Médiathèque baha'ie

Livre pour enfants
Le cheval du clair de lune

3) L'étalon sauvage

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Les yeux vifs d'un étalon noir se mirent à étinceler. Dans le silence de l'étable, il commença à parler, pendant qu'Étienne et les deux autres chevaux écoutaient sa voix claire.



" Je vais vous raconter l'histoire du plus grand homme qui soit jamais monté sur ma selle. Cela s'est passé pendant ma jeunesse, mais je me le rappelle comme si c' était hier.

D'aussi loin que je m'en souvienne, j'avais toujours appartenu à l'étable du prince Malik Qasim, à Urumiyyih. Quel bel étalon j'étais ! Ma robe était foncée et lustrée, ma crinière, fine et bien brossée, et ma queue, tressée avec des rubans. Ah que j'aimais participer aux processions royales du prince! Je secouais la tête au vent, je balançais fièrement la queue et je trottais au rythme du tintement des cymbales et du roulement des tambours. Comme j'étais un jeune cheval très fier, je fis un voeu: je me fis à moi-même cette promesse que seul un homme exceptionnel monterait jamais sur mon dos! Alors, je devins très dangereux pour tous les cavaliers, car je me cherchais un vrai maître. On disait que j'étais un cheval difficile, mais je ne pensais pas l'être: je ne voulais tout simplement pas être monté par n'importe qui.

Le prince Malik Qasim envoya une invitation aux cavaliers les plus habiles et les plus chevronnés. Il les défia d'essayer de me dresser mais aucun d'eux n'était assez bon pour moi.

Comme je m'amusais avec eux! Laissez-moi vous raconter ce que je faisais. D'abord, je restais tranquille et j'observais leur visage quand ils s'approchaient de moi. Je pouvais facilement savoir s'ils étaient effrayés : je le voyais sur leur visage et à leurs mains tremblantes. Certains étaient plus audacieux que d'autres. Ils me fixaient comme pour me défier de leur désobéir. Après les avoir bien regardés, je les laissais me mettre la selle sur le dos. C'est là que je commençais à m'amuser. Dès qu'ils avaient placé un pied dans l'étrier, je me cabrais, je secouais la tête et, avec un hennissement aigu, je partais au galop. Je caracolais et tournais jusqu'à ce que le pauvre cavalier n'y tenant plus, se laisse tomber par terre.

Après quelque temps, plus personne n'eut le courage d'essayer de me monter. Toute invitation à me dresser fut déclinée, et on me laissa seul à faire ce qui me plaisait.

Je passais mes journées à courir librement comme un étalon sauvage sur les terres du prince. Quand il faisait chaud, je me reposais à l'ombre verte d'une fraîche clairière, près du ruisseau qui courait à travers ma prairie. Les jours passaient et se ressemblaient. Puis, un beau matin, tout changea. Ce jour-là, peu après le lever du soleil, mon palefrenier vint dans la prairie et m'appela. Quand je m'approchai, il me passa un lasso autour du cou. Peu de temps après, je fus conduit dans la ville et à travers ses rues étroites jusqu'à la place publique.

J'étais étonné. Une foule assez importante s'était rassemblée. Les gens, très excités, parlaient et criaient. Il ne me fallut pas longtemps pour deviner ce qui allait se passer. Le prince Malik Qasim avait mis quelqu'un au défi de me monter! Les gens de la ville discutaient entre eux, curieux de savoir qui réussirait. Malgré le vacarme, je pouvais très bien les entendre:

" Ce cheval ne sera jamais monté ! "
" Voyons ce que le siyyid peut faire ! "
" Comment un tel homme pourrait-il apprivoiser un cheval sauvage ? "

Mes amis, je peux vous dire que j'étais bien ennuyé. Je ne voulais pas d'un autre concours et je n'aimais pas cette cohue. Je ne voulais pas être monté du tout! M'ébrouant méchamment, je m'élançai et tentai de galoper mais mon palefrenier, qui me connaissait bien, me tint fermement par la longe. Je ne voyais pas d'issue.

" Qui le prince Malik Qasim a-t-il bien pu inviter à me monter cette fois-ci?, pensai-je avec mauvaise humeur. Peut-être un général ? Ou un autre prince ? Ou peut-être le roi lui-même? ".

