DIEU PASSE PRES DE NOUS
Shoghi Effendi
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3ième Période: Ministère d'Abdu'l-Baha, 1892-1921 [...] Page 269 L'établissement de la foi de Baha'u'llah dans l'hémisphère
occidental - la plus remarquable réalisation qui restera, pour toujours,
attachée au ministère d'Abdu'l-Baha - avait mis en mouvement,
comme déjà noté dans les pages précédentes,
des forces si énormes, et produit des résultats d'une telle portée,
que ceux-ci justifiaient la participation active et personnelle du Centre du
covenant à ces activités génératrices d'une époque
dont ses disciples occidentaux, par la puissance dynamique de ce covenant, avaient
pris hardiment l'initiative, et qu'ils poursuivaient avec vigueur. La crise déclenchée par l'aveuglement et la perversité
des briseurs du covenant qui, pendant plusieurs années, avait si tragiquement
empêché 'Abdu'l-Baha d'exécuter son projet, était
à présent providentiellement dénouée. Une barrière
insurmontable était tout à coup enlevée de son chemin,
ses chaînes s'étaient ouvertes, et la colère vengeresse
de Dieu les avait retirées de son cou pour les placer autour de celui
d'Abdu'l-Hamid, son royal adversaire, dupé par son plus implacable ennemi.
De plus, les restes sacrés du Bab, confiés à ses
soins par son père défunt, avaient, au prix d'immenses difficultés,
été transférés de leur cachette lointaine de Tihran
jusqu'en Terre sainte, et déposés par lui, en grande cérémonie
et avec vénération, au coeur du mont Carmel. A cette époque, la santé d'Abdu'l-Baha était délabrée.
Il souffrait de plusieurs maladies causées par la tension et les contraintes
d'une tragique existence, passée presque entièrement en exil et
en prison. Il était au seuil de ses soixante-dix ans. Pourtant, aussitôt
qu'il fut libéré d'une captivité de quarante années,
dès qu'il eut mis le corps du Bab en un lieu de repos sûr
et permanent et que son esprit fut débarrassé des graves soucis
dus à la garde de ce dépôt inestimable, il se leva avec
un courage, une confiance et une résolution sublimes, pour consacrer
le peu de forces qui lui restaient, au soir de sa vie, à un service d'une
grandeur tellement héroïque, qu'on n'en peut trouver aucun parallèle
dans les annales du premier siècle baha'i. [...] Page 270 A la vérité, ses trois années de voyage, d'abord en Egypte,
puis en Europe et plus tard en Amérique, marquent, si nous voulons estimer
correctement leur importance historique, un tournant de la plus haute signification
dans l'histoire du siècle. Pour la première fois depuis la naissance
de la foi, soixante-six ans auparavant, son chef, son représentant suprême,
brisa les contraintes qui, tout au long des ministères du Bab
et de Baha'u'llah, avaient si gravement entravé leurs libertés.
Bien que des mesures de répression continuassent encore à restreindre
les activités de la grande majorité de ses adhérents dans
le pays où elle était née, son chef reconnu se voyait maintenant
accorder une liberté d'action dont, à l'exception d'un court intervalle
pendant la guerre de 1914-1918, il devait continuer de jouir jusqu'à
la fin de sa vie et qui, depuis, n'a jamais été enlevée
à ses institutions, au centre mondial. Un changement aussi radical dans les destinées de la foi fut, pour lui,
le signal d'un déchaînement d'activité propre à confondre
d'étonnement et d'admiration ses disciples d'Orient et d'Occident, et
à exercer une influence impérissable sur le cours futur de son
histoire. Celui qui, selon ses propres termes, était un jeune homme à
son entrée en prison et un vieillard lorsqu'il en sortit, celui qui,
de sa vie, n'avait jamais affronté un auditoire public, qui n'avait pas
été à l'école, n'avait jamais fréquenté
les milieux occidentaux et n'était point familiarisé avec leurs
coutumes ni leurs langages, celui-là s'était levé, non
seulement pour proclamer du haut des chaires et des tribunes, dans quelques-unes
des principales capitales d'Europe et dans les grandes villes de l'Amérique
du Nord, les vérités particulières encloses dans la foi
de son père, mais aussi pour démontrer l'origine divine des prophètes
venus avant lui, et pour dévoiler la nature du lien qui les rattachait
à cette foi. Fermement résolu à entreprendre ce pénible voyage quel
que soit l'effort exigé, et même au péril de sa vie, il
partit tranquillement pour l'Egypte sans en avertir personne, un après-midi
de septembre 1910, un an après la chute du sultan Abdu'l-Hamid
et l'enterrement officiel des restes du Bab sur le mont Carmel. Il séjourna
pendant environ un mois à Port-Saïd, et de là s'embarqua
avec l'intention de se rendre en Europe; mais il se rendit bientôt compte
que son état de santé déficient l'obligeait à débarquer
à Alexandrie et à ajourner son voyage. Se fixant à Ramleh,
dans la banlieue d'Alexandrie, et plus tard, visitant Zaytùn et Le Caire,
il s'embarqua, le 11 août de l'année suivante, avec quatre compagnons,
sur le bateau à vapeur Corsica à destination de Marseille; après
un bref arrêt à Thonon-les-Bains, il continua vers Londres où
il arriva le 4 septembre 19 11. Environ un mois après, il se rendit à
Paris où il demeura pendant neuf semaines, et il retourna en Egypte en
décembre 1911 Fixant de nouveau sa résidence à Ramleh où
il passa l'hiver, il partit pour son second voyage en Occident, le 25mars 1912,sur
le vapeur Cedric qui, par Naples, faisait route directement vers New York où
il arriva le 11 avril. [...] Page 271 Après une longue tournée de huit mois qui le transporta d'une
côte à l'autre, et au cours de laquelle il visita Washington, Chicago,
Cleveland, Pittsburgh, Montclair, Boston, Worcester, Brooklyn, Fanwood, Milford,
Philadelphie, West Englewood, jersey City, Cambridge, Medford, Morristown, Dublin,
Green Acre, Montréal, Malden, Buffalo, Kenosha, Minneapolis, St-Paul,
Omaha, Lincoln, Denver, Glenwood Springs, Salt Lake City, San Francisco, Oakland,
Palo Alto, Berkeley, Pasadena, Los Angeles, Sacramento, Cincinnati et Baltimore,
il quitta New York sur le paquebot Celtic le 5 décembre et débarqua
à Liverpool d'où il prit le train pour Londres. Plus tard, il
se rendit à Oxford, Edinburgh et Bristol, et de là retourna à
Londres qu'il quitta pour Paris le 21 janvier 1913. Le 3o mars, il partit pour
Stuttgart puis, le 9 avril, continua vers Budapest, visita Vienne neuf jours
plus tard, retourna à Stuttgart le 25 avril, et le premier mai à
Paris où il resta jusqu'au 12 juin; le lendemain, il s'embarqua pour
l'Egypte sur le paquebot Himalaya, à Marseille, et arriva quatre jours
