Initiation à l'étude des religions du Livre
Par Louis Hénuzet


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Chapitre II: Le Christianisme

I. Le dossier

A. Les sources non chrétiennes

* Tacite (54/56-120) (Annales XV, 45) :

Il raconte que Néron à qui l'on attribuait la cause de l'incendie de Rome en juillet 64, a tenté de rejeter cette responsabilité sur ceux que "le vulgaire appelait chrétiens. Leur nom leur venait de Christ qui, sous Tibère (14-37), fut livré au supplice par le procurateur Ponce Pilate. Cette superstition sacrilège fut momentanément réprimée, mais elle réapparut par la suite et se répandit non seulement en Judée où elle avait pris naissance, mais également à Rome où se retrouvent et sont pratiqués tous les rites religieux les plus atroces et les plus répugnants du monde. On commença donc par s'emparer de ceux qui se proclamaient ouvertement chrétiens puis, sur leurs déclarations, d'une énorme quantité de gens. Ils ne furent pas condamnés pour incendie, mais pour haine du genre humain... De leur exécution, ll fit une fête: on les vêtit de peaux de bêtes, on les fit dévorer par des chiens, on les crucifia, on les brûla à la tombée de la nuit afin qu'ils servent de flambeaux... Il en résulta que la pitié s'émut pour ces gens ; bien que coupables et méritant les plus durs châtiments, ils n'étaient pas sacrifiés au bien général, mais à la cruauté d'un seul."

* Suétone (70-141). (Vie de Claude, ch.25) :

"Il chassa de Rome les Juifs qui s'agitaient sans répit à l'instigation de Chrestus". Ce texte prouve tout au plus que vers 50 il y avait des chrétiens à Rome.

* Pline le Jeune (32-125) :

Gouverneur de Bithynie écrivit en 112 à l'empereur Trajan, pour signaler qu'il y avait des chrétiens autour de lui et qu'il les a fait arrêter. "Ils chantent des hymnes au Christ comme à Dieu."

* Flavius Josèphe (37 / ?) :

"En ce temps-là vécut Jésus, homme sage, si toutefois il est permis de l'appeler un homme, car il accomplit des oeuvres merveilleuses et enseigna les hommes qui reçoivent avec joie la vérité. Et il entraîna bien des Juifs et bien des Grecs. Celui-là était le Messie. Pilate l'ayant fait mettre en croix, ceux qui l'avaient aimé d'abord n'y renoncèrent pas. Car il leur apparut après avoir repris vie le troisième jour. Les prophètes divins ayant du reste prédit cela de lui et bien d'autres prodiges. La race des chrétiens, qui tire de lui son nom, existe encore aujourd'hui" (Antiquités Juives XVIII, 3).

Les mots imprimés en caractères gras ont vraisemblablement été ajoutés par un scribe chrétien dans le texte original de Flavius Josèphe.

Nous trouvons encore une allusion à Jacques, le "frère de Jésus dit le Christ" (Antiquités Juives XX, 9,1), dans un texte qui raconte l'exécution de Jacques.


B. Les sources chrétiennes

a. Les Évangiles

* Les Évangiles canoniques:

Quatre Évangiles ont été retenus dans le canon. Les Évangiles selon Marc, Matthieu, Luc et Jean. D'autres évangiles ont été écrits dans le courant du IIe siècle. Les principaux sont:

* Les évangiles de l'enfance:

- Protévangile de Jacques qui raconte la vie de Marie, de sa naissance à son mariage, puis la naissance de Jésus et l'adoration des Mages, enfin le massacre des innocents et le meurtre de Zacharie.

- L'évangile de Thomas l'Israélite et l'évangile arabe de l'enfance.

Ces trois textes ont pour but principal d'exalter la virginité de Marie et plus généralement l'état de virginité, ce qui suppose un milieu judéo-chrétien très marqué par l'encratisme [14].

* Les évangiles apocryphes:

- L'évangile selon Nicodème, dont les ch. I-XVI sont appelés les actes de Pilate. Il a pour but de montrer que Pilate était favorable à Jésus, tandis que la seconde partie raconte la descente de Jésus aux enfers, selon le schéma courant chez les judéo-chrétiens.

- L'évangile selon Pierre (fragments) qui relate la passion, la mort, l'ensevelissement et la résurrection du Christ.

* Les évangiles perdus:

Ces textes sont connus par des citations ou par des fragments:
- l'évangile selon les Hébreux,
- l'évangile selon les Egyptiens,
- l'évangile des Ebionites,
- l'évangile de Barnabé,
- l'évangile de Barthélemy,
- l'évangile de Matthias,
- l'évangile de Thomas,
- l'évangile de Philippe.
Ces trois derniers évangiles ont été retrouvés en entier dans une version copte dans les documents de Nag Hammadi


b. Les Épîtres

* Les Épîtres de Paul:
1e lettre aux Thessaloniciens, Corinthe 50/51,
Lettre aux Philippiens, Ephèse 55/57,
Lettre aux Galates, Ephèse 55/57,
1e lettre aux Corinthiens, Ephèse (?), 55/57,
2e lettre aux Corinthiens, Macédoine 55/57,
Lettre aux Romains, Corinthe 57/58,
Billet à Philémon, Rome 61/63,
2e lettre aux Thessaloniciens (authenticité contestée),
Lettre aux Colossiens (très contestée), Rome (?),
Lettre aux Ephésiens (contestée), Rome (?),
Lettres pastorales contestées: deux lettres à Timothée et une lettre à Tite.

Selon certains exégètes, certaines lettres auraient été fabriquées avec des fragments provenant de plusieurs lettres. Paul mentionne avoir écrit de nombreuses lettres. Certaines seraient donc perdues.

* L'Épître aux Hébreux.

* Les Épîtres catholiques:
Épître de Jacques,
Épître de Jude,
1e et 2e Épîtres de Pierre,
1e, 2e et 3e Épîtres de Jean.

* Nombreuses épîtres apocryphes, dont l'épître de Barnabé.


c. Les Actes

* Actes des Apôtres: (seul texte retenu dans le Nouveau Testament) ;

* Actes apocryphes:
Actes de Paul qui comprennent les actes de Paul et de Thècle, la correspondance (apocryphe) de Paul avec les Corinthiens, et le martyre de Paul.
Actes de Pierre qui rappellent les écrits pseudo-clémentins.
Actes de Jean qui racontent les voyages missionnaires de Jean en Asie.
Actes d'André, de Thadée qui rappellent les origines de la chrétienté à Edesse.
Actes de Thomas qui évoquent l'oeuvre missionnaire de Thomas en Inde.


d. Les Apocalypses

* Apocalypse de Jean (finalement admise dans le canon du Nouveau Testament)

* Apocalypses apocryphes:

- Apocalypse de Pierre qui a figuré au canon des livres saints. Elle est consacrée aux fins dernières: le jugement général, le bonheur du ciel réservé aux élus, les tourments de l'enfer appliqués aux damnés.

- Apocalypse de Paul qui décrit la montée de Paul au troisième ciel (II Corinthiens XII, 2). Paul est conduit par un ange au lieu des âmes justes, où s'élève la cité dorée du Christ, puis à la rivière de feu, où souffrent les damnés parmi lesquels on voit des évêques, des prêtres, des diacres (ces deux textes ont inspiré la Divine Comédie de Dante).

- Apocalypses d'Etienne, de Thomas etc.


e. Les autres écrits apocryphes

- Les Odes de Salomon

- Le Pasteur d'Hermas.

- Les ouvrages pseudo-clémentins.

- La didactyle, etc.


f. Les livres juifs christianisés

- Testaments des Douze Patriarches.

- Quatrième, Cinquième et Sixième Esdras.

