dans le ciel, déchiquetée en pièces en une fraction de seconde. Mais à la profonde stupéfaction de tous, le canon s’enraya ! Encore et encore, la charge fut allumée mais le canon ne partait toujours pas ! Tout le monde semblait abasourdi et envoûté.

Le Farrash-bashi courut vers la victime et l’appelant par son nom, s’exclama: «Nous ne voulons pas que vous soyez tué ; il semblerait que Dieu ne le souhaite pas non plus. Maintenant, n’auriez-vous pas quelque compassion pour votre enfant ?» Mais il ne dit pas un mot, pas même lorsque sa femme et son enfant, frappés d’horreur, accoururent une fois de plus à ses côtés. Il resta plus calme et détaché que jamais.

Pendant ce temps, l’artilleur était occupé à la culasse à remplir la charge. Le Farrash-bashi s’arrêta un moment dans une attente sincère. Peut-être qu’il se laisserait aller désormais. Peut-être qu’il dirait un mot de reniement. Peut-être que quelque chose arriverait qui pourrait lui sauver la vie.

Cependant, pour l’esprit de ‘Ali-Akbar, un compromis était absolument inconcevable (...) L’âme désirait et aspirait à sacrifier sa cage chétive pour l’amour de son Seigneur et prendre son envol vers le séjour du Bien-aimé. À présent, l’occasion suprême s’était présentée (...) L’exemple inédit et prolongé de son endurance servait de plus en plus à mettre en relief le contraste frappant entre sa propre vision noble et le vil cadre de pensée du Farrash-bashi.

Loin d’être chagriné et abattu, quelle joie, quelle excitation et quel soulagement ressentit-il dans son âme lorsque le Farrash-bashi, dans son désespoir et son étonnement absolus, donna encore une fois le signal de la mise à feu.

Et cette fois-ci, dans un éclair d’une seconde, le corps de ‘Ali-Akbar, fut déchiqueté par l’énorme explosion de feu et de fumée, s’envola vers les cieux, puis retomba du ciel comme un essaim de minuscules météores, accompagné d’une pluie de gouttelettes pourpres, et dont les lambeaux furent éparpillés partout sur toute la place.

Le gouverneur ordonna que les fragments de son corps soient laissés exposés jusqu’au coucher du soleil, afin qu’ils puissent être piétinés par les hommes et les animaux.

Ce martyre tragique survint comme une coup écrasant pour l’ensemble des premiers croyants, en particulier pour son infortunée épouse. Son chagrin ne connut plus de bornes alors qu’elle continuait à pleurer, se lamenter et se frapper la tête. (r22)
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En contraste avec cet héroïsme, il y avait ceux qui avaient si peur d’être identifiés avec la Foi qu’ils auraient littéralement fui les disciples de Baha’u’llah.

Haji Muhammad-Tahir-i-Malmiri, dans son «History of the Faith in the Province of Yazd» (n53) [Histoire de la Foi dans la province de Yazd], ouvrage fort détaillé, a relaté cette intéressante histoire concernant un certain Siyyid Abu’l-Qasim-i-Bayda:

«Aqa Siyyid Abu’l-Qasim était marchand de profession et un poète doué. Son pseudonyme était Bayda [Brillant]. Il était un citoyen fort respecté qui avait l’habitude de fréquenter les marchands et les notables de la cité. C’était un fervent musulman, très sincère et honnête, petit-fils de Haji Mulla Rida, un Rawdih-Khan (un narrateur professionnel des tragédies de Karbila où fut martyrisé l’Imam Husayn) qui vivait dans le district de Malamir et il était un voisin de ce serviteur. (n54) Lorsque Siyyid Abu’l-Qasim voulut voir son grand-père, il devait passer par la maison de ce serviteur. Parce que notre maison était connue comme étant la maison des babis, il était si effrayé de s’en approcher qu’il avait pour habitude de courir à telle vitesse et de passer devant aussi rapidement que possible, afin de ne pas être touché par son influence impie. Finalement, cet homme embrassa la Foi, prit l’habitude d’assister aux réunions dans cette maison et souvent il parlait de ses premiers jours, en disant: "Chaque fois que je passais devant cette maison, tout mon être tremblait tellement que j’en étais troublé et secoué pendant toute la journée."» (r23)

Une histoire quelque peu similaire est relatée par Haji Mirza Haydar-‘Ali lorsqu’il résidait dans un khan (n55) avec quelques croyants dans une des cités de la Perse. Il décrit comment deux personnes frappèrent à sa porte la nuit par curiosité et pour en savoir plus sur les croyances des baha’is. Après quelques heures de discussion, l’une d’elle accepta la Foi. Voici l’histoire telle qu’il l’écrit:

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L’un d’eux embrassa la Foi. L’autre qui était resté dans le même khan prit le Kitab-i-Iqan dans sa chambre afin d’apprendre à propos de la Cause. Il me raconta l’histoire lui-même en ces termes:

«Dans la soirée, je m’assis et commençai à lire. Au bout d’un moment, je fus submergé par la peur au cas où quelqu’un entrerait et découvrirait que c’était là le livre des babis, (n56) alors ma vie et tous mes biens seraient emportés comme des fétus de paille. Alors je fermai la porte à clé et continuai à lire ce livre. Puis je me suis dit que, comme c’était tôt dans la soirée, si quelqu’un venait et découvrait que j’avais fermé à clé la chambre si tôt, il aurait pensé que, puisque vous autres étiez présents dans le khan, la raison pour laquelle ma porte était fermée, était que j’étais en train de lire le livre des babis. À ce moment-là, je décidai d’aller me coucher et dormir. Puis je commençai à réfléchir que si quiconque découvrait que j’étais aller au lit si tôt, on aurait été sûr que les babis m’avaient laissé leur livre et que par conséquent, j’étais allé au lit tôt afin que je puisse me lever plus tard dans la nuit pour le lire tranquillement. Pour être bref, j’emportai enfin ce livre à l’écurie et le posai dans la mangeoire. Je revins dans ma chambre et commençai à méditer, me demandant comment je pourrais lire ce livre malgré tout...»

À ce moment, il décida de lire le Coran et de prier. Il poursuit:

«Dans un état de désespoir, d’humilité et d’effacement de soi, je tournai mon coeur vers Dieu, le Savant, le Miséricordieux. Je le suppliais de me montrer le chemin vers le salut et de me donner l’eau de la vie. Soudain, la pensée me traversa l’esprit: j’étais angoissé, alarmé et tremblant de peur simplement parce que j’essayais de lire ou de conserver ce livre. Combien téméraire et intrépide avait dû être son Auteur, dont le coeur, la langue et la plume avaient amené ce livre à l’existence. Le produire était un miracle. Combien puissante est son influence pour qu’il ait empli le coeur de nombre de gens d’un tel courage et d’une telle force qu’ils en accueillaient le martyre.» (r24)
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Haji Mirza Haydar-‘Ali continue la description de la façon dont cet homme embrassa la Foi et acquit un tel courage que lorsqu’il avait le temps pendant ses heures de travail, il l’occupait à faire des copies du Kitab-i-Iqan en public et à enseigner ouvertement le peuple.

Ces incidents, courants à cette époque, illustrent clairement que les disciples du Bab et de Baha’u’llah n’entraient pas dans la Foi à cause de son caractère nouveau, ni pour quelque gain personnel ou de raison sensationnelle. Cette Cause a été baptisée dans le feu de l’adversité et du martyre et les âmes héroïques qui l’embrassèrent, avaient réellement reconnu sa gloire et furent transformées en une création nouvelle et merveilleuse.

Dans l’une de ses Épîtres (r25), Baha’u’llah explique que les persécutions amassées sur les croyants, l’opposition du clergé et la perversité des masses, tout cela servit à empêcher les âmes indignes d’entrer dans la cause de Dieu. Dans cette même épître, il invite ses disciples à estimer les bénédictions particulières de cette période unique au cours de laquelle quelques-uns seulement ont été élus. Car, lorsque sa Foi sera totalement établie dans le monde, déclare-t-il, les hommes sans mérite lui clameront leur allégeance.

Lorsque Baha’u’llah était à Bagdad, un certain Mirza Muhit-i-Kirmani, un Shaykhi qui était parvenu en la présence du Bab et dont l’attitude envers la Foi était celle de l’opposition cachée, envoya un message à Baha’u’llah par l’intermédiaire du Prince Kayvan Mirza. Il demanda une entrevue confidentielle avec Baha’u’llah tard dans la nuit, afin que personne, à l’exception du Prince, n’en sût quoi que ce soit. La raison avancée pour tout ce secret, était que si cette rencontre devait être rendue publique, la position de Mirza Muhit dans la communauté musulmane aurait été sapée. Baha’u’llah demanda au Prince de lui faire part de deux vers d’une ode qu’il avait composée alors dans le Kurdistan, exposant les conditions de ceux qui souhaitent prendre part à sa gloire. Voici ces vers:

«Si ton but est de chérir ta vie, n’approche pas de notre cour. Mais si le sacrifice est le désir de ton coeur, viens et laisse les autres venir avec toi. Car telle est la manière de la Foi, si dans ton coeur tu recherches la réunion avec Baha. Si tu refuses d’emprunter ce chemin, pourquoi nous importuner ? Va-t-en !
On rapporte que Baha’u’llah a dit ceci au Prince: "S’il le souhaite, il se hâtera ouvertement et sans réserve pour me rencontrer. Sinon, je refuse de le voir." (r26)
Lorsque Mirza Muhit entendit ces vers, il ne trouva pas le courage d’aller rencontrer Baha’u’llah. Quelques jours plus tard, il mourut.»

Baha’u’llah aborde plusieurs autres thèmes et révèle de nombreux mystères dans le Mathnavi qui s’étendent au-delà de la portée de cet ouvrage. En effet, ce poème émouvant est un merveilleux réceptacle de la sagesse divine, qu’il est impossible d’épuiser.


CHAPITRE 3: L’exil à Andrinople

Lorsque nous examinons les circonstances qui ont amené le Gouvernement ottoman à déporter Baha’u’llah de Bagdad, souvenons-nous du refus catégorique opposé par ce gouvernement de remettre Baha’u’llah aux mains des autorités persanes, ainsi que sa répugnance à le bannir de Bagdad. Lorsque ‘Abdu’l-Baha se trouvait dans le jardin de Ridvan avant son départ pour Constantinople, il écrivit une lettre à un parent en Perse, dans laquelle il disait qu’après avoir mis tant de pression sur le Gouvernement ottoman, l’ambassadeur de Perse Haji Mirza Husayn Khan conçut tant de ressentiment à cause de la Sublime Porte, qu’il coupa toute relation avec ses amis des cercles gouvernementaux. Il resta chez lui pendant sept jours et refusa de voir tout ministre du sultan. À la fin, ‘Ali Pasha, (n57) un de ses amis très proches, ne trouva pas d’autre alternative que celle de céder et d’ordonner le départ de Baha’u’llah de Bagdad.

Maintenant que Baha’u’llah se trouvait à Constantinople, l’ambassadeur de Perse tentait désespérément de le présenter sous un faux jour aux yeux des autorités et par là, assurer leur soutien pour le bannir en un lieu plus lointain. Le lendemain de l’arrivée de Baha’u’llah à Constantinople, l’ambassadeur envoya le Prince Shuja’u’d-Dawlih et Haji Mirza Hasan-i-Safa, les deux hommes les plus éminents de son entourage, pour rendre visite en son nom à Baha’u’llah. Il s’attendait à ce que Baha’u’llah retourne la visite et vienne le voir en personne, mais il découvrit bientôt que cela n’était pas près d’arriver. À cette époque, il était habituel pour des invités distingués du gouvernement, peu après leur arrivée dans la capitale, de rendre visite au Shaykhu’l-Islam, (n58) au Premier ministre et autres fonctionnaires de haut rang. C’était lors de ces visites que les gens sollicitaient toutes sortes de faveurs, concluaient des affaires et s’assuraient le soutien des autorités. Baha’u’llah refusa d’agir ainsi et ne retourna même pas les visites des quelques ministres du sultan qui étaient déjà venus lui rendre hommage.

Kamal Pasha et quelques autres allèrent jusqu’à lui rappeler cette coutume. Baha’u’llah répondit en affirmant qu’il était au courant de cette pratique mais qu’il n’avait pas de demande à faire à quiconque, ni qu’il ne sollicitait de faveurs de leur part. Par conséquent, il n’y avait aucune raison pour lui de retourner ces visites. Baha’u’llah y fait allusion dans la Suriy-i-Muluk en ces termes:

«Rappelle-toi ton arrivée dans la ville (Note, Constantinople), et comment les ministres du sultan, te jugeant étranger à tout ce qui constituait leurs lois et règlements, te jugèrent ignorant. Dis: En vérité, par mon Seigneur, je suis ignorant de toutes choses, à l’exception de celles qu’il a plu à Dieu, dans sa bonté, de m’enseigner. Cela, je l’atteste et le confesse sans aucune hésitation.»

«Dis: Si les lois et les règlements auxquels vous vous attachez sont votre oeuvre, nous ne nous y conformerons en aucune manière. Telles sont les instructions que nous avons reçues de celui qui est le Très-Sage, l’Omniscient. Telle fut dans le passé notre attitude et telle elle restera dans l’avenir, par le pouvoir de Dieu et sa puissance.» (r1)

Cette attitude de détachement fournit des armes à l’ambassadeur de Perse qui décida de présenter Baha’u’llah à la Sublime Porte comme quelqu’un d’arrogant et fier, qui se considère comme indépendant de toute loi. L’ambassadeur agit ainsi principalement sous l’influence de Haji Mirza Hasan-i-Safa. C’était un homme érudit qui avait beaucoup voyagé en Afrique et en Asie et vivait à Constantinople à l’époque où Haji Mirza Husayn Khan arriva comme ambassadeur. Il devint un ami intime de l’ambassadeur et était l’un de ses plus proches confidents. Haji Mirza Hasan était aussi une des figures éminentes parmi les soufis de Constantinople et il était hautement respecté dans les cercles gouvernementaux, car en ce temps-là, il y avait beaucoup de respect dans le pays pour les soufis.

Durant le séjour de Baha’u’llah à Constantinople, Haji Mirza Hasan lui rendit visite plus d’une fois. Il devint conscient du savoir inné de Baha’u’llah et lorsqu’il était en sa présence, il témoignait beaucoup de respect et d’humilité. Mais en dehors, il travaillait contre lui. Sachant que sa parole avait beaucoup de poids auprès de la Sublime Porte, l’ambassadeur de Perse utilisa Haji Mirza Hasan comme instrument pour faire circuler des rapports infondés au sein des autorités au sujet de la conduite de Baha’u’llah ainsi que sur ses aspirations. En effet, cet homme apportait une aide précieuse à l’ambassadeur dans sa campagne pour discréditer Baha’u’llah et sa Cause.

Finalement, les machinations de Mirza Husayn Khan portèrent leurs fruits. ‘Ali Pasha, le Premier ministre, présenta un rapport au sultan, l’informant de la requête du Gouvernement persan selon laquelle Baha’u’llah devait être banni soit à Boursa, soit à Andrinople. Il demanda au sultan d’approuver le bannissement à Andrinople et suggéra qu’une allocation de 5 000 qurush par mois soit accordée à Baha’u’llah pour sa subsistance, en ajoutant que, durant son séjour à Constantinople, il avait été un invité du gouvernement. Il inclut aussi la liste (n59) de tous ceux qui l’avaient accompagné de Bagdad à Constantinople.

Dès la réception de ce rapport, le sultan avalisa ces mesures et l’édit fut publié le lendemain. Shoghi Effendi a résumé les événements qui menèrent à un bannissement supplémentaire de Baha’u’llah, en ces termes:

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Un personnage aussi important que le très respecté beau-frère du Sadr-i-A‘zam fut chargé de faire connaître à l’Exilé l’édit prononcé contre lui, édit prouvant une coalition de fait des Gouvernements impériaux de Turquie et de Perse contre un adversaire commun, et qui entraîna, à la fin, des conséquences si tragiques pour le Sultanat, le Califat et la dynastie Qajar. Baha’u’llah lui ayant refusé audience, cet émissaire dut se contenter de présenter ses observations puériles et ses arguments futiles à ‘Abdu’l-Baha et à Aqay-i-Kalim, chargés de le recevoir ; il leur déclara qu’il reviendrait dans trois jours pour prendre la réponse à l’ordre qu’il venait de transmettre.

Ce même jour, Baha’u’llah révéla une Épître au ton sévèrement réprobateur et, le matin suivant, la confia sous enveloppe cachetée à Shamsi Big en lui enjoignant de la remettre à ‘Ali Pasha et de lui dire qu’elle venait de Dieu. «J’ignore ce que contenait cette lettre», raconta plus tard Shamsi Big à Aqay-i-Kalim, «mais à peine le Grand Vizir en eut-il pris connaissance qu’il devint pâle comme un mort et remarqua: "C’est comme si le Roi des rois donnait ses ordres à son roi-vassal le plus humble et lui dictait sa conduite." Il était dans un tel état de malaise que je sortis à reculons.» On rapporte que, commentant l’effet produit par cette Épître, Baha’u’llah déclara: «Quelles que soient les mesures prises contre nous par les ministres du sultan lorsqu’ils eurent pris connaissance de son contenu, elles ne peuvent être considérées comme injustifiables. Mais les actes qu’ils ont commis avant de l’examiner ne peuvent trouver leur justification.»

D’après Nabil, cette Épître était d’une longueur considérable. Elle débutait par des paroles adressées au souverain lui-même, elle censurait sévèrement ses ministres, et mettait en évidence leur défaut de maturité et leur incompétence. Elle contenait des passages adressés aux ministres eux-mêmes, dans lesquels ceux-ci étaient mis hardiment au défi et sévèrement exhortés à ne point tirer vanité de leurs possessions de ce monde, ni à rechercher étourdiment des richesses dont le temps les dépouillerait inexorablement.

Baha’u’llah était à la veille de son départ qui suivit presque immédiatement la promulgation de l’édit le bannissant lorsque, dans une dernière et mémorable entrevue avec Haji Mirza Hasan-i-Safa ci-dessus mentionné, il envoya le message suivant à l’ambassadeur de Perse: «Quel profit as-tu retiré, toi et tes pareils, en mettant à mort, d’année en année, tant d’opprimés, et en leur infligeant tant de tourments, alors qu’ils devenaient cent fois plus nombreux et que vous étiez en pleine confusion, ne sachant plus comment libérer vos esprits de cette pensée obsédante... Sa Cause transcende tous les plans que vous combinez, quels qu’ils soient. Sachez bien ceci: si tous les gouvernements de la terre s’unissaient et prenaient ma vie ainsi que celle de tous ceux qui portent ce Nom, ce Feu divin ne serait jamais éteint. Sa Cause va plutôt envelopper tous les rois de la terre, et même tout ce qui est créé d’eau et d’argile... Quel que soit ce qui doit encore nous atteindre, grand sera notre profit, et manifeste la perte qui les affligera.» (r2)
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La nuit précédant son départ pour Andrinople, Baha’u’llah ordonna à Nabil-i-A‘zam (n60) et Mirza Aqa, surnommé Munib, (n61) de voyager en Perse dans le but de propager les nouvelles de Baha’u’llah parmi les babis, de leur enseigner la Foi et les aider à reconnaître son rang. Entre autres personnes qu’il renvoya de sa présence ce soir-là, se trouvaient Aqa Muhammad-Baqir-i-Kashani, Khayyat-Bashiy-i-Kashani, Aqa Husayn-i-Naraqi, Mir Muhammad-i-Mukari, (n62) et Aqa Siyyid Husayn-i-Kashani. Ce dernier possédait un grand sens de l’humour et il avait parfois l’habitude de venir en présence de Baha’u’llah et de le faire rire avec quelque remarque amusante.

Ce soir-là fut témoin d’un grand bouleversement. À la pensée d’être séparés de leur Bien-aimé, ils furent plongés dans un tel chagrin, que tous les compagnons de Baha’u’llah en furent émus aux larmes. Conscient de la nécessité vitale d’un relais à Constantinople pour servir de canal de communication avec les croyants en Perse, et aider ceux de passage dans cette ville, Baha’u’llah s’arrangea pour qu’Aqa Muhammad-‘Aliy-i-Sabbagh de Yazd y reste. Ce croyant résida pendant environ deux ans à Constantinople jusqu’à ce que les autres fussent capables de prendre la suite de son travail. Il se rendit ensuite à Andrinople où il rejoignit les exilés et fut une fois de plus proche de son Seigneur.

Le jour où Baha’u’llah devait quitter Constantinople, un dévoué croyant, du nom de Mirza Mustafa, arriva. Il était originaire de Naraq, et avait embrassé la foi du Bab dans les premiers jours. Pendant le séjour de Baha’u’llah en Irak, il avait visité ce pays et était parvenu en sa présence. Il était resté là-bas pendant quelque temps, et avait contemplé la gloire de son Seigneur qui était encore cachée aux yeux des hommes. À Constantinople, il eut l’occasion de le rencontrer une fois seulement, lorsque Baha’u’llah le convoqua et lui ordonna de retourner en Perse et de s’engager dans l’enseignement de sa Cause. Il se rendit en Azerbaïdjan. Voici les paroles de ‘Abdu’l-Baha à propos de cette âme héroïque:

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Lorsque Mirza Mustafa arriva en Azerbaïdjan, il commença à propager la Foi. Jour et nuit, il demeurait dans un état de prière et là, à Tabriz, il but à une coupe débordante. Sa ferveur s’accrut, son enseignement souleva un tollé. Puis l’éminent érudit, le renommé Shaykh Ahmad-i-Khurasani, arriva en Azerbaïdjan et ils unirent leurs forces. Il en résulta un feu spirituel si irrésistible, qu’ils enseignaient la Foi ouvertement et publiquement. Les gens de Tabriz se soulevèrent en colère.

Les farrashes les pourchassèrent et capturèrent Mirza Mustafa. Mais alors, les oppresseurs dirent: «Mirza Mustafa avait deux longues mèches de cheveux. Ce ne peut être la bonne personne.» Immédiatement, Mirza Mustafa enleva son chapeau et les mèches de cheveux tombèrent. «Regardez !» leur dit-il. «Je suis celui que vous cherchez.» Alors ils l’arrêtèrent. Ils le torturèrent, lui et Shaykh Ahmad jusqu’à ce que finalement, à Tabriz, ces deux grands hommes burent la coupe de la mort et, martyrisés, ils se hâtèrent vers l’Horizon suprême.

À l’endroit où ils devaient être tués, Mirza Mustafa cria: «Tuez-moi d’abord, tuez-moi avant Shaykh Ahmad, afin que je ne puisse les voir répandre son sang !» (r3)
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C’était la coutume, au moment de l’exécution, que la victime se tourne vers la Qiblih (n63) de l’Islam. Mais Mirza Mustafa se tourna vers Andrinople. On lui rappela la direction de la Qiblih, mais il refusa d’obtempérer. Il déclara: «Voici la véritable Qiblih» et il cria «Ya-Baha’u’l-Abha». (n64)

Une autre personne qui donna sa vie dans le sentier de Dieu à cette occasion, fut Mulla ‘Ali-Naqiy-i-Nishapuri. Ces trois croyants furent décapités sur l’ordre du Sardar ‘Aziz Khan, le gouverneur de Tabriz, sur la même place où avait été martyrisé le Bab. Cela se passait en 1283 de l’Hégire (1866-67). Baha’u’llah révéla de nombreuses Épîtres pour Mirza Mustafa et fait allusion à son martyre dans certains de ses Ecrits. (n65) Après le martyre de Mirza Mustafa, Baha’u’llah donna le nom du père au fils. On accorda l’honneur à ce fils et à sa mère, de servir dans la maisonnée de Baha’u’llah à Acre. Mais après l’ascension de Baha’u’llah, Mirza Mustafa brisa son Alliance et se rebella contre ‘Abdu’l-Baha.

Dans l’un des mois de décembre les plus froids qu’ait connu la Turquie depuis des années, Baha’u’llah et sa famille - y compris ses deux demi-frères fidèles, Mirza Musa, appelé Aqay-i-Kalim, et Mirza Muhammad-Quli, avec Mirza Yahya (n66) - entamèrent leur périple vers la cité d’Andrinople. Le fonctionnaire responsable du voyage s’appelait ‘Ali Big Yuz-Bashi. D’après ce qu’affirmait Mirza Aqa Jan, il semblerait que Baha’u’llah ait été accompagné par douze de ses compagnons. (r4) Parmi eux se trouvait le fameux Siyyid Muhammad-i-Isfahani, dont l’esprit maléfique jetait de plus en plus d’ombre sur les exilés. Par son influence satanique, il suscita beaucoup de douleur et d’angoisse en leurs coeurs et leur fit endurer des épreuves et des tribulations sévères.

Dans la Suriy-i-Muluk, s’adressant au sultan ‘Abdu’l-‘Aziz, Baha’u’llah parle de son arrivée dans la ville de Constantinople, avec une gloire manifeste, et de son départ, «dans un état d’humiliation à nul autre pareil sur cette terre.» (r5) Il décrit aussi la manière dont ses bien-aimés et lui-même furent bannis à Andrinople et les souffrances qu’on leur fit endurer en route vers cette ville et à leur arrivée là-bas. Voici quelques-unes de ses paroles: «Ni ma famille, ni mes compagnons, n’avaient les vêtements nécessaires pour se protéger du froid par ce temps glacial.» «Nos ennemis ont pleuré sur nous, et par surcroît, toute personne douée de discernement.» (r6)

Les circonstances de l’exil de Baha’u’llah furent aussi bien tragiques qu’humiliantes. Les autorités n’accordèrent pas suffisamment de temps à Baha’u’llah et aux siens pour se préparer à ce long et périlleux voyage. Le temps était anormalement froid, de nombreux cours d’eau étaient gelés et le seul moyen d’avoir de l’eau pendant le voyage était d’allumer un feu et de faire fondre la glace. Le groupe, qui comprenait des femmes et des enfants, n’étaient pas habillés de façon adéquate. Pourtant, on fit voyager certains d’entre eux dans des chariots destinés normalement au transport de marchandises, tandis que d’autres durent chevaucher des animaux. Voici ce que Shoghi Effendi écrit de ce périple:

«Voyageant à travers pluies et tempêtes, parfois même faisant des marches de nuit, les voyageurs, harassés, arrivèrent à destination le 1er Rajab 1280 de l’Hégire (12 décembre 1863), après de brèves haltes à Kuchik-Chakmachih, Buyuk-Chakmachih, Salvari, Birkas et Baba-Iski. On les logea dans le Khan-i-‘Arab, caravansérail à deux étages, près de la maison de ‘Izzat-Aqa. Trois jours plus tard, Baha’u’llah et sa famille furent relégués dans une maison pouvant convenir seulement pour l’été, dans le quartier de Muradiyyih, près du Takyiy-i-Mawlavi, puis déplacés de nouveau, au bout d’une semaine, vers une autre maison située au voisinage d’une mosquée, dans le même quartier. Environ six mois plus tard, on les transféra dans une habitation plus spacieuse, connue sous le nom de maison d’Amru’llah (Demeure du Commandement de Dieu), située au nord de la mosquée du sultan Salim.» (r7)

Les deux maisons sises à Muradiyyih sont à présent toutes les deux complètement démolies. Un témoin oculaire a décrit la deuxième maison comme grande, comprenant dix-huit pièces et un bain turc. Peu après leur arrivée, les compagnons de Baha’u’llah trouvèrent à se loger ailleurs et, comme il le leur avait ordonné, trouvèrent du travail en ville.

Peu de temps après l’arrivée de Baha’u’llah à Andrinople, ses habitants devinrent conscients de sa grandeur et ils furent profondément impressionnés par son amour authentique et son caractère élevé. Leurs édiles, y compris le gouverneur de la ville et autres fonctionnaires de haut rang, ainsi que les hommes de culture et de savoir, furent attirés par lui. Bientôt, ils découvrirent qu’il était la source de toute connaissance et l’incarnation des vertus. Certaines de ces personnes recherchèrent avec enthousiasme sa présence, s’asseyaient à ses pieds et recevaient de lui l’illumination spirituelle. Telles étaient les marques d’honneur et d’estime manifestées à Baha’u’llah, que lorsqu’il marchait, à l’occasion, dans les rues et les bazars, les gens se levaient et s’inclinaient spontanément devant lui. Leur vénération pour lui était profonde et sincère. Dans le peuple, on le désignait sous le nom de «Shaykh Effendi», une dénomination qui avait un grand prestige en ce temps-là.

À Andrinople, Baha’u’llah n’apparaissait pas autant en public qu’il ne l’avait fait à Bagdad. À la place, il demandait à ‘Abdu’l-Baha de le faire pour lui. Mais à l’occasion, il se rendait dans les mosquées de Muradiyyih et du sultan Salim, où quelques-unes des personnes érudites et pieuses entraient en contact avec lui, reconnaissaient sa grandeur et devenaient ses admirateurs. C’est là une des caractéristiques remarquables de la vie de Baha’u’llah: bien que la puissante machinerie d’un gouvernement despotique et tyrannique était dirigée contre lui, provoquant d’indicibles persécutions et des souffrances personnelles, cependant, il témoignait de tant de gloire et dispensait tant d’amour qu’un grand nombre de gens étaient hypnotisés par lui et profondément touchés par son caractère incomparable et élevé. Qu’un prisonnier et un exilé puisse exercer une influence aussi durable sur des hommes de toutes conditions, voilà qui constitue l’une des preuves de son pouvoir divin et un signe de son autorité comme Manifestation suprême de Dieu.

En dépit des difficultés et des rigueurs d’un autre exil encore, la révélation de Baha’u’llah continua à se déverser sans relâche à Andrinople. Dans l’un de ses écrits, daté du 17 Jamadi 1281 de l’Hégire (19 octobre 1864), Mirza Aqa Jan a attesté que, depuis les jours d’Irak jusqu’à ce jour, des Épîtres étaient descendues, successivement et sans discontinuer, du ciel de la Volonté de Dieu. (r8) Ce processus acquit encore plus d’ampleur à Andrinople. D’après le ton de ces Épîtres, il devint évident que la révélation de Baha’u’llah était entrée dans une nouvelle phase et que celui, qui n’avait que fait allusion à son rang dans les années précédentes, appelait désormais ouvertement les croyants à le reconnaître comme la Manifestation suprême de Dieu.


CHAPITRE 4: Suriy-i-Ashab

La Suriy-i-Ashab (Sourate des Compagnons) est l’une des premières épîtres révélées à Andrinople. Cette épître a joué un rôle significatif dans la révélation du rang de Baha’u’llah aux babis de Perse. Elle consiste en un long texte écrit en arabe et elle est adressée à Mirza Aqay-i-Munib. (n67) Baha’u’llah désigne le destinataire de cette épître du nom de Habib (Ami) et, à une seule occasion, il mentionne Munib par son vrai nom. C’est ce qui semble avoir mené certains savants de la Foi à déclarer que cette épître fut révélée pour Mirza Habib-i-Maraghi’i et que ce Munib y était aussi désigné. Une étude attentive de cette épître et d’autres faits historiques, cependant, écarte tout doute quant au destinataire: elle fut bien révélée pour Mirza Aqay-i-Munib que Baha’u’llah appelle Habib. Lorsque Jinab-i-Munib reçut cette importante épître, il se leva avec sagesse et courage pour divulguer le rang de Baha’u’llah à ceux parmi les babis qu’il considérait fidèles.

Afin d’estimer le sens de la Suriy-i-Ashab et des autres premières épîtres révélées à Andrinople, on doit se familiariser avec l’état de la communauté babie en Perse avant et après la déclaration de Baha’u’llah. Connaître ce contexte est utile pour acquérir une meilleure vision des écrits de Baha’u’llah durant cette période.

Depuis l’époque de Baha’u’llah à Bagdad, la grande majorité des croyants en Perse s’étaient de plus en plus tournés vers lui comme le centre de la communauté babie. A lui ils venaient pour l’aide et l’illumination et de lui ils recevaient leur direction. Son influence et son ascendant spirituels étaient évidents de façon si frappante, que même les ennemis de la Cause avaient ressenti leur force. Par exemple, comme nous l’avons déjà appris, une congrégation des théologiens de l’islam chiite en Irak demanda que Baha’u’llah réalisât un miracle, même si à ce stade, il n’avait pas proclamé de rang pour lui. Il est clairement démontré que Baha’u’llah seul était l’origine de la puissance spirituelle et la source de la direction pour la communauté babie après le martyre du Bab en 1850.

Nombre de croyants parvenus en sa présence à Bagdad, avaient reconnu son rang alors que sa gloire était encore enveloppée dans une «myriade de voiles de lumière». (r1) D’autres avaient été frappés avec force par les multiples preuves de son autorité suprême et sa connaissance innée. Pendant les dix années du séjour de Baha’u’llah en Irak, ces croyants, de retour dans leurs terres natales, avaient décrit sa grandeur à leurs coreligionnaires et chacun d’entre eux, selon sa compréhension, chanta ses vertus et ses pouvoirs. En plus de ces récits personnels sur Baha’u’llah, de nombreux livres et épîtres coulant de sa plume avaient permis à la majorité des croyants d’estimer la position unique et élevée qu’il détenait au sein de la communauté.

* L’ETAT DE LA COMMUNAUTE BABIE :

Mais hélas, les êtres humains ne sont pas toujours sincères ou fidèles. Il y eut ceux qui, corrompus et égoïstes, désiraient le pouvoir. Quelques-uns de ces hommes dans diverses cités de Perse semèrent la discorde parmi les croyants. Ils se considéraient comme des disciples du Bab, mais agissaient contre ses commandements et exhortations. Certains d’entre eux étaient parvenus en présence de Baha’u’llah, uniquement pour devenir jaloux de son prestige et de son autorité croissants. Ces hommes se rassemblèrent autour de Mirza Yahya, non pas parce qu’ils l’aimaient tout particulièrement, mais plutôt parce qu’ils s’opposaient à Baha’u’llah. Par exemple, Siyyid Muhammad-i-Isfahani ne se faisait guère d’illusion sur la faiblesse de Mirza Yahya et son savoir superficiel. Maintes fois, il sortit vainqueur d’un débat avec Mirza Yahya. Ce dernier s’était toujours mis en colère dans de telles occasions. Une fois, avant l’époque d’Andrinople, il fut si irrité par le mépris de Siyyid Muhammad, qu’il s’en plaignit à Baha’u’llah qui appela Siyyid Muhammad, le gronda pour son comportement et lui ordonna de laisser Mirza Yahya tranquille.

Pour ne citer qu’un autre exemple: un jour, Shaykh Salman, le serviteur dévoué de Baha’u’llah qui l’avait désigné comme «le Messager du Miséricordieux», (n68) demanda à Mirza Yahya d’expliquer la signification d’un certain poème de Sa‘di. Mirza Yahya accéda à cette requête et Shaykh Salman reçut sa réponse. En lisant l’explication, Siyyid Muhammad-i-Isfahani rapporta à Baha’u’llah que cette réponse était inadéquate et superficielle et lui demanda de faire en sorte que Shaykh Salman ne colportât pas en Perse des affirmations aussi fallacieuses. De plus, Siyyid Muhammad, accompagné de Haji Mirza Ahmad-i-Kashani, (n69) se rendit à la maison de Aqay-i-Kalim (le frère fidèle de Baha’u’llah) et y démontra à Mirza Yahya que ses explications étaient fausses. Cependant, dès les premiers temps passés à Bagdad, des hommes tels que ceux-là répandaient des compliments extrêmement flatteurs sur Mirza Yahya au sein de la communauté babie en Perse. Ils faisaient circuler des rapports sans fondement sur sa grandeur et clamaient qu’il était le successeur du Bab, que tous les Écrits de Baha’u’llah émanaient de Mirza Yahya et que Baha’u’llah avait usurpé son rang et l’avait obligé à se tenir en retrait. Une telle propagande répand toujours la confusion dans l’esprit de gens simples, surtout que la grande majorité d’entre eux n’avaient jamais connu Mirza Yahya. Au cours des dix années de son séjour en Irak, il s’était déguisé de manière si efficace, que même un nombre considérable de croyants, qui y avaient vécu pendant des années, ne le connaissaient pas. Par exemple, lorsqu’il rejoignit le groupe de Baha’u’llah à Mossoul, il était capable de se présenter comme étranger et certains des compagnons de Baha’u’llah ne connaissaient pas sa véritable identité. Le fait qu’il avait été désigné par le Bab, suffisait pour les croyants de la base pour lui accorder une grande importance.

Cependant, la plupart des babis qui avaient pu rencontrer Mirza Yahya, furent frappés par son ignorance et sa couardise. Ces hommes ne nourrissaient aucun doute quant au rang de Baha’u’llah et ils étaient convaincus que Mirza Yahya n’était simplement qu’un homme de paille désigné par le Bab dans le but de détourner une attention concentrée sur Baha’u’llah. Mais ceux qui ne s’étaient pas trouvés en présence de Baha’u’llah, étaient souvent plongés dans la confusion par les rumeurs et les controverses au sein des babis au sujet du rang de Mirza Yahya.

Haji Mirza Haydar-‘Ali a laissé à la postérité un portrait vivant de la communauté babie dans certaines régions de la Perse pendant la dernière partie du séjour de Baha’u’llah à Bagdad, peu après la révélation du Kitab-i-Iqan. Ce récit illustre les troubles et l’agitation engendrés par les partisans de Mirza Yahya et attire l’attention sur leur présentation erronée des faits. Voici ce qu’il dit, alors qu’il se souvient des premiers jours de sa conversion à la Foi babie:

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Bien que je fusse persécuté plusieurs fois à Isfahan et aie enduré de grandes souffrances et des mauvais traitements, j’étais heureux, enflammé par la Foi, attiré et amoureux des écrits et des épîtres du Bab, en particulier le Bayan persan. Je fis deux copies de ce Livre. Plus je le lisais, plus j’étais désireux d’aller encore plus loin dans ma lecture. En ce temps-là, tout le monde était convaincu que la venue de Celui-que-Dieu-rendra-manifeste était proche. J’avais souvent l’habitude de dire (...) que si la révélation du Bab (...) n’était pas suivie immédiatement par la révélation de Celui-que-Dieu-rendra-manifeste, alors tous les écrits, les épîtres et les témoignages du Bab resteraient lettre morte et seraient inutiles. Je n’éprouvais pas de considération sincère pour Azal. (n70) Je faisais la remarque: «Quelle est la différence entre l’Azal caché et le Qa’im caché ? (n71) (...) De plus, je considérais ses écrits comme réellement stupides, à l’exception bien entendu de ses citations tirées des écrits du Bab, qui étaient des paroles exaltées. Cependant, ma propre conscience me condamnait pour ces pensées, car je m’étais imaginé que ma compréhension personnelle se situait au-dessus de celle des autres. Puis deux épîtres sacrées émanant de la Beauté bénie (n72) (...) parvinrent en l’honneur de Zaynu’l Muqarrabin (n73) et Aqa Muhammad-‘Aliy-i-Tambaku-Furush d’Isfahan. Ces épîtres me captivèrent et je devins amoureux des paroles de Baha’u’llah.

Plus tard (...) Haji Siyyid Muhammad, l’oncle du Bab (...) se rendit à Isfahan et apporta avec lui le Kitab-i-Iqan, révélé en réponse à ses questions. Conséquence de ma lecture du Kitab-i-Iqan, je devins mille fois plus encore charmé par les paroles bénies de la Beauté ancienne. (n74) J’avais l’habitude de mentionner assez ouvertement que je considérais la magnanimité de Baha’u’llah, sa condition unique et incomparable, la puissance de sa parole, l’empire de sa plume et le caractère persuasif de ses preuves, comme étant surnaturels et que cela constituait le miracle le plus grand et le tout premier de tous. Mais il se trouvait des gens à qui mon opinion déplaisait et qui me donnaient à entendre que le Kitab-i-Iqan avait été écrit par Azal.

Même Mir Muhammad-‘Aliy-i-’Attar, un des premiers croyants. m’invita et me confia que «comme le Bab a toujours fait part de la bonne nouvelle de la venue de Celui-que-Dieu-rendra-manifeste, comme il n’a pas spécifié de conditions ni précisé de temps pour son avènement, comme il a enjoint à tous d’accepter de le reconnaître dès qu’il se serait révélé, comme il a prohibé toute recherche, précaution ou retard [pour accepter son message], comme il a condamné au feu de l’enfer [ceux qui ne le reconnaissaient pas], comme il a strictement interdit qu’on cherche des preuves auprès de lui, et comme il se considérait comme le serviteur et l’annonciateur de Celui-que-Dieu-rendra-manifeste, tout ceci a poussé Jinab-i-Baha (n75) à réclamer ce rang pour lui-même. Il a emprisonné Azal et certaines fois, l’avait fouetté afin qu’il puisse répondre à ses questions. Ces réponses sont inscrites par Jinab-i-Baha et publiées sous son propre nom. Siyyid Muhammad (n76) a voyagé deux fois de Bagdad à Isfahan au nom d’Azal et il a fait confidentiellement part aux fidèles de sa solitude et des torts qu’il avait subis !»

Mon étonnement, lorsque j’entendis tout ceci, ne connut plus de bornes. Je déclarais que c’était impossible et que je n’avais jamais entendu de telles stupidités ni d’affirmations aussi futiles. Les paroles et les passages du Kitab-i-Iqan étaient d’un style facile à comprendre et pourtant impossible à imiter. Les paroles d’Azal n’étaient pas éloquentes et n’avaient pas de poids...

Bientôt, je découvris que j’étais connu. La cité d’Isfahan devenait trop petite pour moi, et mes amis m’évitaient. (r2)
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Finalement, Haji Mirza Haydar-‘Ali décida de se retirer pendant une période de quatre mois. Il emporta quatre livres avec lui: le Coran, le Mathnavi, (n77) le Bayan et le Kitab-i-Iqan. Il alla vivre dans un endroit éloigné de tous. Il continue son histoire en ces termes:


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Enfin, je comprenais que vivre en réclusion est un acte barbare et le gaspillage de sa propre vie. Afin d’acquérir le bon plaisir de Dieu et guider les gens vers lui, on doit se sacrifier. Je guettais l’avènement de la Manifestation suprême de Dieu, Celui-que-Dieu-rendra-manifeste. L’hypocrisie, les mensonges et les machinations de Mir Muhammad-‘Ali et de Siyyid Muhammad étaient aussi évidents pour moi que le soleil en plein midi. Par conséquent, je pris la décision de quitter Isfahan.

Bien que je fus des plus désireux de parvenir en la présence du Soleil de la révélation, (n78) j’appréhendais le fait d’entrer en contact avec ces deux hypocrites de Siyyid Muhammad et Mulla Rajab-‘Ali, (n79) qui se trouvaient à Karbila et à Bagdad, ce qui aurait pu quelque peu toucher mon âme et ma conscience. En conséquence, je voyageai dans toute la Perse pendant une période de cinq ou six ans... Avec de grandes difficultés et tribulations, je me rendis en de nombreux endroits, quelquefois à pied, quelquefois à cheval, mais j’étais dans la plus grande joie. Je parlai partout de la révélation du Bab et divulguai la bonne nouvelle de la proximité de l’avènement de Celui-que-Dieu-rendra-manifeste. Dans de nombreuses cités, je fus persécuté, battu et emprisonné...


A Shiraz, je rencontrai Haji Siyyid Muhammad, l’oncle du Bab et quelques autres croyants (...) Ils étaient emplis de l’amour pour lui et ils attendaient avec joie la révélation de Celui-que-Dieu-rendra-manifeste. Aucune mention d’Azal n’était faite (...) Feu Aqa Siyyid ‘Abdu’r-Rahim-i-Isfahani avait produit certains extraits tirés du Bayan et d’autres livres du Bab, grâce auxquels il avait l’habitude de prouver que Baha’u’llah, exaltée soit sa gloire, était le Promis du Bayan, qu’Azal n’était qu’un nom sans réalité, comme un corps sans âme. En résultat de telles déclarations, Aqa ‘Abdu’r-Rahim fut dénoncé par certains. Il nous fit le récit suivant: «Après le martyre du Bab, lorsqu’Azal devint célèbre, je fis le voyage d’Isfahan vers Téhéran dans le but exprès de le rencontrer. Au bazar, je croisai Baha’u’llah, le Soleil de la révélation, l’Interlocuteur du Sinaï (...) dont la mention de son nom a orné les livres et les épîtres du Bab. Je parvins en sa présence à un moment où sa gloire était cachée derrière une myriade de voiles de lumière. Il me demanda si j’étais venu pour rencontrer Azal ? Je répondis par l’affirmative. En vérité, j’avais été en présence de Baha’u’llah auparavant, à Badasht. J’avais reconnu sa gloire et sa grandeur, son caractère unique et sa magnanimité, par la manière dont Quddus et Tahirih s’inclinaient devant lui. Je connaissais aussi les exploits et les actions d’Azal. Néanmoins, comme il était connu comme étant celui que le Bab avait désigné, je considérais la rencontre avec lui comme un moyen de s’approcher de Dieu. Je me rendis, en compagnie de Baha’u’llah, chez lui. Il demanda que l’on servît du thé. Là-dessus, Azal apporta le samovar et servit le thé. Il se tenait en présence de Baha’u’llah, de la langue duquel s’écoulaient des rivières de sagesse et de connaissance. Après avoir bu le thé, Baha’u’llah se leva et se tournant vers Azal, il dit: «Il est venu te voir», et alla ensuite dans le patio de la maison. Azal s’assit, je m’inclinai et lui exprimai ma dévotion, mais il n’avait rien à me dire.» (r3)
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La controverse au sujet du rang de Mirza Yahya dura tout au long des périodes de Bagdad et de Constantinople, temps pendant lequel personne ne mit ouvertement en cause sa position comme étant celui que le Bab avait désigné, et il resta toujours près de Baha’u’llah pour sa propre protection. Ce ne fut qu’après sa rébellion contre Baha’u’llah à Andrinople, que tout doute, qui avait jusqu’à présent jeté la confusion dans les esprits de quelques hommes au coeur pur, fut entièrement dissipé.

