DIEU PASSE PRES DE NOUS
Shoghi Effendi
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4ième Période: Début de l'âge de formation de la foi, 1921-1944 [...] Page 389 Ainsi se termina le premier siècle de l'ère Baha'i, époque
qui, par sa sublimité et sa fécondité, est sans parallèle
dans toute l'histoire religieuse, et en fait dans les annales du genre humain.
Un processus dirigé par Dieu, doté de puissances virtuelles illimitées,
opérant de façon mystérieuse, générateur
de châtiments terribles pour tous ceux qui cherchent à entraver
son cours, extrêmement riche de promesses pour la régénération
et la Rédemption de l'espèce humaine, avait pris naissance à
Shiraz, et sa vitalité s'était accrue progressivement à
Tihran, Baghdad, Andrinople et 'Akka. Il avait franchi
les mers, il avait projeté son influence régénératrice
sur l'Occident, et au coeur de l'Amérique du Nord, il avait manifesté,
de façon évidente, les premiers effets de sa force merveilleuse
et vivifiante pour le monde. Du coeur de l'Asie, il avait surgi, se hâtant vers l'Ouest, avait accéléré
sa course irrésistible jusqu'à entourer la terre d'une auréole
de gloire. Mis en marche par le fils d'un marchand de tissus de la province
de Fàrs, réformé par un noble personnage de Nùr,
renforcé par les exploits de celui qui avait passé les plus belles
années de sa jeunesse et de sa vie d'homme en exil et en prison, ce processus
avait atteint son épanouissement triomphal le plus évident chez
un peuple dont le pays était situé à l'opposé du
globe par rapport à son pays d'origine. Il avait repoussé tous
les assauts dirigés contre lui, renversé toutes les barrières
s'opposant à son avance, abaissé tout adversaire orgueilleux cherchant
à miner sa force, et avait soulevé jusqu'au faîte d'un inconcevable
courage les plus faibles et les plus humbles de ceux qui s'étaient levés
pour servir d'instruments volontaires à sa puissance révolutionnaire.
Des luttes héroïques et des victoires sans égales, entremêlées
d'horribles tragédies et de châtiments exemplaires, ont formé
la trame de son histoire, vieille d'un siècle. Une poignée d'étudiants de l'Ecole shaykhi, née de la
secte ithnà'ashariyyih de l'islam shi'ah, s'était agrandie
sous l'influence de ce processus, se transformant en une communauté mondiale
étroitement unie, lucide, vivante, consacrée par le sacrifice
d'au moins vingt mille martyrs. De caractère supranational, ni sectaire
ni politique, revendiquant le statut et assumant les fonctions d'une religion
mondiale, développée dans les cinq continents et les îles,
avec des ramifications dans soixante Etats souverains et dix-sept dépendances,
pourvue d'écrits traduits en quarante langues et largement répandus,
cette communauté exerçait un contrôle sur des dotations
qui représentaient plusieurs millions de dollars, et un certain nombre
de gouvernements d'Orient et d'Occident l'avaient reconnue. [...] Page 390 Unanime dans ses vues et ses objectifs, exempte de clergé professionnel,
n'ayant qu'une seule croyance, suivant une seule loi, animée d'un seul
but, organiquement unifiée grâce à son ordre administratif
divinement prescrit et unique par ses caractéristiques, comprenant dans
son cercle des représentants des principales religions du monde ainsi
que de diverses classes et races, fidèle à ses obligations civiles,
consciente de ses responsabilités civiques autant que des dangers affrontés
par la société dont elle faisait partie, elle partageait les souffrances
de cette société et avait confiance en sa propre, sa haute destinée. Le noyau de cette communauté avait été formé par
le Bab, peu après la nuit où il avait déclaré
sa mission à Mullà Husayn, à Shiraz. Une clameur