- Oracles Sibyllins

- L'Ascension d'Isaïe.


g. Les écrits des Pères de l'Église

* Les Pères apostoliques, c'est-à-dire de la période qui suit immédiatement celle des apôtres (donc début du IIe siècle): Ignace d'Antioche, Polycarpe de Smyrne, Papias de Hiérapolis, Justin le philosophe.

* Les Pères apologétiques: Irénée de Lyon, Hippolyte de Rome, Clément d'Alexandrie, Tertullien de Carthage, Origène.

* Les Pères conciliaires, c'est-à-dire les nombreux évêques qui ont joué un rôle important dans les controverses christologiques des IVe et Ve siècles, notamment lors des Conciles de Nicée (325), de Constantinople (381), d'Ephèse (431) et de Chalcédoine (451).


C. Les Manuscrits

Avant l'invention de l'imprimerie (XIe siècle en Chine, XVe en Europe), on recopiait un texte copie par copie, chacune étant un manuscrit. Avant le quatrième siècle, les textes étaient écrits sur papyrus ou sur des tables d'argile (ostraca), matériau très fragile, ce qui explique leur disparition sauf des fragments retrouvés, fragments souvent minuscules. Ces fragments datent de la fin du IIe siècle et du troisième. À partir du quatrième siècle, on se sert du parchemin. De plus on n'écrit plus en rouleaux, mais sur feuilles qui, reliées, forment des codex.

On dispose de plus de 4000 manuscrits intéressant le texte du Nouveau Testament, dont beaucoup sont en mauvais état. À cela il faut ajouter la masse considérable de versions que toutes les langues anciennes nous ont léguées (latin, syriaque, slavon, copte, arabe, éthiopien etc.). 167 seulement, contiennent l'ensemble du Nouveau Testament.

Parmi ces manuscrits, deux sont du IVe siècle, deux du Ve siècle et un du VIe siècle. Tous les autres sont postérieurs, jusqu'au Moyen Age où la plupart des manuscrits ont été copiés.

Tous ces manuscrits se regroupent par famille et semblent remonter à quatre révisions principales d'un texte antérieur qui est perdu, donc impossible à reconstituer. Certaines versions en langues anciennes peuvent se trouver plus proches de cet original que les manuscrits grecs en grands onciaux qui nous sont parvenus. Ces quatre versions sont la neutre, l'alexandrine, la syrienne et l'occidentale.

On peut classer les différentes causes qui ont provoqué les diverses versions du texte comme suit:

1° Erreurs involontaires ou intentionnelles:
a. répétition involontaire d'une lettre, d'une syllabe, d'un mot ou même de tout un morceau de phrase.
b. omission d'une ligne du fait que deux lignes se terminent par le même mot.
c. confusions dues à des voyelles ou des diphtongues qui se prononcent de la même façon.
e. confusion entre lettre qui dans l'écriture "onciale" (majuscule) se ressemblent.
f. confusions dues au fait que les premiers manuscrits ne comportaient ni séparation entre les mots, ni ponctuation.

2° Efforts d'amélioration du texte:
a. corrections pour améliorer la prononciation, la grammaire ou le style.
b. harmonisations de:
- passages parallèles,
- citations de textes de l'Ancien Testament,
- passages du Nouveau Testament pour correspondre à des pratiques liturgiques.
c. interpolations d'ordre exégétique ou doctrinal, suppressions ou révisions tendancieuses.


a. Les anciens manuscrits en écriture majuscule onciale

* Codex A (Alexandrinus), propriété du British Muséum depuis 1628. Un fac simile a été publié en 1879. Manuscrit du Ve siècle contenant toute la Bible en grec, plus deux épîtres attribuées à Clément de Rome.

* Codex Alef (Sinaïticus) découvert par Tischendorf dans le couvent Ste Catherine du Sinaï. Manuscrit du IVe siècle, contenant tout le Nouveau Testament, plus quelques apocryphes dont la lettre de Barnabé et le Pasteur d'Hermas. Offert au Tsar de Russie en 1862.

* Codex B (Vaticanus), le plus ancien et le plus précieux, publié sous la forme d'un fac simile en 1889 et 1904. Manuscrit du IVe siècle, remarquablement exempt des traditions postérieures, principal témoin du texte primitif.

* Codex C, palimpseste [15] du Ve siècle. Le texte original et incomplet de la Bible a été effacé et le manuscrit utilisé par Ephrem-le-Syrien pour écrire une exégèse des Évangiles, en fait une Harmonie évangélique de Tatien, devenu chrétien en 150. Tischendorf a pu reconstituer le texte original. Le manuscrit se trouve à la Bibliothèque nationale de Paris.

* Codex D offert à l'Université de Cambridge par Théodore de Bèze. Le texte grec se trouve sur la page de gauche et la traduction latine sur celle de droite. Ce manuscrit du VIe siècle ne contient que les Évangiles et les Actes.


b. Les Fragments

Il y a actuellement un grand débat sur la datation des fragments dont certains ne sont pas plus grands qu'un timbre poste et ne contiennent par conséquent que quelques lettres. On pensait détenir le plus ancien de ces fragments, à savoir un fragment de l'Évangile de Jean, conservé dans la bibliothèque universitaire John Rylands de Manchester, et que l'on datait du premier quart du IIe siècle (120-125).
D'autre part, on était aussi persuadé que les fragments de rouleaux étaient beaucoup plus anciens que les fragments de codex, ceux-ci étant sensés être utilisés beaucoup plus tard. Aussi lorsque le pasteur Charles Huleatt découvrit à Louxor trois petits fragments, il les data de la fin du IIIe siècle, car ils étaient écrits recto-verso et appartenaient donc à un codex. Ces fragments très petits (4,1 x 1,2 cent. ; 1,6 x 1,6 ; 4,1 x 3) furent envoyés en 1901 à l'université Magdalen à Oxford où ils furent conservés sans éveiller beaucoup d'intérêt. Ils furent réétudiés en 1994 par un savant allemand qui estima que ces fragments provenant du chapitre XXVI de Matthieu étaient en réalité des morceaux d'un codex datant des années 60. Il existe à Barcelone, deux autres fragments provenant du même codex, semble-t-il. Si tout cela est vrai, il faut revoir complètement la théorie généralement admise sur la date de la rédaction des deux premiers Évangiles.

De même, certains experts croient pouvoir identifier des fragments de rouleaux trouvés dans la grotte n° 7 à Qum'ran, comme provenant l'un de l'Évangile de Marc, l'autre de la lettre de Paul à Timothée. Or, il semble que la grotte ait été abandonnée en 68, lors de la conquête de la région par les Romains, et n'ait plus été occupée depuis. Si ces identifications sont correctes et si on retient l'hypothèse que les grottes de Qum'ran n'ont plus été occupées après 68, cela signifie que l'Évangile de Marc est plus ancien qu'on ne le pense généralement et que les esséniens de Qum'ran étaient plus multiculturels qu'on ne l'a admis jusqu'ici, puisqu'ils auraient possédé des écrits chrétiens.

Tout cela montre que le débat sur les origines du christianisme est loin d'être clos et que toutes les hypothèses avancées sont bien fragiles.


D. La constitution du canon du Nouveau Testament

Les premiers chrétiens n'avaient aucune intention d'écrire un Nouveau Testament. Les épîtres écrites par les premières personnes ayant une certaine autorité spirituelle sont des conseils, des exposés de doctrines, voir des éléments de liturgie que les communautés qui les reçurent, utilisèrent pour les lire, les étudier et les mettre en application. Il en est de même des récits qui vont constituer les Évangiles et les Actes des apôtres. Tous ces documents font référence à l'Écriture Sainte qui est l'Ancien Testament.

Ce n'est qu'au cours de la première moitié du IIe siècle que l'idée de constituer un Nouveau Testament va naître chez des hérétiques pour l'opposer à l'Ancien Testament:

* Basilide (entre 117 et 138) est le premier à citer des textes qui feront plus tard partie du Nouveau Testament, comme étant l'Écriture.

