DIEU PASSE PRES DE NOUS
Shoghi Effendi
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2ième Période: Ministère de Baha'u'llah (1853-1892) [...] Page 175 L'arrivée de Baha'u'llah à 'Akka marque
le début de la dernière phase de ses quarante années de
ministère, la phase finale et, à vrai dire, le summum de l'exil
dans lequel s'est déroulé tout ce ministère. Ce bannissement,
qui l'avait d'abord amené au voisinage immédiat des citadelles
de l'orthodoxie shi'ah et l'avait mis en contact avec ses représentants
les plus réputés, et qui, plus tard, l'avait transporté
dans la capitale de l'Empire ottoman, l'amenant à adresser ses déclarations
historiques au sultan, à ses ministres et aux chefs ecclésiastiques
de l'islam sunnite, ce bannissement le conduisait maintenant à
débarquer sur les rivages de la Terre sainte, la terre promise par Dieu
à Abraham, consacrée par la révélation de Moïse,
honorée par la vie et les oeuvres des patriarches hébreux, des
juges, des rois et des prophètes, vénérée comme
le berceau du christianisme et le lieu où, selon le témoignage
d'Abdu'l-Baha, Zoroastre s'était "entretenu avec quelques-uns
des prophètes d'Israël', la terre liée enfin, pour l'islam,
au voyage nocturne de l'Apôtre' à travers les sept cieux, jusqu'au
trône du du Tout-Puissant. Dans cette sainte et attirante contrée,
"le nid de tous les prophètes de Dieu ", " le vallon de l'inscrutable
décret de Dieu, le site à la blancheur de neige, la terre à
la splendeur impérissable ", l'exilé de Baghdad, de Constantinople
et d'Andrinople était condamné à passer au minimum un tiers
de la vie qui lui était accordée, et plus de la moitié
du temps imparti à sa mission. "Il est difficile", déclare 'Abdu'l-Baha,
"de concevoir comment Baha'u'llah aurait pu être forcé
de quitter la Perse et de planter sa tente dans cette Terre sainte sans les
persécutions de ses ennemis, sans son bannissement et son exil." Certes, pareil accomplissement, nous assure Baha'u'llah, avait
été effectivement prophétisé "par la langue des
prophètes, deux ou trois mille ans auparavant ". Dieu, "fidèle
à sa promesse ", avait " révélé à certains
prophètes " la bonne nouvelle que le Seigneur des armées serait
manifesté en Terre sainte ". Esaïe avait annoncé dans son
livre à ce sujet: "Monte sur la haute montagne, Sion, pour publier la
bonne nouvelle; élève avec force ta voix, Jérusalem, pour
publier la bonne nouvelle. Elève ta voix, ne crains point; dis aux villes
de Juda: Voici votre Dieu! Voici, le Seigneur, l'Eternel vient avec puissance,
et de son bras, Il commande David, dans ses Psaumes, avait prédit: "Portes,
élevez vos linteaux; élevez-vous, portes éternelles! Que
le roi de gloire fasse son entrée! -.Qui est ce roi de gloire ? - L'Eternel
des armées, voilà le roi de gloire."(Psaume 24.9). "De Sion, beauté parfaite, Dieu resplendit. Il vient, notre Dieu, Il
ne reste pas en silence."(Psaume 50.2). Amos avait, de même, annoncé
sa venue: "De Sion l'Eternel surgit de Jérusalem il fait entendre sa
voix. Les pâturages des bergers sont dan le deuil, et le sommet du Carmel
est desséché (Amos 1.2). [...] Page 176 'Akka elle-même, flanquée de la "gloire du Liban" et déployée
en panorama, face à la "splendeur du Carmel', au pied des collines qui
renferment la demeure de Jésus-Christ lui-même, a été
décrite par David comme la "ville forte", appelée par Osée
"la porte de l'espérance", évoquée par Ezéchiel
comme "la porte qui regarde vers l'Est", la porte par laquelle "la gloire du
Dieu d'Israël arriva du côté de l'Orient", faisant entendre
sa voix "pareille au bruit des grandes eaux" (Ezéchiel 43.1). D'Akka,
le prophète arabe fait mention comme d' "une ville de Syrie à
laquelle Dieu a témoigné sa miséricorde spéciale",
ville située " entre deux montagnes ... au milieu d'une prairie blanche,
d'une blancheur qui plaît à Dieu Béni soit l'homme ", a-t-il
encore déclaré, ainsi que le confirme Baha'u'llah,
"qui a visité 'Akka, et béni soit celui qui a rendu visite
au visiteur d'Akka. " Et ailleurs: "Celui qui, en ce lieu, prononce l'appel
à la prière, sa voix s'élèvera jusqu'au paradis.
" Et de nouveau: " Les pauvres d'Akka sont les rois du paradis et les
princes de ce lieu. Un mois à 'Akka vaut mieux que mille années
ailleurs." De plus, dans une tradition remarquable que contient l'oeuvre de
Shaykh Ibnu'l-'Arabi, intitulée "Futùhàt-i-Makkiyyih" -
tradition acceptée comme paroles authentiques de Muhammad et citée
par Mirza Abu'l-Fadl dans son "Farà'id' -, on trouve cette prédiction
lourde de sens: "Tous ensemble" (les compagnons du Qà'im)" seront mis
à mort, excepté l'un d'eux qui atteindra la plaine d'Akka,
la salle du banquet de Dieu." Comme l'atteste Nabil dans sa narration, Baha'u'llah lui-même
avait déjà, dès les premières années de son
exil à Andrinople, fait allusion à cette même cité
dans sa Lawh-i-SayYah, la désignant comme le "vallon de Nabil',
le mot Nabil ayant la même valeur numérique que le nom d'Akka.
