La chronique
de Nabil
Nabil-i-A'zam
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Epilogue
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Jamais la fortune de la foi proclamée par le Bab n'était tombée si bas, lorsque
Baha'u'llah fut exilé, de sa Perse natale, vers l'Iraq La cause pour laquelle
le Bab avait donné sa vie, pour laquelle Baha'u'llah avait peiné et souffert,
semblait au bord même de l'extinction. Sa force paraissait avoir été tarie et
sa résistance, irrémédiablement brisée. Découragements et désastres, chacun plus
dévastateur l'un que l'autre dans ses effets, s'étaient succédés avec une rapidité
déconcertante, sapant la vitalité de la cause et brisant les espérances de ses
plus ardents défenseurs. En réalité, pour un lecteur superficiel du récit de Nabil,
l'histoire tout entière, depuis son origine même, apparaît telle une simple énumération
de revers et de massacres, d'humiliations et de désillusions, chacun plus cruel
que le précédent, culminant enfin par le bannissement de Baha'u'llah de son propre
pays. Pour le lecteur sceptique, peu enclin à reconnaître la céleste puissance
dont fut dotée cette foi, tout le plan qui s'était développé dans l'esprit de
son auteur semble avoir été condamné à l'échec. L'oeuvre du Bab, si glorieusement
conçue, si héroïquement entreprise, semblerait s'être terminée dans un désastre
gigantesque. Pour un tel lecteur, la vie de l'infortuné jeune homme de Shiraz
semblerait, à la lumière des coups cruels qu'elle a subis, l'une des plus tristes
et des plus stériles qui fut jamais le lot d'un mortel. Cette courte et héroïque
carrière qui, rapide, tel un météore, étincelât à travers le firmament de la Perse
et qui parut, pour un temps, avoir apporté la lumière du salut éternel tant attendue
au milieu des ténèbres qui enveloppaient le pays, fut plongée dans un abîme d'obscurité
et de désespoir.
Chacun de ses pas, chacun de ses efforts, n'avaient contribué qu'à intensifier
les souffrances et les déceptions qui pesaient sur son âme. Le plan qu'il avait
conçu, dès le début de son ministère, d'inaugurer sa mission par une proclamation
publique dans les villes saintes de La Mecque et de Médine, ne put se réaliser
comme il l'avait espéré. Le sharif de La Mecque, à qui Quddus fut prié de délivrer
son message, lui réserva un accueil qui trahissait, par sa glaciale indifférence,
le mépris dans lequel la cause du jeune homme de Shiraz était tenue par le souverain
de Hijaz et gardien de sa Ka'bih.
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Le projet qu'il nourrissait de revenir triomphalement de son pèlerinage par les
villes de Karbila et de Najaf, où il espérait établir sa cause, au coeur même
de cette citadelle de l'orthodoxie shi'ah, fut également anéanti sans retour.
Le plan qu'il avait conçu et dont il avait déjà communiqué l'essentiel à ses dix-neuf
disciples élus, demeurait en grande partie inachevé. La modération à laquelle
il les avait exhortés fut oubliée dans la première vague d'enthousiasme qui s'empara
des premiers missionnaires de sa foi et ce comportement fut, dans une mesure non
négligeable, à l'origine de l'échec des espoirs qu'il avait si chèrement caressés.
Le mu'tamid, ce chef sagace et avisé, après avoir si habilement écarté le danger
qui menaçait cette précieuse vie, et qui avait montré sa capacité à lui rendre
des services tels que peu de ses plus modestes compagnons eussent pu espérer lui
offrir, lui fut subitement enlevé, le laissant à la merci du perfide Gurgin Khan,
le plus détestable et le plus malhonnête de tous ses ennemis. L'unique chance
du Bab de rencontrer Muhammad Shah-une rencontre qu'il avait lui-même sollicitée
et sur laquelle il avait fondé ses plus chers espoirs-fut ruinée par l'intervention
du lâche et capricieux Haji Mirza Aqasi qui tremblait à cette pensée, craignant
que sa rencontre avec le souverain, déjà suffisamment enclin à sympathiser avec
cette cause, ne s'avère fatale à ses propres intérêts. Les tentatives, inspirées
et préconisée par le Bab, qu'avaient faites deux de ses principaux disciples,
Mullà 'Aliy-i-Bastami et Shaykh Sa'id-i-Hindi, d'introduire la foi-l'un en territoire
ottoman, l'autre en Inde-échouèrent lamentablement. La première tentative s'effondra
dès son début par le cruel martyre de son promoteur, alors que la seconde produisait
ce qui pourrait paraître un résultat négligeable, à savoir la conversion d'un
certain siyyid dont la carrière mouvementée fut soudainement brisée au Luristan
par l'action du perfide Ildirim Mirza. La captivité à laquelle fut condamné le
Bab lui-même durant la plus grande partie de son ministère; son isolement dans
les montagnes fortifiées de l'Adhirbayjan, loin du corps de ses disciples cruellement
éprouvés par un ennemi rapace; par-dessus tout, la tragédie de son propre martyre,
si intense, si terriblement humiliante-tout cela semblerait avoir marqué les abîmes
d'ignominie qu'une cause aussi noble était, dès sa naissance même, condamnée à
subir. Sa mort, point culminant d'une carrière brève et orageuse, semblerait avoir
imprimé le sceau de l'échec à une tâche qui-si héroïque fût-elle dans les efforts
qu'elle inspira-ne put être accomplie.