unanime à laquelle avaient pris part le shah, son gouvernement,
son peuple et toute la hiérarchie ecclésiastique de son pays,
avait accueilli sa naissance. Une détention cruelle, dans les montagnes
de l'Adhirbàyjàn, avait promptement frappé son jeune fondateur,
presque au retour de son pèlerinage à La Mecque. Dans la solitude
de Màh-Kù et de Chihriq, il avait élaboré son covenant,
formulé ses lois, et transmis à la postérité la
majeure partie de ses innombrables écrits. Dans le hameau de Badasht,
une réunion de ses disciples, dirigée par Baha'u'llah,
avait, dans de dramatiques circonstances, abrogé les lois de l'islam
et inauguré la nouvelle dispensation. A Tabriz, en présence de
l'héritier du trône et des principaux dignitaires ecclésiastiques
de l'Adhirbàyjàn, il avait proclamé publiquement et sans
réserves qu'il n'était autre que le Promis, le Qà'im tant
attendu. A Mazindaran, Nayriz ' Zanjàn et Tihran,
des tempêtes d'une violence dévastatrice avaient décimé
les rangs de ses fidèles et l'avaient privé de ses plus nobles
et de ses plus valeureux défenseurs. Il avait dû assister lui-même
à l'anéantissement pratique de sa foi et à la perte de
la plupart des Lettres du Vivant, et après avoir enduré toute
une suite d'amères humiliations, il avait été fusillé
par un peloton d'exécution, dans la cour de la caserne de Tabriz. Un
bain de sang d'une exceptionnelle férocité, dans lequel avait
péri la plus grande héroïne avait, de plus, privé
sa foi de ses adhérents, avait pris la vie de son fidèle secrétaire,
dépositaire de ses dernières volontés, et avait jeté
Baha'u'llah dans les profondeurs du plus infect cachot de Tihran. Dans l'atmosphère pestilentielle du Siyah-Chàl, neuf ans
après cette déclaration historique, le message proclamé
par le Bab avait porté ses fruits, sa promesse avait été
tenue, et la plus importante, la plus glorieuse période de l'âge
héroïque de l'ère Baha'i avait commencé. [...] Page 391 Le bannissement précipité de Baha'u'llah en 'Iraq,
sur l'ordre du shah Nàsiri'd-Din, sa retraite soudaine dans les
montagnes du Kurdistàn, ainsi que la dégradation et la confusion
qui régnaient parmi les survivants de ses fidèles disciples de
la communauté persécutée de Baghdad, avaient eu
pour résultat une éclipse momentanée du Soleil de Vérité,
le plus grand des flambeaux du monde paru depuis peu. Un renversement de la
situation, qui empirait rapidement, s'était fait sentir après
son retour d'une retraite de deux années, amenant alors un renouveau,
une réforme des moeurs de cette communauté, rehaussant son prestige et enrichissant sa doctrine, renversement qui avait
atteint son apogée lorsque, au jardin de Najibiyyih, Baha'u'llah
déclara sa mission à ses compagnons présents, à
la veille de son exil à Constantinople. A Andrinople, une autre crise - la plus grave qu'une foi en lutte était
destinée à subir au cours de son histoire -, provoquée
par la rébellion du successeur nominal du Bab, par ses iniquités
et celles du mauvais génie qui l'avait séduit, avait presque brisé
les forces récemment affermies de la foi, et failli détruire,
dans un baptême de feu, la communauté du très grand Nom
que Baha'u'llah avait appelée à l'existence. Débarrassée
de la souillure de cette "super-Idole", immuable sous le coup de la convulsion
qui l'avait saisie, une foi indestructible avait désormais surmonté,
grâce à la force du covenant institué par le Bab,
les plus formidables obstacles qu'elle devait jamais rencontrer; et en cette
heure même, elle parvenait à l'apogée de sa gloire par la
proclamation de la mission de Baha'u'llah faite aux rois, aux
gouvernants et aux chefs ecclésiastiques de l'Orient et de l'Occident.
