La chronique
de Nabil
Nabil-i-A'zam
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CHAPITRE IX : le séjour du Bab à Shiraz après son pèlerinage
(suite)
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Peu après l'arrivée de Mulla Husayn à Shiraz, la voix du peuple s'éleva de nouveau
contre lui. La peur et l'indignation de la foule s'intensifièrent encore lorsque
celle-ci apprit qu'il fréquentait le Bab continuellement et dans l'intimité.
"Il est encore venu dans notre ville", s'écriaient les gens. Il a de nouveau
hissé l'étendard de la rébellion et cherche, avec son chef, à livrer un assaut
encore plus féroce à nos vénérables institutions." La situation devint si grave
et si menaçante que le Bab dit à Mulla Husayn de regagner, par la voie de Yazd,
sa province natale de Khurasan. Il renvoya également le reste de ses compagnons
qui s'étaient réunis à Shiraz et les pria de retourner à Isfahan. Il garda auprès
de lui Mulla 'Abdu'l-Karim, à qui il assigna la tache de transcrire ses Ecrits.
Ces mesures de précaution, que le Bab estima sage d'adopter, le délivrèrent
du danger immédiat de violence de la part du peuple de Shiraz en colère et servirent
à donner un élan nouveau à la propagation de sa foi au-delà des confins de cette
ville. Ses disciples, qui s'étaient dispersés à travers tout le pays, proclamèrent
avec intrépidité à la foule de leurs compatriotes la force régénératrice de
la révélation nouvellement née. La renommée du Bab s'était propagée et était
parvenue aux oreilles de ceux qui occupaient les sièges les plus hauts de l'autorité,
aussi bien dans la capitale que dans les provinces. (9.1)
Une vague de recherche passionnée déferla sur les esprits et les coeurs tant
des dirigeants que des masses du peuple. L'étonnement et l'émerveillement s'étaient
emparés de ceux qui avaient entendu, de la bouche même des plus proches messagers
du Bab, les récits des signes et des témoignages qui avaient annoncé la naissance
de sa manifestation. Les dignitaires de l'Etat et de l'Eglise assistaient en
personne ou déléguaient leurs représentants les plus capables pour aller s'enquérir
de l'authenticité et du caractère de ce remarquable mouvement.
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Muhammad Shah (9.2) lui-même fut porté à vérifier la véracité
de ces rapports et à s'informer de leur nature. Il délégua Siyyid Yahyay-i-Darabi,
(9.3) le plus érudit, le plus éloquent et le plus influent
de ses sujets, pour rencontrer le Bab et lui rapporter le résultat de ses investigations.
Le shah avait une confiance absolue en son impartialité, en sa compétence et
en sa perspicacité spirituelle profonde. Il occupait une position d'une prééminence
telle parmi les principales figures de la Perse que, à toutes les réunions auxquelles
il venait assister, on lui donnait invariablement le rôle d'orateur principal,
quel que soit le nombre des chefs religieux présents. Personne n'osait faire
valoir ses idées en sa présence. Tout le monde observait respectueusement le
silence devant lui, tous témoignaient de sa sagacité, de son savoir inégalé
et de sa sagesse consommée.
En ce temps-là, Siyyid Yahya résidait à Tihran dans la maison de Mirza Lutf-'Ali,
le maître de cérémonies à la cour du Shah, en qualité d'invité très distingué
de Sa Majesté Impériale. Le shah signifia confidentiellement, par l'intermédiaire
de Mirza Lutf-'Ali, son désir et son bon plaisir de voir Siyyid Yahya se rendre
à Shiraz pour enquêter personnellement sur le sujet. "Dites-lui de notre part,
ordonna le souverain, qu'étant donné la confiance absolue que nous avons en
son intégrité, l'admiration que nous portons à ses qualités morales et intellectuelles,
et la considération que nous avons pour lui en tant que théologien le plus apte
de notre royaume, nous nous attendons à le voir partir pour Shiraz s'informer
de manière approfondie sur l'épisode du Siyyid-i-Bab et à ce qu'il nous fasse
part des résultats de ses recherches. Nous saurons alors quelles mesures il
nous incombera de prendre."
Siyyid Yahya avait été lui-même désireux de recueillir des informations de première
main sur les revendications du Bab mais en raison de circonstances contraires,
il avait été empêché d'entreprendre le voyage au Fars. Le message de Muhammad
Shah le décida à mettre à exécution l'intention qu'il nourrissait depuis longtemps.
Assurant le souverain de ce qu'il était prêt à se conformer à son voeu, il partit
aussitôt pour Shiraz.
Chemin faisant, il conçut les diverses questions qu'il envisageait de poser
au Bab. Des réponses que ce dernier pouvait lui donner, dépendraient, selon
lui, la vérité et la validité de sa mission. A son arrivée à Shiraz, il rencontra
Mulla Shaykh'Ali, surnommé 'Azim, qui avait été son ami intime lors de son'
séjour dans le Khurasan. Il lui demanda s'il était satisfait de son entrevue
avec le Bab. "Vous devriez le rencontrer, répondit 'Azim, et chercher personnellement
à vous informer de sa mission.
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En tant qu'ami, je vous conseillerais de faire preuve de la plus grande déférence
lors de vos conversations avec lui, afin que vous ne soyez pas, vous aussi,
amené à déplorer un acte quelconque de discourtoisie envers lui."
Siyyid Yahya rencontra le Bab chez Haji Mirza Siyyid'Ali et manifesta, dans
son comportement, la courtoisie qu' Azim lui avait conseillé d'observer. Pendant
environ deux heures, il attira l'attention du Bab sur les thèmes les plus abstrus
et les plus déconcertants des enseignements métaphysiques de l'islam, sur les
passages les plus obscurs du Qur'an et sur les traditions et les prophéties
mystérieuses des Imams de la foi. Le Bab écouta d'abord ses savantes références
à la loi et aux prophéties de l'islam, prit note de toutes ses questions, et
commença à donner à chacune d' elles une réponse brève mais convaincante. La
concision et la clarté d ses répliques suscitèrent l'étonnement et l'admiration
de Siyyid Yahya. Il était écrasé par un sentiment d'humiliation devant sa présomption
et sa fierté personnelles. Son sentiment de supériorité s'effaça complètement.
Se levant pour partir, il s'adressa au Bab en ces termes: "S'il plaît à Dieu,
je vous soumettrai au cours de ma prochaine entrevue avec vous, le reste de
mes questions, et conclurai par là mon enquête." A peine s'était-il retiré qu'il
rejoignit 'Azim, à qui il fit le récit de son entrevue. Je me suis, en sa présence,
lui dit-il, inutilement étendu sur mon propre savoir. Il a pu, en quelques mots,
répondre à mes questions et résoudre mes perplexités. Je me suis senti si humilié
que je lui demandai précipitamment la permission de me retirer." 'Azim lui rappela
son conseil et le pria de ne pas oublier, la fois suivante, l'avis qu'il lui
avait donné.
Au cours de sa deuxième entrevue, Siyyid Yahya découvrit à son grand étonnement,
que toutes les questions qu'il avait eu l'intention de soumettre au Bab s'étaient
effacées de sa mémoire. Il se contenta de sujets qui semblaient ne pas relever
de l'objet de son enquête. Il s'aperçut bientôt, à sa plus grande surprise,
que le Bab répondait, avec la même clarté et la même concision qui avaient caractérisé
ses réponses antérieures, à ces mêmes questions qu'il avait momentanément oubliées.
"Je semblais être tombé dans un profond sommeil", observa-t-il plus tard. "Ses
paroles, ses réponses aux questions que j'avais oublié de poser, me réveillèrent.
Une voix me murmurait encore à l'oreille: "Cela ne pourrait-il, après tout,
n'avoir été qu'une coïncidence accidentelle?" J'étais trop agité pour pouvoir
rassembler mes idées.
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Je demandai de nouveau la permission de me retirer. 'Azim, que je rencontrai
peu après, me reçut avec une froide indifférence et observa avec sévérité: "Il
aurait mieux valu que les écoles aient été totalement abolies et qu'aucun de
nous n'y soit entré. Par la petitesse de notre esprit et par notre vanité, nous
sommes en train de nous soustraire à la grâce rédemptrice de Dieu et de causer
de la peine à celui qui en est la Source. Ne supplieras-tu pas Dieu cette fois-ci
de te permettre de parvenir en sa présence avec l'humilité et le détachement
requis; peut-être, par sa miséricode, te délivrera-t-il ainsi de l'oppression,
de l'incertitude et du doute?"
"Je décidai alors de formuler en moi-même, au cours de ma troisième entrevue
avec le Bab, une requête l'invitant à révéler pour moi un commentaire sur la
surih de Kawthar (9.4). J'étais décidé à ne pas lui en souffler
mot si, sans y être invité, il révélait ce commentaire dans un style qui, à
mes yeux, se distinguerait aussitôt des normes prévalant parmi les commentateurs
du Qur'an, je serais alors convaincu du caractère divin de sa mission et embrasserais
sa cause. Sinon, je refuserais de le reconnaître. A peine avais-je été introduit
en sa présence qu'un sentiment de crainte, que je ne pouvais expliquer, s'empara
soudain de moi. Mes membres se mirent à trembler lorsque je vis son visage.
