Caldwell

Histoire d'un chevalier de Baha'u'llah - de 1954 à 1991

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6) EPOQUE 6

Je réalise pleinement qu'il est impossible de faire connaître à un autre coeur la moindre idée de la réalité du pèlerinage. Avant de partir à mon tour en pèlerinage, j'avais écouté les récits d'un grand nombre de pèlerins, ce qui ne m'avait pas pour autant aidé à dissiper mon entière ignorance de sa vraie réalité. Bien que vivant dans un monde de plusieurs dimensions, il est impossible, même avec des diapositives, des films et des cassettes, de montrer aux autres l'esprit du pèlerinage. La première chose qui me frappa profondément à mon arrivée à Haïfa fut que des forces idéales étaient unies et en harmonie dans toutes leurs dimensions - les chants des oiseaux et les cris des insectes, le léger parfum s'exhalant dans les jardins, le frémissement tant céleste que naturel de la brise dans le feuillage, les forces spirituelles en vibration, tous s'accordaient comme dans un orchestre céleste.

Nous avons rencontré les Mains de la Cause de Dieu, qui résidaient à l'époque à Haïfa - Paul Haney, 'Ali-Akbar Furutan, Mr Faizi, et pendant quelques heures un après-midi, nous avons rencontré Amatu'l-Baha. Je n'ai pas l'intention de vous amener pas à pas a travers le ciel des cieux. Je ne fais que noter mes impressions. Au Tombeau du Bab et d'Abdu'l-Baha, je me prosternais en présence de Dieu et vidais mon coeur de toutes ses charges. Vers trois heures du matin, le jour de notre proclamation, correspondant à six heures du soir à Seattle. je me levai et allai au Tombeau. Là, oubliant tout sauf la présence de Dieu, absorbé dans une atmosphère de prière, je fis ce que je puis pour aider au succès de notre proclamation.

Lorsque j'élevai la voix pour dire ma prière, elle sembla monter, réverbérer en spirale dans ce ciel de réalité et pour la première fois, je me sentis réellement en présence de mon Bien-Aimé. Lorsque je dis, "O Dieu, mon Dieu", les réverbérations résonnèrent, "Oui, mon enfant". Vers 5h 30, Elaine vint me rejoindre. Ensemble, dans ce Saint des Saints, nous priâmes, d'abord l'un à la suite de l'autre alternativement. La porte extérieure était fermée et la paix et le calme qui précèdent l'aube étaient absolus, mais pendant que nous priions, une brise très chaleureuse, tendre, douce, affectueuse (sans rapport avec ce monde) souffla sur nous et la manifestation extérieure des 'souffles divins passèrent sur eux' embrasa nos coeurs. Ce fut une fois encore la confirmation de notre mariage spirituel ensemble, nous avons goûté au même fruit divin.

Ma première impression de Bahji fut... la PAIX. J'avais été dans les contrées sauvages du Canada, et dans celles isolées des îles Aléoutiennes, où on peut entendre le calme lorsque règne le silence, et je pensais avoir une vague idée de la signification du mot paix. Pourtant, la lumière sur ce qu'il veut dire véritablement ne m'apparut pas dans ces endroits d'isolation terrestre, mais en Israël, le lieu le plus saint sur terre, au coeur du tourbillon de la civilisation technologique. En marchant dans le jardin, chaque atome, chaque arbrisseau, chaque pierre et chaque brin d'herbe résonnait à l'acclamation de paix et de glorification de Dieu et mon coeur se gonfla de gratitude du fait qu'enfin, les restes sanctifiés de la Perfection Bénie aient pu accéder à une paix à laquelle Il n'avait pas eu droit lorsqu'Il vivait dans ce bas monde.

Toutefois, à mon entrée dans le centre d'adoration, j'eus la pleine réalisation que j'étais dans l'erreur. La raison même de l'émanation de cette paix était ces restes bénis eux-mêmes. Dieu de bonté ! Il n'y a pas de fin aux dons de l'Ancien des jours. Même dans Son royaume de gloire, Il continue de donner et de déverser Ses bienfaits sur nous. A nous les enfants des hommes, Il donne Tout - qui est à Lui, paix, bonheur, gloire et allégresse, Prenant conscience de cette magnanimité, j'offre mon âme en rançon pour les souffrances que nos mains Lui ont fait endurer alors qu'il était sur Sa terre.

Mon pèlerinage approchait son apogée. Debout de l'autre côté des douves, le regard levé vers cette minuscule fenêtre de la plus Grande Prison, mon coeur s'envola vers ce croyant parmi les premiers qui, la vue défaillante, était arrivé à pied depuis la Perse afin de jeter un regard sur le mouchoir blanc de Baha'u'llah mais qui, à son arrivée, ne put même pas réaliser ce désir. Je n'étais pas du tout préparé à ce qui se passa à la Plus Grande Prison. Devant la cellule de Baha'u'llah, j'enlevai mes chaussures. Paul Haney ouvrit la porte et je mis pied dans la cellule.

Le choc fut plus que je n'en pouvais supporter et mon coeur se brisa en mille morceaux. Pour commencer, la cellule, au moindre détail, était celle de ma vision douze ans plus tôt, dans laquelle j'avais vu Baha'u'llah face à face. Outre cela, j'étudiais les enseignements de Baha'u'llah depuis plus trente ans, je savais donc que chaque page, chaque ligne, chaque mot et chaque lettre de Ses enseignements est rempli de tant d'amour et de tant de compassion que l'esprit est incapable de l'imaginer et nos coeurs de le comprendre. Pour qu'une telle personne eût été soumise à tant de cruauté était trop pour mon pauvre coeur. Si les larmes sont capables de laver la moindre souillure sur la robe d'un blanc de neige de Baha'u'llah, ce flot jaillit de mon coeur comme si moi seul pouvais rendre cette robe à Dieu, pure, et d'un blanc immaculé.

Grâce à la discrétion de mon frère Paul Haney, je pus me retrouver seul quelques moments avec les fragments de mon coeur brisé. Je me prosternai une fois encore au même endroit que dans mon rêve et fis le voeu que seule mon abnégation complète dans Sa Cause, donnant ma vie et mon dernier souffle au service de Sa Volonté, pouvait apaiser mon coeur. Je prie Dieu de toute la sincérité de mon pauvre coeur humain inadéquat qu'Il m'accorde le privilège de réaliser mes voeux faits dans ce lieu sacré.

De la prison, nous nous rendîmes à la Maison d'Abbud où Baha'u'llah avait été enfermé à l'étage supérieur pendant cinq ans et demie. Je sortis sur le balcon où Baha'u'llah avait l'habitude d'aller prendre de l'air et faire des exercices physiques. En me penchant sur la balustrade, je pensais, "chaque centimètre de ceci a été béni par la Suprême Manifestation de Dieu". Comme j'envie la poussière qui a été bénie par le toucher de la Main de Dieu ! Je me rappelai alors ces lignes sur Akka qui terminent "l'Epître au Fils du Loup" et je commença; à compter les quarante vagues qui frappaient la berge. Lorsque j'arrivai à la quarantième, j'eus l'impression que la dernière vague ne s'arrêtait pas mais plutôt montait vers le balcon pour se déverser sur ma tête, me lavant et me relavant dans cette eau bénie.

Je me sentis aussi nouveau et pur comme si je venais de sortir du sein de ma mère. Une fois encore, mes pleurs allèrent vers Dieu du tréfonds de mon âme, le suppliant de me donner Sa protection et de me préserver des fautes et du pêché pour le reste de ma vie. En vérité, Dieu fait ce qu'Il veut. D'abord Baha'u'llah, puis Abdu'l-Baha et Shoghi Effendi, comparèrent notre Centre mondial au coeur du monde. Le coeur est un organe vivant qui bat et nous affluons vers lui de différents endroits lointains apportant avec nous toutes nos impuretés. Ensuite, lavés, oxygénés, revigorés, nous sommes renvoyés dans tous les coins du monde pour apporter cette nourriture vivifiante au corps mourant de l'humanité. Oui, en vérité, c'est ici le coeur du monde.

Le dernier jour de pèlerinage je me promenai avec ma femme dans les jardins de Haïfa et lui dis prophétiquement que nous allions avoir un autre enfant. Elle répondit avec toute son ardeur d'épouse, "Pas moi ! j'ai déjà eu tous les enfants qu'il me fallait et je suis trop vieille pour en faire un autre". Pourtant presque un an jour pour jour plus tard, ma femme mit au monde notre cinquième enfant, notre fille Zarrin Taj, née à Mexico. Cette enfant fut envoyée par Dieu à ma femme pour lui servir de centre d'intérêt dans ce pays.

La dernière fois où j'entrai dans le Tombeau du Bab, les forces spirituelles qui battaient dans ma tête et dans mon âme étaient si puissantes que j'en étais presque paralysé. Je sentis que dans son évolution spirituelle, le commun des mortels ne pourra pas accéder à ces lieux des plus saints, non pas parce qu'il en est incapable mais parce que les forces spirituelles qui en émanent seront plus qu'il n'en pourra supporter.


7) EPOQUE 7

De la terre du désir de mon coeur, Haifa, nous retournâmes à Seattle. où ma première bénédiction fut la présence, une nouvelle fois, de ma très chère soeur aimée et chérie, Florence Maybery. Je pus passer plusieurs semaines en sa présence bénie. Je l'emmenais souvent aux réunions (son emploi du temps était monumental) et des larmes d'angoisse remplissaient mon coeur pour son état de santé. Mais elle savait toujours tendre la main pour puiser dans cette suprême assistance divine promise, et comme une jeune fille dans sa prime adolescence, elle partageait l'eau vive avec les personnes avec lesquelles elle entraient en contact

Je voudrais partager avec vous un petit incident, qui est en réalité une affaire capitale, car il vous éclairera mieux, cher lecteur, sur le rayonnement de cette âme qui a tant captivé la mienne. Florence, comme membre Auxiliaire, n'était pas seulement chargée de la propagation de la Foi mais également de sa protection. Par conséquent, elle avait la tâche de rencontrer un certain individu qui s'était retiré de la Foi et qui s'employait alors activement à miner la communauté en semant des germes de doute et de suspicion dans les coeurs des amis et sympathisants.

Nous rencontrâmes d'abord l'un des chercheurs que cette femme avait contactés et avec tendresse et amour, Florence le ramena complètement à la Cause de notre Bien-Aimé. Nous allâmes ensuite dans la maison de cette femme qui était sur le point de devenir un briseur de Covenant. Florence alla à la rencontre de cette femme avec tant de tendresse et de compassion qu'il m'est presque impossible de le décrire. Elle la prit dans ses bras et l'embrassa affectueusement. Puis dans un esprit d'amour. elles s'assirent toutes deux sur le sofa et eurent une conversation de coeur à coeur. Quelle sagesse, quel tact, quelle compréhension et par-dessus tout - quel amour ! Chaque question de cette âme égarée était traitée avec honnêteté, franchise et sincérité.