La déclaration de Baha’u’llah dans le Jardin de Ridvan ne fut faite qu’à une poignée de ses compagnons. La nouvelle de cet événement historique ne fut communiquée à la plupart des babis que bien plus tard. La Suriy-i-Ashab et les autres premières épîtres divulguèrent clairement et ouvertement le rang de Baha’u’llah. Mirza Aqay-i-Munib fit part de cette épître cruciale à de nombreuses âmes. Parmi elles se trouvaient Haji Mirza Haydar-‘Ali, qui décrit ses sentiments, lorsqu’il lut pour la première fois cette épître, en ces termes:

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... J’arrivai à Téhéran au moment où Mirza Aqay-i-Munir (n80) (...) se trouvait aussi en ville. La Suriy-i-Ashab avait été révélée par la plume du Seigneur des seigneurs en son honneur et il l’avait reçue. Comme il était au courant de mes convictions et qu’il savait que mon coeur était tourné vers la Beauté ancienne (n81) (...) il m’appela et, en privé, me tendit cette épître pour que je la lise. A la lecture de chaque verset, je sentais comme si un monde d’exultation, de certitude et de vision intérieure était créé en moi. Après avoir lu quelques versets avec grande joie, je demandai à Mirza Munir si Siyyid Muhammad avait trompé Azal, ou si Azal avait trompé Siyyid Muhammad, ou bien si les deux avaient uni leurs forces pour renier [Baha’u’llah] et s’opposer [à lui], et avaient emprunté le chemin de l’obstination et de l’hostilité [contre lui]. En entendant tout cela, Mirza Munir en fut si content qu’il m’étreignit et me dit: «Leur animosité à l’endroit de la Beauté ancienne est ce qui les unit. Ils trompent et s’égarent l’un l’autre afin qu’ils puissent se lever dans la haine [contre lui].»
J’étais si captivé et embrasé par la Suriy-i-Ashab. Elle m’avait touché si profondément que, même maintenant, cinquante années après, à un âge avancé où la torpeur, la rigidité et le froid se sont naturellement installés, lorsque je lis cette épître ou quand je me souviens de mes sentiments de ce jour-là, je me retrouve empli d’une telle joie, que j’arrive à un état d’ivresse et d’émerveillement. (r4)
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Dans la Suriy-i-Ashab, Baha’u’llah s’adresse à Mirza Aqay-i-Munib avec des paroles d’amour et d’encouragement. Il lui rappelle les jours où il voyageait avec son Seigneur, lorsque par son intuition et sa dévotion, il avait reconnu la vérité de sa Cause. Il demande à Munib de remercier le Tout-Puissant pour l’avoir élevé des profondeurs de l’ignorance et lui avoir accordé une telle faveur et une telle bonté. Il l’invite d’abord à se détacher de tout ce qui est dans le ciel et sur la terre, et ensuite se lever avec une détermination et une fermeté suprêmes pour éveiller le peuple du Bayan.

Lorsque l’on regarde l’état de la communauté babie à cette époque, on comprend que Baha’u’llah ait assigné à Munib, ainsi qu’à d’autres enseignants, une tâche formidable, à savoir la réorientation de cette communauté et sa transformation en une communauté mondiale destinée à embrasser l’ensemble de l’humanité dans la plénitude des temps. La déclaration du rang de Baha’u’llah comme Celui-que-Dieu-rendra-manifeste dans les assemblées des amis, constituait l’événement le plus passionnant et le plus grand défi, depuis le début de la Foi deux décennies auparavant. Contrer les éléments malsains de la communauté babie nécessitait un courage énorme, et guider les personnes au coeur pur, une grande sagesse. Baha’u’llah avait insufflé à ses émissaires en Perse ces deux caractéristiques.

Ce qui suit est un témoignage de Shaykh Kazim-i-Samandar (n82) qui relate l’excitation et l’agitation parmi les croyants lorsqu’ils entendirent la lecture de la Suriy-i-Ashab. Il était l’un des destinataires de Baha’u’llah dans cette épître et par conséquent, Munib lui en envoya un exemplaire, qui lui parvint dans sa ville natale de Qazvin.

«... Il [Munib] accompagna Baha’u’llah de Bagdad et la nuit, il avait l’habitude de marcher avec une lanterne devant le howdah de Baha’u’llah. Il alla aussi loin que Constantinople en sa compagnie. De là, il vint en Perse comme [Baha’u’llah] l’avait ordonné. Il enseignait la Foi très discrètement, jusqu’à ce qu’il reçût à Téhéran la Suriy-i-Ashab qui avait été révélée en son nom. Avec la permission de Baha’u’llah, il dissipa progressivement le voile qui recouvrait l’éclat glorieux de la Cause. En résultat, la trompette résonna et une nouvelle ferveur, un nouvel enthousiasme animèrent les amis. Par un effort sérieux et une recherche soigneuse, chacun d’eux put traverser ce Sirat périlleux.» (n83)

«Lorsqu’un exemplaire de cette épître (dans laquelle, entre autres, ce serviteur insignifiant est mentionné), arriva dans la ville de Qazvin, il provoqua un grand soulèvement et engendra une sévère convulsion [au sein de la communauté]. On organisa plusieurs réunions pour expliquer et clarifier. Après discussions, causeries, recherches et références aux Ecrits Sacrés, chacun dans la communauté, d’une manière ou d’une autre, par la bonté de Dieu, fut guidé [vers la Vérité] et parvint au stade de la fermeté.» (r5)

Grâce à l’influence créatrice de la Suriy-i-Ashab et d’autres épîtres révélées au cours de cette période, et grâce aux efforts dévoués de quelques remarquables enseignants de la Foi, la communauté de Perse fut progressivement purifiée des maux que Mirza Yahya et ses semblables lui avaient infligés. Il fallut beaucoup de temps et d’effort de la part des courageux héros de Baha’u’llah jusqu’à ce que soient éradiqués l’influence satanique de Mirza Yahya, ses propos erronés, ses mensonges et calomnies qui avaient pollué l’esprit de la communauté babie pendant plus de dix ans. Ce processus, entamé en 1864, prit deux à trois années, au cours desquelles la grande majorité des babis en Perse rejoignirent la communauté du Plus-Grand-Nom.

Haji Mirza Haydar-’Ali fit une observation intéressante sur le nombre de babis qui entrèrent dans la cause de Baha’u’llah. Il explique que Muhammad et les Saints Imams guidèrent et nourrirent la nation de l’islam pendant 260 années lunaires, (n84) afin qu’elle puisse donner ses fruits par l’apparition du Qa’im, le Promis. Après 1260 ans, le Bab, qui était le fruit de l’islam, apparut et pourtant, seulement environ un musulman sur cent mille, entra dans sa Foi et le suivit. En contraste avec tout cela, le Bab guida le peuple du Bayan pendant six ans. Il fit constamment part des bonnes nouvelles de l’apparition de Celui-que-Dieu-rendra-manifeste, prépara ses disciples pour sa venue, concentra leur attention sur sa grandeur et sa gloire, sema la semence de son amour dans leur coeur et l’irrigua du flot de ses paroles. En conséquence, lorsque Baha’u’llah manifesta sa Cause, environ quatre-vingt-dix-neuf pour cent de la communauté babie le reconnurent et embrassèrent celle-ci. Seulement un pour cent s’écarta de sa gloire du fait de leurs ambitions égoïstes.

La mission de Munib et des autres enseignants que Baha’u’llah envoya en Perse pendant les premières années de son séjour à Andrinople, consistait principalement à enseigner les membres de la communauté babie. La Suriy-i-Ashab elle-même est aussi essentiellement dirigée vers les babis, et Baha’u’llah s’adressa à plusieurs d’entre eux nominalement dans cette épître. Dans son contenu, il dévoile la gloire de son rang et se proclame clairement comme la Manifestation suprême de Dieu dont le Bab avait prédit l’avènement. Il identifie sa personne avec la prophétie du Bab concernant l’année neuf, (n85) et affirme que par sa révélation, le coup de trompette (n86) a résonné. Il invite Munib à proclamer ces bonnes nouvelles avec courage et foi.

Dans cette épître, Baha’u’llah explique au peuple du Bayan (n87) qu’il est, en essence, la même Réalité que le Bab, et que la même Vérité s’est manifestée encore une fois. Il les admoneste pour leur aveuglement à ne pas le reconnaître une deuxième fois, il les réprimande pour leur échec à percevoir le caractère créateur et la puissance des Paroles révélées par lui, nonobstant leur proclamation que les Paroles du Bab constituaient la preuve de l’authenticité de son Message. Il les avertit que, tant qu’ils rejetteraient sa révélation, ils rejetteraient toutes les révélations du passé, y compris celle du Bab.

Les paroles de Baha’u’llah atteignent leur apogée lorsqu’il décrit la grandeur de sa révélation. La beauté et la majesté de ses paroles, alors qu’il glorifie son propre rang, sont au-delà de toute description. En effet, la lecture de ces passages dans la langue originelle, est destinée à allumer un feu dans le coeur de toute âme sincère et de tout coeur pur, qui attestera qu’aucun homme, combien grand, ne peut exprimer de telles paroles de pouvoir total et de caractère exalté.

Dans un langage incomparable, Baha’u’llah proclame que le Soleil de sa révélation resplendit dans le coeur même de la création, illumine de ses rayons le monde entier, mais les aveugles sont incapables de l’apprécier. Il se déclare comme le Seigneur souverain de toute l’humanité et la Manifestation de Dieu lui-même, annonce son avènement sur le trône de gloire, affirme que nul n’est capable de saper sa souveraineté, proclame que l’univers n’est qu’une poignée de poussière dans son appréciation, confirme qu’une parole prononcée par lui est plus douce que tout ce qui est révélé dans les royaumes de la terre et du ciel, et fait l’éloge des véritables croyants qui parviennent en sa présence et témoignent de la révélation de ses Paroles.

Comme le texte complet de la Suriy-i-Ashab n’est pas encore traduit en anglais, il n’est pas possible de mettre en mots ces passages exaltés que Baha’u’llah a révélés, pas plus qu’il n’est facile de transmettre leur portée de manière convenable. De plus, le manque de familiarisation des lecteurs occidentaux avec la terminologie utilisée par le Bab et Baha’u’llah, rend cette tâche encore plus difficile. Les affirmations faites jusqu’ici ne sont que de piètres tentatives pour décrire certaines des paroles de Baha’u’llah dans cette épître qui concerne la grandeur de sa révélation.

* LE RANG DE BAHA’U’LLAH :

Il existe d’innombrables épîtres dans lesquelles Baha’u’llah a proclamé son rang en des termes similaires. Certains passages de ces oeuvres sont traduits en anglais par Shoghi Effendi, le Gardien de la Foi baha’ie et il conviendrait, à ce point, que nous en citions quelques uns.

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C’est lui (Baha’u’llah) qui, dans l’Ancien Testament, fut nommé Jéhovah, qui, dans les Évangiles, fut désigné comme l’Esprit de Vérité, et qui, dans le Qur’an, fut acclamé comme la Grande Nouvelle.

Si ce n’était pour lui, aucun messager divin n’aurait été revêtu de la robe de prophète et aucune écriture sacrée n’aurait été révélée. Toutes choses créées en témoignent.

La parole que prononce en ce jour le seul vrai Dieu, bien que cette parole puisse être la plus familière et la plus ordinaire, est investie d’une suprême et unique distinction.

La grande masse de l’humanité est encore immature. Aurait-elle acquis une capacité suffisante que nous lui aurions accordé notre savoir en une mesure si grande que tous ceux qui demeurent sur la terre et au ciel se seraient trouvés, en vertu de la grâce qui coule de notre plume, entièrement indépendants de toutes connaissances hormis celle de Dieu, et auraient été établis fermement sur le trône de la tranquillité perpétuelle.

J’affirme solennellement devant Dieu que, sur mon front immaculé, la plume de sainteté a inscrit en caractères de gloire éclatante ces mots ardents, ces mots saints au parfum de musc: «Voyez, vous qui demeurez ici-bas, et vous les habitants du ciel, soyez témoins qu’il est, en vérité, votre Bien-Aimé. Il est celui dont le monde de la création n’a pas vu le semblable, celui dont la beauté fascinante a charmé l’oeil de Dieu, l’Ordonnateur, le Tout-Puissant, l’Incomparable !

On ne voit rien dans mon temple que le temple de Dieu, et dans ma beauté que sa beauté, et dans mon existence que son existence, et dans ma personne que sa personne, et dans mon mouvement que son mouvement, et dans ma soumission que sa soumission, et dans ma plume que sa plume, le Grand, le Très-Loué; il n’y a en mon âme que la vérité et, en moi-même, on ne peut voir que Dieu. L’Esprit saint lui-même a été engendré par l’opération d’une seule lettre révélée par ce très grand Esprit, si vous êtes de ceux qui comprennent... Dans le trésor de notre sagesse se trouve un savoir non révélé dont un seul mot, si nous choisissions de le dévoiler à l’humanité, amènerait chaque être humain à reconnaître la manifestation de Dieu et à admettre la vérité de son omniscience, rendrait chacun d’eux capable de découvrir les secrets de toutes les sciences, et lui ferait atteindre un rang si élevé qu’il se trouverait entièrement indépendant de tout savoir, passé et futur. Nous possédons encore d’autres connaissances dont nous ne pouvons révéler une seule lettre, et nous n’estimons pas non plus l’humanité capable d’entendre la moindre allusion à leur signification. Ainsi, nous vous avons informés de la connaissance de Dieu, l’Omniscient, l’infiniment Sage. (r6)
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Seuls ceux qui ont reconnu le rang de Baha’u’llah peuvent apprécier ses déclarations. Ils sont complètement convaincus que seule la Manifestation de Dieu représente la Divinité en ce monde. Il révèle Dieu dans tous les aspects et par conséquent, il se tient loin au-dessus du monde de l’humanité. Il n’y a aucune comparaison entre le Créateur et le créé. En effet, le monde de l’existence n’est que le néant absolu comparé à la gloire de la Manifestation de Dieu. Lui et lui seul peut chanter sa propre louange et célébrer ses propres vertus. Au-delà de lui, personne ne mérite d’être glorifié. Car le rang de l’homme est celui de la servitude et en tant que tel, il n’est pas digne d’être mentionné lorsqu’il est face à face avec la Manifestation de la puissance et de la majesté de Dieu. De même que les couleurs, la beauté et la vie de toute chose créée dépendent des rayons du soleil, la bonté et les vertus de l’homme se révèlent toutes au grand jour, conséquences de l’apparition de la Manifestation de Dieu.

Bien que la révélation de Baha’u’llah soit incommensurablement grande et son rang infiniment glorieux, on ne devrait jamais le confondre avec Dieu, l’Invisible, l’Inaccessible. Voici l’explication que Shoghi Effendi donne de ce sujet:

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La divinité attribuée à un être aussi grand et l’incarnation complète des noms et des attributs de Dieu dans une personne si sublime ne devraient en aucun cas être mal comprises ou interprétées faussement. Le temple humain qui a été fait le véhicule d’une révélation si intense doit, si nous restons fidèles aux principes de notre foi, demeurer à jamais entièrement distinct de cet «Esprit le plus secret des esprits» et de «l’éternelle Essence des essences»; ce Dieu invisible mais pourtant rationnel, qui, si fort que nous exaltions la divinité de ses manifestations sur la terre, ne peut en aucune manière incarner, dans la forme concrète et limitée d’un être mortel, son infinie, son inconnaissable Réalité, sa Réalité qui ne se corrompt point et embrasse tout. En effet, à la lumière des enseignements de Baha’u’llah, le Dieu qui pourrait ainsi incarner sa propre réalité cesserait immédiatement d’être Dieu. Une théorie de l’incarnation divine à ce point grossière et fantastique est aussi éloignée des principes essentiels de la croyance baha’ie, et incompatible avec eux, que ne le sont les inadmissibles conceptions panthéistes et anthropomorphiques de Dieu que les paroles de Baha’u’llah désavouent tout aussi énergiquement, et dont elles exposent de même le caractère fallacieux.

De temps immémorial, lui, l’Être divin, a été voilé dans la sainteté ineffable de son Être exalté, et il restera à jamais enveloppé dans l’impénétrable mystère de son Essence inconnaissable... Dix mille prophètes, chacun d’eux étant un Moïse, sont foudroyés sur le Sinaï de leur recherche par la voix menaçante de Dieu: «Jamais tu ne me contempleras !» cependant qu’une myriade de messagers, chacun aussi grand que Jésus, restent consternés sur leur trône céleste devant l’interdiction: «Mon essence, tu ne l’appréhenderas jamais !» Qu’elle est déroutante pour moi, insignifiant comme je le suis, affirme Baha’u’llah dans sa communion avec Dieu, la tentative de comprendre les profondeurs sacrées de ta connaissance ! Qu’ils sont futiles mes efforts pour me représenter la magnitude de la puissance inhérente à ton oeuvre – la révélation de ta puissance créatrice ! Dans une autre prière encore, révélée de sa propre écriture, il atteste: Ô mon Dieu, quand je contemple la relation qui me lie à toi, je suis poussé à proclamer à toutes choses créées: «En vérité, je suis Dieu !» et quand je considère ma propre personne, voilà que je la trouve plus grossière que l’argile ! (r7)
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Afin de porter un jugement sur les proclamations de Baha’u’llah, il est fondamental de comprendre ce concept et de reconnaître les fonctions de la «Manifestation de Dieu» qui paraît d’âge en âge. Mais malheureusement, nous vivons à une époque où l’impiété s’est largement répandue dans le monde entier et par conséquent, cette tâche devient difficile. Les chefs religieux ont tellement dévoyé l’essence de la religion et assombri sa lumière, qu’un nombre croissant de gens, pour la plupart honnêtes mais désillusionnés, rejoignent les rangs des agnostiques et des athées, tandis que la grande majorité de ceux qui clament croire en Dieu, ne sont pas sûrs de l’implication de leurs croyances. Le Dieu unique, incomparable, omnipotent, dont tous les Livres Saints ont chanté la louange, est désormais soit oublié dans les églises et l’esprit des hommes, soit il est devenu un sujet de controverse, décrit de façons innombrables par ceux qui s’accrochent encore à leurs religions vieilles et divisées. Les mots «Dieu» et «religion» ont pris d’étranges connotations en cette époque, et cela est dû au fait que la lumière de la véritable religion a été obscurcie par les pratiques corrompues et les conceptions erronées des chefs religieux. Mirza ‘Azizu’llah-i-Misbah, (n88) l’un des grands érudits de la Foi, a écrit ce verset profond et pourtant si simple, dans son merveilleux recueil de poésie et de méditations:

«Si les évêques n’avaient pas accumulé de vaines imaginations sous le nom de religion, les philosophes n’auraient pas considéré la religion comme de vaines imaginations.» (r8)

A une autre occasion, il écrit:

«Il y a celui qui adore Dieu, mais qui est attaché à une idole ; il y en a un autre qui, bien qu’il s’incline devant une idole, est enivré du vin de l’unicité de Dieu.» (r9)

Dans nombre de ses épîtres, Baha’u’llah a averti qu’avant ne s’établisse totalement sa Cause, les forces de l’irréligion et de l’incroyance se répandront dans le monde. A une occasion, il atteste:

«La croyance en Dieu se meurt dans tous les pays ; rien de moins que son bienfaisant remède ne peut la rétablir. Une impiété corrosive ronge les forces vitales de la société: quoi d’autre que l’élixir de cette puissante révélation pourrait la purifier et lui rendre la vie ?» (r10)

Non seulement l’humanité se tourne vers l’entêtement et l’incroyance, mais elle perd tout autant le langage de la religion.

Le thème central de la religion tourne autour des Manifestations de Dieu, les Fondateurs des grandes religions du monde. L’une des grandes pierres d’achoppement sur le chemin de leur reconnaissance, cependant, est qu’ils apparaissent comme des êtres humains ordinaires dénués de savoir et de pouvoir terrestre. Leur désespoir et leur humiliation apparents ont entraîné la majorité des gens à les renier. Seuls ceux qui sont dotés de la vision spirituelle, ont pu voir la gloire cachée derrière leur temple humain. C’est la loi de Dieu, selon laquelle le bon et le mauvais sont séparés dans cette vie. L’un des principes directeurs de la création, est que l’homme ne pourra recevoir les bontés de Dieu tant qu’il n’en aura pas acquis la capacité. La plus grande bonté consiste en la reconnaissance de la Manifestation de Dieu, et cela n’est pas donné gratuitement à l’homme. Il doit la gagner en purifiant le miroir de son coeur afin que le Soleil de Vérité puisse y briller. Les circonstances personnelles des Manifestations de Dieu, qui, sans grandeur ni supériorité apparentes, proclament être les vice-régents de Dieu sur terre, deviennent la cause principale de leur rejet par les incroyants.

Dans l’une de ses épîtres, Baha’u’llah déclare:

«Nul doute que celui qui est la Source de vérité ne soit pleinement capable de sauver d’un tel éloignement les âmes égarées, de les rapprocher de sa cour et de leur donner accès à sa présence. «S’il eût plu à Dieu, il eût sûrement fait des hommes un seul peuple.» Mais son dessein est de mettre ceux qui ont le coeur pur et l’esprit détaché à même d’aborder, par la vertu même de leurs pouvoirs innés, les rivages du très grand Océan, afin qu’ayant ainsi sincèrement et diligemment cherché la beauté du Très-Glorieux, ils soient distingués et séparés des indociles et des pervers. Ainsi en a-t-il été ordonné par la toute-glorieuse et resplendissante Plume...
Que, lors de leur apparition parmi les hommes, les Manifestations de la justice divine, sources de la grâce céleste, aient été dépourvues de tout pouvoir terrestre et privées de toute autorité en ce monde, doit être attribué à ce même principe de distinction et de séparation qui anime le plan divin. Si l’éternelle Essence manifestait tout ce qui est latent en elle, si elle resplendissait dans la plénitude de sa gloire, nul ne songerait à mettre en doute sa puissance ni à répudier sa vérité. D’ailleurs, toutes les choses créées seraient à ce point éblouies et écrasées par l’évidence de sa lumière qu’elles en retourneraient au néant. Comment, en de telles circonstances, l’indocile pourrait-il être distingué du croyant ?» (r11)

Dans une autre épître (r12), il témoigne que si la Manifestation de Dieu le désire, elle peut, par une seule parole, conquérir le monde et posséder le coeur de tous ses habitants. Si une telle chose devait arriver, chaque être humain reconnaîtrait sa vérité, mais il n’y aurait aucun mérite dans une telle reconnaissance. Baha’u’llah affirme que Dieu éprouve le coeur de ses serviteurs, afin que le bien puisse être distingué du mal. Dans le but d’y parvenir, ses Manifestations révèlent occasionnellement les gages de sa gloire et de sa puissance, et les retirent à d’autres moments. Des indications montrent qu’en de nombreuses circonstances, Baha’u’llah cacha délibérément aux hommes, pour éprouver ces derniers, les signes de son savoir universel et les gages de sa puissance. Il tira un voile devant sa gloire et par conséquent, à tous ceux qui étaient dépourvus d’une intuition pénétrante - et ils étaient nombreux - il apparut comme privé d’attributs divins.

Les tribulations associées à la venue de la Manifestation de Dieu sont si grandes que même ceux qui la reconnaissent et clament leur allégeance à sa Cause, se trouvent eux-mêmes incapables de supporter ces épreuves. Leur foi et leur croyance s’affaiblissent finalement et meurent. Il y a les autres qui, par fierté et ambition, aspirent à obtenir le même ascendant que la Manifestation de Dieu. Plusieurs personnes de notoriété qui furent en contact avec Baha’u’llah, attestèrent de sa grandeur, mais dans leur illusion, elles cherchèrent à s’élever jusqu’à son rang. La raison principale de leur aveuglement tenait en ce qu’elles se glorifiaient de leurs propres accomplissements.

La Manifestation de Dieu occupe un rang bien au-delà de la compréhension de l’homme. Elle évolue dans un royaume exalté au-dessus de toute chose créée. Lorsqu’elle se manifeste à l’être humain, elle n’a d’autre alternative que de communiquer son message dans la langue de l’homme. Mais à cause de cette action, on la considère comme un être humain ordinaire, dénuée de tout pouvoir divin.

Dans l’une de ses épîtres (r13), Baha’u’llah mentionne que les gens souffrent d’une maladie qui est très difficile à soigner, à savoir que ceux qui ont acquis une petite mesure de compréhension et de savoir, considèrent que la Manifestation de Dieu est comme eux-mêmes. Ils la jugent selon leurs propres normes et par conséquent, ils ne parviennent pas à estimer son rang. Baha’u’llah affirme que nombreux sont ceux qui souffrent de cette maladie de nos jours. Il prie pour que Dieu dissipe le voile qui recouvre leur coeur, afin qu’ils puissent reconnaître leur propre valeur et soient capables de distinguer entre la vérité de sa Cause et les affaires des hommes.

Dans la Suriy-i-Ashab, Baha’u’llah déclare que rien ne peut profiter à l’homme en ce jour à l’exception de l’amour pour lui. Cet amour ne peut être suscité dans le coeur de l’homme, à moins qu’il se purifie de l’attachement à toutes choses. Alors, et seulement alors, affirme-t-il, le miroir de leur coeur reflètera l’image de sa resplendissante Beauté. Baha’u’llah le confirme dans Les Paroles Cachées:

«Ô fils de l’esprit !
Voici mon premier conseil: Aie le coeur pur, bienveillant, rayonnant, afin que soit tienne une souveraineté ancienne, impérissable, éternelle.» (r14)

S’adressant à la communauté babie, il les avertit dans la Suriy-i-Ashab, que ce n’est pas le jour de s’interroger, car Celui qui de toute éternité était resté caché de la vue des hommes, est à présent venu. Il les réprimande pour n’être pas parvenu à témoigner de sa gloire et de son omnipotence. Faisant allusion aux paroles du Bab au sujet du pouvoir créateur conféré à Celui-que-Dieu-rendra-manifeste, Baha’u’llah affirme que toutes les choses créées ont été amenées à l’existence par une parole émanant de sa bouche, et dans un langage audacieux, il affirme qu’il ne se trouve aucune âme dans tout le monde de la création qui possède le pouvoir de se tenir devant lui et de prononcer un seul mot en sa présence. Il atteste que chaque âme est écrasée par les preuves de sa souveraineté. Il conclut avec cet émouvant appel:

«Dans la gorge de cet adolescent se trouvent emprisonnés des accents qui, révélés à l’humanité en une portion plus petite que le chas d’une aiguille, suffiraient à faire s’écrouler chaque montagne, à décolorer les feuilles des arbres et à faire tomber leurs fruits ; chaque tête serait obligée de s’incliner en adoration et chaque visage de se tourner, avec un amour fervent, vers ce Souverain omnipotent qui, à des époques diverses et de manières variées, apparaît sous l’aspect d’une flamme dévorante, d’un océan houleux, d’une lumière radieuse ou encore sous l’apparence de l’arbre qui, enraciné dans le sol de la sainteté, élève ses branches et étend ses rameaux jusqu’au trône de gloire immortelle, et au delà.» (r15)

On peut trouver semblables affirmations dans d’autres épîtres. Par exemple, dans le Kitab-i-Aqdas, Baha’u’llah proclame:

«Ô chefs religieux, qui parmi vous peut rivaliser avec moi en perspicacité ou en intuition ? Où est celui qui osera se prétendre mon égal en parole ou en sagesse ? Non, par mon Seigneur, le Très-Miséricordieux ! tous sur terre passeront, et voici le visage de votre Seigneur, le Tout-Puissant, le Bien-aimé.» (r16)

L’une des caractéristiques uniques de la révélation de Baha’u’llah, c’est que son auteur, pendant environ dix ans, a choisi de ne pas divulguer son rang aux disciples du Bab, et pourtant, durant cette période, il révéla sans cesse les versets de Dieu. Nombreux furent ceux qui étaient attirés par sa personne et ceux qui possédaient l’intuition spirituelle purent le reconnaître comme Celui-que-Dieu-rendra-manifeste, le Promis du Bayan. Mais il ne fit aucune proclamation durant ce temps et conseilla à ceux qui connaissaient son rang exalté de ne pas le divulguer aux autres.

Dans la Suriy-i-Ashab, Baha’u’llah en explique la raison. Il affirme qu’il dévoila sa Cause progressivement par miséricorde pour l’humanité. Car si la lumière d’une révélation aussi puissante s’était répandue brutalement sur le monde, les êtres spirituellement faibles auraient été aveuglés par sa gloire et auraient péri par son impact.

Dans un autre exemple tiré de la même épître, Baha’u’llah mentionne que s’il devait divulguer toute la puissance de sa Parole, (n89) la terre tremblerait et les cieux se déchireraient. Cependant, par un acte de dissimulation, Dieu a manifesté de l’indulgence et de la miséricorde envers ses serviteurs. En effet, lorsque nous étudions l’histoire de la Foi, nous remarquons que le Bab aussi dévoila progressivement son rang aux yeux des hommes. Dans les premiers jours de sa révélation, celui qui est le «Roi des messagers», le Promis de l’islam et le «Point premier» à partir duquel toute chose créée fut engendrée, consentit, en gage de sa bonté pour les hommes, à être connu simplement comme le Bab, la Porte, que les chiites croyaient être l’intermédiaire entre le Qa’im promis et le peuple. (n90) Cette revendication n’était pas aussi audacieuse que la révélation qui s’ensuivit affirmant qu’il était le Qa’im lui-même. Au fur et à mesure que ses disciples acquirent la capacité à supporter le poids de son message, il leur révéla progressivement son rang.

* LE COMMANDEMENT D’EVITER LA SEDITION :

Dans la Suriy-i-Ashab, Baha’u’llah exhorte ses compagnons à se lever pour promouvoir sa Foi, et les avertit que l’épée n’apportera pas la victoire à la cause de Dieu. La Cause sera glorifiée par des actes purs, le détachement de toutes choses terrestres et la fermeté en son amour. En rapport avec ceci, Baha’u’llah donne à ses compagnons une directive: si l’armée de ceux qui renient devait les attaquer, ils devraient les défaire par le pouvoir de sa Parole et ne pas recourir à la force. (n91)

L’une des injonctions les plus importantes de Baha’u’llah, qui apparaît dans cette épître et dans de nombreuses autres, est d’éviter de fomenter la sédition et de semer la discorde. Ce commandement constitue le fondement de la vie baha’ie et touche tout autant la personne que la société. Il protège l’âme de l’impiété et la communauté de la corruption. Dans l’une de ses épîtres (r17), Baha’u’llah dit que les croyants ne devraient jamais prendre part à des affaires où l’on pourrait détecter le moindre parfum de discorde ou de dissension. Il les exhorte à les fuir comme l’on fuirait un serpent.

Dans une autre épître, il affirme:

«Ô vous qui vivez sur la terre ! le trait marquant du caractère prééminent de cette révélation suprême est que nous avons, d’une part, effacé des pages du Livre saint de Dieu tout ce qui était la cause de conflits, de malveillances et de troubles parmi les enfants des hommes et que, d’autre part, nous avons posé les principes essentiels de la concorde, de la compréhension, de l’unité complète et durable. Heureux ceux qui observent mes ordonnances.
À maintes reprises, nous avons adjuré nos aimés d’éviter, mieux, de fuir tout ce qui peut avoir des relents de discorde. Le monde est en désarroi et la dernière confusion règne dans l’esprit de ses habitants. Nous implorons le Tout-Puissant pour qu’il les illumine, par sa grâce, de la gloire de sa justice et leur permette de découvrir ce qui leur sera profitable en tous temps et en toutes circonstances. Il est en vérité l’Omnipossédant, le Très-Haut.» (r18)

Alors que les ténèbres de la lutte et de la sédition deviennent de plus en plus profondes dans le monde actuel et que l’humanité est désespérément attirée vers de sombres abysses, il devient de plus en plus difficile de trouver une cause, qu’elle soit religieuse, politique ou sociale, qui soit susceptible d’être dépourvue de «l’odeur de dissension». D’autre part, la cause de Baha’u’llah, qui prône l’unité et l’amitié entre les peuples du monde, repousse intrinsèquement toute tentative par des individus ou des groupes d’introduire dans son système unique l’influence pernicieuse de la dissension, de la discorde et des querelles. Voici les paroles de Baha’u’llah dans une épître adressée à Jamal-i-Burujirdi, (n92) un croyant fier et arrogant:

«Absolument rien, en ce jour, ne peut nuire davantage à cette cause que la discorde, les dissensions, les disputes, la désaffection et l’apathie chez les aimés de Dieu. Par son pouvoir et sa grâce souveraine, évitez tout cela et efforcez-vous d’unir les coeurs des hommes, en son nom, l’Unificateur, l’Omniscient, le Très-Sage.» (r19)

Ceux qui ont embrassé la cause de Baha’u’llah, tout en fréquentant les disciples des autres religions dans un esprit d’amour et d’amitié, ne participeront pas ou ne prêteront aucun soutien à toute activité qui tend à aller à l’encontre de ce principe fondamental de leur Foi. Un excellent exemple est donné par leur non-participation, en parole ou en acte, aux affaires politiques. Il est sans doute vrai d’affirmer qu’il n’est pas d’institution aussi corrompue que les institutions politiques de nos jours. Ce sont des agences dans lesquelles les pires caractéristiques de l’homme trouvent leur expression. Car le principe moteur qui gouverne la politique aujourd’hui, c’est l’intérêt personnel. Les outils qu’elle emploie sont, dans la plupart des cas, l’intrigue, le compromis et la duperie. Les fruits qu’elle donne sont principalement la discorde, la lutte et la ruine. Comment les disciples de Baha’u’llah pourraient-ils oeuvrer au sein de cette structure ? Comment pourraient-ils prendre part à la politique et rester loyaux à ces nobles principes énoncés par Baha’u’llah ? Les principes d’universalité et d’unité du genre humain, de sincérité et d’honnêteté, de droiture et d’intégrité, d’amour et de camaraderie sont totalement à l’opposé de la façon dont est menée la politique aujourd’hui.

Reconnaissant la nature destructrice de l’ordre actuel dans la société humaine, la faillite de ses institutions politiques, religieuses et sociales, leur inaptitude à apporter l’unité au genre humain, les baha’is sont engagés dans l’édification, à une échelle planétaire, de la structure d’un nouvel ordre mondial fondé sur les enseignements de Baha’u’llah. (n93)

Décrivant la communauté mondiale baha’ie ainsi que son rôle dans la création d’un nouvel ordre pour l’humanité, Shoghi Effendi, le Gardien de la foi baha’ie, écrit:

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Conscients de leur haute vocation, confiants dans le pouvoir de reconstruction de la société que possède leur foi, ils vont résolument de l’avant, sans peur et sans découragement, et s’efforcent de façonner et de perfectionner les instruments nécessaires grâce auxquels l’ordre mondial encore embryonnaire de Baha’u’llah pourra mûrir et se développer. C’est ce processus constructeur, lent et discret, auquel la vie de la communauté universelle baha’ie est entièrement consacrée, qui constitue l’unique espoir d’une société éprouvée. Car ce processus est animé par l’influence génératrice de l’immuable dessein de Dieu, et il se déroule dans le cadre de l’ordre administratif de sa foi.

Dans un monde dont la structure des institutions politiques et sociales est ébranlée, dont la vision est embrumée, dont la conscience est désorientée, dont les systèmes religieux sont devenus anémiques et ont perdu leur vertu, cet agent curateur, cette puissance transformatrice, cette force cohésive, intensément vivante et envahissant tout, a pris forme, se concrétise sous forme d’institutions, mobilise ses forces et se prépare à la conquête spirituelle et à la rédemption totale de l’humanité. Bien que la société en laquelle s’incarne ses idéaux soit réduite et que ses gains tangibles et directs soient encore peu considérables, les virtualités dont elle a été dotée, et par lesquelles elle est destinée à régénérer l’individu et à reconstruire un monde disloqué, sont incalculables...

Bien qu’ils soient loyaux envers leurs gouvernements respectifs, bien qu’ils soient profondément intéressés par tout ce qui affecte leur sécurité et leur bien-être, bien qu’ils soient très désireux de participer à tout ce qui favorise leurs meilleurs intérêts, la foi à laquelle les adeptes de Baha’u’llah s’identifient est une foi qui a été élevée par Dieu au-dessus des tempêtes, des divisions et des controverses de l’arène politique. Leur foi, ils la conçoivent comme essentiellement apolitique, supranationale, rigoureusement non partisane et entièrement dissociée des ambitions, des activités et des desseins nationalistes. Une telle foi ne connaît pas de division de classe ou de parti. Elle subordonne, sans hésitation et sans équivoque, tous les intérêts particuliers, qu'ils soient personnels, régionaux ou nationaux, à l'intérêt supérieur de l'humanité, fermement convaincue que, dans un monde de nations et de peuples interdépendants, l’avantage d’une partie s’obtient le mieux par celui de l’ensemble, et qu’un bénéfice durable ne peut être conféré aux parties composantes si l’intérêt général du tout est ignoré ou négligé.

De plus, croient fermement les baha’is, leur foi ne relève pas d’une appellation particulière, elle n’est pas sectaire, et elle est absolument indépendante de tout système ecclésiastique, quelles qu’en soient les formes, l’origine ou les activités. Il n’est pas d’organisation ecclésiastique, avec ses credos, ses traditions, ses limitations et ses vues exclusives (de même qu’il n’est pas de factions, de partis, de systèmes et de programmes politiques actuellement existants) qui puisse être déclarée conforme, en tous ses aspects, aux principes cardinaux de la croyance baha’ie. Tout fidèle consciencieux de la foi de Baha’u’llah peut sans doute souscrire sans difficulté à quelques-uns des principes et des idéaux qui animent les institutions politiques et ecclésiastiques. À aucune d’entre elles il ne pourrait toutefois s’identifier ni adhérer sans réserve aux credos, aux principes et aux programmes sur lesquels elles se fondent.

Comment une foi – il faut garder ceci à l’esprit – dont les institutions divinement ordonnées ont été établies sous la juridiction d’au moins quarante pays différents (n94) dont la politique et les intérêts de chacun des gouvernements s’opposent constamment, et deviennent chaque jour plus complexes et plus confus, comment une telle foi, si elle permet à ses adhérents de se mêler, soit individuellement, soit par la voie de ses corps constitués, aux activités politiques, peut elle réussir à préserver l’intégrité de ses enseignements et à sauvegarder l’unité de ses fidèles ? Comment peut elle assurer le développement vigoureux, paisible et ininterrompu de ses institutions en expansion ? Comment une foi mise en contact, par ses ramifications, avec des systèmes religieux, des sectes et des confessions mutuellement incompatibles peut elle être en position, si elle permet à ses adhérents de souscrire à des observances et à des doctrines surannées, de réclamer une allégeance inconditionnelle de la part de ceux qu’elle s’efforce d’incorporer dans son système divinement établi ? Comment peut elle éviter les frictions, les malentendus et les controverses constantes qu’une affiliation formelle, distincte d’une association, doit inévitablement engendrer ? (r20)
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* LE COMMANDEMENT D’ENSEIGNER :

Tout au long de la Suriy-i-Ashab, Baha’u’llah presse Munib à être ferme, à mettre sa confiance en Dieu et à n’avoir peur de personne, même si tous les hommes devaient tirer leur épée contre lui et l’assaillir de toutes parts. Par la force de ses paroles sublimes, Baha’u’llah instille en lui un esprit de puissance et de pouvoir. Il l’enjoint à enseigner sa Cause sans crainte, mais avec sagesse et prudence, parmi les babis. Il lui ordonne de déchirer les voiles qui les ont empêchés de le reconnaître avec une telle énergie que tout autre voile puisse être rompu à la face de toute chose créée, et il l’assure que Dieu lui a accordé la protection divine.

Dans de nombreux exemples, Baha’u’llah rappelle à Munib d’enseigner sa Foi uniquement à ceux qui sont sincères et d’éviter la compagnie de quiconque manifeste de l’inimitié envers lui. Il conseille à Munib de partager la Suriy-i-Ashab seulement avec ces babis dont les visages rayonnent de l’amour de Dieu et de ne pas la révéler aux autres.

Dès les premiers jours de la Foi, Baha’u’llah a enjoint à ses disciples d’enseigner sa Cause. Son commandement, qui est prescrit à chaque croyant, est à la base de toute activité baha’ie et constitue la fondation sur laquelle repose le bien-être spirituel de l’individu. Souhaitant insister sur l’importance d’enseigner sa Cause, Baha’u’llah, dans une épître (r21) adressée à Jamal-i-Burujirdi, déclare que s’il réside en Occident et qu’il apprend qu’une personne en Orient est soucieuse de parvenir à la connaissance de Dieu et de reconnaître sa Manifestation, alors il lui incombe, s’il en a les moyens, de se rendre en de lointains pays afin de déverser l’eau de la vie sur cette personne en recherche. Dans une autre épître, Baha’u’llah écrit:

«Dis: Enseignez la cause de Dieu, ô peuple de Baha, car Dieu a prescrit à chacun la tâche de proclamer son message, et il tient cette proclamation pour l’acte le plus méritoire entre tous. Un tel acte n’est acceptable que lorsque celui qui enseigne la cause croit lui-même fermement en Dieu, le Protecteur suprême, l’Indulgent, le Tout-Puissant. Il a, de plus, ordonné que cette cause soit enseignée par la puissance de la parole humaine et non par un recours à la violence. Tel est le commandement envoyé du royaume de celui qui est le Sublime, le Très-Sage. Gardez-vous d’entrer en contestation avec qui que ce soit ; au contraire, efforcez-vous, par vos manières affables et vos exhortations les plus convaincantes, de faire pénétrer la vérité dans l’esprit de votre auditeur. Si celui-ci se laisse persuader, ce sera pour son plus grand bien ; s’il n’en est rien, détournez-vous de lui et tournez votre visage vers la cour sacrée de Dieu, demeure de resplendissante sainteté.» (r22)

Aux premiers jours, en Perse, le berceau de la Foi, le travail d’enseignement avançait avec une dévotion et un sacrifice considérables. Les croyants collaboraient, comme dans une équipe. Il y avait ceux qui prenaient contact avec les gens, gagnaient leur confiance, et après un examen attentif de leurs motivations et du contexte qui les entouraient, leur présentaient la Foi et les amenaient aux réunions des amis. Il y en avait d’autres qui étaient bien informés et parlaient dans les réunions, enfin ceux encore qui étaient des hôtes excellents et qui créaient l’atmosphère adéquate pour la discussion des proclamations audacieuses de la cause de Dieu. Tous ces amis oeuvraient ensemble main dans la main. Avec une unité et une dévotion absolues, les croyants consacraient leur vie à enseigner la cause de Baha’u’llah jusqu’à ce qu’un grand nombre de personnes entrent dans la Foi et que beaucoup d’entre elles donnent leur vie en son sentier.

Il est vrai de dire qu’au cours des soixante-dix-sept années de l’âge héroïque de la Foi (qui comprend les ministères du Bab, de Baha’u’llah et de ‘Abdu’l-Baha), les gens au coeur pur parmi le peuple de Perse, furent amenés sous l’ombre de la cause de Baha’u’llah. Durant cette période, l’essence de cette nation, semblable à une pierre précieuse, fut attirée dans la communauté du Plus-Grand-Nom.

Dans l’une de ses épîtres, Baha’u’llah affirme:

«Par la justice du seul vrai Dieu ! si une parcelle d’un joyau était perdue et enfouie sous une montagne de pierres, et gisait cachée au-delà des sept mers, la Main d’Omnipotence la dévoilerait certainement en ce Jour, pure et libre de scories.» (r23)

En effet, la main du pouvoir divin avait suscité, pendant une courte période, de nombreux héros au sein du peuple persan, et en avait fait les récipiendaires de sa grâce et de sa bonté.