Moi qui, à maintes reprises, avais été introduit auprès du Shah et n'avais jamais
découvert en moi-même la moindre trace de timidité, j'étais à présent si terrifié
et bouleversé que je ne pouvais me tenir debout. Le Bab, voyant mon état, se
leva de son siège, s'avança vers moi et, me prenant par la main, me fit asseoir
auprès de lui. "Demandez-moi, dit-il, ce que votre coeur désire. Je vous le
révélerai aussitôt." Je restai muet d'étonnement. Tel un nouveau-né qui ne peut
ni comprendre, ni parler, je me sentis impuissant à donner une réponse. Il sourit
en me regardant et dit: "Si je révélais pour vous le commentaire sur la surih
de Kawthar, reconnaîtriez-vous que mes paroles sont nées de l'Esprit de Dieu?
Admettriez-vous qu'elles ne peuvent être assimilées à de la sorcellerie ou à
de la magie?" Des larmes coulèrent de mes yeux lorsque je l'entendis prononcer
ces mots. Tout ce que je fus capable de proférer fut ce verset du Qur'an: "O
notre Seigneur, en nous-mêmes nous avons agi de manière injuste. Si tu ne nous
pardonnes pas et si tu n'as pas pitié de nous, nous serons à coup sûr de ceux
qui périssent."
"Il était encore tôt dans l'après-midi lorsque le Bab pria Haji Mirza Siyyid'Ali
de lui apporter son plumier et du papier. Il commença alors à révéler son commentaire
sur la surih de Kawthar.
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Comment pourrais-je décrire cette scène d'une majesté inexprimable? Les versets
coulaient de sa plume avec une rapidité qui était vraiment surprenante. L'incroyable
célérité de son écriture, (9.5) le murmure doux et aimable
de sa voix, la force prodigieuse de son style m'étonnèrent et m'ébahirent. Il
continua ainsi jusqu'au coucher du soleil. Il ne s'arrêta que lorsque le commentaire
de la surih tout entier fut achevé. Il posa alors sa plume et fit apporter du
thé. Peu après, il commença à lire à haute voix le texte révélé. Mon coeur battait
à une cadence folle lorsque je l'entendis exprimer, en des accents d'une douceur
ineffable, les trésors enchâssés dans ce sublime commentaire. (9.6)
Je fus si ravi par sa beauté que, par trois fois, je faillis perdre connaissance.
Il chercha à ranimer ma force défaillante avec quelques gouttes d'eau de rose
dont il aspergea mon visage. Cela me rendit de la vigueur et me permit de suivre
sa lecture jusqu'au bout.
"Lorsqu'il eut terminé, il se leva pour partir et me confia aux soins de son
oncle maternel. "Il doit être votre invité, lui dit-il, jusqu'au moment où il
aura, en collaboration avec Mulla'Abdu'l-Karim, achevé de transcrire ce commentaire
nouvellement révélé, et vérifié l'exactitude de la transcription." Mulla'Abdu'l-Karim
et moi-même consacrâmes trois jours et trois nuits à exécuter cette tâche. Nous
lisions, chacun à notre tour et à haute voix, une partie du commentaire et ce,
jusqu'à ce que le tout fût transcrit. Nous vérifiâmes toutes les traditions
contenues dans le texte et les trouvâmes entièrement exactes. La certitude à
laquelle j'étais parvenu était si évidente que, si toutes les puissances de
la terre s'étaient liguées contre moi, elles auraient été incapables d'ébranler
ma confiance en la grandeur de sa cause. (9.7)
"Comme j'avais, depuis mon arrivée à Shiraz, vécu chez Husayn Khan, le gouverneur
du Fars, je sentis que mon absence prolongée pouvait éveiller des soupçons de
sa part et provoquer sa colère contre moi. Je décidai par conséquent de prendre
congé de Haji Mirza Siyyid 'Ali et de Mulla'Abdu'l-Karim, et de regagner la
résidence du gouverneur. A mon arrivée, Husayn Khan, qui, entre-temps, m'avait
cherché, était impatient de savoir si j'étais, moi aussi, tombé victime de l'influence
magique du Bab. "Personne, hormis Dieu qui, seul, peut transformer le coeur
des hommes, répondis-je, n'est capable de captiver le coeur de Siyyid Yahya.
Celui qui peut séduire son coeur vient de Dieu, et sa parole est, indubitablement,
la voix de la vérité." Ma réponse réduisit le gouverneur au silence; lors de
sa conversation avec les autres, appris-je par la suite, il avait exprimé l'avis
selon lequel j'avais, moi aussi, succombé comme un homme impuissant au charme
de ce jeune homme.
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Il avait même écrit à Muhammad Shah et s'était plaint auprès de lui de ce que,
pendant mon séjour à Shiraz, j'avais refusé toute forme de relation avec les
'ulamas de cette ville. "Bien qu'il soit officiellement mon invité, avait-il
écrit au souverain, il s'absente fréquemment plusieurs jours et plusieurs nuits
de suite. Quant à moi, j'ai acquis la certitude qu'il est devenu Babi et qu'il
est tombé, corps et âme, captif de la volonté du Siyyid-i-Bab."
On rapporte que Muhammad Shah lui-même lors d'une des cérémonies célébrées dans
sa capitale, aurait adressé ces paroles à Haji Mirza Aqasi: "Nous avons été
récemment informé (9.8) que Siyyid Yahyay-i-Darabi est devenu
Babi. Si cela est vrai, il est de notre devoir de cesser de mépriser la cause
de ce siyyid." Husayn Khan, de son côté, reçut 1'ordre impérial suivant: "Il
est formellement interdit à chacun de nos sujets d'exprimer des paroles tendant
à dénigrer le rang sublime de Siyyid Yahyay-i-Darabi. Il est de descendance
noble, c'est un homme de rand savoir, de vertu parfaite et accomplie. En aucun
cas il ne prêtera le à une cause, s'il ne la croit pas capable d'aider à l'avancement
des meilleurs intérêts de notre royaume et au bon renom de la foi islamique."
"À la réception de cet ordre impérial, Husayn Khan, ne pouvant s'opposer ouvertement
à moi, s'efforça en secret de saper mon autorité. Son visage trahissait une
haine et une inimitié implacables. Il ne put cependant, vu les faveurs manifestes
que me prodiguait le Shah, nuire à ma personne ou discréditer mon nom.
"Le Bab me donna, peu après, l'ordre de me rendre à Burujird et de mettre mon
père (9.9) au courant du nouveau message. Il me pria instamment
de faire preuve envers lui d'une patience et d'une considération extrêmes. Des
entretiens c3niidentiels que j'eus avec lui, je conclus qu'il ne désirait pas
rejeter la vérité du message que je lui avais apporté. Il préférait cependant
être laissé seul et être autorisé à suivre sa propre voie.
Un autre dignitaire du royaume qui fit une recherche impartiale sur le message
du Bab et embrassa finalement sa cause, fut Mulla Muhammad-'Ali, (9.10)
natif de Zanjan, auquel le Bab donna le surnom de Hujjat-i-Zanjani. C'était
un homme très indépendant, connu pour son extrême originalité et pour son détachement
de toutes formes de contraintes traditionnelles. Il dénonçait ouvertement toute
la hiérarchie des chefs religieux de son pays, depuis l'Abvab-i-Arba'ih (9.11)
jusqu'au plus humble Mulla de son époque.
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Il méprisait leur caractère, déplorait leur dégénérescence et s'étendait longuement
sur leurs vices. Il trahissait même, avant sa conversion, une attitude dédaigneuse
vis-à-vis de Shaykh Ahmad-i-Ahsa'i et de Siyyid Kazim-i-Rashti. (9.12)
Il était si horrifié des méfaits qui avaient entaché l'histoire de l'islam shi'ah
qu'il considérait tout homme qui appartenait à cette secte, quels que fussent
ses talents, comme indigne de sa considération. Les cas de violente controverse
entre lui et le clergé de Zanjan ne manquèrent pas et, sans l'intervention du
shah, auraient pu mener a de graves désordres et à des bains de sang. Il fut
finalement convoque à la capitale et, en présence de ses ennemis, représentants
des chefs religieux de Tihran et d'autres villes, il fut appelé à justifier
ses affirmations. Seul et sans aide, il prouvait sa supériorité sur ses adversaires
et réduisait leurs clameurs au silence. Bien que dans leurs coeurs ils fussent
en dé accord avec ses idées et qu'ils condamnassent sa conduite, ses ennemi
furent obligés de reconnaître, en apparence, son autorité et de confirmer son
opinion.
A peine l'appel de Shiraz était-il parvenu à ses oreilles que Hujjat chargea
l'un de ses disciples, Mulla Iskandar, en qui il avait une confiance absolue,
d'aller se renseigner aussi complètement que possible à ce sujet et de lui communiquer
le résultat de ses investigations. Totalement indifférent aux louanges ou aux
blâmes de ses compatriotes, dont il suspectait l'intégrité et dont il méprisait
le jugement, il envoya son délégué à Shiraz avec la mission explicite d'y mener
une enquête minutieuse et indépendante. Mulla Iskandar parvint en présence du
Bab et sentit aussitôt la force régénératrice de son influence. Il s'attarda
quarante jours à Shiraz, période pendant laquelle il s'imprégna des principes
de la foi et acquit, selon ses capacités, une perception du degré de sa gloire.
Avec l'approbation du Bab, il retourna à Zanjan. Il y parvint à un moment où
tous les principaux 'ulamas de cette ville s'étaient réunis en présence de Hujjat.