Une personne complètement morte spirituellement et froide ne pouvait pas résister à revenir sur le droit chemin si elle prête l'oreille aux paroles de Florence. Notre soeur égarée, la figure baignée de larmes, embrassa Florence et demanda que son nom soit réinscrit sur la liste électorale. Pour avoir été témoin intime de cela, l'histoire de l'enfant prodigue prit alors pour moi une signification toute nouvelle, car nous éprouvâmes plus de joie à avoir retrouvé cette amie que celle conférée par l'acceptation de la Foi quelques heures plus tôt par un nouveau croyant.

Florence et moi sentions l'enthousiasme de notre précédente proclamation s'estomper lentement dans les coeurs des amis et fîmes de notre mieux pour encourager et raviver les esprits. Florence prit comme exemple le but d'un acte de vente. Vous mettez votre produit sur le marché et en vantez la qualité. Le produit est présenté à tout le monde et on a commencé à le vendre. La production ne cesse pas pour autant, au contraire. Mais hélas ! Comme une lampe qui n'a plus d'huile, l'ardeur des amis avait refroidi. Après le départ de Florence, presque tout le monde me dit qu'il avait des problèmes personnels, et ils me prévinrent qu'ils ne voulaient pas être pressés.

Un dimanche, mon coeur me poussa vers la maison d'une formidable famille à quelques kilomètres de chez moi, et pendant que nous parlions, mon ami baha'i indiqua qu'il y avait plus de quinze tribus d'Indiens dans notre localité. Je réalisai instantanément la raison pour laquelle mon coeur m'avait conduit dans sa maison. Nous commençâmes sur le champ à faire des projets. Mon énergie et mes ressources, les ailes de mon esprit, prirent alors une nouvelle direction. Je me rendis aux deux bibliothèques de l'Université de Seattle et passai plusieurs semaines de recherches sur les coutumes et l'histoire des tribus locales. Je trouvai qu'à l'ouest des montagnes à Washington, il y avait dix-neuf tribus distinctes, ce qui me sembla significatif, dix-neuf étant le nombre d'un vahid complet. Nous travaillâmes avec la bénédiction du Comité d'enseignement des Indiens.

J'étais déterminé à utiliser l'approche directe qui fut si efficace dans le Yucatan, en Amérique Centrale et en Amérique du Sud. Nous avions besoin de savoir les noms des chefs, ou des dirigeants de chaque tribu, en vue de les contacter d'abord et ainsi, essayer de toucher leurs peuples par leur intermédiaire. J'appris que l'agence indienne d'Everett avait une telle liste et je priai Dieu de nous aider à l'obtenir. J'avais des visions dans lesquelles je me voyais aller voir l'agent et découvrir que celui-ci avait une aversion pour tous mouvements religieux dans les réserves. C'est donc avec beaucoup d'appréhension que je me rendis à Everett, priant tout au long du trajet, récitant la puissante 'Tablette d'Ahmad', et 'la Prière des Difficultés'.

A mon arrivée au bureau de l'agence indienne, je fus accueilli par un jeune indien, à qui je demandai de voir l'agent. Il m'expliqua que l'agent était parti pour toute la journée sur l'une des réserves. J'expliquai au jeune homme ce que je désirais, et voulant m'aider, ouvrit un livre et me montra la liste, laquelle était évidemment impressionnante et très longue. Lorsqu'il se rendit compte que je voulais la recopier, il ouvrit un classeur, en tira une copie de la liste, qu'il me donna. Dieu fait ce qui Lui plaît, et tous sont Ses serviteurs ! Je m'en retournai chez moi, muni non seulement de la liste des tribus à l'ouest de Washington mais également des tribus de tout le nord-ouest, le coeur chantant de gratitude pour mon Bien-Aimé.

Ce ne fut pas une mince affaire, cette activité d'enseignement des Indiens ! Des lettres furent envoyées à tous les chefs pour leur demander des rendez-vous pour aller partager avec eux les bonnes nouvelles de la dernière révélation de Dieu. A cette époque critique, je reçus une lettre du Bureau national des Etats-Unis me demandant de partir en Californie et dans l'Oregon pour aider à sauver des Assemblées spirituelles locales en danger.

Comme on était déjà le 1er avril, je n'avais pas beaucoup de temps devant moi. Je partis quand-même, abandonnant toute autre activité. Toutes les Assemblées spirituelles locales faibles furent reformées à l'exception d'une, qui avait été réduite à cinq membres.

A mon retour à Washington, nous n'avions reçu qu'une seule réponse des réserves, nous accordant un rendez-vous plusieurs semaines plus tard. Après avoir beaucoup prié, médité et consulté, nous décidâmes d'aller dans l'une des réserves et de contacter directement les Indiens si cela était possible. Si nous échouions, nous irions voir personnellement le chef de la réserve. La réserve la plus proche et la plus accessible à partir de Maryville, Washington, étant celle de Tualip, elle me fut affectée comme but.

Après une période de prières intenses, le coeur débordant d'amour, je me mis en route pour Tualip. Je décidai en route qu'à mon arrivée dans la ville, je garerais ma voiture et partirais à pied à travers la ville et transmettrais le message à quiconque je rencontrerais. Ce que je fis, du moins en ce qui concerne l'idée de garer ma voiture et de circuler à pied d'un bout de la ville à l'autre.- En effet, je rejoignis ma voiture sans avoir rencontré une seule personne solitaire - Indien ou Blanc.

Tous sont Ses serviteurs et tous dépendent de Son commandement. Je marchai jusqu'à la plage, m'assis sur un bout de bois mort, dis la 'Tablette d'Ahmad', puis rentrai à Edmonds.

Le lendemain, je retournai sur place et allai directement au bureau de l'Agence où je demandai à voir le Chef.

Lorsqu'on me fit entrer dans son bureau, et que je me présentai, j'entrai dans le vif du sujet et dis, "Un nouveau Messager de Dieu est apparu sur la terre, porteur d'un message spécial pour ton peuple." Aurais-je donné un coup sur la tête de ce monsieur, le choc n'aurait pas été aussi terrible. Il resta bouché bée, me regardant longuement et durement. Quand finalement il se ressaisit, il me conseilla que la meilleure manière de disséminer mon message serait de passer par les prêtres de la réserve qui le relayeraient à son peuple. Je retournai à mon bout de bois mort sur la plage pour prier et demander assistance.

A ce point, j'avais commencé à croire que je n'étais peut-être pas la personne qu'il fallait pour toucher ces âmes. Toutefois, le vendredi suivant. nous eûmes une conférence d'enseignement à Seattle. A cette conférence, un baha'i Indien de Yakima, qui était parti avec Florence Mayberry dans la Réserve de Yakima à l'est des montagnes, se leva et lança un appel d'urgence pour avoir de l'aide pour le suivi de l'enseignement dans sa réserve.

J'avais décidé de ne pas aller du côté est des montagnes. Pourquoi devrions-nous parcourir plus de 240 km alors que nous avions déjà dix-neuf réserves tout près de chez nous ? Mais après son appel désespéré, j'attendis que quelqu'un répondît. Personne ne le fit. Alors, étant toujours prêt a seconder toute personne qui souhaitait servir la Cause de Dieu, je me levai pour offrir mes services. Nous nous entendîmes pour partir en cours de semaine dans ma voiture. Cette dame indienne me demanda si je pouvais prendre avec nous un de ses amis indiens de Tacoma, qui se révéla être un Tualip de souche. Dieu soit loué et gloire à Lui pour m'avoir permis de suivre le désir de mon coeur dans le service de Sa Cause.

Comme ma soeur baha'ie et moi commençâmes à parler, ce monsieur Tualip affirma haut et fort qu'il était un catholique satisfait et heureux de l'être. Je lui dis que c'était merveilleux, et continuai de parler gaiement avec mon amie. Notre ami Tualip ne dit rien pendant les 80 premiers km. mais quand nous nous arrêtâmes pour déjeuner, ses questions s'enchaînaient à la vitesse que passaient les kilomètres. Puis pendant les 80 km suivants, il fut complètement immergé dans l'océan de l'amour de Dieu. Le temps d'arriver à Yakima et dans la réserve, notre cher Tualip était si excité qu'il ne pouvait pas tenir tranquillement sur place. Reconnaissant un de ses amis indiens dans la rue, il me demanda d'arrêter la voiture. A peine m'arrêtai-je qu'il bondit hors du véhicule, attrapa la main de son ami et déclara vigoureusement qu'un nouveau Messager de Dieu était venu.

Pendant les deux jours que nous passâmes dans la réserve, cet homme se montra tel un intrépide guerrier de Baha'u'llah et avec ardeur, se battit pour la Cause de Dieu. Au cours des trois heures que dura notre voyage retour, il commença à faire des projets d'enseignement de la Foi de son Bien-Aimé au peuple Tualip.

Comme les résultats de mes propres projets étaient inattendus ! Notre premier ami baha'i Tualip dans la Cause de Dieu devait aussi connaître un cas similaire. Nous fîmes des projets et obtînmes l'autorisation du Conseil indien d'organiser un pique-nique baha'i sur la réserve. Notre ami baha'i avait choisi l'endroit où il savait que les Indiens allaient se rendre. Mais l'Assemblée spirituelle locale qui avait cette réserve comme but jugea que l'endroit choisi ne convenait pas pour accueillir dignement les amis de toute la région ouest de Washington qui avaient été invités, parce qu'il n'y avait que des hangars sans cuisine mais de la poussière, etc.

Ainsi, ces amis bien intentionnés, pour préserver la dignité de la Cause et pour le bien-être des baha'is qui allaient venir. allèrent louer une salle où les natifs étaient d'office exclus. Bien, le pique-nique fut vraiment exclusif - seuls les amis baha'is furent présents; personne de la réserve n'y étaient, sauf notre baha'i Tualip.

Pendant que les baha'is s'amusaient, cet Indien et moi-même allâmes à l'endroit jugé inadéquat et là, évidemment, les locaux y avaient afflué? Je raconte ce tragique incident de notre pique-nique baha'i dans l'unique but de souligner un point. Les eaux vives de la Cause de Baha'u'llah sont destinées à toute l'humanité sans aucune exclusion. Si jamais nous voulons réussir dans notre tache, nous devons aller vers l'humanité les bras et les coeurs ouverts afin de les rencontrer de tout coeur sur leur propre terrain et non pas sur le nôtre.

Nous rencontrâmes ces Indiens qui nous avaient invités et bien que nous ne recueillîmes aucune déclaration, nous nous fîmes des amis pour la vie et reçûmes des invitations spéciales pour participer à toutes leurs célébrations.


