La chronique de Nabil
Nabil-i-A'zam


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CHAPITRE IX : le séjour du Bab à Shiraz après son pèlerinage (suite)

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Peu après l'arrivée de Mulla Husayn à Shiraz, la voix du peuple s'éleva de nouveau contre lui. La peur et l'indignation de la foule s'intensifièrent encore lorsque celle-ci apprit qu'il fréquentait le Bab continuellement et dans l'intimité.

"Il est encore venu dans notre ville", s'écriaient les gens. Il a de nouveau hissé l'étendard de la rébellion et cherche, avec son chef, à livrer un assaut encore plus féroce à nos vénérables institutions." La situation devint si grave et si menaçante que le Bab dit à Mulla Husayn de regagner, par la voie de Yazd, sa province natale de Khurasan. Il renvoya également le reste de ses compagnons qui s'étaient réunis à Shiraz et les pria de retourner à Isfahan. Il garda auprès de lui Mulla 'Abdu'l-Karim, à qui il assigna la tache de transcrire ses Ecrits.

Ces mesures de précaution, que le Bab estima sage d'adopter, le délivrèrent du danger immédiat de violence de la part du peuple de Shiraz en colère et servirent à donner un élan nouveau à la propagation de sa foi au-delà des confins de cette ville. Ses disciples, qui s'étaient dispersés à travers tout le pays, proclamèrent avec intrépidité à la foule de leurs compatriotes la force régénératrice de la révélation nouvellement née. La renommée du Bab s'était propagée et était parvenue aux oreilles de ceux qui occupaient les sièges les plus hauts de l'autorité, aussi bien dans la capitale que dans les provinces. (9.1) Une vague de recherche passionnée déferla sur les esprits et les coeurs tant des dirigeants que des masses du peuple. L'étonnement et l'émerveillement s'étaient emparés de ceux qui avaient entendu, de la bouche même des plus proches messagers du Bab, les récits des signes et des témoignages qui avaient annoncé la naissance de sa manifestation. Les dignitaires de l'Etat et de l'Eglise assistaient en personne ou déléguaient leurs représentants les plus capables pour aller s'enquérir de l'authenticité et du caractère de ce remarquable mouvement.

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Muhammad Shah (9.2) lui-même fut porté à vérifier la véracité de ces rapports et à s'informer de leur nature. Il délégua Siyyid Yahyay-i-Darabi, (9.3) le plus érudit, le plus éloquent et le plus influent de ses sujets, pour rencontrer le Bab et lui rapporter le résultat de ses investigations. Le shah avait une confiance absolue en son impartialité, en sa compétence et en sa perspicacité spirituelle profonde. Il occupait une position d'une prééminence telle parmi les principales figures de la Perse que, à toutes les réunions auxquelles il venait assister, on lui donnait invariablement le rôle d'orateur principal, quel que soit le nombre des chefs religieux présents. Personne n'osait faire valoir ses idées en sa présence. Tout le monde observait respectueusement le silence devant lui, tous témoignaient de sa sagacité, de son savoir inégalé et de sa sagesse consommée.

En ce temps-là, Siyyid Yahya résidait à Tihran dans la maison de Mirza Lutf-'Ali, le maître de cérémonies à la cour du Shah, en qualité d'invité très distingué de Sa Majesté Impériale. Le shah signifia confidentiellement, par l'intermédiaire de Mirza Lutf-'Ali, son désir et son bon plaisir de voir Siyyid Yahya se rendre à Shiraz pour enquêter personnellement sur le sujet. "Dites-lui de notre part, ordonna le souverain, qu'étant donné la confiance absolue que nous avons en son intégrité, l'admiration que nous portons à ses qualités morales et intellectuelles, et la considération que nous avons pour lui en tant que théologien le plus apte de notre royaume, nous nous attendons à le voir partir pour Shiraz s'informer de manière approfondie sur l'épisode du Siyyid-i-Bab et à ce qu'il nous fasse part des résultats de ses recherches. Nous saurons alors quelles mesures il nous incombera de prendre."

Siyyid Yahya avait été lui-même désireux de recueillir des informations de première main sur les revendications du Bab mais en raison de circonstances contraires, il avait été empêché d'entreprendre le voyage au Fars. Le message de Muhammad Shah le décida à mettre à exécution l'intention qu'il nourrissait depuis longtemps. Assurant le souverain de ce qu'il était prêt à se conformer à son voeu, il partit aussitôt pour Shiraz.

Chemin faisant, il conçut les diverses questions qu'il envisageait de poser au Bab. Des réponses que ce dernier pouvait lui donner, dépendraient, selon lui, la vérité et la validité de sa mission. A son arrivée à Shiraz, il rencontra Mulla Shaykh'Ali, surnommé 'Azim, qui avait été son ami intime lors de son' séjour dans le Khurasan. Il lui demanda s'il était satisfait de son entrevue avec le Bab. "Vous devriez le rencontrer, répondit 'Azim, et chercher personnellement à vous informer de sa mission.

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En tant qu'ami, je vous conseillerais de faire preuve de la plus grande déférence lors de vos conversations avec lui, afin que vous ne soyez pas, vous aussi, amené à déplorer un acte quelconque de discourtoisie envers lui."

Siyyid Yahya rencontra le Bab chez Haji Mirza Siyyid'Ali et manifesta, dans son comportement, la courtoisie qu' Azim lui avait conseillé d'observer. Pendant environ deux heures, il attira l'attention du Bab sur les thèmes les plus abstrus et les plus déconcertants des enseignements métaphysiques de l'islam, sur les passages les plus obscurs du Qur'an et sur les traditions et les prophéties mystérieuses des Imams de la foi. Le Bab écouta d'abord ses savantes références à la loi et aux prophéties de l'islam, prit note de toutes ses questions, et commença à donner à chacune d' elles une réponse brève mais convaincante. La concision et la clarté d ses répliques suscitèrent l'étonnement et l'admiration de Siyyid Yahya. Il était écrasé par un sentiment d'humiliation devant sa présomption et sa fierté personnelles. Son sentiment de supériorité s'effaça complètement. Se levant pour partir, il s'adressa au Bab en ces termes: "S'il plaît à Dieu, je vous soumettrai au cours de ma prochaine entrevue avec vous, le reste de mes questions, et conclurai par là mon enquête." A peine s'était-il retiré qu'il rejoignit 'Azim, à qui il fit le récit de son entrevue. Je me suis, en sa présence, lui dit-il, inutilement étendu sur mon propre savoir. Il a pu, en quelques mots, répondre à mes questions et résoudre mes perplexités. Je me suis senti si humilié que je lui demandai précipitamment la permission de me retirer." 'Azim lui rappela son conseil et le pria de ne pas oublier, la fois suivante, l'avis qu'il lui avait donné.

Au cours de sa deuxième entrevue, Siyyid Yahya découvrit à son grand étonnement, que toutes les questions qu'il avait eu l'intention de soumettre au Bab s'étaient effacées de sa mémoire. Il se contenta de sujets qui semblaient ne pas relever de l'objet de son enquête. Il s'aperçut bientôt, à sa plus grande surprise, que le Bab répondait, avec la même clarté et la même concision qui avaient caractérisé ses réponses antérieures, à ces mêmes questions qu'il avait momentanément oubliées. "Je semblais être tombé dans un profond sommeil", observa-t-il plus tard. "Ses paroles, ses réponses aux questions que j'avais oublié de poser, me réveillèrent. Une voix me murmurait encore à l'oreille: "Cela ne pourrait-il, après tout, n'avoir été qu'une coïncidence accidentelle?" J'étais trop agité pour pouvoir rassembler mes idées.

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Je demandai de nouveau la permission de me retirer. 'Azim, que je rencontrai peu après, me reçut avec une froide indifférence et observa avec sévérité: "Il aurait mieux valu que les écoles aient été totalement abolies et qu'aucun de nous n'y soit entré. Par la petitesse de notre esprit et par notre vanité, nous sommes en train de nous soustraire à la grâce rédemptrice de Dieu et de causer de la peine à celui qui en est la Source. Ne supplieras-tu pas Dieu cette fois-ci de te permettre de parvenir en sa présence avec l'humilité et le détachement requis; peut-être, par sa miséricode, te délivrera-t-il ainsi de l'oppression, de l'incertitude et du doute?"