après à Port-Saïd d'où, après de courtes visites
à Ismà'iliyyih et Aboukir ainsi qu'un séjour prolongé
à Rarnleh, il retourna à Haïfa, terminant ses voyages historiques
le 5 décembre 1913. C'est au cours de ces voyages, marquant une date, et devant des auditoires
importants et représentatifs, dépassant parfois mille personnes,
qu'Abdu'l-Baha exposa, dans une éclatante simplicité, avec
une autorité et une force persuasives, et pour la première fois
de son ministère, ces principes essentiels et distinctifs de la foi de
son père qui constituent, avec les lois et ordonnances révélées
dans le Kitab-i-Aqdas, les fondements solides de la dernière révélation
de Dieu à l'humanité. La recherche indépendante de la vérité,
délivrée des entraves de la superstition ou de la tradition, l'unité
de la race humaine tout entière, principe crucial et doctrine fondamentale
de la foi, l'unité qui existe à la base de toutes les religions,
la condamnation de toutes les formes de préjugés, qu'ils soient
religieux, raciaux, sociaux ou nationaux, l'harmonie qui doit régner
entre la religion et la science, l'égalité entre l'homme et la
femme qui sont les deux ailes permettant à l'oiseau humain de prendre
son essor, l'institution de l'éducation obligatoire, l'adoption d'un
langage auxiliaire universel, l'abolition de l'extrême richesse et de
l'extrême pauvreté, la création d'un tribunal mondial chargé
de régler les différends entre les nations, l'élévation
du travail au rang d'acte d'adoration lorsqu'il est exécuté dans
un esprit de service, la glorification de la justice comme principe dominant
dans la société humaine, et de la religion comme rempart protecteur
pour tous les peuples et nations, enfin l'établissement d'une paix permanente
et universelle, but suprême de l'humanité, tels sont les éléments
essentiels de cette constitution divine qu'il fit connaître aux maîtres
de l'opinion publique ainsi qu'aux masses populaires, au cours de ces voyages
de missionnaire. [...] Page 272 A l'exposé de ces vérités vivifiantes de la foi de Baha'u'llah
qu'il caractérisa comme l' "esprit de cet âge", il ajouta, à
plusieurs reprises, de graves avertissements annonçant une conflagration
imminente qui embraserait tout le continent européen si les hommes d'Etat
ne parvenaient pas à l'éviter. Il prédit encore, au cours
de ces voyages, les changements radicaux qui se produiraient sur ce continent,
laissa entendre qu'un mouvement de décentralisation du pouvoir politique
commencerait inévitablement, fit allusion aux troubles qui s'abattraient
sur la Turquie, annonça la persécution des juifs en Europe et
affirma catégoriquement que l' 'étendard de l'unité de
l'humanité serait hissé, que le tabernacle de la paix universelle
serait construit et que le inonde deviendrait un autre monde". Pendant cette tournée, 'Abdu'l-Baha fit preuve d'une vitalité,
d'un courage, d'une unité de pensée, d'une consécration
à la tâche qu'il s'était assignée lui-même
qui suscitèrent l'étonnement et l'admiration de ceux qui eurent
le privilège d'observer de près ses actes quotidiens. Indifférent
aux sites et aux curiosités qui, en général, attirent l'attention
des voyageurs, et que les membres de son entourage désiraient souvent
lui faire visiter, insoucieux de son confort autant que de sa santé,
dépensant, jour après jour, chaque bribe de son énergie,
depuis l'aube jusqu'à une heure avancée de la nuit, refusant régulièrement
tous les dons ou contributions aux frais entraînés par ses voyages,
d'une indéfectible sollicitude envers les malades, les affligés
et les opprimés, inflexible lorsqu'il défendait les races et les
classes déshéritées, bienfaisant comme l'ondée dans
sa générosité envers les pauvres, dédaignant les
attaques lancées contre lui par les partisans vigilants et fanatiques
de l'orthodoxie et du sectarisme, merveilleux de franchise lorsque, du haut
d'une chaire ou d'une tribune, il décrivait aux juifs la mission prophétique
de jésus Christ, démontrait, dans les églises et les synagogues,
l'origine divine de l'islam ou prouvait aux matérialistes, aux
athées ou aux agnostiques la réalité de la révélation
divine et la nécessité de la religion, glorifiant Baha'u'llah
à tout moment et sans aucune ambiguïté, dans les sanctuaires
de diverses sectes et confessions, refusant à plusieurs reprises et de
façon intransigeante de rechercher les bonnes grâces des gens riches
et des nobles, en Angleterre comme aux Etats-Unis, et enfin, dernier trait mais
non le plus minime, incomparable par la spontanéité, la sincérité
et la chaleur de sa sympathie et de sa bienveillante sollicitude tant envers
les étrangers qu'envers les amis, qu'ils soient croyants ou incroyants,
riches ou pauvres, de classe élevée ou humble qu'il rencontra,
soit dans l'intimité, soit incidemment, à bord d'un navire ou
en se promenant dans les rues, les parcs ou les jardins publics, à des
réceptions ou à des banquets, dans les taudis ou les hôtels
privés, dans les réunions avec ses fidèles ou dans les
assemblées de savants, lui, l'incarnation de toutes les vertus baha'i,
la personnification de tout idéal baha'i ne cessa, pendant trois
années bien remplies, de préconiser de façon retentissante
à un monde enfoui dans le matérialisme et dans lequel, déjà,
se profilait l'ombre de la guerre, le remède à cet état
de choses, à savoir, les vérités venant de Dieu que recelait
la révélation de son père. [...] Page 273 Au cours de ses visites en Egypte, il eut plus d'une entrevue avec le khédive,
le pacha 'Abbas Hilmi II. Il fut présenté à Lord
Kitchener, rencontra le mufti, Shaykh Muhammad Bakhit ainsi que l'imàm
du khédive, Shaykh Muhammad Ràshid. Il fréquenta divers
'ulamà, pachas, notables persans, membres du parlement turc, les directeurs
des principaux journaux du Caire et d'Alexandrie ainsi que d'autres chefs et
représentants d'institutions réputées, tant religieuses
que laïques. Pendant son séjour en Angleterre, la maison mise à sa disposition
dans Cadogan Gardens devint une véritable " mecque "* où se pressaient
toutes sortes de gens de conditions diverses, venus rendre visite au prisonnier
d'Akkaqui avait choisi leur grande ville comme premier théâtre
de ses travaux en Occident. "0 ces pèlerins, ces invités, ces
visiteurs!", déclara l'hôtesse dévouée d'Abdu'l-Baha
lorsqu'il séjourna à Londres. "En nous remémorant ces jours,
nos oreilles s'emplissent du bruit de leurs pas comme lorsqu'ils arrivaient
de tous les pays du monde. Tous les jours, un flot continu, une interminable
procession défilait, d'un bout à l'autre de la journée.