"A notre arrivée", annonçait cette tablette, "Nous fûmes
accueilli par des bannières de lumière, puis la voix de l'Esprit
s'écria: 'Bientôt, tout ce qui demeure sur la terre sera enrôlé
sous ces bannières."' Le bannissement, qui ne dura pas moins de vingt-quatre ans, auquel deux despotes
orientaux, unis dans leur implacable animosité et leur étroitesse
de vue, avaient condamné Baha'u'llah, passera dans l'histoire
pour une période qui fut témoin d'un changement miraculeux et
vraiment révolutionnaire dans les circonstances entourant la vie et les
activités de l'exilé lui-même; il restera avant tout dans
la mémoire à cause de la recrudescence générale
des persécutions, intermittentes mais singulièrement cruelles,
à travers tout son pays natal, en raison de l'accroissement simultané
du nombre de ses fidèles, en raison enfin de l'augmentation considérable
de la variété et du volume de ses écrits. [...] Page 177 Son arrivée à la colonie pénitentiaire d'Akka,
loin d'amener la fin de ses afflictions, ne fit que marquer le début
d'une crise capitale qui se signala par d'amères souffrances, de sévères
restrictions et des troubles profonds, crise qui, par sa gravité, dépassa
même les tortures du Siyah-Chàl de Tihran, et à
laquelle on ne peut comparer aucun autre événement dans l'histoire
du siècle entier, sinon la convulsion interne qui ébranla la foi
à Andrinople. "Sachez", écrit Baha'u'llah, voulant
faire ressortir la situation critique de ses neuf premières années
d'exil dans cette cité pénitentiaire, "sachez qu'à notre
arrivée en ce lieu, Nous avons décidé de l'appeler la "plus
grande prison". Bien que, dans une autre contrée" (Tihran), "
Nous ayons été enchaîné et chargé de fers,
Nous nous sommes pourtant refusé à la désigner par ce nom.
Dis: Méditez cela, ô vous qui êtes doués de compréhension! L'épreuve qu'il endura, et qui fut la conséquence immédiate
de l'attentat contre la vie du shah Nàsiri'd-Din, lui avait été
infligée uniquement par les ennemis extérieurs à la foi.
Les troubles d'Andrinople, dont les conséquences brisèrent presque
toute la communauté des disciples du Bab eurent, par ailleurs,
un caractère purement interne. Cette nouvelle crise qui, pendant presque
dix ans, jeta le trouble sur lui et sur ses compagnons fut, par contre, marquée
tout au long, non seulement par les assauts de ses adversaires de l'extérieur,
mais encore par les machinations de ses ennemis de l'intérieur autant
que par les fautes graves de ceux qui, bien que portant son nom, commirent des
actes qui arrachèrent les lamentations de son coeur et de sa plume. 'Akka, l'ancienne Ptolémée, le Saint-Jean-d'Acre des Croisés,
qui avait résisté victorieusement au siège de Napoléon,
était tombée, sous la domination turque, au rang de colonie pénitentiaire
où les meurtriers, les voleurs de grand chemin et les agitateurs politiques
étaient relégués de tous les points de l'Empire turc. Elle
était entourée par un dispositif double de remparts, habitée
par un peuple que Baha'u'llah a stigmatisé comme "une génération
de vipères", et ne possédait aucun réservoir d'eau dans
son enceinte; elle était infestée du puces, humide et percée
de ruelles sombres, tortueuses et sales. "D'après ce qu'ils disent",
rapporte la plume suprême dans la Lawh-i-Sultan, "c'est la plus
désolée des villes du monde, la plus laide d'entre elles par son
aspect, la plus détestable à cause de son climat, et la plus souillée
avec son eau polluée. Elle pourrait passer pour la métropole du
hibou." Son atmosphère était tellement viciée que, selon
un proverbe, un oiseau qui l'aurait survolée serait tombé raide
mort. [...] Page 178 Le sultan et ses ministres avaient donné des ordres explicites
pour que les exilés, accusés de s'être gravement trompés
et d'avoir égaré les autres, soient soumis à la plus stricte
des réclusions. On espérait avec confiance que leur condamnation
à la prison à vie les conduirait finalement à la mort.