A peine était-il apparu que ce dernier lui demanda s'il croyait à cette nouvelle
révélation ou s'il la rejetait. Mulla Iskandar lui remit les Ecrits du Bab qu'il
avait apportés avec lui et affirma qu'il estimait de son devoir d'accepter le
jugement de son maître, quel qu'il fût. "Quoi!", s'exclama Hujjat en colère.
"S'il n'y avait pas cette assemblée distinguée, je vous aurais châtié sévèrement.
Comment osez-vous considérer les problèmes de foi comme étant dépendants de
l'approbation ou du rejet des autres?" Après avoir pris de la main de son messager
la copie du Qayyumu'l-Asma', il en lut une page puis se prosterna aussitôt sur
le sol en s'exclamant:
[ PAGE: 169 ]
"Je témoigne que ces paroles que je viens de lire procèdent de la même source
que le Qur'an. Quiconque a reconnu la vérité de ce Livre sacré doit forcément
attester de l'origine divine de ces paroles et se soumettre aux préceptes inculqués
par leur Auteur. Je vous prends à témoin, vous, membres de cette assemblée:
je promets une obéissance telle à l'Auteur de cette révélation que, s'il venait
jamais déclarer que la nuit est le jour et que le soleil est une ombre, je me
soumettrais sans réserve à son jugement et je considérerais son verdict comme
la voix de la Vérité. Quiconque le rejette sera considéré par moi comme ayant
répudié Dieu lui-même." Par ces paroles, il mît fin aux débats de cette réunion.
(9.13)
Nous avons, dans les pages précédentes, fait allusion à l'expulsion de Quddus
et de Mulla Sadiq de Shiraz, et tenté de décrire, quoique de manière inadéquate,
le châtiment infligé à ces deux personnes par le tyranique et rapace Husayn
Khan. Un mot doit être dit à présent sur la nature de leurs activités après
leur expulsion de cette ville. Pendant quelques jours, ils continuèrent leur
voyage ensemble, après quoi ils se séparèrent, Quddus partant pour Kirman afin
d'y rencontrer Haji Mirza Karim Khan, et Mulla Sadiq dirigeant ses pas vers
Yazd dans le but de poursuivre, parmi les 'ulamas de cette province, la tâche
qu'il avait été si cruellement obligé d'abandonner dans le Fars. Quddus fut
reçu, à son arrivée, chez Haji Siyyid Javadi-Kirmani, qu'il avait connu à Karbila
et dont l'érudition, le talent et la compétence étaient unanimement reconnus
par les habitants de Kirman. Lors de chaque réunion tenue dans sa maison, il
réserva invariablement à son jeune invité la place d'honneur et le traita avec
une déférence et une courtoisie extrêmes. Une préférence si marquée pour une
personne si jeune et apparemment médiocre suscita la jalousie des disciples
d'Haji Mirza Karim Khan qui, décrivant dans un langage vivant et exagéré, les
honneurs qui étaient prodigués à Quddus, cherchèrent à attiser l'hostilité latente
de leur chef. "Voyez, lui murmuraient-ils à l'oreille, celui qui est le plus
aimé par le Siyyidi-Bab, celui en qui ce dernier a le plus confiance et qu'il
considère comme son compagnon le plus intime, est à présent l'hôte très honoré
d'un homme qui est indubitablement l'habitant le plus puissant de Kirman. S'il
lui est permis de vivre en compagnie intime de Haji Siyyid Javàd, il instillera,
sans nul doute, un poison dans son âme et le transformera, lui, en un instrument
au moyen duquel il parviendra à miner votre autorité et à étouffer votre renommée."
Alarmé par ces murmures malveillants, le lâche Haji Mirza Karim Khan fit appel
au gouverneur et le persuada de convoquer Haji Siyyid Javad en personne pour
lui demander de mettre fin à cette dangereuse fréquentation.
[ PAGE: 170 ]
Les observations du gouverneur suscitèrent la colère de l'immodéré Haji Siyyid
Javad. "Combien de fois", protesta-t-il avec violence, "ne vous ai-je pas conseillé
d'ignorer les chuchotements de ce vil conspirateur! Ma tolérance l'a enhardi.
Qu'il prenne garde de ne pas dépasser les limites. Désire-t-il usurper ma position?
N'est-ce pas l'homme qui reçoit chez lui des milliers de personnes abjectes
et ignobles et qui les comble de flatteries serviles? N'a-t-il pas à maintes
reprises essayé d'exalter les impies et de réduire au silence les innocents?
N'a-t-il pas, année après année, cherché, en prêtant main forte aux malfaiteurs
a s'allier avec ceux-ci pour satisfaire des désirs charnels? N'a-t-il pas, jusqu'à
ce jour, persisté dans son attitude de blasphémateur contre tout ce qui est
pur et saint dans l'islam? Mon silence semble avoir intensifié sa témérité et
son insolence. Il se permet de commettre les actes immondes et me refuse le
droit de recevoir et d'honorer dans ma propre maison un homme si intègre, si
savant et si noble. Qu'il soit averti que s'il refuse de renoncer à ses agissements,
à mon instigation, les éléments les plus exécrables de cette ville l'expulseront
de Kirman." Déconcerté par de telles dénonciations véhémentes, le gouverneur
s'excusa pour son acte. Avant de se retirer, il assura Haji Siyyid Javad qu'il
n'avait rien à craindre, qu'il s'efforcerait lui-même de faire comprendre à
Haji Mirza Karim Khan la folie de son attitude et qu'il l'engagerait à se repentir.
Le message du siyyid irrita Haji Mirza Karim Khan. Torturé par un ressentiment
intense qu'il ne pouvait ni réprimer ni satisfaire, il abandonna tout espoir
de devenir le chef incontesté des habitants de Kirman. Ce défi public annonça
la fin des ambitions qu'il nourrissait.
Dans l'intimité de sa maison, Haji Siyyid Javad entendit Quddus raconter tous
les détails de ses activités depuis le jour de son départ de Karbila jusqu'à
celui de son arrivée à Kirman. Les circonstances de sa conversion et son pèlerinage
subséquent avec le Bab bouleversèrent l'imagination de son hôte et embrasèrent
son coeur de la flamme de la foi. Le siyyid préféra cependant ne pas dévoiler
sa croyance, espérant ainsi pouvoir préserver de manière plus effective les
intérêts de la communauté nouvellement établie. "Votre noble résolution, lui
assura affectueusement Quddus, sera regardée comme un insigne service rendu
à la cause de Dieu. Le Tout-Puissant secondera vos efforts et affirmera pour
toujours votre suprématie sur vos ennemis.
[ PAGE: 171 ]
L'incident me fut rapporté par un certain Mirza 'Abdu'llah-iGhawghà qui, lors
de son séjour à Kirman, l'avait entendu de la bouche même de Haji Siyyid Javad.
La sincérité des intentions exprimées par le siyyid a été pleinement justifiée
par la manière splendide dont il réussit, grâce à ses efforts, à résister aux
empiètements de l'insidieux Haji Mirza Karim Khan qui, si on ne l'avait défié,
aurait causé d'incalculables dommages à la foi.
De Kirman, Quddus décida de partir pour Yazd et, de là, de se rendre à Ardikan,
Nayin, Ardistan, Isfahan Kashan, Qum et Tihran. Dans chacune de ces villes,
en dépit des obstacles qui jonchaient son chemin, il réussit à instiller dans
la compréhension de ses auditeurs les principes qu'il avait si courageusement
résolu de défendre. J'ai entendu Aqay-i-Kalim, le frère de Baha'u'llah, décrire
dans les termes suivants sa rencontre avec Quddus à Tihran: "Le charme de sa
personne, son affabilité extrême, associés à la dignité de son comportement,
séduisaient même le plus inattentif des observateurs.
PHOTO: vues de la maison du père de Quddus à Barfurush
[ PAGE: 172 ]
Quiconque était dans l'intimité de ce jeune homme se sentait saisi d'une admiration
sans borne pour son charme. Nous le vîmes un jour faire ses ablutions et fûmes
frappés par la grâce qui le distinguait des autres adorateurs lors de l'accomplissement
d'un rite aussi ordinaire. Il nous sembla être l'incarnation même de la pureté
et de la grâce."
A Tihran, Quddus fut reçu par Baha'u'llah, après quoi il partit pour le Mazindaran
où, dans sa ville natale de Barfurush, il vécut dans la maison de son père environ
deux années durant lesquelles il fut entouré des soins affectueux des membres
de sa famille. Son père avait épousé, à la mort de sa première femme, une dame
qui traitait Quddus avec une gentillesse et un soin qu'aucune mère au monde
n'aurait u espérer surpasser. Elle désirait ardemment le voir se marier et n
l'avait souvent entendue exprimer sa crainte de devoir emporter avec elle dans
sa tombe la suprême joie de son coeur. "Le jour de mon mariage, faisait observer
Quddus, n'est pas encore arrivé. Ce jour-là sera glorieux au-delà de toutes
paroles. Ce n'est pas à l'intérieur de cette maison mais au dehors, en plein
air, sous la voûte céleste, a milieu du Sabzih-Maydan et sous le regard de la
foule, que je célébrerai mes noces et verrai la réalisation de mes voeux." Trois
années plus tard, quand cette dame apprit les circonstances dans lesquelles
avait eu lieu le martyre de Quddus dans le Sabzih Maydan, elle se souvint de
ses paroles prophétiques et comprit leur signification. (9.14)
Quddus resta à Barfurush jusqu'au moment où Mulla Husayn le rejoignit, à son
retour de la visite qu'il avait faite au Bab dans la forteresse de Mah-Ku. De
Barfurush, ils partirent tous deux pour le Khurasan, voyage rendu mémorable
par des actes si héroïques qu'aucun de leurs compatriotes ne pourrait espérer
les égaler.