Ministres et missionnaires, lettrés orientaux, étudiants en sciences
occultes, hommes d'affaires en exercice, mystiques, anglicans, catholiques et
non-conformistes*, théosophes, hindous, adeptes de la Science chrétienne,
docteurs en médecine, musulmans, bouddhistes et zoroastriens. Il vint
encore des politiciens, des soldats de l'Armée du Salut et d'autres promoteurs
du bien-être des hommes, des suffragettes, des journalistes, des écrivains,
des poètes, des guérisseurs, des couturières et de grande
dames, des artistes et des artisans, de malheureux chômeurs et des commerçants
dans l'opulence, des représentants de l'art dramatique et du monde de
la musique, tous, ils vinrent; et nul n'était trop humble ni trop grand
pour être accueilli, avec une considération empreinte de sympathie,
par ce saint messager qui, sans cesse, consacrait sa vie au bien des autres." La première apparition en public d'Abdu'l-Baha devant un auditoire
occidental eut lieu, d'une manière assez significative, dans un sanctuaire
du culte chrétien d'où il s'adressa, du haut d'une chaire, le
10 septembre 1911, à une assistance entassée dans le temple de
la ville. Présenté par le pasteur, le révérend R.
J. Campbell, il proclama l'unité de Dieu d'une voix vibrante et dans
un langage simple et émouvant, affirma l'identité fondamentale
de toutes les religions et annonça que l'heure de l'unité avait
sonné pour les enfants des hommes de toutes les races, toutes les religions
et toutes les classes. [...] Page 274 Une autre fois, le 17 septembre, à la requête du vénérable archidiacre Wilberforce, il parla à Westminster,
devant la congrégation de saint jean le divin, après le service
du soir, choisissant pour thème la transcendante grandeur de Dieu, affirmée
et mise en lumière par Baha'u'llah dans le Kitab-i-Iqan.
"L'archidiacre", écrivit un contemporain de cet événement,
"avait fait placer le siège de l'évêque sur les marches
du choeur pour son invité et, se tenant auprès de lui, lisait
lui-même la traduction de l'allocution d'Abdu'l-Baha. L'assistance
fut profondément émue et, suivant l'exemple de l'archidiacre,
s'agenouilla pour recevoir la bénédiction du serviteur de Dieu
qui se tenait debout, les bras étendus, sa voix admirable s'élevant
et s'abaissant dans le silence, selon la puissance de son invocation." Invité par le lord-maire de Londres, il déjeuna avec lui à
sa résidence officielle. A la demande expresse du président, il
prit la parole au siège central de la Société théosophique,
ainsi qu'à une réunion qui eut lieu au centre de la Pensée
supérieure à Londres. Sollicité par une délégation,
il donna une conférence, sous les auspices de la Société
Bramo-Somaj. Visitant la mosquée de Woking, il y fit une allocution sur
l'unité mondiale, à la demande de la communauté musulmane
de Grande-Bretagne. 11 fut encore reçu par des princes persans, par des
nobles, par d'anciens ministres et des membres de la légation de Perse
à Londres. 11 fut l'hôte du Dr T. K. Cheyne à Oxford, et
il prononça une allocution devant "un grand nombre d'auditeurs, profondément
intéressés", dans un milieu de qualité hautement académique,
au collège de la ville de Manchester, sous la présidence du Dr
Estlin Carpenter. Il parla également du haut de la chaire d'une église
congréganiste dans le quartier est de Londres, sur le désir du
pasteur, ainsi que devant des assemblées à Caxton Hall et Westminster
Hall, cette dernière sous la présidence de Sir Thomas Berkeley,
et il assista à une représentation de "Coeur Ardent", un mystère
de Noël chrétien, à la maison paroissiale de Westminster,
la première représentation dramatique qu'il eût jamais vue
et qui, par son illustration réaliste de la vie et des souffrances de
Jésus-Christ, lui arracha des larmes d'émotion. Dans la grande
salle de l'établissement Edward Passmore, sur la place Tavistock, il
s'adressa à un auditoire d'environ quatre cent soixante personnes de
milieux divers, présidé par le Pr Michael Sadler. Il rendit visite
à un certain nombre d'employés de cet établissement qui
étaient en congé à Vanners (Byfleet 1),à environ
vingt milles de Londres, et il y retourna, rencontrant la seconde fois des gens
de toutes conditions qui s'étaient spécialement rassemblés
pour le voir, et qui comprenaient des "ecclésiastiques de différentes
confessions, le directeur d'une école d'enseignement secondaire de garçons,
un membre du Parlement, un docteur, un écrivain politique célèbre,
un recteur d'université, plusieurs journalistes, un poète bien
connu et un magistrat de Londres." 1 Province. [...] Page 275 "On se souviendra longtemps de lui", écrivit un chroniqueur, parlant
de sa visite en Angleterre et décrivant cette rencontre, "alors qu'il
était assis devant la bow-window*, par un après-midi ensoleillé;
de son bras, il entourait les épaules d'un petit garçon déguenillé
mais très heureux, venu pour demander à 'Abdu'l-Baha six
pence à mettre dans sa tirelire, pour sa mère infirme. Autour
de lui s'étaient rassemblés dans la pièce des hommes et
des femmes qui discutaient sur l'éducation, le socialisme, le premier
projet de réforme, et sur la relation entre les sous-marins, la télégraphie
sans fil et l'ère nouvelle dans laquelle l'homme est en train d'entrer." Parmi ceux qui lui rendirent visite au cours des jours mémorables qu'il