Le farmàn du sultan 'Adu'l-'Aziz, daté du cinq rabi'u'th-thàni
1285 A.H. (26 juillet 1868), non seulement les condamnait à un bannissement
définitif, mais encore stipulait une incarcération rigoureuse,
et leur interdisait toute association entre eux ou avec les habitants de la
localité. Le texte du farmàn lui-même fut lu publiquement
dans la principale mosquée de la ville, peu après l'arrivée
des exilés, pour en avertir la population. L'ambassadeur persan, accrédité
près la Sublime-Porte, avait ainsi rassuré son gouvernement, dans
une lettre écrite un peu plus d'un an après leur bannissement
à 'Akka: "J'ai donné, par télégramme, des
instructions écrites, pour lui (Baha'u'llah) interdire
tout rapport avec qui que ce soit, à l'exception de ses femmes et de
ses enfants, et lui défendre de quitter, en aucune circonstance, la maison
dans laquelle il est emprisonné ... Il y a trois jours, j'ai renvoyé
'Abbas-Quli Khàn, consul général à Damas,
avec l'ordre de se rendre directement à 'Akka ... pour conférer
avec le gouverneur au sujet de toutes les mesures nécessaires visant
au maintien sévère de leur emprisonnement et pour nommer sur place,
avant son retour à Damas, un représentant chargé de s'assurer
que les ordres venant de la Sublime-Porte ne seront transgressés d'aucune
manière. je lui ai également donné pour instructions de
se rendre à 'Akka une fois tous les trois mois, de les surveiller
lui-même et de soumettre son rapport à la légation." L'isolement
des exilés était si absolu que les baha'is de Perse, troublés
par les rumeurs répandues par les azalis d'Isfàhàn, selon
lesquelles Baha'u'llah aurait été noyé, persuadèrent
le service du télégraphe britannique de Julfà* de s'informer
pour eux à ce sujet. Débarqués à 'Akka après un pénible
voyage, tous les exilés, hommes, femmes et enfants furent, sous les yeux
d'une population curieuse et insensible, qui s'était amassée sur
le port pour contempler le "Dieu des Persans", conduits à la caserne
où ils furent enfermés, des sentinelles étant postées
pour les garder. "La première nuit", déclare Baha'u'llah
dans la Lawh-i-Ra'is, "tous furent privés de nourriture et de boisson
... Ils supplièrent même qu'on leur donnât de l'eau, mais
on la leur refusa." Celle qui se trouvait dans le bassin de la cour était
saumâtre, et tellement sale que nul ne pouvait en boire. Trois miches
de pain noir et salé furent remises à chacun, miches qu'ils eurent
la permission, par la suite, d'échanger contre deux autres de meilleure
qualité, au marché où ils se rendaient sous bonne garde.
Plus tard, on leur octroya une maigre pitance, à la place de leur ration
de pain. Ils tombèrent tous malades, sauf deux d'entre eux, peu après
leur arrivée. La malaria, la dysenterie, jointes à la chaleur
étouffante, ajoutèrent à leurs misères. Trois d'entre
eux succombèrent, parmi lesquels deux frères qui moururent la
même nuit, "étroitement embrassés", affirme Baha'u'llah
qui fit cadeau du tapis dont il se servait pour qu'on le vende, afin de pourvoir
aux frais d'ensevelissement et d'enterrement. [...] Page 179 La misérable somme obtenue de la vente aux enchères fut remise
aux gardes qui avaient refusé de les enterrer avant d'avoir reçu
le montant des frais. On apprit par la suite que ces gardes les avaient enterrés
sans procéder à leur toilette et sans linceul ni cercueil, avec
les vêtements qu'ils portaient quoiqu'ils eussent reçu, comme l'affirma
Baha'u'llah, le double de la somme nécessaire à
leur enterrement. " Nul ne sait", écrit-il, "ce qui s'abattit sur nous,
excepté Dieu, le Tout-Puissant, l'omniscient ... Depuis la création
du monde jusqu'à ce jour, on n'a vu ni entendu parier d'une pareille
cruauté." Parlant de lui-même, Baha'u'llah écrit
en outre: Pendant la plus grande partie de sa vie, il a été durement
éprouvé entre les griffes de ses ennemis. Ses souffrances ont
à présent atteint leur point culminant dans cette déprimante
prison où ses oppresseurs l'ont jeté si injustement'' Les quelques pèlerins qui, en dépit de l'interdit si sévère
qui frappait Baha'u'llah, trouvèrent le moyen d'atteindre
les portes de la prison certains d'entre eux avaient couvert à pied tout
le trajet depuis la Perse durent se contenter d'une vision fugitive du visage
du prisonnier, en se postant au-delà du second fossé, face à
la fenêtre de sa prison. Ceux, très rares, qui réussirent
à pénétrer dans la ville furent obligés, à
leur grande désolation, de revenir sur leurs pas sans même avoir
vu son visage. Le premier d'entre eux à parvenir en sa présence
fut Hàji Abu'l-Hasan-i-Ardikàni, celui qui se renonçait
lui-même, surnommé Amin-i-llahi (homme de confiance de Dieu),