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Si grandes qu'aient pu être ses souffrances, l'agonie qu'il eut à endurer n'était
qu'une goutte d'eau comparée à l'océan des calamités qui devaient accabler la
foule de ses disciples déclarés. La coupe de souffrance qui avait touché ses lèvres
devait encore être bue jusqu a la lie par ceux qui lui survécurent. La catastrophe
de Shaykh Tabarsi, qui le priva de ses deux adjoints les plus capables, Quddus
et Mulla Husayn, et qui anéantit pas moins de trois cent treize de ses fidèles
compagnons, fut le coup le plus cruel qui lui ait été jusqu'alors asséné, et enveloppa
d'un voile d'obscurité les derniers jours de sa vie déclinante. La bataille de
Nayriz, avec ses horreurs et ses cruautés, impliquant comme elle le fit la perte
de Vahid, le plus savant, le plus influent et le plus accompli des disciples du
Bab, fut un coup supplémentaire porté aux ressources et au nombre de ceux qui
continuaient à tenir bien haut le flambeau en leurs mains. Le siège de Zanjan,
suivant de près le désastre qui avait frappé la foi à Nayriz, et marqué par les
massacres auxquels le nom de cette province restera à jamais associé, réduisit
encore davantage les rangs des défenseurs de la foi, et les priva du soutien que
leur apportait la présence de Hujjat. Avec lui disparaissait la dernière figure
marquante parmi les dirigeants représentatifs de la foi, qui dominaient, du fait
de leur autorité religieuse, de leur savoir, de leur intrépidité et de leur force
de caractère, la masse de leurs condisciples. L'élite des disciples du Bab avait
été fauchée au cours d'un impitoyable carnage, laissant derrière elle un immense
groupe de femmes et d'enfants enchaînés, qui gémissaient sous le joug d'un implacable
ennemi. Leurs chefs qui, tant par leur savoir que par leur exemple, avaient nourri
et soutenu la flamme qui brillait en ces coeurs vaillants, avaient également péri;
leur oeuvre était apparemment abandonnée au milieu de la confusion qui affligea
cette communauté persécutée.
De tous ceux qui s'étaient montrés capables de poursuivre l'oeuvre confiée par
le Bab à ses disciples, seul demeurait Baha'u'llah. (ep.1)
Mirza Yahya, le chef nominal du groupe qui survécut au Bab, avait honteusement
cherché refuge dans les montagnes du Mazindaran, loin des périls du tourbillon
qui s'était emparé de la capitale. Déguisé en dervish, le kashkul (ep.2)
en main, il avait déserté ses compagnons et avait fui la scène du danger pour
les forêts de Gilan. Siyyid Husayn, le secrétaire du Bab, et Mirza Ahmad, son
collaborateur, étaient tous deux très versés dans les enseignements et les implications
du Bayàn récemment révélé et, grâce à leur intimité avec leur maître et à leur
familiarité avec les préceptes de sa foi, ils furent en mesure d'en éclairer la
compréhension et d'en consolider les fondements; ces deux compagnons gisaient
enchaînés dans le siyah-chal de Tihran, totalement coupés du corps des croyants
qui avaient tant besoin de leurs conseils, tous deux étaient condamnés à subir
un précoce et cruel martyre.
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Même l'oncle maternel du Bab qui, depuis sa tendre enfance, l'avait entouré d'une
sollicitude paternelle qu'aucun père n'aurait pu surpasser, qui lui avait rendu
d'insignes services lorsque débutèrent ses souffrances à Shiraz et qui, s'il avait
été admis à lui survivre ne fût-ce que de quelques années, aurait pu rendre d'inestimables
services à sa cause, languissait en prison, abandonné et sans espoir de jamais
poursuivre la tâche qui était si chère à son coeur. Tahirih, cet ardent emblème
de sa cause qui, par son indomptable courage, son caractère impétueux, son invincible
foi, son ardeur et son vaste savoir, sembla pour un temps capable de gagner à
la cause de son Bien-Aimé toutes les femmes de la Perse, tomba, hélas! à l'heure
même où la victoire semblait proche, victime de la colère d'un ennemi calomniateur.
L'influence de son oeuvre, dont le cours fut si prématurément interrompu, paraissait
à ceux qui la veillaient, alors qu'on la déposait dans le puits qui lui servit
de tombe, avoir été totalement éteinte. Les autres Lettres du Vivant avaient péri
par l'épée ou demeuraient en prison, ou bien encore menaient une vie obscure dans
quelque lointain recoin du royaume. Les volumineux écrits du Bab subirent, pour
la plupart, un sort tout aussi humiliant que celui qui avait frappé ses disciples.
Plusieurs de ses abondants ouvrages furent entièrement oblitérés, d'autres furent
déchirés et réduits en cendres, et le reste constituait une masse de manuscrits
désorganisés et indéchiffrés, cachés de manière précaire et largement disséminés
parmi ses compagnons survivants.
La foi qu'avait proclamée le Bab et pour laquelle il avait tout donné avait, en
vérité, atteint son point le plus bas. Les feux allumés contre elle avaient presque
consumé la trame dont dépendait la continuité de son existence. Les ailes de la
mort semblaient planer au-dessus d'elle. L'extermination, complète et irrémédiable,
paraissait menacer sa vie même. Au milieu des ombres qui l'enveloppaient rapidement,
seule la figure de Baha'u'llah brillait en tant que messager potentiel d'une cause
qui allait promptement vers sa fin. Les marques de claire vision, de courage et
de sagacité qu'il avait manifestées à plus d'une occasion, depuis qu'il s'était
levé pour défendre la cause du Bab, semblaient le qualifier, si sa vie et son
existence en Perse étaient assurées, à ranimer la fortune d'une foi expirante.
Mais cela ne devait pas être. Une catastrophe, sans exemple dans toute l'histoire
de cette foi, précipita une persécution plus féroce que jamais et, cette fois,
attira dans son tourbillon la personne même de Baha'u'llah.
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Les vagues espoirs qu'entretenaient encore le reste des croyants furent brisés
au milieu de la confusion qui s'ensuivit. Car Baha'u'llah, leur unique espoir
et seul objet de leur confiance, était si frappé par la violence de cette tempête
que l'on ne pouvait plus désormais croire à la possibilité d'un redressement.
Après qu'il eut été dépouillé de toutes ses possessions à Nur et à Tihran, dénoncé
en tant que premier instigateur d'un ignoble attentat à la vie de son souverain,
abandonné par les siens et méprisé par ses anciens amis et admirateurs, plongé
dans un cachot obscur et pestilentiel et enfin, en compagnie des membres de sa
famille, envoyé vers un exil sans retour au-delà des confins de son pays natal,
tous les espoirs qui s'étaient centrés autour de lui en qualité d'éventuel rédempteur
d'une foi meurtrie semblèrent, pour un temps, s'être complètement évanouis.