Baha’u’llah a conseillé à ses disciples que la première étape pour un enseignant, est d’abord de s’enseigner lui-même. Dans l’une de ses épîtres, il affirme:

«Quiconque parmi vous se lève pour enseigner la cause de son Seigneur doit d’abord s’instruire lui-même afin que ses discours attirent les coeurs de ceux qui l’écoutent. S’il ne s’instruit pas lui-même, les paroles qui sortiront de sa bouche ne pourront influencer le coeur du chercheur. Prenez garde, ô peuple, d’être du nombre de ceux qui donnent aux autres des conseils qu’eux-mêmes oublient de suivre. Les paroles ainsi prononcées, et par-delà ces paroles la réalité de toutes choses, et par-delà cette réalité, les anges qui approchent Dieu, les accuseraient de mensonge.
Si toutefois, un de ces hommes réussissait à influencer quelqu’un, ce succès ne devrait pas lui être attribué, mais plutôt à l’influence des paroles de Dieu, ainsi qu’il a été décrété par celui qui est le Tout-Puissant, le Très-Sage. Aux yeux de Dieu, il est considéré comme une lampe qui répand sa lumière et qui, cependant, ne cesse de se consumer au-dedans d’elle-même.» (r24)

Dans sa deuxième Épître à Napoléon III, Baha’u’llah s’adresse à ses disciples et leur enjoint d’enseigner la Cause en ces termes:

«Dieu prescrit à chacun le devoir d’enseigner sa cause. Qui se lève pour remplir ce devoir doit, avant de proclamer son message s’orner d’un caractère empreint de droiture et de louange pour que ses paroles captivent les coeurs de ceux qui entendent son appel. Sans cela il n’a aucun espoir d’influencer ses auditeurs.» (r25)

Un point important exige une explication: le but principal de l’enseignement n’est pas simplement d’augmenter le nombre de membres de la communauté baha’ie, bien que cela en soit une conséquence. La motivation première est que la personne puisse connaître Baha’u’llah et s’approcher de lui. Dans toute la création, il n’y a rien de plus important que l’attirance de l’âme vers son Dieu. Dans le monde physique, on observe l’attraction qui existe entre la terre et tout objet qui entre en orbite autour d’elle. La terre tend à tout attirer vers elle et le but final de tout objet est de l’atteindre et d’y reposer. La même loi d’attraction lie le Créateur à sa création. L’âme est attirée vers les mondes de Dieu et si les obstacles qui s’interposent entre les deux, sont levés, l’individu parviendra à sa destinée ultime. Enseigner la cause de Dieu revient par là même à supprimer ces barrières. Lorsque l’âme reconnaîtra Baha’u’llah, elle atteindra sa présence et il n’y a rien de plus méritoire aux yeux de Dieu, que le fait, pour ses serviteurs, d’être entièrement attirés vers lui.

Le but de tout enseignant baha’i est que le Message de Dieu puisse être glorifié et que la personne puisse être en mesure d’embrasser sa Cause, célébrer ses louanges, et s’approcher de lui. L’acte d’enseigner, plus que tout autre, suscite le bon plaisir de Dieu. Dans l’une de ses épîtres (r26), Baha’u’llah affirme qu’il y a deux choses qui plaisent à Dieu: les larmes versées dans la crainte de lui et le sang du martyr répandu en son sentier. Mais comme Baha’u’llah a conseillé à ses disciples de ne pas se porter volontaires pour donner leur vie, il l’a remplacé par l’enseignement de sa Cause.

Dans plusieurs épîtres, Baha’u’llah a décrit la crainte de Dieu comme cause du rapprochement vers lui. Cette affirmation peut sembler difficile à comprendre pour certains. Car pourquoi devrait-on craindre un Dieu aimant ? La crainte naît en l’homme lorsqu’il se sent incapable de faire face à une situation donnée, tandis que la confiance vient lorsqu’il se sent en complète maîtrise. Par exemple, un homme, à qui l’on a confié une responsabilité mais qui n’a pas réussi à remplir ses obligations, éprouvera de la crainte lorsqu’il rencontrera ses supérieurs, parce qu’il sait qu’ils agiront avec lui avec justice. L’homme, dans cette vie, a manqué de mettre à exécution les commandements de Dieu. Il pêche et transgresse les lois de Dieu. Dans un tel cas, comment peut-il se sentir à l’aise, quand il sait qu’un jour il sera appelé à rendre des comptes pour ses actions ? Si l’homme ne craint pas Dieu, c’est un signe soit qu’il est sans défaut, soit il n’a aucune foi en l’autre vie, lorsqu’il aura à répondre des torts qu’il aura commis. Dans Les Paroles Cachées, Baha’u’llah conseille à ses serviteurs en ces termes:

«Ô fils de l’existence !
Fais ton examen de conscience chaque jour avant d’être appelé à comparaître en jugement. Car la mort fondra sur toi sans prévenir et tu devras rendre compte de tes actes.» (r27)

Plus l’on se rapproche de Dieu, plus l’on devient conscient de ses torts et plus l’on craindra Dieu. Les passages suivants, tirés des écrits de Baha’u’llah, indique clairement que la crainte de Dieu est le moyen par lequel l’homme peut acquérir les qualités spirituelles et se renforcer dans la foi.

«En vérité je le dis, la crainte de Dieu a toujours été une défense sûre et une forteresse solide pour tous les peuples du monde. C’est la cause principale de la protection de l’humanité et l’instrument suprême de sa préservation. Il existe en fait chez l’homme une faculté qui le détourne de tout ce qui est méprisable et indécent et l’en préserve: cette faculté, c’est le sentiment de honte. Ce dernier cependant se limite à quelques-uns ; tous ne l’ont pas eu et ne l'ont pas. Il incombe aux rois et aux chefs spirituels du monde de s’attacher fermement à la religion, car c’est elle qui fait apparaître la crainte de Dieu en tout ce qui n’est pas Lui.» (r28)

Et encore:

«Exhorte les hommes à craindre Dieu. Par Dieu ! Cette crainte commande l’armée de ton Seigneur. Des actes nobles et un caractère louable en sont les troupes. De tout temps, elle a conquis la cité du coeur des hommes et levé les étendards de l’autorité et du triomphe au-dessus de tous les autres étendards.» (r29)

Dans Paroles de Sagesse, il affirme:

«L’essence de la sagesse réside en la crainte de Dieu, l’appréhension de sa discipline, de sa justice et de son décret.» (r30)

Comme il a déjà été dit, l’autre action la plus acceptable aux yeux de Dieu, est de donner sa vie en son sentier et de mourir en martyr.

L’acte de se sacrifier est l’un des grands mystères de la création. Nous ne pourrons le comprendre pleinement en ce monde. Pourtant, nous pouvons facilement remarquer dans la nature que n’importe quelle chose créée, si elle est destinée à s’élever vers un royaume plus élevé, doit abandonner sa propre existence et devenir une partie d’une forme de vie nouvelle et plus élevée. La plus grande réussite de l’homme sur cette terre, c’est de servir la cause de Dieu. L’enthousiasme et la dévotion avec lesquels le croyant se lève pour servir la Cause suscitent le bon plaisir de Dieu, en particulier s’il ou elle est prête à sacrifier ses intérêts, son temps, ses biens, et tout ce qui lui est cher, afin de rendre ce service à son Seigneur. Cependant, être prêt à donner sa vie pour la promotion de la cause de Dieu constitue le sacrifice ultime de l’être humain dans ce monde et c’est l’acte le plus méritoire aux yeux de Dieu. Dans Les Paroles Cachées, Baha’u’llah révèle:

«Ô fils de l’homme !
Réfléchis et médite: désires-tu mourir sur ta couche ou verser ton sang dans la poussière, martyr en mon sentier, pour devenir la manifestation de ma cause et le reflet de ma lumière au paradis suprême ? Sois équitable, ô serviteur !»

«Ô fils de l’homme !
Par ma beauté ! Teinter tes cheveux de ton sang est plus important à mes yeux que la création de l’univers et que la lumière des deux mondes. Efforce-toi d’y parvenir, ô serviteur !» (r31)

En remplaçant ce très grand acte de dévotion par l’enseignement de la Cause, Baha’u’llah a découragé ses disciples de rechercher le martyre. A la place, il leur a ordonné de consacrer toute leur vie à enseigner sa Cause à tout le genre humain.

Dans l’une de ses épîtres (r32), Baha’u’llah affirme même explicitement qu’en cette révélation, il est préférable d’enseigner avec sagesse plutôt que de donner sa vie. Tout au long de son ministère, Baha’u’llah exhorte ses disciples à enseigner la cause de Dieu avec beaucoup de discernement. Il n’approuvait pas l’enseignement du public de manière indistincte. Il conseilla de façon répétée les croyants de Perse, en particulier après le martyre de Badi‘, (n95) qu’ils devaient, pour leur propre sécurité et la protection de la Cause, se montrer plus attentifs et prudents dans leur approche des gens et ne pas les provoquer ni s’opposer à eux. Dans l’une de ses épîtres, Baha’u’llah recommande à ses disciples ce qui suit:

«En ce jour, nous ne pouvons approuver le timoré qui cherche à dissimuler sa foi ni sanctionner la conduite du croyant déclaré qui proclame bruyamment son allégeance à cette cause. Tous deux devraient obéir aux conseils de la sagesse et s’évertuer diligemment à servir les meilleurs intérêts de la foi.» (r33)

La grande majorité des enseignants baha’is de Perse suivirent ce conseil. Ils enseignaient la Foi à ceux qui étaient des chercheurs sincères, mais pas aux fanatiques ni aux fauteurs de troubles. Quelques-uns, qui étaient incapables de se retenir de mentionner la Foi en public, attirèrent souvent d’indicibles souffrances et même le martyre sur eux-mêmes et le reste de la communauté. Mulla Muhammad-Rida (n96) de Muhammad-Abad en est un exemple remarquable. Il parlait en public franchement et avec un enthousiasme débridé à propos de la Foi. Cependant, en agissant de la sorte, il s’opposa à la populace fanatique, ce qui eut pour conséquence de créer de gros problèmes aux amis et de leur infliger de nombreuses persécutions. Baha’u’llah, dans l’une de ses épîtres (r34), affirme que Mulla Muhammad-Rida avait agi sans discernement, mais qu’il lui pardonnait par sa bonté et sa miséricorde.

Puisque nous abordons ce sujet important, souvenons-nous que le commandement de Baha’u’llah de se montrer judicieux dans l’enseignement et la proclamation de sa Cause, n’était pas uniquement destiné aux premiers croyants qui vivaient à l’époque de l’âge héroïque de la Foi. Il s’applique également de nos jours et il restera comme l’une des conditions préalables pour apporter la victoire à la cause de Dieu tout au long de cette révélation. En effet, la sagesse est l’un des grands dons de Dieu à l’homme, et sans elle, l’individu nuit à lui-même et à la Cause.

Mais enseigner avec sagesse ne doit pas mener à l’apathie, au compromis ou à l’inactivité. L’histoire de la Foi montre que les premiers croyants de Perse enseignaient la Foi avec zèle et enthousiasme, courage et détermination. Ils consacraient leur vie entière à chercher les âmes réceptives et à les confirmer dans la Foi. Aucune organisation terrestre, aucune préoccupation ne les détournait de ce but exalté. Avec cette obstination typique de l’âge héroïque, ils passaient des heures, jour et nuit, à prier et à concevoir des projets pour rencontrer ceux qu’ils pouvaient attirer vers la Cause.

Dans la plupart des villes et des villages de Perse, les croyants organisaient des réunions auxquelles étaient admis ceux qui recherchaient la vérité. Cependant, ces réunions se tenaient souvent au beau milieu de la nuit chez quelqu’un. Pour la sécurité des amis et la protection de la Foi, les croyants devaient faire très attention à ne pas attirer l’attention de quiconque lorsqu’ils entraient ou sortaient d’une maison. Pour des raisons identiques, aucun chercheur n’était admis jusqu’à ce que l’on se soit assuré de sa sincérité. En dépit de cette vigilance, il y avait des occasions où les ennemis de la Foi étaient capables de tromper les croyants et de trouver leur chemin à ces réunions sous l’apparence de chercheurs de vérité. Ces événements menaient toujours à de gros ennuis, car une fois que les amis étaient identifiés, leur vie pouvait être en danger.

D’autre part, nombreuses furent les situations où les croyants, pour diverses raisons, devaient enseigner ou défendre leur Foi en public. Selon les circonstances, ils enduraient souvent en conséquence de grandes persécutions.

Le récit suivant, tiré et traduit des mémoires de Haji Muhammad-Tahir-i-Malmiri, aide à illustrer la manière dont les premiers croyants saisissaient toutes les opportunités d’enseigner la Cause, et lorsque la situation l’exigeait, ils manifestaient la validité de leur foi en public sans peur et avec un grand enthousiasme. Ils relevaient le défi avec courage et ingéniosité, quand bien même ils savaient que leurs actions pouvaient entraîner la souffrance et la persécution.

Peu après son retour d’Acre, où il se retrouva en présence de Baha’u’llah, Haji Muhammad-Tahir, comme il le lui avait été demandé, entama son travail d’enseignement dans le district de Yazd avec un enthousiasme et une dévotion qui ne connaissaient plus de bornes. Baha’u’llah lui avait personnellement appris comment enseigner sa Foi. Nombreux sont ceux avec lesquels il parla et qui rejoignirent les rangs des croyants. Mais jamais, il ne s’attribua ce succès. Il était absolument convaincu que la main de Baha’u’llah était toujours à l’oeuvre. L’un de ceux avec lequel il entra en contact, était Mulla Muhammad-i-Manshadi, un distingué mujtahid (n97) et l’une des figures notables parmi les théologiens du district de Yazd. Sincère et doué d’un coeur pur, ce grand homme reconnut la vérité de la cause de Dieu. Plus tard, il donna sa vie dans le sentier de Baha’u’llah. Voici l’histoire:

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Au cours de l’hiver, je rendis visite à Manshad (n98) et résidai dans la maison de Rada’r-Ruh. (n99) Un jour, son frère, Aqa Mulla Baba’i, qui fut plus tard martyrisé, parla d’un certain théologien musulman [Mulla Muhammad-i-Manshad], en disant que c’était quelqu’un de bon. Il demanda mon avis si l’on devait l’inviter, afin que je puisse lui parler de la Foi. Je pensais qu’il n’y avait aucun mal pourvu qu’il ne créât pas de problème. Mulla Baba’i m’assura que cet homme n’était pas un fauteur de trouble (...) j’acceptais alors qu’il fût invité.

Mulla Baba’i m’informa que Mulla Muhammad était le plus érudit des théologiens et que cette opinion était partagée par l’ensemble du clergé musulman de la cité de Yazd, car la plupart des religieux de la ville passaient habituellement deux ou trois années d’étude à Najaf et à Karbila, (n100) là où Mulla Muhammad avait étudié pendant vingt-et-un ans à Najaf et qu’il avait reçu le rang de mujtahid de la part de trois différents chefs religieux de la hiérarchie chiite. Comme Mulla Muhammad était originaire de Manshad, il préférait vivre dans son village natal, plutôt que d’avoir un poste en ville (...) C’était une autorité reconnue en matière de religion et le clergé de Yazd avait pour habitude de lui renvoyer les questions problématiques sur lesquelles ils ne parvenaient pas à se mettre d’accord.

Il vint donc un soir. Bien que je ne fusse pas une personne bien informée, je ne me sentais en aucun cas déplacé, car Dieu - exaltée soit sa gloire - m’assistait. J’ai parlé avec Mulla Muhammad pendant environ quatre à cinq heures ce soir-là. Mais il ne parla pas beaucoup. En partant, il dit qu’il aimerait venir le soir suivant et amener avec lui un certain Mulla ‘Ali-Akbar. Mulla Baba’i, cependant, pensait qu’il n’était pas judicieux d’inviter Mulla ‘Ali-Akbar car il pouvait être susceptible de causer des problèmes. Mais Mulla Muhammad l’assura qu’en sa présence, Mulla ‘Ali-Akbar ne pourrait faire aucun mal.

Ainsi, le soir suivant, ils vinrent tous deux. Mulla ‘Ali-Akbar était un beau-frère de Mulla Muhammad. Il ne connaissait pas grand-chose mais c’était un touche-à-tout et un raisonneur qui avait l’habitude de confondre les tenants et les aboutissants pendant la conversation. Ce soir-là, il participa avec moi aux discussions, qui durèrent jusqu’à minuit. Pendant le débat, il essaya continuellement de pervertir la vérité, mais Mulla Muhammad, qui l’avait toujours compris, intervenait et soutenait mon point de vue...

La nuit suivante, Mulla Muhammad vint seul, mais il ne manifestait ni accord ni désaccord avec mes causeries et mes explications. Lorsqu’il partit, je lui donnai le Kitab-i-Iqan pour qu’il le lise chez lui. Lorsqu’il arriva le soir d’après, il me dit: «Je n’ai pas compris grand chose de vos discussions pendant cette période, mais après avoir lu une partie de ce livre, j’étais assuré que Dieu s’était manifesté, car ces paroles sont nouvelles et uniques» (...) Ainsi Mulla Muhammad fut confirmé dans la Foi après avoir lu le Kitab-i-Iqan...

Le lendemain, il monta en chaire et fit la déclaration suivante: «Jusqu’à présent, tous autant que nous sommes, avions pris l’habitude de considérer les babis comme des égarés. Mais durant ces derniers jours, j’en suis venu à comprendre et désormais j’en suis sûr, que le Qa’im promis s’est manifesté. Que quiconque souhaite en savoir plus, cherche et trouve la vérité par lui-même.»

Mulla ‘Ali-Akbar, qui était assis près de la chaire, s’écria: «Jinab-i-Mulla ! mais qu’est-ce que vous dites ? Est-ce que vous réalisez qu’après avoir parlé de la sorte, vous ne serez plus autorisé à revenir à la mosquée ou à rester l’Imam-Jum‘ih ? (n101)»

Mulla Muhammad répondit: «Je ne reviendrai plus jamais à la mosquée.» Et il tint parole. (r35)
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La nouvelle de la conversion de Mulla Muhammad à la Foi fit sensation à Manshad. Certains étaient troublés, d’autres abasourdis, et beaucoup en colère. Les chefs du village, qui étaient des admirateurs et des amis de Mulla Muhammad, lui demandèrent de les aider à surmonter leur perplexité et leur confusion. En réponse à leur requête, il organisa une réunion chez l’un des chefs et il demanda à Haji Muhammad-Tahir de l’accompagner et de leur parler de la Foi.

Dans ses mémoires, voici ce que Haji Muhammad-Tahir écrit:

«... Jinab-i-Mulla Muhammad vint et me raconta ce qui s’était passé. Il dit qu’il leur [les chefs du village] avait promis que lui et moi viendrions le lendemain après-midi chez Haji Qurban-‘Ali (...) pour parler de la Foi. J’acceptai de venir, tout en sachant que cette action n’avait rien de prudent. Mais comme il avait promis d’y assister, je sentais que je devais y aller, sinon il aurait pu être quelque peu ébranlé dans sa foi. Pendant ce temps, Mulla ‘Ali-Akbar avait été informé de cette visite et il avait conseillé aux chefs qu’il ne serait pas raisonnable pour eux de prendre part seuls à des discussions. Il leur dit qu’il avait l’intention de participer (...) et d’amener avec lui un certain nombre de membres du clergé.
Le lendemain, nous nous rendîmes à l’endroit prévu où se trouvaient environ trente-cinq personnes. Parmi elles, un certain nombre de ‘ulama (n102) et de dignitaires de Manshad, tous opposés à la Foi (...) Après un petit moment, ils proposèrent que nous commencions à débattre. Je suggérais à cette assemblée: «Ce serait mieux pour vous de désigner l’un d’entre vous pour prendre part aux discussions tandis que les autres écouteraient tout simplement.» A l’unanimité, ils choisirent Mulla ‘Ali-Akbar. J’étais absolument sûr que cette réunion causerait de gros problèmes car une réunion de ce genre ne s’était jamais tenue à Yazd ou peut-être même dans aucun autre lieu.» (r36)

Sachant que le porte-parole des théologiens était un raisonneur qui déformait la réalité et n’avait aucun respect pour la logique et l’honnêteté, Haji Muhammad-Tahir aborda le sujet de telle façon que son adversaire en fut totalement déconfit et tout au long, il le confondit. Il parla pendant plus de quatre heures, pendant lesquelles il relata l’histoire des religions du passé et démontra la vérité de la cause de Baha’u’llah aussi bien par des preuves rationnelles que par le Coran et les traditions de l’islam. Au sujet de cette réunion, Haji Muhammad-Tahir écrit:

«Ce jour, Dieu accorda une telle confirmation et une telle ascendance que la cause de Dieu fut proclamée et ses preuves étalées aux yeux de tous. En ce jour, Jinab-i-Mulla Muhammad fut transformé en une boule de feu. Il fut si captivé qu’il est impossible pour moi de décrire cet état...
Ce même soir, alors que la réunion touchait à sa fin, un certain nombre de religieux (...) préparèrent un document, y apposèrent leur sceau et l’envoyèrent à Shaykh Muhammad-Hasan-i-Sabzivari, (n103) à Yazd. Dans ce document, ils témoignèrent que Haji Muhammad-Tahir était venu à Manshad et avait converti Mulla Muhammad qui avait franchement proclamé (...) la vérité de la foi de Baha’u’llah du haut de la chaire et s’était désormais entièrement retiré de la mosquée. Ils affirmèrent aussi que Haji Muhammad-Tahir avait ouvertement enseigné la foi baha’ie lors d’une réunion publique chez Haji Qurban-‘Ali. Ils exprimèrent l’opinion selon laquelle la situation à Manshad était hors de contrôle et ils demandèrent des instructions.
A l’arrivée de ces nouvelles, Shaykh Muhammad-Hasan écrivit l’arrêt de mort de ce serviteur et l’emporta, avec le document scellé, à Haji Mu‘addilu’s-Saltanih, le Gouverneur de Yazd. Par la suite, deux fonctionnaires furent envoyés à Manshad pour arrêter ce serviteur. Cependant, mon départ pour Mihriz (n104) eut lieu providentiellement la veille de l’arrivée des fonctionnaires (...) Lorsqu’ils apprirent cette nouvelle, les croyants de Manshad dépêchèrent immédiatement un messager (...) qui parvint à Mihriz à temps pour m’avertir. Avec cet ami, nous partîmes pour la ville [Yazd] (...) J’y séjournai pendant quelque temps (...) caché (...) chez Ustad ‘Ali-‘Askar-i-Shal-Baf...» (r37) (n105)

Pendant toute la durée de son séjour dans cette maison, eut lieu un événement aux conséquences importantes. A ce propos, il écrit ceci:

«Un jour Ustad ‘Ali-‘Askar vint me voir: «Il y a un jeune zoroastrien du nom de Bahram [plus tard connu comme Mulla Bahram] qui vient régulièrement à notre porte pour nous vendre des betteraves. C’est un jeune homme très charmant. Si vous êtes d’accord, je le ferai entrer pour qu’il discute avec vous la prochaine fois qu’il vient ici.» Je répondis: «Très bien.» (...) Quelques jours plus tard, Jinab-i-Mulla Bahram vint (...) et Ustad ‘Ali-‘Askar me le présenta.
Jusqu’à maintenant, personne parmi les zoroastriens [à Yazd] n’avait accepté la Foi. En effet, les baha’is ne pouvaient même pas imaginer que ces gens embrasseraient la Foi, parce qu’ils n’étaient pas impliqués dans l’histoire et les événements des premiers âges associés avec les Manifestations de Dieu, et ils n’étaient pas invités aux débats qui concernaient la Foi. (n106) Cependant, ce jour-là, je parlai de la Foi à Mulla Bahram. (n107) Il revint le lendemain, et après quelques jours, il reconnut la vérité de la cause de Baha’u’llah. En conséquence, son âme bénie parvint à un tel état de joie et d’enthousiasme qu’il serait difficile de décrire. Il devint anxieux et chaque fois qu’il nous rendait visite, il faisait preuve de beaucoup de gentillesse et souvent, il pleurait. Puis, il amena avec lui [un de ses amis zoroastriens] Jinab-i-Aqa Rustam-i-Khursand, qui embrassa aussi la Foi après quelques rencontres.» (r38)

Peu après sa conversion à la Foi, Mulla Bahram se leva avec héroïsme et dévotion pour enseigner ses anciens coreligionnaires. Ce fut grâce à ses efforts dévoués qu’un grand nombre d’entre eux rejoignirent la Foi. Plus tard, ‘Abdu’l-Baha lui donna le titre de Akhtar-i-Khavari (l’Etoile de l’Orient).

Après trois mois de réclusion chez Ustad-‘Ali-‘Askar, Haji Muhammad-Tahir prit le chemin du village de Mihriz. Mais d’une manière ou d’une autre, les ennemis découvrirent où il résidait et tentèrent de nouveau de l’arrêter et de le faire exécuter. Mais la main de Baha’u’llah le protégeait, et il partit juste à temps. En fin de compte, il dut quitter la Province de Yazd jusqu’à ce que la situation ait changé.

Pendant ce temps, suite à la conversion à la Foi de Mulla Muhammad, et à la proclamation de celle-ci au clergé, la situation à Manshad atteignit un niveau critique. Après l’échec de la capture de Haji Muhammad-Tahir, la hiérarchie ecclésiastique de Yazd, en désespoir de cause, organisa l’arrestation de six baha’is à Manshad. Ces six hommes furent emmenés à la ville et mis en prison. De là, on les envoya à Isfahan pour comparaître devant le Prince Mas‘ud Mirza, le Zillu’s-Sultan, le Gouverneur de la Province. Ils furent enchaînés ensemble et, escortés de fonctionnaires armés, ils durent marcher, dans la chaleur de l’été, sur une distance d’environ 400 kilomètres.

L’un de ces hommes, un certain Aqa Siyyid Muhammad-‘Aliy-i-Gazur, était tombé malade durant son incarcération. Pourtant, Shaykh Muhammad-Hasan-i-Sabzivari, le fameux mujtahid de Yazd, ordonna que cet homme malade prenne la tête de la chaîne pour mener les prisonniers à Isfahan et porte sur ses épaules le bout de chaîne ainsi que le lourd piquet (n108) d’acier qui y était attaché. En entendant tout cela, Fatimih-Bagum, l’unique soeur d’Aqa Muhammad-‘Ali et une baha’ie dévouée, se porta volontaire pour accompagner les prisonniers à pied et porter la longueur de chaîne en surplus.

Bien qu’en ce temps-là, les femmes menaient une vie de réclusion, quittaient rarement leur maison et ne prenaient jamais part aux affaires publiques, Fatimih-Bagum, une jeune fille âgée de vingt-sept ans, était décidée à marcher avec les prisonniers. Les amis essayèrent maintes fois de la dissuader de partir, en lui faisant remarquer les dangers du voyage à pied dans la chaleur de la nuit et dans des conditions difficiles. Mais leurs suppliques n’eurent aucun effet. On rapporte qu’elle aurait dit aux croyants: «Comment pourrais-je leur permettre d’emmener mon frère (...) et cinq autres bien-aimés de Dieu, à Isfahan, tout en restant ici ! J’irai avec ces six personnes à Isfahan. S’ils décident de les tuer, ils devront d’abord prendre ma vie et ensuite procéder à l’exécution des autres (...) Ma vie n’est pas plus précieuse que la leur.»

Avec un courage et une fermeté qui étonnèrent les fonctionnaires et les badauds, Fatimih-Bagum, marchant les pieds nus et portant le voile, mena le groupe de prisonniers à Isfahan, et tout le long du chemin, elle porta le bout de la chaîne et le piquet sur ses épaules.

Ces hommes furent envoyés en prison à leur arrivée à Isfahan. Grâce aux efforts de Fatimih-Bagum, qui réussit à plaider leur cause devant le Prince Zillu’s-Sultan, ils furent libérés et renvoyés à Yazd. Mais les persécutions ne s’en tinrent pas là. Quelques années plus tard, ces âmes vaillantes furent martyrisées. Fatimih-Bagum elle-même fut traînée hors de chez elle et mise à mort dans des circonstances si humiliantes, qu’aucune plume ne peut les décrire. Les indignités que sa dépouille mortelle subit après son martyre, est l’un des épisodes les plus honteux de l’histoire de la Foi.

Quant à Mulla Muhammad, autrefois le grand mujtahid de Manshad, dont la conversion à la Foi de Baha’u’llah avait déclenché tant de cruauté, il renonça à la direction de la communauté musulmane après sa reconnaissance du rang de Baha’u’llah. Comme il ne possédait aucun bien matériel pour le nourrir ainsi que sa famille, il ne trouva pas d’alternative que de gagner sa vie en travaillant comme ouvrier dans le bâtiment. C’était un pilier de force pour les baha’is et il servait la Cause avec une humilité et effacement de soi impressionnants, jusqu’à ce qu’il gagna la couronne du martyr quelques années après, et donna sa vie dans le sentier de Baha’u’llah.

Ceux-là mêmes qui l’admiraient et le servaient auparavant, qui avaient l’habitude de s’incliner devant lui lorsqu’il paraissait au milieu d’eux, qui se ruaient à la mosquée pour l’entendre parler et les mener à la prière, ceux-là avaient désormais l’intention de lui prendre la vie, car il avait embrassé la cause de Dieu. Pendant le massacre des baha’is de 1903 dans la cité de Yazd et les villages environnants, Mulla Muhammad fut martyrisé. La foule traîna son corps dans les villages et le jetèrent aux flammes.

Cet enchaînement d’événements, liés les uns aux autres, démontre amplement que l’enseignement de la Cause dans les premiers jours, nécessitait un grand courage et beaucoup de sagesse. Elle montre aussi que les victoires obtenues pour la Foi de Dieu ont souvent eu pour conséquences des épreuves et des tribulations, qui, à leur tour, incitèrent les croyants à remporter des victoires de plus en plus importantes pour leur Seigneur.


CHAPITRE 5: L’Epître à Ahmad (en arabe)

La Lawh-i-Ahmad (l’Épître à Ahmad) est l’une des épîtres les plus connues de Baha’u’llah, traduite en anglais et en de nombreuses autres langues. Elle fut révélée vers 1282 de l’Hégire (1865) en l’honneur d’Ahmad, un natif de Yazd. Un coup d’oeil superficiel à l’épître originale montre clairement que Baha’u’llah l’écrivit avant d’être empoisonné par Mirza Yahya. (n109)

L’histoire de la vie d’Ahmad est très intéressante. Un récit de sa vie est enregistré dans les annales de la Foi préparées par la communauté baha’ie de ‘Ishqabad. D’après ce récit, il vécut jusqu’à l’âge de cent ans et il mourut dans l’année 1320 de l’Hégire (1902). Dans son «Histoire de la Foi dans la Province de Yazd», inédite, Haji Muhammad-Tahir-i-Malmiri a aussi narré brièvement la vie d’Ahmad. Il y affirme qu’Ahmad mourut à l’âge de cent treize ans !

L’une des raisons probables de cet écart est que dans la communauté islamique, souvent les gens ne connaissaient pas la date de leur naissance. Les registres publics des naissances n’existaient pas ; certains parents enregistraient de manière privée la naissance de leurs enfants, mais l’individu lui-même se moquait de la date. Il n’attachait aucune importance à son anniversaire, pas plus qu’il ne le célébrait. Cette attitude était due aux enseignements de l’islam qui apprenaient à l’homme à s’effacer et à ne pas se glorifier. La seule personne dont l’anniversaire méritait quelque célébration était le Prophète de Dieu.

Ahmad était né dans une riche famille influente de Yazd. Dès sa jeunesse, alors qu’il n’était encore qu’un adolescent, il ressentit une grande attirance pour le mysticisme. À cet âge-là, il s’enfermait souvent dans une pièce afin de communier avec Dieu. Son plus grand espoir dans la vie était de se retrouver face à face avec le Qa’im promis (le Promis de l’islam). Il écoutait quiconque lui montrerait le chemin et souvent, il s’asseyait aux pieds des ascètes et des derviches qui prétendaient posséder la lumière divine en eux.

Cependant, son père et sa famille, qui étaient des musulmans orthodoxes, étaient perturbés par la façon dont Ahmad était attiré par la mendicité et l’ascétisme. Ils le poussèrent ardemment à abandonner ses idées, mais l’indomptable esprit d’Ahmad ne pouvait être entravé par l’orthodoxie. Sachant que l’ambiance de sa terre natale ne favorisait pas son développement spirituel, Ahmad prit la décision inhabituelle de quitter son foyer. À cette époque-là, un jeune quittait rarement sa ville natale, en particulier sans le consentement de ses parents. Mais Ahmad était poussé par une force irrésistible à trouver l’essence de la Vérité et parvenir en présence du Qa’im.

Un matin, prétendant aller aux bains publics, Ahmad mit quelques vêtements dans un baluchon et disparut. Il prit la direction du Sud jusqu’à ce qu’il atteignît l’Inde où il espérait pouvoir trouver un indice qui le mènerait vers son Bien-Aimé. Cela se passait probablement vers 1242 de l’Hégire (1826), soit quelque vingt années avant la déclaration du Bab.

D’après Haji Muhammad-Tahir-i-Malmiri, Ahmad était âgé de plus de vingt ans lorsqu’il quitta Yazd. Il écrit:

«J’étais avec lui [Ahmad] pendant à peu près quatre années durant cette dernière partie de sa vie lorsqu’il habitait Munj-i-Bavanat [dans la province de Fars]. Il avait vingt ans pendant le règne de Fath-‘Ali Shah lorsque le Prince Khanlar Mirza était gouverneur de Yazd. Il menait alors une vie ascétique, passant son temps en prière et en méditation. Il souhaitait devenir derviche et il avait quitté Yazd pour l’Inde, habillé comme un derviche. En route, à Bushihr [Bushire], il entra en contact avec un boulanger et il résida là quelque temps. Il avait l’habitude de raconter certaines histoires à propos de ce boulanger, affirmant qu’il [le boulanger] avait un rang élevé dans les royaumes spirituels, qu’il était conscient de la présence divine et était connu pour ressentir des expériences spirituelles. Cependant, Ahmad quitta Bushihr pour rejoindre Bombay où il continua à mener une vie ascétique, engagé dans la prière et la méditation.» (r1)

Ahmad a raconté que tout au long de ces voyages, il entra en contact avec de nombreux mystiques, des soufis et autres chefs spirituels et philosophiques. Mais il fut déçu et perdit ses illusions. En dépit de la rigoureuse discipline personnelle qu’il s’imposait, et des nombreux exercices de prières - tels que rester prostré et répéter un certain verset du Coran douze mille fois - il ne trouva pas l’objet de sa quête en Inde.

Perplexe et découragé, il reprit le chemin du retour vers la Perse. Il s’établit à Kashan, où il se maria et travailla comme tisserand. L’extrait qui suit est tiré de sa chronique transmise oralement à certains croyants.

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Quelque temps passa et la nouvelle du Bab de Shiraz atteignit de nombreuses régions y compris celle de Kashan. Quelque chose de puissant fut suscité en moi, me pressant d’enquêter sur ce message. Je me renseignai de tous côtés, jusqu’au jour où je rencontrai un voyageur (n110) au caravansérail. Lorsque je l’interrogeai, il me répondit: «Si vous recherchez la vérité, allez à Mashhad (n111) où vous pourrez rencontrer un certain Mulla ‘Abdu’l-Khaliq-i-Yazdi qui peut vous aider dans vos investigations.»

En entendant tout cela, j’entamai mon voyage tôt le lendemain. Je marchai jusqu’à Téhéran et de là, vers Mashhad. Cependant, à mon arrivée, je tombai malade et je dus rester en convalescence pendant deux mois dans cette ville. Lorsque je fus guéri, je me rendis à la maison de Mulla ‘Abdu’l-Khaliq et informai le domestique que je souhaitais rencontrer son maître. Je rencontrai le Mulla et lui fit connaître l’objet de ma quête. À cette nouvelle, il se mit en colère et me jeta dehors. Cependant, je revins le lendemain, pleurant bruyamment et le suppliant de me guider. Lorsqu’il vit que j’étais sérieux et ferme dans ma recherche de la vérité, alors il me dit de venir le voir cette nuit-là à la mosquée de Gawhar-Shad où il me mettrait en contact avec quelqu’un qui pourrait me dire toute la vérité. (n112)

J’allai à la mosquée dans la soirée, mais après avoir assisté aux prières et l’avoir écouté prêcher, je le perdis de vue à cause de la foule. Le lendemain matin, j’arrivai chez lui et lui expliquai ce qui s’était passé. Il me demanda d’aller à la mosquée de Pir-Zan ce soir et il me promit qu’il enverrait quelqu’un là-bas pour venir à ma rencontre et m’emmener vers l’endroit convenu. Guidé par l’homme qui m’aborda à la mosquée, après avoir marché quelque distance, je passai par un corridor qui menait au patio d’une maison et montai à l’étage rejoindre une salle. Je vis une figure vénérable qui occupait la place d’honneur. Mulla ‘Abdu’l-Khaliq, qui se tenait à la porte, m’indiqua que ce grand homme était celui qu’il voulait me faire rencontrer. Cet homme n’était autre que Mulla Sadiq-i-Khurasani. (n113)

Après avoir assisté à quelques réunions, je pus reconnaître et accepter la vérité du message du Bab. Ensuite, Mulla Sadiq m’ordonna de retourner chez ma femme et ma famille à Kashan et d’y reprendre mon travail. Il me conseilla aussi de ne pas enseigner la Foi jusqu’à ce que je trouve une oreille réceptive.

Là-dessus, je revins à Kashan et découvris bientôt que Haji Mirza Jani de Kashan était aussi un croyant. Nous étions tous deux les seuls babis de cette ville.

Lorsqu’on amena le Bab d’Isfahan à Téhéran, Haji Mirza Jani paya la somme de deux cents tumans (n114) aux fonctionnaires [chargés de conduire le Bab à Téhéran] pour lui permettre de recevoir le Bab chez lui où il resta deux nuits. (n115) Haji Mirza Jani m’invita aussi à y aller et à se retrouver en présence de notre bien-aimé Seigneur. (r2)
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Ahmad décrit alors sa rencontre avec le Bab et parle de sa majesté, de sa dignité et de sa beauté alors qu’il discutait avec quelques-uns des théologiens de Kashan. Peu après, le nombre de croyants à Kashan augmenta et les persécutions commencèrent. Ahmad continue son histoire:

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Un jour, un certain nombre de voyous attaquèrent les croyants et prirent toutes nos possessions, ils cassèrent même toutes les portes et les fenêtres. Je me cachai dans la tour de ventilation (n116) de la maison et j’y restai pendant quarante jours. Les amis m’apportaient en secret de la nourriture et de l’eau.

Comme il devenait difficile de vivre à Kashan, je partis pour Bagdad. Cela faisait cinq ans environ que Baha’u’llah résidait dans cette ville. En route, je rencontrai un étranger qui voyageait lui aussi. Nous avons tous les deux indiqué que notre destination était Karbila. (n117) Pendant tout le voyage, nous nous sommes conduits comme des musulmans et nous avons prié selon le rituel musulman. À notre arrivée à Bagdad, je me rendis en direction de la maison de Baha’u’llah. Je me rendis compte que mon ami allait aussi dans la même direction et bientôt, je découvris qu’il était aussi babi ! Nous avions tous les deux dissimulé notre foi. (n118)

Après avoir été admis dans la maison de Baha’u’llah, je parvins en sa présence. Il s’est tourné vers moi et me dit: «En voilà un homme ! Il devient babi et puis il se cache dans la tour de ventilation !» (n119) Je demeurai à Bagdad pendant six ans et y travaillai comme tisserand. Au cours de cette période, mon âme était généreusement nourrie par sa glorieuse présence et j’avais l’insigne honneur de vivre dans l’appartement extérieur de sa demeure bénie.

Un jour, on nous apporta la nouvelle de la mort de Siyyid Isma‘il de Zavarih. (n120) Baha’u’llah dit: «Personne ne l’a tué. Derrière une myriade de voiles de lumière, nous lui avons montré une faible lueur de notre gloire. Il n’a pu le supporter et alors il s’est sacrifié.» (n121) Certains d’entre nous se rendirent sur la berge de la rivière et nous y avons trouvé le corps de Siyyid Isma‘il étendu là. Il s’était tranché la gorge avec un rasoir qu’il tenait encore à la main. Nous avons emporté sa dépouille et l’avons enterrée.

Cependant, je me chauffais au soleil de la présence de Baha’u’llah jusqu’au jour où le décret du sultan ordonnant le départ de Baha’u’llah pour Constantinople, nous fut communiqué. Trente et un jours après Naw-Ruz, la Beauté bénie se rendit au jardin de Najib Pasha. Ce jour-là, la rivière était en crue et on avait dû ouvrir les portes des écluses pour faciliter l’évacuation des eaux. Le neuvième jour, l’inondation persistait et la famille de Baha’u’llah quitta la maison de Bagdad et se rendit au jardin. Immédiatement après leur traversée, la rivière commença à grossir de nouveau et les portes des écluses durent être ré-ouvertes. Le douzième jour, Baha’u’llah partit pour Constantinople. Certains des croyants l’accompagnaient et d’autres, dont ce serviteur, durent rester à Bagdad. Au moment de son départ, nous nous trouvions tous dans le jardin. Ceux qui devaient rester se tenaient d’un côté. Sa Personne bénie vint vers nous et nous adressa des paroles de consolation. Il affirma que c’était mieux si nous restions. Il dit aussi qu’il avait autorisé certains d’entre nous à l’accompagner, simplement pour les empêcher de causer des problèmes et de provoquer des troubles.

L’un des amis récita le poème suivant de Sa‘di, d’une voix emplie d’émotion et de chagrin profond:
«Pleurons comme pleurent les nuages au printemps ; Même les pierres se lamentent lorsque les amants se séparent.»
Baha’u’llah répondit: «Ces paroles ont vraiment été composées pour un jour comme aujourd’hui.» (n122) (r3)
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Ces quelques histoires de Baha’u’llah qu’Ahmad a léguées à la postérité, avec ce bref récit de sa propre vie, constitue la majeure partie de sa chronique orale. Il n’y a pas décrit en détail le formidable impact que ses rencontres avec le Bab et Baha’u’llah eurent sur lui. Pas plus qu’il n’a évoqué ces glorieuses années qu’il vécut si proche de Baha’u’llah. Mais nous savons que parmi les compagnons de Baha’u’llah à Bagdad, très peu acquirent une telle foi et une telle intuition spirituelle comme le fit Ahmad. Il fut vivifié par la puissance de la révélation de Baha’u’llah, et il eut la capacité, le mérite, d’obtenir de lui un tel magnétisme, un tel rayonnement spirituel, qu’ils dominèrent son être tout au long de son existence.

À son propos, Haji Muhammad-Tahir-i-Malmiri écrit:

«Ahmad resta à Bagdad pendant quelques années et se retrouva en présence de Baha’u’llah dans cette ville. Il devint le réceptacle de ses bontés et de ses faveurs. Une fois, il me raconta qu’il avait contemplé la Beauté intérieure de la Perfection bénie. (n123) Il disait la vérité, parce qu’il avait une tablette écrite de la main même de Baha’u’llah qui attestait qu’Ahmad avait admiré sa beauté cachée.» (r4)

Après le départ de Baha’u’llah de Constantinople, Ahmad resta à Bagdad et servit la Foi dans cette ville avec un grand dévouement. Cependant, en son coeur, il languissait de se retrouver en présence de son Seigneur. Après quelque temps, il ne put supporter plus longtemps de rester éloigné et il partit pour Andrinople. Lorsqu’il arriva à Constantinople, Baha’u’llah lui envoya une épître qui est désormais universellement connue comme l’Epître à Ahmad [Tablette d’Ahmad]. À la lecture de cette épître, Ahmad sut ce qu’on attendait de lui. Il soumit sa propre volonté à Baha’u’llah et au lieu d’achever son voyage vers Andrinople et d’aller en présence de son Seigneur, il retourna en Perse avec l’unique dessein d’enseigner et de propager le message de Baha’u’llah à la communauté babie.

Suivant l’exemple de Munib et de Nabil-i-A‘zam, envoyés par Baha’u’llah pour enseigner sa Cause, Ahmad voyagea intensément dans toute la Perse et transmit à de nombreux babis la bonne nouvelle de la venue de «Celui que Dieu rendra manifeste.» Grâce à ses efforts dévoués, une grande partie d’entre eux reconnurent le rang de Baha’u’llah ; ils devinrent ses ardents disciples. La communauté babie à cette époque se trouvait dans un tel état de dénuement et de perversité, que parfois les babis témoignaient de l’hostilité envers les enseignants baha’is. Dans sa chronique orale, Ahmad a relaté un incident de ce type qui eut lieu à Khurasan. Voici ce qu’il dit:

«J’ai quitté Téhéran pour Khurasan et j’ai fait part à de nombreuses personnes de l’avènement de «Celui que Dieu rendra manifeste». Je me suis rendu à Furugh (n124) (Province de Khurasan) habillé en derviche et j’ai parlé de «Celui que Dieu rendra manifeste» à Mulla Mirza Muhammad (n125) et à ses frères. Au cours de nos discussions, ils devinrent agressifs et m’agressèrent sauvagement. Dans la lutte qui s’ensuivit, ils me cassèrent une dent. Lorsque le combat eut cessé, et que les émotions s’apaisèrent, je repris la discussion, en affirmant que le Bab avait spécifiquement mentionné que «Celui que Dieu rendra manifeste» apparaîtrait sous le nom de Baha. Ils promirent d’accepter les revendications de Baha’u’llah si j’étais capable de prouver ma déclaration. Je leur demandai de m’apporter les Écrits du Bab. Ils pratiquèrent une ouverture dans le mur et en sortirent tous les Écrits qui y étaient cachés par crainte de l’ennemi. (n126) Dès que j’ai ouvert l’un de ces livres, nous avons trouvé un passage qui indiquait que «Celui que Dieu rendra manifeste porterait le nom de Baha. Ils embrassèrent avec joie la foi de Baha’u’llah. Je les quittai pour poursuivre mon voyage vers d’autres villes.» (r5)

Il est intéressant de noter que ces frères de Furugh devinrent de remarquables baha’is, en particulier Mirza Mahmud-i-Furighi, le fils de Mulla Mirza Muhammad. C’était une âme héroïque, une incarnation de la foi et du courage et un infatigable défenseur de l’alliance de Baha’u’llah.