qui ne put le rencontrer qu'au bain public; il avait été convenu
qu'il verrait Baha'u'llah sans l'approcher ni lui faire le moindre
signe de reconnaissance. Un autre pèlerin, Ustàd Ismà'il-i-Kàshi,
venant de Mossoul, se posta sur le côté opposé du fossé
et, contemplant pendant des heures, dans une adoration extasiée, la fenêtre
de son Bien-Aimé, ne réussit pas, en définitive, à
cause de la faiblesse de sa vue, à distinguer son visage, et il dut retourner,
sans l'avoir vu, à la cave qui lui tenait lieu d'habitation sur le mont
Carmel, scène qui émut jusqu'aux larmes la sainte Famille qui
assistait de loin, avec anxiété, à l'anéantissement
de son espoir. Nabil lui-même fut obligé de fuir précipitamment
la ville où il avait été reconnu, et dut se contenter d'entrevoir
rapidement Baha'u'llah, par-delà ce même fossé;
puis il continua d'errer dans la région, aux alentours de Nazareth, Haïfa,
Jérusalem et Hébron, jusqu'à ce que les consignes restrictives
se relâchent peu à peu et lui permettent de se joindre aux exilés. [...] Page 180 A l'irritant fardeau de ces adversités s'ajouta bientôt l'amertume
d'un chagrin causé par une tragédie brutale, la perte prématurée
du noble et pieux Mirza Mihdi, la plus pure Branche, frère d'Abdu'l-Baha,
âgé de vingt-deux ans, l'un des secrétaires et compagnons
d'exil de Baha'u'llah depuis l'époque où, encore
enfant, il avait été amené de Tihran à Baghdad
pour rejoindre son père revenu de Sulaymàniyyih. Un soir, alors
qu'il allait et venait sur le toit de la caserne, au crépuscule, absorbé
dans ses prières habituelles, il tomba à travers une ouverture
non protégée et se transperça les côtes sur un cageot
en bois, posé au-dessous, sur le sol; il mourut vingt-deux heures après,
le 23 rabi'u'l-avval 1287 A.H. (23 juin 1870). La dernière supplication
qu'il adressa à un père désolé fut que sa vie puisse
être acceptée en rançon pour ceux qui n'avaient pas pu atteindre
la présence de leur Bien-Aimé. Dans une prière d'une signification profonde, que Baha'u'llah
révéla en mémoire de son fils - prière qui élève
sa mort au rang de ces grands actes de rachat correspondant au sacrifice qu'Abraham
se disposait à faire de son fils, à la crucifixion de Jésus-Christ
et au martyre de l'Imàm Husayn -, on lit ce qui suit: "J'ai sacrifié
ô mon Dieu, ce que tu m'as donné, fin que tes serviteurs puissent
être ranimés et que tout ce qui demeure sur la terre soit uni",
et encore ces paroles prophétiques, adressées à son fils
martyr: "Tu es le dépôt de Dieu et son trésor en ce pays.
Bientôt, Dieu révélera, par toi, ce qu'il a désiré." Lorsque, en présence de Baha'u'llah, fut terminée
la toilette de celui "qui avait été créé de la lumière
de Baha" dont la "douceur" fut attestée par la plume suprême
de Baha'u'llah, et dont les "mystères" de l'ascension furent
mentionnés par cette même plume, celui-là fut transporté,
sous l'escorte des gardes de la forteresse, et enterré au-delà
des murs de la cité, en un lieu contigu au tombeau de Nabi Sàlih.
Soixante-dix ans plus tard, ses restes devaient être transférés,
en même temps que ceux de son illustre mère, sur les pentes du
mont Carmel, à proximité de la tombe de sa soeur, et sous l'ombre
du saint sépulcre du Bab. Mais ceci ne mit pas le comble aux afflictions qu'enduraient le prisonnier
d'Akka et ses compagnons d'exil. Quatre mois après ce tragique
événement, la mobilisation des troupes turques obligea Baha'u'llah
et tous ses compagnons à quitter la caserne. Lui et sa famille reçurent
alors en partage la maison de Malik, dans le quartier ouest de la ville, d'où
ils furent déplacés par les autorités, après un
bref séjour de trois mois, et logés en face, dans la maison de
Khavvàm; quelques mois après, ils furent de nouveau obligés
d'aller s'installer ailleurs, dans la maison de Ràbi'ih, et finalement
ils furent transférés, quatre mois plus tard, dans la maison d'Udi
Khammàr, où la place était tellement insuffisante qu'au
moins treize personnes des deux sexes durent loger dans la même pièce.
Quelques un des compagnons de Baha'u'llah furent forcés
de loger dans la même pièce. Quelques-uns des compagnons de Baha'u'llah
furent forcés de loger dans d'autres maisons, et le reste fut relégué
dans un caravansérail appelé Khàn-i-'Avàmid. [...] Page 181 La sévérité de leur réclusion venait tout juste
d'être adoucie, et les gardes qui les surveillaient étaient à
peine renvoyés, qu'une crise interne, qui couvait dans la communauté,
atteignit soudain un paroxysme désastreux. La conduite de deux des exilés
faisant partie du groupe qui avait suivi Baha'u'llah à
'Akka avait été telle, qu'il fut, à la fin, obligé
de les expulser, geste que Siyyid Muhammad ne manqua pas d'exploiter au maximum.