* Marcion (140) veut former un corpus composé de textes pauliniens (10 Épîtres) et lucaniens (l'Évangile de Luc) dans le but avoué de rejeter l'Ancien Testament comme étant l'oeuvre du dieu mauvais qui a créé le monde.

* Heraclion (disciple de Valentin, 170) écrit un commentaire d'un écrit canonique.

Avant l'an 200, deux corpus commencent à circuler:
a. Corpus paulicum (lettres de Paul),
b. Corpus evangelicum (les Évangiles).

* Tatien (disciple de Justin, 150-160) écrit le Diatessaron, une harmonie évangélique des quatre Évangiles canoniques. Par la suite on ajouta les Épîtres catholiques et l'Apocalypse fera son apparition. Il faut noter que les écrits apocryphes ne perdent pas rapidement leur influence. Clément d'Alexandrie (vers 150-211/216) cite encore les Traditions de Matthias et l'évangile des Hébreux.

* Fragment de Muratori: Ce manuscrit du VIIIe siècle recopie la liste des livres reçus à la fin du IIe siècle. Cette liste contient les textes du Nouveau Testament sauf:
- Épître aux Hébreux
- Épître de Jacques
- 3e Épître de Jean
- Les deux Épîtres de Pierre
- Apocalypse de Jean

La liste contient le Pasteur d'Hermas et l'on ajoute: Nous recevons également les apocalypses de Jean et de Pierre, que certains d'entre nous ne veulent pas qu'on lise à l'Église. À cette époque, il y a donc déjà une fusion entre les corpus paulicum et evangelicum.

* Origène (183/186-252/254) établit une liste d'Écrits qu'il classe en quatre catégories:

1° Les livres incontestés:
- Les quatre Évangiles.
- Le corpus paulinien.

2° Les livres généralement reçus:
- Ière Épître de Pierre.
- Ière Épître de Jean.
- Apocalypse de Jean.

3° Les livres douteux:
- Épîtres de Jacques et Jude.
- 2e Épître de Pierre.
- 2e et 3e Épîtres de Jean.

4° Un livre inauthentique, mais digne de Paul:
- l'Épître aux Hébreux.

* Eusèbe de Césarée. (265-340, évêque à partir de 313):

1° Livres reçus:
- Les quatre Évangiles.
- Actes des apôtres.
- Épîtres pauliniennes.
- Épître aux Hébreux.
- Les Épîtres I de Jean et de Pierre.
- Éventuellement l'Apocalypse.

2° Les Livres contestés:
- Épîtres de Jacques, Jude, 2e de Pierre, 2e et 3e de Jean.

3° Les livres apocryphes:
- Actes de Paul.
- Pasteur d'Hermas.
- Apocalypse de Pierre.
- Épître de Barnabé.
- La Didaché.
- Évangile des Hébreux.

4° Livres rejetés:
- Tous les autres.

Ce n'est qu'à la fin du IVe siècle que l'accord se fait sur les livres actuels du Nouveau Testament, par exemple par Athanase (367), le Concile de Laodicée (360) et le Concile de Carthage. C'est toutefois lors du Concile Quinitexte (691) que le canon actuel est définitivement adopté.


E. Conclusion

Le message tel que Jésus l'a prêché ne nous a pas été conservé dans un document ou une série de documents écrits par lui ou par ses disciples immédiats et qui nous seraient parvenus dans leur version originelle. Tout au contraire, sa prédication a été verbale et s'est diffusée oralement d'abord, ensuite par des écrits qui ont tendance à rejeter à l'arrière-plan le message primitif et à privilégier des interprétations qui iront en s'écartant de la pensée originelle au fur et à mesure du passage du temps ou en fonction de l'importance d'éléments empruntés aux concepts religieux de l'époque et aux milieux dans lesquels le message est prêché.

Ces courants sont principalement les suivants:

- les courants judéo-chrétiens ;
- le courant représenté par les Évangiles synoptiques
- le courant johannique
- le courant paulinien
- les multiples courants gnostiques.

Tous ces courants donneront naissance aux textes écrits au cours de la fin du Ier siècle et au cours du deuxième siècle. Dès le deuxième siècle, un essai de réconciliation aura lieu, surtout entre les courants synoptique, johannique et paulinien pour former ce qu'on appelle le proto-catholicisme. Celui-ci jettera les bases de ses doctrines principales, notamment en matière de christologie, c'est-à-dire la façon de comprendre la nature du Christ Jésus, glorifié dans sa résurrection, ce qu'on appelle la foi de Pâques.

Le courant judéo-chrétien et les courants gnostiques seront progressivement écartés, tout en ayant exercé une influence qui persistera et réapparaîtra dans les écrits jugés canoniques

La doctrine se précisera au cours du quatrième et du cinquième siècle grâce à une série de conciles appelés oecuméniques, parce que toute la chrétienté sera invitée à y participer. L'unanimité ne se fera cependant pas, et le proto-catholicisme éclatera en de nouvelles divisions, telles que:
- le nestorianisme insistant sur la nature humaine de Jésus,
- le monophysisme ne retenant que sa nature divine,
- la doctrine de Nicée-Chalcédoine, optant pour la double nature du Christ dans le cadre de la Trinité.

Ces subdivisions principales subsistent toujours aujourd'hui, même si les deux premières sont devenues très minoritaires, sans doute parce qu'elles s'étaient développées là où l'islam s'est implanté.

Quant au courant majoritaire de Nicée-Chalcédoine, il ne pourra pas non plus conserver son unité et éclatera en de multiples Églises se rattachant:
- à l'Église catholique romaine,
- aux Églises orientales rattachées à Rome, comme les Églises melkites ou uniates.
- aux Églises orthodoxes,
- aux Églises protestantes,
- à l'Égilse anglicane.


II. Le Jésus historique

Il est presque impossible de reconstituer une vie de Jésus qui corresponde à la réalité historique, malgré 35 textes, écrits entre 60 et 200. Les données que nous trouvons dans les seuls écrits chrétiens sont contradictoires et fort peu nombreuses dans les textes qui ont une certaine valeur historique (les Évangiles canoniques). Les autres sont des textes naïfs et purement imaginatifs comme les évangiles de l'enfance ou des textes spéculatifs comme l'évangile de Philippe.

Certains historiens ont prétexté cet état de choses pour nier l'existence de Jésus. Pour eux, Jésus serait un personnage mythique créé par l'imagination humaine. Cette thèse ne rencontre plus guère de partisans aujourd'hui et l'on peut tenir pour certain que Jésus a bien existé, même s'il est très différent du Jésus de la foi que les chrétiens des premiers siècles ont forgé.


A. Date de naissance

Seuls Matthieu et Luc nous parlent de la naissance de Jésus. Matthieu nous dit qu'il naquit "dans les jours d'Hérode" (Matth. II, 1). Quant à Luc, il écrit qu'Elisabeth conçut au temps d'Hérode, roi de Judée et Marie conçut six mois après sa cousine (Lc I, 26, 36, 42). Il s'agit d'Hérode le Grand qui mourut en l'an 4 avant l'ère chrétienne.

Luc nous dit encore que Jésus avait environ trente ans, la quinzième année du règne de Tibère, date à laquelle Jean le Baptiste commence à prêcher. À ce moment, Hérode Antipas est tétrarque de Galilée et Ponce Pilate est gouverneur de Judée (Lc III, 1-2).

Il faut négliger l'information donnée par Luc concernant le recensement ordonné par Quirinus, gouverneur de Syrie. Quirinus fut nommé gouverneur de Syrie après la destitution d'Hérode Archélaüs en l'an 6. Il fut gouverneur jusqu'en l'an 12. Flavius Josèphe indique que le recensement dont il est question eut lieu en 6 ou 7 de notre ère. Luc a donc utilisé une information qu'il n'a pas vérifiée et qui était pour lui une bonne explication pour faire venir la famille de Jésus de Nazareth à Bethléem et faire naître Jésus à Bethléem. Malheureusement, l'information est anachronique.