"Je décidai alors de formuler en moi-même, au cours de ma troisième entrevue avec le Bab, une requête l'invitant à révéler pour moi un commentaire sur la surih de Kawthar (9.4). J'étais décidé à ne pas lui en souffler mot si, sans y être invité, il révélait ce commentaire dans un style qui, à mes yeux, se distinguerait aussitôt des normes prévalant parmi les commentateurs du Qur'an, je serais alors convaincu du caractère divin de sa mission et embrasserais sa cause. Sinon, je refuserais de le reconnaître. A peine avais-je été introduit en sa présence qu'un sentiment de crainte, que je ne pouvais expliquer, s'empara soudain de moi. Mes membres se mirent à trembler lorsque je vis son visage. Moi qui, à maintes reprises, avais été introduit auprès du Shah et n'avais jamais découvert en moi-même la moindre trace de timidité, j'étais à présent si terrifié et bouleversé que je ne pouvais me tenir debout. Le Bab, voyant mon état, se leva de son siège, s'avança vers moi et, me prenant par la main, me fit asseoir auprès de lui. "Demandez-moi, dit-il, ce que votre coeur désire. Je vous le révélerai aussitôt." Je restai muet d'étonnement. Tel un nouveau-né qui ne peut ni comprendre, ni parler, je me sentis impuissant à donner une réponse. Il sourit en me regardant et dit: "Si je révélais pour vous le commentaire sur la surih de Kawthar, reconnaîtriez-vous que mes paroles sont nées de l'Esprit de Dieu? Admettriez-vous qu'elles ne peuvent être assimilées à de la sorcellerie ou à de la magie?" Des larmes coulèrent de mes yeux lorsque je l'entendis prononcer ces mots. Tout ce que je fus capable de proférer fut ce verset du Qur'an: "O notre Seigneur, en nous-mêmes nous avons agi de manière injuste. Si tu ne nous pardonnes pas et si tu n'as pas pitié de nous, nous serons à coup sûr de ceux qui périssent."

"Il était encore tôt dans l'après-midi lorsque le Bab pria Haji Mirza Siyyid'Ali de lui apporter son plumier et du papier. Il commença alors à révéler son commentaire sur la surih de Kawthar.

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Comment pourrais-je décrire cette scène d'une majesté inexprimable? Les versets coulaient de sa plume avec une rapidité qui était vraiment surprenante. L'incroyable célérité de son écriture, (9.5) le murmure doux et aimable de sa voix, la force prodigieuse de son style m'étonnèrent et m'ébahirent. Il continua ainsi jusqu'au coucher du soleil. Il ne s'arrêta que lorsque le commentaire de la surih tout entier fut achevé. Il posa alors sa plume et fit apporter du thé. Peu après, il commença à lire à haute voix le texte révélé. Mon coeur battait à une cadence folle lorsque je l'entendis exprimer, en des accents d'une douceur ineffable, les trésors enchâssés dans ce sublime commentaire. (9.6) Je fus si ravi par sa beauté que, par trois fois, je faillis perdre connaissance. Il chercha à ranimer ma force défaillante avec quelques gouttes d'eau de rose dont il aspergea mon visage. Cela me rendit de la vigueur et me permit de suivre sa lecture jusqu'au bout.

"Lorsqu'il eut terminé, il se leva pour partir et me confia aux soins de son oncle maternel. "Il doit être votre invité, lui dit-il, jusqu'au moment où il aura, en collaboration avec Mulla'Abdu'l-Karim, achevé de transcrire ce commentaire nouvellement révélé, et vérifié l'exactitude de la transcription." Mulla'Abdu'l-Karim et moi-même consacrâmes trois jours et trois nuits à exécuter cette tâche. Nous lisions, chacun à notre tour et à haute voix, une partie du commentaire et ce, jusqu'à ce que le tout fût transcrit. Nous vérifiâmes toutes les traditions contenues dans le texte et les trouvâmes entièrement exactes. La certitude à laquelle j'étais parvenu était si évidente que, si toutes les puissances de la terre s'étaient liguées contre moi, elles auraient été incapables d'ébranler ma confiance en la grandeur de sa cause. (9.7)

"Comme j'avais, depuis mon arrivée à Shiraz, vécu chez Husayn Khan, le gouverneur du Fars, je sentis que mon absence prolongée pouvait éveiller des soupçons de sa part et provoquer sa colère contre moi. Je décidai par conséquent de prendre congé de Haji Mirza Siyyid 'Ali et de Mulla'Abdu'l-Karim, et de regagner la résidence du gouverneur. A mon arrivée, Husayn Khan, qui, entre-temps, m'avait cherché, était impatient de savoir si j'étais, moi aussi, tombé victime de l'influence magique du Bab. "Personne, hormis Dieu qui, seul, peut transformer le coeur des hommes, répondis-je, n'est capable de captiver le coeur de Siyyid Yahya. Celui qui peut séduire son coeur vient de Dieu, et sa parole est, indubitablement, la voix de la vérité." Ma réponse réduisit le gouverneur au silence; lors de sa conversation avec les autres, appris-je par la suite, il avait exprimé l'avis selon lequel j'avais, moi aussi, succombé comme un homme impuissant au charme de ce jeune homme.

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Il avait même écrit à Muhammad Shah et s'était plaint auprès de lui de ce que, pendant mon séjour à Shiraz, j'avais refusé toute forme de relation avec les 'ulamas de cette ville. "Bien qu'il soit officiellement mon invité, avait-il écrit au souverain, il s'absente fréquemment plusieurs jours et plusieurs nuits de suite. Quant à moi, j'ai acquis la certitude qu'il est devenu Babi et qu'il est tombé, corps et âme, captif de la volonté du Siyyid-i-Bab."

On rapporte que Muhammad Shah lui-même lors d'une des cérémonies célébrées dans sa capitale, aurait adressé ces paroles à Haji Mirza Aqasi: "Nous avons été récemment informé (9.8) que Siyyid Yahyay-i-Darabi est devenu Babi. Si cela est vrai, il est de notre devoir de cesser de mépriser la cause de ce siyyid." Husayn Khan, de son côté, reçut 1'ordre impérial suivant: "Il est formellement interdit à chacun de nos sujets d'exprimer des paroles tendant à dénigrer le rang sublime de Siyyid Yahyay-i-Darabi. Il est de descendance noble, c'est un homme de rand savoir, de vertu parfaite et accomplie. En aucun cas il ne prêtera le à une cause, s'il ne la croit pas capable d'aider à l'avancement des meilleurs intérêts de notre royaume et au bon renom de la foi islamique."

"À la réception de cet ordre impérial, Husayn Khan, ne pouvant s'opposer ouvertement à moi, s'efforça en secret de saper mon autorité. Son visage trahissait une haine et une inimitié implacables. Il ne put cependant, vu les faveurs manifestes que me prodiguait le Shah, nuire à ma personne ou discréditer mon nom.

"Le Bab me donna, peu après, l'ordre de me rendre à Burujird et de mettre mon père (9.9) au courant du nouveau message. Il me pria instamment de faire preuve envers lui d'une patience et d'une considération extrêmes. Des entretiens c3niidentiels que j'eus avec lui, je conclus qu'il ne désirait pas rejeter la vérité du message que je lui avais apporté. Il préférait cependant être laissé seul et être autorisé à suivre sa propre voie.

Un autre dignitaire du royaume qui fit une recherche impartiale sur le message du Bab et embrassa finalement sa cause, fut Mulla Muhammad-'Ali, (9.10) natif de Zanjan, auquel le Bab donna le surnom de Hujjat-i-Zanjani. C'était un homme très indépendant, connu pour son extrême originalité et pour son détachement de toutes formes de contraintes traditionnelles. Il dénonçait ouvertement toute la hiérarchie des chefs religieux de son pays, depuis l'Abvab-i-Arba'ih (9.11) jusqu'au plus humble Mulla de son époque.

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Il méprisait leur caractère, déplorait leur dégénérescence et s'étendait longuement sur leurs vices. Il trahissait même, avant sa conversion, une attitude dédaigneuse vis-à-vis de Shaykh Ahmad-i-Ahsa'i et de Siyyid Kazim-i-Rashti. (9.12) Il était si horrifié des méfaits qui avaient entaché l'histoire de l'islam shi'ah qu'il considérait tout homme qui appartenait à cette secte, quels que fussent ses talents, comme indigne de sa considération. Les cas de violente controverse entre lui et le clergé de Zanjan ne manquèrent pas et, sans l'intervention du shah, auraient pu mener a de graves désordres et à des bains de sang. Il fut finalement convoque à la capitale et, en présence de ses ennemis, représentants des chefs religieux de Tihran et d'autres villes, il fut appelé à justifier ses affirmations. Seul et sans aide, il prouvait sa supériorité sur ses adversaires et réduisait leurs clameurs au silence. Bien que dans leurs coeurs ils fussent en dé accord avec ses idées et qu'ils condamnassent sa conduite, ses ennemi furent obligés de reconnaître, en apparence, son autorité et de confirmer son opinion.

A peine l'appel de Shiraz était-il parvenu à ses oreilles que Hujjat chargea l'un de ses disciples, Mulla Iskandar, en qui il avait une confiance absolue, d'aller se renseigner aussi complètement que possible à ce sujet et de lui communiquer le résultat de ses investigations. Totalement indifférent aux louanges ou aux blâmes de ses compatriotes, dont il suspectait l'intégrité et dont il méprisait le jugement, il envoya son délégué à Shiraz avec la mission explicite d'y mener une enquête minutieuse et indépendante. Mulla Iskandar parvint en présence du Bab et sentit aussitôt la force régénératrice de son influence. Il s'attarda quarante jours à Shiraz, période pendant laquelle il s'imprégna des principes de la foi et acquit, selon ses capacités, une perception du degré de sa gloire.