Avec ces deux recrues en renfort, et aidé de ses anciens associés
agissant comme espions, il se livra à une campagne de dénigrement,
d'intrigues et de calomnies encore plus pernicieuse que celle qu'il avait déclenchée
à Constantinople, et capable de faire naître, dans une population
déjà soupçonneuse et remplie de préjugés,
une nouvelle flambée d'hostilité et de surexcitation. Un nouveau
danger, c'était évident, menaçait à présent
la vie de Baha'u'llah. Bien qu'il eût rigoureusement interdit
à ses fidèles, à plusieurs reprises, toute action de représailles,
verbale ou écrite, contre leurs bourreaux - il avait même renvoyé
à Beyrouth un Arabe converti, irresponsable, qui méditait de venger
les torts soufferts par son chef bien-aimé -, sept de ses compagnons
recherchèrent et tuèrent clandestinement trois de leurs persécuteurs,
parmi lesquels Siyyid Muhammad et Àqà Jàn. La consternation qui s'empara d'une communauté déjà accablée
fut indescriptible. L'indignation de Baha'u'llah ne connut plus
de bornes. Dans une tablette révélée peu de temps après
cet acte, Baha'u'llah exprime ainsi son émotion: "S'il
nous fallait raconter tout ce qui nous est arrivé, les cieux se fendraient
et les montagnes s'écrouleraient." "Ma captivité", écrit-il
ailleurs, "ne peut me faire de mal. Ce qui peut me faire du mal, c'est la conduite
de ceux qui m'aiment, qui se réclament de moi et qui, pourtant, commettent
ce qui fait gémir mon coeur et ma plume." Et il ajoute: " Ma détention
ne peut m'apporter aucune honte. Et même, par ma vie, elle me confère
de la gloire. Ce qui peut me faire honte, c'est la conduite de ceux de mes disciples
qui font profession de m'aimer et qui, en fait, suivent pourtant le malin." Il était en train de dicter ses tablettes à son secrétaire
lorsque le gouverneur arriva à la tète de ses troupes qui, sabres
au clair, entourèrent sa demeure. La population entière, autant
que les autorités militaires, était dans une grande agitation.
On pouvait entendre de toutes parts les cris et les clameurs de la foule. [...] Page 182 Baha'u'llah fut convoqué d'une manière impérative
au siège du gouvernement, interrogé et détenu la première
nuit, avec l'un de ses fils, dans une chambre du Khàn-i-Shàvirdi*;
transféré pour les deux nuits suivantes dans un logement plus
convenable, au voisinage, il ne fut autorisé à regagner son domicile
que soixante-dix heures plus tard. 'Abdu'l-Baha fut jeté en prison
et enchaîné la première nuit, après quoi il fut autorisé
à rejoindre son père. Vingt cinq de leurs compagnons furent enfermés
dans une autre prison et mis aux fers; six jours après, ils furent déplacés
- sauf les responsables de cet acte odieux qui restèrent emprisonnés
durant plusieurs années - et relégués pendant six mois
dans le Khàn-i-Shàvirdi. "Est-il convenable", s'enquit avec insolence le commandant de la ville, se
tournant vers Baha'u'llah lorsqu'il arriva au siège du
gouvernement, " que certains de vos disciples se conduisent de la sorte ? ',
" Si l'un de vos soldats", répliqua promptement Baha'u'llah,
"Commettait un acte répréhensible, seriez-vous tenu pour responsable
et puni à sa place? " Lors de son interrogatoire, on lui demanda de décliner
son nom et celui du pays d'où il venait. "Ceci est plus évident
que le soleil', répondit-il. On lui posa de nouveau la même question
à laquelle il donna cette réponse: "je ne juge pas à propos
d'en parier. Reportez-vous au farmàn du gouvernement qui se trouve entre
vos mains." Une fois de plus, avec une déférence marquée,
ils réitérèrent leur demande, sur quoi Baha'u'llah
prononça, avec puissance et majesté, ces paroles: "Mon nom est
Baha'u'llah" (Lumière de Dieu), "et mon pays est Nur "
(Lumière). " Soyez-en informés." Se tournant alors vers le mufti,
il lui adressa des reproches voilés, puis il parla à toute l'assemblée
dans un langage si véhément et si élevé que nul
n'osa lui répondre. Après avoir cité des versets de la
Sùriy-i-Mùlùk, il se leva et quitta l'assemblée.