Jean nous donne une autre information dont on ne peut guère tirer de conclusion formelle. Jésus aurait dit aux pharisiens: "Votre père Abraham s'est réjoui d'avance de voir mon jour ; il l'a vu et il s'en est réjoui..." Réponse des pharisiens: "Tu n'as pas cinquante ans et tu as vu Abraham" (Jean VIII, 56-57).

Si Jésus est né entre 7 et 4 avant notre ère, il avait environ 35 ans lorsqu'il commença à enseigner. C'est évidemment assez loin de cinquante ans. Mais personne ne songe à tirer de ce texte une date de naissance qui remonterait à l'an 20 ou 15 avant notre ère.

Quant à la date du 25 décembre, elle est également fausse. En Orient, on pense plutôt à la date du 6 janvier. En fait, on n'en sait rien. La date du 25 décembre était celle de la fête du "sol invictus" (le soleil invaincu) dans l'empire romain et plus particulièrement dans le culte de Mithra. Peut-être que ce verset de l'Ancien Testament a joué en faveur du choix de cette date: "Mais sur vous, qui craignez en mon nom, se lèvera le Soleil de Justice" (Malachie, IV, 2).

C'est au cours du VIe siècle, qu'un moine scythe du nom de Denis le Petit se livra à des calculs d'ailleurs faux, qui fixèrent le début de l'ère chrétienne. Pour la naissance de Jésus, on doit s'en tenir à une date probable située entre 7 et 4 avant notre ère.


B. Lieu de naissance

Matthieu et Luc nous racontent de merveilleuses histoires. Matthieu nous dit que Jésus est né à Bethléem de Juda, sans nous dire pourquoi la famille était à Bethléem. À cette occasion, des mages vinrent d'Orient parce qu'ils avaient lu dans les astres qu'un roi des Juifs était né. Ils suivirent donc une étoile pour découvrir la maison où l'enfant venait de naître. Comme Hérode craint ce nouveau roi, il ordonne le massacre de tous les nouveau-nés. Mais Joseph et Marie, avertis par un ange, s'enfuient en Egypte d'où ils reviendront pour s'installer à Nazareth. L'histoire profane ne connaît pas ce massacre des Innocents qui semble bien venir à point pour justifier la parole de l'Écriture: "J'ai appelé mon fils d'Egypte" (Osée, XI, 1).

Quant à Luc, il ignore tout de cette histoire de mages et de massacre, car ce sont des bergers qui apprennent la naissance par des anges. Ils allèrent donc à Bethléem pour découvrir l'enfant couché dans la mangeoire d'une étable. Pour justifier la venue à Bethléem, Luc invoque le recensement de Quirinus qui, comme nous l'avons vu, n'eut pas lieu à cette date.

Pour ceux qui avaient accepté Jésus comme étant le Messie attendu, il fallait qu'il naisse à Bethléem. "Il sera de Bethléem de Juda" (Michée, V, 1) car Bethléem était la cité de David et le Messie, son descendant, devait venir de là. Les Pharisiens connaissent bien cette tradition, aussi ne peuvent-ils accepter que Jésus soit le Messie puisqu'il vient de Galilée. "Est-ce que le Christ peut venir de Galilée ? Est-ce que l'Écriture ne dit pas que le Christ sortira de la race de David et du village de Bethléem d'où était David" (Jean VII, 40-42) ?

Ces récits ne nous permettent pas d'affirmer que Jésus est né à Bethléem comme le veulent les deux Évangiles et la tradition. Nous devons nous contenter de dire qu'il est né quelque part en Galilée, peut-être à Nazareth. Il ne faut cependant pas déduire que Jésus est né à Nazareth parce qu'il est appelé Nazaréen.


C. Jésus, le Nazaréen

Cette appellation apparaît sous trois formes dans les Évangiles ; Nadzôraios, Nadzarenos et Nadzôrenos. Selon certains philologues, Nazareth (ou Nazara) aurait dû donner comme dérivés Nazarethenos ou Nazarethanos ou encore Nazarethaios. Nazareth et Nazara s'écrivaient en hébreu avec un tsadé qui est rendu en français par un Z, mais en grec par un sigma et non par un zéta.

On a donc cherché d'autres hypothèses pour l'origine du mot Nazaréen, par exemple:
- Netzer qui signifie le rameau, le rejeton
- Nosri qui signifie l'observant, le gardien, le veilleur
- Nazir qui signifie le saint, le consacré, le séparé ou le couronné.

Les deux premiers mots s'écrivent aussi en hébreu avec un tsadé. Seul Nazir s'écrit avec la lettre zain qui est rendu en grec avec un zéta. On est en droit de se poser la question du pourquoi de cette qualification et de son importance dans les textes. La référence à l'obscure bourgade de Nazareth paraît ne pas justifier un tel titre, surtout lorsque nous comparons deux versets de l'Évangile de Marc: Viens-tu nous perdre ? Je sais qui tu es le Saint de Dieu (Marc I, 21) et "Qu'y a-t-il de commun entre moi et toi, Jésus, Fils de Dieu le Trés-Haut" (Marc V, 7). Apparemment ces trois expressions sont identiques: Nazaréen, Saint de Dieu, Fils de Dieu le Trés-Haut. Dans l'Ancien Testament, le juste, le saint est appelé Fils de Dieu (Sagesse II, 18).

Bien sûr plus tard, en milieu grec, l'étymologie hébraïque du mot Nazaréen s'est perdue. Nazaréen désigne chez Luc celui qui est natif ou qui habite Nazareth (Lc I, 26). C'est à Nazareth où ses parents habitaient comme le confirme Jean: "Jésus est fils de Joseph de Nazareth" (Jan. I, 45-46).


D. Jésus, descendant de David

C'est encore à Matthieu et à Luc que nous devons une généalogie de Jésus qui le fait descendre de David. Cette tradition est sans doute très ancienne, car elle était déjà connue de Paul qui dit en passant "de la race de David selon la chair" (Rom, I, 3). Les généalogies données par Matthieu et Luc ne concordent pas. Celle de Matthieu est bâtie sur la symbolique de l'équilibre des parties, symbole de perfection pour les Orientaux. Quatorze générations d'Abraham à David, quatorze de David à l'exil et quatorze de l'exil à Jésus. Pour cela l'auteur n'hésite pas à supprimer des noms dans la généalogie que nous pouvons retracer par la Bible (voir la liste des rois de Juda), sans compter des erreurs comme situer la naissance de Jéchonias, fils de Josias, au temps de l'exil alors que ce dernier était mort depuis plus de vingt ans et n'était pas le père de Jéchonias, mais son grand-père.

Luc fait remonter la généalogie de Jésus jusqu'à Adam, ce qui fait soixante dix-sept noms si l'on compte Dieu au début et Jésus à la fin, nombre également symbolique. D'Abraham à Jésus, Luc donne cinquante-six degrés alors que Matthieu n'en donne que quarante-deux. À partir de David, la généalogie passe par Nathan, second fils de David, alors que Matthieu la fait passer par Salomon.

La réponse traditionnelle à ces discordances est qu'une généalogie donne les pères réels, tandis que l'autre donne les pères putatifs. Cela ne résout rien car entre David et Jésus Luc donne 42 noms et Matthieu 26. Cette différence de 16 générations fait environ quatre siècles.