Je frappai le sol poussiéreux de mes sabots impatients. Attendons la fin de l'épreuve. Je pourrai alors retourner librement dans ma prairie." Eh bien ! Imaginez ma surprise quand, au lieu d'un grand prince ou d'un puissant général, une personne d'un genre tout à fait différent s'avança calmement vers moi. C'était un homme qui n'était ni grand ni petit. Il portait un simple manteau et le turban vert d'un siyyid, ce qui me renseigna sur le fait qu'il descendait de la sainte famille du prophète Muhammad.

L'homme posa sur moi son regard profond et plein d'amour. Personne ne m'avait encore jamais regardé de cette façon, pas même le prince Malik Qasim qui pourtant s'occupait très bien de moi. Puis, je le sentis me caresser la tête avec gentillesse et douceur. Dès qu'il me toucha, je perdis immédiatement toute envie de faire du mal à qui que ce soit. J'arrêtai de marteler impatiemment le sol de mes sabots et je me calmai.

" Je conduirai cet homme partout où il voudra, me dis-je J'ai enfin trouvé mon vrai maître ! "

Je vis alors mon palefrenier s'approcher du siyyid, le suppliant de ne pas essayer de me monter : "Il a déjà fait tomber les cavaliers les plus braves et les plus habiles. S'il vous plaît, refusez cette invitation."

À cela, le siyyid répondit . N'ayez crainte. Confiez-nous aux soins du Tout-Puissant. "

Je restai immobile Il plaça son pied dans l'étrier et monta sur mon dos. Moi, obéissant à sa voix claire et douce, j'avançai. Je me tenais la tête haute. Porter cet homme était un plus grand honneur que de participer aux processions du prince Malik Qasim.

La foule immense en eut le souffle coupé et se fit silencieuse. Tous étaient étonnés de me voir aussi calme et obéissant. Alors, un homme s'exclama: " C' est vraiment merveilleux. Comment se fait-il que ce cheval sauvage reste tranquille?".

Un autre dit, sur un ton animé : "Sommes-nous témoins d'un miracle? "

Alors, plusieurs personnes, sortant de la foule, coururent vers moi et essayèrent d'embrasser mes étriers. Il y aurait eu une fameuse bousculade si mon palefrenier et d'autres intendants du prince Malik Qasim n'avaient pas été là pour m'ouvrir un passage. Malgré toute cette agitation, je poursuivis mon chemin à travers la foule. Tous les bruits du monde n'auraient pu me déranger. J'étais trop occupé à porter avec soin mon précieux cavalier !



Il me dirigea le long des rues étroites de la ville jusqu'aux bains publics. Là, il mit pied à terre et se rendit à l'intérieur pendant que je l'attendais patiemment à l'entrée. Après s'être baigné, il remonta en selle, et je repris le chemin menant à la place publique. Il y avait beaucoup de bousculade derrière moi, et j'appris plus tard que de nombreuses personnes nous avaient suivis et s'étaient ruées vers les bains pour recueillir quelques gouttes de l'eau dans laquelle le siyyid s'était baigné. Les gens disaient que seule une personne dotée de pouvoirs spéciaux pouvait me monter.

Aussi croyaient-ils que cette eau devait être précieuse !

De retour sur la place, j'aperçus le prince Malik Qasim qui était venu en personne nous saluer. Je vis, à son visage, qu'il était aussi surpris que tous les autres de constater que l'homme avait réussi à me dresser. Le prince salua chaleureusement mon siyyid et l'emmena ensuite loin de moi, à son palais. Quant à moi, je fus ramené par mon palefrenier dans mon immense prairie vide. Une fois de plus, mon temps m'appartenait et je pouvais galoper où je voulais.

Je ne revis plus jamais mon distingué cavalier, mais j'entendis souvent prononcer son nom. Chaque fois que l'on m'emmenait à travers les rues étroites de Urumiyyih, les gens criaient en me montrant du doigt : "Voilà le cheval sauvage qui a été apprivoisé par le siyyid que l'on appelle le Bab ! Le Bab, oui ! C' est comme cela que j'appris son nom. De toute ma longue vie, je n'oubliai jamais ni ce nom, ni la douceur de mon cavalier, ni la promenade que nous fîmes ensemble, par ce beau matin ensoleillé. "


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