Avec l'approbation du Bab, il retourna à Zanjan. Il y parvint à un moment où tous les principaux 'ulamas de cette ville s'étaient réunis en présence de Hujjat. A peine était-il apparu que ce dernier lui demanda s'il croyait à cette nouvelle révélation ou s'il la rejetait. Mulla Iskandar lui remit les Ecrits du Bab qu'il avait apportés avec lui et affirma qu'il estimait de son devoir d'accepter le jugement de son maître, quel qu'il fût. "Quoi!", s'exclama Hujjat en colère. "S'il n'y avait pas cette assemblée distinguée, je vous aurais châtié sévèrement. Comment osez-vous considérer les problèmes de foi comme étant dépendants de l'approbation ou du rejet des autres?" Après avoir pris de la main de son messager la copie du Qayyumu'l-Asma', il en lut une page puis se prosterna aussitôt sur le sol en s'exclamant:

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"Je témoigne que ces paroles que je viens de lire procèdent de la même source que le Qur'an. Quiconque a reconnu la vérité de ce Livre sacré doit forcément attester de l'origine divine de ces paroles et se soumettre aux préceptes inculqués par leur Auteur. Je vous prends à témoin, vous, membres de cette assemblée: je promets une obéissance telle à l'Auteur de cette révélation que, s'il venait jamais déclarer que la nuit est le jour et que le soleil est une ombre, je me soumettrais sans réserve à son jugement et je considérerais son verdict comme la voix de la Vérité. Quiconque le rejette sera considéré par moi comme ayant répudié Dieu lui-même." Par ces paroles, il mît fin aux débats de cette réunion. (9.13)

Nous avons, dans les pages précédentes, fait allusion à l'expulsion de Quddus et de Mulla Sadiq de Shiraz, et tenté de décrire, quoique de manière inadéquate, le châtiment infligé à ces deux personnes par le tyranique et rapace Husayn Khan. Un mot doit être dit à présent sur la nature de leurs activités après leur expulsion de cette ville. Pendant quelques jours, ils continuèrent leur voyage ensemble, après quoi ils se séparèrent, Quddus partant pour Kirman afin d'y rencontrer Haji Mirza Karim Khan, et Mulla Sadiq dirigeant ses pas vers Yazd dans le but de poursuivre, parmi les 'ulamas de cette province, la tâche qu'il avait été si cruellement obligé d'abandonner dans le Fars. Quddus fut reçu, à son arrivée, chez Haji Siyyid Javadi-Kirmani, qu'il avait connu à Karbila et dont l'érudition, le talent et la compétence étaient unanimement reconnus par les habitants de Kirman. Lors de chaque réunion tenue dans sa maison, il réserva invariablement à son jeune invité la place d'honneur et le traita avec une déférence et une courtoisie extrêmes. Une préférence si marquée pour une personne si jeune et apparemment médiocre suscita la jalousie des disciples d'Haji Mirza Karim Khan qui, décrivant dans un langage vivant et exagéré, les honneurs qui étaient prodigués à Quddus, cherchèrent à attiser l'hostilité latente de leur chef. "Voyez, lui murmuraient-ils à l'oreille, celui qui est le plus aimé par le Siyyidi-Bab, celui en qui ce dernier a le plus confiance et qu'il considère comme son compagnon le plus intime, est à présent l'hôte très honoré d'un homme qui est indubitablement l'habitant le plus puissant de Kirman. S'il lui est permis de vivre en compagnie intime de Haji Siyyid Javàd, il instillera, sans nul doute, un poison dans son âme et le transformera, lui, en un instrument au moyen duquel il parviendra à miner votre autorité et à étouffer votre renommée." Alarmé par ces murmures malveillants, le lâche Haji Mirza Karim Khan fit appel au gouverneur et le persuada de convoquer Haji Siyyid Javad en personne pour lui demander de mettre fin à cette dangereuse fréquentation.

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Les observations du gouverneur suscitèrent la colère de l'immodéré Haji Siyyid Javad. "Combien de fois", protesta-t-il avec violence, "ne vous ai-je pas conseillé d'ignorer les chuchotements de ce vil conspirateur! Ma tolérance l'a enhardi. Qu'il prenne garde de ne pas dépasser les limites. Désire-t-il usurper ma position? N'est-ce pas l'homme qui reçoit chez lui des milliers de personnes abjectes et ignobles et qui les comble de flatteries serviles? N'a-t-il pas à maintes reprises essayé d'exalter les impies et de réduire au silence les innocents? N'a-t-il pas, année après année, cherché, en prêtant main forte aux malfaiteurs a s'allier avec ceux-ci pour satisfaire des désirs charnels? N'a-t-il pas, jusqu'à ce jour, persisté dans son attitude de blasphémateur contre tout ce qui est pur et saint dans l'islam? Mon silence semble avoir intensifié sa témérité et son insolence. Il se permet de commettre les actes immondes et me refuse le droit de recevoir et d'honorer dans ma propre maison un homme si intègre, si savant et si noble. Qu'il soit averti que s'il refuse de renoncer à ses agissements, à mon instigation, les éléments les plus exécrables de cette ville l'expulseront de Kirman." Déconcerté par de telles dénonciations véhémentes, le gouverneur s'excusa pour son acte. Avant de se retirer, il assura Haji Siyyid Javad qu'il n'avait rien à craindre, qu'il s'efforcerait lui-même de faire comprendre à Haji Mirza Karim Khan la folie de son attitude et qu'il l'engagerait à se repentir.

Le message du siyyid irrita Haji Mirza Karim Khan. Torturé par un ressentiment intense qu'il ne pouvait ni réprimer ni satisfaire, il abandonna tout espoir de devenir le chef incontesté des habitants de Kirman. Ce défi public annonça la fin des ambitions qu'il nourrissait.

Dans l'intimité de sa maison, Haji Siyyid Javad entendit Quddus raconter tous les détails de ses activités depuis le jour de son départ de Karbila jusqu'à celui de son arrivée à Kirman. Les circonstances de sa conversion et son pèlerinage subséquent avec le Bab bouleversèrent l'imagination de son hôte et embrasèrent son coeur de la flamme de la foi. Le siyyid préféra cependant ne pas dévoiler sa croyance, espérant ainsi pouvoir préserver de manière plus effective les intérêts de la communauté nouvellement établie. "Votre noble résolution, lui assura affectueusement Quddus, sera regardée comme un insigne service rendu à la cause de Dieu. Le Tout-Puissant secondera vos efforts et affirmera pour toujours votre suprématie sur vos ennemis.

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L'incident me fut rapporté par un certain Mirza 'Abdu'llah-iGhawghà qui, lors de son séjour à Kirman, l'avait entendu de la bouche même de Haji Siyyid Javad. La sincérité des intentions exprimées par le siyyid a été pleinement justifiée par la manière splendide dont il réussit, grâce à ses efforts, à résister aux empiètements de l'insidieux Haji Mirza Karim Khan qui, si on ne l'avait défié, aurait causé d'incalculables dommages à la foi.

De Kirman, Quddus décida de partir pour Yazd et, de là, de se rendre à Ardikan, Nayin, Ardistan, Isfahan Kashan, Qum et Tihran. Dans chacune de ces villes, en dépit des obstacles qui jonchaient son chemin, il réussit à instiller dans la compréhension de ses auditeurs les principes qu'il avait si courageusement résolu de défendre. J'ai entendu Aqay-i-Kalim, le frère de Baha'u'llah, décrire dans les termes suivants sa rencontre avec Quddus à Tihran: "Le charme de sa personne, son affabilité extrême, associés à la dignité de son comportement, séduisaient même le plus inattentif des observateurs.

PHOTO: vues de la maison du père de Quddus à Barfurush

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Quiconque était dans l'intimité de ce jeune homme se sentait saisi d'une admiration sans borne pour son charme. Nous le vîmes un jour faire ses ablutions et fûmes frappés par la grâce qui le distinguait des autres adorateurs lors de l'accomplissement d'un rite aussi ordinaire. Il nous sembla être l'incarnation même de la pureté et de la grâce."

A Tihran, Quddus fut reçu par Baha'u'llah, après quoi il partit pour le Mazindaran où, dans sa ville natale de Barfurush, il vécut dans la maison de son père environ deux années durant lesquelles il fut entouré des soins affectueux des membres de sa famille. Son père avait épousé, à la mort de sa première femme, une dame qui traitait Quddus avec une gentillesse et un soin qu'aucune mère au monde n'aurait u espérer surpasser. Elle désirait ardemment le voir se marier et n l'avait souvent entendue exprimer sa crainte de devoir emporter avec elle dans sa tombe la suprême joie de son coeur. "Le jour de mon mariage, faisait observer Quddus, n'est pas encore arrivé. Ce jour-là sera glorieux au-delà de toutes paroles. Ce n'est pas à l'intérieur de cette maison mais au dehors, en plein air, sous la voûte céleste, a milieu du Sabzih-Maydan et sous le regard de la foule, que je célébrerai mes noces et verrai la réalisation de mes voeux." Trois années plus tard, quand cette dame apprit les circonstances dans lesquelles avait eu lieu le martyre de Quddus dans le Sabzih Maydan, elle se souvint de ses paroles prophétiques et comprit leur signification. (9.14) Quddus resta à Barfurush jusqu'au moment où Mulla Husayn le rejoignit, à son retour de la visite qu'il avait faite au Bab dans la forteresse de Mah-Ku. De Barfurush, ils partirent tous deux pour le Khurasan, voyage rendu mémorable par des actes si héroïques qu'aucun de leurs compatriotes ne pourrait espérer les égaler.

