DIEU PASSE PRES DE NOUS
Shoghi Effendi
Chapitre précédent
Retour au sommaireChapitre
suivant
3ième Période: Ministère d'Abdu'l-Baha, 1892-1921 [...] Page 241 Quoique la rébellion de Mirza Muhammad-'Ali ait provoqué
bien des événements tristes et désolants, et en dépit
de ses conséquences néfastes qui continuèrent pendant plusieurs
années à obscurcir la lumière du covenant, à mettre
en danger la vie de son Centre attitré, à brouiller les idées
et à retarder le cours des activités de ses défenseurs,
en Orient comme en Occident, tout cet épisode néanmoins, considéré
sous son angle véritable, se révéla comme n'étant
ni plus ni moins que l'une de ces crises périodiques qui, depuis la naissance
de la foi de Baha'u'llah, et pendant tout un siècle, ont
contribué à éliminer ces éléments nuisibles,
à fortifier ses fondations, à démontrer sa résistance
et à libérer une nouvelle portion de ses pouvoirs latents. Maintenant que les clauses d'un covenant divinement institué étaient
proclamées sans contestation possible, maintenant que le but du covenant
était clairement compris et que ses principes fondamentaux étaient
établis d'une manière immuable dans le coeur de l'écrasante
majorité des adhérents de la foi, maintenant, enfin, que les premiers
assauts lancés par ses destructeurs présumés avaient été
repoussés avec succès, la cause pour laquelle ce covenant avait
été prescrit pouvait aller de l'avant dans la voie tracée
pour elle par le doigt de son auteur. Des exploits éclatants et des victoires
inoubliables avaient déjà marqué la naissance de cette
cause et accompagné son apparition dans plusieurs pays du continent asiatique,
particulièrement dans le pays natal de son fondateur. La mission de son
chef récemment désigné, le serviteur de sa gloire, le propagateur
de sa lumière allait, ainsi qu'il l'imaginait lui-même, enrichir
et étendre les limites du patrimoine incorruptible remis entre ses mains,
en répandant la lumière de la foi de son père sur l'Occident,
en exposant ses préceptes fondamentaux et ses principes les plus importants,
en étayant solidement les activités déjà commencées
en vue de servir ses intérêts, et finalement en faisant naître,
dans la suite de son évolution, l'âge de formation de cette foi,
grâce aux stipulations de son propre testament. Un an après l'ascension de Baha'u'llah, dans un verset
qu'il révéla et qui provoqua les railleries des briseurs du covenant,
Abdu'l-Baha avait déjà laissé prévoir un
événement heureux que la postérité reconnaîtrait
comme l'un des plus grands triomphes de son ministère, événement
qui, à la fin, attirerait une bénédiction inappréciable
sur le monde occidental, et qui devait bientôt chasser le chagrin et les
craintes de ses compagnons d'exil, à 'Akka. La grande république
de l'Ouest fut, la première, choisie entre toutes les nations d'Occident,
pour recevoir la bénédiction inestimable de Dieu, et devenir l'agent
principal chargé de la transmettre à tant d'autres nations-soeurs,
à travers les cinq continents du globe. [...] Page 242 L'importance d'un bond en avant aussi énorme dans l'évolution
de la foi de Baha'u'llah - l'établissement de sa cause
sur le continent nord américain -, au moment où Abdu'l-Baha
venait tout juste de s'engager dans sa mission et se trouvait encore dans les
affres de la crise la plus grave qu'il ait jamais eu à affronter, ne
peut, en aucune façon, être surestimée. Déjà,
pendant l'année qui vit naître la foi à Shiraz, le
Bab, après avoir informé, dans un passage mémorable,
les peuples d'Orient et d'Occident, s'était adressé, dans le Qayyumu'l-Asma',
directement aux "peuples d'Occident", et leur avait ordonné expressément
de "quitter" leurs "villes" pour aider Dieu et "devenir comme des frères"