Suivant de près cette victoire sans précédent, les souffrances
de Baha'u'llah atteignaient leur suprême degré par
un bannissement à la colonie pénitentiaire d'Akka, sur
ordre du sultàn 'Abdu'l-'Aziz. Cet exil avait été salué
par des ennemis vigilants comme le signal de l'extermination définitive
d'un adversaire haï et très redouté, et dans cette ville
fortifiée, désignée par Baha'u'llah comme
sa "plus grande prison", cette foi avait été frappée, du
dedans et du dehors, d'afflictions comme elle n'en avait encore jamais endurées.
Malgré tout, la rédaction des lois et ordonnances d'une dispensation
nouvelle, l'exposition et la réaffirmation de ses principes fondamentaux
- chaîne et trame d'un ordre administratif futur - avaient, malgré
ce flot de tribulations, permis à une révélation qui mûrissait
lentement de parvenir à une stade plus avancé et de porter son
plus beau fruit. L'ascension de Baha'u'llah avait plongé ses loyaux défenseurs
dans le chagrin et la consternation; elle avait ravivé les espoirs des
traîtres à sa cause qui s'étaient rebellés contre
son autorité dévolue par Dieu, et elle avait réjoui et
encouragé ses adversaires politiques et ecclésiastiques. L'instrument
qu'il avait forgé, ce covenant institué par ses soins, avait canalisé, après sa mort, les forces qu'il avait libérées
au cours d'un ministère de quarante années; il avait préservé
l'unité de sa foi et donné l'impulsion requise pour l'entraîner
vers l'accomplissement de sa destinée. [...] Page 392 La proclamation de ce nouveau covenant avait été suivie d'une
autre crise, provoquée par un de ses propres fils auquel, selon les clauses
de ce document, avait été conféré un rang que nul
ne dépassait sauf le Centre du covenant lui-même. Poussée
par les forces que la révélation de ce document immortel et unique
avait fait naître, une foi impossible à entamer (qui avait remporté
sa première victoire sur les briseurs du covenant) avait, sous la direction
d'Abdu'l-Baha, rayonné en Occident, éclairé les
frontières occidentales de l'Europe, dressé son étendard
au coeur de l'Amérique du Nord, et elle avait déclenché
une suite d'événements qui allaient se terminer avec le transfert,
en Terre sainte, de la dépouille mortelle de son précurseur, qui
fut déposée dans un mausolée sur le mont Carmel, et avec
la construction de sa première maison d'adoration au Turkistàn
russe. Une crise d'importance primordiale, suivant de près les remarquables
victoires remportées des deux côtés du monde, crise imputable
aux intrigues abominables de Archi briseur du covenant de Baha'u'llah
et aux ordres du tyran 'Abdu'l-Hamid, avait exposé, pendant plus de sept
ans, le coeur - et centre - de la foi, à un danger menaçant; elle
avait rempli les fidèles d'anxiété et de peine, et retardé
l'exécution des entreprises conçues pour la répandre et
l'affermir. Les voyages historiques d'Abdu'l-Baha en Europe et en Amérique,
effectués peu après la chute de ce tyran' et l'effondrement de
son régime, avaient porté un rude coup aux briseurs du covenant;
ils avaient consolidé la tâche colossale qu'il avait commencée
dans les premières années de son ministère, élevé
le prestige de la foi de son père à des sommets jamais atteints
auparavant; ils avaient permis de proclamer partout les vérités
de la foi, et préparé la voie pour répandre ses lumières
en Extrême-Orient et jusqu'aux antipodes. Une autre crise de grande importance
- la dernière que la foi devait subir au centre mondial - provoquée
par Jamàl, le cruel pacha, et aggravée par les angoisses et les