Quant à Mulla Sadiq, à peine arrivé à Yazd, il se renseigna auprès d'un ami
de confiance, natif du Khurasan, sur les derniers développements relatifs au
progrès de la cause dans cette province. Il était
particulièrement anxieux d'être éclairé sur les activités de Mirza Ahmad-i-Azghandi
et exprima sa surprise devant l'inactivité apparente de celui qui, à un moment
où le mystère de la foi n'était pas s encore divulgué, avait fait preuve d'un
zèle si remarquable en préparant les gens à accepter la Manifestation attendue.
"Mirza Ahmad, lui dit-on, s'est enfermé chez lui pendant une longue période
et a concentré ses efforts sur la préparation d'un savant et volumineux recueil
des traditions et des prophéties islamiques concernant l'époque et le caractère
de la dispensation promise.
[ PAGE: 173 ]
Il a groupé plus de douze mille traditions des plus explicites et dont l'authenticité
est reconnue par tous; il est fermement résolu à faire toutes les démarches
nécessaires en vue de la copie et de la diffusion de ce livre. En encourageant
ses disciples à se référer à son contenu publiquement dans toutes les réunions
et congrégations, il espérait pouvoir supprimer les obstacles propres à freiner
les progrès de la cause qu'il chérissait.
"Quand il arriva à Yazd, il fut chaleureusement accueilli par son oncle maternel,
Siyyid Husayn-i-Azghandi, le plus éminent des mujtahids de cette ville qui,
quelques jours avant l'arrivée de son neveu, lui avait envoyé une demande écrite
le priant de se hâter de venir dans sa ville pour le libérer des machinations
de Haji Mirza Karim Khan, qu'il considérait comme un ennemi dangereux, quoique
inavoué de l'islam. Le mujtahid fit appel à Mirza Ahmad pour combattre, par
tous les moyens en son pouvoir, l'influence pernicieuse de cet homme, et exprima
le désir de le voir s'établir en permanence à Yazd afin que, par ses exhortations
et appels continuels, il pût éclairer la population quant aux véritables buts
et intentions de cet adversaire malfaisant.
"Mirza Ahmad, cachant à son oncle son intention première de se rendre à Shiraz,
décida de prolonger son séjour à Yazd. Il lui montra le livre qu'il avait écrit
et fit part aux 'ulamas de son contenu; ceux-ci affluèrent de tous les quartiers
de la ville pour le rencontrer. Ils furent tous profondément impressionnés par
l'application, l'érudition et le zèle dont avait fait preuve le compilateur
de ce célèbre ouvrage.
"Parmi ceux qui allèrent visiter Mirza Ahmad se trouvait un certain Mirza Taqi,
homme pervers, ambitieux et hautain, qui venait de rentrer de Najaf où il avait
terminé ses études et avait été élevé au rang de mujtahid. Au cours de son entretien
avec Mirza Ahmad, il exprima le désir de prendre connaissance de ce livre et
de pouvoir le garder quelques jours afin d'acquérir une entière compréhension
de son contenu. Siyyid Husayn et son neveu accédèrent tous deux à sa demande.
Mirzai Taqi promit de le rapporter mais ne tint pas sa promesse. Mirza Ahmad.
qui avait déjà soupçonné le manque de sincérité des intentions de Mirza Taqi,
pria son oncle de rappeler à l'emprunteur la promesse qu'il avait donnée. "Dites
à votre maître", répondit l'insolent au messager envoyé pour lui réclamer le
livre, "qu'après m'être assuré du caractère nuisible de ce recueil, j'ai décidé
de le détruire. La nuit passée, je l'ai jeté dans l'étang, effaçant ainsi ses
pages."
[ PAGE: 174 ]
"Saisi d'une profonde indignation à la vue d'une telle impertinence et d'une
telle duplicité, Siyyid Husayn décida de se venger. Mirza Ahmad réussit cependant,
grâce à ses conseils avisés, à calmer la colère de son oncle furieux et à le
dissuader d'appliquer les mesures qu'il se proposait de prendre. "La punition
que vous envisagez, lui dit-il, ne fera que susciter l'agitation du peuple et
provoquer sédition et méfaits. Cela va sérieusement contrarier les efforts que
vous me demandez de déployer pour mettre fin à l'influence de Haji Mirza Karim
Khan. Il saisira sans aucun doute l'occasion pour vous dénoncer comme Babi et
pour me tenir responsable de votre conversion. Ainsi sapera-t-il en même temps
votre autorité et se gagnera-t-il l'estime et la gratitude des habitants. Laissez-le
entre les mains du Seigneur."
Mulla Sadiq fut très heureux lorsqu'il apprit, d'après le récit de cet incident,
que Mirza Ahmad résidait effectivement à Yazd et que rien ne s'opposait à sa
rencontre avec lui. Il alla aussitôt au masjid dans lequel Siyyid Husayn dirigeait
la prière en commun et où Mirza Ahmad prononçait le sermon. Choisissant son
siège dans le premier rang des croyants, il se joignit à eux pour la prière,
puis alla tout droit vers Siyyid Husayn et l'embrassa en public. Il monta aussitôt
sur la chaire ans y avoir été invité et se prépara à s'adresser aux fidèles.
Siyyid Husayn, bien qu'effrayé au début, préféra se garder de toute objection,
curieux qu'il était de découvrir le but de l'intervention soudaine de l'homme,
et de vérifier le degré de son savoir. Il fit signe à son neveu de s'abstenir
de toute opposition.
Mulla Sadiq commença son discours par l'une des homélies les mieux connues et
les plus exquises du Bab, après quoi il s'adressa à la congrégation en ces termes:
"Rendez grâce à Dieu, ô peuple de savoir car, voyez, la porte de la connaissance
divine, que vous croyiez fermée, est à présent grande ouverte. La rivière de
vie éternelle à coulé de la ville de Shiraz et confère d'indicibles bénédictions
aux habitants de ce pays. Quiconque a pris une seule goutte de cet océan de
grâce céleste, fût-il humble et illettré, a découvert en lui-même le pouvoir
d'éclaiRcir les mystères les plus profonds et s'est senti capable d'exposer
les thèmes les plus abstrus de la sagesse antique. Et quiconque - fût-il le
plus érudit des interprètes de la foi islamique - a choisi de s'appuyer sur
sa propre compétence et sa propre force, et a dédaigné le message de Dieu, s'est
condamné à une dégradation et à une perdition irrémédiables."
Une vague d'indignation et de consternation s'empara de la congrégation tout
entière lorsque ces paroles de Mulla Sadiq eurent annoncé avec éclat cette importante
nouvelle.
[ PAGE: 175 ]
Dans le masjid retentirent les cris de "blasphème !" qu'une congrégation en
fureur lançait, horrifiée, contre l'orateur. "Descendez de la chaire", s'écria
Siyyid Husayn au milieu de la clameur et du tumulte de la foule, en faisant
signe à Mulla Sadiq de garder son sang-froid et de se retirer. A peine celui-ci
avait-il regagné le parterre du masjid que le groupe des fidèles tout entier
se rua sur lui et le roua de coups. Siyyid Husayn intervint aussitôt, fit disperser
la foule avec énergie et, saisissant la main de Mulla Sadiq, l'emmena de force
de son côté. "Retirez vos mains, cria-t-il à la foule, laissez-le moi; je l'emmènerai
chez moi et enquêterai minutieusement sur cette affaire. Un accès de folie peut
l'avoir incité à prononcer ces mots. Je l'interrogerai moi-même. Si je trouve
que ses paroles ont été préméditées et qu'il croit lui-même fermement aux choses
qu'il a déclarées, je lui infligerai, de mes propres mains, le châtiment que
requiert en pareil cas la loi islamique."
Grâce à cette solennelle assurance, Mulla Sadiq fut délivré des sauvages attaques
de ses assaillants. Dépourvu de son 'aba (9.15) et de son
turban, privé de ses sandales et de son bâton, meurtri et commotionné par les
blessures qu'il avait reçues, il fut confié aux soins des assista de Siyyid
Husayn qui, en se forçant un passage parmi la foule, réunirent finalement à
le conduire chez leur maître.
Mulla Yusuf-i-Ardibili, lui aussi, fut en ces jours l'objet d'une persécution
plus féroce et plus acharnée encore que l'attaque barbare lancée par les gens
de Yazd contre Mulla Sadiq. Sans l'intervention de Mirza Ahmad et l'assistance
de son oncle, Mulla Yusuf serait tombé victime de la colère d'un ennemi féroce.
Quand Mulla Sadiq et Mulla-i-Ardibili arrivèrent à Kirman, ils durent subir
les mêmes outrages et eurent à souffrir des mêmes afflictions des mains de Haji
Mirza Karim Khan et de ses alliés. (9.16) Les efforts persistants
de Haji Siyyid Javad les libérèrent finalement de l'étreinte de leurs persécuteurs
et leur permirent de se rendre au Khurasan.