Quant à Mulla Sadiq, à peine arrivé à Yazd, il se renseigna auprès d'un ami de confiance, natif du Khurasan, sur les derniers développements relatifs au progrès de la cause dans cette province. Il était

particulièrement anxieux d'être éclairé sur les activités de Mirza Ahmad-i-Azghandi et exprima sa surprise devant l'inactivité apparente de celui qui, à un moment où le mystère de la foi n'était pas s encore divulgué, avait fait preuve d'un zèle si remarquable en préparant les gens à accepter la Manifestation attendue.

"Mirza Ahmad, lui dit-on, s'est enfermé chez lui pendant une longue période et a concentré ses efforts sur la préparation d'un savant et volumineux recueil des traditions et des prophéties islamiques concernant l'époque et le caractère de la dispensation promise.

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Il a groupé plus de douze mille traditions des plus explicites et dont l'authenticité est reconnue par tous; il est fermement résolu à faire toutes les démarches nécessaires en vue de la copie et de la diffusion de ce livre. En encourageant ses disciples à se référer à son contenu publiquement dans toutes les réunions et congrégations, il espérait pouvoir supprimer les obstacles propres à freiner les progrès de la cause qu'il chérissait.

"Quand il arriva à Yazd, il fut chaleureusement accueilli par son oncle maternel, Siyyid Husayn-i-Azghandi, le plus éminent des mujtahids de cette ville qui, quelques jours avant l'arrivée de son neveu, lui avait envoyé une demande écrite le priant de se hâter de venir dans sa ville pour le libérer des machinations de Haji Mirza Karim Khan, qu'il considérait comme un ennemi dangereux, quoique inavoué de l'islam. Le mujtahid fit appel à Mirza Ahmad pour combattre, par tous les moyens en son pouvoir, l'influence pernicieuse de cet homme, et exprima le désir de le voir s'établir en permanence à Yazd afin que, par ses exhortations et appels continuels, il pût éclairer la population quant aux véritables buts et intentions de cet adversaire malfaisant.

"Mirza Ahmad, cachant à son oncle son intention première de se rendre à Shiraz, décida de prolonger son séjour à Yazd. Il lui montra le livre qu'il avait écrit et fit part aux 'ulamas de son contenu; ceux-ci affluèrent de tous les quartiers de la ville pour le rencontrer. Ils furent tous profondément impressionnés par l'application, l'érudition et le zèle dont avait fait preuve le compilateur de ce célèbre ouvrage.

"Parmi ceux qui allèrent visiter Mirza Ahmad se trouvait un certain Mirza Taqi, homme pervers, ambitieux et hautain, qui venait de rentrer de Najaf où il avait terminé ses études et avait été élevé au rang de mujtahid. Au cours de son entretien avec Mirza Ahmad, il exprima le désir de prendre connaissance de ce livre et de pouvoir le garder quelques jours afin d'acquérir une entière compréhension de son contenu. Siyyid Husayn et son neveu accédèrent tous deux à sa demande. Mirzai Taqi promit de le rapporter mais ne tint pas sa promesse. Mirza Ahmad. qui avait déjà soupçonné le manque de sincérité des intentions de Mirza Taqi, pria son oncle de rappeler à l'emprunteur la promesse qu'il avait donnée. "Dites à votre maître", répondit l'insolent au messager envoyé pour lui réclamer le livre, "qu'après m'être assuré du caractère nuisible de ce recueil, j'ai décidé de le détruire. La nuit passée, je l'ai jeté dans l'étang, effaçant ainsi ses pages."

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"Saisi d'une profonde indignation à la vue d'une telle impertinence et d'une telle duplicité, Siyyid Husayn décida de se venger. Mirza Ahmad réussit cependant, grâce à ses conseils avisés, à calmer la colère de son oncle furieux et à le dissuader d'appliquer les mesures qu'il se proposait de prendre. "La punition que vous envisagez, lui dit-il, ne fera que susciter l'agitation du peuple et provoquer sédition et méfaits. Cela va sérieusement contrarier les efforts que vous me demandez de déployer pour mettre fin à l'influence de Haji Mirza Karim Khan. Il saisira sans aucun doute l'occasion pour vous dénoncer comme Babi et pour me tenir responsable de votre conversion. Ainsi sapera-t-il en même temps votre autorité et se gagnera-t-il l'estime et la gratitude des habitants. Laissez-le entre les mains du Seigneur."

Mulla Sadiq fut très heureux lorsqu'il apprit, d'après le récit de cet incident, que Mirza Ahmad résidait effectivement à Yazd et que rien ne s'opposait à sa rencontre avec lui. Il alla aussitôt au masjid dans lequel Siyyid Husayn dirigeait la prière en commun et où Mirza Ahmad prononçait le sermon. Choisissant son siège dans le premier rang des croyants, il se joignit à eux pour la prière, puis alla tout droit vers Siyyid Husayn et l'embrassa en public. Il monta aussitôt sur la chaire ans y avoir été invité et se prépara à s'adresser aux fidèles. Siyyid Husayn, bien qu'effrayé au début, préféra se garder de toute objection, curieux qu'il était de découvrir le but de l'intervention soudaine de l'homme, et de vérifier le degré de son savoir. Il fit signe à son neveu de s'abstenir de toute opposition.

Mulla Sadiq commença son discours par l'une des homélies les mieux connues et les plus exquises du Bab, après quoi il s'adressa à la congrégation en ces termes: "Rendez grâce à Dieu, ô peuple de savoir car, voyez, la porte de la connaissance divine, que vous croyiez fermée, est à présent grande ouverte. La rivière de vie éternelle à coulé de la ville de Shiraz et confère d'indicibles bénédictions aux habitants de ce pays. Quiconque a pris une seule goutte de cet océan de grâce céleste, fût-il humble et illettré, a découvert en lui-même le pouvoir d'éclaiRcir les mystères les plus profonds et s'est senti capable d'exposer les thèmes les plus abstrus de la sagesse antique. Et quiconque - fût-il le plus érudit des interprètes de la foi islamique - a choisi de s'appuyer sur sa propre compétence et sa propre force, et a dédaigné le message de Dieu, s'est condamné à une dégradation et à une perdition irrémédiables."

Une vague d'indignation et de consternation s'empara de la congrégation tout entière lorsque ces paroles de Mulla Sadiq eurent annoncé avec éclat cette importante nouvelle.

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Dans le masjid retentirent les cris de "blasphème !" qu'une congrégation en fureur lançait, horrifiée, contre l'orateur. "Descendez de la chaire", s'écria Siyyid Husayn au milieu de la clameur et du tumulte de la foule, en faisant signe à Mulla Sadiq de garder son sang-froid et de se retirer. A peine celui-ci avait-il regagné le parterre du masjid que le groupe des fidèles tout entier se rua sur lui et le roua de coups. Siyyid Husayn intervint aussitôt, fit disperser la foule avec énergie et, saisissant la main de Mulla Sadiq, l'emmena de force de son côté. "Retirez vos mains, cria-t-il à la foule, laissez-le moi; je l'emmènerai chez moi et enquêterai minutieusement sur cette affaire. Un accès de folie peut l'avoir incité à prononcer ces mots. Je l'interrogerai moi-même. Si je trouve que ses paroles ont été préméditées et qu'il croit lui-même fermement aux choses qu'il a déclarées, je lui infligerai, de mes propres mains, le châtiment que requiert en pareil cas la loi islamique."

Grâce à cette solennelle assurance, Mulla Sadiq fut délivré des sauvages attaques de ses assaillants. Dépourvu de son 'aba (9.15) et de son turban, privé de ses sandales et de son bâton, meurtri et commotionné par les blessures qu'il avait reçues, il fut confié aux soins des assista de Siyyid Husayn qui, en se forçant un passage parmi la foule, réunirent finalement à le conduire chez leur maître.

Mulla Yusuf-i-Ardibili, lui aussi, fut en ces jours l'objet d'une persécution plus féroce et plus acharnée encore que l'attaque barbare lancée par les gens de Yazd contre Mulla Sadiq. Sans l'intervention de Mirza Ahmad et l'assistance de son oncle, Mulla Yusuf serait tombé victime de la colère d'un ennemi féroce.

Quand Mulla Sadiq et Mulla-i-Ardibili arrivèrent à Kirman, ils durent subir les mêmes outrages et eurent à souffrir des mêmes afflictions des mains de Haji Mirza Karim Khan et de ses alliés. (9.16) Les efforts persistants de Haji Siyyid Javad les libérèrent finalement de l'étreinte de leurs persécuteurs et leur permirent de se rendre au Khurasan.