dans sa "religion une et indivisible." "En Orient", avait écrit Baha'u'llah,
anticipant cette extension, "la lumière de sa révélation
a jailli; en Occident, les signes de son règne ont paru." "S'ils essaient",
avait-il prédit encore, "de cacher sa lumière sur le continent,
elle rejaillirait sûrement au coeur même de l'océan et, élevant
la voix, proclamerait: "je suis la source de vie du monde!" "Si cette cause
avait été révélée dans l'Ouest," a-t-il déclaré
peu avant son ascension, d'après le récit de Nabil, "si
nos versets avaient été envoyés d'Occident en Perse et
dans d'autres pays d'Orient, cela aurait évidemment montré que
les peuples d'Occident avaient embrassé notre cause. Le peuple de Perse
n'a pourtant pas su l'apprécier." " Depuis le commencement des temps
jusqu'à nos jours", déclare 'Abdu'l-Baha, "la lumière
de la révélation divine est apparue en Orient, et elle a resplendi
en Occident. La lumière ainsi versée a cependant atteint, dans
l'Ouest, un éclat extraordinaire. Considère la foi proclamée
par jésus. Bien qu'elle soit d'abord apparue en Orient, la pleine mesure
de ses possibilités ne s'est toutefois manifestée que lorsque
sa lumière eut bai né l'Occident. Le jour approche ", a-t-il affirmé,
" où vous verrez, d'après la splendeur de la foi de Baha'u'llah,
à quel point l'Occident aura remplacé l'Orient, irradiant la lumière
de la direction divine." Et de nouveau: " L'Occident a reçu la clarté
de l'Orient, mais sous certains rapports, la lumière réfléchie
s'est montrée plus intense en Occident." Et encore: "En vérité,
l'Orient a été illuminé par la lumière du royaume.
Bientôt cette même lumière jettera un éclat encore
plus grand sur l'Occident." [...] Page 243 D'une manière plus particulière, l'auteur de la révélation
baha'i lui même a porté son choix sur les gouvernants du
continent américain, leur conférant l'honneur sans pareil de s'adresser
à eux collectivement, dans le Kitab-i-Aqdas, son livre le plus
sacré, les exhortant de manière significative à "embellir
le temple de l'autorité avec les parures de la justice et de la crainte
de Dieu, et à orner le dôme de ce temple avec la couronne du souvenir"
de leur Seigneur, leur ordonnant d'apporter réparation aux êtres
brisés, avec les mains de la justice", et d' "écraser l'oppresseur"
avec le "sceptre des commandements" de leur " Seigneur, le Maître, le
très-Sage Le continent américain a écrit Abdu'l-Baha,
" est, aux yeux du seul vrai Dieu, la terre où les splendeurs de sa lumière
seront révélées, où les mystères de sa foi
seront dévoilés, où habiteront les justes et où
s'assembleront les hommes libres." "Le continent américain", a-t-il annoncé
par ailleurs, "donne des signes et des manifestations de progrès marqué.
Son avenir est encore plus prometteur, car son influence et son illumination
spirituelle ont une grande portée. Il guidera spirituellement toutes
les nations." "Le Peuple américain", a révélé Abdu'l-Baha,
désignant plus clairement encore la grande république d'Occident,
nation dirigeante du continent américain, comme l'objet de sa faveur
spéciale, "est certes digne d'être le premier à construire
le tabernacle de la paix suprême et à proclamer l'unité
de l'humanité." Et encore: " Cette nation américaine est pourvue
du nécessaire et du pouvoir pour accomplir ce qui illustrera les pages
de l'histoire, pour devenir un objet d'envie pour le monde et recevoir les bénédictions
de l'Orient et de l'Occident, devant le triomphe de son peuple." De nouveau:
"Puisse cette démocratie américaine être la première
nation à établir les fondements d'un accord international. Puisse-t-elle
être la première nation à proclamer l'unité de l'humanité.