Il n'est pas surprenant que Nasiri'd-Din Shah, sous le regard et l'impulsion duquel
étaient portés de tel coups, s'enorgueillit déjà d'être le destructeur d'une cause
contre laquelle il avait lutté si farouchement et qu'il avait enfin, selon toute
apparence, été capable d'écraser. Comment s'étonner qu'il imaginât, lorsqu'il
songeait aux stades successifs de sa vaste et sanguinaire entreprise, que, par
l'acte de bannissement signé de sa main, il sonnait le glas de cette odieuse hérésie
qui avait engendré une si grande terreur dans les coeurs de ses sujets. Il semblait
à Nasiri'd-Din Shah, à ce moment suprême, que le maléfice de cette terreur était
brisé, que la vague qui avait déferlé sur son pays s'éloignait enfin et ramenait
à ses concitoyens la paix à laquelle ils aspiraient. A présent que le Bab n'était
plus, que les puissants piliers qui soutenaient sa cause avaient été réduits en
poussière, que la masse de ses adeptes à travers tout l'empire était terrorisée,
épuisée, que Baha'u'llah lui-même, le seul espoir d'une communauté privée de son
chef, avait été exilé et avait, de son propre gré, cherché refuge dans le voisinage
de la citadelle du fanatisme shi'ah, le spectre qui avait hanté le Shah depuis
son ascension au trône s'était évanoui à jamais. Jamais plus, songeait-il, il
n'entendrait parler de ce détestable mouvement qui, selon ses meilleurs conseillers,
régressait rapidement vers les ombres de l'impuissance et de l'oubli. (ep.3)
Même pour les disciples de la foi qui survécurent aux abominations perpétrées
contre leur cause, même pour cette petite caravane, frayant son chemin au coeur
de l'hiver à travers les pentes neigeuses des montagnes bordant 1''Iraq, (ep.4)
la cause du Bab pouvait pour un temps, comme on peut se l'imaginer, sembler avoir
échoué dans l'accomplissement de son dessein.
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Les forces obscures qui l'avaient encerclée de tous côtés semblaient avoir enfin
triomphé en éteignant la lumière que le jeune Prince de Gloire avait allumée dans
son pays.
Aux yeux de Nasiri'd-Din Shah, en tout cas, le pouvoir qui semblait, pour un temps,
avoir balayé dans son orbite l'ensemble des forces de son royaume, avait cessé
de compter. Voué à l'échec dès sa naissance même, il avait été finalement obligé
de se rendre devant la violence des coups portés par l'épée impériale. La foi
avait subi une dislocation certainement bien méritée. Le Shah, délivré de sa malédiction
qui, de nombreuses nuits durant, l'avait privé de sommeil, pouvait à présent,
avec une attention sans faille, entreprendre la tâche consistant à sauver son
pays des effets dévastateurs de cette énorme tromperie. Désormais sa réelle mission,
comme il la concevait, était de permettre à la fois au clergé et à l'Etat de consolider
leurs fondements et de renforcer leurs rangs contre l'intrusion de semblables
hérésies qui pourraient, à l'avenir, empoisonner la vie de ses sujets.
Combien vains furent ses phantasmes, combien vastes ses propres illusions! La
cause qu'il espérait avoir écrasée vivait encore, destinée à émerger de cette
grande convulsion, plus forte, plus pure, plus noble que jamais. La cause qui,
selon ce stupide monarque, paraissait se précipiter vers sa destruction, passait
en vérité par les terribles épreuves d'une phase transitoire qui devait lui faire
franchir une étape de plus sur la voie de sa haute destinée. Un nouveau chapitre
de son histoire était en train de se dérouler, plus glorieux que tous ceux qui
avaient marqué sa naissance ou son développement. La répression par laquelle ce
monarque avait cru parvenir à sceller la condamnation de la cause ne fut que le
stade initial d'une évolution destinée a produire, quand les temps seront révolus,
une révélation plus puissante que celle que le Bab lui-même avait proclamée. La
graine que sa main avait semée, bien que soumise pour un temps à la furie d'une
tempête d'une violence inouïe et, ultérieurement, transplantée dans une terre
étrangère, devait continuer à se développer et à donner, en temps opportun, un
arbre destiné à étendre son ombre sur toutes les tribus et sur tous les peuples
de la terre. Même si les disciples du Bab furent torturés et assassinés, ses compagnons
humiliés et écrasés; même si ses adeptes déclinèrent en nombre; même si la voix
de la foi elle-même put être réduite au silence par l'armée de violence; même
si le désespoir gagna la cause; même si ses plus valeureux défenseurs purent apostasier
leur foi, aucune main ne put cependant ravir la promesse enchâssée dans sa parole,
aucun pouvoir ne fut en mesure d'entraver sa germination et son développement.
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En vérité, les premières lueurs de la révélation naissante, dont le Bab s'était
lui-même déclaré le héraut, à l'imminence et à la certitude de laquelle il avait
si souvent fait allusion, (ep.5) pouvaient déjà être discernées,
au milieu des ténèbres qui encerclaient Baha'u'llah dans le siyah-chal de Tihran.
(ep.6) La force qui, née de la révélation capitale apportée
par le Bab, devait ensuite se déployer dans toute sa gloire et embrasser le globe,
palpitait déjà dans les veines de Baha'u'llah alors qu'il gisait dans sa cellule,
menacé par l'épée de son bourreau. La voix tranquille qui, à l'heure d'amère agonie,
annonça au prisonnier la révélation dont il devait être le porte-parole, ne pouvait,
certes, être parvenue à l'oreille du monarque qui se préparait à célébrer l'extinction
de la foi dont son prisonnier était le champion. Cet emprisonnement qu'il avait
provoqué, qui, croyait-il, avait entaché d'infamie la renommée de Baha'u'llah,
et qui était le prélude à un bannissement plus humiliant encore vers 1''Iraq,
fut en réalité la scène même qui vit les premiers remous de ce mouvement dont
Baha'u'llah devait être l'auteur, un mouvement qui devait d'abord se faire connaître
dans la ville de Baghdad puis être proclamé, de la ville-prison d' 'Akkà, au Shah
ainsi qu'aux autres dirigeants et aux têtes couronnées du monde.
Nàsiri'd-Din Shah ne pouvait guère imaginer que, par l'acte prononçant la sentence
de bannissement à l'encontre de Baha'u'llah, il contribuait à révéler l'irrépressible
dessein de Dieu, et qu'il n'était lui-même qu'un instrument de l'exécution de
ce dessein. Il ne pouvait guère imaginer que son règne, qui touchait à sa fin,
connaîtrait une renaissance de ces mêmes forces qu'il avait si ardemment cherché
à exterminer-une renaissance qui manifesterait une vitalité dont il n'aurait jamais
cru, aux heures du plus noir désespoir, que cette foi était capable. Non seulement
à l'intérieur de son propre royaume, (ep.7) à travers les
territoires adjacents de 1' 'Iraq et de la Russie, mais aussi loin que l'Inde
en Orient, (ep.8) que l'Égypte et la Turquie d'Europe en Occident,
une recrudescence de la foi telle qu'il ne l'avait jamais Soupçonnée l'éveilla
des rêves dans lesquels il s'était complu. La cause du Bab semblait comme ressuscitée
de la mort. Elle apparaissait sous une forme infiniment plus redoutable que par
le passé. Le nouvel élan que, malgré les calculs du souverain, la personnalité
de Baha'u'llah et, par-dessus tout, la force inhérente à la révélation avaient
imprimé à la cause du Bab, fut tel que Nàsiri'd-Din Shah ne l'avait jamais imaginé.