Bien que chassés et harcelés par leurs ennemis, devant aussi faire face à des
actions criminelles, les disciples les plus proches du Bab, ainsi que leurs
compagnons dispersés dans différentes régions de la Perse, ne se découragèrent
pas dans l'accomplissement de leur tâche. Inébranlables dans leur résolution
et immuables dans leurs convictions, ils continuèrent à lutter contre les forces
obscures qui les assaillaient à chaque pas sur leur chemin. Grâce à leur dévouement
sans bornes et à leur courage sans égal, ils purent démontrer à beaucoup de
leurs compatriotes l'influence exaltante de la foi dont ils s'étaient fait les
défenseurs.
[ PAGE: 176 ]
Alors que Vahid (9.17) se trouvait encore à Shiraz, Haji
Siyyid Javad-i-Karbila'i (9.18) arriva dans cette ville
et fut introduit par Haji Mirza Siyyid'Ali auprès du Bab. Dans une tablette
qu'il adressa à Vabid et à Haji Siyyid Javad, le Bab exalta la fermeté de leur
foi et souligna le caractère inaltérable de leur dévotion. Haji Siyyid Javad
avait rencontré et connu le Bab avant qu'il ne déclare sa mission, et avait
été un fervent admirateur de ces traits de caractère extraordinaires qui l'avaient
distingué depuis son enfance. Il devait, par la suite, rencontrer Baha'u'llah
à Baghdad et devenir le bénéficiaire de sa faveur particulière. Lorsque, quelques
années plus tard, Baha'u'llah fut exilé à Andrinople, il devait retourner, déjà
très âgé, en Perse, passer quelque temps dans la province d' 'Iraq et, de là,
partir pour le Khurasan. Son tempérament bienveillant, sa patience extrême et
sa simplicité naturelle lui avaient valu le surnom de Siyyid-i-Nur (9.19)
Haji Siyyid Javad, en traversant un jour une rue de Tihran, vit soudain le shah
passer à cheval. Nullement troublé par la présence de son souverain, il s'approcha
de lui et le salua. Sa vénérable silhouette et la dignité de son attitude plurent
énormément au shah. Il répondit à son salut et l'invita à venir le voir. La
réception que lui réserva le souverain fut telle que les courtisans en furent
jaloux. "Votre Majesté Impériale ne réalise-t-elle pas, protestèrent-ils, que
ce Haji Siyyid Javad n'est autre que l'homme qui, avant même la déclaration
du Siyyid-i-Bab, s'était déclaré Babi et avait promis à ce dernier son éternelle
loyauté?" Le Shah perçut la malignité qui les avait incités à porter cette accusation;
profondément irrité, il les blâma pour leur témérité et leur bassesse. "Comme
c'est étrange! se serait-il exclamé; quiconque se distingue par la droiture
de son comportement et la courtoisie de ses manières est aussitôt dénoncé par
mes gens comme Babi et considéré par eux comme un objet digne de ma condamnation!"
Haji Siyyid Javad passa les derniers jours de sa vie à Kirman et demeura jusqu'au
dernier moment un ferme partisan de la foi. Il ne douta jamais dans ses convictions
et ne relâcha point ses généreux efforts en faveur de la propagation de la cause.
Shaykh Sultan-i-Karbila'i, dont les ancêtres comptaient parmi les principaux
'ulamas de Karbila, et qui avait été lui-même un défenseur très ferme et un
compagnon intime de Siyyid Kazim, était aussi de ceux qui, en ce temps-là, avaient
rencontré le Bab à Shiraz.
[ PAGE: 177 ]
Ce fut lui qui, plus tard, partit pour Sulaymaniyyih à la recherche de Baha'u'llah,
et dont la fille fut ensuite donnée en mariage à Aqay-i-Kalim. Lorsqu'il arriva
à Shiraz, il était accompagné de Shaykh Hasan-i-Zunuzi, à qui nous avons fait
allusion dans les premières pages de ce récit. C'est lui que le Bab chargea
de transcrire, en collaboration avec Mulla'Abdu'l-Karim, les Tablettes qu'il
venait de révéler. Shaykh Sultan qui, à son arrivée, avait été malade au point
de ne pouvoir rencontrer le Bab, reçut une nuit, alors qu'il gardait encore
le lit, un message de son Bien-Aimé l'informant de ce qu'aux environs de deux
heures après le coucher du soleil, il viendrait lui rendre visite en personne.
Cette nuit-là, le serviteur éthiopien qui éclairait avec une lanterne le chemin
de son maître, reçut l'ordre de marcher en avant, à une distance suffisante
pour ne pas attirer l'attention des gens sur la personne du Bab, et d'éteindre
la lanterne aussitôt la destination atteinte.
J'ai entendu Shaykh Sultan lui-même décrire cette visite nocturne: "Le Bab,
qui m'avait prié d'éteindre la lampe de ma chambre avant son arrivée, vint tout
droit à mon chevet. Au milieu de l'obscurité qui nous entourait, je tenais fermement
le pan de son vêtement et le suppliai en ces termes: "Réalise mon désir, ô Bien-Aimé
de mon coeur, et permets-moi de me sacrifier pour toi car personne, à part toi,
n'est capable de m'accorder cette faveur." "O shaykh! répondit le Bab, moi aussi,
je souhaite ardemment être immolé sur l'autel du sacrifice. Il nous incombe
à tous deux de nous accrocher au vêtement de celui qui est aimé plus que tout
et de chercher auprès de lui la joie et la gloire du martyre dans son sentier.
Soyez assuré que je supplierai en votre nom le Tout-Puissant de vous permettre
d'atteindre sa présence.
PHOTO: siyyid Javad-i-Karbila'i
[ PAGE: 178 ]
Souvenez-vous de moi ce jour-là, un jour tel que le monde n'en aura jamais vu
de pareil auparavant." Comme l'heure de la séparation approchait, il me mit
dans la main un don qu'il me pria de dépenser pour moi-même. J'essayai de refuser,
mais il me demanda de l'accepter. Finalement, j'accédai à son désir; là-dessus,
il se leva et partit.
"L'allusion du Bab, cette nuit-là, à celui qu'il aimait plus que tout, suscita
mon étonnement et ma curiosité. Au cours des années qui suivirent, je crus maintes
fois que celui à qui le Bab avait fait allusion n'était autre que Tahirih. Je
soupçonnai même Siyyid-i-'Uluvv d'être cette personne-là. J'étais cruellement
perplexe et ne savais comment éclaircir ce mystère. Lorsque j'arrivai a Karbila
et parvins à voir Baha'u'llah, j'acquis la ferme conviction que lui seul pouvait
prétendre à une telle affection de la part du Bab et que lui, et lui seul, pouvait
être digne d'une telle adoration."
Le deuxième Naw-Ruz après la déclaration de la mission du Bab, qui tombait le
21 du mois de rabi'u'l-avval de l'an 1262 après l'hégire, (9.20)
trouva le Bab encore à Shiraz jouissant, dans des circonstances de tranquillité
et de confort relatifs, des bienfaits d'une vie paisible avec sa famille et
ses parents. Sans bruit et sans cérémonie, il célébra la fête de Naw-Ruz dans
sa propre maison et, suivant son habitude de toujours, accorda généreusement
à sa mère et à son épouse les marques de son affection et de sa faveur. Par
la sagesse de ses conseils et la tendresse de son amour, il consola leurs coeurs
et dissipa leurs appréhensions. Il leur légua tous ses biens et transféra à
leurs noms son titre de propriété. Dans un document qu'il écrivit et signa lui-même,
il ordonna que sa maison, le mobilier et le reste de son domaine fussent considérés
comme la propriété exclusive de sa mère et de son épouse, et qu'à la mort de
la première, la part de celle-ci revînt à son épouse.
La mère du Bab ne réalisa pas, tout d'abord, la portée de la mission proclamée
par son fils. Elle resta pendant quelque temps inconsciente de l'importance
des forces latentes dans sa révélation. Vers la fin de sa vie, cependant, elle
put apprécier la valeur inestimable de ce trésor qu'elle avait conçu et mis
au monde. Ce fut Baha'u'llah qui lui permit finalement de découvrir la valeur
de ce trésor qui était resté, pendant tant d'années, caché à ses yeux. Elle
vivait en 'Iraq, où elle espérait passer le restant de ses jours, lorsque Baha'u'llah
chargea deux de ses disciples dévoués, Haji Siyyid Javad-i-Karbila'i et la femme
de Haji'Abdu'l-Majid-i-Shirazi qui, tous deux, la connaissaient déjà intimement,
de lui exposer les principes de la foi.
[ PAGE: 179 ]
Elle reconnut la vérité de la cause et resta jusqu'aux dernières années du treizième
siècle après l'hégire (9.21) époque où elle quitta ce monde,
parfaitement consciente des don généreux que le Tout-Puissant avait choisi de
lui conférer.
La femme du Bab, contrairement à sa mère, saisit, dès l'aube de sa révélation,
la gloire et le caractère unique de sa mission et sentit, dès les premiers jours,
l'intensité de sa force. Personne, à part Tahirih, parmi les femmes de sa génération,
ne la surpassait dans le caractère spontané de sa dévotion ni dans la ferveur
de sa foi. C'est à elle que le Bab confia le secret de ses souffrances futures,
et il dévoila à ses yeux la portée des événements qui devaient se dérouler en
son jour. Il la pria de ne pas divulguer ce secret à sa mère et lui conseilla
d'être patiente et de se résigner à la volonté de Dieu. Il lui confia une prière
spéciale, révélée et écrite par lui-même et dont la lecture, lui assura-t-il,
dissiperait ses difficultés et allégerait le fardeau que faisaient peser sur
elle ses ennemis. "A vos moments de perplexité, récitez cette prière avant d'aller
dormir. J'apparaîtrai moi-même à vos yeux et bannirai votre anxiété." Fidèle
à son conseil, chaque fois qu'elle se tournait vers lui en prière, la lumière
de sa direction infaillible illuminait son chemin et résolvait ses problèmes.