Les deux généalogies aboutissent finalement à Joseph qui doit être le père de Jésus afin que celui-ci soit réellement de la race de David. Les deux évangélistes n'ont donc pas relevé la contradiction entre la tradition de la généalogie davidienne et celle de la naissance virginale. Cette contradiction n'a pas manqué de frapper l'un ou l'autre copiste. Deux manuscrits (Syrus sinaïticus et un manuscrit découvert par Conybeare au Vatican) portent le texte: "Et Jacob engendra Joseph ; et Joseph auquel fut mariée la Vierge Marie, engendra Jésus". Cette version ancienne a sans doute été remaniée progressivement, comme par exemple dans le "Dialogue de Timothée et Aquila": Jacob engendra Joseph, l'époux de Marie "de laquelle fut engendré Jésus, dit le Christ", et Joseph engendra Jésus, dit le Christ. Les mots entre guillemets ont manifestement été ajoutés de façon très malhabile. Dans le texte de Matthieu, cela devient: "Et Jacob engendra Joseph, l'époux de Marie de laquelle fut engendré Jésus". (Matth. I, 16).


E. La naissance virginale

Parmi les auteurs du Nouveau Testament, il y en a trois qui manifestement ne retiennent pas cette tradition.

Paul dit expressément que Jésus est né d'une femme (ek gynaikos, Gal. IV, 4) et non d'une vierge (ek parthenou).

Marc présente Jésus comme le fils de Marie sans aucune allusion à Joseph sans doute parce que celui-ci n'a joué aucun rôle significatif aux yeux de Marc.

Quant à Jean, il appelle Jésus, le fils de Joseph. "C'est Jésus, le fils de Joseph de Nazareth (Jn. I, 45) ou encore: N'est-ce pas Jésus, le fils de Joseph ? Ne connaissons-nous pas son père et sa mère" (Jn. VI, 42).

Seuls les deux évangélistes, Matthieu et Luc, ajoutent une introduction à leur Évangile sur l'enfance de Jésus.

Matthieu nous raconte que Marie était fiancée à Joseph et qu'elle se trouva enceinte avant qu'ils n'aient cohabité. Joseph voulut répudier Marie, mais un ange lui apparut pour lui demander de n'en rien faire car "ce qui a été engendré en elle vient de l'Esprit Saint et elle enfantera un fils auquel tu donneras le nom de Jésus" (Matth.I, 18-21). Matthieu voit en cela la réalisation de la prophétie: Voici que la vierge concevra et enfantera un fils auquel on donnera le nom d'Emmanuel (Isaie VII, 14). Le texte grec de la Septante porte en effet le mot vierge (parthenos), mais le texte hébreu porte le mot "halamah" dont la traduction grecque aurait dû être "neanis" (jeune femme) et non le mot "béthoulah" qui signifie vierge. Partout ailleurs dans l'Ancien Testament, "halamah" est traduit par "neanis".

Luc reprend la même tradition dans son premier chapitre, encore que l'on s'est demandé si le texte de Luc n'a pas été interpolé. Luc raconte la vision de Marie à qui l'ange annonce qu'elle sera enceinte et qu'elle enfantera un fils, qu'elle l'appellera Jésus et qu'il montera sur le trône de David, son père. Luc reprend donc ici la tradition de la descendance de Jésus vers David par Joseph. Le verset 36 met la grossesse de Marie en parallèle avec celle d'Élisabeth. C'est une suite normale du verset 33. Entre les deux s'intercalent les versets 34-35 où Marie fait part de son étonnement en affirmant qu'elle est vierge. L'ange lui répond qu'elle sera couverte par l'Esprit saint, que son fils sera saint et appelé fils de Dieu.

Une telle tradition était impensable en milieu juif, car les anciennes traditions sémitiques connaissant une déesse-mère, vierge, n'avaient plus d'écho en Israël au début de notre ère.

Trois interprétations se sont développées par la suite concernant la naissance virginale:

1° Helvidienne, soutenue par Delvidius. Jésus est l'aîné des enfants de Joseph et de Marie.

2° Epiphanienne, soutenue par Saint Epiphane: les frères et les soeurs de Jésus sont issus d'un premier mariage de Joseph.

3° Hiéronymienne, soutenue par Saint Jérôme. Les frères et les soeurs de Jésus sont ses cousins et cousines, enfants de Clopas, frère de Joseph, et de sa femme qui s'appelait aussi Marie.

C'est finalement la troisième interprétation qui a prévalu dans l'Église, ce qui provoqua plusieurs controverses au sujet de la Vierge Marie. Une des plus importantes fut l'opposition au Ve siècle entre l'évêque d'Alexandrie, Cyrille et l'évêque de Constantinople, Nestorius. Celui-ci ne voulut pas reconnaître à Marie le titre de mère de Dieu (theotokos), car selon lui, elle n'était que la mère de Jésus. À la limite, il admettait qu'elle était la mère du Christ (chistotokos). Cyrille chercha l'appui de l'évêque de Rome qui, sans trop se préoccuper du fond du conflit, s'empressa de soutenir l'évêque d'Alexandrie, car Constantinople était la grande rivale de Rome comme nouvelle capitale de l'empire.
Un concile fut convoqué à Ephèse où les évêques, partisans de Cyrille, arrivèrent les premiers. Malgré l'absence des légats romains envoyés pour arbitrer le conflit et l'absence des évêques orientaux qui n'étaient pas encore arrivés, Cyrille voulut en finir rapidement et convoqua le concile en dépit de la protestation de nombreux évêques. Une partie seulement des évêques accepta de se réunir et Cyrille fit condamner les thèses de Nestorius.
Lorsque les évêques orientaux, partisans de Nestorius, arrivèrent, ils répliquèrent de la même manière. Toujours à la hâte et sans examiner le fond du problème, ils condamnèrent Cyrille et l'évêque d'Ephèse pour les procédés pour le moins illégaux dont ils avaient usé. Ils condamnèrent également les thèses de Cyrille. Lorsque les légats romains arrivèrent, il était trop tard. Le concile était scindé en deux et chacun siégeait sans se préoccuper de l'autre. Cette lamentable histoire est connue dans l'histoire de l'Église sous l'appellation: "Brigandage d'Ephèse". Les partisans de Nestorius se réfugièrent en Mésopotamie et en Perse où l'Église nestorienne fut florissante jusqu'à la conquête de l'islam. Les chrétiens qui vivent encore en Iran sont en majorité des nestoriens.

Le culte de Marie se développa au cours des siècles suivants. Au VIe siècle, Grégoire de Tour laisse déjà supposer la notion de l'assomption qui ne fut érigée en dogme qu'en 1950 par Pie XII: "Marie a été préservée.... de la corruption du tombeau... et a été élevée en corps et en âme à la gloire céleste."

Dès le onzième siècle, Anselme de Bec est à l'origine de la notion d'immaculée conception. Cette notion est reprise par Pierre Abélard au XIIe siècle malgré les réticences de Bernard de Clairvaux. Finalement le dogme de l'immaculée conception fut proclamé par Pie IX en 1850: Marie "appartient pleinement au peuple des rachetés... Comme nous tous, elle a été libérée du péché et sauvée par le Christ. Mais le salut lui vint déjà, dès le premier instant de sa conception, par anticipation de la mort et de la résurrection de son fils."

Il ne faut pas confondre le dogme de l'immaculée conception avec la conception virginale du Christ. Le dogme de l'immaculée conception concerne le fait que Marie est conçue en étant affranchie du péché originel, contrairement aux autres hommes qui sont conçus avec la marque du péché originel dont ils ne peuvent être lavés que par le baptême. La conception virginale est le fait que Marie a enfanté Jésus en restant vierge, avant, pendant et après la naissance de Jésus.


F. La famille de Jésus

Il est en effet question dans les Évangiles des frères et des soeurs de Jésus. Sa mère s'appelait Mariam, selon la tradition ancienne. Elle semble être rattachée à la Maison d'Aaron. Quant à Joseph, il est totalement ignoré de Marc. "N'est-ce pas le charpentier, le fils de Marie et le frère de Jacques, de Josès, de Jude et de Siméon et ses soeurs ne sont-elles pas ici chez nous" (Marc VI, 3). Matthieu reprend le même texte, sauf qu'il dit que Jésus est le fils du charpentier (Matth. XIII, 55), ainsi que Luc (Lc IV, 22). On ne peut donc guère contester que Jésus ait eu des frères et des soeurs, car le terme grec (adelphos) ne permet pas d'autre interprétation.