passa en Angleterre et en Ecosse, on trouve le révérend archidiacre
Wilberforce, le révérend R. J. Campbell, le révérend
Ronddha Williams, le révérend Roland Corbet, Lord Lamington, Sir
Richard et Lady Stapley, Sir Michael Sadler, le jalàlu'd-dawlih, fils
de Zillu's-Sultan, Sir Ameer 'Ali, feu le maharajah de jalawar qui vint
le voir plusieurs fois et donna une réception et un grand dîner
en son honneur, le maharajah de Rajputana, la rani de Sarawak, la princesse
Karadja, la baronne Barnekow, Lady Wemyss et sa soeur, Lady Glencomer, Lady
Agnew, Miss Constance Maud, le Pr E. G. Browne, le Pr Patrick Geddes, Mr. Albert
Dawson, directeur du Christian Commonwealth, Mr. David Graham Pole, Mme Annie
Besant, Mme Pankhurst et M. Stead qui eut de longues et sérieuses conversations
avec lui. Décrivant l'impression produite sur ceux auxquels il accorda
le privilège d'une audience privée, son hôtesse écrivit:
"Ils étaient nombreux ces candidats à une expérience absolument
unique; et unique, elle l'était à tel point qu'ils ne le savaient
qu'en présence du Maître, et nous pouvions le deviner en partie
en voyant l'expression de leur visage, expression faite d'un mélange
de crainte, d'émerveillement et d'une certaine joie empreinte de calme.
Parfois, nous avions conscience de leur répugnance à revenir vers
le monde extérieur, comme s'ils voulaient se cramponner à leur
béatitude, de peur que leur retour aux choses de ce monde ne les en dépouille."
"Une impression profonde", rapporte le chroniqueur cité plus haut, résumant
les résultats dus à cette visite mémorable, "est restée
dans l'esprit et la mémoire d'hommes et de femmes de toutes sortes et
de toutes conditions ... Le séjour d'Abdu'l-Baha à Londres
fut hautement apprécié, et son départ grandement regretté.
Il laissa derrière lui de très nombreux amis. Son amour avait
fait naître l'amour. Son coeur s'était ouvert à l'Occident,
et le coeur de l'Occident avait refermé son étreinte sur cette
présence patriarcale venue de l'Orient. Ses paroles avaient une résonance
qui touchaient non seulement ses auditeurs présents, mais encore les
hommes et les femmes en général." [...] Page 276 Ses visites à Paris où, pendant quelque temps, il occupa un appartement
dans l'avenue de Camoens, reçurent un accueil chaleureux, non moins remarquable
que la réception offerte par ses amis et fidèles de Londres. "Pendant
son séjour à Paris", déclara cette même hotesse anglaise,
Lady Blomfield, qui l'avait suivi dans cette ville, "les faits journaliers prirent
l'allure d'événements spirituels comme il en avait été
pour Londres... Chaque matin, selon son habitude, le Maître exposait les
principes de l'enseignement de Baha'u'llah à ceux qui se
rassemblaient autour de lui, aux gens instruits ou ignorants, assoiffés
et respectueux. Ils appartenaient à toutes les nationalités et
à toutes les croyances d'Orient et d'Occident, comprenant théosophes,
agnostiques, matérialistes, spiritualistes, membres de la Science chrétienne,
réformateurs sociaux, hindous, soufis, musulmans, bouddhistes, zoroastriens
et quantité d'autres." Et encore: "Les entrevues succédaient aux
entrevues. Des dignitaires de l'Eglise, appartenant à diverses branches
de l'arbre chrétien, venaient, certains désirant ardemment découvrir
de nouveaux aspects de la Vérité ... Il y en avait d'autres qui
bouchaient leurs oreilles, crainte d'entendre et de comprendre." Des princes, des nobles et d'anciens ministres persans parmi lesquels Zillu's-Sultan,
ministre de Perse, le pacha Rashid, ambassadeur turc à Paris, un ancien
vali de Beyrouth, des pachas et d'anciens ministres turcs, et le vicomte Arawaka,
ambassadeur japonais à la cour d'Espagne, furent au nombre de ceux qui
eurent le privilège d'atteindre sa présence. Il prit la parole
à des réunions d'espérantistes, de théosophes, d'étudiants
de la Faculté de théologie, ainsi que devant de grandes assemblées,
à l'Alliance spiritualiste. Dans la salle publique d'une mission située
dans un quartier très pauvre de la ville, il parla, sur l'invitation
du pasteur, devant la congrégation, tandis qu'au cours de nombreuses
réunions avec ses fidèles, ceux qui étaient déjà
familiarisés avec ses enseignements eurent le privilège d'entendre,
de ses lèvres, des exposés fréquents et détaillés
sur certains aspects de la foi de son père. A Stuttgart où il se rendit en dépit de sa santé défaillante,
et où il fit un séjour bref mais inoubliable afin d'établir
un contact personnel avec les membres de la communauté de ses amis allemands,
enthousiastes et tendrement aimés, outre le fait d'assister aux réunions
de ses disciples dévoués, il dispensa d'abondantes bénédictions
aux membres du groupe de jeunesse réunis à Esslingen, et sur l'invitation
du Pr Christale, président des espérantistes d'Europe, il prit
la parole devant une grande assemblée, au club espérantiste. Il
visita également Bad Mergentheim, dans le Wurtemberg où, quelques
années plus tard (1915), l'un de ses disciples reconnaissant érigea
un monument en souvenir de sa visite. [...] Page 277 "L'humilité, l'amour et la dévotion des croyants allemands ",
écrivit un témoin oculaire, "réjouissaient le coeur d'Abdu'l-Baha,
et ils reçurent ses bénédictions, ses paroles d'encouragement