Au sujet d’Ahmad et de la dernière partie de sa vie, Haji Muhammad-Tahir-i-Malmiri a écrit ce qui suit:

«Pendant quelque temps, Ahmad vécut et travailla à Kashan. L’épître à Ahmad (en arabe) fut révélée en son honneur et il avait l’habitude de porter sur lui l’original de l’épître écrite de la main même de la Beauté bénie. Entre-temps, sa femme mourut à Kashan et sa fille (n127) fut mariée à un homme qui tenait le poste de Saqqa-Bashi [fournisseur d’eau] à la cour de Nasiri’d-Din Shah à Téhéran. Peu après, il se rendit à Shiraz puis à Nayriz où il se remaria. Il vécut dans cette région pendant une vingtaine d’années. Il passa aussi quelque temps à Sarvistan (province de Fars). C’était un homme très simple, pur et sincère. Il vint à Munj parce qu’il voulait aller à Téhéran. Sa fille (...) avait écrit de manière répétée à Aqay-i-Bashir-i-Ilahi, (n128) lui demandant d’organiser pour son vieux père le voyage vers Téhéran, car elle désirait le revoir encore une fois. Cependant, Ahmad n’avait pas très envie de partir. Il était âgé de quatre-vingt-seize ans lorsqu’il arriva à Munj, mais sa santé était des meilleures et il débordait d’énergie. Il passait la plupart de son temps à lire les Écrits saints, en particulier sa propre épître qu’il récitait très souvent. Il resta quatre ans à Munj jusqu’à ce que l’Afnan (n129) organise pour lui un voyage pour Téhéran, le confiant à son serviteur de confiance. Il résida quelque temps à Téhéran et se rendit à Qazvin pour une visite.» (r6)

L’Epître à Ahmad est dotée d’une certaine puissance, et pour cette raison, les croyants la récitent souvent en des moments difficiles ou lors de périodes de troubles. Bien que ce soit une épître courte, elle contient toutes les vérités de la cause de Baha’u’llah et on peut la considérer comme une charte précisant pour l’individu les exigences de la foi et de la servitude.

Dans cette épître, Baha’u’llah fait allusion à lui-même comme le «Rossignol de Paradis», la «Plus-Grande-Beauté» et «l’Arbre de vie». Il y proclame son rang auguste à ceux qui ont le coeur pur. Il annonce l’avènement du Jour de Dieu et indique clairement que celui qui se trouve en sa présence, se trouve en présence de Dieu.

Dans les paragraphes d’ouverture de cette épître, Baha’u’llah annonce la nature exaltée de sa révélation. Les termes qu’il a utilisés sont de ceux qui ne laissent aucun doute, pour les disciples du Bab, quant au fait qu’il se déclare nettement comme étant «Celui que Dieu rendra manifeste», le Promis du Bayan. Il explique clairement aussi que seuls ceux qui sont sincères et détachés de tout pourront approcher sa cour de sainteté.

Le fait que Baha’u’llah, dans cette épître comme dans beaucoup d’autres, insiste sur la sincérité comme un préalable à la reconnaissance de son rang, est en soi l’une des preuves de l’authenticité de son message. En présence de Dieu, il n’y a pas de place pour l’hypocrisie et la tromperie. De même que la lumière dissipe les ténèbres, le pouvoir de la vérité écarte le mensonge.

Cependant, par sa miséricorde, Dieu fait preuve d’indulgence afin que les infidèles puissent avoir l’opportunité de s’amender. Pendant des années, Baha’u’llah toléra la compagnie de quelques hommes perfides et hypocrites, avec une telle magnanimité, une telle grâce, qu’ils se sentaient tous à l’aise en sa présence. Haji Mirza Haydar-‘Ali, dans son émouvant livre de souvenirs, le Bihjatu’s-Sudur (Le Délice des coeurs), a écrit ce que Baha’u’llah a dit à ce sujet à Acre:

... Il [Baha’u’llah] dit alors: «Si les gens avaient des yeux pour voir, ils ne confondraient pas les signes de Dieu avec ceux des autres. En observant la conduite inconvenante de certains de ceux qui gravitent autour de moi, ils devraient pouvoir comprendre, dans une plus grande mesure, la gloire, la majesté, la grandeur, le pouvoir et l’ascendance de Dieu, Celui qui suffit à tout, Celui qui cache les péchés, le Magnanime, le Miséricordieux, le Patient, l’Indulgent. Nous entendons des mensonges, mais nous les taisons et restons silencieux. Alors, les menteurs pensent que nous avons cru en leurs paroles et qu’ils ont réussi à jeter la confusion sur cette question en notre présence.» (n130) (r7)

Dans une épître adressée à un certain Muhammad-‘Ali, Baha’u’llah révèle ce qui suit:

«Je le jure, par la beauté du Bien-aimé ! Voici la miséricorde qui embrasse toute la création, voici le jour où la grâce de Dieu imprègne et pénètre toutes choses. Les eaux vives de ma clémence, ô ‘Ali, se déversent en pluie torrentielle, et mon coeur fond sous la chaleur de ma tendresse et de mon amour. Jamais je n’ai pu me faire aux afflictions advenues à mes aimés ni aux peines qui troublent la joie de leur coeur.
Chaque fois que mon nom, le «Très-Miséricordieux», apprenait que l’un de mes aimés avait prononcé une parole contraire à mon désir, il regagnait sa demeure, frappé de douleur et de désolation ; et chaque fois que mon nom, «Celui qui ne dévoile point» découvrait qu’un de mes fidèles avait infligé à son prochain honte ou humiliation, il s’en retournait de même vers sa retraite de gloire, triste et chagriné, pour y pleurer et s’y affliger amèrement. Et quand il arrivait que mon nom, «le Magnanime» s’apercevait que l’un de mes amis avait commis une transgression, il jetait des cris de détresse et, terrassé par l’angoisse, il s’abattait dans la poussière d’où une milice d’anges invisibles venait le relever pour le transporter dans son habitation des royaumes célestes.
Par moi-même, le seul Vrai, ô ‘Ali ! le feu qui embrase le coeur de Baha est plus ardent que le feu qui brûle dans ton coeur, et la voix de sa plainte couvre le bruit de ta lamentation. Toutes les fois qu’un péché commis parmi eux était rapporté à la cour de sa présence, la Beauté ancienne en était si humiliée qu’elle eût voulu cacher aux yeux de tous les hommes la gloire de son visage, car elle avait, à tout moment, fixé son regard sur leur fidélité et observé ses conditions essentielles.» (r8)

Dans une autre épître (r9), il explique que par son attribut «Celui qui ne dévoile point», il a caché les fautes et les défaillances de nombreux hommes fourbes, lesquels, en conséquence, ont pensé que la Manifestation de Dieu ignorait tout de la méchanceté de leurs actes. Ces hommes ne saisissaient pas que, par la connaissance de Dieu, Baha’u’llah était pleinement conscient de leurs torts, mais l’oeil de Dieu, aveugle au péché, n’avait pas fait connaître leurs iniquités. Ce ne fut que lorsqu’ils étaient sur le point de nuire à la cause de Dieu, qu’il les expulsa de sa présence et les chassa du «peuple de Baha». Voilà comment, par exemple, Baha’u’llah traita Siyyid Muhammad-i-Isfahani ou bien Haji Mirza Ahmad-i-Kashani (n131) et plusieurs autres qui, pendant des années, l’avaient accompagné. Autrement, leur manque de sincérité était si évident, que même les compagnons fidèles de Baha’u’llah l’avaient remarqué. Finalement, il renvoya ces âmes infidèles qui allèrent partager le sort de Mirza Yahya.

Il y en eut d’autres qui restèrent dans la Foi pendant plusieurs décennies, bien que dès le début, il devint évident aux yeux de beaucoup, que c’était là des hommes corrompus et pêcheurs. Notoires entre autres, se trouvaient Jamal-i-Burujirdi, surnommé Ismu’llahu’l-Jamal (le Nom de Dieu, Jamal) par Baha’u’llah et Siyyid Mihdiy-i-Dahaji, surnommé Ismu’llahu’l-Mihdi (le Nom de Dieu, Mihdi). Pendant de nombreuses années, ces hommes ambitieux et fourbes figuraient parmi les enseignants de la Foi et leur réputation se répandit dans toute la communauté. Cependant, leur hypocrisie était connue de ceux qui leur étaient proches. Baha’u’llah cacha leurs fautes, révéla de nombreuses épîtres pour chacun d’entre eux, les exhorta à la fidélité et à la noblesse, et avec indulgence et magnanimité, il ferma les yeux sur leurs défaillances. Cependant, il les admonesta pour certaines de leurs actions nuisibles pour la Foi.

Par exemple, en une occasion, deux croyants remarquables, dont l’un fut plus tard désigné par Baha’u’llah comme l’une des Mains de sa Cause, étaient en route vers la province de Khurasan pour rencontrer les croyants et enseigner la Cause. Jamal-i-Burujirdi devint très jaloux de ces deux hommes. En secret, il avertit les amis de se méfier d’eux et les présenta, sous un vocable vulgaire, comme des augures du Mal. Cet acte éveilla la colère de Baha’u’llah. Le voile qui, pendant des années avait caché et protégé Jamal dans l’espoir qu’il se repentirait, se déchirait à présent. L’oeil de Dieu, aveugle au péché, qui par bonté affectueuse avait veillé sur lui pendant si longtemps, se retirait. Dans une épître pleine de colère, Baha’u’llah condamna les actions de Jamal et le réprimanda sévèrement pour son comportement. Jamal, cependant, survécut à ce grand coup qui, pendant un certain temps, mit en miettes son prestige et sa réputation parmi les amis. C’était un maître en hypocrisie et bientôt, il réussit à regagner sa position comme l’un des enseignants reconnus de la Foi dans la communauté.

Après l’ascension de Baha’u’llah, Jamal et Siyyid Mihdi brisèrent tous le deux l’Alliance et se rebellèrent contre ‘Abdu’l-Baha. Avec ceux qui les soutenaient, ils tentèrent avec persévérance de provoquer des dissensions au sein de la Foi, mais ils furent totalement confondus par le pouvoir de l’Alliance et bientôt, ils moururent. (n132)

Dans l’Epître à Ahmad, Baha’u’llah rend un hommage émouvant au Bab et affirme qu’il était le Roi des messagers. Cette déclaration, qui constitue l’une des croyances fondamentales des disciples de Baha’u’llah, revêtait un sens particulier pour les enseignants baha’is de ce temps-là. Car leur mission principale était d’enseigner la cause de Baha’u’llah aux membres de la communauté babie.

Ceux qui ont renié les Manifestations de Dieu et se sont opposés à elles, ont toujours eu recours à deux armes des faibles, à savoir la persécution et la dissémination de fausse propagande. Certainement, quelques-uns des babis qui ont rejeté la cause de Baha’u’llah ont employé cette deuxième arme et ont répandu des accusations erronées selon lesquelles les baha’is n’avaient aucune considération pour le Bab. Ces proclamations absurdes étaient conçues pour empoisonner l’esprit des gens simples. Baha’u’llah, dans cette épître et dans beaucoup d’autres qui furent révélées durant cette période, célèbre le rang du Bab, fait allusion au Bayan comme le Livre-Mère et enjoint à tous d’obéir à ses lois et ordonnances. Cependant, la plupart de ces lois furent plus tard abrogées lorsque Baha’u’llah élabora les lois et les ordonnances de sa Foi dans le Kitab-i-Aqdas (Le Plus-Saint-Livre) qui devint le Livre-Mère de cette révélation.

Voici l’un des passages les plus lumineux de l’Epître à Ahmad:

«Ô peuple, si vous reniez ces versets, sur quelle preuve fondez-vous votre foi en Dieu ? Produisez-la donc, ô assemblée de fourbes ! Non, par celui qui tient mon âme en sa main, ils ne le peuvent et ne le pourront jamais, dussent-ils s’unir et s’entraider.» (r10)

Dans cette déclaration audacieuse, Baha’u’llah réaffirme que sa Parole constitue l’une des preuves les plus puissantes de son rang divin. Dans ses écrits, Baha’u’llah déclare que le premier témoignage qui établit la vérité de la Manifestation de Dieu est celui de sa propre personne. Souvent, on dit que la preuve du soleil est le soleil lui-même. Voici les paroles de Baha’u’llah révélées dans la Lawh-i-Ashraf: (n133)

«Dis: La toute première preuve de sa vérité est sa propre personne. Vient ensuite sa révélation. Et pour ceux qui ne reconnaissent ni l’une ni l’autre, il a choisi les paroles qu’il a révélées en témoignage même de sa réalité et de sa vérité. Voilà une manifestation de sa tendre miséricorde envers les hommes.» (r11)

Les disciples de Baha’u’llah dotés d’un coeur pur et qui avait l’inestimable privilège de se trouver en sa présence, ressemblaient à ceux qui avaient vu le soleil de leurs propres yeux. Ils virent la gloire de sa révélation et n’avaient pas besoin de preuve. Les arguments, les controverses et les doutes se font toujours entendre en provenance de ces endroits placés dans l’obscurité.

Mais en ce jour, nous devons nous tourner vers les paroles de Baha’u’llah afin de reconnaître son rang. Car la Parole de la Manifestation est dotée de forces spirituelles au-delà de la connaissance des hommes. Aucun être humain, si accompli soi-il, même pas l’ensemble de l’espèce humaine réunie, ne pourrait espérer engendrer une énergie spirituelle comparable à celle libérée par la Parole de Dieu. En effet, l’une des différences entre la Parole de Dieu et celle de l’homme, c’est que la première tire son pouvoir des mondes de Dieu, qu’elle est créatrice et pénètre profondément dans le coeur des hommes, tandis que la seconde appartient au monde de la création. Elle est limitée et fondamentalement faible. La parole de l’homme n’a aucune influence durable sur la société à moins qu’elle ne tire son pouvoir des enseignements de Dieu.

L’histoire a amplement démontré le pouvoir de la Parole des Manifestations de Dieu. Moïse apparaissait comme pauvre et faible aux yeux de Pharaon, mais sa Parole avait une telle influence qu’elle défit les forces de la tyrannie et transforma les enfants d’Israël, les faisant passer d’un état de servage à celui de souveraineté. Le Christ fut condamné pour avoir proclamé un nouveau message. Les autorités civiles et ecclésiastiques, main dans la main, l’ont crucifié dans le but de détruire sa Cause. Sa Parole, pourtant, puissante et créatrice, pénétra le monde occidental, changea le coeur de millions de gens, balaya les normes de l’Empire romain et installa à sa place une nouvelle civilisation. De même, Muhammad, souvent incompris en Occident, révéla la Parole de Dieu telle qu’elle est inscrite dans le Coran. Ses enseignements et ses paroles façonnèrent la conduite d’une nation multiraciale pendant des siècles et désormais, après un millier d’années, l’influence de ses paroles et les signes de sa souveraineté peuvent être discernés parmi les communautés musulmanes. Les paroles du Bab et de Baha’u’llah sont la Parole de Dieu pour cet âge. L’effet de leurs paroles a été si formidable, de sorte que des milliers d’hommes et de femmes se sont rendus sur le champ du martyre et ont donné leur vie afin de promulguer leurs enseignements.

L’Ancien Testament, le Nouveau Testament, le Coran, les Écrits babis et baha’is, tous ont été la source de direction, d’inspiration et de vie spirituelle pour des millions d’êtres humains. Aucun autre livre, aussi exalté soit son sujet - et il y en a des millions - n’a disposé d’une influence comparable sur l’esprit et l’âme des hommes, comme en ont disposé ces livres célestes.

Une étude attentive de la foi de Baha’u’llah montrera que l’efficacité et la puissance de ses paroles sont sans précédent dans les annales de l’humanité. Nous pouvons déjà voir le pouvoir créateur des paroles de Baha’u’llah agir au sein de la société actuelle. Pour citer un exemple, Baha’u’llah n’écrivit que quelques lignes dans le Kitab-i-Aqdas, où il enjoignait à ses disciples d’établir, dans chaque ville, une Maison de justice (n134) (à présent connue sous le nom d’assemblée spirituelle). Cette injonction, écrite il y a juste plus d’un siècle, par un prisonnier détenu à Acre, a exercé une telle influence sur les coeurs, que des milliers d’hommes et de femmes de tous les milieux, de toutes couleurs, de toutes catégories sociales et culturelles, quittèrent leurs foyers, essaimèrent dans le monde entier, partirent comme pionniers vers les endroits reculés les plus inhospitaliers du globe, endurèrent de nombreuses épreuves et difficultés, sacrifièrent leurs moyens d’existence et déversèrent généreusement leurs ressources afin d’établir ces institutions. Et ils continuent de mettre en oeuvre ce commandement jusqu’à ce que chaque localité sur cette planète possède sa propre Maison de justice. Tel est le pouvoir créateur de la Parole de Dieu prononcé par Baha’u’llah ! Il en va de même pour chaque autre commandement décrété par la Plume suprême. (n135)

S’adressant aux Arabes incroyants, la Voix de Dieu proclame dans le Coran:

«Et si vous êtes dans le doute au sujet de ce que nous avons révélé à notre Serviteur, (n136) apportez-nous une Sourate semblable à ceci ; appelez vos témoins autres que Dieu, si vous êtes véridiques.» (r12)

Lorsque ce verset fut révélé, quelques hommes érudits parmi les incroyants composèrent des versets et les répandirent publiquement en affirmant qu’ils étaient bien plus éloquents que les paroles de Muhammad. Mais ils ne comprirent pas que leurs versets ne pouvaient influencer une âme, tandis que le Coran révolutionna la vie de millions de personnes dans le monde entier, et créa en son temps une grande civilisation qui embrassa de nombreuses nations.

Ces paroles de Baha’u’llah dans l’Epître à Ahmad: «Produisez-la donc, ô assemblée de fourbes !», font écho aux paroles du Coran, mais avec ce défi encore plus grand: «Par Celui qui tient mon âme dans sa main, ils ne le peuvent et ne le pourront jamais, dussent-ils s’unir et s’entraider.» (r13)

Une autre preuve des Manifestations de Dieu réside en la manière dont laquelle elles influencent la société. C’est un phénomène unique qu’aucun homme ne peut jamais espérer égaler. Réfléchissons sur certains des moyens par lesquels un être humain peut devenir un chef et fonder un parti pour lui-même. L’histoire en est pleine. Par exemple, un despote peut compter sur son pouvoir pour soumettre des millions de personnes sous sa férule. Les gens se rallieront à lui aussi longtemps qu’il restera au pouvoir. Une fois parti, le système en entier s’effondre et ses partisans sont dispersés. De même, un homme riche qui souhaite accorder ses richesses au peuple, peut émerger comme dirigeant. Aussi longtemps que son soutien ne manque pas, il se trouvera beaucoup de gens qui s’agglutineront autour de lui. Une personne auréolée d’une popularité et d’un prestige sociaux peut se retrouver le centre d’attraction de quelques admirateurs. Un homme doté d’une volonté de fer, qui en appellerait à la nature vile de l’homme, ou qui flatterait les sentiments du peuple, peut réussir à provoquer un soulèvement ou une révolution dans lesquels il devient un point central. Une autre catégorie digne d’être mentionnée est constituée par le chef religieux qui dirige, en enseignant à ses ouailles ce qu’ils croient déjà. Si jamais il décidait de leur enseigner quelque chose de nouveau, et s’il persistait à le faire, il serait pratiquement voué à perdre son poste.

Dans tous ces exemples, le chef doit compter sur quelque organisation terrestre afin de mener à bien ses projets pour influencer les gens. Une telle organisation pourrait être le pouvoir terrestre, ou la richesse, ou bien le prestige politique ou social, ou bien la position de chef religieux ou encore de nombreux autres moyens. La Manifestation de Dieu, cependant, ne dispose pas de toutes ces forces matérielles.

Prenons l’exemple du Christ. Lorsqu’il apparut et manifesta sa cause parmi les Juifs, il ne possédait aucun pouvoir ni richesse terrestre avec lesquels il aurait pu influencer ses disciples. À cause des circonstances autour de sa naissance, il n’avait aucun statut social dans la communauté. Il ne répandait pas sa cause en appelant à la nature vile de l’homme. Pas plus qu’il n’était un dirigeant religieux prêchant la religion établie de l’époque ; au contraire, il enseignait une foi nouvelle. Pendant les trois années de son ministère, il endura la persécution et à la fin, il fut crucifié. Pourtant, il y avait un mystérieux pouvoir dans sa cause qui pénétra le coeur de nombreuses personnes qui devinrent ses disciples. Et même après que se soient écoulées presque deux mille ans, des millions de gens se tournent encore vers lui avec dévotion et amour. Cela prouve le pouvoir de l’Esprit Saint et démontre le contraste entre l’entreprise humaine et la révélation divine.

De façon similaire, la cause de Baha’u’llah se répand et s’installe dans le monde entier uniquement par le pouvoir de Dieu. Cependant, comme elle est la révélation suprême de Dieu, elle est dotée d’une puissance plus grande que toutes les révélations du passé. Bien que son Auteur ait passé quarante ans de son ministère en exil et en prison, dans les conditions les plus cruelles, bien que les forces de deux monarques despotiques se soient liguées contre lui, jamais il ne chercha, au cours de ce ministère, l’aide de quiconque pour promouvoir sa Foi, pas plus qu’il ne tenta de l’établir par des compromis, des expédients ou des moyens matériels. Avec une douceur typique chez toutes les Manifestations de Dieu, il se soumit à ses ennemis et endura avec résignation et patience les torts qu’ils lui infligèrent. En dépit d’une opposition haineuse, cependant, la proclamation de son message, de la cellule de sa prison, parvint aux oreilles des dirigeants les plus puissants de son temps. La lumière de sa Foi se projeta, durant sa vie, vers treize pays des continents africain et asiatique. Cette lumière est à présent diffusée sur toute la surface de la terre. Ses enseignements sont devenus l’esprit de cet âge et les institutions de son Ordre mondial, conçues pour engendrer l’unité du genre humain sur cette planète, s’édifient à travers le monde.

Toutes ces réussites, annonçant le triomphe futur de la cause de Baha’u’llah et son établissement dans la plénitude des temps comme la religion universelle pour l’humanité, découlent du pouvoir de Baha’u’llah, né de Dieu, alors que les forces de ce monde sont à l’oeuvre contre lui.

Chaque religion connaît une période de validité durant laquelle elle exerce une grande influence sur l’humanité et entraîne un développement matériel et spirituel, en particulier pour ceux qui l’ont embrassée. La Parole du fondateur de cette religion influence le coeur des gens et ses enseignements peuvent être mis en pratique. Mais lorsqu’une nouvelle Manifestation de Dieu apparaît, la religion précédente devient inefficace. Son influence s’évanouit et son pouvoir créateur diminue. Son message ne touche plus le coeur et ses enseignements cessent d’être utilisables. Car Dieu a attribué à la nouvelle révélation la validité, l’inspiration et l’influence qui mèneront l’humanité plus loin dans son évolution. Le verset suivant du Coran indique clairement que pour chaque religion, il existe un temps pour naître et un temps pour mourir:

«Un terme est fixé à chaque communauté ; lorsque son terme arrive, elle ne peut ni le faire reculer ni l’avancer d’une heure.» (r14)

En ce jour, le pouvoir de Dieu et de sa puissante révélation anime la cause de Baha’u’llah, la dotant d’un esprit destiné à revivifier le monde, sans l’aide aucune d’une quelconque organisation terrestre. Il diffuse sa lumière sur toute la surface de cette planète, et édifie les fondations d’un ordre universel en vue du progrès et de la spiritualisation de l’ensemble du genre humain.

Dans l’Epître à Ahmad, Baha’u’llah révèle:

«... en vérité, celui qui se détourne de cette Beauté (n137) s’est aussi détourné des messagers du passé et fait preuve d’orgueil envers Dieu de toute éternité, en toute éternité.» (r15)

Cette déclaration réaffirme une des vérités essentielles de la foi de Dieu, que la révélation divine est progressive, la Manifestation de Dieu la plus récente incarnant au sein de sa révélation, l’essence de toutes les révélations passées, à l’instar des êtres humains qui contiennent en eux à chaque étape de leur vie ces qualités et attributs qu’ils ont acquis auparavant. (n138)

Grâce à la puissance et à l’inspiration de ses paroles, Baha’u’llah a instillé en Ahmad un formidable pouvoir de foi et de détachement. Il lui a conféré la capacité et la force de devenir «la flamme du brasier» pour ses ennemis et «un fleuve de vie éternelle» pour ses bien-aimés. L’eau et le feu ont des caractéristiques différentes. L’eau donne la vie, en permettant aux choses de croître ; tandis que le feu, tout en consumant les objets périssables, engendre chaleur et incandescence chez les matériaux solides. L’amour de Baha’u’llah, une fois implanté dans le coeur du croyant, nécessite d’être nourri et abreuvé. D’autre part, les maléfices de la haine et de l’animosité qui ont imprégné le coeur des ennemis, doit être consumé par le feu de l’amour de Dieu, afin que ceux qui sont sincères puissent acquérir le rayonnement et la chaleur de la foi. Ahmad, ainsi que d’autres distingués enseignants de la Foi qui parcoururent tout le pays, ont accompli cette fonction. Ils enthousiasmèrent les croyants, élevèrent leur esprit et ranimèrent leur âme avec les eaux vivifiantes de la cause de Dieu. D’autre part, ils apparurent comme «la flamme du brasier» pour les ennemis de la Cause.

Baha’u’llah a prononcé des exhortations similaires dans d’autres écrits. Par exemple, dans une épître à Umm-i-‘Attar (r16) (la Mère de ‘Attar), il lui conseille de ne pas fréquenter ceux qui ont renié sa Cause et se sont élevés contre lui. Mais si jamais elle les rencontrait, elle devrait apparaître comme le «feu de Dieu», afin qu’ils puissent ressentir la chaleur de son amour pour son Seigneur. Dans une autre épître (r17), il enjoint à un croyant de consumer, avec le feu de la Parole de Dieu, le coeur de ceux qui l’ont renié et se sont détournés de sa Cause.

Des affirmations telles que celles-ci ne devraient pas être prises à la lettre. Baha’u’llah n’a jamais enseigné à ses disciples d’agir avec agressivité envers les autres. Mais il existe un pouvoir invisible, un dynamisme spirituel dans la cause de Dieu qui dissipe tous les obstacles en son sentier et pulvérise les forces de ses ennemis. Certains des disciples de Baha’u’llah étaient dotés de ce pouvoir. Leur langue était semblable à une épée déchirant ces coeurs emplis d’animosité envers la Beauté bénie. Par le pouvoir et le feu de leur parole, ces âmes héroïques ont consumé les voiles des préjugés et de la haine et submergèrent les forces des infidèles qui s’étaient soulevés pour renverser l’édifice de la cause de Dieu.

Dans une épître qui fut révélée pour Haji Mirza Ahmad de Kashan, (n139) Baha’u’llah exhorte ses serviteurs par ces paroles:

«Comme le feu, jetez des flammes, pour que s’y consument les voiles de l’insouciance et que les coeurs glacés et obstinés s’embrasent sous l’action des énergies vivifiantes de l’amour de Dieu. Soyez légers et libres comme la brise afin d’obtenir l’accès à ma cour et de mon inviolable sanctuaire.» (r18)

La foi en Dieu et la fermeté en son sentier sont des termes relatifs. La force d’une personne faible est considérée comme de la faiblesse pour un homme fort. Pour le saint, l’amour et la dévotion des hypocrites envers Dieu n’est rien d’autre que de la profanation. Par conséquent, la mesure de la foi varie avec l’individu. Baha’u’llah, dans son épître, a appelé Ahmad à atteindre le plus haut degré de foi. Ses exhortations à son endroit sont conçues pour le mener, lui et les autres, au sommet de la fermeté et du courage. Il est difficile d’imaginer que Dieu puisse exiger un degré plus élevé de fermeté et de foi que celui demandé par Baha’u’llah en ces termes:

«Demeure si ferme dans mon amour que ton coeur ne vacille pas, dussent les épées de tes ennemis faire pleuvoir leurs coups sur toi, et le ciel et la terre se soulever contre toi.» (r19)

Ces paroles de Baha’u’llah pourraient bien servir de critère par lequel l’individu peut déterminer s’il a lu cette épître avec «une absolue sincérité». Le signe de la sincérité est manifesté par le croyant qui s’élève à de tels sommets de foi et de loyauté, que son coeur ne vacille pas, même s’il se retrouve aux mains de l’ennemi, face au martyre. Le fait que Baha’u’llah ait établi cette norme élevée de foi, constitue en soi une preuve que de nombreuses personnes se lèveront pour l’atteindre. Car les paroles de Baha’u’llah sont créatrices et au moment où il les a prononcées, il a insufflé un nouvel esprit de courage dans le coeur de ceux qui l’avaient sincèrement reconnu. Non seulement Ahmad fut-il doué du pouvoir de la foi, mais de nombreux autres parvinrent aux plus hauts sommets de certitude et d’héroïsme. Ces âmes éradiquèrent de leur coeur toute trace d’agitation violente et de doute, elles restèrent fermes comme le roc dans la cause de Dieu et firent face à leurs bourreaux avec courage.

Pour citer un exemple, rappelons certains des événements menant au martyre de l’un des disciples remarquables de Baha’u’llah, Haji ‘Abdu’l-Majid-i-Nishapuri, qui devint l’incarnation de la foi et du détachement. Il était le père de Aqa Buzurg, surnommé Badi‘, qui, à l’âge de dix-sept ans, se trouva en présence de Baha’u’llah dans la prison d’Acre, remit l’épître de Baha’u’llah à Nasiri’d-Din Shah et fut par la suite mis à mort par ses sbires.

Haji ‘Abdu’l-Majid, désigné par Baha’u’llah sous le nom de Aba Badi‘ (le Père de Badi‘) embrassa la Foi pendant le ministère du Bab. Il figurait parmi les premiers croyants de la province de Khurasan que Mulla Husayn-i-Bushru’i (n140) avait enseignés. Il prit part aux combats de Shaykh Tabarsi (n141) et fut l’un des survivants de ce sanglant soulèvement.

En route vers cette forteresse, Aba Badi‘, qui était un homme riche, fut aussi le premier à obéir à l’exhortation de Mulla Husayn appelant ses compagnons à abandonner leurs biens terrestres et à tout laisser derrière eux sauf leurs épées et leurs chevaux. Il jeta sur le bas-côté de la route une sacoche pleine de turquoises, qui valait une fortune. Lorsque la nouvelle de la Déclaration de Baha’u’llah lui parvint, Aba Badi‘ reconnut joyeusement son rang et avec une grande dévotion, il passa ses journées à servir sa Cause. En 1876, à un âge avancé, aspirant à se retrouver en présence de Baha’u’llah, il fit le voyage jusqu’à Acre où il se réchauffa au soleil de sa gloire. Il a laissé à la postérité la chronique orale suivante qui concerne l’une de ses mémorables entrevues avec Baha’u’llah:

«Un jour, j’eus l’honneur de me retrouver en présence de la Beauté bénie alors qu’il parlait à propos de Badi‘ qui était venu en sa présence, avait porté son épître bénie à Téhéran [pour Nasiri’d-Din Shah] et avait conquis la couronne du martyre. Alors qu’il parlait, des larmes s’écoulèrent à profusion de mes yeux et ma barbe en fut inondée. Baha’u’llah se tourna vers moi et me dit: «Aba Badi‘ ! une personne qui a déjà vécu les trois-quarts de sa vie, devrait offrir le reste dans le sentier de Dieu...» «Est-il possible que ma barbe, qui est à présent trempée de mes larmes puisse un jour être teintée du rouge de mon sang ?» demandai-je. La Beauté bénie répondit: "Si Dieu le veut..."» (n142) (r20)

Aba Badi‘ retourna dans son pays natal du Khurasan, le coeur brûlant du feu de l’amour de Baha’u’llah et l’âme rayonnante de la lumière de sa gloire. Il avait l’habitude de participer aux réunions des amis à Mashhad où il les stimulait et les encourageait à rester fermes dans la cause de Dieu. Il leur lisait aussi des passages du Kitib-i-Aqdas, le premier exemplaire qu’il avait apporté au Khurasan. L’un des thèmes dont il discutait souvent était l’accomplissement imminent de la prophétie de Baha’u’llah au sujet de la chute du Sultan ‘Abdu’l-‘Aziz, mentionnée dans les épîtres au Ra’is et à Fu’ad. (n143) Il passait le plus clair de son temps à transcrire les épîtres de Baha’u’llah.

L’enthousiasme avec lequel Aba Badi‘ enseignait la Foi souleva bientôt l’animosité des ennemis de la Cause. Parmi eux en particulier se trouvaient son frère et sa soeur qui racontaient tout ce qu’il faisait à un certain mujtahid, Shaykh Muhammad Taqiy-i-Bujnurdi. Ils l’informaient que leur frère, un babi depuis de nombreuses années, avait été l’un des disciples de Mulla Husayn et qu’il avait combattu à Shaykh Tabarsi, et que son fils avait été mis à mort sur l’ordre du Chah. Ils divulguèrent tout de ses activités, y compris sa récente visite à Baha’u’llah et son franc enseignement de la foi baha’ie. Le mujtahid fut alarmé par ces rapports et il envoya deux de ses hommes pour interroger Aba Badi‘ qui leur parla ouvertement de ses croyances et leur proclama le message de Baha’u’llah. Cette libre profession de foi signifiait qu’il n’y avait aucune difficulté ensuite à signer son arrêt de mort. C’était en 1877, un an après que Aba Badi‘ se soit trouvé en présence de Baha’u’llah à Acre. Il était alors âgé de quatre-vingt-cinq ans.

Alors que les manigances du clergé et du peuple commençaient à porter leurs fruits, un implacable ennemi de la Cause, Shaykh Muhammad-Baqir d’Isfahan, stigmatisé par Baha’u’llah comme le «Loup», (n144) arriva à Mashhad où il joua un rôle majeur dans ce crime haineux. D’abord, il ordonna que Aba Badi‘ comparût devant lui. Lorsque ce dernier n’accorda guère d’attention à ses ordres, il s’allia avec Shaykh Muhammad-Taqi précédemment cité, et avec un certain Shaykh ‘Abdu’r-Rahim qui était l’un des plus éminents théologiens du Khurasan. Ces trois mujtahids envoyèrent une pétition au Prince Muhammad-Taqi Mirza, le Rukni’d-Dawlih, un frère du Chah et gouverneur du Khurasan, demandant qu’Aba Badi‘ soit exécuté. Le Prince était d’une bonne nature et rechignait vraiment à nuire aux baha’is. Mais il ne pouvait résister à l’énorme pression que le clergé mettait sur lui. Il décréta l’arrestation d’Aba Badi‘ qui fut mit en garde-à-vue. Mais le Rukni’d-Dawlih, peu désireux de toucher au prisonnier, ne poussa pas plus loin l’affaire. Les théologiens perdirent patience et allèrent se plaindre directement à Nasiri’d-Din Shah. Le Roi ordonna que la victime devait être libérée uniquement si elle reniait toute allégeance à la nouvelle Foi.

Après tout ceci, Shaykh Muhammad-Baqir continua à faire pression sur le Prince pour l’exécution. Il se rendit à la maison du gouverneur et discuta de ses plans maléfiques avec lui. Ceux-ci impliquaient d’attacher Aba Badi‘ à un ballon à air qui avait été apporté à Mashhad comme curiosité à voir, et de provoquer une chute mortelle. Alors que ces discussions allaient bon train, une tragédie frappa la maison du Prince. Sa jeune fille, à laquelle il était très attaché, tomba dans un bassin de la maison et se noya. Le Prince, frappé par le chagrin, quitta la réunion et les plans de Shaykh Baqir durent être abandonnés. L’épouse du Prince était convaincue que la mort tragique de sa fille était intervenue comme une punition de Dieu pour avoir infligé la prison à un vieillard comme Aba Badi‘. Elle réprimanda très sévèrement son mari et la seule chose qu’il put faire fut d’ordonner le transfert de Aba Badi‘ vers d’autres quartiers où l’officier responsable était amical envers les baha’is.

Shaykh Muhammad-, qui ne pouvait plus longtemps tolérer l’attitude passive et les tactiques dilatoires du Prince, envoya une autre plainte au Chah. Pour la deuxième fois, le monarque ordonna au Prince de libérer le prisonnier s’il reniait, sinon, il devait agir avec lui selon la loi de la religion. Le Prince, qui était très soucieux de sauver Aba Badi‘ de la mise à mort, envoya deux hommes éminents pour parler avec lui et le persuader de renier sa foi. L’un d’eux était Mirza Sa‘id Khan, l’ancien ministre des Affaires étrangères. (n145) L’autre était le Prince Abu’l-Hasan Mirza, le Shaykhu’r-Ra’is, (n146) qui était un disciple de Baha’u’llah. Ces deux hommes plaidèrent avec lui au nom du gouverneur, que, pour sa propre protection, il devrait déclarer qu’il ne faisait aucune allégeance avec la Cause. Alors seulement, le gouverneur pourrait défendre son cas et sauver sa vie. Ils lui expliquèrent qu’il n’y avait pas d’autre issue, car le gouverneur était pieds et poings liés et qu’il ne pouvait rien faire d’autre pour retourner la situation.

Aba Badi‘ tint bon, ferme et résolu. Il ne pouvait échanger sa Foi contre ce monde éphémère. L’amour de Baha’u’llah l’avait tellement hypnotisé qu’il ne ressentait aucune peur en son coeur. Il leur dit de transmettre au Rukni’d-Dawlih qu’il ne pouvait ni renier ni dissimuler sa Foi et qu’il serait prêt à donner sa vie si nécessaire. Le gouverneur ne lâcha pas prise. Il persévéra dans son plan pour inciter Aba Badi‘ à renier. On rapporte qu’il aurait envoyé une douzaine d’hommes à des moments différents, tous reconnus comme des personnalités parmi les dignitaires de la Province de Khurasan, afin de le persuader de changer d’opinion. Mais ils échouèrent tous. L’un de ces hommes raconta qu’au lieu de prêter attention aux exhortations du Rukni’d-Dawlih, Aba Badi‘ était engagé à lui enseigner la Foi de Baha’u’llah. Finalement, le dénouement arriva. Le Prince n’avait pas d’autre choix que de mettre à exécution les souhaits du clergé et par conséquent, il donna des ordres pour la mise à mort de Aba Badi‘.

La veille de son martyre, Aba Badi‘ demanda à une croyante, Khadijih Khanum, qui venait le voir chaque jour en prison et faisait le lien entre les croyants et lui, de ne pas revenir car il savait que le lendemain serait son dernier jour sur cette terre. Il avait rêvé qu’on lui amenait un cheval pour l’emmener ; il montait sur le cheval, mais lorsqu’il arrivait à Maydan-i-Arg, (une place publique à Mashhad), il tombait de sa monture. Il dit à Khadijih Khanum que cette place publique serait le lieu de son martyre.

Le lendemain, le geôlier informa secrètement les croyants que l’heure fatale était arrivée et que l’exécution aurait lieu ce jour. Les amis, frappés par le chagrin, se réunirent dans la Maison de Babiyyih, (n147) priant et attendant des nouvelles. Entre temps, un certain nombre de fonctionnaires du gouvernement, les bourreaux et une foule importante s’étaient rassemblés hors de la prison. Après quelques heures, la vieille mais imposante figure de Aba Badi‘ sortit de la prison. Son visage radieux et sa barbe blanche lui donnaient une prestance digne, tandis que la lourde chaîne autour de son cou fragile faisait de lui l’image même de la douceur et de la résignation. On l’emmena, au milieu des quolibets et des insultes d’une foule hostile, à la cour du gouverneur. En route, il faisait face aux spectateurs et, rayonnant de joie, il récita ces deux vers d’un célèbre poème persan:

«Au bon plaisir de Dieu nous sommes résignés ;
Un lion enchaîné ne ressent aucune honte.
À mon cou la corde du Bien-Aimé est attachée ;
Il me mène où sa volonté l’ordonnera.»

Dans la maison du gouvernement, il comparut devant trois personnes: le gouverneur, Mirza Sa‘id Khan et Shaykh Muhammad-Baqir, mentionnés précédemment. Ce dernier, s’adressant à Aba Badi‘, dit: «Nous n’avons aucun doute que vous soyez un baha’i, mais si ce n’est pas le cas, vous devez maintenant rejeter et dénoncer les fondateurs de cette Foi.» Aba Badi‘ refusa de le faire. Le Shaykh lui demanda alors: «Qu’est-ce qui ne va pas avec l’islam pour que vous soyez devenu baha’i ?» Aba Badi‘ parla des croyances des disciples de Baha’u’llah et il conclut sa déclaration en affirmant que la réalité et l’essence de l’islam étaient au sein de cette Foi. Ensuite, ce fut au tour du gouverneur de plaider avec Aba Badi‘ pour qu’il se plie aux ordres du Shaykh, mais une fois encore il réitéra son refus. Le Shaykh insista: à moins qu’il ne prononce des paroles de rejet contre Baha’u’llah, il devait être mis à mort. Mirza Sa‘id Khan, qui avait auparavant interrogé Aba Badi‘ en prison, fut troublé par l’attitude du Shaykh et déclara qu’il ne trouvait rien dans les affirmations du prisonnier qui montrait qu’il était infidèle et blasphématoire, méritant la mort. Le Shaykh, que ces remarques mirent en colère, fit simplement observer à Mirza Sa‘id Khan qu’il ne pouvait espérer assurer la liberté du prisonnier avec ces paroles et ainsi porter un coup à la foi de l’islam. S’adressant au gouverneur, le Shaykh répéta alors son verdict de mort et le premier ordonna à ses hommes de le mettre à exécution.

Aba Badi‘ fut emmené par les bourreaux à Maydan-i-Arg, où une grande foule s’était rassemblée pour le regarder mourir. L’un des amis se fraya un passage au sein de la multitude, jusqu’à ce qu’il fut proche de lui. Là, il le pria de renier au dernier moment, en disant que cela sauverait sa vie et ne nuirait pas à sa Foi. Pour toute réponse, Aba Badi‘ récita ce poème persan:

«Tends ton piège pour un autre oiseau ;
Voici le phénix et en hauteur, il fait son nid.»

Le gouverneur, qui répugnait vraiment à verser le sang d’un homme saint et innocent, espéra que l’horrible scène d’exécution pourrait effrayer Aba Badi‘ et l’inciter à renier. Juste au moment où l’exécution allait avoir lieu, un envoyé spécial du gouverneur arriva sur place et pour la dernière fois, plaida en vain pour qu’il sauvât sa vie. Mais Aba Badi‘ était l’incarnation de la fermeté en la cause de Dieu. Ni les clameurs du peuple, leurs insultes et leurs persécutions, ni l’effroyable vision du bourreau, qui se tenait dague en main à ses côtés, ne purent le détourner du sentier de Dieu. Très probablement que son âme, au plus fort de cette épreuve, communiait avec Baha’u’llah, languissant de prendre son envol vers les royaumes de l’esprit. Sa pensée devait aussi être fixée sur ces heures mémorables qu’il avait passées avec son Seigneur à Acre, et le martyre de son fils bien-aimé à l’âge de dix-sept ans, «la Fierté des martyrs de la Foi». (n148) Ce grand héros, entouré de milliers de gens engoncés dans le carcan des préjugés et de la haine, qui lui vociféraient des insultes et des malédictions, ce vieil homme de Dieu resplendissait du feu de la foi et de la certitude. Il restait serein et calme, imperturbable face à la férocité et à la brutalité de ses persécuteurs.

Enfin, l’officier responsable donna le signal et le bourreau, vêtu de rouge, s’avança. Il enleva la coiffe de Aba Badi‘, son châle et son manteau, lui apporta un bol d’eau, (n149) tourna son visage vers la Qiblih (n150) de l’islam et avec un coup puissant de sa dague, l’éventra de la taille jusqu’à la gorge. Sa tête, exposée à la vue du public, fut posée sur une dalle en marbre et son corps traîné à travers les bazars jusqu’à ce qu’il fut abandonné à la morgue de la ville. De nombreux voyous restèrent près du corps et empêchèrent sa famille de l’approcher. Sa fille (la soeur de Badi‘), inconsolable, les larmes roulant sur ses joues et qui tenait son fils, un bébé, dans ses bras, se tint pendant des heures à distance avec son mari afin de voir les restes maltraités de son illustre père. Mais la foule continuait à leur jeter des pierres et elle fut obligée de quitter la place, le coeur étreint par une agonie trop émouvante à décrire. Les croyants, qui observaient ces événements avec beaucoup d’inquiétude, élaborèrent un plan pour sauver la dépouille de Aba Badi‘. Comme son corps était placé à la morgue devant la mosquée des sunnites, il était des plus naturel pour un sunnite de l’enlever. Ainsi, l’un des baha’is, déguisé en Kurde et accompagné par deux autres personnes, réussirent à prendre le corps, à l’emporter hors des portes de la ville et à l’enterrer au milieu de la nuit dans un cimetière abandonné.