Bien que chassés et harcelés par leurs ennemis, devant aussi faire face à des actions criminelles, les disciples les plus proches du Bab, ainsi que leurs compagnons dispersés dans différentes régions de la Perse, ne se découragèrent pas dans l'accomplissement de leur tâche. Inébranlables dans leur résolution et immuables dans leurs convictions, ils continuèrent à lutter contre les forces obscures qui les assaillaient à chaque pas sur leur chemin. Grâce à leur dévouement sans bornes et à leur courage sans égal, ils purent démontrer à beaucoup de leurs compatriotes l'influence exaltante de la foi dont ils s'étaient fait les défenseurs.

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Alors que Vahid (9.17) se trouvait encore à Shiraz, Haji Siyyid Javad-i-Karbila'i (9.18) arriva dans cette ville et fut introduit par Haji Mirza Siyyid'Ali auprès du Bab. Dans une tablette qu'il adressa à Vabid et à Haji Siyyid Javad, le Bab exalta la fermeté de leur foi et souligna le caractère inaltérable de leur dévotion. Haji Siyyid Javad avait rencontré et connu le Bab avant qu'il ne déclare sa mission, et avait été un fervent admirateur de ces traits de caractère extraordinaires qui l'avaient distingué depuis son enfance. Il devait, par la suite, rencontrer Baha'u'llah à Baghdad et devenir le bénéficiaire de sa faveur particulière. Lorsque, quelques années plus tard, Baha'u'llah fut exilé à Andrinople, il devait retourner, déjà très âgé, en Perse, passer quelque temps dans la province d' 'Iraq et, de là, partir pour le Khurasan. Son tempérament bienveillant, sa patience extrême et sa simplicité naturelle lui avaient valu le surnom de Siyyid-i-Nur (9.19)

Haji Siyyid Javad, en traversant un jour une rue de Tihran, vit soudain le shah passer à cheval. Nullement troublé par la présence de son souverain, il s'approcha de lui et le salua. Sa vénérable silhouette et la dignité de son attitude plurent énormément au shah. Il répondit à son salut et l'invita à venir le voir. La réception que lui réserva le souverain fut telle que les courtisans en furent jaloux. "Votre Majesté Impériale ne réalise-t-elle pas, protestèrent-ils, que ce Haji Siyyid Javad n'est autre que l'homme qui, avant même la déclaration du Siyyid-i-Bab, s'était déclaré Babi et avait promis à ce dernier son éternelle loyauté?" Le Shah perçut la malignité qui les avait incités à porter cette accusation; profondément irrité, il les blâma pour leur témérité et leur bassesse. "Comme c'est étrange! se serait-il exclamé; quiconque se distingue par la droiture de son comportement et la courtoisie de ses manières est aussitôt dénoncé par mes gens comme Babi et considéré par eux comme un objet digne de ma condamnation!"

Haji Siyyid Javad passa les derniers jours de sa vie à Kirman et demeura jusqu'au dernier moment un ferme partisan de la foi. Il ne douta jamais dans ses convictions et ne relâcha point ses généreux efforts en faveur de la propagation de la cause.

Shaykh Sultan-i-Karbila'i, dont les ancêtres comptaient parmi les principaux 'ulamas de Karbila, et qui avait été lui-même un défenseur très ferme et un compagnon intime de Siyyid Kazim, était aussi de ceux qui, en ce temps-là, avaient rencontré le Bab à Shiraz.

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Ce fut lui qui, plus tard, partit pour Sulaymaniyyih à la recherche de Baha'u'llah, et dont la fille fut ensuite donnée en mariage à Aqay-i-Kalim. Lorsqu'il arriva à Shiraz, il était accompagné de Shaykh Hasan-i-Zunuzi, à qui nous avons fait allusion dans les premières pages de ce récit. C'est lui que le Bab chargea de transcrire, en collaboration avec Mulla'Abdu'l-Karim, les Tablettes qu'il venait de révéler. Shaykh Sultan qui, à son arrivée, avait été malade au point de ne pouvoir rencontrer le Bab, reçut une nuit, alors qu'il gardait encore le lit, un message de son Bien-Aimé l'informant de ce qu'aux environs de deux heures après le coucher du soleil, il viendrait lui rendre visite en personne. Cette nuit-là, le serviteur éthiopien qui éclairait avec une lanterne le chemin de son maître, reçut l'ordre de marcher en avant, à une distance suffisante pour ne pas attirer l'attention des gens sur la personne du Bab, et d'éteindre la lanterne aussitôt la destination atteinte.

J'ai entendu Shaykh Sultan lui-même décrire cette visite nocturne: "Le Bab, qui m'avait prié d'éteindre la lampe de ma chambre avant son arrivée, vint tout droit à mon chevet. Au milieu de l'obscurité qui nous entourait, je tenais fermement le pan de son vêtement et le suppliai en ces termes: "Réalise mon désir, ô Bien-Aimé de mon coeur, et permets-moi de me sacrifier pour toi car personne, à part toi, n'est capable de m'accorder cette faveur." "O shaykh! répondit le Bab, moi aussi, je souhaite ardemment être immolé sur l'autel du sacrifice. Il nous incombe à tous deux de nous accrocher au vêtement de celui qui est aimé plus que tout et de chercher auprès de lui la joie et la gloire du martyre dans son sentier. Soyez assuré que je supplierai en votre nom le Tout-Puissant de vous permettre d'atteindre sa présence.

PHOTO: siyyid Javad-i-Karbila'i

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Souvenez-vous de moi ce jour-là, un jour tel que le monde n'en aura jamais vu de pareil auparavant." Comme l'heure de la séparation approchait, il me mit dans la main un don qu'il me pria de dépenser pour moi-même. J'essayai de refuser, mais il me demanda de l'accepter. Finalement, j'accédai à son désir; là-dessus, il se leva et partit.

"L'allusion du Bab, cette nuit-là, à celui qu'il aimait plus que tout, suscita mon étonnement et ma curiosité. Au cours des années qui suivirent, je crus maintes fois que celui à qui le Bab avait fait allusion n'était autre que Tahirih. Je soupçonnai même Siyyid-i-'Uluvv d'être cette personne-là. J'étais cruellement perplexe et ne savais comment éclaircir ce mystère. Lorsque j'arrivai a Karbila et parvins à voir Baha'u'llah, j'acquis la ferme conviction que lui seul pouvait prétendre à une telle affection de la part du Bab et que lui, et lui seul, pouvait être digne d'une telle adoration."

Le deuxième Naw-Ruz après la déclaration de la mission du Bab, qui tombait le 21 du mois de rabi'u'l-avval de l'an 1262 après l'hégire, (9.20) trouva le Bab encore à Shiraz jouissant, dans des circonstances de tranquillité et de confort relatifs, des bienfaits d'une vie paisible avec sa famille et ses parents. Sans bruit et sans cérémonie, il célébra la fête de Naw-Ruz dans sa propre maison et, suivant son habitude de toujours, accorda généreusement à sa mère et à son épouse les marques de son affection et de sa faveur. Par la sagesse de ses conseils et la tendresse de son amour, il consola leurs coeurs et dissipa leurs appréhensions. Il leur légua tous ses biens et transféra à leurs noms son titre de propriété. Dans un document qu'il écrivit et signa lui-même, il ordonna que sa maison, le mobilier et le reste de son domaine fussent considérés comme la propriété exclusive de sa mère et de son épouse, et qu'à la mort de la première, la part de celle-ci revînt à son épouse.

La mère du Bab ne réalisa pas, tout d'abord, la portée de la mission proclamée par son fils. Elle resta pendant quelque temps inconsciente de l'importance des forces latentes dans sa révélation. Vers la fin de sa vie, cependant, elle put apprécier la valeur inestimable de ce trésor qu'elle avait conçu et mis au monde. Ce fut Baha'u'llah qui lui permit finalement de découvrir la valeur de ce trésor qui était resté, pendant tant d'années, caché à ses yeux. Elle vivait en 'Iraq, où elle espérait passer le restant de ses jours, lorsque Baha'u'llah chargea deux de ses disciples dévoués, Haji Siyyid Javad-i-Karbila'i et la femme de Haji'Abdu'l-Majid-i-Shirazi qui, tous deux, la connaissaient déjà intimement, de lui exposer les principes de la foi.

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Elle reconnut la vérité de la cause et resta jusqu'aux dernières années du treizième siècle après l'hégire (9.21) époque où elle quitta ce monde, parfaitement consciente des don généreux que le Tout-Puissant avait choisi de lui conférer.