Aussitôt après, le gouverneur lui fit savoir qu'il était
libre de retourner chez lui, en exprimant ses regrets pour ce qui s'était
passé. Une population déjà mal intentionnée envers les exilés
fut, après un pareil incident, enflammée d'une animosité
effrénée contre tous ceux qui portaient le nom de la foi professée
par ces exilés. Les accusations d'impiété, d'athéisme,
de terrorisme et d'hérésie leur furent, ouvertement et sans retenue,
jetées à la figure. 'Abbùd, qui habitait à côté
de la maison de Baha'u'llah, renforça la cloison qui séparait
sa demeure de l'habitation de son voisin, maintenant suspecté et hautement
redouté. Même les enfants des exilés retenus en prison,
quand ils s'aventuraient à se montrer dans les rues pendant cette période,
furent poursuivis, dénigrés et bombardés de pierres. La coupe des tribulations de Baha'u'llah était maintenant
prête à déborder. Les exilés continuèrent
à se trouver aux prises avec une situation profondément humiliante,
angoissante et même dangereuse, jusqu'au temps, fixé par une volonté
impénétrable, où la marée de misères et d'humiliations
commença à baisser, annonçant une modification du destin
de la foi encore plus visible que les changements révolutionnaires apportés
par les dernières années du séjour de Baha'u'llah
à Baghdad. [...] Page 183 La reconnaissance graduelle de la totale innocence de Baha'u'llah
par toutes les couches de la population, la lente pénétration
du véritable esprit de ses enseignements dans la solide croûte
de leur indifférence et de leur bigoterie, le remplacement du gouverneur
- dont l'esprit avait été irrémédiablement faussé
au sujet de la foi et des croyants - par Ahmad Big Tawfiq, un homme perspicace
et humain, les travaux ininterrompus d'Abdu'l-Baha, alors en pleine maturité
et qui, par ses contacts avec la masse de la population, prouvait de plus en
plus ses capacités d'agir en tant que bouclier de son père, le
renvoi providentiel des fonctionnaires qui avaient fait prolonger la réclusion
des compagnons innocents de Baha'u'llah, tout cela préparait
la voie à la réaction qui se dessinait maintenant, réaction
qui restera à jamais indissolublement liée à l'exil de
Baha'u'llah à 'Akka. A la suite de ses relations avec 'Abdu'l-Baha et, plus tard, à
la lecture de la littérature de la foi, que des gens malintentionnés
lui avaient demandé d'examiner dans l'espoir de soulever sa colère,
la dévotion qui, peu à peu, envahit le coeur de ce gouverneur devint
telle, qu'il refusait invariablement de pénétrer en sa présence
sans enlever d'abord ses chaussures pour lui marquer son respect. Le bruit courut
même qu'il prenait ses conseillers favoris parmi ces mêmes exilés
qui étaient les disciples du prisonnier commis à sa garde. Il
avait coutume d'envoyer son propre fils auprès d'Abdu'l-Baha pour
qu'il l'éclaire et l'instruise. C'est à l'occasion d'une audience
longtemps désirée avec Baha'u'llah que celui-ci,
répondant au désir du gouverneur de lui rendre quelque service,
lui suggéra de réparer l'aqueduc, abandonné et hors d'usage
depuis trente ans, suggestion qu'il s'empressa de suivre. Quoique le texte du
farmàn impérial interdît leur admission dans la ville, il
s'opposa à peine à l'affluence des pèlerins parmi lesquels
se trouvaient le pieux et vénérable Mullà Sàdiq-i-Khuràsàni
et le père de Badi', tous deux survivants du combat de Tabarsi. Le pacha
Mustafà Diya, qui devint gouverneur quelques années plus
tard, alla même jusqu'à faire entendre que son prisonnier était
libre de franchir les portes de la ville quand cela lui plairait, suggestion
que Baha'u'llah déclina. jusqu'au mufti d'Akka,
le Shaykh Mahmùd, d'une bigoterie bien connue, qui fut converti à
la foi et qui, embrasé par son jeune enthousiasme, fit une compilation
des traditions musulmanes relatives à 'Akka. Les gouverneurs indifférents
qui furent envoyés de temps en temps dans cette ville ne furent pas davantage
capables, malgré le pouvoir arbitraire qu'ils exerçaient, de réprimer
les forces qui conduisaient l'auteur de la foi vers un élargissement
de fait et vers l'accomplissement final de ses desseins. Des hommes de lettres
et même des 'ulamà qui résidaient en Syrie furent poussés,
avec les années, à déclarer qu'ils reconnaissaient la grandeur
et la puissance croissantes de Baha'u'llah. Le pacha 'Aziz qui,
à Andrinople, avait témoigné un profond attachement à
'Abdu'l-Baha et avait été promu, entre-temps, au rang de
vàli, visita deux fois 'Akka, dans le but unique de présenter
ses respects à Baha'u'llah et de renouer son amitié
avec celui qu'il avait appris à admirer et à vénérer. [...] Page 184 Bien que Baha'u'llah n'accordât pratiquement jamais d'entrevues
personnelles comme il en avait l'habitude à Baghdad, son influence
était pourtant telle à présent, que les habitants attribuaient
carrément l'amélioration sensible du climat et de l'eau de leur
ville à sa présence permanente au milieu d'eux. Les titres tels
que: " chef auguste " et " Son Altesse ", qu'ils lui donnaient lorsqu'ils parlaient
de lui, indiquent bien la vénération qu'il leur inspirait. Un
jour, un général européen, auquel il avait accordé
audience en même temps qu'au gouverneur, fut tellement impressionné
qu'il "resta à genoux sur le sol près de la porte". Shaykh'Aliy-i-Miri,
le mufti d'Akka, avait même, à la suggestion d'Abdu'l-Baha,
été obligé de plaider avec insistance avant qu'il n'acceptât
de mettre un terme à sa réclusion de neuf années dans l'enceinte
de la cité-prison, et qu'il ne consentît à en franchir les
portes. Le jardin de Na'mayn, petite île située au milieu d'une
rivière à l'est de la ville, honoré du nom de Ridvan
et que Baha'u'llah surnomma la " nouvelle Jérusalem " et
" notre île Verdoyante ", ainsi que la demeure du pacha 'Abdu'llah
- louée et arrangée pour lui par 'Abdu'l-Baha et située
à quelques milles au nord d'Akka - étaient maintenant devenus
les lieux de retraite favoris de celui qui, pendant presque dix ans, n'avait
pas mis le pied au-delà des murs de la cité, et dont le seul exercice
avait été d'arpenter indéfiniment, de façon monotone,
le sol de sa chambre à coucher. Deux ans plus tard, le palais d'Udi Khammàr, dont la construction avait
demandé des sommes prodigieuses à l'époque où Baha'u'llah
languissait en prison dans la caserne, et que le propriétaire avait abandonné
précipitamment avec sa famille au moment où éclata une
épidémie, fut loué et plus tard acheté pour Baha'u'llah.