Ainsi finit la vie de l’un de ceux qui, jusqu’à la fin, resta ferme et solide comme le roc en la cause de son Seigneur, et qui de son propre sang, attesta de sa vérité. Il démontra amplement le pouvoir de Baha’u’llah qui, d’une simple parole, avait créé une nouvelle race d’hommes, et avait instillé en eux une telle foi qu’ils devenaient les incarnations de ces paroles: «Et demeure si ferme en mon amour que ton coeur ne vacille pas, dussent les épées de tes ennemis faire pleuvoir leurs coups sur toi, et le ciel et la terre se soulever contre toi.»


CHAPITRE 6: L’Épître à Ahmad (en persan)

Contrairement à la L’Épître à Ahmad en arabe, c’est une longue épître écrite en persan et qui fut révélée pour Haji Mirza Ahmad de Kashan. Il était le demi-frère de Haji Mirza Jani et de Haji Muhammad-Isma‘il (n151), ce dernier surnommé Dhabih (Sacrifice) et Anis (Compagnon) par Baha’u’llah. Haji Mirza Jani a été le premier à embrasser la foi du Bab à Kashan. Il s’était retrouvé en présence du Bab à La Mecque et était devenu un ardent croyant. Alors que le Bab était sur la route du retour vers Téhéran, Haji Mirza Jani, après s’être assuré l’autorisation des fonctionnaires qui conduisaient le Bab à la capitale, l’accueillit chez lui pendant trois jours. Plus tard, il fut martyrisé à Téhéran. (n152)

En conséquence de la fréquentation de ce frère, Haji Mirza Ahmad et son autre demi-frère Haji Muhammad Isma‘il devinrent tous deux babis.

À la différence de ses deux frères qui restèrent loyaux à la cause de Dieu, Haji Mirza Ahmad montra de l’infidélité à Baha’u’llah et devint un adepte de Mirza Yahya. Il rencontra Baha’u’llah pour la première fois à Bagdad et plus tard, il l’accompagna à Constantinople et Andrinople. Il faisait partie de ceux que Baha’u’llah emmena avec lui afin de vérifier sa malveillance. Dans l’une de ses épîtres (r1), Baha’u’llah fait allusion à Haji Mirza Ahmad comme l’un de ceux qui sont parvenus en présence de leur Seigneur et ont été honorés de le fréquenter. Cependant il ne sut pas reconnaître son rang. Il entendit la voix de Dieu de nombreuses fois mais il n’y répondit pas. La Lawh-i-Ahmad (Épître à Ahmad) fut révélée par Baha’u’llah à Andrinople, afin de le guider sur le sentier de la foi et de la croyance. Cette épître démontre la bonté et l’indulgence de Baha’u’llah. Car Haji Mirza Ahmad était un homme au coeur hypocrite, à la conduite vulgaire et au langage grossier. Les conseils de Baha’u’llah n’atteignirent que des oreilles sourdes. Au lieu de s’amender, il resta insouciant, s’allia avec Mirza Yahya et engendra beaucoup de dissension et de discorde parmi les compagnons. Enfin, Baha’u’llah l’expulsa de sa présence et lui ordonna de quitter Andrinople pour rejoindre l’Irak. Une fois là-bas, Ahmad rechercha la compagnie de quelques hommes mauvais, qui finalement le tuèrent principalement à cause de son langage grossier.

Presque deux tiers de cette épître ont été traduits en anglais par Shoghi Effendi, le Gardien de la Foi (n153). Baha’u’llah y a prodigué ses recommandations et exhortations affectueuses aux babis en général et à Ahmad en particulier. Afin d’apprécier cette épître, il faut nous rappeler qu’elle a été révélée durant la première partie de son séjour à Andrinople, avant la tentative d’assassinat de Mirza Yahya contre lui. C’était une période durant laquelle quelques éléments corrompus parmi les babis relevaient la tête et semaient les graines de la sédition au sein des croyants. Ils se rassemblèrent autour de Mirza Yahya, gonflèrent son ego et firent de lui une idole au sein de leur groupe. Du fait qu’ils se sont détournés du sentier de la vérité et à cause de leur manque de sincérité à l’égard de Baha’u’llah, l’esprit de ces hommes devint véritablement satanique. La raison en est que Dieu a créé l’homme «pour le connaître et l’adorer». Mais l’homme transgresse les lois de Dieu et commet de nombreux péchés qui lui sont préjudiciables. Cependant, Dieu est miséricordieux et par l’intermédiaire de sa grâce, il pardonne à ses serviteurs. En effet, si ce n’était par bonté divine, aucune chose créée ne serait venue à l’existence, ni aucun être humain ne pourrait progresser dans ce monde ou dans l’autre. L’étude des Écrits sacrés révèle que la miséricorde de Dieu et son pardon qui ont embrassé toute la création, sont refusés à ceux qui reconnaissent la Manifestation de Dieu mais se lèvent consciemment et en connaissance de cause pour s’opposer à elle. En fait, ce faisant, ils tentent de prétendre au même rang que la Manifestation de Dieu et s’efforcent de se placer au même niveau. Cette action, qui enfreint l’alliance de Dieu, est impardonnable, à moins que l’individu, mort spirituellement, ne se tourne vers Dieu dans un repentir authentique. Le Christ y fait allusion comme étant le «péché contre le Saint-Esprit». Ce péché appelle la colère de Dieu et obstrue les canaux de la grâce qui vient du ciel.

Les quelques babis, y compris Haji Mirza Ahmad, qui se rassemblèrent autour de Mirza Yahya dans l’unique but de s’opposer à Baha’u’llah, appartenaient à cette catégorie. Leurs pensées, leurs paroles et leurs actes étaient dénués de vérité. Ils passaient leur temps à Andrinople à fomenter la dissension, à empoisonner l’esprit des croyants et à concevoir des projets malveillants pour déraciner la cause de Dieu et apporter la division au sein de ses rangs.

La Lawh-i-Ahmad fut révélée par Baha’u’llah pour ramener ces hommes vers leur Dieu. Il débute l’épître en pressant Ahmad de posséder un coeur pur. Voici une partie du paragraphe d’introduction:

«Ô toi, fidèle ami, victime de l’exil ! étanche la soif des insouciants avec les eaux saintes de ma grâce et, par la lumière matinale de ma présence divine, dissipe la sombre tristesse de mon éloignement. Ne souffre pas que le lieu où demeure l’éternel amour que je te porte soit détruit par la tyrannie des désirs mauvais et ne voile pas la beauté de cet Adolescent par la poussière des passions égoïstes. Revêts-toi de l’essence de la justice, et que ton coeur ne connaisse d’autre crainte que la crainte de Dieu. N’obstrue pas la source lumineuse de ton âme avec les épines et les ronces des imaginations vaines et démesurées, et n’arrête pas le cours des eaux vives qui coulent de la fontaine de ton coeur. Mets en Dieu toutes tes espérances et attache-toi fermement à son infaillible miséricorde.» (r2)

Dans cette épître, Baha’u’llah définit le véritable but pour lequel Dieu a accordé des facultés à l’être humain:

«Ton oeil est un dépôt qui m’appartient ; ne souffre pas que la poussière des vains désirs en ternisse l’éclat. Ton oreille est un signe de ma bonté ; ne permets pas que le tumulte des impulsions inconvenantes l’empêche d’entendre ma parole qui pénètre toute la création. Ton coeur est mon trésor, ne laisse pas la main traîtresse de l’ego dérober les perles que j’y ai amassées. Ta main est le symbole de ma tendre bonté, ne l’empêche pas de tenir fermement mes tablettes saintes et cachées...» (r3)

Ces idéaux élevés nous donnent un aperçu de la noblesse et de la pureté auxquelles parviendra l’homme, à l’ombre de la cause de Baha’u’llah. L’étude des Écrits indique clairement que le dessein qui sous-tend la révélation de Baha’u’llah, est de créer une nouvelle race d’homme dont les pensées et les actes reflèteront et manifesteront en ce monde les attributs les plus élevés et les vertus divines. En corrélation, il est approprié de citer un récit intéressant de Nabil-i-A‘zam concernant plusieurs affirmations que Baha’u’llah fit à certains princes persans à Bagdad au sujet de la noblesse future de l’humanité. Ce récit est connu sous le nom de «Panj Kanz» (Cinq Trésors). Ce qui suit en est une traduction partielle:

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... Certains princes persans se trouvaient une fois en présence de Baha’u’llah. Il était en grande conversation avec eux et avec bonté, il leur demandait des nouvelles de leur pays. Au cours de cette entrevue, l’un des princes fit la remarque suivante: «Comment cela se fait-il que vous parliez de questions spirituelles à vos amis lorsqu’ils parviennent en votre présence, tandis qu’à nous, vous ne parlez que des nouvelles de la ville et du marché ?» Il essayait de demander: «Comment ces hommes, qui sont dénués de savoir et de discernement, pourraient-ils nous être préférables ?» Baha’u’llah lui fit cette réponse:

«... Je vous dirai quelles sont les personnes dignes d’écouter mes paroles et de parvenir en ma présence. Supposez qu’une personne soit emmenée vers une vaste plaine, à la droite de laquelle sont placées toutes les gloires de ce monde, ses plaisirs et son confort, avec une souveraineté qui pourrait être éternelle et libre de toute affliction et de tout chagrin. À la gauche de cette plaine, sont préservées pour l’éternité toutes les calamités, les difficultés, les douleurs et d’immenses souffrances. Puis supposez que l’Esprit Saint apparaisse devant cette personne et s’adresse à elle en ces termes: «Si tu devais choisir de posséder tous les plaisirs éternels qui sont placés du côté droit de préférence aux calamités placées du côté gauche, ton rang ne serait en rien diminué à la vue de Dieu. Et si tu devais choisir d’être affligé d’innombrables souffrances qui sont placées à ta gauche, ton rang ne serait en rien augmenté à la vue de Dieu, le Tout-Puissant, le Libre.»

«Si en cet instant, cette personne était mue à choisir, avec l’enthousiasme et le zèle les plus absolus, la main gauche de l’humiliation plutôt que la main droite de la gloire, alors il serait digne de parvenir en ma présence et d’écouter mes paroles exaltées. À ce sujet, la Langue de grandeur, s’adressant aux chercheurs, dit: «Si ton but est de chérir ta vie, n’approche pas de notre cour. Mais si le sacrifice est le désir de ton coeur, vient et laisse les autres venir avec toi. Car telle est la manière de la foi, si en ton coeur, tu recherches la réunion avec Baha. Si tu refuses d’emprunter ce sentier, pourquoi nous troubler ? Va-t-en !» ...» (n154)

À ce même chercheur, Baha’u’llah dit encore: «Le but de ma venue en ce monde corrompu où les tyrans et les traîtres, par leurs actes de cruauté et d’oppression, ont fermé les portes de la paix et de la tranquillité à toute l’humanité, c’est d’établir par le pouvoir de Dieu et sa puissance, les forces de la justice, de la confiance, de la sécurité et de la foi. Par exemple, [à l’avenir], à supposer qu’une femme (...) à la beauté inégalée et ornée des joyaux les plus exquis et les plus inestimables doive voyager sans voile et seule, de l’Est à l’Ouest du monde, en passant par tous les pays et se rendant dans chaque contrée, il y aurait un tel niveau de justice, de confiance et de foi d’une part, et un manque de fourberie et d’avilissement d’autre part, qu’il ne se trouverait personne pour vouloir la dépouiller de ses biens ou pour jeter un oeil perfide et lubrique sur sa magnifique chasteté ! ...»

Puis Baha’u’llah affirma: «Par le pouvoir de Dieu, je transformerai les peuples du monde en cet état exalté et j’ouvrirai cette très grande porte à la face de toute l’humanité.» (r4)
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À ce sujet, Baha’u’llah a révélé les paroles suivantes concernant le peuple de Baha:

«Celui-là est mon vrai disciple qui, s’il arrive dans une vallée d’or pur, la traverse d’un trait léger, comme un nuage, sans jamais se retourner ni s’arrêter. Un tel homme est certainement des miens, de son vêtement, le Concours suprême peut respirer la fragrance de sainteté (...) Et s’il rencontrait la plus belle et la plus avenante des femmes, il ne laisserait pas séduire son coeur par la moindre ombre de désir pour sa beauté.» (r5)

Nabil continue l’histoire de la conversation de Baha’u’llah avec les princes:

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Concernant la sincérité de motivation et de pureté des actes, la Langue de Grandeur (n155) s’adressa à eux en ces termes: «Supposez une personne très riche, dont la richesse est incommensurable et au-delà de toute mesure. Et supposez que, progressivement, et au cours du temps, il accorde une grosse part de sa richesse à un pauvre (...) à tel point qu’il en est réduit à une absolue pauvreté tandis que le pauvre est devenu un homme très riche (...) Supposez qu’en son état de pauvreté et de dénuement, il tombe dans une situation au cours de laquelle il contracte quelque dette. Etant incapable de la payer, il est amené sur une place publique en ville où il est humilié et puni. De plus, on l’informe que sa libération ne pourra être envisagée qu’à condition de payer sa dette. À ce point, supposez qu’il voit son ami (qui fut autrefois pauvre et est devenu riche en conséquence de sa générosité). Si la pensée devait traverser en un éclair son esprit, de souhaiter qu’en retour de toute sa générosité à son endroit, cet ami viendrait vers lui maintenant et le soulagerait de cette calamité, immédiatement tous ses actes en seraient annulés, il serait privé de la qualité du contentement et de l’acceptation, et serait écarté des vertus de l’esprit humain.

La même chose est vraie pour le deuxième homme, celui qui est devenu riche (grâce à la générosité du prisonnier). S’il devait croire en son coeur qu’il est obligé de payer les dettes de cet homme, de le délivrer de son épreuve et de lui permettre de vivre le reste de sa vie dans le confort, parce qu’il avait auparavant montré un amour, une bonté incommensurable envers lui, alors une telle motivation le menant à repayer la générosité de son ami (au lieu de donner par humanité) aurait pour conséquence qu’il serait privé du calice de la sincérité et le mènerait vers le monde de l’ignominie.

La seule façon acceptable aux yeux de Dieu, aurait été pour le premier homme d’avoir fondé ses actes de générosité sur des principes humanitaires totalement pour l’amour de Dieu. De la même manière, le deuxième homme riche aurait dû agir pour l’amour de Dieu et comme un devoir au monde de l’humanité sans considération des événements du passé ou du futur. Ainsi, il est révélé: «Nous vous nourrissions pour plaire à Dieu seul ; nous n’attendons de vous ni récompense, ni gratitude»... (n156) (r6)
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Dans l’Épître à Ahmad, Baha’u’llah conseille l’humanité en ces termes:

«Ô mes serviteurs, ne vous privez pas de l’immortelle et resplendissante lumière qui brille dans la lampe de la gloire divine. Laissez la flamme de l’amour divin éclairer vos coeurs radieux. Nourrissez-la de l’huile de la Providence divine et abritez-la de votre fidélité. Gardez-la sous le globe de la confiance et du détachement de tout ce qui n’est pas Dieu, de peur que les méchants murmures de l’impie n’en éteignent la lumière. Ô mes serviteurs ! ma sainte révélation, ma révélation d’ordre divin peut être comparée à un océan dont les profondeurs recèlent d’innombrables perles d’un grand prix et d’un incomparable orient. C’est le devoir de tout chercheur de faire diligence pour atteindre les rivages de cet océan, afin de participer, en proportion de l’ardeur de sa recherche et des efforts qu’il déploie, aux bienfaits pré-ordonnés dans les tablettes irrévocables et cachées de Dieu. S’il ne se trouve personne pour diriger ses pas vers ces rivages, si personne ne se lève pour le chercher, pourra-t-on dire qu’une telle carence a privé l’océan de sa puissance ou diminué tant soit peu les trésors qu’il recèle ? Combien vaines, combien méprisables sont les imaginations que vos coeurs ont forgées et forgent encore ! Ô mes serviteurs ! le seul vrai Dieu m’en est témoin, cet immense, cet insondable océan est là qui déferle tout près, étonnamment près de vous. Voyez, il est plus près de vous que la veine de votre coeur ! En un clin d’oeil, si vous le voulez, vous pouvez l’atteindre et prendre votre part de cette impérissable faveur, de cette grâce donnée par Dieu, de ce don incorruptible, de ce puissant bienfait d’une gloire ineffable.
Ô mes serviteurs ! si vous pouviez concevoir les merveilles de munificence et de bonté dont j’ai voulu faire de vos âmes les dépositaires, en vérité vous rompriez tout attachement aux choses créées et vous parviendriez ainsi à une connaissance de votre moi qui équivaut à la compréhension de mon Être propre.» (r7)

Cette dernière déclaration se retrouve aussi dans l’islam. Dans l’une des traditions, il est écrit: «Celui qui reconnaît son propre être a, en vérité, reconnu Dieu.» Mirza Hadiy-i-Qazvini, l’une des Lettres du Vivant (n157), demanda à Baha’u’llah d’expliquer pour lui, entre autres choses, la signification de cette tradition. Dans une longue épître à Mirza Hadi (r8), Baha’u’llah explique que l’âme de l’homme, à laquelle il fait allusion comme étant la faculté de raisonnement, est une émanation des mondes de Dieu. Chaque faculté présente en l’homme, qu’elle soit physique ou spirituelle, est une manifestation de l’âme. Par exemple, chacun des sens tire son pouvoir de l’âme et chaque qualité spirituelle est due à elle. Cependant, la somme totale de toutes ces facultés au sein d’un être humain ne fait pas l’âme. Alors, pourrions-nous demander, qu’est-ce que l’âme ? Baha’u’llah affirme que l’âme est inconnaissable. Quelqu’un méditerait-il sur ce thème pendant l’éternité, qu’il ne pourrait jamais comprendre la nature de l’âme, ni sonder les mystères qui y sont enchâssés.

Il dit ensuite:

«Ayant donc reconnu ton impuissance à parvenir à une adéquate compréhension de cette Réalité (n158) qui force le respect en toi, tu admettras aisément la futilité de toute tentative de ta part, ou de la part de n’importe quel être créé, pour sonder le mystère du Dieu vivant, le Soleil de gloire immortelle, l’Ancien des jours éternels.» (r9)

Lorsque l’homme reconnaît son impuissance à connaître la nature de sa propre âme, et encore plus la nature de Dieu, alors il a atteint le plus haut degré de la connaissance et de la compréhension.

Voici les paroles de Baha’u’llah:

«Cet aveu d’impuissance qu’impose à tout esprit une mûre réflexion, représente l’apogée de l’intelligence humaine et marque le point culminant du développement de l’homme.» (r10)

Baha’u’llah explique à Mirza Hadi que dans tous les mondes de Dieu, ce verset comporte de nombreuses autres significations situées au-delà de la compréhension de l’homme. Mirza Hadi, qui, comme mentionné plus haut, était l’une des Lettres du Vivant, manqua à la fin de rester loyal à la cause de Baha’u’llah. Il suivit Mirza Yahya et se priva des bontés de Dieu. Cette fin tragique, pour quelqu’un qui eut l’inestimable privilège d’être l’un des dix-huit premiers disciples du Bab, démontre comment Dieu éprouve ses serviteurs. Plus on se rapproche de la Manifestation de Dieu, plus les épreuves deviennent sévères. (n159)

Il y eut quelques autres personnes parmi les Lettres du Vivant à succomber aux épreuves de Dieu. L’une d’elles fut Mulla Hasan-i-Bajistani qui fut en présence de Baha’u’llah à Bagdad. Il exprima ses doutes à Baha’u’llah concernant la révélation du Bab. L’une de ses objections était que le Bab, dans ses Écrits, chanta les vertus et loua le rang des Lettres du Vivant, en des termes ardents, et pourtant, en tant que Lettre du Vivant lui-même, il se savait dénué de ces qualités. Baha’u’llah répondit qu’un fermier irrigue son champ afin d’arroser ses cultures. Dans ce processus, cependant, les mauvaises herbes sont aussi arrosées. Il expliqua que les hommages rendus par le Bab aux Lettres du Vivant, et les louanges qu’il déversa sur elles, renvoyaient toutes à Mulla Husayn, le premier à croire en lui, ainsi qu’à quelques autres. Le reste reçut ces bontés comme conséquence inévitable.

La grande majorité des Lettres du Vivant resta ferme à la cause du Bab et pas moins de douze d’entre elles donnèrent leur vie dans le sentier de leur Seigneur. La plupart des Lettres du Vivant moururent avant la naissance de la révélation de Baha’u’llah mais eurent le privilège d’être en sa présence en Perse, où quelques-unes d’entre elles purent reconnaître son rang.

Mulla Baqir-i-Tabrizi, qui survécut à toutes les autres Lettres du Vivant, fut le seul à embrasser la cause de Baha’u’llah et à lui rester loyal et dévoué. Il accompagna Baha’u’llah au Fort de Shaykh Tabarsi et il était aussi présent à la conférence de Badasht. (n160)

Ce fut à lui que le Bab adressa ces paroles exaltées en louange de Baha’u’llah, «Celui que Dieu rendra manifeste»:
Pour le mentionner (n161) j’ai écrit ces mots semblables à des pierres précieuses: «Aucune de mes allusions, aucune de mes mentions dans le Bayan ne peut lui rendre justice» (...) «Il est élevé et sanctifié au-dessus de toute tentative de le révéler, si ce n’est par lui-même, et au-dessus de toute description par l’une de ses créatures. Moi-même, je ne suis que le premier serviteur à croire en lui et en ses signes, à prendre ma part aux doux parfums de ses paroles exhalés par les prémices du paradis de sa connaissance. Oui, par sa gloire ! Il est la Vérité. Il n’est pas d’autre Dieu que lui. Tous se sont levés à son commandement.» (r11)

En réponse à une question de Mulla Baqir concernant «Celui que Dieu rendra manifeste», le Bab, dans une épître particulière, lui promit qu’il se retrouverait en sa présence soit au début ou vers la fin de l’année «huit», 1268 de l’Hégire (1852).

Peu après la libération de Baha’u’llah du Siyah-Chal de Téhéran, Mulla Baqir parvint en présence de Baha’u’llah à Bagdad et, se souvenant de la promesse du Bab, reconnut son rang et s’emplit de la gloire de sa révélation. C’était un remarquable croyant et enseignant de la Cause. Ce fut à lui que le Bab, peu avant son martyre, confia un coffre contenant tous ses documents et épîtres importants, ses bagues d’agate et ses sceaux, qui devaient être remis à Mulla ‘Abdu’l-Karim-i-Qazvini, surnommé Mirza Ahmad, qui avait pour instruction de les remettre à Baha’u’llah.

Peu après la déclaration du message de Baha’u’llah, Mulla Baqir se leva pour enseigner sa Cause avec une grande détermination et une grande dévotion, parmi ses compatriotes dans la province d’Adhirbayjan. Il écrivit une épître dans laquelle il réfuta les proclamations de Mirza Yahya et rejeta les écrits de ce dernier. Languissant de se retrouver en présence de son Seigneur, il se rendit deux fois à Acre, et lors de sa dernière visite, il obtint la permission de Baha’u’llah de résider à Constantinople où il mourut vers 1881.

Dans la Lawh-i-Ahmad, Baha’u’llah, réprimandant ceux qui s’étaient levés pour s’opposer à lui, déclare:

«Ne laissez pas, ô mes serviteurs, vos vains espoirs et vos futiles imaginations saper les fondements de votre croyance en Dieu, le Très-Glorieux, car de telles chimères n’ont jamais été d’aucun profit pour les hommes et elles les empêchent de diriger leurs pas vers le droit chemin. Pensez-vous, ô mes serviteurs, qu’est enchaînée la main de ma souveraineté universelle, tutélaire et transcendante, que le flot de ma miséricorde ancienne, éternelle et pénétrante s’arrête de couler et que les nuages de mes bienfaits sublimes et incomparables cessent de pleuvoir sur les hommes ? Comment imaginer que disparaissent les oeuvres merveilleuses qui proclament mon pouvoir divin et irrésistible ou que cesse de présider aux destins de l’humanité la puissance de mon dessein et de ma volonté ? Et si vous n’imaginez rien de pareil, pourquoi vous êtes-vous efforcés d’empêcher l’immortelle beauté de mon visage sacré et gracieux d’être dévoilée aux yeux des hommes ? Pourquoi avez-vous lutté pour empêcher la Manifestation du Tout-Puissant, du Tout-Glorieux de répandre sur la terre l’éclat de sa révélation ? Si vous étiez équitables en votre jugement, vous reconnaîtriez sans peine la joie qui enivre la réalité essentielle de toutes choses créées devant cette nouvelle et merveilleuse révélation, et l’illumination que reçoivent de l’éclat de sa gloire tous les atomes de la terre. Vaines et misérables sont vos imaginations.» (r12)

Baha’u’llah avertit plus loin que, dans cette révélation, Dieu retiendra la main de ceux qui travaillent contre sa Cause. Voici ses paroles lourdes de menaces:

«Ô étourdis ! même si les merveilles de ma miséricorde embrassent toutes choses créées, tant visibles qu’invisibles et même si les révélations de ma grâce et de ma bonté pénètrent chaque atome de l’univers, redoutable est, cependant, la verge avec laquelle je châtie les méchants et terrible le déchaînement de ma colère.» (r13)


Dans l’une de ses épîtres (r14), Baha’u’llah mentionne que si ce n’était pour la générosité de Dieu et la sagesse de son décret, la main du pouvoir divin aurait saisi ceux qui ont fait subir le moindre mal aux croyants, et cette terre ne les aurait pas abrité un seul moment. C’est vrai de ceux qui sont faibles et ignorants. Cependant, Baha’u’llah affirme que dans le cas de ceux qui se sont alliés avec les pires ennemis pour persécuter les bien-aimés de Dieu et se sont levés de tout leur pouvoir dans le but de détruire sa Cause, Dieu, dans cette révélation, assurément les frappera pour les abattre.

L’histoire de la Foi a amplement démontré ce phénomène. Tous ceux qui se sont opposés à la Foi et à ses Figures centrales - le Bab, Baha’u’llah et ‘Abdu’l-Baha - eurent à souffrir un châtiment mérité. Parlant de ce processus de punition, Shoghi Effendi, le Gardien de la Foi, écrit:

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Un retour en arrière sur les événements tumultueux de ce siècle montre que les rois, les empereurs et les princes de l’Orient comme ceux de l’Occident avaient, soit ignoré les appels des fondateurs de la Foi, soit tourné leur message en dérision, soit encore ordonné l’exil et le bannissement de ces fondateurs, persécuté sauvagement leurs fidèles ou tenté avec acharnement de discréditer leurs enseignements.
La colère du Tout-Puissant les frappa ; beaucoup d’entre eux perdirent leur trône, certains virent leur dynastie s’éteindre, quelques-uns furent assassinés ou couverts de honte, d’autres furent impuissants devant la désagrégation catastrophique de leurs royaumes, d’autres encore furent rétrogradés, n’occupant plus que des positions secondaires dans leurs propres pays. Le calife, ennemi insigne de la Foi, qui avait brandi l’épée contre le fondateur de la Foi, et à trois reprises avait donné l’ordre de le bannir, mordit la poussière, et son effondrement déshonorant rappelle le sort identique que la hiérarchie juive, principale persécutrice de Jésus-Christ, avait enduré il y a presque deux mille ans, au premier siècle de l’ère chrétienne, de la part de ses maîtres romains. Des membres de divers ordres sacerdotaux, shi‘ah, sunnite, zoroastrien et chrétien, avaient furieusement attaqué la Foi, traité ses défenseurs comme des hérétiques, et travaillé sans relâche à disloquer son organisation et à saper ses fondements.
Les plus redoutables et les plus hostiles parmi ces ordres furent renversés ou pratiquement démembrés, d’autres virent décliner rapidement leur prestige et leur influence, et tous eurent à subir le choc d’une puissance séculaire, agressive, déterminée à réduire leurs privilèges et affirmer sa propre autorité. Des apostats, des rebelles, des traîtres, des hérétiques avaient fait tous leurs efforts, ouvertement ou en secret, pour miner la fidélité des croyants, pour les diviser ou attaquer leurs institutions. Un par un, ces ennemis furent confondus, dispersés, balayés et oubliés, petit à petit pour certains, avec une rapidité dramatique pour d’autres.
Bon nombre de gens s’étaient permis de sortir de l’ombre de la Foi: Personnalités marquantes, disciples de première heure, champions les plus notables, fidèles et compagnons d’exil des fondateurs, secrétaires généraux et secrétaires particuliers de l’auteur et du Centre de son alliance, y compris même quelques parents de la Manifestation elle-même, sans oublier le successeur nominal du Bab et le fils de Baha’u’llah dont il parla dans le Livre de son alliance. Ils avaient jeté l’opprobre sur la Foi, par des actes d’infamie ineffaçables, et provoqué des crises d’une ampleur jamais atteinte par aucune religion dans le passé.
Tous, sans exception, furent déchus des enviables positions qu’ils occupaient ; un grand nombre d’entre eux vécurent assez longtemps pour assister à l’échec de leurs projets, d’autres tombèrent dans l’avilissement et la misère et tous furent dans l‘impuissance absolue d’altérer l’unité ou d’arrêter la marche de la Foi qu’ils avaient si honteusement trahie. Ministres, ambassadeurs et autres dignitaires d’Etat avaient comploté avec persistance pour dénaturer son but, s’efforçant méchamment de détruire ses fondements, et avaient machiné les exils successifs de ses fondateurs. Par leurs complots, ils avaient, sans le savoir, provoqué leur propre chute, perdu la confiance de leurs souverains, bu jusqu’à la lie la coupe de la disgrâce, et irrévocablement fixé leur propre sort. (r15)
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Baha’u’llah, dans la Lawh-i-Ahmad, révèle le rôle que l’homme doit jouer dans la création. Il affirme:

«Ô mes serviteurs, soyez aussi résignés et soumis que la terre, afin que du sol de votre être puissent fleurir les jacinthes multicolores, saintes et parfumées de ma connaissance.» (r16)

De même que la terre doit recevoir les rayons du soleil et l’eau des pluies du printemps afin de donner ses fruits, un être humain doit pareillement se tourner vers le Soleil de vérité, (n162) en ce jour Baha’u’llah, afin qu’il puisse accomplir le but pour lequel il a été créé. C’est une loi de la création, car sans cette relation, l’homme reste un être matériel. Dénué de la véritable vie spirituelle, il engendre une société où les préjugés, la haine et le conflit deviennent les piliers de sa vie sociale. Et c’est bien là la plaie de l’humanité d’aujourd’hui !


Dans cette épître, Baha’u’llah s’adresse de manière réitérée à Ahmad et il l’exhorte à la droiture de conduite, à la pureté du coeur et à la sincérité. Il le presse de ne pas imiter les capricieux, lui conseille d’illuminer ses yeux de la lumière de sa révélation et l’appelle à emprunter le droit chemin.

Il déclare que le but qui sous-tend sa révélation a été de permettre à ceux qui ont le coeur pur et sont dotés de capacités, d’acquérir la foi et de s’élever vers les royaumes de gloire. Sinon, affirme-t-il, sa gloire est exaltée au-dessus des coeurs qui comprennent, et elle en est indépendante. Il donne l’exemple du soleil. Si tous les peuples du monde qui voient attestent de sa lumière, et tous ceux qui sont aveugles affirment son obscurité, aucun de ces témoignages ne pourrait jamais affecter le soleil. La louange ou la condamnation des peuples est en relation avec eux-mêmes, tandis que le soleil reste lumineux et resplendissant dans les cieux, indépendant des opinions soutenues par les hommes. Sur la grandeur de sa révélation, Baha’u’llah déclare dans cette épître:

«Ô mes serviteurs, par le pouvoir du Dieu tout-puissant, j’ai tiré pour vous les révéler, du trésor de sa sagesse et de sa science, les perles que recelaient les profondeurs de son éternel océan. J’ai appelé les célestes houris à relever le voile qui les cachait et je les ai vêtues de mes paroles de pouvoir souverain et de suprême sagesse. De plus, de la main du divin pouvoir, j’ai descellé le vin choisi de ma révélation et j’en ai répandu sur toutes choses créées le saint parfum, le parfum caché et chargé de musc. Qui d’autre que vous-mêmes pourra-t-on blâmer si vous vous privez délibérément de telles effusions de la grâce transcendante de Dieu, embrassant toutes choses et rejetez la révélation si éclatante de sa resplendissante miséricorde...
Ô mes serviteurs ! rien d’autre ne brille en mon coeur que l’immortelle lumière de l’aurore de la Providence divine, et de ma bouche ne sort que l’essence de la vérité révélée par le Seigneur, votre Dieu. Ne suivez donc pas vos désirs terrestres, ne violez pas l’alliance de Dieu, ne rompez point votre engagement envers lui. D’une ferme résolution, de toute l’affection de votre coeur et de toute la force de vos paroles, tournez-vous vers lui et ne marchez point dans les voies de l’insensé. Le monde n’est qu’une vaine et vide parade, un pur néant n’ayant que l’apparence de la réalité. Ne mettez pas en lui vos affections. Ne brisez pas le lien qui vous unit à votre Créateur, ne soyez pas de ceux qui se sont écartés de ses sentiers pour errer loin de lui. En vérité, je vous le dis, le monde est semblable à ces mirages du désert que le voyageur altéré prend pour de l’eau et qu’il s’efforce d’atteindre de toute son énergie, jusqu’au moment où il y parvient pour s’apercevoir que ce n’était qu’illusion pure.» (r17)


CHAPITRE 7: Montée en puissance des forces du mal

Alors que la nouvelle de la déclaration de Baha’u’llah comme étant «Celui que Dieu rendra manifeste», commençait à arriver aux oreilles des babis de Perse, et que quelques enseignants baha’is s’engageaient activement à propager sa Cause et à diffuser ses épîtres récemment révélées, une crise sans précédent dans son ampleur et sa gravité couvait à Andrinople. Bientôt, elle subjugua les compagnons de Baha’u’llah dans cette ville. Émanant de Mirza Yahya et ourdie par Siyyid Muhammad-i-Isfahani, elle finit par envahir l’ensemble de la communauté, apportant dans son sillage d’indicibles souffrances à Baha’u’llah et créant une brèche temporaire dans les rangs des croyants.

Peu après son arrivée à Andrinople, Mirza Yahya comprit que sa vie n’était plus en danger. Il avait craint la persécution et la mort depuis le martyre du Bab. Ce fut cette peur qui l’avait poussé à se cacher en Perse et en Irak pendant environ treize ans. Toutes ces années, il vécut déguisé et il était souvent recherché, fuyant d’une cachette à l’autre, tout en gardant le contact avec Baha’u’llah et s’arrangeant pour que ses épouses et sa famille vivent dans sa maisonnée. Mais désormais, à Andrinople, il savait que la situation était différente et qu’il n’y avait pas de persécutions. Baha’u’llah, peu après son arrivée, avait gagné le respect et l’admiration des habitants d’Andrinople, y compris du gouverneur et des autres dignitaires. La coopération et la bonne volonté du peuple devinrent évidentes lorsque la plupart des compagnons de Baha’u’llah, comme il le leur avait enjoint, trouvèrent du travail et s’intégrèrent à leur communauté d’accueil.

Grandement jaloux du prestige grandissant de Baha’u’llah et au courant de la déclaration de son rang de «Celui que Dieu rendra manifeste», Mirza Yahya décida qu’il était temps de se dévoiler et d’arracher la direction de la communauté des mains de celui qui avait été son guide et son refuge toute sa vie, et qui avait tu, par son oeil indulgent au péché, nombre de ses actes infâmes. Enhardi par le pardon affectueux de Baha’u’llah, dupé par les espérances alléchantes de Siyyid Muhammad et éperonné par son propre désir et son ambition de devenir le chef, Mirza Yahya prit un chemin exclusivement réservé au mal, à savoir, attenter à la vie d’une personne. C’était là la seule issue possible pour lui, car il savait bien qu’il n’avait aucun pouvoir que ce soit pour tenir tête à Baha’u’llah. Il est avéré que chaque fois que Mirza Yahya était en présence de Baha’u’llah, il se retrouvait sans voix. La majesté et l’autorité de la Manifestation suprême de Dieu étaient si écrasantes qu’il lui était impossible de prononcer un mot. Plusieurs personnes ont attesté de ce fait, y compris Mirza Aqa Jan, qui mentionne qu’il découvrit, dans les premiers jours à Bagdad, que Mirza Yahya était si insignifiant en présence de Baha’u’llah qu’il ne pouvait parler. Ce qui étonna Mirza Aqa Jan, jusqu’à ce qu’il comprît plus tard que celui-ci était comme n’importe qui d’autre en présence de Baha’u’llah. Cependant, Baha’u’llah avait ordonné à son secrétaire de ne faire part à quiconque de ses observations.

Il n’est guère surprenant pour un homme tel que Mirza Yahya, qui avait déjà commis plusieurs crimes, (n163) y compris celui d’avoir donné des ordres pour l’assassinat de quelques-uns des remarquables disciples du Bab et de son cousin, de concevoir des plans compliqués pour attenter à la vie de Baha’u’llah. La première tentative, des propres mains de Mirza Yahya, fut de l’empoisonner. Shoghi Effendi a résumé cet épisode ignoble en ces termes:

«Des projets désespérés pour empoisonner Baha’u’llah et ses compagnons, afin de restaurer sa propre autorité disparue, commencèrent à se dessiner dans son esprit, une année environ après leur arrivée à Andrinople. Sachant que son demi-frère, Aqay-i-Kalim, possédait des connaissances médicales, il chercha, sous divers prétextes, à obtenir des renseignements concernant les effets de certains poisons et de certaines herbes ; puis, contrairement à ses habitudes, il commença à inviter Baha’u’llah chez lui ; et un jour, ayant enduit sa tasse à thé d’un produit qu’il avait composé, il réussit à l’empoisonner suffisamment pour le rendre sérieusement malade pendant au moins un mois, lui occasionnant de violentes douleurs ainsi qu’une forte fièvre, maladie dont Baha’u’llah conserva un tremblement des mains jusqu’à la fin de sa vie. Son état était si grave qu’un docteur étranger, nommé Shishman, fut appelé pour le soigner. Le docteur fut si atterré par son teint livide qu’il estima son cas sans espoir, et après être tombé à ses pieds, se retira sans lui avoir prescrit de remède. Quelques jours plus tard, il tomba malade et mourut. Avant sa mort, Baha’u’llah avait donné à entendre que le docteur Shishman avait sacrifié sa vie pour lui. À Mirza Aqa Jan, que Baha’u’llah avait envoyé pour le voir, ce docteur déclara que Dieu avait exaucé ses prières et qu’après sa mort, un certain Dr. Chupan, auquel il savait pouvoir se fier, devrait être appelé à sa place chaque fois que cela serait nécessaire.
Dans une autre circonstance, et d’après le témoignage d’une de ses femmes, qui l’avait momentanément quitté et qui avait révélé les détails de l’acte mentionné ci-dessus, ce même Mirza Yahya avait empoisonné le puits qui fournissait de l’eau à la famille et aux compagnons de Baha’u’llah, à la suite de quoi les exilés présentèrent d’étranges symptômes de maladie.» (r1)

En dépit de tout cela, Baha’u’llah ne souhaitait pas faire état en public des malveillances de son frère. Il conseilla à ses compagnons de ne pas répandre cette nouvelle. Cependant, ce fut par les propres actions de Mirza Yahya que l’histoire devait plus tard être révélée. Car peu après la convalescence de Baha’u’llah, Mirza Yahya proclama, à la fois ouvertement et par des insinuations, de manière méprisable, que c’était Baha’u’llah qui avait tenté de l’empoisonner ! Cette accusation, mensongère et insultante, contre celui qui était la source de l’amour et du pardon, servit à démasquer Mirza Yahya et révéla sa nature satanique aux amis comme aux étrangers.

Quelque temps passa et Mirza Yahya guettait toujours l’occasion d’attenter une nouvelle fois à la vie de Baha’u’llah. D’après ses plans, le lieu de l’attaque, cette fois-ci, devait être les bains publics (n164) que Baha’u’llah fréquenterait assurément. Avec une certaine habileté, il suggéra à Ustad Muhammad-‘Aliy-i-Salmani, (n165) le barbier de Baha’u’llah préposé aux bains, (n166) les mérites qu’il y aurait à assassiner Baha’u’llah. Il fit comprendre assez clairement que ce serait rendre service à la foi de Dieu s’il le tuait pendant qu’il s’occuperait de lui aux bains. En entendant cette suggestion, Ustad Muhammad-‘Ali entra dans une telle colère qu’il ressentit en lui, comme nous le verrons plus tard, une intense pulsion de tuer Mirza Yahya sur-le-champ.

Ustad Muhammad-‘Ali était l’un des disciples de Baha’u’llah et il avait l’honneur d’être son préposé aux bains depuis l’époque de Bagdad. Il continua ce service à Acre. Il était l’un des serviteurs de Baha’u’llah et un homme de grand courage et de foi. Il avait reconnu le rang de Baha’u’llah avec une telle profondeur, une telle conviction, que tout son être était dominé par un amour passionné pour lui, un amour qui ne connaissait aucune limite et qui le transportait souvent sur les bords du ravissement. Les historiens ont affirmé qu’il était illettré et ils ont déclaré que son autobiographie avait été dictée par lui. Une chose, cependant, est claire: quand bien même aurait-il à peine appris à lire et à écrire, il n’avait reçu aucune éducation que ce soit.

Cependant, Baha’u’llah lui avait accordé la connaissance de Dieu. Il reçut de tels dons divins que, en dépit de son illettrisme et ses origines modestes, il était capable de faire une contribution valable à la littérature persane par ses poèmes. Dans l’histoire de la Foi, nous rencontrons de nombreux poètes baha’is éminents, dont la plupart étaient des hommes de savoir et de connaissance. Pourtant, certains affirment que les poèmes de Ustad Muhammad-‘Ali sont dotés d’un pouvoir particulier qui les distingue. Ceux qui apprécient la poésie ont reconnu la beauté, la lucidité et la profondeur de sa composition. Les croyants qui récitent ses émouvants poèmes se sentent souvent exaltés et inspirés, transportés de cette vie mortelle vers le monde des réalités. Ses paroles, profondes et pleines de sens, émeuvent l’âme et donnent à voir à chacun des visions d’amour et d’adoration pour Baha’u’llah.

Ceux qui ne sont pas encore touchés par la puissance de la révélation de Baha’u’llah peuvent trouver difficile à croire qu’un tel homme, illettré et médiocre, puisse jamais s’élever à des hauteurs au point de faire une contribution remarquable à la connaissance et à la littérature humaine. Lorsque nous étudions la vie de Ustad Muhammad-‘Ali attentivement, et prenons en compte ses rencontres quotidiennes avec les gens, ses manières et son langage qui, à certains moments, étaient rudes et agressifs, nous comprenons que non seulement il était sans éducation mais aussi qu’il manquait quelque peu de raffinement.

Néanmoins, lorsque le coeur est pur et que l’âme se tourne avec sincérité et dévotion vers Baha’u’llah, elle devient le réceptacle de la connaissance de Dieu, comme il est dit dans l’islam, «une lumière que Dieu jette dans le coeur de qui il veut.» (r2) Ustad Muhammad-‘Ali en était un exemple: on pouvait le décrire comme une flamme de l’amour de Baha’u’llah. Ses poèmes sont semblables à des chants d’amour et de ravissement et nous ne pouvons même pas trouver un vers dans lequel il s’est écarté de ce thème. L’objet de son adoration n’est autre que Baha’u’llah et cela ressort bien dans ses poèmes. Il le chante et le glorifie dans un beau langage et il dévoile le feu de l’amour qui brûle en son coeur. La plupart de ses poèmes furent composés de manière impromptue alors qu’il s’occupait des cheveux de Baha’u’llah. Lorsqu’il entrait en contact avec son Bien-aimé, il était transporté dans les royaumes de l’esprit et il oubliait tout ce qui l’entourait. Ce fut dans cet état que ces magnifiques poèmes s’écoulaient de manière incontrôlée. Comme il n’avait guère reçu d’éducation, il demandait parfois la signification de certains des mots qu’il avait utilisés. Par exemple, Haji Mirza Buzurg-i-Afnan, un distingué croyant qui fut pendant de nombreuses années le gardien de la maison du Bab à Shiraz, a relaté l’histoire suivante:

«Salmani avait une toute petite échoppe de barbier à Acre et il y avait construit une petite plate-forme de briques chauffée par le soleil où s’asseyaient ses clients. De nombreuses fois, je me suis assis sur cette plate-forme pour me faire couper les cheveux. Il était illettré et à certaines occasions, lorsqu’il était occupé à me couper les cheveux, il avait l’habitude de me demander le sens de certains des mots qu’il ne connaissait pas et qu’il avait utilisé dans ses poèmes.» (r3)

Ustad Muhammad-‘Ali était originaire d’Isfahan. Son père l’envoya chez un barbier quand il avait neuf ans. À l’âge de quinze ans, il commença à travailler tout seul. Peu après, il entra en contact avec les babis d’Isfahan et environ trois ans après le martyre du Bab, il embrassa la foi babie. Avec quelques autres, Ustad Muhammad-‘Ali fut persécuté à Isfahan parce qu’il était babi. Deux de ses coreligionnaires furent martyrisés en place publique. Il s’agissait d’Aqa Muhammad-Javad et de Mulla ‘Ali, qui dansa le long du chemin qui le menait vers le champ du martyre. Ces deux babis dévoués furent conduits sur la place et ils durent se coucher jusqu’à ce que le bourreau arrivât et les décapitât. Puis vint le tour de Ustad Muhammad-‘Ali et d’un certain Ustad ‘Abdu’l-Karim-i-Kharrat, un tourneur sur bois. (n167) Cependant, le gouverneur ordonna que ces hommes soient torturés et jetés en prison. Plus tard, leurs familles payèrent une somme d’argent aux autorités en rançon pour s’assurer de leur liberté. Après avoir été libérés, ils quittèrent tous deux Isfahan pour Bagdad où ils retrouvèrent Baha’u’llah. Ustad Muhammad-‘Ali travailla à Bagdad comme barbier où il lui fut accordé l’honneur d’être le préposé aux bains de Baha’u’llah. Il s’occupait aussi des frères de Baha’u’llah, de ‘Abdu’l-Baha et des autres croyants.