Puisse-t-elle être la première à déployer l'étendard
de la paix suprême." "Puissent les habitants de ce pays", a-t-il écrit
encore, "s'élever au-dessus de leur acquis matériel présent
jusqu'à de tels sommets que, de ce centre, une illumination céleste
ruisselle vers tous les peuples du monde." "0 vous les apôtres de Baha'u'llah" dit Abdu'l-Baha,
s'adressant aux croyants de l'Amérique du Nord, " considérez à
quel point est élevée et exaltée la position que vous êtes
destinés à atteindre ... L'ampleur de vos succès futurs
n'est pas encore révélée, et sa signification reste encore
incomprise." Et de nouveau: " Votre mission est indiciblement glorieuse. Si
le succès couronne votre entreprise, l'Amérique se développera
certainement en un centre d'où émaneront les ondes de puissance
spirituelle, et le trône du royaume de Dieu sera solidement installé,
dans la plénitude de sa majesté et de sa gloire." Et pour finir,
cette affirmation exaltante: " Dès que ce message divin sera porté
par les croyants américains hors des rivages de l'Amérique, et
propagé à travers les continents d'Europe, d'Asie, d'Afrique et
d'Australasie, et jusque dans les îles du Pacifique, cette communauté
se trouvera établie en toute sécurité sur le trône
d'un empire éternel ... Alors, la terre entière résonnera
des louanges de sa majesté et de sa grandeur." [...] Page 244 11 n'est pas étonnant qu'une communauté appartenant à
une nation aussi généreusement bénie, nation occupant une
position aussi éminente, sur un continent si richement doté, ait
été capable d'ajouter aux annales de la foi de Baha'u'llah
maintes pages riches de ses victoires, au cours de ses cinquante années
d'existence. Il s'agit de cette communauté qui, depuis sa naissance,
due aux énergies créatrices libérées par la proclamation
du covenant de Baha'u'llah, fut, ne l'oublions pas, entourée
de soins par l'intarissable sollicitude d'Abdu'l-Baha, et préparée
par lui à s'acquitter de sa mission, unique en son genre. A cet effet,
Abdu'l-Baha révéla d'innombrables tablettes, donna des
instructions à ceux qui rentraient,' envoya des messagers spéciaux,
et plus tard, entreprit des voyages personnels à travers l'Amérique
du Nord, voyages pendant lesquels il mit l'accent sur l'institution du covenant,
et enfin donna son mandat sous la forme de ses tablettes du Plan* divin. Il
s'agit de cette communauté qui, depuis sa première enfance jusqu'à
ce jour, s'est employée sans relâche et a réussi, par ses
propres efforts, sans aide, à planter l'étendard de Baha'u'llah
dans la grande majorité des soixante pays qui, en Orient et en Occident,
peuvent aujourd'hui prétendre à l'honneur d'être admis dans
le sein de sa foi. A cette communauté revient la prérogative d'avoir
élaboré le plan, et d'avoir été la première
à ériger le cadre des institutions administratives qui annoncent
l'avènement de l'ordre mondial de Baha'u'llah. Grâce
aux efforts de ses membres, le temple-mère de l'Occident, héraut
de cet ordre, une des plus nobles institutions prescrites dans le Kitab-i-Aqdas,
l'édifice le plus majestueux érigé dans le monde baha'i,
a été construit, au coeur même de l'Amérique du Nord.