8) EPOQUE 8

Elu délégué régional pour la Convention nationale, Elaine et moi partîmes pour Chicago. Là, nous eûmes le privilège de rencontrer beaucoup de nouveaux croyants, fûmes comblés de joie devant le changement et l'accroissement de notre communauté baha'ie américaine. Nous rencontrâmes également un ami qui me demanda si je pouvais voyager à travers le Sud. Je ne pouvais pas refuser de servir une cause si chère à mon coeur. Les émeutes raciales et les terribles forces négatives faisaient couler le sang tant des Noirs que des Blancs comme l'avait prophétisé Abdu'l-Baha.

Je me fis l'obligation comme croyant d'aller dans ce pays déchiré par les troubles pour démontrer par les faits et l'action que nous les Baha'is, n'étions pas uniquement de beaux parleurs mais également des gens d'action. A la convention, notre famille obtînt de l'Assemblée spirituelle nationale l'autorisation de répondre à la demande de notre cher Main de la Cause, Dr. Gachiery, d'aller servir au Mexique comme pionniers.

A la fin de la convention. nous rentrâmes à Seattle et le trimestre scolaire terminé, nous prîmes congé de tous ces amis baha'is avec qui nous avions travaillé si dur et que nous avions appris à aimer si fort.

Le voyage à travers le Sud dura trois mois et fut fructueux du fait qu'il en résulta de nouvelles déclarations et nous permit de démontrer à tous la vraie signification de l'unité raciale. Nous séjournâmes plusieurs fois en plein coeur des quartiers noirs, vivant dans des maisons privées, acceptés et aimés par tous. Nous fûmes menacés et maudits par les ignorants, mais le sentiment de spiritualité parmi les Noirs du Sud est un vrai et beau rayon de lumière dans une région à d'autres points de vue sombre et désillusionnée. Nous fûmes les premiers Blancs à jamais entrer dans une des églises noires et fûmes reçus avec tendresse et amour. et nous eûmes la permission de parler à la congrégation. Pendant trois mois, jour après jour, nous luttâmes de tout coeur et de toute la force de notre âme comme nous l'avait appris Abdu'l-Bahà, et finalement le 12 Asma 121 E.B (31 août 1965), nous arrivâmes au Mexique.

L'Assemblée spirituelle nationale du Mexique nous demanda d'aller dans l'Etat d'Oaxaca, l'un de leurs buts dans le cadre du Plan de Neuf ans étant d'avoir des croyants dans chacun des Etats du Mexique. Oaxaca est situé dans les hautes sierras du Mexique, et la capitale, Oaxaca, lotie dans une vallée nichée entre les montagnes. Oaxaca a la caractéristique d'avoir la plus forte population d'Indiens natifs de tous les Etats d'Amérique du Nord, et après onze années passées comme pionniers dans une communauté ne comptant que cinquante familles, c'était pour nous le paradis ! En outre, après onze années sous des cieux les plus effroyables du monde, Dieu nous accorda le privilège du climat le plus calme et le plus doux dont on pouvait rêver.

Selon les instructions d'Abdu'l-Baha, il est recommandé aux baha'is d'apprendre à parler couramment la langue du pays où ils vont s'installer comme pionniers avant de s'y rendre. Louange et gloire à la sagesse de Dieu - j'ai vraiment souffert d'avoir désobéi. A mon arrivée à Oaxaca, je ne savais dire que 'bonjour' et 'au revoir'. Alors, pendant quatre mois, j'ai travaillé jour et nuit pour maîtriser la langue. Les paroles de Baha'u'llah, qui constituent la force divine de ma vie, me soutenaient. Les voici :

La nuit succède au jour, et le jour à la nuit, les heures et les moments de votre vie ne sont pas plutôt venus qu'ils sont déjà passés, et, pourtant aucun de vous n'a jamais encore consenti, ne fût ce qu'un instant, à se détacher de tout ce qui périt.

Faites diligence afin que les courts instants qui vous appartiennent encore ne soient pas dissipés et perdus. C'est avec la rapidité même de l'éclair que vos jours passeront et que vos corps reposeront sous une couche de poussière. Que pourrez-vous faire alors? Comment pourrez-vous expier vos fautes passées ? (Extraits des Ecrits de Baha'u'llah).

Je ne crois pas qu'une seule personne au coeur sincère, qui lise ce qui précède, ne soit totalement consumée par l'inadéquation du temps face aux taches gigantesques à abattre dans l'immédiat.

Au bout de quatre mois, je ne possédais que les plus simples rudiments de la langue. Toutefois, ayant appris depuis longtemps à mettre toute ma confiance en Dieu, je me mis une fois encore à me lever à l'aube pour aller sur la montagne qui surplombe la ville d'Oaxaca et communier avec Dieu dans un total abandon à Sa sainte volonté et plaisir. L'un des premiers fruits et dons de Dieu me vint par ma fille de neuf ans. La plupart des matins, elle tombait du lit, encore endormie, mais anxieuse d'aider son Papa, elle s'habillait et partait avec moi. Dieu seul peut savoir la joie et la bonheur qui envahissaient mon âme lorsque ce pur esprit de lumière s'asseyait à côté de moi, et de sa voix pure et douce, lisait des prières pendant que je conduisais vers la montagne. Ensuite, alors que les cieux s'illuminaient lentement du côté est, elle récitait avec moi la 'Tablette d'Ahmad' qu'elle connaissait presque totalement par coeur. Je prie sans cesse Dieu que cette enfant de la Croisade de mon obéissance continue de grandir, toujours parée de cette âme pure et radieuse qu'elle avait alors.

Un jour, j'informai Elaine que j'avais envie d'aller à Mexico. Elle me demanda pourquoi faire, d'autant qu'on avait pas l'argent pour un tel voyage. Honnêtement, je ne savais pas moi-même pourquoi, mais elle avait appris (de même que moi) qu'il ne fallait pas s'interposer ou trouver à redire en ce qui concerne les impulsions de mon coeur.

A Mexico, je rencontrai une jeune fille du Vénézuela, baha'ie de courte date, qui y était de passage et lorsque je lui demandai si elle avait envie d'aller à Oaxaca pour nous aider pendant quelque temps, elle répondit avec enthousiasme. Avec la bénédiction de l'Assemblée spirituelle nationale du Mexique, les dispositions furent prises. J'avais enfin une voix, cette enfant du Royaume étant bilingue. Oh Dieu, mon Dieu, quelle langue peut exprimer mes remerciements à Ton endroit ! Une fois encore, ces mots, Dieu, suffit à tout furent abondamment manifestés dans ma vie.

Elle s'appelait Trina, et bien qu'elle fût nouvelle baha'ie, elle possédait un coeur merveilleusement chaleureux, aimable et ouvert, qualités si vitales à l'enseignement. Elle devrait me suivre à Oaxaca en compagnie d'autres amis la semaine suivante. Tant de prières de remerciements remplissaient mon coeur à mon retour à la maison. Je décidai de ne pas perdre une seule précieuse minute, et, arrivé à Oaxaca, je me tournai vers cette constante présence de Dieu dans laquelle je baigne. Dans cette précieuse atmosphère de Dieu fait ce qu'Il veut et Il est l'Aide suprême, je demandai par où commencer. Malgré ma mauvaise mémoire des noms, celui d'un pueblo (village) s'imposa à mon coeur comme la lumière d'un néon. Zoquiapan.


9) EPOQUE 9

Je ne savais même pas où était situé le pueblo de Zoquiapan, mais le deuxième jour de mon retour à la maison, j'étais déterminé à y aller dès le lendemain pour voir ce qui pouvait être arrangé sur place pour Trina quand elle sera la. En consultant une carte locale, j'appris que Zoquiapan se trouvait a quelques huit kilomètres de la route carrossable la plus proche. J'en déduisit qu'il faudrait un trajet d'une heure et trente minutes pour s'y rendre.

Le jour suivant, je demandai de l'aide à un jeune américain qui avait grandi à Oaxaca et qui passait ses journées à vagabonder dans les hautes sierras à coté de la ville. Il parlait anglais à la maison et espagnol partout ailleurs si bien que j'ai cru qu'il pouvait me servir d'interprète et de guide jusqu'à ce village. Je savais qu'il était arriéré mental mais il avait bon coeur et, comme tout être humain. il avait juste besoin de se savoir aimé et utile.

A 11 heures le lendemain matin. nous nous mîmes en route. Comme le soleil brillait et qu'il faisait bon et que je pensais rentrer à Oaxaca avant 6 heures du soir, je ne pris même pas un chandail. Les huit kilomètres se révélèrent la distance à vol d'oiseau et malheureusement, je n'étais pas équipé comme un oiseau. Pour commencer, la route reliant la nationale à l'endroit où je comptais laisser ma voiture, était à peine un sentier praticable pour une voiture attelée. Je renonçai donc à ma voiture que je garai, pensant qu'il me serait encore possible de revenir la chercher avant la nuit. Bref, nous marchâmes et marchâmes sur des kilomètres et des kilomètres et encore des kilomètres. J'étais lourdement chargé et au bout des premiers huit kilomètres, je maudis mon erreur et jurai que la prochaine fois, je n'emporterais dans ces montagnes que le strict nécessaire.

Nous arrivâmes afin à destination vers 6 heures du soir. après avoir franchi trois montagnes et parcouru approximativement vingt kilomètres. L'ongle de l'un de mes orteils était enfoncé dans mon pied ensanglanté. mes muscles endoloris rendaient chacun de mes pas insupportable. La raison tenta de prendre le dessus sur mon coeur. Je pensai qu'il serait inadmissible de soumettre Trina à cette terrible épreuve de monter jusqu'à Zoquiapan et d'en revenir. Puisque je me trouvais là-bas, je décidai de leur transmettre le Message avant de repartir et d'en rester là. Les gens furent très, très soupçonneux. Quand ils me demandaient ce que je voulais et que je leur répondais que j'étais porteur d'un message de Dieu, ils s'enfuyaient. Je découvris que mon guide ne connaissait qu'une seule langue - l'anglais et l'espagnol étaient pour lui une seule et même langue. Lorsque je lui parlais anglais, il répondait en anglais et lorsque quelqu'un d'autre lui parlait espagnol il répondait en espagnol sans jamais se rendre compte de la différence.

Ainsi, je me retrouvai tout seul, excepté Dieu, incapable de communiquer, dans une situation de toute apparence hostile. Je m'assis dans un coin et, entièrement confiant en Dieu et m'en remettant à Sa volonté, je psalmodiais 'la Prière des Difficultés'.

Alors que je priais, un drame se produisit, auquel je n'aurais pas cru si je n'en avais pas été au centre. Un natif entra, ayant l'air de sortir directement d'un film Western. Il portait un grand chapeau, un colt six, des bottes et tout l'attirail. La boucle de sa ceinture portait en lettres d'or le mot Policia que je compris malgré mes connaissances limitées de l'espagnol. Il me demanda ce que je voulais et j'expliquai de nouveau que j'étais porteur d'un nouveau message de Dieu. Il se lança dans une longue tirade totalement incompréhensible pour moi, mon guide n'étant d'aucun secours pour la traduction. Je puis saisir quand-même le mot, 'identification'. J'exhibai ma carte mexicaine d'identité et mes lettres de créances baha'ies. Je crois qu'il ne savait pas lire, puisqu'il se contenta de jeter juste un coup d'oeil dessus avant de me les rendre. Il se tourna ensuite vers le garçon. Je compris plus tard que c'était une manoeuvre de racket et qu'il en avait juste après notre argent.