et ses conseils avec une complète soumission. Des amis vinrent de près
et de loin pour voir le Maître. Il y avait un défilé constant
de visiteurs à l'hôtel Marquart. 'Abdu'l-Baha les y recevait
avec tant d'amour et de bonne grâce qu'ils en étaient rayonnant
de joie et de bonheur." A Vienne, où il demeura quelques jours, 'Abdu'l-Baha parla devant
une assemblée de théosophes, et à Budapest il accorda une
audience au président de l'université, rencontra plusieurs fois
le Pr Arminius Vambery, orientaliste célèbre, fit un discours
à la Société de théosophie, et reçut la visite
du président des Touraniens* et celles des représentants de sociétés
turques, de plusieurs officiers et membres du Parlement, ainsi qu'une délégation
de jeunes Turcs conduite par le Pr Julius Germanus qui lui réserva un
chaleureux accueil dans la ville. "Pendant ce temps", d'après le témoignage
écrit du Dr Rusztem Vambery, " sa chambre (celle d'Abdu'l-Baha)
de l'hôtel Dunapalota devint une véritable 'mecque' pour tous ceux que le mysticisme de l'Orient intéressait et que la sagesse
du Maître attirait dans son cercle magique. Parmi ses visiteurs, on vit
le comte Albert Apponyi, le prélat Alexander Giesswein, le Pr Ignatius
Goldziher, orientaliste de renommée mondiale, le Pr R. A. Nadler, peintre
réputé de Budapest et directeur de la Société de
théosophie de Hongrie." Cependant, il était réservé à l'Amérique
du Nord d'être le témoin de la plus étonnante manifestation
de vitalité sans borne montrée par 'Abdu'l-Baha au cours
de ces voyages. Les progrès remarquables réalisés par la
communauté organisée de ses disciples aux Etats-Unis et au Canada,
la réceptivité sensible du peuple américain à l'égard
de son message autant que la conscience qu'il avait de la haute destinée
réservée au peuple de ce continent, justifièrent amplement
la somme de temps et d'efforts qu'Abdu'l-Baha dépensa pendant
cette période. Cette tournée qui l'entraîna dans un voyage
de plus de cinq mille miles, depuis le mois d'avril jusqu'au mois de décembre,
le conduisant de la côte atlantique à la côte pacifique et
vice-versa, qui inspira assez de discours pour emplir au moins trois volumes,
devait marquer le summum de ces voyages, et le bien-fondé d'une telle
tournée apparut pleinement dans les résultats à longue
échéance que, 'Abdu'l-Baha le savait fort bien, de tels
efforts de sa part allaient produire. "Ce long voyage", déclara-t-il
à ses fidèles, rassemblés à New York à l'occasion
de leur première rencontre avec lui, "Prouvera la grandeur de l'amour
que j'ai pour vous. Bien des difficultés et des vicissitudes ont surgi,
mais à l'idée de vous rencontrer, tout cela s'est évanoui
et je l'ai oublié. " [...] Page 278 La nature de ses actes démontrait au plus haut point l'importance qu'il
attachait à cette tournée. La pose, de ses propres mains, de la
première pierre du Mashriqu'l-Adhkar, sur les bords du lac Michigan,
près de Chicago, dans la propriété récemment acquise
et en présence d'une assemblée composée de baha'is
d'Orient et d'Occident, l'énergie avec laquelle, dans une réunion
générale de ses fidèles, à New York - désignée
depuis sous le nom de "ville du covenant" -, il énonça les implications
du covenant institué par Baha'u'llah, aussitôt après
la lecture de la Tablette de la Branche qu'on venait de traduire, l'émouvante
cérémonie d'Inglewood, en Californie, qui souligna son pèlerinage
spécial au tombeau de Thornton Chase, le "premier croyant américain",
et en fait le premier à embrasser la cause de Baha'u'llah
dans le monde occidental, la fête symbolique qu'il offrit lui-même
à un grand rassemblement de ses disciples, en plein air et dans le cadre
verdoyant d'un jour de juin à West Englewood, dans le New jersey, la
bénédiction qu'il accorda sur le forum, ouvert à tous,
dans la propriété de Green Acre, dans le Maine, sur les berges
de la rivière Piscataqua où s'étaient rassemblés
beaucoup de fidèles, propriété qui devait se transformer
pour devenir une des premières écoles d'été baha'i
de l'hémisphère occidental, et qui fut reconnue comme l'une des
premières fondations établies sur le continent américain,
l'allocution qu'il prononça devant un auditoire de plusieurs centaines
de personnes assistant à la dernière session, tenue à Chicago,
de la "Société du temple baha'i de l'unité" formée
récemment, et pour finir le mariage qu'il célébra et qui
servit d'exemple, unissant deux fidèles de nationalités différentes
dont l'un était de race blanche et l'autre de race noire, tous ces faits
doivent prendre place parmi les activités marquantes qui se rapportent
à sa visite faite à la communauté des croyants américains,
activités dont l'objet était de préparer la voie à
l'érection de leur maison centrale d'adoration, à les fortifier
en vue des épreuves qu'ils allaient bientôt endurer, à cimenter
leur unité et à bénir, dès le début, cet
ordre administratif qu'ils allaient bientôt inaugurer et soutenir. Non moins remarquables furent les activités publiques d'Abdu'l-Baha,
à l'occasion de ses rapports avec la foule de gens qu'il rencontra au
cours de sa tournée à travers ce continent. Un compte rendu complet
de ses activités diverses, qui remplirent ses journées pendant
au moins huit mois, dépasserait la portée de cet exposé.
