DIEU PASSE PRES DE NOUS
Shoghi Effendi
Chapitre précédent
Retour au sommaireChapitre
suivant
3ième Période: Ministère d'Abdu'l-Baha, 1892-1921 [...] Page 263 La libération dramatique et inattendue d'Abdu'l-Baha, après
une détention de quarante années, porta un coup aux ambitions
caressées par les briseurs du covenant, coup aussi dévastateur
que celui qui, dix ans plus tôt, avait brisé leurs espoirs de saper
son autorité, et de l'évincer de la position que Dieu lui avait
donnée. Et voilà qu'au lendemain même de sa libération
triomphale, un troisième coup les frappa, aussi accablant que ceux qui
le précédèrent, et à peine moins spectaculaire que
les autres. Quelques mois après le décret historique qui le libéra,
l'année même qui fut témoin de la chute du sultan
'Abdu'l-Hamid, ce même pouvoir venu d'en haut qui avait permis à
Abdu'l-Baha de préserver de toute violation ses droits divinement
octroyés, d'établir la foi de son père sur le continent
de l'Amérique du Nord et de triompher de son oppresseur royal, ledit
pouvoir lui permit d'accomplir l'un des actes les plus remarquables de son ministère:
le transfert des restes du Bab, de la cachette de Tihran où
ils se trouvaient, jusqu'au mont Carmel. Il attesta lui-même plus d'une
fois que le transfert à bon port de ces restes, la construction d'un
mausolée convenable pour les recevoir et leur inhumation finale, de ses
propres mains, dans leur lieu de repos perpétuel, constituaient l'un
des trois objectifs principaux que, depuis le début de sa mission, il
avait considéré de son devoir d'atteindre. Cet acte mérite
certes d'être classé comme un des événements les
plus remarquables du premier siècle baha'i. Comme on l'a signalé dans un chapitre précédent, les corps
mutilés du Bab et de son compagnon de martyre Mirza Muhammad-'Ali
furent ramassés sur le bord du fossé où ils avaient été
jetés, au milieu de la seconde nuit qui suivit leur exécution,
et grâce à l'intervention d'Hàji Sulaymàn Khàn,
puis transportés dans une fabrique de soieries appartenant à l'un
des croyants de Milàn. Ils furent déposés, le jour suivant,
dans un coffre de bois et emmenés en lieu sûr. Ultérieurement,
selon les instructions de Baha'u'llah, ils furent conduits à
Tihran et déposés dans le tombeau de l'Imàm-Zàdih-Hasan.
Plus tard, on les transféra dans la demeure de Hàji Sulaymàn
Khan lui-même, dans le quartier Sar-Chashmih de cette ville, et de là
au tombeau de l'Imàm-Zàdih-Ma'sùm. Ils y restèrent
cachés jusqu'en 1284 A.H. (1867-1868), quand une tablette révélée
par Baha'u'llah à Andrinople ordonna à Mullà
'Ali-Akbar-i-Shahrnirzàdi et à jamàl-i-Burùjirdi
de les transférer sans délai en quelque autre endroit, ordre qui,
vu la reconstruction ultérieure de ce tombeau, se révéla
comme ayant été providentiel. [...] Page 264 Ne pouvant trouver un emplacement convenable dans le faubourg de Shah-'Abdu'l-'Azim,
Mullà 'Ali-Akbar et son compagnon continuèrent leurs recherches
jusqu'à ce que, sur la route menant à Chashmih-'Ali*, ils tombent
sur le Masjid-i-Mashà'u'llah abandonné et en ruines où
ils déposèrent à l'intérieur d'un des murs, après
la tombée de la nuit, leur précieux fardeau, non sans avoir d'abord
réenveloppé les restes dans un linceul de soie dont ils s'étaient
munis à dessein. Le jour suivant, s'apercevant, à leur grande
consternation, que la cachette avait été découverte, ils
transportèrent clandestinement le coffre, en passant par la porte de
la ville, directement jusqu'à la maison d'un croyant, Mirza Hasan-i-Vazir,
gendre de Hàji Mirza Siyyid 'Aliy-i-Tafrishi, le majdu'l-ashràf*,
où il ne resta pas moins de quatorze mois. Le secret, longtemps gardé,
de son emplacement s'étant répandu parmi les croyants, ceux-ci
commencèrent à se rendre en si grand nombre dans cette maison
que Mullà 'Ali-Akbar dut en informer Baha'u'llah et lui
demander conseil à ce sujet. Hàji Shah Muhammad-i-Manshàdim,
surnommé Aminu'l-Bayan, fut alors préposé à
recevoir le dépôt des mains de Mullà 'Ali-Akbar et reçut
l'ordre d'observer le plus grand secret en ce qui le concernait. Aidé par un autre croyant, Hàji Shah Muhammad enterra
le coffre sous le plancher du sanctuaire intérieur du tombeau de l'Imàm-Zàdih-Zayd;
là, il passa inaperçu jusqu'à ce que Mirza Asadu'Ilàli-i-Isfàhàni
soit informé de son emplacement exact par un plan que lui envoya Baha'u'llah.