Pour honorer Baha’u’llah et la cause du Bab, les compagnons de Baha’u’llah à Bagdad et à Andrinople, ont toujours montré du respect et de la considération pour Mirza Yahya, qui, après tout, avait été désigné par le Bab et était un frère de leur Seigneur. Cette attitude, témoignée purement pour l’élévation de la cause de Dieu, fut mal interprétée par Mirza Yahya et l’incita à imaginer que ces hommes exécuteraient volontiers ses ordres sans considération de leur portée. Cependant, il découvrit bientôt combien il s’était gravement trompé dans son jugement en demandant à Ustad Muhammad-‘Ali, l’un des serviteurs les plus fidèles de Baha’u’llah, de mettre en oeuvre son sinistre projet.

Ustad Muhammad-‘Ali, dans ses mémoires, a relaté en détail cet infâme épisode ainsi que les événements qui y menèrent. Ce qui suit est une traduction de certaines de ces paroles:

«Un jour, j’allai aux bains et j’attendais l’arrivée de la Beauté bénie. Azal (n168) arriva le premier. Je m’occupai de lui et lui appliquai du henné. Il commença à me parler. Pendant quelque temps, il fit tout son possible pour faire de moi son disciple, mais il agissait de manière secrète. Il me disait: «La nuit dernière, j’ai rêvé que quelqu’un tenait un balai dans sa main et balayait tout autour de moi.» (n169) Il me donna à comprendre que cette personne était la Beauté bénie. D’après le ton de sa conversation, je sus qu’il voulait que je fasse quelque chose pour lui, mais il ne me dit rien et bientôt il quitta les bains.
Puis la Beauté bénie entra. Il y avait un miroir accroché au mur et alors que son image y apparaissait, il récita ce vers de poésie: «Tu es grand, et le miroir est trop petit pour refléter ta beauté.»
J’étais enfoncé profondément dans mes pensées à propos des paroles d’Azal. Je ne comprenais pas son histoire qui faisait allusion au fait que la Beauté bénie balayait le sol autour de lui. Cependant, il était assez évident qu’il souhaitait que j’exécute un travail pour lui. En même temps, je remarquai que Haji Mirza Ahmad (n170) essayait de me convertir pour suivre Azal. Durant plusieurs jours, il persista dans sa tentative pour me rallier à lui.» (r4)

Ustad Muhammad-‘Ali resta loyal et solide comme le roc. Il rejeta les arguments de Haji Mirza Ahmad et à la fin, il utilisa un langage si rude et si indiciblement agressif que son opposant alla se plaindre à Baha’u’llah. Le lendemain, Mirza Aqa Jan, comme Baha’u’llah le lui avait demandé, réunit les croyants et afin de les aider à résoudre leurs différends, il lut quelques épîtres, y compris la Lawh-i-Ahmad (en persan) qui était adressée à ce même Haji Mirza Ahmad.

Ustad Muhammad-’Ali continue dans ses mémoires:

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Un jour, j’attendais aux bains l’arrivée de Baha’u’llah. Azal arriva le premier, se lava et commença à s’appliquer du henné. Je m’assis pour le servir et il commença à me parler. Il dit: «Un certain Mirza Na‘im, l’ancien gouverneur de Nayriz, a tué de nombreux croyants et a perpétré beaucoup de crimes contre la Cause.» Puis il loua le courage et la bravoure en termes brillants. Il dit que certains étaient courageux par nature et au bon moment, ils manifestaient cette qualité dans leurs actes. Ensuite, il continua l’histoire de Mirza Na‘im. «De la famille persécutée des croyants, il restait un jeune garçon âgé de dix ou onze ans. Un jour, alors que Mirza Na‘im se rendait aux bains, ce garçon entra avec un couteau. Comme il sortait de l’eau, le garçon le poignarda et l’éventra. Mirza Na‘im hurla et ses serviteurs, présents dans l’antichambre, se ruèrent à l’intérieur. Ils attrapèrent le garçon, l’attaquèrent et le battirent. Puis ils allèrent voir comment allait leur maître. Le garçon, bien que blessé, se leva et le poignarda encore.» Azal loua encore le courage et dit: «Comme il est merveilleux pour un homme d’être courageux. Maintenant, regarde ce qu’ils sont en train de faire à la cause de Dieu. Tout le monde lui fait du tort, tout le monde s’est levé contre moi, même mon frère. Je n’ai aucun réconfort que ce soit et je suis dans un état de désolation.» Son ton et ses allusions suggéraient que lui, le successeur du Bab, était lésé, et que son frère (je me réfugie en Dieu !) était l’usurpateur et l’agresseur. Alors, une fois de plus, il loua le courage et dit que la cause de Dieu avait besoin d’aide. Tout, dans cette conversation, le ton de ses remarques, l’histoire de Mirza Na‘im, l’éloge du courage et ses encouragements à mon endroit, tout cela signifiait en fait qu’il me disait de tuer Baha’u’llah.

L’effet de tout ceci sur moi fut si troublant que dans toute ma vie, jamais je ne m’étais senti aussi désemparé. C’était comme si toute la maison me tombait sur la tête. J’étais effrayé ; sans dire un mot, je sortis vers l’antichambre. Mon esprit se trouvait dans un état d’agitation absolue. Je pensais en mon for intérieur que je reviendrais bien sur mes pas pour lui couper la tête, peu en importaient les conséquences. Puis je me suis dit, le tuer, c’est facile, mais peut-être que j’offenserais la Beauté bénie. Une seule chose m’empêcha de mettre à exécution mon intention: c’était la pensée que si je le tuais et ensuite me retrouvais en présence de la Beauté bénie, et qu’il me demande les raisons pour lesquelles je l’avais tué, quelle réponse pourrais-je donner ?

Je revins aux bains et dans une colère noire, je lui criai: «Pars et disparais, dégage !» Il se mit à geindre et à trembler, me demandant de verser de l’eau sur lui. J’obéis. Lavé ou pas, il sortit dans un état de grande agitation et depuis, je ne l’ai plus revu.

Mon état d’esprit, cependant, était tel que rien ne pouvait me calmer. Il advint que ce jour-là, la Beauté bénie ne se rendit pas aux bains, mais Aqa Mirza Musay-i-Kalim [le frère fidèle de Baha’u’llah] vint. Je lui racontais qu’Azal m’avait mis dans une grande colère avec sa sinistre suggestion. Aqa Mirza Musa dit: «Cela fait des années qu’il y pense, cet homme a toujours pensé de la sorte. Ne faites pas attention à lui.» Il me conseilla de ne plus penser à toute cette affaire et il entra aux bains.

Cependant, une fois mon travail terminé aux bains, j’allais voir le Maître (n171) et lui fis part de ce que Mirza Yahya m’avait raconté, et comment j’étais plein de rage et que je voulais le tuer (...) le Maître dit: «Voilà quelque chose que vous seul connaissez. N’en parlez à personne, il vaut mieux que cela reste secret.» J’allai ensuite voir Mirza Aqa Jan, lui rapportai les détails de cet incident et lui demandai d’en faire part à Baha’u’llah. Il revint et me dit: «Baha’u’llah dit à Ustad Muhammad-‘Ali de n’en parler à personne.»

Cette nuit-là, je rassemblai tous les écrits d’Azal, me rendit au salon de thé (n172) de la maison de Baha’u’llah et je les jetai tous dans le brasier. Avant de le faire, je les montrai à sept ou huit des croyants qui étaient présents. Ils virent tous qu’il s’agissait bien des écrits d’Azal. Ils protestèrent tous devant moi et me demandèrent la raison de mon geste. Je dis: «Jusqu’à aujourd’hui, j’avais une haute opinion d’Azal, mais désormais il est à mes yeux rien de moins qu’un chien.» (n173) (r5)
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À la fin, Ustad Muhammad-‘Ali se retrouva incapable de garder cette histoire pour lui seul. Bientôt, la nouvelle se répandit et engendra beaucoup de crainte et d’angoisse dans le coeur des croyants résidant à Andrinople.

Ce fut après cet événement que Baha’u’llah décida d’annoncer officiellement à Mirza Yahya, en tant que nommé par le Bab, sa proclamation à être la Source de la révélation divine, «Celui que Dieu rendra manifeste». Mirza Yahya était déjà informé de la déclaration de Baha’u’llah et au courant de ses prétentions par ses épîtres, néanmoins, cette annonce revêtait une grande signification, dans la mesure où elle ne laissait à Mirza Yahya aucune excuse pour embrouiller la question. Baha’u’llah l’avait formellement appelé à faire allégeance à sa Cause. Manquer de le faire aurait signifié que leurs chemins se séparaient.

Cette annonce fut faite par Baha’u’llah par l’intermédiaire de la révélation d’une épître particulière, connue comme la Suriy-i-Amr (Sourate du Commandement). Il y affirme clairement ses prétentions et y fait part du caractère de sa mission. Il chargea Mirza Aqa Jan, son secrétaire, de la porter personnellement à Mirza Yahya, de la lui lire à haute voix et de demander une réponse décisive. Mirza Yahya demanda qu’on lui laissât du temps pour qu’il médite sa réplique. Cette demande lui fut accordée, et le lendemain, il répondit qu’il était lui-même devenu le réceptacle de la révélation divine, et qu’il incombait à tous les peuples du monde de le suivre et de faire allégeance à sa personne.

Une telle prétention, émise par celui qui était l’incarnation de la tromperie et du mensonge, alluma la colère de Dieu, et elle fut clairement considérée comme un signal de la séparation finale entre Baha’u’llah et Mirza Yahya. Nous devons garder à l’esprit que la majorité de la communauté présente à Andrinople était fidèle à Baha’u’llah et lui était entièrement dévouée. Le reste consistait en quelques hommes qui étaient malveillants ou fauteurs de troubles, et en quelques autres qui étaient faibles et indécis. Ils se fréquentaient librement les uns les autres et par conséquent, les épreuves et les tribulations furent immenses à cette période. Jamais depuis leur exil à Andrinople, les compagnons fidèles de Baha’u’llah n’avaient été si angoissés et chagrinés, à cause des activités de Mirza Yahya et de ses partisans. Avec la révélation de la Suriy-i-Amr et les réactions de Mirza Yahya, la lutte entre les forces de la lumière et celles des ténèbres trouva son épilogue. Entamant une action qui rappelait sa retraite solitaire dans les montagnes du Kurdistan, lorsque les infidèles détruisaient ignoblement la cause de Dieu, Baha’u’llah, qui à cette époque résidait dans la maison d’Amru’llah, se retira avec sa famille dans la maison voisine de Rida Big qui fut louée sur son ordre. Il refusa de voir quiconque. C’était le 10 mars 1866. La raison de cette retraite, qui heureusement fut de courte durée, était semblable à celle qui l’avait motivé à se retirer au Kurdistan une décennie plus tôt: à savoir, soulager la tension et alléger les sentiments d’animosité qui, au cours des ans, avaient été allumés dans le coeur de certains par Mirza Yahya, et dont ses toutes dernières actions avaient excité la flamme.

Le retrait de Baha’u’llah, à ces deux moments-là, produisit un effet drastique à la fois sur les croyants sincères et les infidèles. Il donnait aussi aux exilés la liberté de choisir entre lui et Mirza Yahya. Les véritables croyants qui étaient soutenus par sa grâce infaillible, se retrouvèrent soudainement coupés de la Source de vie. La Lumière n’était plus au milieu d’eux et leur âme fut plongée dans un monde de ténèbres et de privation. Comme des plantes qui se fanent et se ratatinent lorsqu’elles sont privées des rayons du soleil, les vrais disciples de Baha’u’llah, ces amoureux de sa beauté, se découragèrent et devinrent inconsolables. Ils auraient volontiers donné leur vie et tous leurs biens s’ils avaient pensé qu’une telle action aurait signifié la réunion avec leur Bien-Aimé.

Aqay-i-Kalim, le frère fidèle et ferme partisan de Baha’u’llah, qui avec ‘Abdu’l-Baha, porta le poids de nombreuses responsabilités pendant les heures sombres des épreuves et des tribulations, en particulier pendant l’absence de Baha’u’llah, a rapporté à Nabil ces paroles au sujet de la retraite de Baha’u’llah dans la maison de Rida Big:

«Ce jour-là fut témoin d’une très grande agitation. Tous les compagnons se lamentaient d’être séparés de la Beauté bénie.» (r6)

L’un des compagnons de Baha’u’llah, qui était présent en ce temps-là, a laissé à la postérité ce récit qui dépeint bien les sentiments de ses bien-aimés:

«Ces jours furent empreints de tumulte et de confusion. Nous étions fort perplexes et nous avions grand peur d’être privés, d’une manière définitive, de la bonté de sa présence.» (r7)

Les ennemis et les âmes vacillantes qui penchaient vers Mirza Yahya, mais qui souvent se retrouvaient en présence de Baha’u’llah, furent déconfits dans leurs activités suite à sa retraite. La main directrice de Baha’u’llah, qui les avait jusque là soutenus, en dépit de leur infidélité, et qui les avait protégés avec soin et tendresse, s’était désormais retirée. Ils étaient rejetés vers leurs propres ressources et enserrés dans les griffes d’un combat qui précipita leur sort. Au fur et à mesure que le temps passait, ils s’enfonçaient de plus en plus profondément dans le bourbier de leurs propres machinations et ils périrent sans gloire.

Lorsque Baha’u’llah déménagea de la maison d’Amru’llah vers celle de Rida Big, il ordonna à son frère Aqay-i-Kalim de partager tous les meubles, lits et ustensiles et d’en envoyer la moitié chez Mirza Yahya, et de veiller à ce que ce dernier reçoive toute sa part de l’allocation gouvernementale attribuée aux exilés. Il ordonna aussi que plusieurs objets, tels que les bagues du Bab, ses sceaux et quelques manuscrits lui soient livrés. Mirza Yahya avaient désiré posséder ces reliques que le Bab, avant son martyre, avait tout spécialement envoyées à Baha’u’llah.

Au moment de se retirer dans la maison de Rida Big, Baha’u’llah ne prit qu’un seul serviteur pour lui-même et sa famille. Il demanda à Aqay-i-Kalim de prendre un des compagnons pour le servir et de désigner, parmi ses compagnons, quelqu’un que Mirza Yahya pourrait choisir comme serviteur pour sa propre maisonnée. Mirza Yahya demanda Darvish Sidq-‘Ali, (n174) l’un des plus fidèles disciples de Baha’u’llah. Lorsqu’il en fut informé, Baha’u’llah ordonna à Aqay-i-Kalim de dire au Darvish de se présenter à Mirza Yahya et de le servir avec la confiance et la sincérité les plus absolues, en affirmant que personne parmi les infidèles ne serait capable de lui dérober l’amour qu’il chérissait en son coeur pour la Beauté bénie. Il pressa par ailleurs le Darvish de lire la Lawh-i-Laylatu’l-Quds (n175) (Epître de la Sainte Nuit) qui avait été révélée en son honneur, et il l’assura que lorsqu’il la lirait cette fois-ci, il pourrait en comprendre le sens caché.

Aqay-i-Kalim n’avait pas plus tôt transmis le message de Baha’u’llah au Darvish Sidq-‘Ali, que celui-ci tomba prostré par terre en geste d’humilité et de remerciement envers son Seigneur. Il affirma que ce message de Baha’u’llah et de sa tendre bonté suffisait à le soutenir, et qu’il resterait heureux même s’il devait endurer des afflictions pour le restant de ses jours. Lorsque le Darvish était à son service, Mirza Yahya lui proposa une somme d’argent, qu’il refusa en disant que Baha’u’llah veillait à ses besoins et qu’il servait Mirza Yahya uniquement par obéissance au commandement de Baha’u’llah, et non pas pour de l’argent. Darvish Sidq-‘Ali, cependant, ne devait pas rester très longtemps au service de Mirza Yahya. Par une succession d’événements, il fut délivré de cette tâche déplaisante. En effet, comme nous le verrons, peu après la retraite de Baha’u’llah dans la maison de Rida Big, tous les disciples de Baha’u’llah se dissocièrent complètement de Mirza Yahya et se purifièrent de la pollution de cet esprit satanique.

* LA «TRES GRANDE SEPARATION» :

La retraite de Baha’u’llah dans la maison de Rida Big, et son refus de rencontrer quiconque parmi les exilés, engendra une situation où certains des infidèles se retournèrent ouvertement contre lui et prêtèrent leur allégeance à Mirza Yahya. Enhardi par l’absence de Baha’u’llah, Siyyid Muhammad-i-Isfahani, qui jusqu’alors avait l’habitude de se retrouver en sa présence et de fréquenter ses bien-aimés, lia publiquement son sort à celui de l’archi-briseur de l’alliance du Bab et, croyant que la scène était désormais dégagée pour lui, se leva dans une opposition franche à Baha’u’llah et entama une vigoureuse campagne pour le discréditer parmi le peuple. Une période d’activité intense s’ensuivit, pendant laquelle Mirza Yahya et Siyyid Muhammad jouèrent un rôle majeur. Avec l’aide de leurs infâmes alliés et complices, ils emplirent leurs lettres de calomnies et d’accusations mensongères contre Baha’u’llah et les diffusèrent partout parmi les croyants de Perse et d’Irak.

Ces lettres entraînèrent beaucoup de confusion et de dissension parmi certains membres de la communauté babie de Perse. Des personnes furent égarées par ces affirmations diffamantes et perdirent aussi leur foi. Un certain nombre de babis écrivirent à Baha’u’llah et demandèrent directives et éclaircissements. Plusieurs épîtres de cette époque furent révélées en réponse à ces questions. D’autres croyants avaient déjà atteint le stade de la certitude dans leur foi. Ces âmes furent incitées par la diffusion de ces lettres maléfiques à agir, et elles se levèrent, en compagnie de quelques autres que Baha’u’llah avait particulièrement choisis, tels Nabil, pour défendre sa Cause. Ils la défendirent avec beaucoup de compétence contre ces personnalités égoïstes de la communauté babie, déterminées à semer la discorde au sein de la cause de Dieu.

Ce fut Mirza Yahya lui-même qui, par ses actes, révéla à la communauté babie sa désobéissance à l’alliance que le Bab avait établie de manière aussi irrécusable concernant «Celui que Dieu rendra manifeste», une désobéissance que Baha’u’llah avait longtemps tue. Les épreuves et les tribulations que Baha’u’llah avait prédites dans ses épîtres, commençaient désormais à descendre sur les croyants. La nouvelle de l’opposition de Mirza Yahya, celui que le Bab avait désigné, provoqua une grande commotion parmi les babis et servit de signal pour la rupture permanente entre lui et son illustre Frère.

Ce fut au cours de cette période que Mirza Yahya confia à l’un de ses compagnons quelques papiers à distribuer parmi les babis de Perse. En apprenant leur contenu, cet homme refusa d’obéir à ses ordres et à la place, il les montra à quelques-uns des croyants fidèles. Ces documents contenaient de nombreuses affirmations qui présentaient Baha’u’llah sous un faux jour et l’accusaient de ces mêmes crimes que Mirza Yahya lui-même avait déjà commis. Finalement, ils tombèrent entre les mains des amis de Baha’u’llah à Andrinople, stupéfaits par le comportement indigne de Yahya lorsqu’ils les virent. (n176)

Insatisfait de ces actes perfides, Mirza Yahya décida de porter sa rébellion dans des cercles jusque-là indemnes de ces questions. Croyant que Baha’u’llah continuerait à supporter chaque fausse accusation et n’importe quels mauvais traitements avec résignation et indulgence, il envoya une pétition à Khurshid Pasha, le gouverneur d’Andrinople, ainsi qu’à l’adjoint du gouverneur, ‘Aziz Pasha. Cette communication, dont le gouverneur fit part à Baha’u’llah, était écrite dans une langue obséquieuse ; elle contenait de fausses déclarations sur Baha’u’llah et visait à le discréditer aux yeux du gouverneur, qui était l’un de ses plus ardents admirateurs. L’une des fausses accusations de Mirza Yahya consistait à dénoncer le fait qu’il ne recevait pas sa part de l’allocation que le gouvernement avait attribuée à Baha’u’llah et à ses compagnons d’exil. Afin de soutenir cette thèse, il envoya l’une de ses épouses plaider auprès du gouverneur que la part d’allocation de son mari avait été détournée par Baha’u’llah et qu’en conséquence, il était devenu extrêmement pauvre et que ses enfants étaient sur le point de mourir de faim.

Comme nous l’avons déjà mentionné, Baha’u’llah avait toujours soutenu financièrement Mirza Yahya et sa famille. Et lorsqu’il se retira dans la maison de Rida Big, il s’était arrangé pour que Yahya reçût la totalité de sa part de l’allocation gouvernementale.

Haji Mirza Haydar-‘Ali, qui arriva à Andrinople quelques mois après ces détestables évènements, et se retrouva en présence de Baha’u’llah de nombreuses fois, a écrit en ces termes au sujet de la pétition de Mirza Yahya aux autorités:

«Lorsqu’Azal se leva avec toute l’hostilité de son esprit satanique pour s’opposer et défier la Beauté bénie, par des calomnies et des accusations mensongères, il écrivit une lettre au gouverneur d’Andrinople. Nous (n177) avons tous lu cette lettre. Elle débutait par ces mots: «Puisse mon âme et mon corps être un sacrifice pour toi.» Elle continuait de la sorte: «Ô toi, ‘Aziz, (n178) nous venons à toi dans le dénuement, accorde-nous du maïs.» Il continue à accuser faussement la Beauté ancienne de lui avoir coupé les vivres.
La phrase d’introduction de sa lettre, l’affirmation de ses besoins et les plaintes, tout démontre que Dieu ne peut être confondu avec l’homme, et qu’il n’y a aucune ressemblance entre les deux. Nous voyons, par exemple, le contraste avec les termes qu’emploie la Beauté ancienne lorsqu’il s’adresse à feu le Sultan ‘Abdu’l-’Aziz (n179): «Ô toi Ra’is [Chef], écoute la voix de Dieu, le Gouverneur suprême, le Secours, l’Absolu. En vérité, il appelle entre la terre et le ciel et convoque l’humanité à la scène de la gloire effulgente.»
Dans cette épître bénie, il prédit que le Sultan perdra son trône et que le pays échappera à ses mains (...) Pour revenir à notre sujet: Baha’u’llah avait, par un intermédiaire, prouvé au gouverneur que ces allégations [faites par Mirza Yahya] étaient fausses et, dans un message, il lui expliqua que ces calomnies avaient été échafaudées pour le blesser et l’humilier...» (r8)

Les accusations de Mirza Yahya se répandirent partout. Shoghi Effendi écrit:

«... Il [Baha’u’llah] fut, peu après, informé que ce même frère [Mirza Yahya] avait envoyé l’une de ses femmes à la résidence du gouvernement pour se plaindre que son mari avait été frustré de ses droits, et que ses enfants étaient sur le point de mourir de faim. Cette accusation fit du chemin et, atteignant Constantinople, devint, à la profonde détresse de Baha’u’llah, le sujet de discussions passionnées et de commentaires injurieux dans des milieux qui, antérieurement, avait été fortement impressionnés par la réputation de haute valeur que lui valait sa conduite noble et digne dans cette ville.» (r9)

Dans une épître adressée à Shaykh Salman, (n180) Baha’u’llah décrit l’agonie de son coeur à cause des actes indignes de Mirza Yahya. Il relate ses calomnies au sujet de sa part d’allocation, en déclarant qu’elle avait toujours été divisée entre les exilés et il mentionne que si cela n’avait pas été pour le bien de ceux qui l’accompagnaient, lui-même n’aurait jamais accepté l’allocation gouvernementale en dépit de toutes les difficultés qu’une telle action aurait engendrées. Comme nous le verrons plus tard, alors que s’intensifiait la campagne de calomnies, Baha’u’llah refusa de prélever cette allocation et il dut vendre quelques-uns de ses effets personnels afin de se procurer de quoi vivre.

L’une des caractéristiques de la vie de Baha’u’llah était que, bien que né dans l’une des familles les plus riches de Perse, et ayant vécu de nombreuses années dans un environnement de luxe, il passa quarante ans de son ministère dans une austérité à laquelle il n’avait jamais été habitué au cours des premières années de sa vie. Pendant deux ans, il vécut dans la plus grande pauvreté dans les montagnes du Kurdistan, où nombreux furent les jours où il ne subsista que de lait. À Bagdad, il menait une vie simple et eut à endurer nombre de privations. «Il fut un temps où, en Irak,» affirme-t-il dans une de ses tablettes, «la Beauté ancienne (...) n’avait pas de linge de rechange. Il fallait laver et faire sécher la seule chemise qu’elle possédât pour la remettre aussitôt.» (r10) À Andrinople et à Acre, il se soumit aux privations et aux difficultés qu’un ennemi impitoyable lui avait imposées.

Bien que de nombreux croyants, par leur dévotion, et souvent au sacrifice de leurs propres besoins, offraient des cadeaux à Baha’u’llah, il distribuait habituellement ces cadeaux aux pauvres et il vivait lui-même dans la plus grande simplicité. Par exemple, Husayn-i-Ashchi, un jeune homme originaire de Kashan qui servit Baha’u’llah comme cuisinier à Andrinople et plus tard à Acre, a laissé à la postérité le récit suivant des jours où Baha’u’llah résidait dans la maison d’Amru’llah à Andrinople:

«Cette maison [celle d’Amru’llah] était très grande et magnifique. Elle possédait un grand appartement extérieur où tous les bien-aimés de Baha’u’llah avaient l’habitude de se rassembler. Ils étaient enivrés du vin de son incomparable Beauté (...) Cependant, les moyens de subsistance étaient maigres et très peu en rapport. La plupart du temps, il n’y avait aucune autre nourriture que le pain et le fromage que l’on pouvait servir à Baha’u’llah. Tous les jours, je mettais de côté la viande et l’huile et je les entreposais dans un endroit particulier jusqu’à ce qu’il y en eût suffisamment pour cuisiner. J’invitais alors Baha’u’llah à un repas sur la pelouse. Nous réussîmes à économiser de l’argent et nous avons acheté deux vaches et une chèvre. Le lait et le yaourt ainsi produits étaient servis dans la sainte maison...
En hiver, il y avait un brasero (n181) dans chaque pièce. L’un de mes devoirs consistait à les allumer. Afin de faire des économies, j’avais pour habitude de mesurer la quantité de charbon que je plaçais dans chaque brasero. Quelqu’un avait informé Baha’u’llah de cette pratique. Il me convoqua devant lui et me dit: «Je t’entends compter les morceaux de charbon destiné à chaque brasero !» Baha’u’llah sourit et en fut très amusé. Il était d’accord qu’une telle économie était nécessaire dans une grande maison.» (r11)

À cause des actions nuisibles de Mirza Yahya et de Siyyid Muhammad, Baha’u’llah fut obligé de mettre fin à sa retraite, qui avait duré environ deux mois, et il se leva pour protéger la cause de Dieu des attaques perpétrées par les infidèles. Ce fut à ce moment-là que Baha’u’llah chassa Siyyid Muhammad des réunions de ses disciples et bientôt, la «Très-Grande-Séparation», qui constituait une division évidente entre les disciples de Baha’u’llah et ceux de Mirza Yahya, devint publique. La retraite de deux mois de Baha’u’llah avait agi comme un vide spirituel pour les exilés d’Andrinople. Elle engendra de grandes épreuves et en conséquence, chacun des croyants manifesta la mesure de sa sincérité et de sa foi. Lorsque vint le moment de la séparation, chacun sut à quel camp il appartenait. Cependant, la grande majorité des exilés resta loyale à la cause de Baha’u’llah. Seuls quelques-uns, rassemblés autour de Mirza Yahya, furent expulsés de la présence de Baha’u’llah. Plusieurs hommes ambitieux et quelques personnalités égoïstes en Perse rejoignirent les rangs de Mirza Yahya. Ils renforcèrent son camp et, comme nous le verrons plus tard, celui-ci, à l’instigation de Siyyid Muhammad-i-Isfahani, intensifia ses activités maléfiques et sema les graines de discorde et de lutte parmi les autorités de la capitale de l’Empire ottoman.


CHAPITRE 8: Le Promis du Bayan - quelques épîtres

* LAWH-I-BAHA :

La Lawh-i-Baha (Épître à Baha) est l’une des épîtres révélée par Baha’u’llah au cours de cette période. Elle fut probablement révélée juste avant que Baha’u’llah ne s’installe dans la maison de Rida Big, car il y mentionne l’angoisse de son coeur et déclare avoir l’intention de se retirer de tous ceux de la communauté. Cette épître, écrite en arabe avec des parties traduites par lui-même en persan, fut révélée en l’honneur de Khatun Jan, la fille aînée de Haji Asadu’llah-i-Farhadi, (n182) originaire de Qazvin.

Khatun Jan était une croyante dévouée. Son père, Haji Asadu’llah, était l’un des disciples de Siyyid Kazim-i-Rashti. Comme Tahirih était aussi l’une des disciples du Siyyid, une grande amitié liait Tahirih et les filles de Haji Asadu’llah. Lorsque le Bab se révéla, Tahirih, qui se trouvait alors à Karbila, reconnut la vérité de son message et fut désignée comme l’une des Lettres du Vivant. Peu après, cette nouvelle de la déclaration du Bab parvint à Qazvin. Haji Asadu’llah et sa famille figuraient parmi les premiers croyants de cette ville. Lorsque Tahirih revint à Qazvin, le lien d’amour et d’union entre elle-même et la famille Farhadi se renforça. Khatun Jan, en particulier, devint une admiratrice ardente de Tahirih. Elle avait l’habitude de s’asseoir à ses pieds et elle était captivée par la dévotion et l’amour de Tahirih pour le Bab et Baha’u’llah.

Peu après l’arrivée de Tahirih à Qazvin, les persécutions commencèrent contre les babis. Haji Asadu’llah, le père de Khatun Jan, fut traîné hors de son lit alors qu’il était malade, et à un âge avancé, il fut obligé de marcher enchaîné sur une distance de pas moins de cent soixante-dix kilomètres, en compagnie de ses compagnons de détention, vers une prison de Téhéran. Voici ce que Nabil écrit sur leur destin:

«Dès que les prisonniers furent livrés aux mains des malfaiteurs, ceux-ci se mirent à assouvir la haine implacable qu’ils leur portaient. La première nuit après que les prisonniers fussent remis à leurs ennemis, Haji Asadu’llah, frère de Haji Allah-Vardi et l’oncle paternel de Muhammad-Hadi et de Muhammad-Javad-i-Farhadi, marchand notoire à Qazvin qui s’était fait un renom par sa piété et sa droiture, égalant celui de son illustre frère, fut impitoyablement exécuté. Sachant parfaitement que, dans sa propre ville natale, ils seraient incapables de lui infliger le châtiment désiré, ses ennemis décidèrent de lui ôter la vie lors de son séjour à Téhéran de manière telle qu’ils restassent à l’abri de toute suspicion de meurtre. À minuit, ils perpétrèrent l’acte ignoble et, le matin suivant, annoncèrent que la maladie l’avait emporté. Ses amis et connaissances, pour la plupart natifs de Qazvin, et dont aucun n’avait pu découvrir le crime qui avait mis fin à une si noble vie, lui firent des funérailles dignes de son rang.» (r1)

Le martyre tragique de Haji Asadu’llah et de ses compagnons donna le signal à d’autres persécutions à Qazvin. La maison des Farhadis fut mise à sac et tous leurs biens confisqués. Muhammad-Hadiy-i-Farhadi, un neveu de Haji Asadu’llah et mari de Khatun Jan, dut quitter la ville pour sa propre sécurité et alla à Téhéran.

Pendant ce temps, Tahirih, sur l’ordre d’un ennemi implacable, fut consignée dans la maison de son père et constamment surveillée par certaines femmes dont la tâche était de s’assurer qu’elle ne quittât pas sa chambre, si ce n’est pour faire ses ablutions quotidiennes. Alors que la situation empirait, l’ennemi projetait de mettre un terme à la vie de Tahirih. À ce sujet, voici ce que Nabil écrit:

«Le fait que le chah et son gouvernement n’avaient pas infligé un châtiment immédiat aux malfaiteurs incita ceux-ci à chercher d’autres moyens de satisfaire leur haine inassouvie envers leurs adversaires. Ils dirigèrent donc leur attention contre la personne même de Tahirih et se décidèrent à lui faire subir, de leurs propres mains, le même sort que celui de ses compagnons. Alors qu’elle se trouvait encore incarcérée, Tahirih, dès qu’elle fut informée des plans de ses ennemis, adressa le message suivant à Mulla Muhammad qui était parvenu à occuper la position de son père et qui était maintenant reconnu comme l’imam-jum’ih de Qazvin: «Ils voudraient avec leurs bouches, éteindre la lumière de Dieu, alors que Dieu ne ne veut que parachever sa lumière, en dépit des incrédules» (n183) . «Si ma cause est celle de la Vérité, si le Seigneur que j’adore n’est autre que le seul vrai Dieu, il me délivrera du joug de votre tyrannie, avant que neuf jours se soient écoulés. S’il ne réalise pas ma libération, vous êtes libre d’agir selon votre désir. Vous aurez irrévocablement prouvé la fausseté de ma croyance.» Mulla Muhammad, reconnaissant son incapacité à accepter un défi aussi hardi, décida d’ignorer le message de Tahirih et chercha, par tous les artifices, à accomplir son dessein.» (r2)

Mulla Muhammad, mentionné par Nabil, était le principal ennemi des babis de Qazvin. Il est intéressant de noter qu’il était le cousin et mari de Tahirih. Mais peu après que Tahirih soit devenue une disciple de Siyyid Kazim, un fossé se creusa entre eux. Tahirih quitta son mari et alla vivre chez son père. Quand elle commença à suivre les enseignements du Bab, ce fossé s’agrandit encore plus. Lorsqu’elle retourna à Qazvin après avoir défendu la cause du Bab, Mulla Muhammad l’invita à venir résider chez lui. Elle lui envoya ce message:

«Répondez à mon arrogant et présomptueux parent que s’il avait vraiment voulu être mon compagnon, il se serait hâté de venir me rencontrer à Karbila et aurait, à pied, guidé mon howdah pendant tout le voyage jusqu’à Qazvin. Je l’aurais, durant ce voyage, tiré de son sommeil de négligence et lui aurais montré la voie de la vérité. Mais il ne devait pas en être ainsi. Trois années se sont écoulées depuis notre séparation. Ni dans ce monde, ni dans le prochain, je ne pourrai jamais le fréquenter. Je l’ai exclu pour toujours de ma vie.» (r3)


Durant la période où Tahirih était confinée chez elle, la seule personne qui réussit à rester en contact avec elle, était Khatun Jan. Elle se rendait chez elle presque tous les jours, parfois déguisée en mendiante et quelques fois comme buandière qui lavait son linge dans le canal non loin de là. Par ce contact régulier, elle accomplissait une fonction importante en échangeant des nouvelles avec Tahirih. Elle parvint aussi à introduire en cachette de la nourriture au moment où les ennemis étaient enclins à attenter à la vie de Tahirih et où il était tout à fait possible qu’ils aient pu empoisonner sa nourriture. Finalement, elle joua un rôle de toute première importance, avec son mari Muhammad-Hadi, pour sauver de l’incarcération sa dame bien-aimée.

Coïncidant presque avec le défi ci-dessus mentionné que Tahirih lança à Mulla Muhammad concernant sa libération, Baha’u’llah à Téhéran appela en sa présence Muhammad-Hadiy-i-Farhadi, qui avait fui Qazvin. Il lui avait enjoint d’y retourner immédiatement et d’y mener l’opération de sauvetage qu’il avait projetée. (n184) Voici comment Nabil décrit cet épisode:

«Muhammad-Hadi fut chargé de remettre une lettre cachetée à sa femme, Khatun Jan, de lui dire de se rendre, déguisée en mendiante, à la maison où Tahirih était incarcérée, de lui remettre la lettre en mains propres, d’attendre quelque temps à l’entrée de sa maison jusqu’à ce que Tahirih vînt la rejoindre, et de se hâter de venir ensemble auprès de Muhammad-Hadi pour la confier à ses soins. «Dès que Tahirih vous aura rejoint,» dit Baha’u’llah à l’émissaire, "partez aussitôt pour Téhéran. Cette nuit même, je dépêcherai un domestique aux alentours de la porte de Qazvin avec trois chevaux que vous prendrez et attacherez à un endroit désigné en dehors des murs de Qazvin. Vous conduirez Tahirih à cet endroit-là ; vous monterez les chevaux et vous vous efforcerez de rejoindre à l’aube, par une route déserte, les faubourgs de la capitale. Dès qu’on aura ouvert les portes, vous devrez entrer dans la ville et vous rendre aussitôt chez moi. Vous devrez agir avec la plus extrême prudence, de peur qu’on ne reconnaisse son identité. Le Tout-Puissant guidera assurément vos pas et vous entourera de son infaillible protection."» (r4)

La manière dont Muhammad-Hadi mit en oeuvre l’opération de secours avec l’aide de Khatun Jan, est décrite en détail par Shaykh Kazim-i-Samandar (n185):

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Tahirih était assignée à résidence dans la maison de son père. Mulla Muhammad, son cousin et mari, essayait de l’empoisonner mais il n’y avait pas accès. Aucun des amis, à l’exception de la fille aînée de feu Haji Asadu’llah [Khatun Jan] qui lui était véritablement dévouée, ne put communiquer avec elle. Khatun Jan conçut plusieurs plans et se déguisa de diverses manières. Se faisant passer pour une buandière transportant son linge à laver ou apparaissant sous les traits d’une mendiante, elle réussit à contacter Tahirih et à lui apporter de la nourriture. Ce point était important car Tahirih prenait des précautions quant à la nourriture qui lui était donnée dans la maison, et par conséquent, elle vivait dans des conditions difficiles.

Aqa Hadi, (n186) (...) avait fui à Téhéran. Là, il alla voir Vahid qu’il connaissait dès les premiers jours. Vahid l’emmena chez la Beauté bénie et le présenta. Là-dessus, Baha’u’llah écrivit une lettre à Tahirih et ordonna à Aqa Hadi d’aller au secours de Tahirih et de la ramener à Téhéran. Aqa Hadi revint à Qazvin sous un déguisement. Il réussit, avec l’aide de sa femme (...) qui utilisa ses méthodes habituelles de contact, à lui remettre la lettre. Après l’avoir lue, Tahirih indiqua qu’elle sortirait brièvement de la maison. Elle les rejoignit environ une heure plus tard. Aqa Hadi et sa femme emmenèrent immédiatement Tahirih dans la maison de leur voisin, un certain Aqa Hasan-i-Najjar [le charpentier] qui était un ami, un confident digne de confiance et un individu que personne n’aurait suspecté de l’héberger.

Peu de temps après, les parents de Tahirih découvrirent qu’elle avait disparu. Ils la cherchèrent partout en vain et, lorsque la nouvelle se répandit, les étudiants en théologie et les groupes de voyous envahirent les rues et de nouveau provoquèrent une grande agitation...

Cette nuit-là, Aqa Hadi, avec l’aide d’un certain Aqa Quli, (n187) conduisit Tahirih hors de la ville, en sortant par la porte Shahzadih Husayn. Ils montèrent des chevaux qui avaient été préparés à leur intention à l’abattoir (n188) situé hors des murs de la ville et (...) partirent pour Téhéran. Ils arrivèrent d’abord dans les jardins de l’Imamzadih Hasan. (n189) Aqa Quli devait surveiller les chevaux tandis que Tahirih se reposait, et Aqa Hadi était parti en ville pour faire savoir où ils étaient. Pendant ce temps, un certain Karbila’i Hasan, un marchand de Qazvin, avait entendu la nouvelle de l’arrivée de Tahirih et s’y rendit. Aqa Quli, qui ignorait que cet homme était un ami, l’avertit de ne pas entrer mais l’homme le fit quand même avec un sourire. Aqa Quli utilisa la force et le frappa deux fois au visage. Tahirih, qui comprit ce que s’était passé, ordonna à Aqa Quli d’arrêter. Elle les appela tous les deux à elle, prit quelques fruits de Karbila’i Hasan et les partagea avec Aqa Quli. Lorsque la nuit tomba, plusieurs cavaliers arrivèrent et avec tous les honneurs escortèrent Tahirih et ses compagnons jusqu’à la maison de la Beauté ancienne [Baha’u’llah]. Lorsque l’heure d’aller se coucher arriva, on montra à Aqa Quli son lit. Mais parce qu’il était vêtu de haillons, il refusa d’abord de dormir dans un lit aussi luxueux. Il désigna ses vêtements déchirés et dit à Tahirih: «Je n’ose pas entrer dans ce lit tant que je suis habillé comme ça.» Mais elle le persuada d’aller dormir et lui assura que bientôt, Dieu lui procurerait un lit aussi luxueux que celui-là.

Le lendemain, Tahirih, accompagnée par Aqa Hadi, [laissant derrière Aqa Quli], se rendit dans un village situé hors de Téhéran où résidaient un certain nombre de croyants. (n190) Baha’u’llah partit de la maison et revint bientôt avec un porteur qui apportait un sac plein de pièces et le vida sur le sol. (n191) Il demanda qu’on apporte une sacoche et il invita Aqa Quli à y placer les pièces. Mais il lui ordonna de placer les pièces d’or d’un côté du sac et celles d’argent de l’autre. Aqa Quli, cependant, décida de mettre l’or au fond du sac et l’argent au-dessus ! Lorsque Baha’u’llah vit cela, il dit: «Pourquoi faites-vous cela ? Nous vous avons dit de mettre l’or d’un côté et l’argent de l’autre.» «J’ai fait comme ça,» répondit Aqa Quli, «pour la simple raison que si quelques pièces doivent tomber, soit pendant le voyage, soit lorsqu’on place la sacoche sur le cheval ou quand on l’enlève, ce soient des pièces d’argent et non d’or.» Baha’u’llah ne discuta plus la question. Il donna la sacoche et les clés à Aqa Quli qui la plaça sur le dos du cheval et monta. Baha’u’llah monta son propre cheval et, suivi par Aqa Quli, se rendit au village où Tahirih résidait. Baha’u’llah et les autres invités y passèrent la nuit.

Au matin, Tahirih réveilla Aqa Quli, lui dit de se lever pour faire ses prières et l’informa qu’il n’avait pas suffisamment l’heur de rester ici et que le temps était venu pour lui de revenir vers sa Qazvin natale, sinon de gros problèmes y surviendraient. Aqa Quli, ayant fini ses prières, s’avança et se tint à côté d’Aqa Hadi devant Tahirih. Sur ces entrefaites, Baha’u’llah arriva et Tahirih finit d’écrire. Baha’u’llah demanda le sac d’argent. Il l’ouvrit et appela Aqa Quli. Il lui demanda alors de tendre l’ourlet de son vêtement, car il allait y déverser quelques pièces. Par courtoisie et par politesse, Aqa Quli hésita à obéir aux ordres de Baha’u’llah. Là-dessus, son ami Aqa Hadi le persuada d’obéir aux instructions de Baha’u’llah. Alors Aqa Quli tendit le tissu de son manteau et Baha’u’llah plongea neuf fois sa propre main dans le sac et vida chaque poignée dans le vêtement ainsi tendu. Alors que Baha’u’llah y déversait les pièces, Aqa Quli regretta en son coeur, pendant un instant, que les pièces ne fussent pas en or ! Baha’u’llah répondit immédiatement en disant: «Nous vous donnons suffisamment pour vous ramener à Qazvin, l’argent pour vos noces vous parviendra plus tard. En tout cas, c’est de votre faute, vous avez mis l’or au fond du sac !» (r5)
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Aqa Quli rentra chez lui et transmit les lettres de Tahirih. S’il était arrivé plus tard, il y aurait eu de gros problèmes, car sa parenté commençait déjà à devenir soupçonneuse et interrogeait Khatun Jan sur lui. La fidélité avec laquelle Aqa Quli servit Tahirih plut à Baha’u’llah et, comme il le lui avait promis, peu après Dieu lui accorda la richesse et la notabilité. Il devint l’un des hommes influents de Qazvin. Plus tard, il alla vivre à Téhéran et jusqu’à la fin de sa vie, il resta un ami de la Foi.