Les travaux assidus de ses pionniers, de ses professeurs et de ses administrateurs
ont permis de répandre la littérature de la foi de façon
prodigieuse, de soutenir sans crainte ses buts et ses objectifs, et d'établir
solidement ses institutions naissantes. En raison des efforts infatigables et
absolument personnels des plus distingués parmi ses professeurs itinérants,
l'adhésion spontanée de la royauté à la foi de Baha'u'llah
a été acquise, et elle fut nettement proclamée dans plusieurs
témoignages transmis à la postérité par la plume
de la royale convertie elle-même. Et finalement, aux membres de cette
communauté, descendants spirituels des promoteurs de l'aube de l'âge
héroïque de la dispensation baha'i, doit être attribué
l'éternel honneur de s'être levés en maintes occasions,
avec un empressement, une détermination et un zèle merveilleux,
pour soutenir la cause des opprimés, soulager les nécessiteux,
et pour défendre les intérêts des entreprises et des institutions
fondées par leurs frères dans des pays tels que la Perse, la Russie,
l'Egypte, l'Iraq et l'Allemagne, pays où les adhérents
à la foi ont eu à soutenir, à des degrés divers,
les rigueurs d'une persécution raciale et religieuse. [...] Page 245 Il est vraiment étrange que, dans une nation investie, entre toutes
ses soeurs d'Occident, d'une fonction sans égale, la première référence
publique à l'auteur d'une foi si glorieuse soit sortie de la bouche d'un
des membres de cet ordre ecclésiastique avec lequel la foi a dû
lutter si longtemps, et par lequel elle a souvent souffert. Plus étrange
encore est le fait que celui qui l'établit le premier dans la ville de
Chicago, cinquante ans après que le Bab eut déclaré
sa mission à Shiraz, ait abandonné lui-même, quelques
années plus tard, l'étendard que, tout seul, il avait planté
dans cette ville. C'est dans un mémoire - écrit par le révérend Henri
H. Jessup, docteur en théologie, directeur de la mission presbytérienne
opérant en Syrie du Nord, et lu par le révérend Georges
A. Ford, de Syrie, au Parlement Mondial des Religions réuni à
Chicago, à l'occasion de l'exposition colombienne qui commémorait
le quatre centième anniversaire de la découverte de l'Amérique
- que, le 23 septembre 1893, un peu plus d'un an après l'ascension de
Baha'u'llah, fut signalée la mort récente, à
'Akka, d'un " célèbre sage persan ", " le saint Babi
" auquel, deux ans avant son ascension, "un savant de Cambridge" avait rendu
visite. Ce sage avait exprimé "des sentiments si nobles, si conformes
à ceux du Christ", que l'auteur de ce document désirait, "comme
conclusion", en faire part à son auditoire. Moins d'un an plus tard,
en février 18 94, un docteur syrien, nommé Ibràhim Khayru'llah
- converti à la foi pendant son séjour au Caire par Hàji
'.Abdu'l-Karim-i-Tihran! -, qui avait reçu une tablette de Baha'u'llah,
qui était entré en relations avec Abdu'l-Baha et était
arrivé à New York en décembre 1892, fixa sa résidence
à Chicago, commençant à enseigner activement et systématiquement
la cause qu'il avait acceptée. Au cours de deux années, il avait
fait part de ses impressions à 'Abdu'l-Baha, et rendu compte du
succès remarquable qui avait couronné ses efforts. En 1895, une
occasion favorable lui fut offerte à Kenosha où il continua de
se rendre une fois par semaine, dans le cadre de ses activités enseignantes.
L'année suivante, le bruit courait que les croyants, dans ces deux villes,
se dénombraient par centaines. En 1897, il publia son livre, intitulé
le " Babu'd-Din ", et se rendit dans les villes de Kansas, New York,
Ithaque et Philadelphie où il réussit à attirer à
la foi un nombre considérable d'adhérents. Le vaillant Thornton
Chase, surnommé Sabit (l'Inébranlable) par 'Abdu'l-Baha
qui le considéra comme "le premier croyant américain", qui fut