La femme du Bab, contrairement à sa mère, saisit, dès l'aube de sa révélation, la gloire et le caractère unique de sa mission et sentit, dès les premiers jours, l'intensité de sa force. Personne, à part Tahirih, parmi les femmes de sa génération, ne la surpassait dans le caractère spontané de sa dévotion ni dans la ferveur de sa foi. C'est à elle que le Bab confia le secret de ses souffrances futures, et il dévoila à ses yeux la portée des événements qui devaient se dérouler en son jour. Il la pria de ne pas divulguer ce secret à sa mère et lui conseilla d'être patiente et de se résigner à la volonté de Dieu. Il lui confia une prière spéciale, révélée et écrite par lui-même et dont la lecture, lui assura-t-il, dissiperait ses difficultés et allégerait le fardeau que faisaient peser sur elle ses ennemis. "A vos moments de perplexité, récitez cette prière avant d'aller dormir. J'apparaîtrai moi-même à vos yeux et bannirai votre anxiété." Fidèle à son conseil, chaque fois qu'elle se tournait vers lui en prière, la lumière de sa direction infaillible illuminait son chemin et résolvait ses problèmes. (9.22)

Après que le Bab eut réglé les affaires de son foyer et pourvu à la subsistance future de sa mère et de sa femme, il transféra sa résidence de sa propre maison à celle de Haji Mirza Siyyid'Ali. Là, il attendit l'heure imminente de ses souffrances. Il savait que les afflictions qui lui étaient réservées ne pouvaient plus tarder désormais, qu'il devait bientôt être pris dans un tourbillon d'adversités qui le mèneraient rapidement au champ du martyre, l'ultime objet de sa vie. Il donna l'ordre à ceux de ses disciples qui s'étaient établis à Shiraz et parmi lesquels se trouvaient Mulla 'Abdu'l-Karim et Shaykh Hasan-i-Zunuzi, de se rendre à Isfahan et d'y attendre ses instructions ultérieures. Siyyid Husayn-i-Yazdi, l'une des Lettres du Vivant, qui venait d'arriver à Shiraz, eut également pour instruction de se rendre à Isfahan et de se joindre au groupe formé par ses condisciple dans cette ville.

Pendant ce temps, Husayn Khan, le gouverneur du Fars, déployait tous ses efforts pour entraîner le Bab dans de nouvelles difficultés et l'avilir encore davantage aux yeux du public. Le feu caché de son hostilité fut attisé par la nouvelle selon laquelle le Bab avait recevoir certains de ses compagnons et continuait de jouir d'une libre fréquentation de sa famille et de ses parents. (9.23)

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Grâce à l'aide de ses agents secrets, Husayn Khan parvint à obtenir des informations précises concernant le caractère et l'influence du mouvement dont le Bab avait été l'initiateur .Il avait observé en secret ses déplacements, s'était assuré du degré d'enthousiasme qu'il avait soulevé, et examiné à fond les mobiles, le comportement et le nombre de ceux qui avaient embrassé sa cause.

Une nuit, le chef des émissaires de Husayn Khan vint lui rapporter que le nombre de ceux qui affluaient pour voir le Bab était désormais si élevé qu'une action immédiate s'imposait de la part de ceux qui étaient chargés de la sécurité de la ville. "La foule empressée qui se réunit toutes les nuits pour rendre visite au Bab, remarqua-t-il, dépasse en nombre la multitude de personnes qui accourent chaque jour devant les portes du siège de votre gouvernement. Parmi elles, on peut aussi bien voir des personnes réputées pour leur rang élevé que d'autres connues pour leur grand savoir. (9.24) La générosité et le tact dont fait preuve son oncle maternel envers les fonctionnaires de votre gouvernement sont tels qu'aucun de vos subordonnés ne se sent enclin à vous mettre au courant de la réalité de la situation. Si vous me permettez, je surprendrai le Bab à minuit, avec l'aide de quelques-uns de vos assistants, et vous livrerai, les mains liées, certains de ses disciples qui vous éclaireront au sujet des activités de leur maître et confirmeront l'authenticité de mes déclaration ." Husayn Khan refusa d'accéder à sa demande. "Je puis dire mieux que vous, répondit-il, ce u'exigent les intérêts de l'État. Observez-moi de loin, je saurai comment agir envers lui."

PHOTO: interieur de la maison de Haji Mirza Ali à Shiraz, l'oncle maternel du Bab

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Le gouverneur convoqua sur le champ 'Abdu'l-Hamid Khan l'officier de paix de la ville. "Rendez-vous immédiatement, lui ordonna-t-il, chez Haji Mirza Siyyid'Ali. En silence et sans vous faire remarquer, grimpez sur le mur, montez sur le toit et, de là, entrez brusquement dans sa maison. Arrêtez aussitôt le Siyyid-i-Bab et conduisez-le ici en compagnie de tous les visiteurs qui se trouveront à ce moment-là avec lui. confisquez tous les livres et documents que vous pourrez trouver dans cette maison. Quant à Haji Mirza Siyyid 'Ali, mon intention est de lui infliger, le lendemain, la peine qu'il mérite pour ne pas avoir tenu sa promesse. Je jure par le diadème impérial de Muhammad Shah que, cette nuit-même, j'aurai exécuté le Siyyid-i-Bab ainsi que ses misérables compagnons. Leur mort ignominieuse éteindra la flamme qu'ils ont allumée et mettra n'importe quel disciple de cette secte devant l'évidence du danger qui attend tout perturbateur de la paix de ce royaume. Par cet acte, j'aurai éliminé une hérésie dont la survie constitue la plus grave menace pour les intérêts de l'État."

PHOTO: maison de Haji Mirza Ali, l'oncle maternel du Bab

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'Abdu'l-Hamid Khan se retira pour exécuter sa tâche. Ils firent irruption, lui et ses assistants, dans la maison de Haji Mirza Siyyid 'A1i (9.25) et trouvèrent le Bab en compagnie de son oncle maternel et d'un certain Siyyid Kazim-i-Zanjani qui devait plus tard tomber martyre au Mazindaran et dont le frère, Siyyid Murtada, fut l'un des sept martyrs de Tihran. Il les arrêta aussitôt, recueillit tous les documents qu'il pût trouver, donna l'ordre à Haji Mirza Siyyid 'Ali de rester chez lui et conduisit les autres au siège du gouvernement. On entendit le Bab, maître de lui et impavide, répéter ce verset du Qur'an qui dit.: "Ce dont ils sont menacés est pour le matin. Le matin n'est-il pas proche?"

A peine l'officier de paix avait-il atteint la place du marché qu'il s'aperçut, à son grand étonnement, que les habitants de la ville fuyaient de tous côtés, consternés, comme si une terrifiante calamité s'était abattue sur eux. Il fut horrifié lorsqu'il vit la longue queue de cercueils que l'on transportait précipitamment à travers les rues, chacun d'eux suivi d'une procession d'hommes et de femmes lançant des cris de douleur et d' agonie. Ce brusque tumulte, les lamentations, les mines terrifiées, les imprécations de la foule, l'affligèrent et jetèrent le trouble dans son esprit. Il demanda la raison de tout cela. "Cette nuit même, lui dit-on, un fléau (9.26) d'une exceptionnelle virulence a fait son apparition. Nous sommes frappés par son pouvoir dévastateur. Déjà, depuis minuit, plus de cent personnes ont péri. L'alarme et le désespoir règnent dans chaque maison. Les gens abandonnent leur foyer et, dans leur détresse, invoquent l'aide du Tout-Puissant. (9.27)

'Abdu'l-Hamid Khan, terrifié par cette épouvantable nouvelle, courut chez Husayn Khan. Un vieillard qui gardait la maison de celui-ci et faisait office de portier l'informa que la maison de son maître avait été abandonnée, que les ravages de l'épidémie l'avaient dévastée et qu'ils avaient affligé les membres de sa famille. "Deux de ses servantes éthiopiennes, lui dit-on encore, et un domestique sont déjà tombés, victimes de ce fléau, et les membres de sa propre famille sont à présent gravement malade . Dans son désespoir, mon maître a abandonné sa maison et, laissant les morts non enterrés, a fui, avec le reste de sa famille, ver le Bagh-i-Takht." (9.28)

'Abdu'l-Hamid Khan décida d'emmener le Bab chez lui et de le garder sous sa surveillance en attendant les instructions du gouverneur. En s'approcha de sa maison, il fut étonné d'entendre les lamentations et les pleurs des membres de sa famille. Son fils était atteint de choléra et agonisait.

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Dans son désespoir, il se jeta aux pieds du Bab et l'implora de sauver la vie de son fils. Il lui demanda de lui pardonner ses transgressions et ses méfaits passés. "Je vous adjure", le supplia-t-il en s'accrochant au pan de son vêtement, "par celui qui vous a élevé à ce rang exalté, d'intercéder en ma faveur et d'offrir une prière pour la guérison de mon fils. Faites qu'il ne me soit pas enlevé dans sa prime jeunesse. Ne le punissez pas pour les crimes que son père a commis. Je me repens de ce que j'ai fait et j'abandonne à présent mon poste. Je jure solennellement que je n'accepterai jamais plus à l'avenir une telle position, dussé-je mourir de faim."

Le Bab, qui était sur le point de faire ses ablutions et se préparait pour la prière de l'aube, lui dit de prendre une partie de l'eau avec laquelle il se lavait le visage et de la faire boire à son fils. "Cela, dit-il, le sauvera."