La consternation et la peur transformèrent l'expression du pauvre garçon face au policier. Finalement, il prit ses jambes à son cou, l'agent de police au talon. Quand je vis l'agent dégainer, j'attrappai sa main et lui expliquai le mieux que je pouvais que le garçon était loco en la cabeza (malade dans la tête), c'était tout ce que je pouvais tirer de mon espagnol. L'agent de police se dégagea. Entre-temps, le garçon était tombé dans une rigole et trempé jusqu'aux os, mais il avait de longues jambes alors que celles du flic étaient courtes. Celui-ci se mit à tirer, mais Dieu merci, son arme n'était pas chargée.

Je commençai à descendre derrière eux mais mes pieds et muscles douloureux m'empêchèrent d'avancer vite. Réalisant que je ne pouvais être d'aucune aide, je confiai le garçon à Dieu... laissant le flic fou pourchasser le garçon fou dans la montagne. En retournant vers le bâtiment municipal je vis que l'atmosphère y avait entièrement changé. Le village entier avait suivi la scène avec beaucoup d'amusement, et comme il s'agit d'un peuple généreux et chaleureux de nature, ils eurent de la compassion pour ce pauvre gringo. Jusqu'alors, je n'avais jamais vu de ma vie un revirement aussi radical.

Il y avait alors foule et je leur parlai, dans mon espagnol rudimentaire, de l'amour de Baha'u'llah, le Médecin divin. Comme il buvait mes paroles ! Et quel enthousiasme extraordinaire ! Merci Dieu, mon coeur reprit confiance, et pour les questions, je leur promis de revenir quatre jours plus tard, avec une seniorita qui y répondrait.

La nuit était totalement tombée. Cinq ou six personnes m'accompagnèrent sur une colline où je pus m'acheter des tortillas à manger. Sur le chemin de retour vers le bâtiment municipal. un jeune homme surgit devant nous et dit, 'voici votre maison". Les hommes qui m'accompagnaient protestèrent qu'ils avaient déjà prévu de m'offrir le gîte ailleurs pour la nuit. Cependant, ce magnifique jeune homme les ignora et me regardant directement, répéta, "Esta es su casa" Dieu fait ce qu'Il veut. Je remerciai mes autres bienfaiteurs pour leur aide et suivis le jeune homme dans sa maison.

A l'intérieur se trouvait le jeune américain qui m'avait accompagné dans les montagnes. Il était assis là, tout à fait à l'aise, sain et sauf. Je m'assis d'abord avec mon hôte, puis avec ses soeurs, à qui je transmis le message de Baha'u'llah. Ensuite arriva le père. Malgré sa grande humilité, il irradiait d'une qualité et d'une dignité peu communes. Il s'assit et dit tout doucement, "Dites moi." Après avoir fait de mon mieux, je leur promis à tous que je reviendrais à la fin de la semaine avec une traductrice. Aucun doute ne pouvait être quant à leur sincérité, leur chaleur et leur amour. Finalement, mon hôte me laissa son propre lit, consistant en une très courte planche sans matelas.

La température baissa de plus en plus au cours de la nuit. pourtant les soeurs de mon hôte dormaient dehors sur un banc étroit, sans matelas non plus. Mes muscles commencèrent à devenir raides, et vers deux heures du matin, je décidai que si je passais trois autres heures et trente minutes sur ce lit, je deviendrais un bloc de glace bon pour être enterré. Je me levai donc et allai ouvrir la porte pour contempler la lune la plus grosse et la plus belle que j'eusse jamais vue, qui donnait à la nuit une clarté presque diurne. Chaque étoile brillait avec un éclat qui n'était réservé qu'à ces contrées montagneuses. Le garçon et moi marchâmes jusqu'à la voiture par le clair de lune, nous réchauffant grâce aux montées et aux descentes à travers les montagnes.

J'arrivai à la fin de la semaine le pied enflé et sérieusement infecté, mais, n'a-t-Il pas dit, Fais un effort pour Nous et Nous te guiderons dans Nos voies ? Je ne pouvais pas me tenir sur mon pied. Je l'avais trempé dans toutes sortes de remèdes, en avais même coupé des morceaux avec mon couteau mais en vain. Bien entendu, mon retour dans le village était comme toujours soumis à la volonté de Dieu - 'Insha'llah' (si Dieu le veut). Je revoyais chaque visage dans le village. Ils étaient nombreux à me demander, "Oh ! Reviendrez-vous vraiment ? Si vous allez revenir pour nous parler de Dieu, je n'irai pas au travail, je vous attendrai à la maison. Non, mon coeur ne me laisserait pas décevoir ces âmes sincères. Que j'étais heureux d'avoir pris cette décision ! Maintenant, je sentais réellement que le jour était arrivé où Dieu allait me laisser sacrifier quelque chose dans Son chemin.

Cette fois-là, je conduisis la voiture jusqu'au bout de la route, ce qui nous fit gagner sept kilomètres mais me coûta 100 $ de réparations sur la voiture. Trina et moi attaquâmes la pénible montée de la première montagne. Chaque pas que nous devions faire fut une véritable torture. Finalement, la vaillante petite Trina s'arrêta au milieu du sentier, une larme coulant sur chaque joue et dit. "je n'en peux plus, je n'en peux plus:' Nous nous assîmes pour une petite pause et priâmes, ensuite. nous nous remîmes en route.

A notre arrivée au sommet de la montagne, le plus grand miracle de ma vie se produisit. Trina s'arrêta encore, mais cette fois-ci, elle s'exclama, transfigurée, "Oh ! Oh ! Oh ! Quel endroit merveilleux ! Je n'ai jamais senti un endroit aussi spirituel. J'ai le sentiment que Dieu est avec nous, réellement avec nous:' Ma propre sensation fut que Baha'u'llah marchait avec nous, et cette fois-là encore, je fus privé du privilège de donner quelque chose à la Cause de Dieu. Qui est celui qui refuserait de se mettre à quatre pattes pour avoir la bénédiction de marcher avec la Gloire de Dieu ? Nos coeurs gonflés de joie, nous poursuivîmes notre route, chantant les louanges de Dieu et lançant des "Allah'u'Abha !" à l'écho qui les répercutait à travers les montagnes devant nous. Je ne sentais plus aucune souffrance et quoique encore physiquement sur cette terre, j'étais monté au ciel des cieux. J'avais dû flotté le reste du trajet jusqu'à Zoquiapan, car il m'est impossible de me rappeler avoir marché.

Six personnes se déclarèrent à Zoquiapan ce jour-là, toutes de la famille qui m'avait reçu lors de ma précédante visite. Notre premier baha'i fut la fille de la famille, qui marcha main dans la main avec Trina sur une longue distance avant de s'en retourner chez elle. Le corps fatigué mais le coeur joyeux, nous fîmes le long trajet de retour vers notre voiture. En escaladant une montagne extrêmement raide le long du sentier, nous aperçûmes une petite maison de terre. Mon corps réclamait une petite pause et je me dis que cette maison devrait être une maison baha'ie, où les guerriers de Baha'u'llah d'aujourd'hui et de l'avenir, pourraient se reposer en allant et en revenant de Zoquiapan. Je dis à Trina, "cette maison est sûrement une maison baha'ie", et en petit soldat courageux, Trina marcha jusqu'à la porte avec un joyeux "Buenas tardes"

L'homme qui sortit de la maison était spirituellement mort. Ce fut uniquement par courtoisie qu'il toléra notre intrusion, mais comme nous étions fatigués et que Trina était enthousiaste, nous nous assîmes et lui transmîmes le message baha'i. Le petit bonhomme était assis le regard éteint et les oreilles bouchées. Il nous apprit qu'à la mort de sa femme, sa vie n'avait plus de sens et que même son corps l'abandonnait. On pouvait lui donner quatre-vingts ans. Comme mon coeur soupira après le pauvre malheureux ! A chaque pause ou question, il répondait, "Si" (oui) et quoique je voyais bien qu'il n'avait rien entendu ni compris, je n'intervenais pas. Je pensais qu'on avait fait une erreur en nous arrêtant à sa maison. Finalement, comme il était d'accord avec tout ce que Trina disait, celle-ci lui demanda s'il ne voulait pas être lui aussi baha'i.

Comme dès le début, il dit évidemment oui. Quand Trina lui demanda son nom, il montra son premier signe de vie. C'était visible qu'il prenait conscience qu'il s'engageait dans quelque chose qui lui était totalement inconnu. Que je me fusse retenu pour ne pas intervenir ne peut s'expliquer que par les mots, "Tous sont Ses serviteurs et tous dépendent de Son commandement." Cette expérience restera un des mystères de ma vie, car je pense qu'il est très important de s'assurer absolument que le nouveau croyant comprend la réalité de la venue de la Gloire de Dieu, Baha'u'llah. C'est seulement si une âme accepte et croit vraiment cette vérité qu'il peut être reconnu comme un vrai baha'i. Par la suite, ce que Sa plume a révélé, viendra aussi naturellement que de nouvelles plantes poussent après la pluie du printemps.

L'homme expliqua qu'il ne pouvait ni lire ni écrire. Mais Trina lui dit que Dieu voulait seulement son coeur et qu'elle pouvait signer la carte pour lui. Alors, il donna son nom avec beaucoup de réticence. Mon coeur était si rempli de tendresse et de compassion pour ce petit homme vide que je me levai et avec beaucoup d'amour, je le pris dans mes bras en lui disant combien il était aimé et combien on avait besoin de lui, et que désormais, ensemble avec nous tous, il pouvait aider à bâtir un nouveau et beau monde dans la Cause de Dieu. A son tour, Trina lui prit chaleureusement la main et lui souhaita le bienvenu parmi les baha'is dans le même esprit d'amour et de tendresse. Pour la première fois depuis que nous étions chez lui, il reprit vie et nous fûmes témoin de la résurrection d'un merveilleux enfant de Dieu. A ces preuves d'amour et de chaleur, il répondit, "Attendez, juste une minute, je veux vraiment être baha'i mais le nom que je vous ai donné n'est pas le mien. Je veux que vous écriviez mon vrai nom sur cette feuille de papier."