privations d'une guerre mondiale dévastatrice et par la rupture des communications
qu'elle entraînait, avait menacé le chef de la foi d'un danger
encore plus grave, ainsi que les sanctuaires les plus saints renfermant les
restes des deux fondateurs jumeaux. Pendant les dernières années
du ministère d'Abdu'l-Baha, les tablettes du Plan divin, révélées
aux jours sombres de cette lutte tragique, avaient confié aux membres
de la principale communauté Baha'i de l'Ouest - championne du
futur ordre administratif - une mission mondiale qui, dans les années
finales du premier siècle Baha'i, devait jeter une gloire immortelle
sur la foi et sur ses institutions administratives. L'issue de ce long et pénible
conflit avait frustré les espérances de ce tyran militariste et
lui avait infligé une honteuse défaite; elle avait éliminé,
une fois pour toutes, le danger qui avait plané pendant soixante-cinq
ans sur le fondateur de la foi et sur le Centre de son covenant, réalisant
les prophéties des écrits de Baha'u'llah, rehaussant
davantage encore le prestige de la foi et de son chef, et elle s'était
signalée par la propagation du message sur le continent australien. [...] Page 393 La disparition soudaine d'Abdu'l-Baha, marquant la fin de l'âge
primitif de la foi, avait, comme au moment de l'ascension de son père,
plongé ses fidèles disciples dans le chagrin et la consternation,
donnant de nouveaux espoirs aux partisans toujours moins nombreux de Mirza
Yahya et de Mirza Muhammad-'Ali, et réveillant les activités
fiévreuses des adversaires politiques et ecclésiastiques qui,
tous, s'attendaient au démembrement immédiat des communautés
que le Centre du covenant avait tant inspirées et si habilement dirigées.
La publication officielle de son testament inaugurant l'âge de formation
de l'ère Baha'i, charte qui définissait les caractéristiques
d'un ordre que le Bab avait annoncé, dont Baha'u'llah
avait eu la vision et dont il avait formulé les lois et les principes,
avait jeté ces communautés d'Europe, d'Asie, d'Afrique et d'Amérique
dans une action commune, leur permettant de construire et de consolider la structure
de cet ordre en établissant des assemblées locales et nationales,
et en élaborant leurs constitutions, en s'assurant, dans plusieurs pays,
de la reconnaissance de ces institutions par les autorités civiles, en
établissant des quartiers généraux administratifs, en construisant
la première maison d'adoration d'Occident, en posant les fondations de
la foi et en élargissant leur rayon d'action, et en obtenant des pouvoirs
civils la reconnaissance. pleine et entière du caractère religieux
de ces fondations au centre mondial ainsi qu'en Amérique du Nord. Tandis que ce formidable travail - l'établissement des fondations de
l'ordre administratif mondial Baha'i - était entrepris, une cour
ecclésiastique musulmane d'Egypte avait, par un jugement sévère,
historique, expulsé officiellement de l'islam tous les adhérents
à la foi Baha'i d'origine musulmane; elle les avait condamnés
comme hérétiques, et avait mis les membres d'une communauté
proscrite en face d'épreuves et de dangers d'une nature inconnue d'eux
jusqu'alors. La décision injuste prise, à l'instigation des ennemis
shi'ah, par un tribunal civil de Baghdad, en 'Iraq, et le décret
rendu en Russie par un adversaire encore plus redoutable avaient, par ailleurs,
soustrait à la foi l'un de ses centres de pèlerinage les plus
sacrés, et l'avaient privée de sa première maison d'adoration,
due à l'initiative d'Abdu'l-Baha et construite pendant son ministère.