Cette demeure, il l'a caractérisée comme "la sublime résidence",
l'endroit que "Dieu désigna comme la vision la plus exaltante de l'humanité".
La visite que, à l'invitation du pacha Midhat, ancien grand vizir de
Turquie, 'Abdu'l-Baha fit à Beyrouth, à peu près
à cette époque, ses relations avec les chefs civils et religieux
de cette ville, ses diverses entrevues avec le Shaykh Muhammad 'Abdu, bien connu,
servirent à rehausser énormément le prestige grandissant
de la communauté, et à répandre à l'étranger
la renommée de son membre le plus distingué. [...] Page 185 L'accueil magnifique qu'il reçut auprès du Shaykh Yùsuf,
le savant et très estimé mufti de Nazareth, qui agissait en qualité
d'hôte de la part des vàlis de Beyrouth et qui avait envoyé
tous les notables de la communauté à sa rencontre, sur la route,
à plusieurs milles de la ville dont il approchait, accompagné
par son frère et par le mufti d'Akka, ainsi que la brillante réception
que fit 'Abdu'l-Baha à ce même Shaykh Yùsuf quand
il vint le visiter à 'Akka, étaient de nature à
exciter l'envie de ceux qui, seulement quelques années plus tôt,
l'avaient traité, ainsi que ses compagnons d'exil, avec des sentiments
de condescendance et de mépris. Le farmàn draconien du sultan 'Abdu'l-'Aziz, quoique n'ayant
pas été rapporté officiellement, était maintenant
devenu lettre morte. Bien que Baha'u'llah fût encore un
prisonnier nominal, "les portes de la majesté et de la véritable
souveraineté", selon les termes d'Abdu'l-Baha, "s'ouvraient toutes
grandes ". " Les chefs de la Palestine ", a-t-il encore écrit, " enviaient
son influence et son pouvoir. Gouverneurs, mutisarrifs, généraux
et fonctionnaires locaux sollicitaient humblement l'honneur d'être admis
en sa présence, requête qu'il acceptait rarement." Ce fut dans cette même résidence que Baha'u'llah
accorda quatre audiences au professeur E. G. Browne de Cambridge, l'orientaliste
distingué, qui fut son invité au cours des cinq Jours qu'il passa
à Bahji (15-20 avril 1890), entrevues immortalisées par cette
déclaration historique de l'exilé: " Ces luttes stériles,
ces guerres ruineuses disparaîtront et la paix suprême viendra."
"Le visage de celui que je contemplais", dit ce visiteur dans un témoignage
mémorable pour la postérité, "je ne pourrai jamais l'oublier
bien que je ne puisse le décrire. Ces yeux perçants paraissaient
lire dans l'âme elle-même. La puissance et l'autorité régnaient
sur ce large front ... Nul besoin de demander en présence de qui je me
trouvais, tandis que je m'inclinais devant celui qui est l'objet d'une dévotion
et d'un amour que les rois pourraient envier, et auxquels les empereurs aspireraient
en vain." "Là", a déclaré ce visiteur, "j'ai passé
cinq jours absolument inoubliables, pendant lesquels j'ai bénéficié
d'occasions uniques et inespérées d'entrer en rapport avec ceux
qui sont les sources de ce puissant et merveilleux esprit, esprit qui travaille
avec une force invisible, mais toujours croissante, à la transformation
et au réveil d'un peuple endormi du sommeil de la mort. Ce fut vraiment
une étrange, une émouvante expérience, mais dont je déplore
de ne pouvoir donner qu'une impression des plus faibles." [...] Page 186 Au cours de cette même année, la tente de Baha'u'llah,
le "tabernacle de gloire", fut dressée sur le mont Carmel, "la colline
de Dieu, le vignoble du Seigneur", la demeure d'Elie, que le prophète
Esaïe glorifia comme la montagne du Seigneur", vers laquelle "toutes les
nations afflueront". Lui-même alla quatre fois à Haïfa, son
dernier séjour ne durant pas moins de trois mois. Au cours d'une de ses
visites, alors que sa tente était plantée à proximité
du monastère des Carmélites, lui, le "Seigneur de la vigne", révéla
la Tablette du Carmel, remarquable par ses allusions et ses prophéties.