A notre suivante visite, ce petit homme courut nous accueillir sur le chemin, les yeux brillants, Lorsque je lui demandai, "voulez-vous toujours être baha'i ?" il répondit, "Oh oui, et j'ai déjà commencé à parler à mes voisins du nouveau Messager de Dieu" Lors de cette seconde visite, nous lui offrîmes une petite carte du Plus Grand Nom; dessiné par des amis artistes très dévoués. Il le prit et lui donna un baiser affectueux, et nous assura qu'il allait le placer dans sa maison à l'endroit le plus honoré à côté de sa Sainte Guadaloupe. Sa belle fille, expliqua-t-il, qui était supposée lui lire les prières, les lisait toute seule. Il avait donc dû lui reprendre son livre de prières.

Nous rencontrâmes ensuite sa belle-fille, Pascuala, habillée de haillons et laborieusement occupée à écraser du mais. Je goûtai de sa part la réalité de la sincérité dans l'amour de Dieu. A chaque fois qu'elle prononçait le mot 'Dieu' - elle ne se contentait pas de mentionner Dieu - elle le disait avec tant d'amour, tant de respect, tant de révérence et tant de sincérité que cela me pénétrait de la plante des pieds jusqu'au sommet de la tête. Des larmes coulant de mes yeux, je m'écriai du tréfonds de mon âme, "Oh mon Dieu, je me présente ici comme un enseignant alors que c'est plutôt moi l'élève.

En outre, qui sont les vrais pauvres ? Certainement pas cet ange devant moi, démuni du strict minimum - c'est plutôt nous, qui sommes du monde." Je serais très heureux de renoncer à toute autre richesse si cela pouvait me faire acquérir cette sincérité et cette pureté d'esprit innées chez elle. Elle nous expliqua combien elle croyait en Baha'u'llah et combien elle aimait les prières. Mais elle avait peur de signer sa carte parce que son mari la frapperait, Je lui dis de ne pas s'en faire, que la carte n'était qu'un symbole et que ce qui importait était ce qu'elle croyait, ce qu'elle avait dans son coeur. Je lui offris un livre de prières. J'aurais souhaité que vous, cher lecteur, vous puissiez connaître, ne serait-ce qu'un soupçon de l'amour de cette âme pour Dieu, car je suis sûr qu'il aurait été une révélation pour vous comme cela l'a été pour moi.

A notre suivante visite dans le village, Pascuala nous expliqua que bien qu'elle craignît son mari, elle craignait davantage Dieu et elle insista pour signer sa carte. Puis elle se mit a ranger ses haillons, nous informant qu'elle allait se sauver avec nous pour échapper aux coups de son mari. Ne nous sommes pas mis la dans une fâcheuse situation ? Nous lui expliquâmes avec beaucoup d'amour l'importance de l'unité et spécialement, l'unité dans la famille, que le but de la Cause de Dieu est d'unir les personnes et non de les diviser. Elle resta donc pour Dieu. Nous apprîmes plus tard que son mari, non seulement, ne l'avait pas battue mais est lui aussi devenu un fervent croyant en Baha'u'llah.

Au printemps, je dus aller dans le nord pour des raisons professionnelles et à mon retour à Oaxaca, les joues de notre petit monsieur s'étaient arrondies, sa démarche était alerte et il avait l'air d'un jeune homme de trente ans. Comme il nous accueillit avec amour ! Et de surprise en surprise, en entra dans sa maison, qu'est-ce que je vis, Gadalupe avait disparu et seul le Plus Grand Nom ornait son mur. Nous avions alors trente-quatre amis baha'is dans le pueblo de Zoquiapan et l'histoire de chacun d'eux ressemble à celles rapportées ci-dessus. Comme Abdu'l-Baha nous l'a promis, des amis vinrent frapper à notre porte pour se déclarer. Dans l'Etat d'Oaxaca, nous avons enregistré 125 déclarations en environ douze mois d'enseignement actif.


10) EPOQUE 10

Un jour, par une belle journée au ciel bleu, j'informai Trina que nous irions le jour suivant à San Jeronimo Taviche. Nous n'y étions jamais allés encore, mais on nous avait dit qu'il nous fallait prendre le train pour nous y rendre. Le voyage le lendemain fut sans histoires, nous n'eûmes même pas l'opportunité de parler des bienfaits de Dieu avec personne. A notre arrivée, aucun village n'était visible, il n'y avait qu'une gare de train, Le conducteur nous dit que Taviche se trouvait à un demi-kilomètre au bout du chemin mais que nous n'aurions pas le temps de le visiter puisque le train allait retourner à Oaxaca immédiatement après avoir déchargé.

J'eus le sentiment d'avoir couru après un mirage, Je m'en allai jouer avec les enfants pendant que Trina parlait avec le conducteur. Je ne me doutais pas de la mine d'or que nous allions découvrir au bout de notre course au mirage. Comme nous étions assis dans le train pour rentrer à Oaxaca, Trina dit, "vous savez ce que ce conducteur m'a dit ? I1 a dit que personne ne se préoccupe du tout des gens de Taviche."

Rien d'autre n'aurait pu toucher mon coeur si profondément que cette déclaration, Je dis à Trina qu'on devait retourner là-bas. Ne serait-ce que pour dire à ces personnes que nous les aimions et que tous ceux qui aimaient Dieu à travers le monde se souciaient réellement, véritablement, d'eux, même si pour ce faire, il nous faudrait marcher quinze kilomètres jusqu'à la route pour avoir le transport jusqu'à Oaxaca. La décision fut prise.

Quelques jours plus tard nous reprîmes le train pour Taviche. Chemin faisant vers le village, Trina voulut savoir comment nous allions aborder des étrangers pour leur dire que nous les aimions. Je l'assûrai que ce serait très facile, car Dieu nous guiderait. Je remets toutes mes affaires entre Tes mains. En approchant de la ville, Trina, une fois encore demanda comment nous allions nous y prendre. Jamais de ma vie n'avais-je été aussi sûrement et fortement guidé, lorsque je montrai du doigt un bâtiment devant nous en lui disant que nous allions commencer par la. ·

Nous fûmes accueillis à la porte par un très beau jeune homme qui avait l'air de nous attendre. Il nous invita à entrer, nous donna des chaises et, lorsque nous fûmes assis, nous demanda ce que nous voulions. Je répondis que nous étions venus parler de Dieu. Il m'interrompit aussitôt, "une minute, je vais vous dire pourquoi vous êtes là. Vous êtes venus me parler d'un nouveau Messager de Dieu et partager avec moi Son message." Trina et moi en étions pantois. Non seulement accepta-t-il immédiatement et spontanément la personne et la cause de Baha'u'llah, mais il ajouta qu'il avait attendu cela toute sa vie. Instruit, il avait étudié un certain nombre de sectes et dénominations. mais n'en avait accepté aucune. Il expliqua que la nuit précédant notre arrivée, il nous avait vus dans un rêve et qu'il avait été averti du but de notre visite et de notre mission. Par conséquent, il n'était pas allé au travail, il s'était préparé pour nous accueillir. Peut-on, si on est de bonne foi, nier que Dieu est de nous après avoir lu ceci ?

Notre nouvel ami s'appelait Efren. Il réclama des livres à lire pour savoir ce que son Bien-Aimé attendait de lui. Nous lui promîmes de lui apporter des livres la prochaine fois que nous retournerons là-bas. Nous allâmes ensuite dans Taviche, mais ne rencontrâmes plus d'amis. Par ailleurs, nous n'avions jamais été reçus avec autant d'animosité que dans cette ville. La haine et la suspicion alourdissaient l'atmosphère. Nos coeurs réchauffés par la victoire obtenue auprès d'Efren et le corps brûlé par les virulents rayons de soleil, nous quittâmes Taviche.

Nous n'allions plus jamais revoir Efren. Suite à une courte maladie de trois jours, il décéda. Cinq jours avant qu'il ne tombe malade, nous étions allés dans le village pour lui donner les livres demandés, mais nous l'avions pas vus parce qu'il était parti travailler dans ses champs. Il avait écrit de sa propre main sur la page de garde de chaque livre. "Merci à Dieu, le Seigneur de l'Eternité". Sa mère nous dit que dans ses derniers propos, il avait dit qu'il donnait sa vie pour le peuple de Taviche. La transformation dans le village fut presque instantané. L'animosité se transforma du jour au lendemain en amour et amitié. Le village compta bien vite quinze croyants, dont la plupart étaient de la famille de ce jeune homme.

Plusieurs années plus tôt, lorsque j'étais à Unalaska, j'avais commis une erreur regrettable grave en ce qui concernait les enfants du village. Dés notre arrivée, les enfants avaient conquis mon coeur. Mais mon raisonnement erroné était qu'il valait mieux enseigner les parents d'abord et les enfants après. Par conséquent, ce fut un baha'i nouvellement déclaré qui commença les classes pour les enfants et moi je lui apportai mon assistance. Ces enfants sont parmi ceux qui, aujourd'hui, acceptent la Foi.

Je réalisai brusquement un jour que ces mêmes enfants qui m'avaient suivi dans la rue, me tenant par la main et m'appelant Papa, avaient alors entre 15 et 24 ans. Je jurai alors que plus jamais je ne ferais la même faute. Désormais, je commence par les enfants et pendant qu'ils font du coloriage et jouent, si j'ai du temps, je conduis la classe pour les adultes. Quelle joie à faire cela ! Dans la ville de Santo Domingo Tomaltepec, ma classe était passée à plus de 150 élèves. Chaque soir à mon retour du village. je levais mes bras au ciel et m'écriais, "Oh Dieu, mon Dieu, accroît mon étonnement à Ton égard !"

Dans un village, il n'y avait que deux croyants, deux vieilles femmes, qui ne savaient ni lire ni écrire. Que je me faisais du souci pour ces précieuses âmes que je devais laisser dans cette ville où les habitants et le clergé étaient connus pour leur féroce opposition à tout ce qui est nouveau ou différent. La nièce de ces deux femmes me rapporta comment elles avaient affronté avec bravoure et fermeté les attaques ouvertes et vicieuses du village entier. La jeune femme, après nous avoir expliqué l'enfer que les hommes avaient fait subir à ses tantes, se déclara et en une semaine, le nombre des croyants baha'is de ce village passa à quinze. Tout ce que les deux femmes purent dire lorsque je retournai les voir fut, "Oh, Don Jenabe, c'est si difficile d'être un baha'i et d'aimer ses voisins quand ceux-ci sont si méchants. "N'est-ce pas là la preuve vivante de la présence de Dieu comme Baha'u'llah l'a déclaré, Je suis plus près de vous que la veine de votre coeur. ?

Peu importe le temps que nous mettons à apprendre et approfondir les enseignements glorieux de Baha'u'llah, nous serons toujours stupéfiés par l'immense pouvoir contenu dans la parole révé1ée. Un jour, un jeune homme très brillant me dit après m'avoir écouté expliquer la Foi, "la religion, c'est la vie, c'est très important. On doit l'étudier pendant des années. J'aime Baha'i, je pense que c'est beau. Peut-être deviendrai-je baha'i après avoir consacré plusieurs années d'étude aux enseignements".