Il suffit de dire que, dans la seule ville de New York, il fit des allocutions
publiques et des visites officielles en cinquante-cinq endroits différents
au minimum. Sociétés pacifistes, congrégations chrétiennes
et juives, collèges et universités, organisations sociales et
charitables, membres de sociétés d'éthique, centre de la
Pensée nouvelle, groupes de métaphysiciens, cercles féminins,
associations scientifiques, réunions d'espérantistes, de théosophes,
de mormons et d'agnostiques, institutions en faveur de l'avancement des gens
de couleur, représentants des communautés syrienne, arménienne,
grecque, chinoise et japonaise, tous furent mis en contact avec sa personnalité
énergique et eurent le privilège d'entendre, de ses lèvres
mêmes, le message de son père. [...] Page 279 Quant à la presse, elle ne fut pas longue à apprécier,
soit dans ses éditoriaux et commentaires, soit en publiant des comptes
rendus de ses conférences, la largeur de ses vues et la nature de ses
appels. Les discours qu'il prononça aux conférences pour la paix, au
lac Mohonk, ses allocutions devant de vastes assemblées, aux universités
de Colombie, Howard et New York, sa participation à la quatrième
conférence annuelle de l'Association nationale pour l'avancement des
gens de couleur, son affirmation intrépide de l'authenticité des
missions prophétiques, tant de Jésus-Christ que de Muhammad, à
l'intérieur du temple d'Emmanu-El, une synagogue juive de San-Francisco
où non moins de deux mille personnes s'étaient rassemblées,
son discours, d'une clarté lumineuse, devant un auditoire de dix-huit
cents étudiants et cent quatre vingt maîtres et professeurs de
l'université Leland Stanford*, sa visite mémorable à la
mission Bowery*, dans les bas-quartiers de New York, la brillante réception
donnée en son honneur à Washington où de nombreuses personnalités
marquantes de la capitale lui furent présentées, ces faits ressortent
comme les caractéristiques remarquables de l'inoubliable mission qu'il
entreprit au service de la cause de son père. Ministres, ambassadeurs,
congressistes, rabbins et ecclésiastiques distingués et autres
personnalités éminentes, réussirent à atteindre
sa présence; parmi eux se trouvaient des figures telles que le Dr D.
S. Jordan, président de l'université Leland Stanford, le Pr Jackson
de l'université de Colombie, le Pr jack de l'université d'Oxford,
le rabbin Stephen Wise de New York, le Dr M. A. Meyer, le rabbin joseph L. Levy,
le rabbin Abram Simon, Alexander Graham Bell, Rabindra Nath Tagore, l'honorable
Franklin K. Lane, Mme William Jennings Bryan, Andrew Carnegie, l'honorable Franklin
MacVeagh, ministre des Finances des Etats-Unis, Lee McClung, Mr Roosevelt, l'amiral
Wain Wright, l'amiral Peary, les ministres britannique, hollandais et suisse
à Washington, le pacha Yùsuf Diya, l'ambassadeur de Turquie
dans cette ville, Thomas Seaton, l'honorable William Sulzer et le prince Muhammad-'Ali
d'Egypte, frère du khédive. "Lorsque 'Abdu'l-Baha visita ce pays pour la première fois en
19 12 ", écrit un commentateur de ses voyages en Amérique, "il
trouva un nombre considérable d'auditeurs sympathiques qui attendaient
pour l'accueillir personnellement et pour recevoir, de ses propres lèvres,
son message d'amour et de spiritualité ... Au-delà des paroles
prononcées, il y avait quelque chose d'indescriptible dans sa personnalité
qui impressionnait profondément tous ceux qui se trouvaient en sa présence.
[...] Page 280 Sa tête auguste, sa barbe de patriarche, ses yeux dont le regard semblait
s'être porté par delà le temps et la perception sensorielle,
sa voix douce et pourtant claire et pénétrante, son humilité
qui transparaissait, son amour jamais en défaut, et par-dessus tout,
l'impression de puissance mêlée à la douceur qui donnait
à tout son être la rare majesté d'une haute élévation
spirituelle - élévation spirituelle qui le plaçait à
part et en même temps le rendait proche de l'âme la plus humble
-, c'était tout cela et bien plus encore, qui ne pourra jamais être
défini et qui laissa ... à ses nombreux amis des souvenirs ineffaçables
et indiciblement précieux." Un compte rendu, si incomplet soit-il, des activités étendues
et diverses d'Abdu'l-Baha pendant son voyage en Europe et en Amérique
ne peut passer sous silence certains incidents étranges qui se produisirent
souvent au cours de contacts personnels avec lui. La détermination audacieuse
de certain jeune 'homme indomptable qui, craignant qu'Abdu'l-Baha ne
puisse se rendre dans les régions de l'Ouest, et n'ayant pas les moyens
de se payer le voyage en chemin de fer jusqu'à la Nouvelle Angleterre,
fit tout le trajet, de Minneapolis jusqu'à l'Etat du Maine, étendu
sur les essieux, entre les roues d'un train, le changement qui s'opéra
dans la vie du fils d'un vicaire de campagne anglais qui, dans sa détresse
et sa pauvreté, avait décidé, tout en suivant les bords
de la Tamise, de mettre un terme à ses jours et qui, à la vue
de la photographie d'Abdu'l-Baha, exposée dans la vitrine d'un
magasin, se renseigna à son sujet, se précipita vers sa demeure
et fut tellement réconforté par ses paroles de consolation et
d'encouragement qu'il abandonna toute pensée de suicide, l'expérience
extraordinaire d'une femme dont la petite fille, ayant eu un rêve, affirmait
avec insistance que Jésus-Christ était sur terre et qui, en voyant