G. La Résurrection

L'analyse des informations contenues dans le Nouveau Testament doit examiner trois questions:
- la mise au tombeau
- la découverte du tombeau vide
- les témoignages concernant le ressuscité.


a. La mise au tombeau

Les textes pris dans un ordre chronologique peuvent se résumer comme suit:

1° Paul (1 Cor XV, 3-4): Jésus a été enseveli. Paul ne donne pas d'autre détail.

2° Actes XIII, 29: Les Juifs descendent Jésus de la Croix et mettent le cadavre dans un tombeau.

3° Urmarcus (reconstitution hypothétique): Jésus est mis au tombeau par un Juif, homme de bien et puissant.

4° Marc (XV, 42-47) donne des détails supplémentaires qui s'ajoutent à l'Urmarcus:
- le Juif est Joseph d'Arimathie, membre du Sanhédrin, qui attendait la venue du Royaume de
Dieu.
- Pilate s'étonne que Jésus soit déjà mort.
- Présence de Marie de Magdala et de Marie de José.

5° Matthieu (XXVII, 57-61) simplifie le récit de Marc et utilise l'Urmarcus.
- Le Juif, Joseph, est seulement un homme riche car dans la communauté de Matthieu, on aurait pu s'étonner que ce soit un membre du Sanhédrin qui ensevelisse Jésus. Pour Matthieu, Joseph est un disciple de Jésus. Matthieu précise que le tombeau appartenait à Joseph et qu'il était neuf.

6° Luc (XXIII, 50-56) supprime l'étonnement de Pilate et précise qu'Arimathie est une ville des Juifs car les lecteurs de Luc ignorent tout de la géographie de la Palestine. Les aromates sont préparés par les femmes.

7° Jean (XIX, 32-42) ajoute des informations:
- Joseph est disciple de Jésus, mais en secret.
- Joseph a un collaborateur, Nicodème, que Jean a déjà présenté comme chef des Juifs (III, 1).
- C'est Nicodème qui prépare les aromates.
- L'ensevelissement est provisoire car l'heure est tardive.

Conclusion: La tradition primitive ne connaît qu'une mise au tombeau par des Juifs. Aussi le lieu reste-t-il inconnu de l'antiquité chrétienne (du moins aucun texte n'en parle) et il faut attendre 326, sous Constantin, pour que le tombeau soit redécouvert par inspiration du Sauveur et à la suite d'avertissements et de suggestions de Dieu (Eusèbe: Vita Const., III, 26). Pourquoi donc les détails qui s'ajoutent dans les synoptiques et chez Jean, sinon pour préparer la découverte du tombeau vide, préparation pratiquement avouée par Matthieu (XXVII, 62-66) qui est le seul à raconter que les Grands Prêtres et les Pharisiens vont demander à Pilate de mettre une garde devant le tombeau pour empêcher les disciples d'enlever le corps et prétendre que Jésus est ressuscité comme il l'a annoncé.


b. Découverte du tombeau vide

* Récit de Marc (XVI, 1-8). Le dimanche matin les saintes femmes (Marie de Magdala, Marie, mère de Jacques et Salomé) vont au tombeau. Elles trouvent la pierre ôtée et constatent que Jésus a disparu. À sa place, elles voient un jeune homme vêtu d'une robe blanche qui leur annonce la résurrection, leur enjoint d'aller prévenir les apôtres de se rassembler en Galilée où Jésus les attend.

Il y a tout lieu de croire que ce début du chapitre XVI est ajouté à l'Urmarcus qui finissait avec le chapitre XV et la mise au tombeau de Jésus par un Juif. Quant à la suite du chapitre XVI, elle est un ajout supplémentaire et ultérieur comme le démontrent les plus anciens manuscrits.

La résurrection elle-même n'est racontée dans aucun des Évangiles canoniques. Plus tard, les chrétiens éprouveront la nécessité de combler cette lacune, d'où les récits dans les évangiles apocryphes.

* Pour Matthieu (XXVIII, 1-10), les deux Maries vont au tombeau qui est toujours fermé. Alors se produit un grand tremblement de terre et, dans un grand fracas, un ange descend du ciel. Celui-ci roule la pierre et effraie les gardes qui en sont pétrifiés (Matthieu est, en effet, le seul à avoir placé des gardes devant le tombeau). L'ange leur tient un discours que nous retrouvons dans l'ajout de Marc au chapitre XVI. Quant aux femmes, elles s'empressent d'aller vers les disciples et Jésus leur apparaît sur le chemin.

* Chez Luc (XXIV, 1-11), le tremblement de terre et les gardes disparaissent. D'ailleurs, les femmes trouvent le tombeau ouvert et vide. Deux anges leur apparaissent et leur disent d'aller rappeler aux disciples que Jésus leur avait annoncé sa résurrection. Aucune allusion à la Galilée. Les disciples ont totalement oublié ces prédictions puisqu'ils se montrent incrédules.

* Pour Jean (XX, 1-18), il n'y a que Marie de Magdala à se rendre au tombeau qu'elle trouve vide. Elle court en informer Pierre qui, avec le disciple bien-aimé, s'empresse de venir constater la disparition de Jésus. Après leur départ, Marie de Magdala reste seule à pleurer le disparu lorsque deux anges lui demandent pourquoi elle pleure. Elle se retourne et voit Jésus derrière elle, qui lui demande d'aller dire aux disciples qu'il remonte vers son père.

* Tous ces détails qui ne s'accordent pas entre eux, vont encore s'amplifier pour aboutir au merveilleux récit de "l'évangile apocryphe de Pierre". Les scribes, les pharisiens, les prêtres, après avoir vu mourir Jésus, sont persuadés qu'ils ont crucifié un juste. Ils craignent que leur erreur ne soit connue. Aussi demande-t-il à Pilate de placer une garde nombreuse devant le tombeau et de renforcer la fermeture de celui-ci par une lourde pierre et d'apposer des scellés. Le samedi matin, une grande foule monte de Jérusalem pour aller constater la présence de la pierre et des scellés. Mais cela ne sert à rien car le dimanche, la résurrection se produit de manière triomphante.
"Or, dans la nuit où se lève le dimanche, tandis que les soldats montaient la garde deux par deux à tour de rôle, il se fit un grand bruit dans le ciel. Et ils virent les cieux ouverts et deux hommes en descendre, resplendissants de lumière, et s'approcher du tombeau. Or la pierre qu'on avait renversée devant la porte, roulant d'elle-même, se retira sur le côté. Le sépulcre s'ouvrit et les deux jeunes gens y entrèrent. À cette vue, les soldats réveillèrent le centurion et les anciens, qui étaient là aussi, faisant la garde. Comme ils racontaient ce qu'ils avaient vu, ils virent de nouveau trois hommes sortir du tombeau: les deux (jeunes gens) soutenaient l'autre et une croix les suivait. La tête des deux premiers atteignait le ciel, mais celle de celui qu'ils conduisaient dépassait les cieux..." (Extrait de l'évangile de Pierre).