Je lui dis que c'était merveilleux ce qu'il disait parce que l'un des principes de la Foi est justement la recherche personnelle et individuelle de la vérité. Il demanda ensuite à voir le livre de prières baha'ies. Après avoir lu une des prières révélées par Baha'u'llah, sa première réaction fut d'exprimer son émerveillement et son étonnement, et des larmes suivirent. Quand il s'était calmé, je le regardai et dis, "Que pensez-vous ?" Il répondit, "Dites, j'ai assez étudié, je sais que ceci vient de Dieu et je suis prêt pour devenir un Baha'i sur le champ.


11) EPOQUE 11

Une fois, je suis allé dans la réserve des Indiens Seri en compagnie d'un croyant Mayan. Les Seris sont très primitifs. Leur hostilité était connue, mais puisque leur réserve était un but du Plan de Neuf ans, il fallait tenter quelque chose. Nous nous étions rencontrés, mon compagnon Mayan et moi, à Mexico et avions voyagé et enseigné dans tout le nord. Comme d'habitude, nos seules ressources au cours du voyage, étaient notre foi et notre confiance en Dieu, convaincus que Dieu tient toujours Sa promesse.

Notre route aboutissait à Kino, qui n'avait eu aucun contact avec la civilisation occidentale. Nous nous arrêtâmes pour demander notre chemin. Deux indiens se dirigèrent vers nous, tous deux portant les cheveux longs, très différents des indiens mexicains que nous connaissions. L'un portait un ruban rouge autour de la tête, une jambe couverte par son pantalon et un morceau de tissus sur l'autre jambe, une paire de lunettes noires (bien, disons, presque, un verre étant complètement absent et le deuxième n'étant qu'un morceau de verre dentelé) et un sourire merveilleux. Leur sauvagerie était manifeste, comme un daim ou un faon qui était curieux mais qui était prêt à fuir à l'instant.

Je demandai à l'un s'il pouvait nous servir de guide jusqu'à Desenboque, le village principal Seri, mais il ne pouvait pas, parce qu'il était en bateau, Il m'invita toutefois à lui rendre visite dans sa maison à Santa Rosa. Ce village était à 90 kilomètres dans la brousse sans route qui le desservait ce qui veut dire que nous avions besoin d'un guide. Mais les coeurs remplis de l'amour de Dieu et les prières coulant de nos lèvres, nous nous mîmes en route, comptant sur Dieu pour nous guider.

Je me contentai de suivre des traces de pneu dans le sable; et chaque fois que nous arrivions à un point où les traces déviaient les unes des autres, "nous disions" "Yà Baha'u'llah-Abha !" - et prenions le mauvais chemin. Nous qui nous croyions guidés - pendant douze à quatorze heures, nous distribuâmes des pamphlets dans chaque ranchero entre Kino et Punto Chueco. Pas une seule fois n'avions-nous pris le bon chemin. Tard, le soir, nous arrivâmes à Santa Rosa mais, à notre surprise, il n'y avait pas de village, même pas une maison, rien qu'une plage déserte. Juste à ce moment, nous entendîmes notre premier jeep de la journée, et courûmes l'intercepter.


Ma première question au chauffeur fut, "où est Santa Rosa ?"
I1 répondit, "Vous venez d'en sortir"
"Mais", criai-je, "personne ne vit là-bas."
"Qui vous a dit que quelqu'un y vivait ?"
"A quelle distance se trouve Desenboque ?" demandai-je, changeant de sujet.
"A soixante-dix kilomètres," répondit-il.
"Oh, mon Dieu !" dis-je. "Je pense qu'il faut retourner à Kino parce que mes deux réservoirs sont presque vides."
"Cela ne sera pas nécessaire," expliqua-t-il. "Il vous suffit de tourner à gauche, de remonter droit devant vous jusqu'à la plage - l'endroit s'appelle Punto Chueco. J'achète du poisson aux Seris, et vous demanderai à mon garçon de vous vendre l'essence au prix de Kino."

Maintenant je vous pose la question - sont-ils tous Ses serviteurs ou pas ? Et ne dépendent-ils tous pas de Son commandement?

Je remerciai cet homme et ainsi fis un crochet par Punto Chueco, et, qui était là à nous attendre si ce n'était mon homme sauvage du matin ! Premièrement, mon ami Mayan, Celestino, commença à transmettre le message à plusieurs Seris qui étaient venus vers nous pendant que je faisais le plein, ensuite le sauvage arriva et dit, "venez avec moi" Je le suivis sur la plage sur plusieurs kilomètres jusqu'à un autre grand groupe de Seris, à qui je parlai de l'arrivée de Baha'u'llah. Nous dormîmes sur la plage et aux premières lueurs de l'aube, José (mon nouvel ami Seri) qui était absorbé dans l'observation de mon matelas me réveilla. Il dit, "Je vais aller à Desenboque avec vous".

Nous partîmes ensemble, cahotant sur la plage. Ensuite survint une étrange chose. Je me mettais à parler de Baha'u'llah, puis Celestino enchaînait - et sur soixante-dix-sept kilomètres, nous parlâmes, parlâmes et parlâmes sans cesse, mais ce qui était étrange est que José ne dit mot, pas une question ni même un seul commentaire. Sa seule contribution fut "tournez ici", "tournez là", "allez tout droit." Celestino et moi avions fait le tour de tous les Ecrits baha'is, j'en suis sûr, de Shaykh-Ahmad-i-Ahsa'i jusqu'à Shoghi Effendi, sans oublier le Plan divin et l'Ordre administratif baha'i, cependant, notre ami Seri n'intervint pas une seule fois dans la conversation.

Sitôt arrivés à Desenboque, les indiens s'attroupèrent autour de la voiture, commencèrent à la secouer et apparemment voulaient la renverser. Notre José disparut, Celestino et moi sautâmes à terre en nous disant qu'il serait plus facile pour nous de nous remettre debout que de redresser la voiture. Les indiens s'assemblèrent aussitôt autour de nous, l'air hostile. Mes premiers mots furent, "Nous sommes venus vous parler de Dieu."

Une fois encore, comme si on renversait l'eau, l'hostilité s'estompa complètement et les voix s'élevèrent en choeur, "Oh, parlons de Dieu." A la fin, nous reçûmes six invitations à retourner parler encore de Baha'u'llah, et nous distribuâmes de la littérature. Grâce à ces invitations, nous avions des amis et des endroits où aller et ainsi, les Seris étaient ouverts à la Foi de Dieu.

Sur notre route de retour vers Kino, nos coeurs étaient heureux, mais nous ne parlâmes plus guère. José, égal à lui-même, reprit, "tournez ici", "tournez à gauche", "allez tout droit". En approchant de Punto Chueco (chez lui), je pensai, "Mon ami José ne doit pas être très brillant." Je ne fis que penser cela sans rien dire à haute voix, José parla alors, "C'est vrai. Je ne suis pas le plus brillant des Indiens Seris. Il y a beaucoup d'Indiens qui sont plus intelligents que moi. mais je m'en vais vous dire quelque chose. Je sais quelque chose qu'aucun autre Indien Seri ne sait. C'est vrai ce que vous avez dit de Baha'u'llah et je sais qu'Il est réellement un Messager de Dieu. Aucun autre Séri ne sait cela."

J'arrêtai la voiture, la gorge nouée, l'âme consternée. Se peut-il que ce garçon apparemment simple d'esprit ait lu dans mes pensées ? Qui plus est, nous avions là notre première déclaration Seri. De surprise en surprise, je lui demandai s'il croyait vraiment en Baha'u'llah comme le nouveau Messager de Dieu et s'il voulait être baha'i. I1 nous assura avec enthousiasme que oui.

"Toutefois", dit-il, 'j'ai une question très importante à poser."
"Je vous en prie, posez toutes les questions que vous voulez."
"Voilà, j'adore boire. Quand je suis saoul, je suis content. Je préfère m'enivrer d'alcool plus tout au monde. Qu'est-ce que nous les baha'is nous croyons concernant boire ?"

Il tenait alors la carte de déclaration dans la main. Je retirai la carte de sa main et répondis, "Dieu t'aime beaucoup, énormément beaucoup, beaucoup plus qu'une mère n'aime ses enfants. De ce tendre amour que l'homme ne peut jamais comprendre, Il veille sur nous, Ses enfants, et Il nous voit nous saouler. Il savait bien avant même que la science ne le découvrît, que l'alcool détruit notre esprit, notre foie et notre santé en général - que l'alcool est mauvais pour nous.

Il nous voit aussi gaspiller de l'argent, dont nos femmes et nos enfants ont besoin pour se nourrir et s'habiller. Il nous voit saouls et nous battre avec nos amis et voisins, faisant de ceux que nous devrions aimer des ennemis. Il voit tout cela et en Père tendre et affectueux qui guide Ses enfants, Il dit : 'Oh ! Mon fils que j'aime tant, pour ta bonne santé et ton bonheur, s'il te plaît, ne boit pas parce que l'alcool va te détruire.

José se perdit quelques minutes dans la méditation, puis, avec un sourire très chaleureux, il dit, "C'est bien, très bien" - et réclama sa carte.


Je demandai à Celestino de lire une prière, après quoi, notre nouveau frère baha'i arracha le livre de prières des mains du Mayan et lut de sa plus belle voix une prière de Baha'u'llah. Ce fut pour moi la confirmation que moi seul mérite la qualification d'ignorant sauvage, car une fois encore, j'ai appris beaucoup de nos prétendus frères
primitifs.


12) EPOQUE 12

En l'an 128 E.B., la Maison universelle de Justice lança un appel pour des enseignants itinérants internationaux, Je répondis immédiatement. Elaine, ce Chevalier de Baha'u'llah au coeur pur et désintéressé. avait des difficultés avec la langue et les coutumes du Mexique. Il n'y avait pas d'école pour les enfants dans la région où je travaillais, Puisque je devais souvent m'absenter pendant de longues journées - voire des mois pour aller enseigner dans des endroits très éloignés du Mexique, ma famille avait du mal à tenir le coup seule dans cet environnement culturel étranger. La réponse de la Maison universelle de Justice fut que je devais rester au Mexique.

A nouveau, je ne pus que dire, "je désire de tout mon coeur sacrifié quelque chose pour la Cause de Dieu. Aucune année de ma vie n'a été aussi fructueuse que celle-là en terme de déclarations recueillis - des centaines - ou de distances parcourues. Je dormais sous une petite tente et voyageais de village en village. Chaque soir, ma maison était la où je me trouvais. J'ai enseigné à travers toute l'Amérique centrale sur mon chemin vers la Conférence intercontinentale de Panama. Chaque jour, des miracles similaires à ceux que j'ai déjà décrits, se produisaient. Je n'en mentionnerai que quelques-uns sortant de l'ordinaire.