converti à la foi en 1897, l'immortelle Louisa A. Moore, éducatrice
- mère de l'Occident, surnommée Livà (la Bannière)
par Abdu'l-Baha, le Dr Edward Getsinger avec lequel elle se maria plus
tard, Howard McNutt, Arthur P. Dodge, Isabella D. Brittingham, Lillian F. Kappes,
Paul K. Dealy, Chester 1. Thatcher et Helen S. Goodall, dont les noms resteront
liés à jamais aux premiers tressaillements de la foi de Baha'u'llah
en Amérique du Nord, se détachent comme les plus remarquables
parmi ceux qui, en ces années de début, s'éveillèrent
à l'appel du jour nouveau, et consacrèrent leurs vies au service
du covenant nouvellement proclamé. [...] Page 246 En 1898, Mme Phoebe Hearst, la philanthrope bien connue (femme du sénateur
George F. Hearst), que Mme Getsinger, lors d'un passage en Californie, avait
attirée à la foi, annonça son intention de rendre visite
à Abdu'l-Baha, en Terre sainte. Elle invita plusieurs croyants,
et entre autres, le docteur et Mme Getsinger, le Dr Khayru'llah et sa
femme à se joindre à elle, et elle prit les dispositions nécessaires
en vue de leur pèlerinage historique à Akka. A Paris, plusieurs
résidents américains, parmi lesquels se trouvaient May Ellis Bolles,
amenée à la foi par Mme Getsinger, Mlle Pearson et Ann Apperson,
toutes deux nièces de Mme Hearst, ainsi que Mme Thornburgh et sa fille,
se joignirent au groupe auquel s'ajoutèrent encore, plus tard, en Egypte,
les filles du Dr Khayru'llah et leur grand-mère, qu'il avait récemment
converties. L'arrivée de quinze pèlerins en trois groupes successifs dont
le premier, comprenant le docteur et Mme Getsinger, atteignit la ville pénitentiaire
d'Akka le 10 décembre 1898; le contact personnel qui s'établit
entre le Centre du covenant de Baha'u'llah et les hérauts
de sa révélation qui venaient de se lever en Occident, les circonstances
émouvantes qui entourèrent leur visite au tombeau de Baha'u'llah,
et le grand honneur qui leur échut d'être conduits par Abdu'l-Baha
lui-même au coeur de ce sanctuaire, l'esprit que, par les préceptes
et l'exemple, leur inculqua si puissamment, malgré la brièveté
de leur séjour, un hôte aimant et rempli de bonté, et le
zèle passionné et les résolutions inflexibles suscités
en leur coeur par ses exhortations inspiratrices, ses explications lumineuses
et les preuves multiples de son amour divin, tous ces faits indiquent le commencement
d'une époque nouvelle dans le développement de la foi en Occident,
époque dont la portée fut amplement démontrée par
les actes que certains de ces mêmes pèlerins et de leurs condisciples
accomplirent par la suite. "De cette première rencontre", écrivit l'une de ces pèlerines,
notant ses impressions, "je ne puis me remémorer ni joie ni peine, ni
rien que je puisse exprimer. J'ai été transportée brusquement
à une trop grande hauteur; mon âme est entrée en contact
avec l'Esprit divin, et cette force si pure, si sainte, si puissante, m'a terrassée
... Nous ne pouvions détacher nos yeux de son glorieux visage. Nous entendions
tout ce qu'il disait. Sur son invitation, nous bûmes le thé avec
lui. Mais l'existence semblait en suspens. Et lorsqu'il se leva et nous quitta
soudainement, nous revînmes à la vie avec un tressaillement, mais
plus jamais, oh non, jamais, Dieu merci, au même genre de vie sur cette
terre." "Dans la puissance et la majesté de sa présence", déclare
cette même personne, évoquant la dernière entrevue accordée
au groupe dont elle faisait partie, "notre anxiété se transforma
en foi absolue, notre faiblesse en force, notre chagrin en espoir, et nous oubliâmes
notre moi, dans notre amour pour lui. [...] Page 247 Comme nous étions tous assis devant lui, dans l'attente de ses paroles,
quelques croyants pleurèrent avec désolation. Il les invita à
sécher leurs larmes, mais pendant un moment, ils n'y parvinrent pas.