Dès qu' 'Abdu'l-Hamid Khan eut observé les signes de guérison chez son fils, il écrivit une lettre au gouverneur, dans laquelle il le mettait au courant de toute la situation et le priait d'arrêter ses attaques contre le Bab. "Ayez pitié de vous-même, lui écrivit-il, ainsi que de ceux que la Province a confiés à vos soins. Si la furie de cette épidémie poursuit son cours fatal, personne dans cette ville n'aura survécu à l'horreur du fléau d'ici la fin de la journée." Husayn Khan répondit que le Bab devait être immédiatement relâché et autorisé à se rendre où bon lui semblerait. (9.29)

Dès qu'un rapport sur ces événements parvint à Tihran et qu'il fut soumis à l'attention du Shah, un décret impérial déchargeant Husayn Khan de ses fonctions fut promulgué et envoyé à Shiraz. A partir du jour de son renvoi, ce tyran éhonté fut la victime d'innombrables malheurs et devint finalement incapable de gagner son pain quotidien. Personne ne semblait désireux ou capable de le sauver de son triste état. Quand, plus tard, Baha'u'llah fut exilé à Baghdad, Husayn Khan lui envoya une lettre dans laquelle il exprimait son repentir et promettait de se racheter de ses mauvaises actions passées à condition qu'il recouvre sa position antérieure. Baha'u'llah refusa de lui répondre. Plongé dans la misère et la honte, il languit jusqu'à la fin de sa vie.

Le Bab, qui se trouvait chez 'Abdu'l-Hamid Khan, envoya Siyyid Kazim chez Haji Mirza Siyyid 'Ali pour lui demander de venir le voir. Il informa son oncle de son intention de quitter Shiraz, lui confia sa mère et sa femme, et le chargea de transmettre à chacune d'elles l'expression de son affection et l'assurance de l'assistance infaillible de Dieu.

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"Où qu'elles puissent être" dit-il à son oncle en prononçant ses paroles d'adieu, "l'amour et la protection de Dieu, qui embrassent toutes choses, les entoureront. Je vous rencontrerai à nouveau au coeur des montagnes d'Adhirbayjan, d'où je vous enverrai cueillir la couronne du martyre. Moi, je vous suivrai, en compagnie de l'un de mes fidèles disciples, et vous rejoindrai dans le royaume d'éternité."

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NOTE DU CHAPITRE 9:

(9.1) Le Babisme avait de nombreux adeptes dans toutes les classes de la société, et beaucoup d'entre eux avaient une grande importance; des grands seigneurs, des membres du clergé, des militaires et des marchands avaient embrassé cette doctrine." Journal Asiatique, 1866, tome VIII, p. 251)

(9.2) Voir: "La généalogie de la dynastie Qajar" au début de cet ouvrage.

(9.3) 'Abdu'l-Baha a écrit à son sujet ce qui suit: "Cet homme remarquable, cette âme précieuse, avait appris par coeur pas moins de trente mille traditions et était tenu fort en estime et très admiré par toutes les classes de la société Il avait obtenu une renommée universelle dans toute la Perse, et l'on admettait partout et sans réserve son autorité et son érudition." (Extrait d'un manuscrit relatif aux martyrs en Perse.)

"Ce personnage était, comme son nom l'indique, né à Darab, près de Shiraz. Son père, Siyyid Ja'far, surnommé Kashfi, était l'un des plus grands et des plus célèbres 'ulamas de l'époque. Sa haute valeur morale, son caractère, ses moeurs pures lui avaient attiré l'estime et la considération universelles: sa science lui avait valu le glorieux surnom de kashfi qui veut dire celui qui découvre et, dans ce cas, celui qui découvre et explique les secrets divins. Elevé par lui, son fils ne tarda pas à l'égaler sur tous les points : il partagea désormais la faveur dont jouissait son père et se rendit à Tihran, précédé de son renom et de sa popularité. Il y devint le commensal du prince Tahmasp Mirza, Mu'ayyadu'd-Dawlih, petit-fils de Fath-'Ali Shah par son père Muhammad-'Ali Mirza. Le gouvernement lui-même rendit hommage à sa science et à son mérite et il fut consulté plus d'une fois dans les circonstances difficiles. Ce fut à lui que pensèrent Muhammad Shah et Haji Mirza Aqasi quand ils voulurent trouver un émissaire honnête et dont la fidélité ne fût pas douteuse." (A.L.M. Nicolas, "Sjyyid 'Ali-Muhammad dit le Bab," p. 233.)

"Pendant que ces événements se déroulaient au Nord de la Perse, les provinces du centre et du sud étaient profondément remuées par les prédications enflammées des missionnaires de la nouvelle doctrine. Le peuple, léger, crédule, ignorant, superstitieux à l'excès, était frappé de stupeur par les miracles continuels qu" chaque instant il entendait raconter; les mullas anxieux, sentant leur troupeau frémissant prêt à leur échapper, redoublaient de calomnies et d'imputations infamantes; les mensonges les plus grossiers, les imaginations les plus sanglantes étaient par eux répandus dans la populace hésitante, partagée entre l'horreur et l'admiration ... Siyyid Ja'far était étranger aux doctrines shaykhis comme à celles de Mulla Sadra. Cependant, son zèle emporté, son imagination ardente l'avaient, vers la fin de sa vie, fait sortit un peu des sentiers étroits de l'orthodoxie shi'ite. Il commentait les hadis d'une autre façon que ses collègues et prétendait même, dit-on, avoir pénétré les soixante et dix significations intimes du Qur'an ... Son fils - qui, par la suite, devait dépasser ces étrangetés - était à cette époque un homme de 35 ans environ qui, ses études terminées, était venu se fixer à Tihran où il s'était lié avec tout ce que la cour comptait de grands personnages et d'hommes distingués. Ce fut sur lui que se porta le choix de SM. Il fut donc chargé de se rendre à Shiraz, de se mettre en rapport avec le Bab et de renseigner, aussi exactement qu'il le pourrait, l'autorité centrale des conséquences politiques que l'on pouvait tirer d'une réforme qui semblait devoir bouleverser la face du pays. (A.L.M. Nicolas, "Siyyid 'Ali-Muhammad dit le Bab", pp. 387-8.)

(9.4) Qur'an, 108.

(9.5) D'après le "Kashfu'l-Ghita" (p.81), pas moins de deux mille versets furent révélés à cette occasion par le Bab. La rapidité ahurissante de cette révélation sembla aussi remarquable aux yeux de Siyyid Yahya que la beauté sans égale et le sens profond des versets contenus dans ce commentaire. "Dans l'espace de cinq heures, deux mille bayts (versets) se manifestent de lui, ou bien avec la rapidité juste suffisante pour que le scribe puisse les écrire. On peut, par là, juger, si on l'avait laissé faire, combien, depuis le début de sa manifestation jusqu'à aujourd'hui, combien de ces oeuvres se fussent répandues parmi les hommes." ("Le Bayan persan,", vol. 1, p. 43.) "Dieu lui a donné une (telle) puissance et une (telle) faculté d'élocution, que si un scribe rapide écrivait avec la plus extrême rapidité, en deux nuits et deux jours, sans interruption, il manifesterait de cette mine de la parole, l'équivalent d'un Qur'an. (Ibid., vol. Il, p. 132) "Et si quelqu'un devait réfléchir sur l'aspect de cet Arbre (Le Bab), il admettrait sans aucun doute la sublimité de la religion de Dieu. Car, chez quelqu'un qui avait vingt-quatre ans, qui était dépourvu de ces sciences que tout le monde connaît, qui récite à présent des versets de telle manière, sans penser ni hésiter, qui, en l'espace de cinq heures, écrit un millier de versets de supplications sans déposer la plume, qui produit des commentaires et des traités savants d'un degré de sagesse et de compréhension de l'unité divine si élevé, que les docteurs et les philosophes confessent leur impuissance à en comprendre les passages, il ne fait aucun doute que tout cela émane de Dieu. (Bayan, Vahid 2, Bab I.) Ç 'A Traveller's Narrative", Note C, p. 219.)

(9.6) "Certes, le fait d'écrire currente calamo un commentaire nouveau sur une sourate dont le sens est si obscur, devait frapper d'étonnement Siyyid Yahya, mais ce qui le surprit plus étrangement encore, ce fut de retrouver, dans ce commentaire, l'explication que lui-même avait trouvée dans ses méditations sur ces trois versets. Ainsi il se rencontrait avec le Réformateur dans une interprétation qu'il croyait avoir été le seul à imaginer et qu'il n'avait communiquée à personne.", (A.L.M. Nicolas, "Siyyid Ali-Muhammad dit le Bab", p. 234.)

(9.7) "C'était une étrange circonstance", écrit Lady Sheil, "que parmi ceux qui adoptèrent la doctrine du Bab, il se trouvât un grand nombre de Mullas et même de mujtahids, qui occupaient un rang élevé en tant qu'interprètes de la loi dans l'Église mahométane. Beaucoup de ces hommes scellèrent de leur sang leur foi." ("Glimpses of Life and Manners in Persia", pp. 178-9.)