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La rapidité avec laquelle une foi en sommeil avait été ravivée et consolidée sur
le territoire de la Perse; sa propagation
PHOTO: maison de Baha'u'llah à Baghdad
dans les États situés au-delà des frontières; les stupéfiantes affirmations avancées
par Baha'u'llah presque au centre de la forteresse où il avait choisi de résider;
la déclaration publique de ces affirmations en Turquie d'Europe, et sa proclamation
dans des épîtres qui interpellent les têtes couronnées du globe, et dont le Shah
lui-même était destiné à en recevoir une; l'enthousiasme que Suscita cette annonce
dans les coeurs d'innombrables disciples; le transfert en Terre sainte du centre
de sa cause; le relâchement progressif de la sévérité de son emprisonnement, qui
marqua les derniers jours de sa vie;
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l'abolition de l'interdiction imposée par le sultan ottoman à sa rencontre avec
les visiteurs et les pèlerins qui affluaient, de diverses régions de l'Orient,
vers sa prison; l'éveil de l'esprit de recherche parmi les penseurs de l'Occident;
la totale dislocation des forces qui avaient tenté de provoquer un schisme dans
les rangs de ses disciples, et le sort qui avait frappé son principal instigateur;
avant tout, la sublimité des enseignements dont abondaient ses ouvrages publiés
qui étaient lus, diffusés et enseignés par un nombre toujours croissant d'adeptes
au Turkestan russe, en 'Iraq, en Inde, en Syrie et jusqu'en Turquie d'Europe-tels
furent les principaux facteurs qui révélèrent aux yeux du Shah le caractère invincible
d'une foi qu'il croyait avoir maîtrisée et détruite. L'inanité de ses efforts-quoi
qu'il pût faire pour chercher à dissimuler ses sentiments-n'était que trop manifeste.
La cause du Bab, dont il avait lui-même observé la naissance et les tribulations,
et dont il constatait à présent les progrès triomphants, renaissait de ses cendres,
tel un phénix, et s'avançait rapidement sur la voie qui la conduirait à des réalisations
insoupçonnées. (ep.9)
Nabil lui-même pouvait difficilement imaginer que, vingt ans après avoir écrit
son récit, la révélation de Baha'u'llah, la fleur et le fruit de toutes les dispensations
du passé, aurait été capable de progresser si loin sur la voie de sa reconnaissance
et de son triomphe universels. Il ne pouvait imaginer que, moins de quarante ans
après la mort de Baha'u'llah, sa cause, faisant irruption au-delà des frontières
de la Perse et de l'Orient, aurait pénétré dans les régions les plus lointaines
du globe et embrassé la terre entière. Il n'aurait guère cru à la prédiction,
si on la lui avait faite, que la cause aurait, durant cette période, planté sa
bannière au coeur du continent américain, qu elle se serait fait connaître dans
les principales capitales d'Europe, qu'elle aurait atteint les confins méridionaux
de l'Afrique et aurait établi ses avant-postes jusqu'en Australasie. Son imagination,
bien qu'entraînée par une ferme conviction quant au destin de sa foi, n'aurait
pu lui dépeindre le tombeau du Bab (il avoue ignorer l'ultime destination des
reliques de ce dernier), serti au coeur du Carmel, lieu de pèlerinage et phare
pour tant de visiteurs venus des extrémités de la terre. Il n'aurait guère pu
imaginer que l'humble demeure de Baha'u'llah, perdue parmi les ruelles tortueuses
du vieux Baghdad, se serait un jour, à la suite des machinations d'un inlassable
ennemi, imposée à l'attention du monde, et qu'elle serait devenue l'objet des
plus sérieuses délibérations de l'assemblée des représentants des grandes puissances
de l'Europe.
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Il n'imaginait point malgré toutes les louanges qu'il lui prodigue dans son récit,
qu'il émanerait de la plus grande Branche (ep.10) un pouvoir
qui, bientôt, aurait éveillé les États d'Amérique du Nord à la gloire de la révélation
que lui a léguée Baha'u'llah. Il n'aurait guère pu imaginer que les dynasties
de ces monarques, dont il relate de manière si vivante les preuves de la tyrannie,
auraient chancelé vers leur chute et auraient subi le sort même que leurs représentants
avaient si désespérément tenté d'infliger à leurs adversaires redoutés. Il n'aurait
pu imaginer que l'ensemble de la hiérarchie religieuse de son pays, principal
responsable et instrument volontaire des abominations accumulées contre sa foi,
serait si rapidement et si facilement renversée par les forces mêmes qu'elle avait
tenté de subjuguer.
PHOTO: vue du tombeau du Bab sur le mont Carmel, illuminé
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Il n'aurait jamais cru que les plus hautes institutions de l'ishim sunni, le sultanat
et le caliphat (ep.11)-ces deux oppresseurs de la foi de
Baha'u'llah-seraient balayées si impitoyablement par les adeptes mêmes de la foi
islamique. Il ne pouvait guère imaginer que, parallèlement à la constante extension
de la cause de Baha'u'llah, les forces de la consolidation et de l'administration
interne progresseraient jusqu'à présenter au monde le spectacle unique d'une communauté
de peuples, universelle dans ses ramifications, unie dans son dessein, coordonnée
dans ses efforts, et mue par un zèle et un enthousiasme qu'aucune adversité ne
saurait éteindre.