Alors, de nouveau, il leur demanda de ne point pleurer, par amour pour lui,
ne voulant pas nous parler ni nous enseigner tant que toutes larmes ne seraient
pas bannies..." - Ces trois jours", témoigna Mme Hearst elle-même, dans une de
ses lettres, "furent les jours les plus mémorables de ma vie ... je n'essaierai
pas de décrire le Maître; je dirai seulement que je crois de tout
mon coeur qu'il est le Maître, et que ma plus grande bénédiction
en ce monde est d'avoir eu le privilège de me trouver en sa présence
et de voir son visage sanctifié ... Sans aucun doute, 'Abbas Effendi
est le messie de ce jour et de cette génération, et nous n'avons
pas besoin d'en chercher un autre." "je dois dire", écrivit-elle encore
dans une autre lettre, qu' "il est l'être le plus merveilleux que j'ai
jamais rencontré ou espéré rencontrer en ce monde ... L'atmosphère
spirituelle qui l'entoure, et qui influence très puissamment tous ceux
qui ont le bonheur d'être près de lui, est indescriptible ... je
crois en lui de tout mon coeur et de toute mon âme, et j'espère
que tous ceux qui se disent croyants lui reconnaîtront toute la grandeur,
toute la gloire et toutes les louanges, car sûrement il est le fils de
Dieu, et l'esprit du Père demeure en lui." Même le maître d'hôtel de Mme Hearst, un noir nommé
Robert Turner, le premier membre de sa race à accepter la cause de Baha'u'llah
en Occident, s'était senti transporté sous l'influence d'Abdu'l-Baha,
au cours de ce pèlerinage historique. Telle fut la ténacité
de sa foi que, même l'éloignement ultérieur de sa maîtresse
bien-aimée, à l'égard de la cause qu'elle avait spontanément
embrassée, ne réussit pas à diminuer son ardeur ni à
amoindrir l'intensité des émotions que la tendresse aimante d'Abdu'l-Baha
à son égard avait fait naître en son coeur. Le retour de ces pèlerins enivrés de l'amour de Dieu, les uns
en France, les autres aux Etats-Unis, fut le signal d'un déchaînement
d'activité systématique et soutenue qui, en prenant de l'importance
et en étendant ses ramifications à travers l'Europe occidentale
ainsi que dans les Etats et provinces de l'Amérique du Nord, atteignit
une telle envergure qu'Abdu'l-Baha lui-même décida d'entreprendre
personnellement une mission en Occident dès qu'il serait libéré
de sa détention prolongée à 'Akka. Nullement détournée
de son chemin par la crise dévastatrice que l'ambition du Dr Khayru'llah
avait déclenchée à son retour de Terre sainte (en décembre
1899), imperturbable devant l'agitation qu'il avait provoquée en travaillant
de concert avec l'Archibriseur du covenant et ses messagers, dédaignant
les attaques que lui-même et ses compagnons de dissidence lançaient,
autant que celles des ecclésiastiques chrétiens de plus en plus
jaloux de la puissance grandissante et de l'influence croissante de la foi,
soutenue par les messages verbaux et les instructions spéciales d'un
Maître vigilant, qu'un flot continu de pèlerins lui transmettaient,
fortifiée par les effusions que la plume de ce Maître déversait
dans d'innombrables tablettes, instruite par les messagers et professeurs successifs
envoyés sur son ordre pour la guider, l'édifier et la fortifier,
la communauté des croyants américains se leva pour prendre l'initiative
d'une série d'entreprises qui, bénies et stimulées dix
ans plus tard par Abdu'l-Baha en personne, ne devaient être qu'un
prélude aux services sans parallèles que ses membres étaient
destinés à rendre pendant l'âge de formation de la dispensation
de son père. [...] Page 248 A peine rentrée à Paris, May Bolles, qui faisait partie des pèlerins
mentionnés ci-dessus, réussit à établir dans cette
ville, conformément aux instructions pressantes d'Abdu'l-Baha,
le premier centre baha'i du continent européen. Peu après
son retour, ce centre fut renforcé par la conversion du lucide Thomas
Breakwell, le premier croyant anglais - immortalisé par l'apologie ardente
qu'Abdu'l-Baha révéla dans ses mémoires -, par Hippolyte
Dreyfus, le premier des Français à accepter la foi et qui, par
ses écrits, ses traductions, ses voyages et autres travaux de pionnier,
parvint, à mesure que les années passaient, à affermir
l'oeuvre commencée dans son pays, enfin par Laura Barney dont le service