(9.8) D'après 'A Traveller's Narrative" (p.8), Siyyid Yahya écrivit sans crainte ni ménagement, un rapport détaillé de ses observations à Mirza Luti-'Ali, le chambellan, afin que ce dernier pût le soumettre à l'attention de l'ancien roi, alors que lui-même s'en allait dans toutes les régions de la Perse et s'adressait, dans chaque ville et dans chaque station, à la foule, du haut de la chaire, de sorte que les autres docteurs érudits conclurent qu'il devait être fou, voyant là un cas certain d'ensorcellement.

(9.9) Il s'appelait Siyyid Ja'far, étai connu sous le nom de Kashfi 'celui qui découvre", à cause de son habileté à interpréter le Qur'an et des visions qu'il prétendait avoir.

(9.10) Il avait le titre de Hujjatu'l-Islam.

(9.11) Signifiant littéralement "Les Quatre Portes", dont chacune se prétendait intermédiaire entre l'Imam absent et ses disciples.

(9.12) Il était Akhbari. Pour un exposé sur les Akhbaris, voir Gobineau "Les Religions et les Philosophies dans l'Asie Centrale", pp. 23 et suivantes.

(9.13) "Je le rencontrai (Mulla Muhammad-'Ali)", raconte Mirza Jâni, à Tihran chez Mahmud Khan, le kalantar, où il était emprisonné à cause de sa dévotion à sa Sainteté. Il dit: "J'étais mulla, un mulla si fier et si autoritaire que je ne me serais incliné devant personne, pas même devant feu Haji Siyyid Baqir de Rasht, que l'on considérait comme la "preuve de l'islam" et le plus savant des docteurs. Mes doctrines tenant de l'école Akhbari, j'avais des opinions différentes, concernant certaines questions, de celles de l'ensemble du clergé. Les gens portèrent plainte contre moi, et Muhammad Shah me convoqua à 'Tihran. J'y vins, et il lut mes livres et s'informa de leur portée. Je lui demandai de faire appeler aussi le siyyid (Siyyid Baqir de Rasht), pour que nous puissions discuter. Il entendait d'abord agir ainsi mais, par la suite, ayant considéré le mal qui pouvait en résulter, suspendit la discussion proposée. En bref, malgré toutes mes prétentions, dès que la nouvelle de la Manifestation de Sa Sainteté me parvint, et que j'eus parcouru attentive- ment une petite page des versets de ce Point du Furqan, je fus comme hors de moi et, involontaire-ment, mais de plein gré, confessai la vérité de sa revendication et devins son esclave dévoué; car je vis en lui le plus noble des miracles du Prophète et, si je l'avais rejeté, j'aurais rejeté la vérité de la religion islamique." (Histoire de Haji Mirza Jani: appendice II du "Tarikh-i-Jadid", pp.I 349-50.)

(9.14) Une déclaration semblable est rapportée dans le "Kashfu'l-Ghita" (p. 227). Une telle déclaration, déclare l'auteur, lui a été faite par plusieurs habitants de la province de Mazindaran.

(9.15) Voir glossaire.

(9.16) "Il y eut là une lutte ardente entre Muqaddas et Karim Khan qui, comme on le sait, avait pris le rang de chef de la secte shaykhie après la mort de Kazim. La discussion eut lieu en présence d'un nombreux auditoire et Karim somma son adversaire de prouver la vérité de la mission du Bab. "Si nu le fais, lui dit-il, je me convertis, et mes élèves avec moi; mais, ai tu n'y réussis pas, je ferai crier dans les bazars: voilà celui qui foule aux pieds la sainte loi de l'islam. Je sais qui tu es Karim, lui répliqua Muqaddas. Ne te souviens-tu pas de ton maître Siyyid Kazim et de ce qu'il t'a dit: "Chien, ne veux-tu pas que je meure et qu après moi paraisse la vérité absolue!" Et voilà qu'aujourd'hui, poussé par ta passion des richesses et de la gloire, tu te mens à toi-même? Commencée sur ce ton, la discussion devait être brève. En effet, les élèves de Karim tirèrent le couteau et se lancèrent sur celui qui insultait leur chef. Fort heureusement le gouverneur de la ville s'interposa, fit arrêter Muqaddas et le fit conduire dans son palais. Il le garda pendant un certain temps et, quand les passions se furent un peu calmées, il le renvoya de nuit, le faisant accompagner durant quelques étapes par 10 cavaliers." (A.L.M. Nicolas: "Siyyid 'Ali-Muhammad dit le Bab", pp. 228-9.)

(9.17) Titre donné par le Bab à Siyyid Yahyay-i-Darabi.

(9.18) Les circonstances remarquables dans lesquelles eut lieu la conversion de Haji Siyyid Javad-i-Karbila'i sont racontées en détail dans le "Kashfu'l-Ghita" (pp. 70-77), et il y est fait référence à une Tablette significative révélée à son intention par Baha'u'llah (p.63), et dans laquelle l'importance du Kitab-i-Aqdas est pleinement soulignée, et la nécessité de faite preuve d'un tact et d'une modération extrêmes lots de l'application et de l'exécution de ses préceptes mis en relief. Le texte de cette Tablette se trouve aux pages 64 à 70 du même livre. Le passage suivant du 'Dala'il-i-Sab'ih" se réfère à la conversion de Haji Siyyid Javad: "Aqa Siyyid Javad-i-Karbila'i a dit qu'avant la manifestation, un indien lui avait écrit le nom de celui qui serait manifesté." ("Le Livre des Sept Preuves", traduction par A.L.M. Nicolas, p. 59.)

(9.19) Signifiant littéralement "siyyid radieux."

(9.20) 1846 ap. J-C.

(9.21) Le treizième siècle après l'hégire se termina en octobre 1882 ap. J-C.

(9.22) "La veuve du Bab lui survécut jusqu'en l'an 1300 après l'hégire, il y a à peine six ans. Elle était la soeur du grand-père maternel de mon ami. Les détails ci-dessus proviennent d'une vieille danse de la même famille, de sorte qu'il y a tout lieu de les considérer comme dignes de foi.' Journal of The Royal Asiatic Society, 1889, p. 993.)

(9.23) "Cependant les troubles, les discussions passionnées, le scandale continuaient à Shiraz, tant et si bien, qu'importuné de tout ce tapage, anxieux des suites qu'il pouvait avoir, Haji Mirzi Aqasi donna l'ordre à Husayh Khan, Nizamu'd-Dawlih, d'en finir avec le Réformateur et de le faire tuer secrètement." (A.L.M. Nicolas , "Siyyid 'Al'i-Muhammad dit le Bab", p. 235.)

(9.24) "Extrêmement irrités, mécontents et inquiets, les Mullas du Fars, ne pouvant d'ailleurs prévoir ou s'arrêterait le mouvement qui se prononçait si fortement contre eux, n'étaient pas les seuls à se sentir dans l'embarras. Les autorités de la ville et de la province comprenaient trop bien que le peuple qui leur avait été confié et qui n'est jamais beaucoup dans leurs mains, cette fois n'y était plus du tout. Les hommes de Shiraz, légers, railleurs, turbulents, belliqueux, toujours prêts à la révolte, insolents en perfection, rien moins qu'attachés à la dynastie Qajar, n'ont jamais été faciles à mener, et leurs administrateurs ont souvent des journées pénibles. Quelle serait la situation de ces administrateurs, si le chef réel de la ville et du pays, l'arbitre des idées de tout le monde, l'idole de chacun, allait être un jeune homme que rien ne soumettait, n'attachait ou ne gagnait à rien, qui se faisait un piédestal de son indépendance et qui n'en tirait qu'un trop grand parti en attaquant chaque jour impunément et publiquement tout ce qui jusqu'alors s'était considéré comme puissant et respecté dans la ville? A la vérité, les gens du roi, la politique, l'administration proprement dite n'avaient encore été l'objet d'aucune des virulentes apostrophes du novateur; mais à le voir si rigide dans ses moeurs, si inexorable pour la fraude de l'esprit et l'esprit de rapine des membres du clergé, il était fort douteux qu'il pût approuver au fond la même rapacité, la même fraude si florissantes chez les fonctionnaires publics, et on pouvait bien croire que le jour où ses regards tomberaient sur eux, il ne manquerait pas d'apercevoir et de vitupérer ce qu'on n'avait guère le moyen de cacher." (Comte de Gobineau, les Religions et les Philosophies dans l'Asie Centrale", p. 122-3.)

(9.25) Le 23 septembre 1845 ap. J. -C. Voir "Tarikh-i-Jadid", p.204.)

(9.26) Epidémie de choléra.

(9.27) Le Bab se réfère à cet incident, dans le "Dala'il-i-Sab'ih", on ces termes: "Reporte-toi aux premiers jours de la manifestation: combien d'hommes y sont morts du choléra! c'était là l'un des prodiges de la Manifestation et personne ne l'a compris. Pendant quatre années le fléau sévit parmi les Musulmans shi'ites sans que personne n'en saisisse la signification." ("Le Livre des Sept Preuves", traduction par A.L.M. Nicolas, pp. 61-2.)

(9.28) Un jardin dans les faubourgs de Shiraz.

(9.29) D'après 'A Traveller's Narrative" (p. 11), "Husayn Khan relâcha le Bab en posant comme condition son départ de la ville."


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