Et pourtant, qui sait quelles réalisations, supérieures à toutes celles du passé
et du présent, peuvent encore être réservées à ceux entre les mains desquels a
été confié un si précieux héritage? Qui sait si, du tourbillon qui agite la société
d'aujourd'hui, ne pourrait pas émerger, plus tôt que nous le pensons, l'ordre
mondial de Baha'u'llah, dont les grandes lignes ne sont que vaguement discernées
parmi les communautés qui, de par le monde, portent son nom? Car, si grandes et
prodigieuses qu'aient été les réalisations du passé, la gloire de l'âge d'or de
la cause, dont la promesse est enchâssée dans les paroles immortelles de Baha'u'llah,
doit encore être révélée. Si terrible que puisse paraître l'attaque des forces
des ténèbres destinées à affliger cette cause; si désespéré, si interminable que
puisse être ce combat, et si cruelles les déceptions qu'elle peut connaître encore,
l'ascendant qu'elle obtiendra finalement sera tel qu'aucune autre foi ne l'a jamais
atteint dans son histoire. La transformation des communautés d'Orient et d'Occident
en cette fraternité mondiale qu'ont chantée poètes et visionnaires, et dont la
promesse est au coeur même de la révélation conçue par Baha'u'llah; la reconnaissance
de sa loi en tant qu'indissoluble lien unissant les peuples et les nations de
la terre, et la proclamation du règne de la plus grande paix, ne sont que quelques-uns
des chapitres du glorieux récit que dévoilera l'accomplissement de la foi de Baha'u'llah.
Qui sait si des triomphes, d'une splendeur inégalée, ne sont pas réservés à la
multitude des disciples de Baha'u'llah peinant sur son chemin? Certes, nous sommes
trop proches de l'édifice colossal qu'a érigé sa main pour pouvoir prétendre,
au stade actuel de l'évolution de sa révélation, concevoir la pleine mesure de
sa gloire promise.
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Son histoire passée, tachée du sang d'innombrables martyrs, pourrait bien nous
inspirer l'idée selon laquelle, quoi qu'il puisse advenir à cette cause, si redoutables
que soient les forces qui l'attaqueront encore, si nombreux les revers qu'elle
subira inévitablement, sa marche en avant ne pourra jamais être arrêtée, et elle
continuera à progresser jusqu'à ce que l'ultime promesse, enchâssée dans les paroles
de Baha'u'llah, ait été totalement accomplie.
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NOTE DE L'EPILOGUE:
(ep.1) Mirza Abu'l-Fadl cite, dans son "Far'id' '(pp.
50-51), la remarquable tradition suivante de Muhammad, qui est reconnue comme
une authentique parole du Prophète et à laquelle se réfère Siyyid 'Abdu'l-Vahhab-i-Sha'rani
dans son ouvrage intitulé: "Kitabu'l-Yavaqit-i-va'l-Javahir": "Tous les compagnons
du Qa'im seront tués, sauf Un qui atteindra la plaine d' 'AkKa, la Salle de Banquet
de Dieu." Le texte entier est également mentionné, selon Mirza Abu'l-Fadl, par
Shaykh Ibnu'l-'Arabi dans son "Futuhat-i-makkiyyih."
(ep.2) "Un réceptacle creux, à peu près de la taille
et de la forme d'une noix de coco, autour de l'orifice duquel sont attachées deux
chaînes en quatre points, pour servir de poignée. Est utilisé par les dervishs
comme aumônière." ("A Traveller's Narrative", p. 51, note 3.)
(ep.3) "Excellence, Après l'exécution de ces mesures
énergiques de la part du gouvernement persan en vue de l'extirpation et de l'extermination
de la secte dévoyée et détestable des babis, dont Votre Excellence connaît bien
les détails [allusion à la grande persécution des Babis à Tihran durant l'été
1852], grâce à Dieu, par l'attention de l'esprit impérial de Sa toute-puissante
Majesté, dont le rang est égal à celui de Jamshid, le refuge de la vraie religion
- que nos vies lui soient sacrifiées! -, leurs racines ont été extirpées." (Extrait
d'une lettre adressée par Mirza Sa'id Khan, ex-ministre des Affaires étrangères
de Perse, à l'ambassadeur de Perse à Constantinople, datée du 12 dhu'l-Hijjih
1278 (10 mai 1862). Le fac-similé et la traduction de ce document sont reproduits
dans l'ouvrage d'E.G. Browne intitulé "Materials for the Study of the Babi Religion",
p. 283.)
(ep.4) "Ce fut un terrible voyage à travers des régions
montagneuses, et les voyageurs souffrirent énormément d'être exposés aux intempéries."
(Dr. T.K. Cheyne: "The Reconciliation of Races and Religions", p. 121.)
(ep.5) Mais, autant que sa hardiesse à revendiquer son
autorité divine, remarquable est sa modération lorsqu'il insiste sur le fait que
cette autorité n'est pas définitive. Il se sentait habilité à (et chargé de) révéler
beaucoup de choses mais sentait, avec une égale certitude, qu'il y avait infiniment
plus à révéler dans l'avenir. En cela résidait sa grandeur. Et en cela résidait
son plus grand sacrifice. Ainsi risquait-il l'abaissement de sa renommée personnelle.
Mais il assura la poursuite de sa mission... Il assura le développement du mouvement
qu'il avait lancé. Il n'était lui-même qu une lettre de ce très-puissant livre,
une goutte de cet océan sans limites... Telle fut l'humilité du vrai discernement.
Et elle produisit ses effets. Son mouvement s'est développé, et il a encore devant
lui un grand avenir." (Sir Francis Younghusband: "The Gleam", pp. 210-11.)
(ep.6) Aux jours où j 'étais emprisonné dans la Terre
de Tâ [Tihran], bien que le tourment des chaînes et des odeurs fétides me laissait
peu de sommeil, il arrivait parfois que j'eusse la sensation queo quelque chose
coulait sur ma poitrine, tel un puissant torrent qui, du sommet d'une montagne
altière, se précipite sur la terre. Alors tous mes membres semblaient avoir été
enflammés. A de tels moments, ma langue récitait ce que les oreilles des mortels
ne pouvaient entendre." ("l'Épître au fils du Loup", p. 23.)
(ep.7) Gobineau, écrivant aux alentours de l'an 1865,
atteste ce qui suit: "L'opinion générale est que les Babis sont répandus dans
toutes les classes de la population et parmi tous les religionnaires de la Perse,
sauf les Nusayris et les Chrétiens; mais ce sont surtout les classes éclairées,
les hommes pratiquant les sciences du pays, qui sont donnés comme très suspects.
On pense, et avec raison, semble-t-il, que beaucoup de mullas, et parmi eux des
mujtahids considérables, des magistrats d'un rang élevé, des hommes qui occupent
à la cour des fonctions importantes et qui approchent de près la personne du roi,
sont des Babis.