Chargé par celui-ci de le cacher ailleurs, il emporta d'abord les restes
du Bab dans sa propre maison à Tihran. Ils furent ensuite
déposés dans plusieurs lieux différents tels que la maison
d'Husayn-'Aliy-i-Isfàhàni et celle de Muhammad-Karim-i-'Attàr
où ils restèrent cachés jusqu'en 13 16 A.H. (1899). Cette
année-là, conformément aux instructions données
par Abdu'l-Baha, ce même Mirza Asadu'llàh les transporta,
avec quelques autres croyants, à travers Isfàhàn, Kirmànshà,
Balyhdàd et Damas jusqu'à Beyrouth, et de là, par mer,
à 'Akka, arrivant à destination le 19 du mois de ramadàn
1316 A.H. (31 janvier i8qq), cinquante années lunaires après l'exécution
du Bab à Tabriz. Dans l'année même où ce précieux dépôt
atteignait les rivages de la Terre sainte pour être remis entre les mains
d'Abdu'l-Baha, celui-ci, accompagné par le Dr Ibràhim Khayru'llah
qu'il avait déjà honoré des titres de "Pierre de Baha",
"le second Colomb", "le Conquérant de l'Amérique", se rendit en
auto au terrain récemment acheté, qui avait été
béni et choisi par Baha'u'llah sur le mont Carmel; et là,
de ses propres mains, il posa la première pierre de l'édifice
dont il allait entreprendre la construction quelques mois plus tard. A peu près
à cette époque, le sarcophage de marbre destiné à
abriter le corps du Bab, une offrande d'amour des baha'is de Rangoon,
était terminé et, à la suggestion d'Abdu'l-Baha,
fut acheminé par bateau vers Haïfa. [...] Page 265 Il est inutile de s'appesantir sur les multiples problèmes et préoccupations
qui, pendant presque dix années, continuèrent à assaillir
'Abdu'l-Baha jusqu'à l'heure victorieuse où il fut capable
de mener à bonne fin la tâche historique que lui avait confiée
son père. Les risques et dangers rencontrés par Baha'u'llah
et plus tard par son fils, dans leurs efforts pour assurer, pendant un demi-siècle,
la protection de ces restes, n'étaient qu'un prélude aux graves
dangers que, à une époque ultérieure, le Centre du covenant
eut à affronter au cours de la construction de l'édifice destiné
à les recevoir, et même jusqu'à l'heure de son élargissement
définitif. Les négociations prolongées avec le propriétaire, malin
et intéressé, du terrain à bâtir, qui, sous l'influence
des briseurs du covenant, refusa de vendre pendant longtemps, le prix exorbitant
demandé tout d'abord pour l'ouverture d'une route conduisant à
ce lieu - route indispensable pour les travaux -, les objections sans fin soulevées
par les fonctionnaires de tous grades dont les soupçons facilement éveillés
durent être apaisés par des explications et des assurances répétées
de la part d'Abdu'l-Baha, la situation dangereuse résultant des
accusations monstrueuses portées par Mirza Muhammad-'Ali et ses
associés, concernant le caractère et le but de cette construction,
les délais et les complications causés par la longue absence imposée
à Abdu'l-Baha hors de Haïfa, ce qui l'empêcha par conséquent
de diriger en personne la vaste entreprise qu'il avait commencée, tous
ces faits constituent les principaux obstacles qu'il dut, à une période
aussi critique de son ministère, affronter et surmonter, avant de pouvoir
exécuter complètement le plan dont Baha'u'llah lui
avait indiqué les grandes lignes, à l'occasion d'une de ses visites
au mont Carmel. " Chaque pierre de cet édifice, chaque pierre de la route qui y conduit",
l'entendit on remarquer souvent, " m'ont coûté une peine inouïe
et une infinité de larmes pour les soulever et les mettre en place."