impérissable a été de recueillir et de transmettre à
la postérité, sous la forme d'un livre intitulé "Les Leçons
de Saint-Jean-d'Acre ", les explications inestimables d'Abdu'l-Baha sur
une grande variété de sujets, explications qu'elle reçut
au cours d'un pèlerinage prolongé, en Terre sainte. Trois ans
plus tard, en 1902, May Bolles, alors mariée à un Canadien, partit
pour Montréal où elle réussit à établir les
fondations de la cause dans le dominion. A Londres, les forces créatrices libérées par cet inoubliable
pèlerinage permirent à Mme Thornburgh-Cropper de s'engager dans
des activités qui, stimulées et élargies par les efforts
des premiers croyants anglais, et particulièrement ceux d'Ethel J. Rosenberg,
convertie en 1899, permirent d'édifier, dans les années suivantes,
la structure des institutions administratives dans les Iles britanniques. Dans
l'Amérique du Nord, la défection et les publications accusatrices
du Dr Khayru'llah (encouragé comme il l'était par Mirza
Muhammad-'Ali et par son fils Shu'à'u'llah qu'il avait envoyé
en Amérique) soumirent à une épreuve maximum la fidélité
de la communauté qui venait de se constituer. Mais des messagers, envoyés
par Abdu'l-Baha, se succédèrent (tels Hàji 'Abdu'l-Karim-i-Tihrani,
Hàji Mirza Hasan-i-Khuràsàni, Mirza Asadu'llah
et Mirza Abu'l-Fadl)' et réussirent à dissiper rapidement
les doutes, à approfondir la compréhension des croyants, à
maintenir la cohésion dans la communauté et à former le
noyau de ces institutions administratives qui, vingt ans plus tard, devaient
être inaugurées formellement, d'après les clauses explicites
du testament et des dernières volontés d'Abdu'l-Baha. [...] Page 249 En 1900, un conseil d'administration désigné successivement
sous le nom de "Maison de justice" et de "Maison de Spiritualité", le
premier d'une série d'assemblées qui, avant la fin du premier
siècle baha'i, allaient couvrir l'Amérique du Nord d'une
côte à l'autre, fut établi dans la ville de Chicago. En
1902, une société d'édition baha'i, destinée
à propager la littérature d'une communauté qui s'agrandissait
peu à peu, se forma dans cette même ville. Un bulletin baha'i,
ayant pour but de propager les enseignements de la foi, fut créé
à New York. Les "Nouvelles Baha'i", autre périodique, parurent
ensuite à Chicago et se transformèrent bientôt en un magazine
intitulé "l'Etoile d'Occident". La traduction de quelques-uns des écrits
les plus importants de Baha'u'llah tels que les Paroles Cachées,
le Kitab-i-Iqan, les tablettes aux rois et les Sept Vallées, ainsi
que des tablettes d'Abdu'l-Baha et de plusieurs traités et opuscules
écrits par Mirza Abu'l-Fadl et d'autres, fut entreprise activement.
Une correspondance considérable commença avec divers centres d'Orient,
dont l'étendue et l'importance s'accrurent régulièrement.
Des notices historiques sur la foi, des livres et des brochures écrits
pour sa défense, des articles pour la presse, des comptes rendus de voyages
et de pèlerinages, des apologies et des poèmes furent, de même,
publiés et largement répandus. En même temps, des voyageurs et des professeurs, surmontant victorieusement
les tempêtes d'expériences et d'épreuves qui avaient menacé
d'engloutir leur cause bien-aimée, se levèrent d'un commun accord
pour renforcer et multiplier les citadelles de la foi déjà établies.
Des centres furent ouverts dans les villes de Washington, Boston, San Francisco,
Los Angeles, Cleveland, Baltimore, Minneapolis, Buffalo, Rochester, Pittsburg,
Seattle, St Paul et dans d'autres localités. D'audacieux pionniers, désireux
de répandre l'Evangile nouveau au-delà des limites de leur pays
natal, entreprirent des voyages, à titre de visiteurs ou d'immigrants,
et se chargèrent de transmettre sa lumière au coeur de l'Europe,
en Extrême-orient et jusqu'aux îles du Pacifique. Mason Remey se
rendit en Russie et en Perse et fit plus tard, avec Howard Struven et pour la
première fois dans l'histoire baha'ie, le tour du globe, visitant
les Iles Hawaï, le japon, la Chine, l'Inde et la Birmanie. Hooper Harris
et Harlan Ober voyagèrent pendant au moins sept mois aux Indes et en
Birmanie, passant à Bombay, Poona, Lahore, Calcutta, Rangoon et Mandalay.