D'après un calcul fait récemment, il y aurait à Tihran cinq mille de ces religionnaires
sur une population de quatre-vingt mille âmes à peu près. Mais les arguments à
l'appui de ce calcul ne semblent pas bien solides, et j 'incline à croire que
si jamais les Babis avaient le dessus en Perse, leur nombre dans la capitale se
trouverait bien plus considérable. Car au même instant, on devra ajouter au chiffre
des zélés, quel qu'il soit à cette heure, l'appoint d'une forte proportion de
gens qui inclinent vers les doctrines aujourd'hui condamnées, et auxquels la victoire
donnerait le courage de se prononcer." (Comte de Gobineau: Les Religions et les
Philosophies dans l'Asie Centrale", p. 251.)
"Un demi-siècle ne s'est pas écoulé depuis que Mirza 'Ali-Muhammad, le jeune prophète
de Shiraz, commença à prêcher la religion dont les martyrs se comptent par centaines
et les adeptes par centaines de mille, qui parut en un temps menacer la suprématie
tant de la dynastie Qajar que de la foi musulmane en Perse, et qui peut encore
- ce n'est pas improbable - s'avérer un facteur important de l'histoire de l'Asie
occidentale." (E.G.Browne: Introduction au "Tarikh-i-Jadid", p. 7.)
"Le Babisme", écrit le Prof. James Darmesteter, qui s'est propagé en moins de
cinq années d'un confin à l'autre de la Perse, qui, en 1852, fut baigné dans le
sang de ses martyrs, s'est silencieusement développé et propagé. Si la Perse doit
être effectivement régénérée, ce sera par cette nouvelle foi." (Extrait de "Persia:
A Historical and Literary Sketsch", traduit par GEl. Nariman.) Si le Babisme poursuit
sa croissance au rythme actuel, on peut concevoir qu'un temps viendra où il supplantera,
en Perse, la foi islamique.
Ce que, selon moi, il ne serait pas amené à faire s'il apparaissait sur terre
sous la bannière d'une foi hostile. Mais comme ses adeptes sont recrutés parmi
les meilleurs soldats de la garnison qu'il attaque, l'on est plus fondé à croire
qu'il peut finalement prévaloir. Pour ceux qui connaissent tant soit peu le caractère
persan, si extraordinairement sensible comme il l'est aux influences religieuses,
il apparaîtra clairement que la nouvelle croyance réussit à attirer à elle de
nombreuses classes sociales de ce pays.
Les sufis - ou mystiques - soutiennent depuis fort longtemps qu'il doit toujours
y avoir un pir - ou prophète - charnellement visible, et ils sont aisément absorbés
dans le bercail Babi. Même le musulman orthodoxe, dont la pensée a toujours été
tournée vers l'Imam disparu, est sensible au raisonnement convaincant selon lequel
on cherche à prouver que le Bab, ou Baha, est le Mihdi, selon toutes les prédictions
du Qur'an et les traditions musulmanes. La vie pure et douloureuse du Bab, sa
mort ignominieuse, l'héroïsme et le martyre de ses disciples, attireront beaucoup
d'autres gens qui ne peuvent trouver de phénomènes semblables dans les annales
contemporaines de l'Islam." (Lord Curzon: "Persia and the Persian Question", vol.
1, p. 503.)
L'auteur, commentant, dans le même chapitre, les perspectives de l'entreprise
missionnaire des chrétiens de Perse, écrit ce qui suit: "La Perse a toujours été
décrite comme la plus encourageante parmi les contrées où s'exerce l'oeuvre missionnaire
en Orient.
Tout en étant conscient de l'oeuvre précieuse accomplie dans ce pays par les représentants
des sociétés missionnaires anglaises, françaises et américaines, par la propagation
de l'éducation, par les manifestations de charité, par la fourniture gratuite
de l'assistance médicale, par la force de l'exemple, et sans suggérer aucunement
que ces pieux efforts doivent être relâchés, je suis incapable, à la lumière des
connaissances dont je dispose, d'adhérer à une prédiction aussi optimiste de l'avenir."
(p. 504.)
"... En Perse, toutefois, les propres divergences sectaires entre les communautés
chrétiennes ne sont pas le moindre obstacle auquel elles sont confrontées, et
les musulmans sont parfaitement fondés à se moquer de ceux qui les invitent à
rejoindre un troupeau dont les membres professent, les uns envers les autres,
un amour aussi amer.
Les protestants se querellent avec les catholiques romains, les presbytériens
avec les épiscopaliens, les nestoriens protestants n'apprécient guère les nestoriens
proprement dits et ceux-ci, à leur tour, ne sont pas en rapport harmonieux avec
les chaldéens, ou nestoriens catholiques. Les Arméniens jettent un regard désapprobateur
sur les Arméniens unis (ou catholiques), et ils entravent tous deux les efforts
des missions protestantes.
Enfin, l'on peut compter en général sur l'hostilité des Juifs. Dans les divers
pays d'Orient où j'ai voyagé, de la Syrie au Japon, j'ai été frappé par l'étrange
et, à mes yeux, douloureux phénomène de groupes missionnaires menant la plus noble
des guerres sous la bannière du Roi de la Paix avec des armes fratricides." (pp.
507-8.)
"... Si, donc, le critère de l'oeuvre missionnaire en Perse est le nombre des
convertis gagnés à l'islam, je n'hésite pas à dire que les prodigieuses dépenses
en argent, en efforts sincères consacrés à ce pays ont produit des résultats totalement
inadéquats. De jeunes musulmans ont parfois été baptisés par des missionnaires
chrétiens, mais ceci ne doit pas être trop aisément confondu avec la conversion,
car la grande masse de ces nouveaux venus retournent à la foi de leurs pères et
je me demande si, depuis le jour où Henry Martyn mit le pied à Shiraz, une demi-douzaine
de musulmans persans ont sincèrement embrassé la foi chrétienne.
J'ai moi-même souvent cherché à rencontrer un musulman converti, mais en vain.
(J'exclus évidemment ces épaves humaines ou ces orphelins de parents musulmans
qui sont élevés, dès l'enfance, dans des écoles chrétiennes.)
Et je ne suis pas surpris de la plus totale démonstration d'échec. Laissant de
côté les affirmations dogmatiques du christianisme (p.ex. la doctrine de la Trinité
et la divinité du Christ), qui sont si incompatibles avec la conception mahométane
de l'unité de Dieu, nous ne pouvons considérer avec beaucoup d'étonnement la répugnance
d'un musulman à renier sa foi si nous nous souvenons que le châtiment d'un tel
acte est la mort. Les chances de conversion sont, en fait, très lointaines tant
que le corps ainsi que l'âme du converti sont mis dans la balance.