(9.22)
Après que le Bab eut réglé les affaires de son foyer et pourvu à la subsistance
future de sa mère et de sa femme, il transféra sa résidence de sa propre maison
à celle de Haji Mirza Siyyid'Ali. Là, il attendit l'heure imminente de ses souffrances.
Il savait que les afflictions qui lui étaient réservées ne pouvaient plus tarder
désormais, qu'il devait bientôt être pris dans un tourbillon d'adversités qui
le mèneraient rapidement au champ du martyre, l'ultime objet de sa vie. Il donna
l'ordre à ceux de ses disciples qui s'étaient établis à Shiraz et parmi lesquels
se trouvaient Mulla 'Abdu'l-Karim et Shaykh Hasan-i-Zunuzi, de se rendre à Isfahan
et d'y attendre ses instructions ultérieures. Siyyid Husayn-i-Yazdi, l'une des
Lettres du Vivant, qui venait d'arriver à Shiraz, eut également pour instruction
de se rendre à Isfahan et de se joindre au groupe formé par ses condisciple
dans cette ville.
Pendant ce temps, Husayn Khan, le gouverneur du Fars, déployait tous ses efforts
pour entraîner le Bab dans de nouvelles difficultés et l'avilir encore davantage
aux yeux du public. Le feu caché de son hostilité fut attisé par la nouvelle
selon laquelle le Bab avait recevoir certains de ses compagnons et continuait
de jouir d'une libre fréquentation de sa famille et de ses parents. (9.23)
[ PAGE: 180 ]
Grâce à l'aide de ses agents secrets, Husayn Khan parvint à obtenir des informations
précises concernant le caractère et l'influence du mouvement dont le Bab avait
été l'initiateur .Il avait observé en secret ses déplacements, s'était assuré
du degré d'enthousiasme qu'il avait soulevé, et examiné à fond les mobiles,
le comportement et le nombre de ceux qui avaient embrassé sa cause.
Une nuit, le chef des émissaires de Husayn Khan vint lui rapporter que le nombre
de ceux qui affluaient pour voir le Bab était désormais si élevé qu'une action
immédiate s'imposait de la part de ceux qui étaient chargés de la sécurité de
la ville. "La foule empressée qui se réunit toutes les nuits pour rendre visite
au Bab, remarqua-t-il, dépasse en nombre la multitude de personnes qui accourent
chaque jour devant les portes du siège de votre gouvernement. Parmi elles, on
peut aussi bien voir des personnes réputées pour leur rang élevé que d'autres
connues pour leur grand savoir. (9.24) La générosité et
le tact dont fait preuve son oncle maternel envers les fonctionnaires de votre
gouvernement sont tels qu'aucun de vos subordonnés ne se sent enclin à vous
mettre au courant de la réalité de la situation. Si vous me permettez, je surprendrai
le Bab à minuit, avec l'aide de quelques-uns de vos assistants, et vous livrerai,
les mains liées, certains de ses disciples qui vous éclaireront au sujet des
activités de leur maître et confirmeront l'authenticité de mes déclaration ."
Husayn Khan refusa d'accéder à sa demande. "Je puis dire mieux que vous, répondit-il,
ce u'exigent les intérêts de l'État. Observez-moi de loin, je saurai comment
agir envers lui."
PHOTO: interieur de la maison de Haji Mirza Ali à Shiraz,
l'oncle maternel du Bab
[ PAGE: 181 ]
Le gouverneur convoqua sur le champ 'Abdu'l-Hamid Khan l'officier de paix de
la ville. "Rendez-vous immédiatement, lui ordonna-t-il, chez Haji Mirza Siyyid'Ali.
En silence et sans vous faire remarquer, grimpez sur le mur, montez sur le toit
et, de là, entrez brusquement dans sa maison. Arrêtez aussitôt le Siyyid-i-Bab
et conduisez-le ici en compagnie de tous les visiteurs qui se trouveront à ce
moment-là avec lui. confisquez tous les livres et documents que vous pourrez
trouver dans cette maison. Quant à Haji Mirza Siyyid 'Ali, mon intention est
de lui infliger, le lendemain, la peine qu'il mérite pour ne pas avoir tenu
sa promesse. Je jure par le diadème impérial de Muhammad Shah que, cette nuit-même,
j'aurai exécuté le Siyyid-i-Bab ainsi que ses misérables compagnons. Leur mort
ignominieuse éteindra la flamme qu'ils ont allumée et mettra n'importe quel
disciple de cette secte devant l'évidence du danger qui attend tout perturbateur
de la paix de ce royaume. Par cet acte, j'aurai éliminé une hérésie dont la
survie constitue la plus grave menace pour les intérêts de l'État."
PHOTO: maison de Haji Mirza Ali, l'oncle maternel du Bab
[ PAGE: 182 ]
'Abdu'l-Hamid Khan se retira pour exécuter sa tâche. Ils firent irruption, lui
et ses assistants, dans la maison de Haji Mirza Siyyid 'A1i (9.25)
et trouvèrent le Bab en compagnie de son oncle maternel et d'un certain Siyyid
Kazim-i-Zanjani qui devait plus tard tomber martyre au Mazindaran et dont le
frère, Siyyid Murtada, fut l'un des sept martyrs de Tihran. Il les arrêta aussitôt,
recueillit tous les documents qu'il pût trouver, donna l'ordre à Haji Mirza
Siyyid 'Ali de rester chez lui et conduisit les autres au siège du gouvernement.
On entendit le Bab, maître de lui et impavide, répéter ce verset du Qur'an qui
dit.: "Ce dont ils sont menacés est pour le matin. Le matin n'est-il pas proche?"
A peine l'officier de paix avait-il atteint la place du marché qu'il s'aperçut,
à son grand étonnement, que les habitants de la ville fuyaient de tous côtés,
consternés, comme si une terrifiante calamité s'était abattue sur eux. Il fut
horrifié lorsqu'il vit la longue queue de cercueils que l'on transportait précipitamment
à travers les rues, chacun d'eux suivi d'une procession d'hommes et de femmes
lançant des cris de douleur et d' agonie. Ce brusque tumulte, les lamentations,
les mines terrifiées, les imprécations de la foule, l'affligèrent et jetèrent
le trouble dans son esprit. Il demanda la raison de tout cela. "Cette nuit même,
lui dit-on, un fléau (9.26) d'une exceptionnelle virulence
a fait son apparition. Nous sommes frappés par son pouvoir dévastateur. Déjà,
depuis minuit, plus de cent personnes ont péri. L'alarme et le désespoir règnent
dans chaque maison. Les gens abandonnent leur foyer et, dans leur détresse,
invoquent l'aide du Tout-Puissant. (9.27)
'Abdu'l-Hamid Khan, terrifié par cette épouvantable nouvelle, courut chez Husayn
Khan. Un vieillard qui gardait la maison de celui-ci et faisait office de portier
l'informa que la maison de son maître avait été abandonnée, que les ravages
de l'épidémie l'avaient dévastée et qu'ils avaient affligé les membres de sa
famille. "Deux de ses servantes éthiopiennes, lui dit-on encore, et un domestique
sont déjà tombés, victimes de ce fléau, et les membres de sa propre famille
sont à présent gravement malade . Dans son désespoir, mon maître a abandonné
sa maison et, laissant les morts non enterrés, a fui, avec le reste de sa famille,
ver le Bagh-i-Takht." (9.28)
'Abdu'l-Hamid Khan décida d'emmener le Bab chez lui et de le garder sous sa
surveillance en attendant les instructions du gouverneur. En s'approcha de sa
maison, il fut étonné d'entendre les lamentations et les pleurs des membres
de sa famille. Son fils était atteint de choléra et agonisait.
[ PAGE: 183 ]
Dans son désespoir, il se jeta aux pieds du Bab et l'implora de sauver la vie
de son fils. Il lui demanda de lui pardonner ses transgressions et ses méfaits
passés. "Je vous adjure", le supplia-t-il en s'accrochant au pan de son vêtement,
"par celui qui vous a élevé à ce rang exalté, d'intercéder en ma faveur et d'offrir
une prière pour la guérison de mon fils. Faites qu'il ne me soit pas enlevé
dans sa prime jeunesse. Ne le punissez pas pour les crimes que son père a commis.
Je me repens de ce que j'ai fait et j'abandonne à présent mon poste. Je jure
solennellement que je n'accepterai jamais plus à l'avenir une telle position,
dussé-je mourir de faim."
Le Bab, qui était sur le point de faire ses ablutions et se préparait pour la
prière de l'aube, lui dit de prendre une partie de l'eau avec laquelle il se
lavait le visage et de la faire boire à son fils. "Cela, dit-il, le sauvera."