Khatun Jan, qui avait accompli de tels actes d’héroïsme pendant la vie de Tahirih, fut plongée dans le chagrin et la consternation lorsque son héroïne bien-aimée fut martyrisée. Quelque temps après cet événement, elle perdit son mari, Muhammad-Hadi. Mais ces calamités n’éteignirent pas le feu de la foi qui brûlait en son sein. Elle continua à servir la cause de Dieu avec ferveur et enthousiasme. La graine de l’amour de Baha’u’llah avait été semée dans le coeur de Khatun Jan par la main de Tahirih, qui avait reconnu son rang dès les premiers jours. En conséquence, Khatun Jan se tourna vers Baha’u’llah avec une dévotion et une foi inaltérable tout au long de sa vie. Ses soeurs et quelques autres membres de la famille restèrent aussi fidèles à sa Cause. Depuis l’époque de Bagdad, Khatun Jan recevait des épîtres de la part de Baha’u’llah. Cette grande bonté continua et lorsqu’il était à Andrinople, à une période de grande crise, alors qu’il faisait l’objet d’attaques vicieuses de la part des infidèles, Baha’u’llah révéla la Lawh-i-Baha en son honneur, et il épancha son coeur sur elle.

Dans cette épître, il condamne les actes du peuple du Bayan, ceux qui s’étaient levés pour prendre sa vie et lui infliger tant de souffrance. Il pleure sur leur rupture de l’alliance de Dieu, les compare aux disciples de l’islam qui persécutèrent le Bab. Il les stigmatise comme les hôtes de Satan, les admoneste pour avoir ignoré les commandements de Dieu et les réprimande pour avoir fait pleurer les yeux de Dieu. Il fait allusion à lui-même comme un Abraham aux mains de Nimrod, un Christ au milieu des Juifs et un Joseph trahi par ses frères et jeté dans un puits.

Dans cette épître, Baha’u’llah mentionne ses disciples comme le «peuple de Baha». Il les appelle à entrer dans «l’Arche de Dieu» qui vogue sur la «Mer pourpre», une Arche qui est prévue exclusivement pour eux. C’est une allusion aux paroles du Bab révélées dans le Qayyumu’l-Asma’ dans lequel il mentionne le «peuple de Baha» comme étant les «compagnons de l’Arche de couleur pourpre». Dans les Écrits, «l’Arche» désigne habituellement la cause de Dieu et l’Alliance. L’expression «peuple de Baha» signifiant les disciples de Baha’u’llah comme distincts du «peuple du Bayan», les disciples du Bab, fut d’abord utilisée à Andrinople, lorsqu’eut lieu la «Très-Grande-Séparation». Ceux qui restèrent fidèles à l’alliance du Bab s’identifièrent clairement comme baha’is et ceux qui brisèrent son Alliance et suivirent Mirza Yahya furent désignés babis et parfois azalis. En conséquence de tout cela, le salut «Allah-u-Akbar» (Dieu est le Très-Grand) qui était utilisé par les babis comme salutation entre eux, fut transformé en «Allah-u-Abha» (Dieu est le Très-Glorieux).

Baha’u’llah affirme que chaque parole révélée dans la Lawh-i-Baha peut être considérée par toute l’humanité comme un ample témoignage à la vérité de sa Cause. Il déclare de plus que de l’horizon des Paroles révélées dans cette épître, d’innombrables soleils de gloire effulgente sont apparus, des soleils qui illuminent les mondes de Dieu et dont le nombre est inscrutable à tous sauf à Dieu. Il exhorte le peuple de Baha à tourner le miroir de son coeur vers leurs rayons et à en être illuminé.

Khatun Jan, à qui fut révélée la Lawh-i-Baha, languissait de se retrouver en présence de son Seigneur. Enfin, ses prières reçurent leur réponse. Accompagnée de sa fille et de son gendre, Haji Hasan-i-Zargar, elle voyagea jusqu’à Acre et pendant quelque temps, elle se réchauffa au soleil de son amour et de sa protection.

La maison de Haji Asadu’llah, le père de Khatun Jan, est l’un des lieux historiques de Qazvin. Avant l’apparition du Bab, c’était le centre de l’activité shaykhie de cette ville. Shaykh Ahmad-i-Ahsa’i (n192) lui-même avait résidé dans cette maison. Plus tard, elle devint le centre des rassemblements babis et baha’is. D’éminents héros de la Foi, tels que Tahirih, Quddus, Vahid et plusieurs autres ont été reçus entre ses murs. Dans l’une des salles du sous-sol, Aqa Muhammad-Hadi avait fabriqué des épées pour les défenseurs de la forteresse de Shaykh Tabarsi, (n193) des épées qui sont dites avoir été testées par Quddus et Vahid lorsqu’ils traversèrent cette ville. Khatun Jan et ses deux soeurs, qui avaient hérité de cette maison, en firent don à la Cause. Dans une lettre à Baha’u’llah, elles expriment le désir qu’elle puisse être utilisée comme Mashriqu’l-Adhkar. (n194) Baha’u’llah accepta leur don et approuva leur intention.

* LAWH-I-RUH :

Parmi les Écrits qui semblent avoir été révélés par Baha’u’llah dans la maison de Rida Big lors de sa retraite de deux mois, il y a la Lawh-i-Ruh (épître de l’Esprit), écrite en arabe. À l’instar de nombre de ses épîtres de cette période, elle comporte deux thèmes: l’un, la proclamation de sa mission et le dévoilement de son rang exalté ; l’autre, l’opposition, la fourberie et la méchanceté de ces babis qui penchaient pour Mirza Yahya et que Baha’u’llah a souvent désignés comme «ceux qui se donnèrent comme associés à Dieu.»

Dénonçant les actes odieux perpétrés par ces gens, Baha’u’llah décrit en un langage tendre, l’angoisse de son coeur dans cette maison solitaire. Il les réprimande pour avoir infligé à Dieu lui-même des afflictions telles qu’il devait cacher la gloire de son visage après qu’elle eut été dévoilée aux hommes. Leurs actions maléfiques avaient déshonoré son nom parmi le peuple ; il rappelle, aussi, l’incident humiliant, lorsqu’il dut ouvrir la porte lui-même au gouverneur de la ville car il n’y avait personne de disponible pour le servir ; ce jour, toute la création pleura à cause de cette humiliation, tandis que les coeurs de ceux qui sont proches de Dieu fondaient à cette déchéance. (n195)

Dans la Lawh-i-Ruh, Baha’u’llah insiste encore davantage sur la méchanceté de Mirza Yahya et de ceux qui se sont rassemblés autour de lui. S’adressant à un fidèle croyant nommé ‘Ali, il fait allusion à leur complot pour prendre sa vie, en dépit du fait que son aide et sa protection incessantes pendant plus de dix ans, aient largement fait connaître leur réputation. Lorsqu’ils découvrirent leur impuissance à mettre en oeuvre leurs sinistres projets, ils plaidèrent l’innocence et commencèrent à répandre de fausses accusations contre lui en lui attribuant leurs propres crimes. En les définissant comme des esclaves attachés au Royaume des noms, qui tiraient orgueil de leur propre rang, il prophétise que Dieu les réduira bientôt au néant absolu jusqu’à ce qu’aucune trace ne subsiste d’eux.

Ces paroles de Baha’u’llah avaient commencé à se réaliser. Attendu que dans les premiers jours de la Foi, nombreux étaient ceux qui, égarés par Mirza Yahya, avaient levé l’étendard de la rébellion contre la cause de Dieu et, en ce jour, avaient été réduits à l’insignifiance.

Dans cette épître, Baha’u’llah prédit le triomphe de sa Cause lorsque, sous peu, à l’ombre de celle-ci, Dieu suscitera une nouvelle création. Dans un autre passage, il affirme que Dieu enverra ses troupes, armées du pouvoir et de la puissance pour assister la Manifestation de sa propre Personne, et qu’il fera se lever les réalités des Prophètes et des Messagers pour servir sa Cause.

On peut trouver semblables affirmations dans d’autres épîtres. Dans l’un de ses Écrits, (r6) parlant de la grandeur de sa Révélation et des épreuves qui l’accompagnent, Baha’u’llah déclare que les réalités des Prophètes et des Manifestations de Dieu ont été éprouvées en ce jour. Lorsque nous étudions l’histoire de la Cause, nous rencontrons certaines vérités qui peuvent frapper l’imagination. Le Bab, dont la révélation fut décrite par Baha’u’llah comme étant «ma propre révélation», déclara que les Lettres du Vivant (n196) possédaient le même rang que les Saints Imams de la révélation islamique. (r7) Dans l’une de ses épîtres, (r8) le Bab, énumérant les pouvoirs, les attributs et le rang exalté de «Celui que Dieu rendra manifeste», (n197) affirme qu’au jour de sa Manifestation, celui qu’il désignerait comme prophète de Dieu, serait considéré comme tel depuis le commencement qui n’a pas de commencement jusqu’à la fin qui n’a pas de fin. De plus, il ajoute que la volonté de Dieu ne serait jamais réalisée, sauf par la volonté de «Celui que Dieu rendra manifeste».

Ces affirmations peuvent frapper l’imagination. Cependant, si nous réfléchissons à la cause de Dieu, nous comprenons que Baha’u’llah a inauguré le Jour de Dieu, un Jour que tous les prophètes et tous les messagers du passé ont ardemment souhaité connaître. Sa révélation est la révélation de Dieu lui-même, le Père céleste dont parle le Christ. Etudions un moment le rang de Baha’u’llah à la lumière du Nouveau Testament. Le Christ était manifesté dans le rang du Fils. Cela ne veut pas dire que Dieu, l’Inaccessible, le Tout-Glorieux, ait un fils physique. Un telle interprétation littérale réduirait Dieu du royaume de l’infini à celui du fini. En son essence, il est bien au-dessus de toutes choses, même de ses propres attributs. Par conséquent, lorsque le Christ parlait de son rang comme le Fils de Dieu, il établissait une relation. Il se présentait comme le Fils, et Dieu comme le Père céleste. Un fils qui apparaît en public au nom de son père, doit posséder deux signes majeurs. Il doit avoir l’autorité du père et manifester les traits similaires qu’il a hérités de lui. Afin de prouver la source de son autorité, le Christ choisit de se décrire comme étant le Fils de Dieu et dépeignit Dieu comme étant le Père. Les termes «Fils» et «Père» sont tous deux au sens figuré dans le Nouveau Testament.

Le Christ expliqua aussi clairement que c’était le Père qui l’avait envoyé:
«Je n'ai pas parlé de moi-même, mais le Père qui m'a envoyé m'a prescrit ce que j'ai à dire et à déclarer.» (r9)

Il fit bien comprendre qu’il reviendrait dans la «gloire du Père».
«Car le Fils de l'homme va venir avec ses anges dans la gloire de son Père.» (r10)

À partir de ces déclarations et d’autres affirmations similaires, nous pouvons déduire que ce même Père céleste qui envoya le Christ, reviendra lui-même.

Baha’u’llah, dans de nombreuses épîtres, a clairement proclamé son rang comme étant celui du Père. S’adressant aux dirigeants religieux de la chrétienté, il déclare:
«Ô assemblée d’évêques ! (...) Celui qui est le Père éternel appelle à haute voix entre ciel et terre. Bénie est l’oreille qui a entendu, l’oeil qui a vu, et le coeur qui s’est tourné vers celui qui est le centre d’adoration de tous ceux qui sont dans les cieux et de tous ceux qui sont sur la terre...» (r11)

Et dans une autre épître, il annonce cette joyeuse nouvelle:
... car lui, en vérité, est venu avec son Royaume, et tous les atomes proclament: «Voyez! Le Seigneur est apparu dans toute sa majesté.» Celui qui est le Père est venu et le Fils (Jésus), dans la sainte Vallée s’écrie: «Me voici, ô Seigneur, mon Dieu, me voici !» tandis que le Sinaï fait le tour de la Demeure et que le Buisson ardent annonce à haute voix: «Le Très-Généreux est venu au faîte des nuées !» (r12)

Comme nous l’avons déjà remarqué, la réalité de Dieu est indivisible. Dans le monde de la création, son Essence est manifestée par ses attributs. Mais dans son propre domaine, son Essence et ses attributs sont uns et identiques. Le décrire par n’importe quel attribut revient à le faire descendre dans le royaume des limitations. Voici les paroles de Baha’u’llah, alors qu’il loue le Tout-Puissant dans ses inaccessibles sommets de gloire.

«Trop élevé es-tu pour que la louange de ceux qui sont proches de toi, monte au ciel de ta proximité, ou pour que l’oiseau du coeur de ceux qui te sont dévoués parvienne à ta porte même. J’atteste que tu es sanctifié au-dessus de tous les attributs, et sacré au-delà de tous les noms. Il n’est pas d’autre Dieu que Toi, le Très-Exalté, le Très-Glorieux.» (r13)

Nous savons que Dieu est la Source de toutes choses et leur Créateur, mais nous ne pouvons jamais savoir comment il provoque ceci dans le royaume de son Essence. Mêmes les Manifestations de Dieu n’en ont pas connaissance, car elles n’ont pas accès à sa Réalité. Cependant, en ce monde, il existe un modèle de la création dans la mesure où toutes les choses viennent à l’existence par quelque moyen. Par exemple, l’homme vient en ce monde par l’intermédiaire des parents, bien que le pouvoir qui provoque sa naissance, et qui procède des royaumes de Dieu, reste inconnaissable. Si nous supposons que ce pouvoir émane de l’Essence de Dieu elle-même, alors une telle assertion, comme déjà observée, équivaut à le limiter. Pourtant, nous savons que toutes les choses doivent être engendrées de Dieu lui-même. C’est le point où nous comprenons que notre intellect ne peut jamais pénétrer ces réalités. La voie de la recherche de la connaissance directe de l’infini est complètement barrée pour le fini.

D’après les Écrits de Baha’u’llah, il apparaît que tous les pouvoirs et les attributs que Dieu accorde à la création, émanent du «Royaume de sa révélation». Par l’intermédiaire de ce royaume, la vie, à la fois physique et spirituelle, est conférée à toutes choses créées. C’est de ce royaume que toutes les révélations de Dieu sont originaires et que ses Manifestations ont été envoyées. Baha’u’llah explique dans une épître (r14) que bien que, extérieurement, la Manifestation de Dieu ait de nombreuses limitations, intérieurement, elle séjourne dans le monde de l’Absolu, libre de toutes limitations. Ce monde de l’Absolu, cependant, diffère du royaume de Dieu lui-même et, dans sa relation avec ce dernier, il a ses propres limitations.

Le Seigneur du «Royaume de la révélation», c’est Baha’u’llah, la Manifestation suprême de Dieu dont l’avènement au rang du Père a été promis dans les Livres célestes. Cette affirmation ne devrait pas être mal interprétée au point de contredire le principe essentiel de l’unité des Manifestations de Dieu. Nous avons déjà abordé ce thème dans le volume précédent. (n198) Les Manifestations de Dieu sont identiques en essence, mais diffèrent dans l’intensité de leur Révélation. C’est la même chose qu’une personne qui garde la même identité bien qu’elle grandisse et développe progressivement son potentiel et ses capacités.

Dans la Lawh-i-Ruh, Baha’u’llah déclare qu’il n’y a rien que l’on puisse trouver sur terre ou dans le ciel qui enrichisse l’humanité, si ce n’est s’abriter à l’ombre de sa Cause. Il atteste de plus qu’en ce jour, la valeur de la foi en Dieu d’une personne, dépend de la reconnaissance en Baha’u’llah, et l’illumination, par sa Révélation. Pour illustrer ce point, il utilise l’analogie d’une lanterne éteinte, qui ne sert à rien et est de peu de valeur quand bien même elle serait faite du cristal le plus exquis. Si nous méditons sur ces paroles, nous pouvons conclure que le salut de l’homme à n’importe quelle époque, dépend de son acceptation de la providence donnée par Dieu pour cette époque dans l’histoire.

Baha’u’llah a fait des affirmations similaires dans d’autres épîtres. Par exemple, les paragraphes d’ouverture de son Très-Saint-Livre où il déclare dans une langue sans équivoque que le premier devoir de l’homme envers Dieu est de reconnaître sa Manifestation.

«Le premier devoir que Dieu a prescrit à ses serviteurs est de reconnaître celui qui est l'Aurore de sa révélation, la Fontaine de ses lois, et qui représente la Divinité, à la fois dans le royaume de sa cause et dans le monde de la création. Quiconque accomplit ce devoir a atteint au bien souverain, et quiconque y manque s'est écarté du droit chemin, même s'il accomplit toutes les bonnes actions. À tous ceux qui atteignent ce rang le plus sublime, cette cime de gloire transcendante, il convient d'observer chaque ordonnance de celui qui est le Désir du monde. Ces devoirs jumeaux sont inséparables. L'un sans l'autre est inacceptable. Ainsi en a décrété celui qui est la Source de l'inspiration divine.» (r15)

Dans l’un des plus beaux passages de la Lawh-i-Ruh, la voix de l’Esprit du royaume céleste proclame le rang exalté de Baha’u’llah. Dans une langue émouvante, elle l’annonce comme la «Beauté de l’adoré», le «Dépôt de Dieu» parmi le peuple, «l’Ame de Dieu lui-même» manifestée à ses serviteurs, le «Trésor de Dieu» pour tous ceux qui sont dans le ciel et sur la terre, la «Parole de Dieu» pour l’humanité, la «Lumière de Dieu» dans le royaume de sa révélation, «Celui qui contient en lui-même tant de mystères, que si une seule parole en était révélée, elle déchirerait les cieux.» Des désignations telles que celles-ci et de nombreuses autres encore, sont attribuées à Baha’u’llah des royaumes invisibles de gloire. La voix de l’Esprit continue à chanter son rang dans une telle mesure qu’il tente de l’empêcher d’en révéler davantage. Mais il découvre qu’elle est dotée du pouvoir de Dieu et qu’il est impossible de la réduire au silence.

Dans la Lawh-i-Ruh, il y a une autre scène fascinante dans laquelle la plume de Baha’u’llah joue figurativement un rôle majeur. Dans ce dialogue, la plume commence à se lamenter tandis qu’elle se trouve entre les doigts de Baha’u’llah et elle supplie son Seigneur d’être autorisée à divulguer à toutes choses créées, une seule parole des mystères cachés de Dieu afin que les habitants du royaume puissent apprendre ce dont personne n’a jamais été informé. Elle appelle les doigts de Baha’u’llah à ne pas l’empêcher de raviver l’ensemble de la création par les eaux vivifiantes qui, de temps immémoriaux, se sont écoulés de son être intérieur. Elle languit de pouvoir déchirer les voiles de la face de sa Cause afin que les ignorants puissent témoigner de sa gloire. Voyant que Baha’u’llah n’a personne pour l’aider et qu’il est frappé par la souffrance, elle demande la permission de lui prêter assistance en utilisant le pouvoir que le Tout-Puissant lui a accordé, un pouvoir engendré par son simple mouvement et capable de subjuguer toute la création. Elle exprime de l’étonnement face à la patience et à l’indulgence de Baha’u’llah en dépit de son omnipotence et de son pouvoir, sachant que s’il le voulait, il pourrait, en prononçant une seule parole, permettre à toute l’humanité de se lever pour servir sa Cause. La plume continue à plaider dans cette veine avec beaucoup de zèle et de dévotion, jusqu’à ce que la Langue de grandeur (n199) l’exhorte à se limiter, à ne pas divulguer les mystères de la révélation de Dieu et à faire preuve de patience en toutes circonstances.

Dans la Lawh-i-Ruh, Baha’u’llah conseille à ses bien-aimés d’être unis par l’amour de Dieu et d’être comme une seule âme dans de nombreux corps. Il leur assure que seul cet acte viendra à bout de leurs ennemis. Il censure avec insistance la sédition, la discorde et la division parmi les croyants et les avertit que s’ils désobéissaient, ils nuiraient à la cause de Dieu.

* LAWH-I-LAYLATU’L-QUDS :

La Lawh-i-Laylatu’l-Quds (n200) est une épître qui confirme cette affirmation et qui fut révélée à Andrinople en l’honneur de Darvish Sidq-‘Ali. Elle a pour thème l’unité entre les croyants. Baha’u’llah, dans cette épître, exhorte ses disciples à être unis de telle manière que toute trace de division et de séparation puisse disparaître entre eux. Les passages suivants, traduits par Shoghi Effendi et inclus dans Florilège d’écrits de Baha’u’llah, sont tirés de la Lawh-i-Laylatu’l-Quds:

«Le plus grand Nom me rend témoignage ! Qu’il est triste de mettre en ce jour son coeur dans les choses transitoires de ce monde !
Levez-vous et attachez-vous fermement à la cause de Dieu. Aimez-vous tendrement les uns les autres. Tout à l’amour du Bien-aimé, brûlez le voile de l’égoïsme à la flamme du feu qui ne s’éteint pas et associez-vous avec vos semblables le visage rayonnant de lumière et de joie. Vous avez pu observer sous tous ses aspects la conduite de celui qui est, au milieu de vous, la Parole de vérité. Et vous savez parfaitement combien il est dur pour cet Adolescent de laisser, ne fût-ce qu’un moment, le coeur de n’importe lequel des aimés de Dieu s’attrister à cause de lui.
La parole divine enflamme le coeur du monde ; que de regret s’il vous arrivait de n’être pas embrasés par sa flamme ! Plaise à Dieu que vous regardiez cette nuit bénie comme la nuit de l’unité, que vous unissiez étroitement vos âmes et preniez la détermination de vous parer des attributs d’un caractère bon et méritoire. Que votre principal souci soit de sauver l’être déchu de l’abîme qui menace de l’engloutir, et de l’amener à embrasser l’ancienne foi de Dieu. Votre conduite envers votre prochain doit être telle, qu’elle manifeste clairement les signes du seul vrai Dieu. Vous êtes, en effet, parmi les hommes les premiers à êtres recréés par son Esprit, les premiers à l’adorer, à plier le genou devant lui et à graviter autour de son trône de gloire. Je le jure par celui qui m’a amené à révéler ce qui lui semble bon ! Les habitants du royaume céleste vous connaissent mieux que vous ne vous connaissez vous-mêmes. Croyez-vous que ce soient là paroles vides et vaines ? Si seulement vous aviez la capacité de percevoir les choses que voit votre Seigneur, le Très-Miséricordieux - choses qui attestent l’excellence de votre rang, qui témoignent de la grandeur de votre mérite, et proclament la sublimité de votre condition ! Dieu veuille que vos désirs et vos passions indomptées ne vous privent point de ce qui vous est destiné !» (r16)

La pensée de désunion avait été si douloureuse pour Baha’u’llah que, dans cette épître, il épanche son coeur, en disant qu’il souhaite être chaque jour affligé de nouvelles calamités plutôt que de voir le découragement et le ressentiment entre les croyants.

Un des conseils remarquables de Baha’u’llah dans cette épître, concerne la façon avec laquelle deux personnes devraient agir l’une envers l’autre. Le principe spirituel sur lequel se fonde la recommandation de Baha’u’llah, constitue l’une des vérités fondamentales qui gouvernent la création de l’homme. Il déclare que rien en ce monde ne peut nuire à un homme d’intuition. Son intégrité et son rang exalté ne seront jamais affectés par quoi que ce soit qui puisse lui arriver dans cette vie. Car lorsqu’un tel homme manifeste amour et humilité envers un autre pour l’amour de Dieu, c’est comme s’il aimait Dieu et se montre humble devant lui. C’est ce qui fera descendre sur lui les bontés et les bénédictions de Dieu et il sera récompensé pour ses actes. Si l’autre personne, cependant, réagit de manière opposée et traite son semblable avec mépris et orgueil, cet acte ne touchera jamais l’homme qu’il aura méprisé, mais il sera considéré comme montrant de la haine et de l’arrogance envers Dieu et pour ceci, il recevra son châtiment.

Dans l’une de ses épîtres, (r17) Baha’u’llah affirme que dans cette révélation, Dieu a condamné ceux qui fomentent la sédition et manifestent de la méchanceté envers les gens. Si une personne inclinait à nuire à une autre, c’est comme si elle s’était levée contre Dieu pour lui nuire.

Cet enseignement de Baha’u’llah jette une lumière nouvelle sur les relations humaines et ouvre une approche passionnante à leur sujet. Il confère à l’individu une grande vision dans le monde des réalités, lui permettant de se débarrasser efficacement de la haine, des préjugés et de nombreux autres vices souvent affichés par les êtres humains lorsqu’ils inter-réagissent les uns avec les autres. Par exemple, une âme s’offense lorsqu’elle est fortement critiquée et ses actions dénoncées. Dans le cours normal des événements, cela peut souvent mener à la froideur, la mise à l’écart, l’amertume et souvent la haine entre les gens. La critique injustifiée et les accusations mensongères peuvent mettre une énorme pression sur la personne au point de l’amener au bord de la destruction totale et de l’effondrement complet. Mais lorsqu’une personne croit en les paroles de Baha’u’llah et suit sincèrement cet enseignement exalté, son attitude envers ses semblables change radicalement et elle s’immunise contre ce danger. Car elle sait que le mensonge, l’animosité et la méchanceté ne peuvent jamais la toucher aussi longtemps qu’elle met sa confiance en Dieu, tandis que les torts des offenseurs sont dirigés contre Dieu qui les châtiera pour leurs actions.

Lorsqu’une personne atteint ce stade de maturité et de discernement, elle ne peut être ni découragée par des critiques indues ni flattée par des éloges et la glorification. C’est toujours l’ego qui se sent offensé dans le premier cas et gratifié dans le second.

L’enseignement de Baha’u’llah ci-dessus mentionné aide la personne à subjuguer son ego. La simple conscience du fait que l’on agit contre Dieu en condamnant et en attaquant son semblable, suffit à empêcher de poursuivre un comportement aussi répréhensible. Cela permet aussi de comprendre que, aussi longtemps que l’on se tourne vers Dieu, les forces du mal ne pourront jamais nuire en aucune façon.

Le zélé Mirza ‘Azizu’llah-i-Misbah, un homme de grande érudition, dont il a été fait mention dans des chapitres précédents, a écrit ces paroles qui invitent à la réflexion:

«S’ils attribuaient la cécité à une personne qui a des yeux pour voir, aucun mal ne peut tomber sur ses yeux, et s’ils devaient proclamer qu’un aveugle complet possède une vision perçante, un tel compliment n’aurait aucune valeur pour ce dernier. Car, en réalité, ce qui est considéré comme digne de louange ou condamnable, c’est la possession de la vision ou son manque respectivement, et non pas les commentaires affirmatifs ou négatifs des gens. À partir de là, il s’ensuit que le seul signe de vision perçante, c’est lorsque la personne n’accorde aucune attention à la flatterie ni aux condamnations émises par les autres.» (r18)

‘Abdu’l-Baha déclare (r19) que si quelqu’un, en présence de Baha’u’llah, mentionnait qu’il y avait une légère désunion parmi les croyants en quelque endroit, la Beauté bénie devenait submergée par le chagrin au point que son visage montrait les signes d’une douleur et d’un déplaisir intenses. De nombreuses fois, Baha’u’llah affirmait à ceux qui se trouvaient en sa présence, que s’il apprenait que la cause de Dieu devenait une source de division entre deux personnes, il se serait passé d’elle.

L’établissement de l’unité parmi les croyants constitue la pierre angulaire des enseignements de Baha’u’llah. Sans cela, la Foi et ses institutions ne peuvent fonctionner, pas plus que l’individu ni la société ne peuvent progresser spirituellement ou matériellement. L’unité entre les croyants et, dans la plénitude des temps, l’unité de l’humanité ne peuvent être accomplies au moyen d’expédients, des plans conçus par l’homme ou même par la bonne volonté et la compréhension de la part de toute l’humanité. Par ces méthodes et d’autres similaires, l’homme peut établir l’unité politique, mais ce n’est pas l’unité telle qu’elle est envisagée par Baha’u’llah, une unité qui surpasse toutes les limitations humaines, lie le coeur et l’âme des hommes dans un esprit de véritable fraternité et tire sa force de cohésion de Baha’u’llah lui-même.

L’homme est capable de réaliser de grands exploits dans tous les domaines de l’activité humaine. Il peut briser les lois de la nature, voyager plus vite que le son et aller dans l’espace, il peut créer, contrôler et utiliser les ressources d’une énorme énergie. Pas plus qu’il n’y a de limite à ce qu’il peut réussir à l’avenir. Mais il n’a pas le pouvoir, de son propre chef, d’influencer le coeur des hommes et de faire en sorte que s’aiment deux personnalités opposées. Si, par lui-même, il dépense toutes les ressources matérielles à sa disposition pour unir deux âmes spirituellement, il échouera. Unir le coeur des hommes est la fonction des Manifestations de Dieu. Baha’u’llah l’atteste dans l’une de ses épîtres:

«Dans le monde entier, il a fait choix pour lui-même du coeur de l’homme, ce coeur qui peut être conquis par les armées de la révélation et des saintes paroles. Ainsi en est-il ordonné par la main de Baha, sur la tablette de l’irrévocable décret de Dieu, au commandement de l’Ordonnateur suprême, l’Omniscient.» (r20)

Dans une autre épître, il affirme:

«Ouvrez, ô peuple, les portes du coeur des hommes avec les clefs du souvenir de celui qui est le Souvenir de Dieu et la Source de la sagesse parmi vous. Dans le monde entier, il a choisi le coeur de ses serviteurs pour en faire le siège de la révélation de sa gloire. Purifiez donc ces coeurs de toute souillure, afin qu’y puissent être gravé ce pour quoi ils furent créés. C’est là, pour eux, en vérité, un gage de la bienfaisante faveur de Dieu.» (r21)

Lorsqu’apparaissent les Manifestations de Dieu, les coeurs de leurs disciples, par l’influence de la Parole, s’unissent dans un lien d’unité. Bien que ces âmes aient été auparavant ennemies, elles deviennent semblables à des amants. Elles sont transformées en une création nouvelle et reçoivent le pouvoir d’influencer les autres et de changer leur coeur. C’est l’histoire de toutes les religions. Moïse, le Christ et Muhammad l’ont fait en leur temps. Aujourd’hui, seules les paroles de Baha’u’llah peuvent changer le coeur des hommes. Les disciples de Baha’u’llah, armés du pouvoir de la Parole créatrice de Dieu, ont pu unir le coeur de millions de personnes qui étaient auparavant des ennemis. Juifs, chrétiens, musulmans, bouddhistes, adeptes d’autres religions ainsi que païens, agnostiques et athées sur tous les continents du globe, représentants de toutes les races et de presque toutes les phratries, bien que parlant divers langages et venant de milieux différents, ont, en ce jour, reconnu le rang de Baha’u’llah comme le Père promis et sont devenus ses disciples. Par l’influence de sa Parole, la haine et les préjugés ont disparu de leur coeur et ont été remplacés par l’unité spirituelle et l’amour universel pour toute l’humanité. Cette communauté mondiale de Baha’u’llah, immense, sans cesse croissante, au fonctionnement harmonieux, constitue quelque chose d’unique dans les annales de l’humanité. Elle forme le modèle et démontre la gloire et la promesse d’une fédération baha’ie future. L’observateur impartial, qui recherche les preuves de l’authenticité du message de Baha’u’llah, peut découvrir que le pouvoir de l’unité qui lie la communauté baha’ie d’aujourd’hui, est l’un des signes les plus évidents de la gloire et de l’origine divine de son Fondateur.


CHAPITRE 9: Quelques premiers pèlerins

Lorsque la nouvelle de l’arrivée de Baha’u’llah à Andrinople parvint aux croyants, nombre d’entre eux désirèrent ardemment se rendre dans cette ville pour se retrouver en sa présence. Seuls quelques-uns y réussirent dans un premier temps, mais au fur et à mesure que le temps passait, et en particulier après que se soit réalisée la «Très-Grande-Séparation», plusieurs croyants de Perse se rendirent en pèlerinage à la résidence de celui qui s’était infailliblement identifié comme «Celui-que-Dieu-rendra-manifeste», le Révélateur de Dieu lui-même et le Promis de tous les âges. Quelques-uns de ces pèlerins reçurent l’autorisation de Baha’u’llah de rester à Andrinople tandis que la majorité était envoyée en Perse ou dans les pays voisins afin d’y répandre sa Cause parmi les gens.

* HAJI MIRZA HAYDAR-’ALI :

Parmi ceux qui firent le voyage jusqu’à Andrinople et parvinrent en présence de leur Seigneur, se trouvait le remarquable Haji Mirza Haydar-’Ali, l’un des plus illustres disciples de Baha’u’llah. Haji Mirza Haydar-’Ali a écrit dans son livre, le Bihjatu’s-Sudur (Délice des coeurs) quelques souvenirs de Baha’u’llah et certains événements dont il fut témoin à Andrinople et plus tard à Acre, ainsi qu’en Perse et en Irak. Il se rendit à Andrinople en l’an 1283 de l’Hégire (1866-1867) et Baha’u’llah lui permit d’y résider pendant environ sept mois. Au cours de cette période, il se trouva en présence de Baha’u’llah presque tous les jours. En conséquence de ce contact personnel avec Baha’u’llah, Haji Mirza Haydar-’Ali s’enflamma et fut empli d’un nouvel esprit. C’était une incarnation du détachement, de l’humilité et de l’effacement de soi. Ayant véritablement reconnu le rang auguste de Baha’u’llah, son être tout entier était dominé par un amour passionné, une vénération pour lui.

Une fois, un membre du clergé musulman originaire d’Isfahan demanda à Haji Mirza Haydar-’Ali de raconter ses impressions sur Baha’u’llah. Il ne souhaitait pas, dit-il, entrer dans une discussion sur les preuves de l’authenticité de ses prétentions, mais il était plutôt intéressé d’entendre certaines des choses que Haji Mirza Haydar-’Ali avait vues de ses propres yeux. Voici ce que Haji Mirza Haydar-’Ali écrit sur cette conversation avec le religieux:

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Quelles que soient mes tentatives pour lui [le religieux] expliquer que, contrairement à tous les phénomènes physiques qu’il est possible d’élucider, l’on ne peut pas décrire une expérience spirituelle, il n’était pas capable de comprendre. Alors je dis: «Avant de me trouver en sa présence, j’espérais assister à beaucoup de miracles, qu’ils soient physiques, intellectuels et spirituels. Aussi, j’avais gardé à l’esprit plusieurs questions dont je souhaitais obtenir la réponse. Mais lorsque je vis la lumière de son magnifique visage, je fus transporté dans un tel état que tous les miracles que j’avais espéré voir et tous les mystères physiques et spirituels que j’avais désiré ardemment comprendre, tout cela s’évanouit dans l’insignifiance. Ils m’apparurent tous comme un mirage vers lequel l’assoiffé se hâte, et non l’eau pure qui apaise la soif et donne la vie.» Il [le religieux] me demanda: «Qu’avez-vous vu qui puisse vous mettre dans un tel état d’esprit et de coeur ?» (...) Je répondis: «sa personne bénie apparaissait sous la forme d’un être humain, mais ses mouvements mêmes, ses manières, sa façon de s’asseoir ou de se lever, de manger ou de boire, même son sommeil ou son état d’éveil, étaient des miracles pour moi. Car ses perfections, son caractère exalté, sa beauté, sa gloire, ses titres les plus excellents et ses attributs les plus augustes, me révélèrent qu’il était sans égal et sans parallèle. Nul ne pouvait rivaliser avec lui, ni s’associer à lui, l’Unique sans pair ni égal, le Seul sans adjoint, le Dieu éternel, l’Être incomparable, celui qui «n’engendre pas, ni n’est engendré, et il n’y a personne comme lui». (r1)

Il [le religieux] dit: «Mais le père de Baha’u’llah était l’un des remarquables ministres [du gouvernement], et son fils, ‘Abbas Effendi, (n201) est célèbre dans le monde entier et il est réputé pour être l’être le plus parfait sur cette terre.» Je répliquai: «Ni son père ni son fils n’étaient assis sur le trône de l’Orateur sur le Sinaï, (n202) ils n’étaient pas des fondateurs de religion ni des révélateurs du Livre. Seul Baha’u’llah est le Trône où séjourne la splendeur de la révélation de Dieu, le Miroir reflétant sa lumière, celui qui «n’engendre pas, ni n’est engendré». Si vous vous teniez devant un miroir et annonciez votre identité, le miroir ferait de même, mais en réalité il se dissocie de vous.» (n203) Il [le religieux] fut ravi de cette réponse et il me dit que c’était là une réponse convaincante et de poids qui révélait de nombreuses vérités. Il me demanda de lui en dire plus. Je dis: «... J’ai vu une personne qui, d’un point de vue humain, était semblable au reste de l’humanité. Cependant, si l’on devait ajouter l’amour, la miséricorde et la compassion de tous les peuples du monde réunis, cela apparaîtrait comme une goutte d’eau comparée à l’océan de sa tendre miséricorde et de son affectueuse bonté. J’en demande même pardon à Dieu d’avoir fait une telle comparaison. De même, si l’on devait rassembler toute la connaissance des sciences, des arts, de la philosophie, de la politique, de l’histoire naturelle et de la religion que possède l’humanité, elle ressemblerait, en comparaison de sa connaissance et de sa compréhension, à un atome à côté du soleil. Si l’on devait mettre en balance le pouvoir et la puissance des rois, des dirigeants, des prophètes et des messagers, avec son omnipotence et sa souveraineté, sa grandeur et sa gloire, sa majesté et son empire, ils seraient aussi insignifiants qu’une touche de rosée comparée aux eaux de la mer (...) Alors que j’observais chacun de ses attributs, je découvrais mon inaptitude à lui ressembler et je compris que tous les peuples du monde ne seraient jamais capables d’atteindre ses perfections.» Il [le religieux] admit que c’étaient bien là tous des miracles et qu’ils constituaient les signes et les gages du pouvoir de Dieu, exaltée soit sa gloire. (r2)
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À ceux qui n’avaient pas reconnu le rang de Baha’u’llah, les affirmations ci-dessus faites par Haji Mirza Haydar-’Ali peuvent paraître exagérées. La vérité, cependant, est que si n’importe quel homme impartial devait décrire sa rencontre avec Dieu, si cela était possible, il raconterait son histoire dans une veine identique et la chanterait de la même façon. Dépeindre les pouvoirs et les attributs de la Manifestation de Dieu va au-delà de la capacité de l’homme. Car l’homme ne peut seulement communiquer ses sentiments que par l’usage de mots et les mots sont des outils inadéquats pour exprimer les phénomènes spirituels ou expliquer les qualités divines. C’est pour cette raison que Haji Mirza Haydar-’Ali, à l’instar de nombreux autres écrivains baha’is qui se retrouvèrent en présence de Baha’u’llah, a chanté les vertus et les attributs de son Seigneur avec une absolue sincérité et au mieux de ses capacités en utilisant autant d’adjectifs superlatifs qu’il pouvait en trouver. Lorsque l’on lit son livre, l’on peut apprécier son effacement de soi et son humilité absolus devant Baha’u’llah, ainsi que sa vision, sa noblesse et sa pureté d’esprit.

Il relate une histoire intéressante de son éveil et son combat spirituels personnels:

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Dans les premiers temps de la Foi à Isfahan, lorsque je commençais à étudier les épîtres et les écrits du Bab, et à écouter les explications des amis, je trouvais les preuves de sa révélation convaincantes et décisives, et les témoignages parfaits et des plus intelligents. Ainsi je fus assuré en mon for intérieur que cette Cause était la cause de Dieu et que la Manifestation de sa grandeur, l’orient de l’Etoile du matin de la vérité promise pour être révélée par le Tout-Puissant. Mais lorsque je me retrouvais seul sans personne avec qui parler, j’étais souvent submergé par le doute. Les vaines chimères de ma vie passée, et les murmures du malin me tentaient (...) Dieu sait combien j’ai pleuré et combien de nuits j’ai passées, éveillé jusqu’au matin. Il y avait des jours où j’en oubliais de manger car profondément plongé dans mes pensées. Je tentais par tous les moyens de me soulager de ces doutes. Plusieurs fois, je devenais ferme dans la Cause et je croyais, mais plus tard je vacillais, devenais perplexe et désemparé.

Puis, une nuit, je rêvais qu’un garde-champêtre, à (...) Isfahan, annonçait ce message: «Ô peuple, le Sceau des prophètes (n204) est ici dans une certaine maison et il a donné la permission de s’y rendre à quiconque souhaiterait parvenir en sa présence. Souvenez-vous qu’un simple coup d’oeil à son visage est plus méritoire que le service dans les deux mondes.» En entendant cela, je me hâtai et j’entrai dans la maison. Je n’avais jamais vu une telle demeure. Je montai à l’étage et arrivai dans un endroit avec un toit au-dessus et entouré de salles et de chambres. La Manifestation du Très-Glorieux faisait les cent pas et certaines personnes étaient debout immobiles. J’arrivai et spontanément, je me jetai à ses pieds. Il me releva d’un geste gracieux et, debout, il me dit: «Une personne peut proclamer qu’elle est venue ici entièrement pour l’amour de Dieu et qu’elle est véritablement parvenue en présence de son Seigneur, lorsqu’elle n’est pas retenue par les agressions des peuples du monde, qui, sabre au clair, l’attaquent et projettent de lui prendre la vie parce qu’elle a embrassé la cause de Dieu. Sinon, on ne peut pas vraiment dire que sa motivation était de rechercher Dieu.»

En entendant ces paroles, je me suis réveillé et me retrouvai assuré, joyeux et reconnaissant. Tous mes doutes avaient totalement disparu. J’appris les mystères du martyre, de la persécution et de la souffrance infligés aux croyants dans toutes les révélations. J’étais stupéfait alors que je me souvenais des doutes que j’avais entretenus, de mon ignorance, de la bassesse d’esprit, de la faiblesse de foi et du caractère superficiel de ma pensée. Je riais aussi de moi, parce que, lors de mes heures d’éveil, j’avais entendu des affirmations similaires et je les avais lues aussi dans les Tablettes et les Livres saints du passé, et je n’étais pas rassuré par eux. Et à présent, grâce à ce rêve, j’avais acquis la foi et l’assurance...

Pourtant, le temps passait et environ quatorze ans plus tard, j’étais dans la «Terre de mystère» (n205) où j’ai résidé pendant sept mois. Chaque jour, grâce à sa bonté, je me retrouvais en présence de Baha’u’llah une fois, deux fois et quelquefois plus. Mais durant cette période, je n’ai jamais pensé à mon rêve. Un soir, pendant quatre ou cinq heures après le coucher du soleil, j’étais assis avec Aqa Mirza Muhammad-Quli (n206) et Aqa Muhammad-Baqir-i-Qahvih-chi (n207) dans le salon de thé [une salle réservée aux compagnons et aux visiteurs de Baha’u’llah]. Ce jour-là, je ne m’étais pas trouvé en présence de Baha’u’llah et j’étais plus que désireux d’en avoir l’occasion. Bien que je n’aurais jamais pu me décider à demander la permission, dans mon for intérieur, je l’implorais et l’invoquais d’avoir cet honneur. Mais c’était sans espoir car c’était bien trop tard. Soudain, la porte s’ouvrit et la Plus-Grande-Branche, (n208) celui qui en ces jours était connu sous le nom de Sirru’llah [le Mystère de Dieu] entra et m’intima de le suivre. Lorsque je sortis de la salle, je vis la Beauté ancienne, (n209) faisant les cent pas dans la partie sous le toit de la maison. Le flot de ses paroles se déversait et quelques âmes étaient présentes. Je me prosternai à ses pieds, là-dessus il me releva de ses mains bénies. Il se tourna vers moi et me dit:

«Une personne peut proclamer qu’elle est arrivée ici entièrement pour l’amour de Dieu et qu’elle est véritablement parvenue en présence de son Seigneur, lorsqu’elle n’est pas retenue par les agressions des peuples du monde, qui, sabre au clair, l’attaquent et projettent de lui prendre la vie parce qu’elle a embrassé la Cause.» C’était là exactement les paroles que j’avais entendues quatorze ans auparavant et je vis la même Beauté incomparable, la même demeure que dans mon rêve. Je me tenais debout contre le mur, frappé par l’émerveillement et immobile. Peu à peu, je me remis et dans un état de conscience total, je me retrouvai en sa présence. Mon objectif, en racontant cette histoire, n’était pas, à Dieu ne plaise, d’attribuer de quelconques miracles, (n210) mais plutôt de relater les faits tels qu’ils se déroulèrent...

Ce soir-là, il fut question de mon départ. Baha’u’llah m’envoya un message pour connaître mes buts et mes intentions. J’implorai ‘Abdu’l-Baha et le suppliai de faire en sorte que mes affaires ne puissent être laissées entre mes propres mains, ni que l’on cherchât à connaître mes souhaits, mais plutôt que Baha’u’llah puisse indiquer ses voeux et m’ordonne de les exécuter. Je le suppliai d’envoyer ses confirmations et son assistance afin que je puisse être capable d’accomplir ce que l’on attendait de moi. De plus, je soulignai que j’étais seul au monde, n’avais ni foyer ni famille et ne recherchais que le refuge de sa Providence. Par l’intermédiaire de ‘Abdu’l-Baha, cette requête fut acceptée et l’on me dit que Baha’u’llah m’accorderait l’honneur et le privilège de servir sa Cause et qu’il enverrait ses confirmations et son assistance pour me secourir.