Et finalement, inspirés par cette déclaration inattendue émise
par un ennemi invétéré - déclaration qui marquait
la première étape de la marche de la foi vers une émancipation
complète -, imperturbables sous ce double coup porté aux institutions,
les fidèles de Baha'u'llah, déjà unis et
amplement pourvus d'organismes administratifs solidement établis, s'étaient
levés pour couronner les exploits immortels du premier siècle
Baha'i. [...] Page 394 Ils avaient soutenu le caractère indépendant de leur foi, appliqué
les lois fondamentales prescrites dans leur très saint Livre, demandé,
et dans quelques cas, réussi à être reconnus par les autorités
comme des croyants de religion indépendante, et obtenu du plus grand
tribunal du inonde qu'il condamnât l'injustice qu'ils avaient subie aux
mains de leurs persécuteurs; ils avaient établi leur résidence
dans trente-quatre nouveaux pays au moins et dans treize protectorats, distribué
la littérature sur la foi en vingt-neuf langues nouvelles, accueilli
une reine dans les rangs des défenseurs de leur cause, et enfin, ils
avaient commencé une entreprise qui leur permit, tandis que la fin de
ce siècle approchait, de terminer la décoration extérieure
de leur seconde maison d'adoration, et de donner une heureuse conclusion à
la première étape du plan de propagation mondiale et systématique
de leur foi, conçu par 'Abdu'l-Baha. Un retour en arrière sur les événements tumultueux de
ce siècle montre que les rois, les empereurs et les princes de l'Orient
comme ceux de l'Occident avaient, soit ignoré les appels des fondateurs
de la foi, soit tourné leur message en dérision, soit encore ordonné
l'exil et le bannissement de ces fondateurs, persécuté sauvagement
leurs fidèles ou tenté avec acharnement de discréditer
leurs enseignements. La colère du Tout-Puissant les frappa; beaucoup
d'entre eux perdirent leur trône, certains virent leur dynastie s'éteindre,
quelques-uns furent assassinés ou couverts de honte, d'autres furent
impuissants devant la désagrégation catastrophique de leurs royaumes,
d'autres encore furent rétrogradés, n'occupant plus que des positions
secondaires dans leurs propres pays. Le calife, ennemi insigne de la foi, qui
avait brandi l'épée contre le fondateur de la foi, et à
trois reprises avait donné l'ordre de le bannir, mordit la poussière,
et son effondrement déshonorant rappelle le sort identique que la hiérarchie
juive, principale persécutrice de Jésus-Christ, avait enduré
il y a presque deux mille ans, au premier siècle de l'ère chrétienne,
de la part de ses maîtres romains. Des membres de divers ordres sacerdotaux,
shi'ah, sunnite, zoroastrien et chrétien, avaient furieusement attaqué
la foi, traité ses défenseurs comme des hérétiques,
et travaillé sans relâche à disloquer son organisation et
à saper ses fondements. Les plus redoutables et les plus hostiles parmi
ces ordres furent renversés ou pratiquement démembrés,
d'autres virent décliner rapidement leur prestige et leur influence,
et tous eurent à subir le choc d'une puissance séculaire, agressive,
déterminée à réduire leurs privilèges et
affirmer sa propre autorité. Des apostats, des rebelles, des traîtres,
des hérétiques avaient fait tous leurs efforts, ouvertement ou
en secret, pour miner la fidélité des croyants de cette foi, pour
les diviser ou attaquer leurs institutions. Un par un, ces ennemis furent confondus,
dispersés, balayés et oubliés, petit à petit pour
certains, avec une rapidité dramatique pour d'autres. Bon nombre de gens
s'étaient permis de sortir de l'ombre de la foi: Personnalités
marquantes, disciples de première heure, champions des plus notables,
fidèles et compagnons d'exil des fondateurs, secrétaires généraux
et secrétaires particuliers de l'auteur et du Centre de son covenant,
y compris même quelques parents de la manifestation elle-même, sans
oublier le successeur nominal du Bab et le fils de Baha'u'llah
dont il parla dans le livre de son covenant; ils avaient jeté l'opprobre
sur la foi par des actes d'infamie ineffaçables, et provoqué des
crises d'une ampleur jamais atteinte par aucune religion dans le passé.