" Une nuit", observa-t-il une fois, d'après un témoin oculaire,
"j'étais tellement rongé d'inquiétude que mon seul recours
fut de réciter et répéter sans fin une prière du
Bab que je possédais, ce qui me calma beaucoup. Le matin suivant,
le propriétaire du terrain vint lui-même nie voir, s'excusa et
me pria d'acheter sa propriété." [...] Page 266 Finalement, l'année même où son royal adversaire perdit
son trône, et au moment de l'ouverture de la première convention
baha'i américaine, convoquée à Chicago dans le but
de créer une organisation nationale permanente chargée de construire
le Mashriqu'l-Adhkar, 'Abdu'l-Baha mena son entreprise à
une heureuse fin, en dépit des intrigues incessantes d'ennemis de l'intérieur
et de l'extérieur. Le 2 8 du mois de safar 1327 A.H., jour du premier
Naw-Rùz (1909) qu'il célébra après sa libération
de prison, 'Abdu'l-Baha fit transporter le sarcophage de marbre, avec
beaucoup de peine, dans le caveau préparé pour lui et, dans la
soirée, à la lueur d'une simple lampe, il plaça à
l'intérieur, de ses propres mains - en présence des croyants venus
de l'Orient et de l'Occident, et dans des circonstances à la fois solennelles
et émouvantes -, le coffre de bois contenant les restes sacrés
du Bab et de son compagnon. Lorsque tout fut fini et que la dépouille terrestre du prophète
martyr de Shiraz fut, à la fin, déposée sans dommage
sur les pentes de la sainte montagne de Dieu, pour son éternel repos,
'Abdu'l-Baha, qui avait enlevé son turban, retira ses chaussures
et, rejetant son manteau, s'inclina bien bas sur le sarcophage encore ouvert.
Sa chevelure blanc d'argent ondoyant autour de sa tête, le visage transfiguré
et lumineux, il appuya son front sur le bord du cercueil de bois et, sanglotant
avec force, il versa tant de larmes que tous ceux qui étaient présents
pleurèrent avec lui. Cette nuit-là, il ne put dormir, tant l'émotion
le terrassait. " La plus heureuse nouvelle", écrivit-il plus tard dans une tablette
annonçant cette glorieuse victoire à ses fidèles, "c'est
que le corps saint et lumineux du Bab..., après avoir été
déplacé, pendant soixante ans, d'un endroit à un autre
à cause des ennemis qui avaient le dessus et dans la crainte des gens
malveillants -, et n'avoir connu ni paix ni repos, ce corps a été,
grâce à la miséricorde de la Beauté Abha,
déposé avec solennité, le jour du Naw-Ruz, dans son cercueil
sacré, à l'intérieur du tombeau élevé sur
le mont Carmel ... Par une étrange coïncidence, en ce même
jour du Naw-Ruz, un câblogramme fut reçu de Chicago, annonçant
que les croyants de chacun des centres américains avaient élu
un délégué et l'avaient envoyé dans cette ville,
et qu'ils avaient définitivement décidé de l'emplacement
et de la construction du Mashriqu'l-Adhkar." Avec le transfert, sur le mont Carmel, des restes du Bab - dont l'avènement
marque le retour du prophète Elie - et leur ensevelissement dans cette
sainte montagne, non loin de la caverne de ce prophète lui-même,
le plan si glorieusement envisagé par Baha'u'llah au soir
de sa vie était enfin réalisé, et les travaux ardus effectués
pendant les premières années troublées du ministère