* Paul ignore tout cela. Rappelons qu'il est le premier à écrire, bien avant les évangélistes. Sa foi ne se fonde pas sur la découverte du tombeau vide, événement qu'il ignore, mais sur la notion de la résurrection elle-même, qu'il conçoit comme la concevaient les pharisiens pour la résurrection des justes. Pour Paul, Jésus bénéficie de cette résurrection en premier lieu et avant tous les autres, mais bientôt il reviendra pour que s'accomplisse la résurrection de tous les croyants, les vivants comme les morts. Les Actes, dans les deux prédications, celle de Pierre (2, 14-36) et celle de Paul (13, 16-41) confirment cette perspective, trace de la conception judéo-chrétienne.


c. Les apparitions

Le document le plus ancien qui fait état d'apparitions est une lettre de Paul (1 Cor. XV, 3 et ss.). Paul connaît cela par la tradition. On lui a dit que Jésus est apparu (Paul dit "ophthè", il a été vu) à Képhas (Pierre), puis aux douze, ensuite à cinq cents apôtres. Plus tard, il est apparu à Jacques, ensuite à tous les apôtres. Enfin, il est apparu à Paul lui-même (ophthè kamoi, il a été vu par moi aussi). Il est dommage que Paul ne nous donne aucun détail sur ce genre d'apparition dont il a été l'objet. Sans doute faut-il la comprendre à la lumière de l'expérience mystique de sa conversion qu'il nous raconte (2 Cor. XXII, 2). Il a été ravi, soit dans son corps, soit en dehors de son corps, il ne le sait pas, et il a été enlevé au troisième ciel qui, pour les gens de l'époque, était le paradis. Est-ce ainsi qu'il a vu le ressuscité, non pas comme un homme vivant sur la terre, mais comme un être glorieux vivant au ciel ? Il faut rapprocher cela de l'idée que Paul se fait de la résurrection: "il y a des corps célestes et des corps terrestres... le corps terrestre est semé corruptible, il ressuscite incorruptible... semé corps animal, il ressuscite corps spirituel (1 Cor. IX, 1)."

La première résurrection est celle du Christ, les prémices ; ensuite ce sera le tour de ceux qui appartiennent au Christ, lors de sa venue ; enfin la résurrection sera généralisée lorsque la fin viendra par la remise de la royauté à Dieu le Père, après avoir détruit toute domination, toute autorité, toute puissance (1 Cor. XII, 23).

* Les Actes, qui ne sont plus le témoignage direct de Paul, mais le récit qu'en fait Luc et surtout celui qui a remanié le récit de Luc, nous donne trois versions de la conversion de Paul, ce qui témoigne du caractère composite du texte. Ce que Paul voit, c'est une lumière, ce qu'il entend c'est une voix. Dans les lettres de Paul, comme dans les Actes, il n'est nulle part question d'une rencontre de Paul avec un Jésus ressuscité physiquement.

* Marc ne nous apprend rien, car son récit est ajouté par un copiste (XVI, à partir de 9). Cette finale ne se trouve pas dans les manuscrits les plus anciens (les meilleurs selon l'édition oecuménique du Nouveau Testament dans le Livre de Poche 1977). Peut-être y avait-il une autre finale parlant des apparitions en Galilée dans la foulée de XIV, 28 où Jésus annonce qu'après sa résurrection, il précédera ses disciples en Galilée. Si cette finale a existé, elle a été remplacée par celle que nous trouvons dans le texte actuel et qui est un résumé de ce qui se trouve dans les autres Évangiles lorsque l'accent est mis sur la résurrection à Jérusalem et non en Galilée.

* Matthieu s'inscrit encore dans la tradition galiléenne. Jésus n'apparaît que furtivement aux femmes qui sont affolées. Jésus les salue et les apaise, leur demandant d'aller dire aux disciples de se rendre en Galilée. Ayant quitté le tombeau, elles courent porter aux disciples la nouvelle de la disparition de Jésus et leur dire ce que l'ange leur a demandé: aller en Galilée. Matthieu insère donc dans le récit de Marc une apparition de Jésus aux femmes, sans se rendre compte du double emploi avec l'intervention de l'ange. Les disciples se rendent donc en Galilée et lorsqu'ils arrivent sur la montagne du Seigneur, ils le voient et reçoivent son commandement d'aller enseigner les nations et sa promesse d'être toujours à leurs côtés jusqu'à la fin des temps.

* Marc (notre Marc actuel, sans doute pas l'Urmarcus) et Matthieu amplifient le donné venu de la tradition ancienne. Les apôtres, déçus, désemparés, par la mort infamante de Jésus, quittent Jérusalem pour retourner dans leur pays, la Galilée. Là, ils se retrouvent pour évoquer les moments passés avec Jésus. De plus en plus, l'idée que la mission de Jésus n'a pas été vaine s'impose à eux. Ils sont persuadés que Jésus vit toujours parmi eux, sinon physiquement, du moins en esprit et qu'ils peuvent le revoir en pensée. La nécessité de vivre son enseignement devient évidente pour eux et surtout la foi en son retour imminent. Ils doivent donc retourner à Jérusalem car c'est là qu'il doit revenir. À ceux qui ont gardé le souvenir de Jésus et ensuite à d'autres, ils communiquent leur foi. Ainsi naît la tradition de la résurrection physique qu'il faut prouver par des témoignages, car la seule foi en la présence spirituelle et mystique s'avère insuffisante.

* Luc ignore totalement la tradition galiléenne, primitive. Il a déjà supprimé de son Évangile la prédiction de Jésus, lors de la dernière cène, concernant sa réapparition en Galilée après sa résurrection. Jésus apparaît, en effet, à deux disciples sur le chemin d'Emmaüs, qui d'ailleurs ne reconnaissent Jésus qu'à la façon dont il rompt le pain lorsque plus tard, il mange avec eux. Ils se rendent immédiatement auprès des Onze qui étaient rassemblés et qui savent déjà que Jésus est ressuscité car il est apparu à Simon (Pierre). Jésus leur apparaît alors, en chair et en os. Avec Luc, la tradition franchit un pas de plus dans l'optique de la résurrection de la chair.

* Jean ignore l'épisode des disciples d'Emmaüs, mais comme Luc, il raconte l'apparition aux disciples rassemblés, sauf Thomas. Quand Thomas apprend cette apparition, il refuse d'y croire. Alors Jésus apparaît à nouveau et invite Thomas à mettre sa main dans la plaie de son côté (manière d'attester la réalité physique de l'apparition). L'évangéliste conclut son livre sur cet épisode (XX, 30-31). Par la suite une main étrangère ajoutera un chapitre (Ch. XXI) afin de réintroduire la tradition galiléenne des apparitions. Ce sera le récit de la pêche miraculeuse sur les bords du Lac de Tibériade. Ce récit existe aussi chez Luc, mais avant la résurrection.

* Les Actes viennent ajouter encore au merveilleux, en attendant que les apocryphes en fassent autant. Ils nous apprennent qu'après sa résurrection, Jésus resta quarante jours (nombre symbolique) avec ses disciples afin de leur parler du Royaume de Dieu. Il leur demande de ne pas quitter Jérusalem avant de recevoir le baptême de l'Esprit saint qui doit remplacer le baptême d'eau qu'ils ont déjà reçu (I, 3-5), ce qui prépare le récit de la Pentecôte du chapitre II. Ensuite Jésus s'élève vers le ciel et les disciples le voient disparaître. Alors deux hommes vêtus de blanc, sans doute des anges, leur confirment qu'il reviendra de la même façon qu'il vient de disparaître.

* Conclusion. Il ne faut pas nier l'importance de la foi en la résurrection. Certes, il ne s'agit pas d'un événement physique, mais il y eut un événement important, c'est la foi des disciples en la présence spirituelle de Jésus. Prêts à tout abandonner par désespoir, les disciples voient leur foi ressusciter et ils se lèvent pour répondre à l'appel de Jésus. Il n'est pas impossible qu'ils aient vécu des phénomènes mystiques, comme des visions, des rêves, semblables à ce que Paul nous décrit.
Cette tradition ancienne, purement judéo-chrétienne, n'aura sans doute pas un impact suffisant dans les milieux hellénisés vers lesquels le christianisme va se tourner. En terre grecque, on connaît bien les mythes des dieux qui meurent et qui ressuscitent. Jésus ne peut leur être inférieur en puissance. La résurrection spirituelle devient rapidement une résurrection corporelle. Ce n'est pas encore le cas chez Paul, car, ainsi que nous l'avons vu, Paul croit en l'existence de corps spirituels d'une autre nature que nos corps physiques et c'est dans un tel corps que Jésus a accédé à sa gloire. Lorsque les Évangiles seront rédigés, surtout dans leur version définitive, la croyance en une résurrection corporelle est déjà solidement implantée dans les Églises naissantes. Les témoignages sur la résurrection en sont l'expression.