[...] Page 395 Tous, sans exception, furent déchus des enviables positions qu'ils occupaient;
un grand nombre d'entre eux vécurent assez longtemps pour assister à
l'échec de leurs projets, d'autres tombèrent dans l'avilissement
et la misère, et tous furent dans l'impuissance absolue d'altérer
l'unité ou d'arrêter la marche de la foi qu'ils avaient si honteusement
trahie. Ministres, ambassadeurs et autres dignitaires d'Etat avaient comploté
avec persistance pour dénaturer son but, s'efforçant méchamment
de détruire ses fondements, et avaient machiné les exils successifs
de ses fondateurs. Par leurs complots, ils avaient, sans le savoir, provoqué
leur propre chute, perdu la confiance de leurs souverains, bu jusqu'à
la lie la coupe de la disgrâce, et irrévocablement fixé
leur propre sort. L'humanité elle-même, pervertie et totalement
indifférente, avait refusé de prêter l'oreille aux appels
et avertissements réitérés lancés par les deux fondateurs
jumeaux de la foi, et transmis plus tard par le Centre du covenant dans ses
discours publics en Occident. Elle s'était jetée dans deux guerres
dévastatrices d'une gravité sans précédent, qui
déréglèrent l'équilibre de la société,
fauchèrent sa jeunesse, et qui l'ébranlèrent jusqu'en ses
racines. Par contre, grâce a leur fidélité à une
cause aussi puissante et à leur réponse à ses appels, les
faibles, les obscurs et les opprimés avaient pu accomplir des exploits
d'une valeur et d'un héroïsme tels qu'ils égalèrent,
et dans certains cas firent pâlir, les prouesses de ces hommes et de ces
femmes d'une renommée immortelle, dont les noms et les actes rehaussent
les annales spirituelles de l'humanité. Malgré les atteintes portées à sa force naissante, au
dehors par les détenteurs de l'autorité temporelle et spirituelle,
et au dedans par des ennemis au coeur ténébreux, la foi de Baha'u'llah,
loin de se briser ni de fléchir, était devenue de plus en plus
forte et avait avancé de victoire en victoire. A vrai dire, lue convenablement,
son histoire peut être considérée comme se résumant
en une série de pulsations, de crises et de triomphes alternés
qui la menèrent toujours plus près de sa destinée divinement
fixée. Au déchaînement de fanatisme sauvage qui accueillit
la naissance de la révélation proclamée par le Bab,
à l'arrestation de celui-ci et à sa captivité ensuite,
avaient suivi la rédaction des lois de sa dispensation, l'institution
de son covenant, l'inauguration de cette dispensation, à Badasht, et
la revendication publique de son rang, à Tabriz. Aux soulèvements
généralisés, encore plus violents dans les provinces, à
l'exécution du Bab lui-même, à l'effusion de sang
qui suivit celle-ci et à l'emprisonnement de Baha'u'llah
dans le Siyah-Chàl, avaient succédé le lever de
l'aube de la révélation Baha'i, dans ce cachot. Après
le bannissement de Baha'u'llah en 'Iraq, sa retraite dans
le Kurdistàn, le trouble et la détresse qui s'emparèrent
de ses condisciples à Baghdad, on avait assisté à
la restauration de la communauté babi, qui avait abouti à
la déclaration de la mission de Baha'u'llah au jardin de
Najibiyyih. [...] Page 396 Au décret du sultàn 'Abdu'l-'Aziz, l'invitant à se rendre
à Constantinople, et à la crise provoquée par Mirza
Yahya avait succédé la proclamation de cette mission, aux
têtes couronnées et aux chefs ecclésiastiques de la terre.
L'exil de Baha'u'llah à la colonie pénitentiaire
d'Akka, avec tous les tourments et souffrances qu'il entraîna,
avait à son tour abouti à la promulgation des lois et ordonnances
de sa révélation et à l'institution de son covenant, dernier
acte de sa vie. Après les épreuves atroces dues à la rébellion
de Mirza Muhammad 'Ali et de ses associés, la foi de Baha'u'llah
avait été introduite en Occident, et les restes mortels du Bab
avaient été transférés en Terre sainte. Le nouvel
emprisonnement d'Abdu'l-Baha ainsi que les dangers et les inquiétudes
qui en découlaient avaient mené à la chute d'Abdu'l-Hamid,
à la libération d'Abdu'l-Baha, à l'ensevelissement
de la dépouille mortelle du Bab sur le mont Carmel, et aux voyages
triomphaux du Centre du covenant lui-même, en Europe et en Amérique.