Dès qu' 'Abdu'l-Hamid Khan eut observé les signes de guérison chez son fils,
il écrivit une lettre au gouverneur, dans laquelle il le mettait au courant
de toute la situation et le priait d'arrêter ses attaques contre le Bab. "Ayez
pitié de vous-même, lui écrivit-il, ainsi que de ceux que la Province a confiés
à vos soins. Si la furie de cette épidémie poursuit son cours fatal, personne
dans cette ville n'aura survécu à l'horreur du fléau d'ici la fin de la journée."
Husayn Khan répondit que le Bab devait être immédiatement relâché et autorisé
à se rendre où bon lui semblerait. (9.29)
Dès qu'un rapport sur ces événements parvint à Tihran et qu'il fut soumis à
l'attention du Shah, un décret impérial déchargeant Husayn Khan de ses fonctions
fut promulgué et envoyé à Shiraz. A partir du jour de son renvoi, ce tyran éhonté
fut la victime d'innombrables malheurs et devint finalement incapable de gagner
son pain quotidien. Personne ne semblait désireux ou capable de le sauver de
son triste état. Quand, plus tard, Baha'u'llah fut exilé à Baghdad, Husayn Khan
lui envoya une lettre dans laquelle il exprimait son repentir et promettait
de se racheter de ses mauvaises actions passées à condition qu'il recouvre sa
position antérieure. Baha'u'llah refusa de lui répondre. Plongé dans la misère
et la honte, il languit jusqu'à la fin de sa vie.
Le Bab, qui se trouvait chez 'Abdu'l-Hamid Khan, envoya Siyyid Kazim chez Haji
Mirza Siyyid 'Ali pour lui demander de venir le voir. Il informa son oncle de
son intention de quitter Shiraz, lui confia sa mère et sa femme, et le chargea
de transmettre à chacune d'elles l'expression de son affection et l'assurance
de l'assistance infaillible de Dieu.
[ PAGE: 184 ]
"Où qu'elles puissent être" dit-il à son oncle en prononçant ses paroles d'adieu,
"l'amour et la protection de Dieu, qui embrassent toutes choses, les entoureront.
Je vous rencontrerai à nouveau au coeur des montagnes d'Adhirbayjan, d'où je
vous enverrai cueillir la couronne du martyre. Moi, je vous suivrai, en compagnie
de l'un de mes fidèles disciples, et vous rejoindrai dans le royaume d'éternité."
[ PAGE: 185 ]
NOTE DU CHAPITRE 9:
(9.1) Le Babisme avait de nombreux adeptes dans toutes
les classes de la société, et beaucoup d'entre eux avaient une grande importance;
des grands seigneurs, des membres du clergé, des militaires et des marchands
avaient embrassé cette doctrine." Journal Asiatique, 1866, tome VIII, p. 251)
(9.2) Voir: "La généalogie de la dynastie Qajar" au
début de cet ouvrage.
(9.3) 'Abdu'l-Baha a écrit à son sujet ce qui suit: "Cet
homme remarquable, cette âme précieuse, avait appris par coeur pas moins de trente
mille traditions et était tenu fort en estime et très admiré par toutes les classes
de la société Il avait obtenu une renommée universelle dans toute la Perse, et
l'on admettait partout et sans réserve son autorité et son érudition." (Extrait
d'un manuscrit relatif aux martyrs en Perse.)
"Ce personnage était, comme son nom l'indique, né à Darab, près de Shiraz. Son
père, Siyyid Ja'far, surnommé Kashfi, était l'un des plus grands et des plus
célèbres 'ulamas de l'époque. Sa haute valeur morale, son caractère, ses moeurs
pures lui avaient attiré l'estime et la considération universelles: sa science
lui avait valu le glorieux surnom de kashfi qui veut dire celui qui découvre
et, dans ce cas, celui qui découvre et explique les secrets divins. Elevé par
lui, son fils ne tarda pas à l'égaler sur tous les points : il partagea désormais
la faveur dont jouissait son père et se rendit à Tihran, précédé de son renom
et de sa popularité. Il y devint le commensal du prince Tahmasp Mirza, Mu'ayyadu'd-Dawlih,
petit-fils de Fath-'Ali Shah par son père Muhammad-'Ali Mirza. Le gouvernement
lui-même rendit hommage à sa science et à son mérite et il fut consulté plus
d'une fois dans les circonstances difficiles. Ce fut à lui que pensèrent Muhammad
Shah et Haji Mirza Aqasi quand ils voulurent trouver un émissaire honnête et
dont la fidélité ne fût pas douteuse." (A.L.M. Nicolas, "Sjyyid 'Ali-Muhammad
dit le Bab," p. 233.)
"Pendant que ces événements se déroulaient au Nord de la Perse, les provinces
du centre et du sud étaient profondément remuées par les prédications enflammées
des missionnaires de la nouvelle doctrine. Le peuple, léger, crédule, ignorant,
superstitieux à l'excès, était frappé de stupeur par les miracles continuels
qu" chaque instant il entendait raconter; les mullas anxieux, sentant leur troupeau
frémissant prêt à leur échapper, redoublaient de calomnies et d'imputations
infamantes; les mensonges les plus grossiers, les imaginations les plus sanglantes
étaient par eux répandus dans la populace hésitante, partagée entre l'horreur
et l'admiration ... Siyyid Ja'far était étranger aux doctrines shaykhis comme
à celles de Mulla Sadra. Cependant, son zèle emporté, son imagination ardente
l'avaient, vers la fin de sa vie, fait sortit un peu des sentiers étroits de
l'orthodoxie shi'ite. Il commentait les hadis d'une autre façon que ses collègues
et prétendait même, dit-on, avoir pénétré les soixante et dix significations
intimes du Qur'an ... Son fils - qui, par la suite, devait dépasser ces étrangetés
- était à cette époque un homme de 35 ans environ qui, ses études terminées,
était venu se fixer à Tihran où il s'était lié avec tout ce que la cour comptait
de grands personnages et d'hommes distingués. Ce fut sur lui que se porta le
choix de SM. Il fut donc chargé de se rendre à Shiraz, de se mettre en rapport
avec le Bab et de renseigner, aussi exactement qu'il le pourrait, l'autorité
centrale des conséquences politiques que l'on pouvait tirer d'une réforme qui
semblait devoir bouleverser la face du pays. (A.L.M. Nicolas, "Siyyid 'Ali-Muhammad
dit le Bab", pp. 387-8.)
(9.4) Qur'an, 108.
(9.5) D'après le "Kashfu'l-Ghita" (p.81), pas moins
de deux mille versets furent révélés à cette occasion par le Bab. La rapidité
ahurissante de cette révélation sembla aussi remarquable aux yeux de Siyyid
Yahya que la beauté sans égale et le sens profond des versets contenus dans
ce commentaire. "Dans l'espace de cinq heures, deux mille bayts (versets) se
manifestent de lui, ou bien avec la rapidité juste suffisante pour que le scribe
puisse les écrire. On peut, par là, juger, si on l'avait laissé faire, combien,
depuis le début de sa manifestation jusqu'à aujourd'hui, combien de ces oeuvres
se fussent répandues parmi les hommes." ("Le Bayan persan,", vol. 1, p. 43.)
"Dieu lui a donné une (telle) puissance et une (telle) faculté d'élocution,
que si un scribe rapide écrivait avec la plus extrême rapidité, en deux nuits
et deux jours, sans interruption, il manifesterait de cette mine de la parole,
l'équivalent d'un Qur'an. (Ibid., vol. Il, p. 132) "Et si quelqu'un devait réfléchir
sur l'aspect de cet Arbre (Le Bab), il admettrait sans aucun doute la sublimité
de la religion de Dieu. Car, chez quelqu'un qui avait vingt-quatre ans, qui
était dépourvu de ces sciences que tout le monde connaît, qui récite à présent
des versets de telle manière, sans penser ni hésiter, qui, en l'espace de cinq
heures, écrit un millier de versets de supplications sans déposer la plume,
qui produit des commentaires et des traités savants d'un degré de sagesse et
de compréhension de l'unité divine si élevé, que les docteurs et les philosophes
confessent leur impuissance à en comprendre les passages, il ne fait aucun doute
que tout cela émane de Dieu. (Bayan, Vahid 2, Bab I.) Ç 'A Traveller's Narrative",
Note C, p. 219.)
(9.6) "Certes, le fait d'écrire currente calamo un
commentaire nouveau sur une sourate dont le sens est si obscur, devait frapper
d'étonnement Siyyid Yahya, mais ce qui le surprit plus étrangement encore, ce
fut de retrouver, dans ce commentaire, l'explication que lui-même avait trouvée
dans ses méditations sur ces trois versets. Ainsi il se rencontrait avec le
Réformateur dans une interprétation qu'il croyait avoir été le seul à imaginer
et qu'il n'avait communiquée à personne.", (A.L.M. Nicolas, "Siyyid Ali-Muhammad
dit le Bab", p. 234.)
(9.7) "C'était une étrange circonstance", écrit Lady
Sheil, "que parmi ceux qui adoptèrent la doctrine du Bab, il se trouvât un grand
nombre de Mullas et même de mujtahids, qui occupaient un rang élevé en tant
qu'interprètes de la loi dans l'Église mahométane. Beaucoup de ces hommes scellèrent
de leur sang leur foi." ("Glimpses of Life and Manners in Persia", pp. 178-9.)