Mais les appréhensions individuelles, même si elles constituent un important facteur,
ne sont pas un élément décisif de la situation. C'est contre le rempart inexpugnable
de l'islam, en tant que système embrassant chaque domaine, chaque tâche et chaque
acte de la vie, que se heurtent en vain les vagues de l'effort missionnaire. Merveilleusement
adapté tant au climat qu'à la nature et aux activités des pays sur lesquels il
a placé son inflexible emprise, l'islam tient son adepte en totale servitude,
du berceau à la tombe. Pour celui-ci, ce n'est pas seulement une religion, c'est
aussi le gouvernement, la philosophie et la science.
Le concept musulman n'est pas tant celui d'une Église-État que, si l'on peut dire,
d'un État-Église. Les fondations qui faussent la société elle-même ne sont pas
de structure civile mais religieuse et, enveloppé dans cette croyance superbe
et pourtant paralysante, le musulman vit dans une renonciation acceptée de tout
désir; il estime que son devoir le plus noble est d'adorer Dieu et de contraindre
- ou, sinon, de mépriser - ceux qui ne l'adorent point en esprit, et il meurt
ensuite dans la ferme espérance du paradis.
Tant que ce code de vie irrésistible et universel tiendra dans son emprise un
peuple oriental, déterminant chaque devoir et chaque acte de l'existence, et apportant
finalement un salut assuré, les trésors et les abnégations missionnaires seront
dépensés en vain. En vérité, une active propagande est, à mes yeux, la pire des
politiques que puisse adopter une mission chrétienne dans un pays musulman fanatique,
et la tolérance même dont j'ai crédité le gouvernement persan est, dans une large
mesure, due au fait que les missionnaires chrétiens s'abstiennent prudemment de
tout prosélytisme déclaré." (pp. 508-9.)
(ep.8) Gobineau, écrivant en 1865 environ, donne le
témoignage suivant: "Ainsi, le Babisme a pris une action considérable sur l'intelligence
de la nation persane, et, se répandant même au-delà des limites du territoire,
il a débordé dans le pachalick de Baghdad, et passé aussi dans l'Inde. Parmi les
faits qui le concernent, on doit noter comme un des plus curieux que, du vivant
même du Bab, beaucoup de docteurs de la religion nouvelle, beaucoup de ses sectateurs
les plus convaincus, les plus dévoués, n'ont jamais connu personnellement leur
prophète, et ne paraissent pas avoir attaché une importance de premier ordre à
recevoir ses instructions de sa propre bouche.
Cependant ils lui rendaient complètement et sans réserve aucune les honneurs et
la vénération auxquels, dans leur façon de voir, il avait certainement droit."
(Comte de Gobineau: Les Religions et les Philosophies dans l'Asie Centrale", p.
255.)
(ep.9) Elle y court, et voilà comme, mathématiquement,
s'est produit un mouvement religieux tout particulier dont l'Asie centrale, c'est-à-dire
la Perse, quelques points de l'Inde et une partie de la Turquie d'Asie, aux environs
de Baghdad, est aujourd'hui vivement préoccupée - mouvement remarquable et digne
d'être étudié à tous les titres. Il permet d'assister à des développements de
faits, à des manifestations, à des catastrophes telles que l'on n'est pas habitué
à les imaginer ailleurs que dans les temps reculés où se sont produites les grandes
religions ...
J'avoue même que, si je voyais en Europe une secte d'une nature analogue au Babisme
se présenter avec des avantages tels que les siens - foi aveugle, enthousiasme
extrême, courage et dévouement éprouvés, respect inspiré aux indifférents, terreur
profonde inspirée aux adversaires, et de plus, comme je l'ai dit, un prosélytisme
qui ne s'arrête pas, et dont les succès sont constants dans toutes les classes
de la société; si je voyais, dis-je, tout cela exister en Europe, je n'hésiterais
pas à prédire que, dans un temps donné, la puissance et le sceptre appartiendront,
de toute nécessité, aux possesseurs de ces grands avantages." (Comte de Gobineau:
"Les Religions et les Philosophies dans l'Asie Centrale", pp. 116, 293-4.)
"Il me semble que l'histoire du mouvement babi doit intéresser, de différentes
manières, d'autres hommes que ceux qui sont directement occupés à l'étude de la
langue persane. À l'étudiant de la pensée religieuse, elle apportera ample matière
à réflexion, car il peut observer ici des personnalités qui, au fil des temps,
se transforment en héros et en demi-dieux encore inviolés par le mythe et par
la fable; il peut considérer, à la lumière de témoignages concordants et indépendants,
l'un de ces étranges accès d'enthousiasme, de foi, de fervente dévotion et d'indomptable
héroïsme - ou de fanatisme, si l'on veut - que nous avons coutume d'associer à
l'histoire antérieure de la race humaine; il peut observer, en un mot, la naissance
d'une foi qui - ce n'est pas impossible - pourrait gagner une place parmi les
grandes religions du monde.
Pour l'ethnologue aussi, l'histoire du mouvement Babi peut être matière à réflexion
sur la nature d'un peuple qui, stigmatisé comme il l'a souvent été en matière
d'égoïsme, de vénalité, d'avarice, d'égocentrisme et de couardise, est pourtant
capable de manifester, sous l'influence d'une forte impulsion religieuse, un degré
de dévouement, d'abnégation, de générosité, de noblesse et de courage qui a bien
son parallèle dans l'histoire humaine, mais qui ne saurait guère être surpassé.
Pour l'homme politique également, le thème n'est pas dénué d'importance: quelles
transformations ne peuvent en effet être opérées dans un pays considéré actuellement
presque comme un zéro, dans l'équilibre des forces nationales, par une religion
capable de susciter un esprit aussi puissant? Ceux qui savent ce que Muhammad
fit de s Arabes, que ceux-là considèrent ce que le Bab peut encore faire des Persans."
(Introduction, par E.G. Browne, à "A Traveller's Narrative", pp. 8-9.)