Le début d'une guerre mondiale dévastatrice et l'aggravation des
dangers auxquels le pacha jamàl et les briseurs du covenant avaient exposé
'Abdu'l-Baha avaient amené la révélation des tablettes
du Plan divin, la fuite de ce commandant autoritaire et la libération
de la Terre sainte, un rehaussement du prestige de la foi au centre mondial
et une expansion sensible des activités dans les deux parties du monde.
Le décès d'Abdu'l-Baha et la perturbation provoquée
par cette disparition avaient été suivis par la publication de
son testament, l'inauguration de l'âge de formation de l'ère Baha'i
et l'établissement des bases d'un ordre administratif d'une portée
mondiale. Et finalement, à la mainmise des briseurs du covenant sur les
clefs du tombeau de Baha'u'llah, à l'occupation forcée
de sa maison de Baghdad, par la communauté shi'ah, au déchaînement
des persécutions en Russie et à l'expulsion de la communauté
Baha'i d'Egypte hors du sein de l'islam, avaient succédé
l'affirmation publique, par les fidèles d'Orient et d'Occident, du statut
religieux indépendant de la foi, l'acceptation de ce statut à
son centre mondial, le jugement du Conseil de la Société des Nations
attestant le bien-fondé des revendications de la foi, l'agrandissement
remarquable du champ des activités pour l'enseignement international
ainsi que l'enrichissement de la littérature Baha'i, les témoignages
de foi qu'une personnalité royale donna sur l'origine divine de cette
cause, et l'achèvement de la décoration extérieure de la
première maison d'adoration, dans le monde occidental. Les épreuves qui accompagnèrent le développement progressif
de la foi de Baha'u'llah ont certes dépassé en gravité
celles que les religions précédentes ont endurées. A la
différence de celles-ci cependant, ces épreuves ne réussirent
aucunement à entamer Son unité ni à créer, même
momentanément, une brèche dans les rangs des croyants. Non seulement
elle a survécu à ces rudes expériences, mais elle en est
sortie purifiée et inviolée, douée d'une capacité
plus grande pour affronter et surmonter toute crise que sa marche irrésistible
pourrait engendrer dans l'avenir. [...] Page 397 Certes, des tâches considérables furent accomplies et de grandioses
victoires furent remportées en l'espace d'un siècle par cette
foi durement éprouvée, mais cependant invincible. Ses tâches
inachevées et ses victoires à venir, telles qu'elles se présentent
au seuil du second siècle Baha'i, sont encore plus grandes. Dans
la courte période des cent premières années de son existence,
elle réussit à répandre sa lumière sur cinq continents,
à installer ses avant-postes dans les coins les plus reculés de
la terre, établir son covenant avec toute l'humanité sur une base
inébranlable, édifier la structure de son ordre administratif
mondial, rejeter de nombreuses chaînes qui empêchaient son émancipation
totale et sa reconnaissance universelle, enregistrer ses premières victoires
sur ses adversaires royaux, politiques et ecclésiastiques, et lancer
la première de ses croisades systématiques pour la conquête
spirituelle de toute la planète. Toutefois, l'institution qui remplira ses fonctions dans un lieu tout proche
du centre spirituel mondial, dernière étape dans la construction
du cadre de l'ordre administratif de la foi, est encore à fonder. (Cette
institution suprême, la Maison Universelle de Justice, a été
pour la première fois, élue le 21 avril 1963, par les membres
des assemblées nationales Baha'i de tous les pays du monde, rassemblés à Haïfa, le centre mondial). La
foi elle même n'est pas complètement débarrassée
des chaînes de l'orthodoxie religieuse, condition préalable essentielle
à sa reconnaissance universelle et à l'avènement de son
ordre mondial. Il reste à lancer une série de campagnes destinées
à étendre, conformément au plan d'Abdu'l-Baha, l'action
bienfaisante de son organisation à tous les pays et à toutes les
îles où les bases fondamentales de son ordre administratif ne sont
pas établies. L'étendard de Ya Baha'u'l-Abha
qui, comme le prédit 'Abdu'l-Baha, flottera au pinacle du siège
le plus avancé de la culture dans le monde de l'islam, n'est pas
déployé. La demeure suprême, destinée à devenir
un centre de pèlerinage, comme l'ordonne Baha'u'llah dans
son Kitab-i-Aqdas, n'est pas libérée jusqu'à présent.