(9.8) D'après 'A Traveller's Narrative" (p.8), Siyyid
Yahya écrivit sans crainte ni ménagement, un rapport détaillé de ses observations
à Mirza Luti-'Ali, le chambellan, afin que ce dernier pût le soumettre à l'attention
de l'ancien roi, alors que lui-même s'en allait dans toutes les régions de la
Perse et s'adressait, dans chaque ville et dans chaque station, à la foule,
du haut de la chaire, de sorte que les autres docteurs érudits conclurent qu'il
devait être fou, voyant là un cas certain d'ensorcellement.
(9.9) Il s'appelait Siyyid Ja'far, étai connu sous
le nom de Kashfi 'celui qui découvre", à cause de son habileté à interpréter
le Qur'an et des visions qu'il prétendait avoir.
(9.10) Il avait le titre de Hujjatu'l-Islam.
(9.11) Signifiant littéralement "Les Quatre Portes",
dont chacune se prétendait intermédiaire entre l'Imam absent et ses disciples.
(9.12) Il était Akhbari. Pour un exposé sur les Akhbaris,
voir Gobineau "Les Religions et les Philosophies dans l'Asie Centrale", pp.
23 et suivantes.
(9.13) "Je le rencontrai (Mulla Muhammad-'Ali)", raconte
Mirza Jâni, à Tihran chez Mahmud Khan, le kalantar, où il était emprisonné à
cause de sa dévotion à sa Sainteté. Il dit: "J'étais mulla, un mulla si fier
et si autoritaire que je ne me serais incliné devant personne, pas même devant
feu Haji Siyyid Baqir de Rasht, que l'on considérait comme la "preuve de l'islam"
et le plus savant des docteurs. Mes doctrines tenant de l'école Akhbari, j'avais
des opinions différentes, concernant certaines questions, de celles de l'ensemble
du clergé. Les gens portèrent plainte contre moi, et Muhammad Shah me convoqua
à 'Tihran. J'y vins, et il lut mes livres et s'informa de leur portée. Je lui
demandai de faire appeler aussi le siyyid (Siyyid Baqir de Rasht), pour que
nous puissions discuter. Il entendait d'abord agir ainsi mais, par la suite,
ayant considéré le mal qui pouvait en résulter, suspendit la discussion proposée.
En bref, malgré toutes mes prétentions, dès que la nouvelle de la Manifestation
de Sa Sainteté me parvint, et que j'eus parcouru attentive- ment une petite
page des versets de ce Point du Furqan, je fus comme hors de moi et, involontaire-ment,
mais de plein gré, confessai la vérité de sa revendication et devins son esclave
dévoué; car je vis en lui le plus noble des miracles du Prophète et, si je l'avais
rejeté, j'aurais rejeté la vérité de la religion islamique." (Histoire de Haji
Mirza Jani: appendice II du "Tarikh-i-Jadid", pp.I 349-50.)
(9.14) Une déclaration semblable est rapportée dans
le "Kashfu'l-Ghita" (p. 227). Une telle déclaration, déclare l'auteur, lui a
été faite par plusieurs habitants de la province de Mazindaran.
(9.15) Voir glossaire.
(9.16) "Il y eut là une lutte ardente entre Muqaddas
et Karim Khan qui, comme on le sait, avait pris le rang de chef de la secte
shaykhie après la mort de Kazim. La discussion eut lieu en présence d'un nombreux
auditoire et Karim somma son adversaire de prouver la vérité de la mission du
Bab. "Si nu le fais, lui dit-il, je me convertis, et mes élèves avec moi; mais,
ai tu n'y réussis pas, je ferai crier dans les bazars: voilà celui qui foule
aux pieds la sainte loi de l'islam. Je sais qui tu es Karim, lui répliqua Muqaddas.
Ne te souviens-tu pas de ton maître Siyyid Kazim et de ce qu'il t'a dit: "Chien,
ne veux-tu pas que je meure et qu après moi paraisse la vérité absolue!" Et
voilà qu'aujourd'hui, poussé par ta passion des richesses et de la gloire, tu
te mens à toi-même? Commencée sur ce ton, la discussion devait être brève. En
effet, les élèves de Karim tirèrent le couteau et se lancèrent sur celui qui
insultait leur chef. Fort heureusement le gouverneur de la ville s'interposa,
fit arrêter Muqaddas et le fit conduire dans son palais. Il le garda pendant
un certain temps et, quand les passions se furent un peu calmées, il le renvoya
de nuit, le faisant accompagner durant quelques étapes par 10 cavaliers." (A.L.M.
Nicolas: "Siyyid 'Ali-Muhammad dit le Bab", pp. 228-9.)
(9.17) Titre donné par le Bab à Siyyid Yahyay-i-Darabi.
(9.18) Les circonstances remarquables dans lesquelles
eut lieu la conversion de Haji Siyyid Javad-i-Karbila'i sont racontées en détail
dans le "Kashfu'l-Ghita" (pp. 70-77), et il y est fait référence à une Tablette
significative révélée à son intention par Baha'u'llah (p.63), et dans laquelle
l'importance du Kitab-i-Aqdas est pleinement soulignée, et la nécessité de faite
preuve d'un tact et d'une modération extrêmes lots de l'application et de l'exécution
de ses préceptes mis en relief. Le texte de cette Tablette se trouve aux pages
64 à 70 du même livre. Le passage suivant du 'Dala'il-i-Sab'ih" se réfère à
la conversion de Haji Siyyid Javad: "Aqa Siyyid Javad-i-Karbila'i a dit qu'avant
la manifestation, un indien lui avait écrit le nom de celui qui serait manifesté."
("Le Livre des Sept Preuves", traduction par A.L.M. Nicolas, p. 59.)
(9.19) Signifiant littéralement "siyyid radieux."
(9.20) 1846 ap. J-C.
(9.21) Le treizième siècle après l'hégire se termina
en octobre 1882 ap. J-C.
(9.22) "La veuve du Bab lui survécut jusqu'en l'an
1300 après l'hégire, il y a à peine six ans. Elle était la soeur du grand-père
maternel de mon ami. Les détails ci-dessus proviennent d'une vieille danse de
la même famille, de sorte qu'il y a tout lieu de les considérer comme dignes
de foi.' Journal of The Royal Asiatic Society, 1889, p. 993.)
(9.23) "Cependant les troubles, les discussions passionnées,
le scandale continuaient à Shiraz, tant et si bien, qu'importuné de tout ce
tapage, anxieux des suites qu'il pouvait avoir, Haji Mirzi Aqasi donna l'ordre
à Husayh Khan, Nizamu'd-Dawlih, d'en finir avec le Réformateur et de le faire
tuer secrètement." (A.L.M. Nicolas , "Siyyid 'Al'i-Muhammad dit le Bab", p.
235.)
(9.24) "Extrêmement irrités, mécontents et inquiets,
les Mullas du Fars, ne pouvant d'ailleurs prévoir ou s'arrêterait le mouvement
qui se prononçait si fortement contre eux, n'étaient pas les seuls à se sentir
dans l'embarras. Les autorités de la ville et de la province comprenaient trop
bien que le peuple qui leur avait été confié et qui n'est jamais beaucoup dans
leurs mains, cette fois n'y était plus du tout. Les hommes de Shiraz, légers,
railleurs, turbulents, belliqueux, toujours prêts à la révolte, insolents en
perfection, rien moins qu'attachés à la dynastie Qajar, n'ont jamais été faciles
à mener, et leurs administrateurs ont souvent des journées pénibles. Quelle
serait la situation de ces administrateurs, si le chef réel de la ville et du
pays, l'arbitre des idées de tout le monde, l'idole de chacun, allait être un
jeune homme que rien ne soumettait, n'attachait ou ne gagnait à rien, qui se
faisait un piédestal de son indépendance et qui n'en tirait qu'un trop grand
parti en attaquant chaque jour impunément et publiquement tout ce qui jusqu'alors
s'était considéré comme puissant et respecté dans la ville? A la vérité, les
gens du roi, la politique, l'administration proprement dite n'avaient encore
été l'objet d'aucune des virulentes apostrophes du novateur; mais à le voir
si rigide dans ses moeurs, si inexorable pour la fraude de l'esprit et l'esprit
de rapine des membres du clergé, il était fort douteux qu'il pût approuver au
fond la même rapacité, la même fraude si florissantes chez les fonctionnaires
publics, et on pouvait bien croire que le jour où ses regards tomberaient sur
eux, il ne manquerait pas d'apercevoir et de vitupérer ce qu'on n'avait guère
le moyen de cacher." (Comte de Gobineau, les Religions et les Philosophies dans
l'Asie Centrale", p. 122-3.)
(9.25) Le 23 septembre 1845 ap. J. -C. Voir "Tarikh-i-Jadid",
p.204.)
(9.26) Epidémie de choléra.
(9.27) Le Bab se réfère à cet incident, dans le "Dala'il-i-Sab'ih",
on ces termes: "Reporte-toi aux premiers jours de la manifestation: combien
d'hommes y sont morts du choléra! c'était là l'un des prodiges de la Manifestation
et personne ne l'a compris. Pendant quatre années le fléau sévit parmi les Musulmans
shi'ites sans que personne n'en saisisse la signification." ("Le Livre des Sept
Preuves", traduction par A.L.M. Nicolas, pp. 61-2.)
(9.28) Un jardin dans les faubourgs de Shiraz.
(9.29) D'après 'A Traveller's Narrative" (p. 11),
"Husayn Khan relâcha le Bab en posant comme condition son départ de la ville."