Nous étions dans un petit village d'Oaxaca appelé La Fé (qui veut dire "La Foi'), où nous venions de projeter le film intitulé, On l'appellera l'Unique, en version espagnole. Deux jeunes personnes et un couple Mayan m'accompagnaient cette nuit-là. Le film, le tout premier que les populations de ce village voyaient de leur vie, terminé, les garçons rangeaient l'équipement quand je notai dans la foule un mouvement inhabituel : tous les hommes, les enfants y compris, avaient des machettes. L'un d'eux, le porte-parole, se mit devant le groupe et demanda que je projette encore le film. Je lui fis remarquer qu'il n'y avait plus d'essence pour faire tourner notre groupe électrique et que c'était impossible de leur remontrer le film.

"Vous allez nous montrer encore ce film sinon nous allons vous hacher avec nos machettes." Ils agitèrent leurs machettes au dessus de leurs têtes en hurlant,
"Yea ! Yea ! Yea !"

Le couple Mayan courut s'enfermer dans la voiture.
Je répondis, "Vous n'avez qu'à commencer à me mettre en morceaux sur le champ", et calmement m'assis là devant eux.

Le chef alla conférer avec les autres et revint déclarer, "Montrez-nous le film sinon nous allons couper votre voiture et vous ne pourrez plus partir tout le monde répéta en choeur les gestes avec les "Yea ! Yea ! Yea !"

Ma réponse fut la même.

Retour à la conférence, et cette fois-ci, le porte-parole revint et d'une voix douce, dit, "Si vous voulez bien nous montrer encore le film, nous allons tous devenir baha'is." Une fois encore, ils levèrent tous leurs machettes et crièrent à l'unisson, "Yea ! Yea ! Yea !"

Je leur dis, "Mes amis et frères, je ne peux pas montrer le film parce que je n'ai plus assez de gazoline pour le groupe électrique mais, même si je pouvais montrer le film, je ne le ferais pas dans les circonstances actuelles. La croyance en Baha'u'llah naît dans le coeur et l'âme. Elle n'est pas conditionnée par la projection d'un film. A l'avenir, si l'un de vous croit véritablement au nouveau Messager de Dieu, nous l'accepterons les bras ouverts dans la Cause de Dieu." Sur ce, je pliai mes table et chaise et me retirai sous ma tente pour dormir. Ce n'était pas l'unique fois que je fus menacé. Une fois, je fus arrêté et jeté en prison, et de cette manière, il me fut possible de proclamer le Message de Baha'u'llah à une ville entière, ce qui aurait été impossible autrement.

A une autre occasion, dans la ville d'Ixtepeji à Oaxaca, où j'avais eu dans le passé des ennuis avec l'église et d'autres personnes, après avoir montré le film et parlé de Baha'u'llah, l'assistance resta assise pendant un long moment comme s'ils étaient en transe, Plus tard, pendant que j'étais sous ma tente sur le point de m'endormir, les cloches de l'église se mirent à sonner et très vite, je pus distinguer clairement l'attroupement qui se faisait autour de ma tente. Je pensai, "Oh, oh ! Il se prépare quelque chose." Mais quelle ne fut ma surprise lorsqu'ils se mirent à chanter ! Ils chantèrent toutes les chansons religieuses qu'ils connaissaient là-bas, dans les hautes sierras, la montagne illuminée par la pleine lune et ils étaient tous rassemblés autour de ma tente, me chantant l'Amour de Dieu et leur Amour pour Dieu, Mon coeur plaide pour vous, oh, mes amis, abandonnez vos demeures de poussière afin de pouvoir goûter vous aussi aux délices de ce paradis de confirmation pendant que vous êtes encore sur cette terre !

Au Yucatan, les victoires obtenues nous émerveillèrent - trente deux déclarations en une soirée. Le plus grand nombre de déclaration jamais enregistré avant en une seule soirée était dix-neuf; ce fut à Oaxaca.

J'étais presque au bout de ma tournée dans le sud-est du Mexique lorsque je reçus une lettre du Comité international des Buts qui me demandait de faire un crochet par l'Afrique en allant à Haïfa pour l'élection de la Maison universelle de Justice. J'étais délégué par l'Assemblée spirituelle nationale du Mexique pour cette élection à Haïfa. Il me restait à couvrir la partie nord du Mexique et j'étais très occupé.

Je voulais aussi passer un peu de temps avec ma famille avant de partir pour l'Iran et Haifa. Je jetai donc la lettre dans ma valise en me disant que cela n'était pas possible. Cette nuit-là, après la projection du film, le moteur tomba de ma voiture - le premier ennui de ce genre sur des milliers de kilomètres déjà parcourus. Une coïncidence ? Peut-être, mais lisez la suite. La nuit suivante, la dernière ampoule du projecteur fut consumée. Alors ? J'empruntai un projecteur à l'Ambassade américaine du Yucatan et leur demandai de nous fournir des ampoules. Plusieurs nuits plus tard, on vola dans ma voiture un film, des bobines et mon équipement. C'était la fin définitive du cinéma. Couché sous ma tente cette nuit-là, je dis, "D'accord, Baha'u'llah, j'ai compris le message. J'irai en Afrique." A mon arrivée à Mexico, je reçus un appel téléphonique m'informant que la plupart de mon équipement volé avaient été retrouvés.


13) EPOQUE 13

MA PREMIERE NUIT en Afrique de l'Ouest, il y eut deux déclarations dans une localité où il n'y en avait plus eu depuis quelque temps. Je vais résumer tout mon périple africain en deux récits qui rendront comptent de mon expérience en Afrique.

Au Togo, nous venions de parcourir des kilomètres et des kilomètres à moto sous le soleil ardent quand je demandai à mon hôte si nous pouvions nous arrêter au prochain village pour une demi-heure de pause à l'ombre, vu que nous étions en avance sur notre prochain rendez-vous. Nous nous arrêtâmes donc et naturellement, aussitôt que nous nous mîmes à l'ombre, des enfants et quelques adultes nous entourèrent. Personne parmi eux ne parlait ni anglais, ni espagnol, ni français, ils ne parlaient que l'ewe. Je me mis à chanter cette petite chanson où il est question de taper les mains, taper du pied et dire Allah'u'abha. Tout le village se retrouva bientôt sous l'arbre en train de chanter. Je n'oublierai jamais le tableau au moment de notre départ après les trente minutes de pause - tout le monde, hommes, femmes et enfants, debout, le visage rayonnant de joie, chantant Allah'u'Abha, de cette voie mélodieuse qu'ont les Africains, et agitant la main pour nous dire au revoir. Oui, pour moi, cela vous parle de l'Afrique.

Un autre incident eut lieu en Afrique, que j'aimerais partager avec vous. J'ai rencontré un couple de pionniers au Nigeria. Ils étaient très jeunes, encore des enfants pratiquement, mais oh, quels enfants ! De véritables enfants de l'Arc cramoisi, du Royaume d'Abha. Le jeune homme venait d'obtenir son diplôme en éducation et ils écrivirent au comité approprié pour partir servir comme pionniers n'importe où dans le monde où ils pourraient trouver du travail. Le comité leur répondit qu'il serait préférable qu'ils aient acquis au préalable un peu d'expérience.

Ils trouvèrent du travail, un appartement et tout le reste, puis, lorsque tous les détails de leur entre dans la vie active furent arrangés, ils reçurent leur invitation à partir en pèlerinage et les voilà en route pour la Terre du désir de leurs coeurs. Sur place, ils rencontrèrent les membres de la Maison universelle de Justice et leur parlèrent de leur désir de partir comme pionniers. Après consultation avec ce corps, ces vaillants combattants de Baha'u'llah, allèrent négocier leur ticket retour aux Etats-Unis à la compagnie aérienne pour un aller simple pour Lagos au Nigeria. Voilà assurément un bel exemple de courage, de dévouement et Je remets toutes mes affaires entre Tes mains. Au cours du voyage vers le Nigéria, où ils ne connaissaient personne, ils prirent peur - ils priaient quand un inconnu se dirigea vers eux.

"Où allez-vous ?" demanda-t-il.
"Lagos, Nigéria," fut la réponse.
"Qu'allez-vous faire là-bas ?"
"Chercher du travail"

"Quel est votre métier ?"
"Je suis enseignant" dit l'homme.
"Merci Dieu," s'exclama l'inconnu. "Je travaille pour la plus grande école américaine du Nigéria et nous cherchons désespérément des enseignants."

Ainsi, le travail, l'appartement et la voiture leur étaient garantis. Ils n'avaient plus qu'à s'inquiéter du véritable objectif de leur voyage au Nigéria, qui était de servir la cause de Dieu. Ils contactèrent les baha'is de Lagos et tous les soirs prièrent pour que Dieu les assiste afin d'atteindre les coeurs. Puis arriva une lettre de la part de qui, je ne le sais, les informant que j'arrivais pour leur montrer comment enseigner pour obtenir des déclarations de masse. Vous pouvez aisément imaginer l'excitation avec laquelle je fus accueilli. Nous décidâmes qu'il nous fallait un bon interprète pour commencer dans un endroit pas trop proche de la ville.

Tout ce que nous lisons et entendons dire de la pureté de coeur des baha'is africains ne nous dit rien de ce qu'il en est dans la réalité tant qu'on ne les a pas rencontrés soi-même et qu'on n'en a pas fait l'expérience. Ces visages radieux comme le soleil et ces yeux, les fenêtres de l'âme, brillant comme des étoiles ! Mon coeur se gonfle d'amour au souvenir d'eux ! Peter, l'un de ces vrais croyants et soldats de la cause de Dieu dit, "allons dans mon village, je servirai d'interprète."

"A quelle distance se trouve ton village ?" demandai-je.
"A 480 km environ," répondit-il.

Il en fut décidé ainsi et la voiture remplie de prières, de chansons et de méditation, nous voilà en route pour apprendre à faire l'enseignement de masse. La prière unit nos coeurs battant d'amour les uns pour les autres, et nos chansons enthousiastes s'élevèrent, louant et glorifiant Dieu. La voiture semblait ne plus toucher la route et les kilomètres filèrent derrière nous. Nous nous arrêtâmes dans un petit village pour le repas de la mi-journée et j'en profitai pour transmettre le beau message de Baha'u'llah aux villageois qui affluèrent. Des maîtres d'école nous invitèrent à retourner leur enseigner davantage le nouveau et beau message divin. Lorsque les gens vous invitent à retourner leur enseigner en vous donnant leurs noms et adresses, cela veut dire que le village est ouvert à la cause de Dieu.

Très souvent, ceux qui sont les premiers à manifester de l'intérêt n'acceptent pas la Cause, mais Dieu nous guide toujours vers ceux-là dont les coeurs sont prêts. Toutefois, une fois encore, mes frères africains, avec amour, joie et rire, ne pas voulaient écouter mes suggestions, qui étaient de retourner sur place. Ils me firent monter en voiture et nous partîmes vers notre destination.