la photographie d'Abdu'l-Baha, exposée dans la vitrine d'un magasin
de journaux, l'identifia instantanément avec la vision du Jésus-Christ
de son rêve - fait qui poussa sa mère, lorsqu'elle lut qu'Abdu'l-Baha
était à Paris, à prendre le premier bateau pour l'Europe
et à se hâter d'aller lui rendre visite -, la décision du
directeur d'un journal imprimé au japon d'interrompre, à Constantinople,
son voyage vers Tokio, et de se rendre à Londres pour avoir "la joie
de passer une soirée en sa présence", la scène émouvante
où 'Abdu'l-Baha, recevant des mains d'un ami persan d'Ishqàbàd,
récemment arrivé à Londres, un mouchoir de coton contenant
un morceau de pain noir sec et une pomme ratatinée - offrande d'un pauvre
ouvrier baha'i de cette ville -, ouvrit ce mouchoir devant ses hôtes
réunis et, laissant son déjeuner intact, rompit ce pain en morceaux,
le partagea lui-même et en donna à tous ceux qui étaient
présents, ces faits ne sont que quelques incidents parmi une foule d'autres
qui ont jeté une lumière révélatrice sur certains
aspects personnels de ses mémorables voyages. [...] Page 281 Certaines scènes qui se déroulèrent autour de cette silhouette
majestueuse et patriarcale, tandis qu'il parcourait les villes d'Europe et d'Amérique,
ne pourront jamais s'effacer non plus des mémoires. La remarquable entrevue
pendant laquelle 'Abdu'l-Baha, plaçant sa main, dans un geste
affectueux, sur la tête de l'archidiacre Wilberforce, répondit
à ses nombreuses questions, cependant que cet ecclésiastique distingué
était assis sur une chaise basse auprès de lui, la scène
encore plus remarquable où ce même archidiacre, après s'être
agenouillé avec toute sa congrégation pour recevoir sa bénédiction
dans l'église de saint jean le divin, descendit la nef latérale
vers la sacristie, la main dans la main de son invité, tandis que toute
l'assemblée, debout, entonnait un hymne, le spectacle du jalàlu'd-dawlih
qui, prosterné à ses pieds, face contre terre, se confondait en
excuses et implorait le pardon de ses iniquités passées, la réception
enthousiaste qu'il reçut à l'université Leland Stanford
lorsque, devant près de deux mille professeurs et étudiants, il
dissertait sur certaines vérités les plus nobles formant la base
de son message à l'Occident, le spectacle touchant de ces quatre cents
pauvres de la mission Bowery de New York qui défilèrent devant
lui, recevant chacun une pièce d'argent de ses mains bénies, les
acclamations d'une femme syrienne qui, à Boston, écartant la foule
assemblée autour de lui, se jeta à ses pieds en s'exclamant: "je
confesse que j'ai reconnu en toi l'Esprit de Dieu et Jésus-Christ lui
même", le tribut non moins fervent de la part de deux admirateurs arabes
qui, au moment où il quittait cette ville pour Dublin (New Hampshire),
se jetèrent devant lui et, en sanglotant bruyamment, avouèrent
qu'il était l'envoyé même de Dieu à l'humanité,
l'importante congrégation composée de deux mille juifs rassemblés
dans une synagogue de San Francisco, écoutant attentivement son discours,
lequel démontrait la validité des revendications de Jésus-Christ
et de Muhammad, la réunion devant laquelle il parla, une nuit, à
Montréal et où, au cours de son allocution, il perdit son turban,
tant il était emporté par le thème qu'il exposait, la foule
bruyante d'un quartier très pauvre de Paris qui, impressionnée
en sa présence, s'écarta, silencieusement et avec respect, pour
lui laisser le passage tandis qu'il cheminait au milieu d'elle, revenant de
l'auditorium d'une mission où il avait prononcé une causerie devant
la congrégation, le geste caractéristique d'un médecin
zoroastrien qui, arrivant, en toute hâte et hors d'haleine, pour faire
ses adieux à 'Abdu'l-Baha le matin de son départ de Londres,
oignit d'huile parfumée, d'abord sa tête et sa poitrine, puis toucha
les mains de tous ceux qui étaient présents, et lui mit autour
du cou et des épaules une guirlande de boutons de roses et de lis, la
foule de visiteurs qui arrivaient peu avant l'aube et attendaient patiemment,
sur le seuil de sa maison de Cadogan Gardens, jusqu'à ce que la porte
leur soit ouverte, sa silhouette majestueuse tandis qu'il arpentait une estrade
d'un pas ferme ou qu'il se tenait debout, les mains levées pour donner
la bénédiction, à l'église comme à la synagogue [...] Page 282 et devant de grandes assemblées d'auditeurs respectueux, les marques
d'un respect non provoqué témoignées par des femmes de
la haute société londonienne qui faisaient spontanément
la révérence lorsqu'elles étaient introduites en sa présence,
la scène poignante du cimetière d'Inglewood où il s'agenouilla
sur la tombe de son disciple bien-aimé, Thornton Chase et déposa
un baiser sur la pierre tombale, exemple que tous ceux qui étaient présents
se hâtèrent d'imiter, le rassemblement distingué de chrétiens,
juifs et musulmans, comprenant des hommes et des femmes représentant
l'Est et l'Ouest, tous réunis pour entendre sa conférence sur
l'unité mondiale, dans la mosquée de Woking, des scènes
telles que celles-là, même à travers le récit figé
de la page imprimée, conservent certainement encore leur caractère
impressionnant et leur puissance première. Qui sait quelles réflexions hantèrent l'âme d'Abdu'l-Baha
lorsqu'il se vit le point de mire de scènes aussi mémorables?