Une autre fois, il désigna lui-même à 'Abdu'l-Baha,
sur les pentes de cette montagne, l'endroit qui devait devenir le lieu de repos
définitif du Bab, et sur lequel un mausolée convenable
devait être érigé plus tard. Sur l'ordre de Baha'u'llah, des propriétés bordant
le lac lié au ministère de Jésus-Christ, furent en outre
achetées pour servir à la gloire de sa foi, et préparer
la voie à ces "grandioses et superbes édifices" qui, ainsi qu'il
l'a prévu dans ses tablettes, doivent être érigés
"sur toute l'étendue" de la Terre sainte, ainsi que sur les "riches territoires
sacrés, contigus et proches du Jourdain", édifices qu'il a permis,
dans ces tablettes, de consacrer "à l'adoration et au culte du seul vrai
Dieu ". Le développement inouï de la correspondance de Baha'u'llah,
la création d'un centre baha'i à Alexandrie pour l'expédier
et la distribuer, les facilités procurées par son dévoué
disciple, Muhammad Mustafà, installé désormais à
Beyrouth pour veiller sur les intérêts des pèlerins qui
passaient par cette ville, la liberté relative avec laquelle un prisonnier
en titre communiquait avec les centres qui se multipliaient en Perse, en 'Iraq,
au Caucase, au Turkistàn* et en Egypte, la mission que Baha'u'llah
avait confiée à Sulaymàn Khàn-i-Tanakàbuni,
connu sous le nom de Jamàl effendi, lui enjoignant de lancer une campagne
systématique d'enseignement aux Indes et en Birmanie, la nomination de
quelques-uns de ses disciples à la fonction de "Mains de la cause de
Dieu", la restauration de la sainte maison* de Shiraz dont il confia
alors la garde officielle à ' la femme et à la soeur du Bab,
la conversion d'un nombre considérable de croyants juifs, zoroastriens
et bouddhistes, premiers résultats du zèle et de la persévérance
déployés de façon si remarquable par les professeurs itinérants
en Perse, aux Indes et en Birmanie - conversions qui, automatiquement, amenèrent
ces croyants à accepter avec assurance l'origine divine du christianisme
et de l'islamisme -, tous ces faits démontraient la vitalité d'une
autorité que, ni les rois ni les ecclésiastiques, si puissants
et si opposés qu'ils fussent, ne pouvaient détruire ni saper. [...] Page 187 Il ne faut pas omettre non plus de signaler l'apparition d'une communauté
prospère dans la ville récemment reconstruite d'Ishqàbàd,
au Turkistàn russe; assurée de la bienveillance et de la sympathie
du gouvernement, cette communauté put créer un cimetière
baha'i, et acheter une propriété où elle édifia
des constructions qui apparurent comme les précurseurs du premier Mashriqu'l-Adhkar
du monde baha'i. Il faut encore mentionner l'établissement de
nouveaux avant-postes de la foi dans les villes lointaines de Samarqand* et
de Bukhàrà*, au coeur du continent asiatique, grâce aux conférences
et aux écrits de l'érudit Fàdil-i-Qà'ini et du savant
apologiste Mirza Abu'l-Fadl. Enfin, il ne faut pas oublier la publication,
aux Indes, de cinq volumes dus à l'auteur de la foi, y compris son très
saint Livre,' ouvrages faisant présager l'enrichissement considérable
de la littérature en diverses langues et écritures ainsi que la
diffusion de la foi, dans les décennies suivantes, à travers l'Orient
et l'Occident. "Le sultan 'Abdul-'Aziz", déclara paraît-il Baha'u'llah
à l'un de ses compagnons d'exil, "nous a banni en ce pays dans le plus
grand abaissement; et comme son but était de nous détruire et
de nous humilier, toutes les fois que la gloire et le confort ont été
à notre portée, Nous ne les avons pas rejetés. " " Maintenant,
grâce à Dieu", remarqua-t-il encore un jour, comme le rapporte
Nabil dans sa narration, "l'état de choses en est venu à un point
où tous les peuples de ces régions nous manifestent leur soumission."
Et par ailleurs, comme le rappelle ce même récit: " Le sultan
ottoman s'est levé pour nous opprimer, sans raison ni justification d'aucune
sorte, et il nous a envoyé dans la forteresse d'Akka. Son farmàn
impérial avait décrété que nul ne devait entrer
en relation avec nous et que Nous devrions être un objet de haine pour
tous. La main de la puissance divine nous a donc rapidement vengé. Elle
a d'abord lâché les vents de la destruction sur ses deux irremplaçables
ministres et confidents, 'Ali et Fu'ad après quoi cette main s'est étendue
pour enrouler la panoplie d'Aziz* lui-même, et pour se saisir de lui comme,
seul, peut saisir Celui qui est le Puissant, le Fort." 'Abdu'l-Baha a écrit sur ce même sujet: "Ses ennemis s'attendaient
à ce que son emprisonnement détruisît complètement
et annihilât la cause bénie, mais en réalité cette
prison fut la meilleure des auxiliaires et devint l'instrument de son développement."
"...Cet être illustre", a-t-il affirmé en outre, "édifia
sa cause dans la plus grande prison. De cette prison, son rayonnement se répandit
au dehors, sa renommée conquit le monde, et la proclamation de sa gloire
atteignit l'Orient et l'Occident." "Au commencement, sa clarté était
celle d'une étoile; elle est devenue maintenant celle d'un puissant
soleil." "Jusqu'à nos jours", a-t-il encore affirmé, "une telle
chose ne s'était jamais produite." Il n'est pas étonnant que,
devant un renversement aussi remarquable des conditions qui présidèrent
aux vingt-quatre années de son bannissement à 'Akka,
Baha'u'llah ait lui-même écrit ces paroles lourdes
de sens: " De cette maison-geôle, le Tout-Puissant ... a fait le plus
sublime des paradis, le ciel privilégié entre tous."
CHAPITRE XI: Emprisonnement de Baha'u'llah à 'Akka