Ainsi, il fut décidé que je partirais pour Constantinople où je servirais de relais de communication pour les croyants qui iraient dans cette ville, ainsi que pour l’envoi de lettres et de tablettes en divers endroits (...) J’arrivais à Constantinople, en ayant emporté avec moi des livres et des épîtres de l’écriture d’Aqay-i-Kalim, ‘Abdu’l-Baha et autres. J’étais accompagné par Mirza Husayn (n211) ; nous étions tous les deux heureux et nous réussissions dans notre service. Chaque semaine, quelques épîtres arrivaient pour être envoyées dans de nombreux endroits et j’avais l’habitude de les lire. J’avais aussi l’opportunité de rencontrer les croyants qui arrivaient avec l’intention de faire le pèlerinage à Andrinople. Ils devaient rester quelques jours à Constantinople, se préparant pour le voyage ou bien demandant la permission de Baha’u’llah pour le pèlerinage. Ils restaient aussi quelques jours à leur retour.

Je recevais des instructions de feu Aqa Muhammad-’Aliy-i-Tambaku-Furush d’Isfahan sur des questions ayant trait à des affaires matérielles comme l’achat de provisions et autres marchandises, et celles de Aqay-i-Kalim sur des questions spirituelles. Une fois, Aqa Muhammad-’Ali commanda du thé. J’en achetai et le lui envoyai. Insatisfait du thé, il m’écrivit une lettre très gentille et me fit remarquer avec affection que, comme je savais que ce thé serait servi en présence de Baha’u’llah et de sa famille, j’aurais dû le tester en premier et être plus attentif dans le choix d’une bonne marque. (n212)

Ce conseil prodigué par un affable conseiller et un ami sincère ne me fit pas plaisir. Ma vanité et mon ignorance jouèrent un rôle ici. Je ne montrais aucun respect pour sa courtoisie, son amour et son ancienneté et à la place, je lui répondis par une lettre qui était injuste et déloyale. La lettre arriva à destination. Peu après, je reçus une épître exaltée de la Beauté ancienne, le Très-Généreux, celui qui cache les fautes des hommes, le Très-Miséricordieux. (n213) Cette épître m’était adressée, moi qui me trouvais dans le péché, l’arrogance, la rébellion et la suffisance. Il m’y assurait que mes actions et moi-même, étions dignes de louange et bénis de son bon plaisir.

En lisant cette épître, je pris conscience de mes errements et compris que j’avais fait une grave erreur et commis une sérieuse transgression. Car en dépit de mon ignorance et de la vanité de ma jeunesse, j’avais, par l’étude des saintes Tablettes et mes observations durant les sept mois que je m’étais retrouvé en sa présence, compris la façon dont Dieu oeuvre dans cette très grande, très ancienne Révélation (...) et cela afin d’éduquer les pécheurs, d’édifier les âmes de ceux qui font le mal et de leur enseigner les vertus humaines et le chemin de la servitude. Baha’u’llah les châtie avec le fouet de l’affectueuse bonté et de la compassion, de la tendre miséricorde et de la grâce. Il leur manifeste ses attributs du Très-Miséricordieux, celui qui tait les fautes des hommes, qui pardonne les péchés, le Très-Généreux.

Ce fut pour cette raison que je fus pris d’angoisse, plongé dans une grande perplexité et désemparé. Dans un état de dévotion et en larmes, je me tournai vers Dieu. Je priai, le suppliant et l’invoquant avec ferveur, d’accepter mon repentir. Une fois de plus, je me tournais vers ‘Abdu’l-Baha, le Mystère de Dieu, pour servir de médiateur pour moi. Alors que les rayons du Soleil de son nom, «celui qui tait les péchés», brillaient avec une plus grande intensité, alors que les vagues de la Mer de sa miséricorde s’enflaient avec une plus grande énergie et alors que les pluies de sa tendre bonté et de sa compassion se déversaient avec plus de profusion, je fus encore plus saisi par la peur et les tremblements. En bref, j’étais tellement submergé par la honte que je ne pouvais en trouver le repos. Je priai pour que les effusions de la tendre miséricorde et l’affectueuse providence de Baha’u’llah soient sur le point de me consumer. Je l’implorais de m’ordonner clairement de mettre en oeuvre ce qui m’inciterait à servir la Cause et parvenir à son bon plaisir.

Cette fois-ci, Baha’u’llah m’ordonna de me rendre en Egypte et d’y enseigner la Cause avec sagesse et éloquence, avec de bonnes actions et un caractère élevé. Je savais que mes péchés étaient pardonnés, je repris confiance et redevins heureux... (r3)
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Haji Mirza Haydar-’Ali fut arrêté en Egypte. Cette incarcération survint en conséquence de sa façon peu judicieuse d’enseigner et le fait qu’il commençait à être connu comme baha’i. Il fut envoyé au Soudan comme prisonnier et neuf ans s’écoulèrent avant qu’il pût recouvrer sa liberté. (n214)

* MIRZA MUHAMMAD-’ALIY-I-NAHRI :

Un autre croyant distingué qui alla en pèlerinage à Andrinople et parvint en présence de Baha’u’llah, était le dévoué Mirza Muhammad-’Aliy-i-Nahri, qui avait eu le privilège de le rencontrer quelques années auparavant à Bagdad. Mirza Muhammad-’Ali venait d’une famille éminente d’Isfahan, bénie par la richesse matérielle et les dons spirituels. Son frère Mirza Hadi et lui passèrent quelques années à Karbila où ils se joignirent à la secte shaykhie et ils avaient l’habitude de s’asseoir des heures durant aux pieds de Siyyid Kazim-i-Rashti afin de recevoir l’illumination spirituelle. (n215)

Ce fut à Karbila que ces frères rencontrèrent le Bab pour la première fois. Alors qu’ils l’observaient prier au tombeau de l’Imam Husayn, ils s’attachèrent profondément à sa personne, et reconnurent en lui d’extraordinaires pouvoirs. Ils devinrent aussi conscients de la profonde révérence et de la haute estime dans lesquelles il était tenu par Siyyid Kazim. Il n’est guère étonnant que, lorsque la nouvelle leur parvint qu’un jeune homme de Shiraz s’était déclaré comme étant le Bab, ils reconnurent immédiatement son identité. (n216)

Obéissant à l’ordre du Bab, Mirza Muhammad-’Ali et son frère se rendirent à Isfahan. En route vers cette ville, ils rencontrèrent Mulla Husayn qui leur fit connaître complètement la Cause. Le zèle et l’enthousiasme de Mulla Husayn, la loyauté de sa foi et l’ardeur de son amour pour le Bab inspirèrent grandement les deux frères et les aidèrent à reconnaître la vérité de la nouvelle foi de Dieu. Ils retrouvèrent le Bab à Shiraz au moment où il était assigné à résidence sur ordre du gouverneur de la province. (n217) Cette rencontre donna naissance à un nouvel esprit de dévouement et de certitude en Mirza Muhammad-’Ali et Mirza Hadi et, dès ce moment-là, ils se rangèrent parmi les premiers disciples du Bab.

De Shiraz, Mirza Hadi se rendit à Karbila tandis que Mirza Muhammad-’Ali revint à Isfahan. Peu après son arrivée dans cette ville, ce dernier apprit que sa femme était décédée à Karbila. Il se remaria et resta à Isfahan jusqu’à ce que le Bab y arrivât, alors qu’il était en route pour Téhéran. Jusqu’à ce moment-là, Mirza Muhammad-’Ali n’avait pas d’enfant. Sa première femme, qui était morte après quelques années de mariage, ne lui avait donné aucun enfant. Sa deuxième femme n’avait pas d’enfant jusqu’à ce qu’un événement d’une grande portée eût lieu.

Nabil-i-A’zam décrit cet épisode heureux:


«Avant que le Bab ait transféré sa résidence dans la maison du Mu’tamid, Mirza Ibrahim, père du Sultanu’sh-Shuhada (n218) et frère aîné de Mirza Muhammad-’Aliy-i-Nahri, dont nous avons déjà parlé, invita le Bab à passer une nuit chez lui. Mirza Ibrahim était un ami de l’Imam-Jum’ih, il était un de ses intimes et il contrôlait la gestion de toutes ses affaires. Le banquet qui était préparé pour le Bab cette nuit-là était d’une magnificence inégalée. On fit généralement remarquer que ni les fonctionnaires ni les notables de la ville n’avaient offert un festin d’une telle grandeur et d’une telle splendeur. Le Sultanu’sh-Shuhada et son frère, le Mahbubu’sh-Shuhada, (n219) garçons âgés respectivement de neuf et onze ans, servirent à ce banquet et reçurent l’attention particulière du Bab. Cette nuit, pendant le dîner, Mirza Ibrahim se tourna vers son invité et lui dit: «Mon frère, Mirza Muhammad-’Ali, n’a pas d’enfant. Je vous prie d’intercéder en sa faveur et de lui accorder le désir de son coeur.» Le Bab prit une portion de la nourriture dont on l’avait servi, la plaça de ses propres mains sur un plateau et la tendit à son hôte, lui demandant de la donner à Mirza Muhammad-’Ali et à sa femme. «Qu’ils se la partagent tous les deux,» dit-il ; «leur souhait s’accomplira.» Par la vertu de cette portion que le Bab avait choisi d’accorder à la femme de Mirza Muhammad-’Ali, elle conçut et, en temps voulu, donna naissance à une fille, laquelle finalement se maria avec la Plus-Grande-Branche, (n220) une union qui en vint à être considérée comme la consommation des espoirs entretenus par ses parents.» (r4)

Le nourrisson, une fille, fut appelée Fatimih par ses parents. Baha’u’llah, plus tard, lui conféra le nom de Munirih (Illuminée). Sa naissance eut lieu peu près au moment où son père et son oncle Mirza Hadi étaient partis assister à la conférence de Badasht. (n221) Il est intéressant de noter qu’à cette conférence les deux frères figuraient parmi ceux qui furent bouleversés à l’extrême lorsque Tahirih enleva son voile. Ils réagirent en quittant le lieu de la conférence et en s’installant dans les ruines d’un vieux château. Baha’u’llah les fit aller chercher, calma leurs émotions et fit remarquer qu’il ne leur était pas nécessaire de déserter leurs compagnons. Lorsque la conférence de Badasht s’acheva, les croyants furent attaqués dans le village de Niyala. Mirza Hadi mourut sur le chemin du retour en conséquence de ces persécutions et Mirza Muhammad-’Ali revint à Isfahan. Par la puissance de sa foi, il devint un acteur majeur de la Foi dans cette ville. Ce fut principalement sur son aide et son conseil que deux de ses neveux, auxquels Nabil fait allusion et surnommés le «Roi des Martyrs» et le «Bien-Aimé des Martyrs», furent confirmés dans la Cause. Ils devinrent les plus célèbres des martyrs de la Foi.

Lorsque Baha’u’llah était à Bagdad, Mirza Muhammad-’Ali emmena ses deux jeunes neveux dans cette ville où ils se retrouvèrent en sa présence. Ils virent la Gloire de Dieu cachée derrière les nombreux voiles de la dissimulation. Leur âme fut comme attirée par l’aimant de son amour et transformée en une nouvelle création. Ils se détachèrent réellement de ce monde et ils revinrent chez eux dans un esprit de joie et de fermeté.

Quelques années plus tard, Mirza Muhammad-’Ali fit le voyage jusqu’à Andrinople. Une fois de plus, il eut le privilège de se retrouver en présence de son Seigneur et de réaliser le désir de son coeur. Mais il ne vécut pas assez longtemps pour voir l’honneur qui fut conféré à sa fille Munirih Khanum lorsqu’elle devint l’épouse de ‘Abdu’l-Baha.

Ce fut pendant la période d’Andrinople que certains événements eurent lieu qui tracèrent le chemin pour le mariage de ‘Abdu’l-Baha à Acre quelques années plus tard. La coutume de l’époque voulait, en particulier dans la noblesse, que le mariage des fils et des filles soit arrangé alors qu’ils étaient encore enfants. La plupart des mariages étaient arrangés au sein de la famille et le couple n’avait pas tellement son mot à dire en matière de choix. Quand ‘Abdu’l-Baha était enfant à Téhéran, on lui choisit Shahr-banu, une cousine, et on les promit l’un à l’autre. C’était la fille de Mirza Muhammad-Hasan, un demi-frère aîné de Baha’u’llah. (n222) Lorsque Baha’u’llah et sa famille furent exilés en Irak, Shahr-banu resta dans le district de Nur, dans le Mazindiran, jusqu’en 1285 de l’Hégire (1868). Baha’u’llah demanda à son oncle Mulla Zaynu’l-’Abidin (n223) de conduire Shahr-banu à Téhéran et de là, d’organiser son voyage pour Andrinople.

Cette nouvelle n’était pas plus tôt parvenue aux oreilles de Shah Sultan Khanum (n224) (une demi-soeur de Baha’u’llah et disciple de Mirza Yahya), qu’elle s’évertua avec animosité pour empêcher ce mariage. Elle prit Shahr-banu chez elle à Téhéran et l’obligea pratiquement à épouser Mirza ‘Ali-Khan-i-Nuri, le fils du Premier Ministre. Baha’u’llah y a fait référence dans l’Epître au Fils du Loup. (n225) Ce mariage, si brutalement imposé à Shahr-banu, la plongea dans un état perpétuel de chagrin et de malheur. Son plus jeune frère, Mirza Nizamu’l-Mulk, un disciple fidèle et dévoué de Baha’u’llah, a écrit dans ses mémoires que, après son mariage, Shahr-banu priait ardemment Dieu de la délivrer de son tragique destin. Il semblerait que ses prières obtinrent une réponse, car peu de temps après, elle contracta la tuberculose et mourut.

Quant à Munirih Khanum, elle passa son enfance et son adolescence à Isfahan sous le soin et la protection de ses parents et de ses illustres cousins. Quelque temps après la mort de son père, la famille, y compris le «Roi des martyrs» et le «Bien-Aimé des martyrs», décida que le temps était venu pour elle de se marier. Par conséquent, des arrangements furent pris pour que Munirih Khanum soit unie dans les liens du mariage avec Mirza Kazim, le plus jeune frère du «Roi des martyrs» et du «Bien-Aimé des martyrs».

Lorsque le jour du mariage arriva, on donna une fête splendide et l’atmosphère festive atteignit son apogée lorsque le couple fut marié. À la fin de la cérémonie, pourtant, un incident alarmant transforma la joie de chacun en un profond chagrin. Le marié, qui jusque là avait joui d’une santé parfaite, fut soudainement frappé par un étrange phénomène alors qu’il s’approchait de sa maison. Il semblait avoir été assommé par une force inexplicable, et l’on dut l’aider à se tenir sur ses jambes. Il tomba gravement malade et mourut peu après.

Après ce tragique incident, Munirih Khanum détourna ses pensées de ce monde et passa ses journées dans la prière et la méditation. Les circonstances de son mariage avec ‘Abdu’l-Baha sont aussi très captivantes. Le récit suivant, principalement de l’aveu de Munirih Khanum, révèle la joie et l’excitation d’une vie aussi exaltée:

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Sur l’ordre de la Perfection bénie (Baha’u’llah), Siyyid Mihdi Dhaji [Dahaji] arriva en Perse et, plus tard, il passa par Isfahan pour promulguer la cause de Dieu. On prépara une grande fête pour lui et tous les croyants s’agglutinaient autour de lui pour demander avec enthousiasme des nouvelles de la Terre sainte, ainsi que tous les détails concernant la Famille bénie et un récit de l’incarcération des croyants dans les baraquements d’Acre. Parmi ceux qui questionnaient se trouvait Shms os Zoha [Shamsu’d-Duha], la femme de mon oncle, qui faisait partie de la maison du Roi des martyrs. Elle demanda à Siyyid Mihdi: «Lorsque vous étiez en présence de Baha’u’llah, n’avez-vous jamais entendu parler d’une jeune fille ou si l’on en avait choisi une pour épouser le Maître ‘Abdu’l-Baha ?» Il répondit: «Non, mais un jour, la Perfection bénie marchait et parlait dans l’appartement des hommes. Alors il tourna son visage vers moi et dit: «’Aga Siyyid Mihdi ! J’ai fait un rêve étonnant la nuit dernière. J’ai rêvé que le visage de la belle jeune fille qui vit à Téhéran, dont nous avions demandé à Mirza Hasan la main en mariage pour la Plus-Grande-Branche, devenait sombre et s’obscurcissait. Au même moment, le visage d’une autre jeune fille apparut sur la scène, un visage dont l’expression était lumineuse et dont le coeur était illuminé. Nous l’avons choisie pour qu’elle devienne l’épouse de la Plus-Grande-Branche.» À l’exception de ces paroles sorties de la bouche de la Perfection bénie, je n’ai rien entendu d’autre.

Lorsque ma tante revint à la maison et me vit, elle déclara que par le seul Dieu qu’au moment même où Siyyid Mihdi nous racontait le rêve de Baha’u’llah, il lui était venu à l’esprit que, indubitablement, j’étais cette jeune fille et que sous peu, nous comprendrions qu’elle avait raison. Je pleurai et répondis: «Loin de là, car je ne suis pas digne d’une telle bonté. Je te prie de ne plus jamais laisser un seul mot sortir de ta bouche sur cette question ; n’en parle pas».

Munirih Khanum continue l’histoire par la façon dont elle voyagea en Terre sainte, en relatant les instructions de Baha’u’llah à sa parenté. En route pour leur destination, ils rencontrèrent de nombreux amis, qui essayèrent de les empêcher d’aller en Terre sainte, en affirmant qu’en ce moment, personne n’était autorisé à se rendre à Acre à cause de quelques événements tristes et malheureux qui avaient de nouveau provoqué l’incarcération des amis. Les autorités ne permettaient à aucun baha’i d’entrer dans la ville d’Acre. «Cette nouvelle nous troubla beaucoup et nous nous sommes demandé ce que nous devions faire, mais Shaykh Salman nous assura que ces conditions ne s’appliquaient pas à nous, et il nous rendit confiance en nous disant que nous entrerions en Terre sainte avec la facilité et la sérénité les plus grandes, même si tous les croyants devaient être jetés en prison et mis aux fers.» Après de nombreuses tribulations et difficultés sur le chemin, ils arrivèrent finalement à Acre.

... Des membres de la Famille Bénie vinrent nous voir et nous accueillir. Je revins avec eux et pour la première fois, je me retrouvai en présence de la Perfection bénie. L’état d’extase et de ravissement qui me possédait était au-delà de toute description. Les premières paroles de Baha’u’llah furent celles-ci: «Nous vous avons emmenée dans la Prison au moment où la porte de la rencontre est fermée à tous les croyants. Tout cela n’a d’autre raison que de prouver à tous le pouvoir et la puissance de Dieu.» Je continuai à vivre dans la maison de Kalim pendant presque cinq mois. Je rendis visite à Baha’u’llah de nombreuses fois et puis je revins là où je résidais. Lorsque Kalim revenait de sa visite à la Perfection bénie, il me racontait ses infinies bontés, et il m’apportait un cadeau matériel qu’il me destinait. Un jour, il arriva, affichant une grande joie sur son visage. Il dit: «Je t’ai apporté un présent des plus merveilleux. Le voici: un nouveau nom t’a été donné et ce nom est Munirih (Illuminée).»

Puis la nuit de l’union (...) se rapprocha. Je fus habillée d’une robe blanche que les doigts de la Plus-Sainte-Feuille avaient préparée pour moi et qui était plus précieuse que la soie et le velours du paradis. Vers neuf heures (...) je fus autorisée à rester en présence de Baha’u’llah. Avec la Plus-Sainte-Feuille, j’écoutai les paroles de la Perfection bénie. (...) Il disait: «Bienvenue à toi ! Bienvenue à toi ! Ô toi ma feuille et ma servante bénie. Nous t’avons choisie et acceptée pour être la compagne de la Plus-Grande-Branche et pour le servir. Cela vient de ma bonté, qui est sans égale ; les trésors de la terre et du ciel ne peuvent y être comparés. (...) Tu dois être très reconnaissante, car tu es parvenue à cette faveur, ce don très grand. (...) Puissiez-vous être toujours sous la protection de Dieu ! (r5)
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Sur sa relation avec ‘Abdu’l-Baha, Munirih Khanum écrit ces mots:
«Si je devais écrire en détail les cinquante années de compagnonnage avec le Bien-Aimé du monde, son amour, sa miséricorde et sa bonté, j’aurais besoin de cinquante années supplémentaires pour avoir le temps et l’occasion de les décrire. Pourtant, si les mers du globe étaient changées en encre et les feuilles de la forêt en papier, je ne rendrais pas justice adéquatement à cette question.» (r6)

* MIRZA ‘ALIY-I-SAYYAH :

La trahison de la confiance du Bab par Mirza Yahya avait plongé la Foi en une crise d’une telle ampleur qu’elle mit en pièce l’unité et la solidarité de la communauté et apporta dans son sillage d’indicibles souffrances à Baha’u’llah et à ses bien-aimés. Sans acquérir une connaissance parfaite de toutes les machinations, les complots et les actes maléfiques perpétrés par Mirza Yahya et ses partisans, il n’est pas possible de comprendre l’étendue du tort qu’ils infligèrent à Baha’u’llah et à sa Cause. Un récit complet de leur influence pernicieuse et de leurs mauvaises actions va au-delà de la portée de cette oeuvre. Il suffit de dire que la rébellion de Mirza Yahya causa une douleur et une angoisse telles à Baha’u’llah, que les persécutions, amassées sur lui par des ennemis à l’extérieur de la communauté baha’ie, ne peuvent y être comparées.

Baha’u’llah resta dans la maison de Rida Big pendant environ une année puis il transféra sa résidence à la maison d’Amru’llah où il séjourna environ trois mois. Dans presque chaque épître révélée durant toute cette période, il fait référence à l’infidélité et à la perfidie de Mirza Yahya, ainsi qu’au tort qu’il a infligé à la cause de Dieu. L’une des épîtres de cette période est la Lawh-i-Sayyah, révélée en l’honneur de Mulla Adi-Guzal, connu aussi sous le nom de Mirza ‘Aliy-i-Sayyah. Le titre «Sayyah» (Voyageur) lui fut donné par le Bab. Il était natif de Maraghih et il avait fait ses études de mollah dans cette ville. Dans les premiers jours de la Foi, il parvint en présence du Bab, reconnut son rang et fut compté parmi ses disciples. Aussi tôt qu’il eut embrassé la cause du Bab, il commença à servir son Seigneur avec un grand dévouement et beaucoup de zèle. Lorsque le Bab fut emprisonné dans les forteresses de Mah-ku (Maku) et de Chihriq, Sayyah lui servit de messager fidèle. Il se trouva en sa présence de nombreuses fois dans ces forteresses et il fut l’un de ses principaux compagnons. De là, il se rendit dans différentes parties de la Perse, portant les messages du Bab à ses disciples et lui ramenant leurs lettres. Une fois, il transporta quelques épîtres écrites de la main du Bab avec un plumier exquis que le Bab donnait en cadeau à Quddus.

L’un de ses inoubliables services au Bab, à une époque où il était frappé par le chagrin à la nouvelle du martyre de nombreux héros dans le Mazindaran, fut de rendre visite, en son nom, au lieu où les martyrs de Tabarsi (n226) étaient tombés. À ce sujet, voici ce que Nabil raconte:

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A peine avait-il terminé ses éloges concernant ceux qui avaient immortalisé leurs noms lors de la défense du fort, qu’il appela, au jour d’ ‘Ashura (n227), Mulla Adi-Guzal, l’un des croyants de Maraghih qui, durant les deux derniers mois, avait rempli les fonctions d’assistant en remplacement de Siyyid Hasan, le frère de Siyyid Husayn-i-’Aziz. Il le reçut affectueusement, lui conféra le nom de Sayyah, lui confia les Tablettes de Visitation qu’il avait révélées à la mémoire des martyrs de Tabarsi, et le pria d’accomplir de sa part un pèlerinage en ce lieu. «Lève-toi, l’exhorta-t-il, et, d’un détachement absolu, rends-toi en qualité de voyageur au Mazindaran pour y visiter, de ma part, le lieu où reposent les corps de ces immortels qui ont, de leur sang, scellé leur foi en ma cause. En t’approchant de l’enceinte de ce sol sacré, enlève tes souliers et, tête baissée en signe de respect à leur mémoire, invoque leurs noms et fais pieusement le tour de leur tombeau. Rapporte-moi, en souvenir de ta visite, une poignée de cette terre sacrée qui recouvre les restes de mes bien-aimés, Quddus et Mulla Husayn. Efforce-toi d’être de retour avant le jour de Naw-Ruz, afin que tu puisses célébrer avec moi cette fête, la seule probablement, qu’il me sera donné de voir encore.»

Fidèle aux instructions qu’il avait reçues, Sayyah se mit en route pour son pèlerinage au Mazindaran. Il parvint à destination le premier jour de rabi’u’l-avval de l’an 1266 après l’hégire et, le neuf de ce même mois, le premier anniversaire du martyre de Mulla Husayn, il avait déjà accompli sa visite et s’était acquitté de la mission que lui avait confiée le Bab. De là, il se rendit à Téhéran.

J’ai entendu Aqay-i-Kalim, qui reçut Sayyah à l’entrée de la maison de Baha’u’llah à Téhéran, raconter ce qui suit: «C’est au coeur de l’hiver que Sayyah, de retour de son pèlerinage, vint rendre visite à Baha’u’llah. En dépit du froid et de la neige d’un hiver rigoureux, il apparut habillé du vêtement d’un pauvre derviche, pieds nus et échevelé. Son coeur était embrasé par la flamme que ce pèlerinage avait allumée en lui. Dès que Siyyid Yahyay-i-Darabi, surnommé Vahid, qui se trouvait alors comme invité chez Baha’u’llah, apprit le retour de Sayyah du fort de Tabarsi, il se hâta d’aller se jeter aux pieds du pèlerin, oubliant la pompe et l’apparat auxquels était habitué un homme de son rang. Prenant dans ses bras les jambes couvertes de boue jusqu’aux genoux, il les baisa avec dévotion. Je fus surpris, ce jour-là, de voir les multiples preuves d’affectueuse sollicitude que Baha’u’llah manifesta envers Vahid. Il lui prodigua des faveurs que je ne l’avais jamais vu accorder à qui que ce fût. Le ton de sa conversation ne laissa pour moi aucun doute sur le fait que ce même Vahid devait bientôt se distinguer par des actes non moins remarquables que ceux qui avaient immortalisé les défenseurs du fort de Tabarsi».

Sayyah passa quelques jours dans cette maison. Il fut cependant incapable de percevoir, comme l’avait fait Vahid, la nature de ce pouvoir qui gisait latent en son hôte. Bien qu’il fût lui-même l’objet de la faveur extrême de Baha’u’llah, il ne saisit pas pour autant la signification des bénédictions que celui-ci lui conférait. Je l’ai entendu relater les expériences qu’il avait vécues et ce, durant son séjour à Famagouste: «Baha’u’llah me combla de ses bontés. Quant à Vahid, malgré l’éminence de son rang, il me donnait invariablement la préséance chaque fois que nous étions en présence de son hôte. Le jour de mon arrivée du Mazindaran, il alla jusqu’à me baiser les pieds. Bien que plongé dans un océan de bonté, je ne pus, en ces jours, apprécier le rang qu’occupait alors Baha’u’llah ni soupçonner, même faiblement, la nature de la mission qu’il était destiné à accomplir.» (r7)
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Après le martyre du Bab, Sayyah resta quelque temps en Adhirbayjan. Puis il se rendit à Karbila où il résida pendant une période considérable. Au cours de son interrogatoire à Constantinople en 1868, (n228) il déclara avoir vécu à Karbila pendant douze ans. Il épousa la fille de Shaykh Hasan-i-Zunuzi, un éminent disciple du Bab et l’un de ceux auxquels celui-ci avait donné la bonne nouvelle et l’assurance qu’il rencontrerait le «Husayn promis» (n229) à Karbila. Sayyah lui-même reçut la promesse du Bab qu’il parviendrait en présence de «Celui-que-Dieu-rendra-manifeste».

Sayyah fit le voyage jusqu’à Andrinople au début de l’année 1284 de l’Hégire (1867). Là, il se retrouva en présence de Baha’u’llah et raconta aux croyants, dans l’une de leurs réunions, comment se réalisa la promesse faite par le Bab concernant sa rencontre avec «Celui-que-Dieu-rendra-manifeste». Il en fit part aussi par écrit à Mirza Yahya. Il était l’un des disciples les plus dévoués de Baha’u’llah. Après avoir passé trois mois à Andrinople, (n230) Baha’u’llah l’envoya à Constantinople pour une mission importante, avec Mishkin-Qalam (n231) et Jamshid-i-Gurji.

Dans l’Epître à Sayyah, Baha’u’llah dévoile la gloire de son rang, déclare qu’il est la Beauté ancienne par le commandement de qui l’ensemble de la création est venue à l’existence. Il affirme que l’humanité se tourne vers lui en adoration et s’accroche à l’ourlet du vêtement de sa bonté, quand bien même elle est incapable de le reconnaître dans sa fabuleuse révélation. Il fait allusion aux disciples du Bayan qui ont renié et répudié sa Cause, les mentionne comme le peuple de la sédition et la compagnie de Satan. Il leur rappelle que pendant de nombreuses années il les a fréquentés, mais avait caché sa gloire à leurs yeux afin que nul ne puisse le reconnaître. Mais ils se levèrent contre lui avec une grande animosité. Ce fut alors qu’il dévoila la beauté de son visage et jeta la lumière de son visage sur toute la création. Il déclare que les jours des épreuves sont venus et que la balance a été établie, une balance par laquelle les actes de tous les hommes seront pesés avec justice. Il proclame aux peuples du monde que s’ils souhaitaient entendre la voix de Dieu, ils devraient écouter ses merveilleuses mélodies, et s’ils désiraient contempler la face de Dieu, ils devraient fixer son magnifique visage. Il les avertit, cependant, qu’ils ne seront pas capable de le faire à moins qu’ils ne purifient leur coeur de toute vaine imagination et ne se détachent de ce monde et de tout ce qu’il contient. (n232)

C’est dans cette épître que Baha’u’llah, par allusion, prédit son exil à la cité d’Acre, la désignant sous le nom de «vallée de Nabil». (n233) Il décrit ainsi en des termes allégoriques son arrivée dans cette ville:
À notre arrivée, nous fûmes accueilli par des bannières de lumière, puis la voix de l’Esprit s’écria: «Bientôt, tout ce qui demeure sur la terre sera enrôlé sous ces bannières.» (r8)

Des passages de cette épître éclairent la sévérité des épreuves que le croyant rencontre lorsqu’il emprunte le sentier de la foi. Faisant allusion au peuple du Bayan, Baha’u’llah renvoie à ceux qui figuraient parmi les plus saints des hommes, qui adoraient Dieu avec une grande dévotion, qui étaient considérés comme les plus dévots et dotés de l’intuition la plus aiguisée. Pourtant, lorsque les brises de sa révélation flottaient sur eux, on les trouva séparés de lui par un voile. Ceci, en dépit du fait qu’il les ait fréquentés pendant longtemps et qu’il ait manifesté sa gloire à leurs yeux. Il attribue la raison de cet échec à l’orgueil et à l’attachement à la personne et à l’ego. Il pleure sur le fait que leurs actes de dévotion et de service soient devenus la cause de l’orgueil et les aient privés de la grâce de Dieu.

Le thème du détachement apparaît dans de nombreuses épîtres. On peut probablement dire qu’il se trouve, parmi ses exhortations, peu de sujets, sinon pas du tout, sur lesquels Baha’u’llah ait autant insisté, que celui du détachement de ce monde et de tout désir égoïste. Nous avons déjà parlé de ce thème important dans les chapitres précédents. La lecture de l’Epître à Sayyah clarifie absolument le fait que les compagnons de Baha’u’llah, parce qu’ils étaient proches de lui, ne pouvaient rester fidèles à la cause de Dieu à moins d’être capables de rejeter tout le côté vil de la personne. Toute trace d’auto-glorification, même insignifiante, leur était fatale et en sa sainte présence rien d’autre que l’absolu effacement de soi ne pouvait survivre.

Parmi ses disciples, nombreux furent ceux qui purent subjuguer leur ego. Par leurs paroles et leurs actes, ils prouvèrent leur néant absolu lorsqu’ils se retrouvaient face à face avec leur Seigneur. Ceux-là devenaient les géants spirituels de cette révélation, et par leur foi, ils jetèrent un éclat impérissable sur la cause de Dieu. C’est au sujet de ces hommes, pendant les jours de Bagdad, que Nabil écrit ce qui suit:

«Pendant bien des jours, au moins dix personnes vécurent tout au plus avec deux sous de dattes. Nul ne savait à qui appartenaient en réalité les souliers, les manteaux ou les robes qui se trouvaient dans leurs demeures. celui qui allait au bazar pouvait dire que les souliers qu’il portait étaient les siens, et chacun de ceux qui étaient admis en la présence de Baha’u’llah pouvait affirmer que le manteau ou la robe qu’il portait lui appartenait. Ils avaient oublié leurs propres noms, leur coeur ne contenait rien d’autre que leur adoration pour leur Bien-Aimé (...) Ô la joie de ces jours, le bonheur et l’émerveillement de ces heures !» (r9)

Que quelques âmes aient été capables d’atteindre une telle distinction, de s’élever dans les royaumes du détachement et de devenir humbles devant leur Seigneur, voilà qui augure bien du genre humain qui, dans la plénitude des temps, est destiné à marcher dans leurs traces. Aujourd’hui, les disciples de Baha’u’llah ne peuvent se retrouver en sa présence dans cette vie et, par conséquent, les épreuves qui étaient particulièrement associées à sa personne ne semblent plus les toucher. Mais les exigences de la foi et le chemin vers Baha’u’llah restent inchangés. Il est nécessaire pour le croyant d’aujourd’hui, comme à l’époque de Baha’u’llah, de se détacher de toutes les choses terrestres et de bannir de son âme les traces de la passion et du désir, de l’ego et de l’auto-glorification, afin qu’il puisse vraiment apprécier le rang formidable de Baha’u’llah et devenir un serviteur digne de sa Cause. S’il manque à le faire, bien qu’il ne soit pas confronté aux mêmes dangers qui environnaient les compagnons de Baha’u’llah, il est destiné à ressentir une mesure de doute en son for intérieur concernant la Foi et il peut éprouver de grands conflits en lui-même. Bien qu’il puisse intellectuellement accepter Baha’u’llah comme une Manifestation de Dieu et être bien versé dans ses Écrits, il ne sera pas capable d’acquérir cette certitude absolue qui dote un être humain des attributs divins et lui confère le contentement, la sérénité et le bonheur perpétuels.

L’acquisition de la véritable foi est l’accomplissement le plus grand de l’homme. La foi donne à un être humain des pouvoirs qu’aucune organisation humaine ne peut égaler. Par le pouvoir de leur foi, les croyants ont vaincu des obstacles en apparence insurmontables et remporté des victoires mémorables pour la Cause de Baha’u’llah. Pour avoir la foi, un homme doit bannir de son coeur toute trace de vaine imagination et de futile chimère. Examinons la route de la réussite vers ce but exalté et explorons les nombreux fossés et obstacles qui assailliront l’âme dans sa quête.

Il existe, en l’être humain, deux points où se focalise un énorme pouvoir. L’un est le cerveau, le centre de l’intellect, de la pensée et le lieu de stockage de sa connaissance et de son apprentissage. Par l’agencement de cette faculté, l’homme peut manifester les pouvoirs uniques de l’âme rationnelle qui le distingue de l’animal. L’intellect est le plus grand don de Dieu à l’homme. Mais comme l’homme possède le libre-arbitre, il peut être mené par son intellect soit à la foi et à la croyance en Dieu, ou bien à l’incroyance.

L’autre point focal est le coeur, centre de la chaleur et de l’amour. Le coeur de l’homme tombe amoureux avec le monde et son propre être. Mais c’est aussi le lieu où sont révélés les attributs de Dieu. Baha’u’llah affirme:

«Ô fils de l’existence !
Ton coeur est ma demeure. Sanctifie-le pour que j’y descende...» (r10)

C’est au sein du coeur de l’homme que l’étincelle de la foi apparaît. Mais cela ne peut arriver que lorsque le coeur se libère de l’attachement aux choses du monde. Baha’u’llah déclare dans Les Paroles Cachées:

«Ô fils de poussière !
J’ai créé pour toi tout ce qui est au ciel et sur la terre, excepté le coeur humain dont j’ai fait le siège de ma beauté et de ma gloire. Pourtant, tu as ouvert mon foyer et ma demeure à un autre que moi, et chaque fois que la manifestation de ma sainteté a cherché son propre logis, elle y a trouvé un étranger. Sans foyer, elle est alors repartie vers le sanctuaire du Bien-Aimé. Malgré tout, je cache ton secret et ne veux pas ta honte.» (r11)

Dieu a créé l’homme de telle sorte que les deux points focaux de son être, à savoir l’esprit et le coeur, se complètent l’un l’autre. L’esprit, sans le coeur illuminé par la foi, n’acquiert pas la capacité à rechercher la vérité de la cause de Dieu, ni le langage pour la comprendre. Semblable à l’oeil privé de la lumière, il est incapable d’explorer le monde de l’esprit. À la place, il développe ses pouvoirs dans le domaine du matérialisme et rejette naturellement le concept de Dieu et de la religion. Donc, il devient la barrière la plus efficace à l’acquisition de la foi. Dans ces circonstances, le coeur se remplit de l’amour du monde et de sa propre personne, car c’est une caractéristique du coeur que d’aimer. Si on ne lui permet pas d’aimer Dieu, il s’aimera lui-même et ses possessions terrestres. Et c’est là l’un des sens de «l’intrus» auquel Baha’u’llah fait allusion dans Les Paroles Cachées:


«Ô mon ami en parole !
Médite un instant. As-tu jamais entendu dire qu’un seul coeur devrait accueillir à la fois l’ami et l’ennemi ? Chasse donc l’étranger pour que l’Ami puisse entrer chez lui.» (r12)

Pour acquérir la foi, l’homme doit chasser «l’intrus» de son coeur. Dans la mesure où il y parvient, il acquerra la foi. Une fois l’étincelle de la foi allumée dans le coeur, on doit lui permettre de grandir régulièrement en une flamme, sinon elle peut mourir à cause de l’attachement à ce monde. Par exemple, lorsqu’une personne atteint un stade où elle reconnaît Baha’u’llah comme une Manifestation de Dieu, son coeur devient le réceptacle de la lumière de la foi de Dieu pour cet âge. Si le croyant se plonge dès le départ dans l’océan de la révélation de Baha’u’llah, lit ses écrits quotidiennement, non pas simplement dans le but d’ajouter à sa propre connaissance mais pour recevoir la nourriture de l’esprit, qu’elle recherche la compagnie des justes et se lève pour le servir avec sincérité et détachement, alors cette personne peut régulièrement grandir en foi et devenir une âme radieuse et enthousiaste. Elle peut gagner une compréhension plus profonde des écrits et parvenir à un niveau où à la fois son esprit et son coeur collaborent harmonieusement. Un tel croyant ne trouvera finalement aucun conflit entre les enseignements de Baha’u’llah et sa propre pensée. Il découvrira nombre de sagesses derrière les paroles de Baha’u’llah et reconnaîtra les limitations et les failles de son propre esprit fini.

Mais si un croyant, après avoir reconnu Baha’u’llah, manque à suivre ce chemin, il peut bientôt se retrouver en conflit avec de nombreux aspects de la Foi de Baha’u’llah. Son intellect peut s’avérer incapable de comprendre la sagesse cachée dans nombre de ses enseignements, il peut même rejeter certains de ses préceptes et finalement perdre aussi la foi. Certaines personnes luttent pendant des années pour surmonter ce problème, car elles désirent être confirmées dans leur foi. Souvent, on peut aider cette personne à acquérir une véritable compréhension de la Foi par ceux qui croient véritablement en Baha’u’llah et sont détachés de ce monde.

Mais si tout le reste échoue, le seul remède pour la personne qui possède toujours en son coeur une faible lueur de foi, mais qui a des doutes sur la Cause, c’est d’admettre qu’elle puisse avoir tort dans son estimation des enseignements de la Foi, d’affirmer que la connaissance de Baha’u’llah vient de Dieu et de remettre ses sentiments et ses pensées entièrement à lui. Une fois qu’elle se soumet de cette manière, et qu’elle persévère à le faire avec sincérité et bonne foi, les canaux de la grâce de Dieu s’ouvrent et son coeur devient le réceptacle de la lumière de la véritable connaissance. Cette personne découvrira, à un moment de sa vie, soit par intuition ou par la prière et la méditation, la réponse à tous ses problèmes et ses objections. Toute trace de conflit disparaîtra de son esprit. Elle comprendra facilement les raisons qui se cachent derrière ces mêmes enseignements qui laissaient auparavant perplexe son intellect, et elle trouvera de nombreux mystères enchâssés dans les paroles de Baha’u’llah, des mystères dont elle était totalement inconsciente auparavant.

Les paroles suivantes de Baha’u’llah dans Les Paroles Cachées, démontrent que, jusqu’à ce que l’homme ne se soumette à Dieu, il ne peut atteindre la connaissance de sa révélation:

«Ô fils de poussière !
Rends-toi aveugle et tu contempleras ma beauté, bouche-toi les oreilles et tu entendras la douce mélodie de ma voix, vide-toi de toute connaissance et tu partageras mon savoir, dépouille-toi des richesses et tu auras une part durable de l’océan de ma richesse éternelle. Cela signifie: rends-toi aveugle à tout ce qui n’est pas ma beauté, bouche-toi les oreilles à tout ce qui n’est pas ma parole, vide-toi de ce qui n’est pas connaissance de moi, et entre, le regard clair, le coeur pur et l’oreille attentive, dans la cour de ma sainteté.» (r13)

L’histoire suivante de la vie de Mirza Abu’l-Fadl, l’éminent érudit de la Cause et son célèbre apologiste, est de celles qui démontrent que la lecture de la Parole de Dieu avec l’oeil de l’intellect, peut égarer l’homme. Il a lui-même raconté l’histoire selon laquelle, peu de temps après être entré en contact avec les croyants, ils lui donnèrent le Kitab-i-Iqan à lire. Il le lut avec un air de supériorité intellectuelle et il n’en fut guère impressionné. Il fit même le commentaire que si le Kitab-i-Iqan était une preuve des prétentions de Baha’u’llah, lui-même pouvait certainement écrire un meilleur livre.

À cette époque, il était à la tête d’une faculté de théologie à Téhéran. Le lendemain, une femme éminente arriva à la faculté et approcha quelques étudiants en leur demandant d’écrire une lettre importante pour elle. (n234) Les étudiants l’envoyèrent chez Mirza Abu’l-Fadl en disant qu’il était un écrivain remarquable, un maître de l’éloquence et un homme inégalé dans l’art de la composition. Mirza Abu’l-Fadl prit sa plume pour écrire, mais se retrouva incapable de composer la première phrase. Il s’obstina à essayer, mais échoua. Pendant plusieurs minutes, il griffonna dans le coin de la page et dessina même des lignes sur ses propres ongles, jusqu’à ce que la femme comprît que le scribe lettré était incapable d’écrire. Perdant patience, elle se leva pour sortir et jeta d’un ton moqueur à Mirza Abu’l-Fadl: «Si vous avez oublié comment écrire une simple lettre, pourquoi est-ce que vous ne le dîtes pas, au lieu de me faire attendre ici pendant que vous gribouillez ?»

Mirza Abu’l-Fadl raconte qu’il fut submergé par un sentiment de honte à la suite de cet incident. Alors, il se souvint tout à coup de ses propres commentaires la nuit précédente à propos de sa capacité à écrire un livre meilleur que le Kitab-i-Iqan. Il avait le coeur pur, il sut que cet incident n’était rien qu’une réponse claire à son attitude arrogante envers ce Livre saint.

Cependant, il fallut plusieurs années à Mirza Abu’l-Fadl pour être convaincu de la vérité de la cause de Baha’u’llah. Il parvint à un stade où il accepta intellectuellement la Foi, mais pendant des années, son coeur n’était pas convaincu. La seule chose qui lui fit reconnaître la vérité de la cause de Dieu après avoir lutté pendant si longtemps, fut de se soumettre à Dieu et de lui remettre ses dons intellectuels. Une nuit, il alla dans sa chambre et pria avec ardeur, alors que des larmes coulaient de ses yeux, suppliant Dieu d’ouvrir les canaux de son coeur. À l’aube, il se retrouva soudainement possédé d’une telle foi, qu’il sentit qu’il pourrait donner sa vie dans le sentier de Baha’u’llah. (n235) Cette même personne qui autrefois avait affirmé pouvoir écrire un meilleur livre que le Kitab-i-Iqan, lut ce livre de nombreuses fois avec l’oeil de la foi et découvrit que c’était là un océan de connaissance, sans limites dans sa portée. Chaque fois qu’il le lisait, il y trouvait de nouvelles perles de sagesse et découvrait de nouveaux mystères qu’il n’avait pas décelés auparavant.

La foi vient à un homme par la soumission à Dieu. Le renoncement de soi avec tous ses accomplissements libère l’âme de tout attachement à ce monde mortel. Il conduit «l’intrus» hors du coeur et permet à celui-ci de recevoir «l’Ami» au sein de son sanctuaire. Baha’u’llah affirme:

«Ô fils de l’homme !
Sois humble devant moi, afin que je vienne vers toi avec bienveillance...» (r14)

Dans un autre passage, il révèle:

«Ô fils de l’homme !
Si tu m’aimes, renonce à toi-même ; et si tu recherches mon bon plaisir, ne pense pas au tien. Ainsi tu mourras en moi et que je vivrai en toi, éternellement.» (r15)



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