du Centre choisi de son covenant étaient couronnés d'un succès
immortel. Un foyer d'illumination et de pouvoir divins, dont les cendres mêmes
avaient, selon ses dires, inspiré 'Abdu'l-Baha, ne le cédant,
quant à son caractère sacré, à nul autre tombeau
dans le monde baha'i, sauf au sépulcre de l'auteur même
de la révélation baha'i, un tel foyer avait été
installé définitivement sur cette montagne considérée
comme sacrée depuis des temps immémoriaux. [...] Page 267 D'une structure à la fois massive, simple et imposante, niché
au coeur du Carmel, le "vignoble de Dieu", flanqué de la caverne d'Elie
à l'ouest et des collines de Galilée à l'est, adossé
à la plaine du Saron, et face à la cité d'argent d'Akka
au-delà de laquelle se trouve le tombeau le plus sacré, le coeur,
le qiblih du monde baha'i, couvrant de son ombre la colonie de Templiers
allemands qui, dans l'attente de la "venue du Seigneur", avaient abandonné
leurs demeures et s'étaient rassemblés au pied de cette montagne,
l'année même de la déclaration de Baha'u'llah
à Baghdad (1863), le mausolée du Bab, au prix d'héroïques
efforts et d'une énergie invincible, avait été édifié
et constituait "le lieu autour duquel tourne, en adoration, l'Assemblée
céleste". Les événements ont déjà prouvé,
par l'agrandissement de l'édifice lui-même, par l'embellissement
des alentours, l'acquisition de vastes dotations dans le voisinage, et par la
proximité des lieux de repos de la femme, du fils et de la fille de Baha'u'llah
lui-même, que ce mausolée était destiné à
atteindre, avec les années, une renommée et une gloire proportionnées
au but élevé qui avait dicté sa fondation. Il ne cessera
pas non plus, à mesure que passeront les années et que s'établiront
progressivement les institutions gravitant autour du centre administratif mondial
de la future fédération baha'i, de manifester les puissances
latentes dont l'a doté ce même but immuable. Irrésistiblement,
cette institution divine fleurira et s'étendra, si féroce que
puisse être l'animosité montrée par ses futurs ennemis,
jusqu'à ce que la totalité de sa splendeur se dévoile aux
yeux de toute l'humanité. "Hâte-toi, ô Carmel', écrit Baha'u'llah, s'adressant
d'une manière significative à cette montagne sainte, "car voici
que la lumière du visage de Dieu ... a resplendi sur toi ... Réjouis-toi,
car en ce jour, Dieu a établi sur toi son trône, il a fait de
toi le point d'aurore de ses signes et la source des preuves évidentes
de sa révélation. Heureux celui qui tourne autour de toi, qui
proclame la révélation de ta gloire et raconte ce que la bonté
du Seigneur, ton Dieu, t'a prodigué. Appelle , Sion, ô Carmel',
dit-il encore dans cette même tablette, "et annonce la joyeuse nouvelle:
Celui qui était caché aux jeux mortels est venu! Sa souveraineté
pleinement triomphante est manifeste, sa splendeur toute enveloppante est
révélée. Garde-toi d'hésiter ou de t'arrêter.
Hâte-toi et fais le tour de la cité de Dieu qui est descendue
du ciel, la céleste Kaaba autour de laquelle ont circulé, en
adoration, les élus de Dieu, ceux dont le coeur est pur, ainsi que la
légion des anges les plus élevés."
CHAPITRE XVIII: Ensevelissement des restes du Bab sur le
mont Carmel