Donc, ici, à Bahji, je fus installé en qualité d'invité, au milieu de tout ce
que le Babisme compte de plus noble et de plus sacré; et c'est ici que je passai
cinq jours très mémorables, au cours desquels je bénéficiai d'occasions sans pareilles
et inespérées de m'entretenir avec ceux qui sont les sources de ce puissant et
prodigieux esprit, qui oeuvre avec une force invisible mais toujours croissante
en faveur de la transformation et de la revivification d'un peuple plongé dans
un sommeil semblable à la mort. Ce fut, en vérité, une étrange et émouvante expérience,
dont je désespère de pouvoir transmettre autre chose que la plus vague impression.
Je pourrais, certes, tenter de décrire en détail les visages et les formes qui
m'entouraient, les conversations que j'ai eu le privilège d'écouter, la lecture
solennelle et mélodieuse des livres sacrés, la sensation générale d'harmonie et
de contentement qui envahissait le lieu, les jardins embaumés et ombragés où parfois
nous nous rendions dans l'après-midi, mais tout ceci n'était rien en comparaison
avec l'atmosphère spirituelle qui m'enveloppait.
Les musulmans de Perse vous diront souvent que les babis ensorcellent ou enivrent
leurs invités afin que ceux-ci, mus par une fascination à laquelle ils ne peuvent
résister, deviennent influencés par ce que les musulmans considèrent comme une
étrange et incompréhensible folie. Si vaine et absurde que soit cette croyance,
elle repose toutefois sur un ensemble de faits plus probants que ne le sont les
autres allégations concernant les Babis.
L'esprit qui habite ces derniers est tel qu'il ne saurait manquer d'affecter très
profondément tous ceux qui subissent son influence. Il peut consterner ou attirer:
il ne peut être consciemment ignoré, ou dédaigné. Que ceux qui n'ont pas vu ne
me croient pas s'ils le veulent mais, si cet esprit se révèle un jour à eux, ils
ressentiront une émotion qu'ils ne sont pas près d'oublier." (Ibid., pp. 38-9.)
"L'on voit donc que, dans son organisation externe, le babisme a subi des changements
importants et radicaux depuis son apparition, il y a un demi-siècle, en tant que
force de prosélytisme. Ces changements n'ont toutefois nullement entravé mais
semblent, au contraire, avoir stimulé sa propagation qui a progressé avec une
rapidité inexplicable pour ceux qui ne peuvent y voir qu'une forme d'agitation
politique ou même métaphysique. Les estimations les plus prudentes fixent à un
demi-million le nombre actuel des Babis en Perse. Et, me fondant sur les entretiens
que j'ai eus avec des personnes très qualifiées, je suis prêt à penser que ce
total est proche du million.
L'on trouve en effet des Babis dans toutes les couches sociales, depuis les ministres
et les nobles de la cour jusqu'aux éboueurs et aux petits employés, et même parmi
les religieux musulmans. Comme on l'aura noté, le mouvement a été inauguré par
des siyyids, des Hajis et des mullas, c'est-à-dire par des personnes qui, soit
par leur origine, leurs pieuses inclinations ou leur profession, étaient intimement
concernées par la foi islamique; et c'est même parmi les adeptes avoués de la
foi qu'ils continuent à obtenir des conversions.
De nombreux Babi s sont bien connus comme tels mais, tant qu'ils font preuve de
circonspection, ils demeurent à l'abri de l'intrusion ou de la persécution. Dans
les couches les plus humbles, le fait est généralement dissimulé par crainte de
fournir une excuse à la rancoeur superstitieuse de leurs supérieurs.
Tout récemment, les babis ont remporté de grands succès dans le camp d'un autre
ennemi, s'étant assuré de nombreux prosélytes parmi la population juive des villes
de Perse. J'apprends que, l'année dernière, ils auraient fait cent cinquante convertis
parmi les juifs de Tihran, cent à Hamadan, cinquante à Kashan, et 75% des juifs
de Gulpayigan auraient embrassé la foi baha'ie (Lord Curzon: "Persia and the Persian
Question", vol. 1, pp. 499-500.)
"De ce peuple subtil", écrit le Dr. J. Estlin Carpenter, "est issu le plus remarquable
mouvement qu'ait produit l'Islam moderne... Des disciples se sont rassemblés autour
de lui, et le mouvement n'a pas été freiné par son arrestation, son emprisonnement
durant six années et, enfin, son exécution en 1850... Il prétend aussi être un
enseignement universel; il a déjà sa noble armée de martyrs et ses livres sacrés;
la Perse a-t-elle, au milieu de ses misères, donné naissance à une religion qui
fera le tour du monde?" ("Comparative Religion", pp. 70, 71.)
"Une fois encore dans l'histoire du monde", écrit le Prof. E.G. Browne, "l'Orient
a justifié sa prétention à enseigner la religion à l'Occident et à détenir dans
le monde spirituel cette prééminence que les nations occidentales détiennent dans
le domaine matériel." (Introduction à l'ouvrage de M.H. Phelps intitulé: "Life
and Teachings of 'Abbas Effendi", p. 15.) "Il semble certain qu'au point de vue
religieux, et surtout au point de vue moral, le Babisme marque un progrès sur
l'Islam oriental; on peut soutenir, avec M. Vambéry (Académie, 12 mars, 1892),
que son chef a émis des doctrines dignes des plus grands penseurs...
Dans tous les cas, le développement du Babisme est un épisode intéressant de l'histoire
des religions et des civilisa-rions modernes. Et puis, après tout, ceux-là qui
le vantent ont peut-être raison; il se peut que du Babisme sorte un jour la régénération
des peuples persans, même de l'Islam tout entier, qui en a besoin; et, malheureusement,
il n'est guère de régénérations de peuples qui ne soient accompagnées d'une grande
effusion de sang." (M.J. Balteau: "Le Babisme", p. 28.)
(ep.10) Titre d' 'Abdu'l-Baha.
(ep.11) "Le caliphat débuta par l'élection d'Abu-Bakr
en l'an 632 ap. J-C. et dura jusqu'en 1258 ap. J.-C., lorsque Hulagu Khan saccagea
Baghad et mit à mort Mu'tasim-Bi'llah. Pendant près de trois siècles après cette
catastrophe, le titre de caliphe fut perpétué en Égypte par des descendants de
la Maison d' 'Abbas qui vécurent, sous la protection de ses souverains mamelouks,
jusqu'en 1517 ap.J.C., année où Sultan Salim, l'Ottoman, ayant conquis la dynastie
mamelouke, incita le caliphe déchu à lui en transférer le titre et l'insigne."
(P.M. Sykes: "A History of Persia", vol. Il, p. 25.)