Le troisième Mashriqu'l-Adhkar, qui sera dédié à
la gloire de Baha'u'llah et dont l'emplacement vient d'être
acheté, ainsi que les dépendances des deux maisons d'adoration
déjà érigées dans l'Est et dans l'Ouest ne sont
pas édifiés(En 1976, six maisons d'adoration ont été
construites : sur les continents asiatique, américain, africain, australien,
européen et en Amérique latine). La partie supérieure du
mausolée du Bab, le dôme qui, d'après 'Abdu'l-Baha,
doit couronner ce monument, n'est pas encore construite (Ce tombeau est complètement
terminé depuis 1950). [...] Page 398 La codification du Kitab-i-Aqdas, livre mère de la révélation
Baha'i, et la promulgation systématique des lois et ordonnances
ne sont pas même commencées (Une 1ère publication de certaines
parties des textes législatifs du livre de lois de Baha'u'llah
a été faite, en anglais, par la Maison Universelle de justice,
en 1973). Les premières mesures en vue de créer des tribunaux
Baha'i, investis du droit légal d'appliquer et de faire exécuter
ces lois et ordonnances, sont encore à prendre. La restitution du premier
(Ce 1er édifice, construit sous l'égide d'Abdu'l-Baha et
confisqué en 1938 par les autorités russes, a finalement été
détruit en 1948 par un tremblement de terre). Mashriqu'l-Adhkar
et le rétablissement de la communauté qui le construisit avec
un si grand dévouement doivent être opérés. Le souverain
annoncé dans le très saint Livre de Baha'u'llah,
qui rehaussera l'éclat de la couronne dans son pays natal, qui étendra
l'ombre de sa protection royale sur les croyants Baha'i longtemps persécutés,
n'est toujours pas découvert. La lutte qui, comme le prédit Abdu'l-Baha,
suivra forcément les attaques lancées de concert par les chefs
de religions, jusqu'ici indifférents aux progrès de la foi, n'a
pas encore eu lieu. L'âge d'or de la foi lui-même, qui, sous l'influence
et l'impulsion des énergies créatrices libérées
par l'ordre mondial de Baha'u'llah, doit voir l'unification de
tous les peuples et de toutes les nations du monde, l'établissement de
la paix suprême, l'instauration du royaume du Père sur la terre,
la naissance de l'âge mûr pour toute la race humaine et l'avènement
d'une civilisation mondiale, cet âge d'or, éclatant d'une splendeur
estivale, n'est pas encore né, et ses merveilles ne peuvent être
soupçonnées. Quoi qu'il puisse arriver à cette foi de Dieu, encore dans l'enfance,
au cours des futures décennies ou dans la suite des siècles,
quels que soient les tristesses, les dangers et les adversités que
déclenchera la prochaine phase de son développement mondial,
quelle que soit l'origine des attaques que ses ennemis présents ou
futurs puissent déchaîner contre elle, si grands soient les revers
et les retours en arrière qu'elle subira, nous, qui avons eu le privilège
de comprendre, selon la profondeur de nos esprits limités, la signification
de ces prodigieux événements contemporains de sa naissance et
de son établissement, nous ne pouvons absolument pas douter que l'oeuvre
déjà accomplie pendant les cent premières années
de son existence soit suffisante pour garantir que cette foi continuera d'aller
de l'avant, s'élevant à des plans supérieurs, abattant
tous les obstacles, découvrant de nouveaux horizons, et remportant
des victoires encore plus grandioses jusqu'à ce que sa mission glorieuse,
se poursuivant à travers la nuit des temps à venir, soit totalement
accomplie.
CHAPITRE XXVI: Examen rétrospectif et perspectives d'avenir