A notre arrivée, tout le monde sauf Peter et moi, partit dans le centre du village. Nous nous arrêtâmes dans la maison du chef (qui était parenté à Peter) pour une visite de courtoisie, et pour obtenir l'autorisation de tenir une réunion publique et faire les démarches pour la nuit. Le chef était enchanté, et comme il était un homme très intelligent et instruit, il se proposa comme interprète. En quittant la maison du chef, je dis, "Viens, Peter, passons par ici."

Peter, les yeux mobiles, répondit, "Mais, Caldwell, nous allons rallonger le chemin, je connais bien ce village, j'y ai grandi."
"Allons Peter, passons par ici quand même", insistai-je.

Finalement, comme on cède à un caprice d'enfant, Peter au grand coeur, partit avec moi dans la mauvaise direction. Chemin faisant, nous rencontrâmes trois femmes très belles, élancées, droites, élégantes, s'éloignant du centre du village.

"Oh Peter, Peter !" criai-je, "s'il te plaît, invite-les pour ce soir." Nous nous arrêtâmes et Peter les invita. Elles firent demi-tour et nous suivirent jusqu'au lieu de la réunion.

Avant la réunion, je priai avec toute la ferveur de mon coeur et de mon âme, "Je t'en supplie, ô Seigneur ! ce couple à tant donné et mes compagnons, mes frères spirituels sont si enflammés par Ta Cause ! Montre-leur comment gagner les coeurs."

Je commençai par transmettre le Message aussi véridiquement, clairement et simplement que je le pouvais, puis je demandai à l'assemblée de poser les questions. Que mon audience était éveillée et alerte ! Le coeur battant, je répétai le Plus Grand Nom avant de répondre. Merci Dieu, j'avais obéi a mon Gardien et avais étudié le Coran, Ils étaient pour la plupart des musulmans, On dirait qu'à chaque question, je savais instinctivement si l'auteur était musulman, chrétien ou animiste. Au début, le chef traduisait puis Peter prit la relève. Cinq heures durant, les questions fusèrent. A la fin, un homme se leva et dit, -votre réponse à cette dernière question, pour la première fois de ma vie, j'ai eu satisfaction en ce qui concerne Dieu et la religion et je veux appartenir à cette religion."

Nous enregistrâmes neuf déclarations cette nuit-là. Ensuite, pendant trois autres heures au domicile du chef, je m'entretins avec lui tout seul. Autant que je m'en souvienne, ses mots furent, "je me détournerais de mon Seigneur Jésus si je n'acceptais pas Baha'u'llah." Ce fut la dixième déclaration de la soirée.

A peine venions-nous de nous lever le lendemain matin que l'une des belles dames rencontrées la veille vint frapper à notre porte. Elle déclara "je suis restée éveillée à prier toute la nuit et je sais que votre message est vrai. Je l'accepte de tout mon coeur, ainsi que toute ma famille"

Evidemment, nous lui expliquâmes que sa famille doit venir se déclarer elle-même. Elle nous assura qu'à notre prochaine visite, il en sera fait ainsi.

Bien, si nous sommes arrivés en flottant, nous n'avons pas de mots pour décrire comment fut notre voyage retour. Quelle langue peut exprimer ma reconnaissance à Ton égard ? D'autres cas, tous différents, tous magnifiques, entièrement spirituels - s'ajoutèrent à ces deux exemples dans ce continent illuminé qu'est l'Afrique.

Je continuai mon voyage vers l'Iran, puis jusqu'à Haïfa et l'élection de la Maison universelle de Justice terminée, je rentrai au Mexique où j'eus le privilège de contribuer à la construction de l'Institut Amelia Collins à San Francisco Acatepec, dans l'Etat de Puebla. J'ai été directeur de cette école. Chaque jour fut une expérience unique, chaque étudiant, un bijou précieux, ayant juste besoin d'être poli dans l'océan des enseignements de Baha'u'llah.


EPILOGUE

Cette narration commença sous forme de rapport demandé par la Maison universelle de Justice. Il nous a été demandé en 120 E.B. d'envoyer les histoires des Chevaliers de Baha'u'llah, Je fis mon devoir en envoyant mon rapport, et par la suite, je reçus un mot de remerciements dans lequel il m'était demandé de le faire publier.

La première partie du livre couvre ma vie jusqu'en 126 E.B. (1970-71), A l'heure où j'écris cet épilogue, nous sommes en 146 B.E. (1991). Arrivé à la fin de votre lecture de la première partie, vous vous dites que Jenabe croit avoir réussi sa vie spirituelle.

En fait, pendant que je voyageais et que j'enseignais en compagnie de la Main de la Cause, Dr. Muhajir, il me demandait chaque jour de prier pour lui pour qu'il reste ferme dans la foi. Honnêtement, je ne le comprenais pas. Cet homme merveilleux, non seulement aimait Baha'u'llah mais, avait donné tout son souffle et chaque minute de sa vie à Lui, Le servant avec le plus grand dévouement. Et pourtant, il était préoccupé par son bien-être spirituel ! Il est vrai que j'ai à plusieurs reprises lu ce que Baha'u'llah disait concernant l'ignorance dans laquelle tout homme se trouve de sa propre fin et comment même le baha'i le plus dévot peut, au dernier moment de sa vie, tomber dans le feu éternel. Lire cela et le comprendre sont deux choses tout à fait différentes.

Après avoir fait l'enseignement de masse dans cinquante-quatre pays, je réalise pleinement en fin de compte que ce n'était pas Jenabe qui agissait. De qui sont ces enseignements ? De qui vient l'esprit saint ? De qui vient le concours céleste ? Qui nous envoie les âmes prêtes ? Qui nous guide vers elles ? Qui inspire nos coeurs de sa divine inspiration ? Bien entendu, chaque baha'i dira instantanément, "Baha'u'llah," Abdu'l-Baha nous a laissé un avertissement très explicite à ce propos(Voir Les Tablettes d'Abdu'l-Baha, vol. 5).

Maintenant je sais ce que cela veut dire et comme Dr. Muhajir, je prie ardemment chaque jour de rester ferme dans ma foi baha'ie jusqu'à ma mort. En 133 E.B. (1978), mon mariage de trente-et-une années se solda par un divorce. Ce Chevalier de Baha'u'llah, formidable et dévouée, Elaine Caldwell, dont je considérais la présence à mes côtés tout au long de ces années comme un fait accompli, démissionna. Elaine est en vérité l'un des héros anonymes de la cause de Dieu. Cette femme est totalement désintéressée, qui jamais ne se plaint, qui se tient à l'écart de tout conflit et désaccord et qui vit la vie bahai'e par excellence. Si quelqu'un doit mériter le titre de 'Sainte', c'est bien Elaine Caldwell, un véritable Chevalier de Baha'u'llah.

Jusqu'alors, j'ai été intolérant à l'égard des baha'is qui divorçaient. "Comment cela se peut-il ?" Je tempêtais, délirais, affichant une attitude de "plus saint que moi, tu meurs !" Maintenant, je sais et je comprends l'enfer et l'angoisse du divorce et mon coeur déborde d'amour et de tendresse pour ces âmes. Il n'y avait pour moi aucun moyen de comprendre l'enfer qu'elles ont vécu si je n'en avais pas fait l'expérience moi-même. Dieu seul sait combien j'ai souffert et ce que j'ai perdu et cela entièrement par ma propre négligence.

Ainsi, cher lecteur, je replongeai dans l'abîme noire et dans la désolation des ténèbres. Bien que mes péchés soient aussi nombreux que les grains de sable sur la plage, le pardon de Dieu, Sa grâce et Sa miséricorde sont aussi infinies que les gouttes du souverain océan, Les vagues de cette mer en se jetant sur le sable de la plage purifient le sable de toute souillure. Servir la cause de Baha'u'llah comme il Lui convient et où Il le juge nécessaire a été l'unique source de lumière dans ma vie durant cette période, La prière que j'adresse à Dieu pendant mes moments de profond désespoir a été exaucée. La voici :

Mon coeur et mon âme vibrent d'un tel élan vers Dieu que seuls ceux qui partagent le même festin céleste peuvent le concevoir. Et seul le Seigneur sera exhalté ce Jour-là. Bien que je marche sur cette terre, je n'en fais pas partie. Mon âme gravite dans un royaume où de tous côtés, on ne peut entendre que la Gloire de Dieu, et bien que je dise, "Des ténèbres à la Gloire de Dieu", ni la nuit ni le jour n'ont de sens dans cette réalité intemporelle, sanctifiée.

Le ciel est plus bleu, le soleil plus chaud, les fleurs plus parfumées et les couleurs de l'arc-en-ciel plus brillantes. J'ai émergé dans une nouvelle création. Une création dans laquelle le coeur et l'âne détiennent la suprématie, et le corps et l'esprit s'harmonisent dans la servitude pour la cause de Dieu et de l'humanité. Le monde ne connaît pas de joie semblable à celle-ci, car cette joie est complète.

Avec quelle ardeur l'humanité désire et recherche cette joie authentique ! Et pourtant, elle choisit les faux dieux du matérialisme qui ne la fait déboucher que sur le vide, ou au mieux, une jouissance temporaire qui ne dure que le temps d'un clin d'oeil. Je vous exhorte, chacun, de toute la force de l'amour que Dieu a mis dans mon coeur pour vous tous, du ciel de la magnificence et du délice, à venir avec moi, vous qui êtes tristes, vous qui êtes seuls, vous qui êtes aimés, dirigeons-nous vers l'océan de l'amour de Dieu et plongeons-nous dans la joie permanente et éternelle.

Des ténèbres à la Gloire, de l'obscurité la plus épaisse à la plus glorieuse lumière. Le coeur galvanisé pour l'action, chevauchant mon coursier de la fermeté dans Sa cause et totalement dévoué, je prends mon élan.

Mon gardien bien-aimé, Shoghi Effendi, a inscrit nos noms comme Chevaliers de Baha'u'llah, à être déposés au Tombeau de Baha'u'llah. Sur la carte qu'il avait avec lui à Londres au moment où il s'est envolé pour le Royaume d'Abha, le Gardien bien-aimé a, de sa propre main, mentionné notre but dans les Iles Aléoutiennes comme un accomplissement capital de la Croisade de Dix ans. Mon coeur est anéanti et des flots de larmes coulent de mes yeux à la petitesse de nos accomplissements. Je fais le voeu de tout mon coeur, mon âme et mon pouvoir, de me montrer digne, si cela était possible et par la grâce de Dieu, de ce grand honneur qui nous a été
conféré.

Alors, les chevaliers du Seigneur, assistés par Sa grâce venant du ciel, fortifié par la foi, aidés par le pouvoir de la compréhension et renforcés par les légions du Covenant, se lèvent et rendent manifeste la vérité du verset, "Voyez comme la confusion s'est emparée des tribus des vaincus." (L'Ordre mondial de Baha'u'llah)


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