Alma Knobloch, suivant les traces du Dr K. E. Fisher, hissa l'étendard
de la foi en Allemagne et porta son flambeau en Autriche. [...] Page 250 Le Dr Susan I. Moody, Sydney Sprague, Lilian F. Kappes, le Dr Sarah Clock
ainsi qu'Elisabeth Stevart s'installèrent à Tihran afin
de servir les divers intérêts de la foi, conjointement avec les
baha'is de cette ville. Sarah Farmer qui, en 1894, à Green Acre,
dans l'Etat du Maine, avait déjà pris l'initiative d'organiser
des réunions de conférences d'été, et avait établi
un centre pour favoriser le développement de l'unité et de l'amitié
entre les races et les religions mit, après son pèlerinage à
'Akka, en 1900, les ressources offertes par ce centre de conférences
à la disposition des fidèles de la foi qu'elle avait elle-même
récemment embrassée. Et enfin, dernier fait mais non des moindres, inspirés par l'exemple
de leurs condisciples d'Ishqàbàd qui avaient déjà
commencé la construction du premier Mashriqu'l-Adhkar du monde
baha'i, et embrasés du désir de montrer, d'une manière
appropriée et tangible, la qualité de leur foi et de leur dévotion,
les baha'is de Chicago ayant, dans une pétition, demandé
à Abdu'l-Baha l'autorisation de construire une maison d'adoration,
et obtenu promptement son approbation enthousiaste dans une tablette révélée
en juin igo3, se levèrent, malgré leur petit nombre et leurs
ressources limitées, pour commencer une entreprise qui doit* être
considérée comme la plus grande contribution particulière
que les baha'is d'Amérique, et même d'Occident, aient
encore jamais apportée à la cause de Baha'u'llah.
L'encouragement ultérieur que leur donna Abdu'l-Baha et les
contributions réunies par diverses autres assemblées décidèrent
les membres de cette assemblée' à inviter les représentants
de leurs coreligionnaires des différentes parties du pays à
se rencontrer à Chicago, pour la mise en route de l'entreprise grandiose
qu'ils avaient conçue. Le 26 novembre 1907, l'assemblée des
représentants, convoquée dans ce but, désigna un comité
de neuf membres, chargé de choisir l'emplacement d'un site convenable
pour le temple envisagé. Le 9 avril 1908, la somme de deux mille dollars
fut consacrée à l'achat de deux parcelles de terrain à
bâtir, situées près des rives du lac Michigan. En mars
1909, une convention représentant les divers centres baha'i
fut convoquée, selon les instructions reçues d'Abdu'l-Baha.
Les trente-neuf délégués, représentant trente-six
villes, qui s'étaient réunis à Chicago le jour même
où les restes du Bab furent déposés par Abdu'l-Baha
dans le mausolée spécialement érigé sur le mont
Carmel pour les recevoir, lesdits délégués créèrent
un organisme national permanent, connu sous le nom de "Société
du temple baha'i". Cet organisme fut enregistré comme association
religieuse, remplissant ses fonctions sous la juridiction de l'Etat d'Illinois,
investie du droit de propriété sur le temple, et chargée
de prendre des mesures en vue de sa construction. Au cours de cette même
convention, on établit une constitution, le Conseil exécutif
du temple baha'i de l'unité fut élu, et il fut autorisé
par les délégués à en terminer avec l'achat du
terrain recommandé par la convention précédente. Les
contributions destinées à cette entreprise historique, provenant
des Indes, de Perse, de Turquie, Syrie, Palestine, Russie, Egypte, Allemagne,
France, Angleterre, Canada, Mexique, des Iles Hawaï et même de
l'Ile Maurice, et d'au moins soixante villes d'Amérique, s'élevèrent,
en 1910, deux ans avant l'arrivée d'Abdu'l-Baha en Amérique,
à non moins de vingt mille dollars, témoignage remarquable de
la solidarité des fidèles de Baha'u'llah en Orient
et en Occident, ainsi que des efforts pleins d'abnégation de la part
des croyants américains qui, à mesure que les travaux avançaient,
contribuèrent, d'une manière prépondérante, à
fournir la somme de plus d'un million et demi de dollars nécessaire
à l'érection du temple et de son ornementation extérieure.
CHAPITRE XVI: Avènement et développement de la foi en Occident