Qui sait quelles pensées prédominèrent dans son esprit
tandis qu'il était assis, déjeunant aux côtés du
lord-maire de Londres, ou qu'il était reçu avec une déférence
extraordinaire par le khédive en personne, dans son palais, ou bien lorsqu'il
écoutait les cris de " Allàh-u-Abha " et les hymnes d'actions
de grâces et de louanges annonçant son approche aux nombreuses
et brillantes réunions que ses fidèles et amis enthousiastes organisèrent
dans tant de villes du continent américain? Qui sait quels souvenirs s'éveillèrent en lui tandis qu'il se
tenait devant les eaux grondantes du Niagara, respirant l'air libre d'une terre
éloignée, ou qu'il contemplait, au cours d'un bref repos dont
il avait grand besoin, les bois et la campagne verdoyante de Glenwood Springs,
ou lorsqu'il circulait avec un cortège de croyants orientaux dans les
allées des jardins du Trocadéro à Paris, ou lorsqu'il parcourait
seul, le soir, à New York, la Promenade de Riverside, dans la baie majestueuse
de l'Hudson, ou encore quand il allait et venait sur la terrasse de l'hôtel
du Parc dominant le lac de Genève, à Thonon-les-Bains, ou tandis
qu'il observait, du pont Serpentine, à Londres, la chaîne perlée
des lumières, au-dessous des arbres, qui s'étendait aussi loin
que le regard pouvait se porter. Souvenirs des chagrins, de la pauvreté,
du destin funeste suspendu sur ses jeunes années, souvenir de sa mère
qui vendit ses boutons en or pour subvenir à ses besoins, à ceux
de son frère et de sa soeur, et qui fut obligée, dans les heures
les plus sombres, de mettre une poignée de farine sèche dans le
creux de sa main pour apaiser sa faim, souvenir de sa propre enfance, lorsque
dans les rues de Tihran, il fut poursuivi et raillé par une bande
de voyous, de la pièce humide et sombre qu'il occupa - l'ancienne morgue
- à la caserne d'Akka, et de son emprisonnement dans le donjon
de cette ville? Des réminiscences de cette nature durent certainement
peupler son esprit. [...] Page 283 Le souvenir de la captivité du Bab, dans la redoute montagneuse
de l'Àdhirbàyjàn où même une simple lampe
lui était refusée la nuit, dut également venir hanter son
esprit, de même que sa cruelle et tragique exécution, lorsque des
centaines de balles criblèrent sa jeune poitrine. Par-dessus tout, ses
pensées se fixèrent sans doute sur Baha'u'llah qu'il
chérissait si passionnément, et dont il avait vu et partagé
les épreuves depuis son enfance. Le Siyah-Chàl de Tihran,
infesté de vermine, le supplice de la bastonnade qui lui fut infligé
par Amul, la modeste chère qui remplissait son écuelle lorsqu'il
vécut pendant deux ans de la vie d'un derviche, dans les montagnes du
Kurdistàn, les jours passés à Baghdad, où
il ne possédait même pas de linge de rechange et où ses
disciples vécurent d'une poignée de dattes, sa détention
dans la prison d'Akka qui, pendant neuf ans' le priva de la moindre verdure,
et l'humiliation publique à laquelle il fut soumis, au quartier général
du gouvernement de cette ville, de telles images d'un passé tragique
durent, bien des fois, faire naître en lui des sentiments faits de gratitude
et de chagrin, en voyant les nombreuses marques de respect, d'estime et d'honneur
dont on l'entourait maintenant, autant que la foi qu'il représentait.
"0 Baha'u'llah! Qu'as-tu donc fait!", l'entendit-on s'exclamer
un soir, comme le rapporte le chroniqueur de ses voyages, tandis que, promptement,
on le conduisait en voiture vers son troisième rendez-vous de la journée
à Washington, " 0 Baha'u'llah! Puisse ma vie être
sacrifiée pour toi! 0 Baha'u'llah! Puisse mon âme
être offerte pour l'amour de toi! Comme tes jours furent chargés
d'expériences douloureuses et d'afflictions! Que pénibles furent
les épreuves que tu as endurées! Et combien solides sont les fondations
que tu as finalement posées, et que glorieuse est la bannière
que tu as hissée! " " Un jour, en se promenant", déclare ce même
chroniqueur, "il se remémora les jours de la Beauté bénie,
faisant allusion, avec tristesse, à son séjour à Sulaymàniyyih,
à sa solitude et à tous les maux qui lui furent infligés.
Bien qu'il eût souvent raconté cet épisode, il était,
ce jour-là, tellement étreint par l'émotion qu'il sanglota
tout haut de chagrin ... Tout son entourage, submergé de peine, pleura
avec lui en entendant le récit des terribles adversités endurées
par l'ancienne Beauté, et en voyant la tendresse des sentiments exprimés
par son fils." Une scène de la plus haute signification de ce drame, vieux d'un siècle,
venait de se jouer. Un chapitre glorieux de l'histoire du premier siècle
baha'i était écrit. Des graines, recelant des vertus insoupçonnées,
avaient été semées dans quelques-unes des terres fertiles
du monde occidental, par la main du Centre du covenant lui-même. jamais,
dans la suite de l'histoire religieuse tout entière, aucun Personnage
d'une pareille élévation ne s'était levé pour accomplir
une oeuvre impérissable d'une telle ampleur. Au cours de ces voyages
lourds de conséquences, des forces furent libérées que,
même à présent, avec un recul de près de trente-cinq
ans,(ce livre fut écrit en 1944) nous sommes incapables de mesurer ni
de comprendre. [...] Page 284 Déjà une reine,(Marie de Roumanie) inspirée par les puissants
arguments mis en avant par 'Abdu'l-Baha dans ses discours en vue de
soutenir la divinité de Muhammad, a proclamé sa foi et donné
un témoignage public de l'origine divine du prophète de l'islam.
Déjà un président des Etats-Unis (Woodrow T. Wilson 1856-1924),
pénétré de certains principes si clairement énoncés
par lui dans ses dissertations, a incorporé ceux-ci dans un programme
de paix qui se présente comme la proposition la plus hardie et la plus
noble faite, jusqu'à présent, en vue du bien-être et de
la sécurité de l'humanité. Et déjà, hélas,
un monde demeuré sourd à ses avertissements et qui a refusé
de tenir compte de ses appels, s'est plongé dans deux guerres totales
d'une gravité sans précédent, et dont personne ne peut
encore, même confusément, imaginer les répercussions.
CHAPITRE XIX: Voyages d'Abdu'l-Baha en Europe et en Amérique