III. Le Judéo-christianisme

La période qui suit immédiatement la mort de Jésus est très difficile, sinon impossible, à reconstituer. Nous n'avons aucun document de cette époque. Nous devons lire les documents rédigés ultérieurement pour essayer de comprendre cette période.

Deux textes évoquent pour nous les remous occasionnés par la rivalité entre l'apôtre Paul d'une part et ceux qui prétendent imposer l'observance des lois juives aux chrétiens. Il s'agit de l'Épître aux Galates de Paul et du chapitre XV des Actes.

Dans l'Épître aux Galates, Paul s'oppose à des adversaires qui sont des judéo-chrétiens. Nous retrouvons le récit de ces événements dans un deuxième texte à savoir les Actes, notamment au chapitre XV. Les Actes, dans la version que nous possédons, sont écrits bien longtemps après la mort des protagonistes, à une époque où il s'agit de démontrer l'unité de l'Église primitive. Le récit est donc d'un autre ton et si Paul va bien à Jérusalem pour exposer ses thèses, il n'y a plus de conflit, mais un accord général. Pierre lui-même tient un discours qui donne raison à Paul et Jacques l'approuve. En conclusion, les apôtres et les anciens avec l'Église entière décident d'envoyer des émissaires à Antioche avec une lettre qui blâme les fauteurs de troubles, certaines gens venus de chez nous sans mandat. Les païens convertis ne seront pas tenus d'observer les lois juives, comme la circoncision, mais seulement l'abstention des idolothytes, du sang, des viandes étouffées et de la fornication (Actes XV, 19-21).

Le débat sur l'existence du judéo-christianisme a été lancé au siècle passé, notamment par l'école de Tübingen en Allemagne avec Baur (mort en 1860) qui lance la fameuse thèse: l'Église ancienne est née de la synthèse d'une thèse: le judéo-christianisme prêché par Pierre et d'une antithèse: le pagano-christianisme prêché par Paul. Cela provoqua un choc qui divisa en deux camps les théologiens et les exégètes aussi bien chez les catholiques que chez les protestants. Il est généralement admis aujourd'hui que la forme première qu'a rencontrée le christianisme est le judéo-christianisme. Mais celui-ci n'est pas un courant uniforme. Tout au contraire, il se présente sous plusieurs aspects.

C'est ainsi que Daniélou distingue le judéo-christianisme orthodoxe du judéo-christianisme hérétique. Le premier est représenté par ces juifs convertis de l'Église de Jérusalem, regroupés autour des premiers apôtres, surtout Pierre et Jacques. Certes, ils n'ont pas abandonné la loi et les pratiques juives, mais ils croient en la messianité de Jésus, c'est-à-dire, selon Daniélou, en sa divinité. Cette dernière affirmation est d'ailleurs contestable car elle n'est étayée par aucun texte. Au contraire, certains passages des Actes semblent dire le contraire. "Jésus le Nazaréen, homme accrédité par Dieu par des miracles (II,22), Vous avez chargé le Saint et le Juste" (III,14), "Ils ont tué ceux qui prédisaient la venue du Juste" (VII,52).

Quant au judéo-christianisme hérétique dont parle Daniélou, il le voit dans les écrits apocryphes appelés "les écrits pseudo-clémentins" dans lesquels il est fait mention des ébionites. On peut contester cette distinction que fait Daniélou, car à cette époque, il n'y a pas d'autorité dans l'Église pour se prononcer sur une soi-disant orthodoxie et sur une hérésie. Pour Daniélou, ces judéo-chrétiens sont hérétiques parce qu'ils ne croient pas en la divinité de Jésus, ce qui apparaît très clairement dans les écrits dont il est question.

Ces textes sont censés avoir été écrits par Clément de Rome, le troisième successeur de Pierre à Rome selon Irénée de Lyon. Il s'agit peut-être du consul Titus Flavius Clemens, cousin de Domitien, exécuté par Domitien en 95 ou 96, pour "athéisme et moeurs juives" [16]. Clément fut l'auteur de lettres authentiques, notamment l'Épître aux Corinthiens, écrite vers 95, mais les autres écrits dont il est question ici, sont postérieurs et par conséquent faussement attribués à Clément. Dans ces écrits, Clément est présenté comme un compagnon de Pierre qui l'a converti.

Pour l'essentiel, nous y trouvons:
- la doctrine de l'unité absolue de Dieu, conforme au monothéisme juif ;
- la doctrine du véritable prophète qui s'incarne dans les grands personnages de l'histoire religieuse de l'humanité: Adam, Moïse, Jésus ;
- la doctrine des couples, selon laquelle tout va par groupe de deux, un bon et un mauvais (influence gnostique).

Tout se passe dans une ambiance missionnaire qui s'adresse aux païens et aux juifs. Dans les éditions définitives (corrigées), Paul est absent du récit, et l'adversaire de Pierre est Simon de Samarie, mais tout le monde s'accorde pour reconnaître Paul en Simon.

Contrairement à ce que pense Daniélou, Schoeps et Cullmann, il n'y a guère de différence entre ces judéo-chrétiens de Rome et ceux de Jérusalem. En réalité, ceux-ci ont essaimé et fondé des communautés par leur activité missionnaire. La doctrine d'origine strictement juive, sauf la croyance en Jésus comme Messie, n'avait aucune chance de survie. Dans cette optique le judéo-christianisme n'aurait été qu'une secte juive. Elle a été perçue comme telle dans l'Antiquité, puis déclarée hérétique par l'Église postérieure. Elle n'en a pas moins subsisté jusqu'au cours du IIe siècle et influencé le christianisme. Elle a laissé des traces dans les écrits canoniques, non seulement dans les Actes, comme nous l'avons vu, mais aussi dans les Évangiles canoniques.

Deux thèmes essentiels du christianisme sont d'origine juive: la sagesse et le messianisme. Les premiers chrétiens de Jérusalem nous sont présentés comme vivant en communauté spirituelle et matérielle (Actes II, 42-47 ; IV, 32-37 ; V, 12-16). Pensons aux esséniens. Ils s'efforcent de vivre d'une manière qui ressemble au message des Évangiles et spécialement à celui des Béatitudes (Matthieu V, 1-12) qui renverse l'ordre habituel des valeurs: "Bienheureux les pauvres, les doux, les affligés", etc.

Nous possédons un livre syro-palestinien qui s'appelle la Didaché qui est un témoignage sur la vie de ces groupes. Il y a une double sagesse: une sagesse apocalyptique, qui consiste à connaître ce qui concerne la fin du monde, et la sagesse de vie, qui consiste à mener dés à présent une vie conforme à celle de l'au-delà. Cette sagesse n'est pas réservée à quelques privilégiés, mais elle concerne tous les chrétiens.

Quant au messianisme, c'est l'attente du Messie, le Masiah en hébreu, Christos en grec. Le mot signifie "celui qui est oint" et il s'applique tout d'abord:
- aux prophètes (I Rois XIX, 16),
- aux rois (I Samuel X,1, Saül, XXIV, 7),
- aux prêtres (Lévitique XXI, 10-21),
- à Cyrus, roi des Perses (Isaïe, XLV, 1).

À partir du IIe siècle av. J-C, le terme s'individualise et désigne le personnage qui va prendre le pouvoir au nom de Dieu (Daniel IX, 25-26) et qui sera aussi appelé "Fils de l'homme". "Voici venant sur les nuées comme un fils d'homme" (Daniel VII, 13). Dans les deux derniers siècles avant le début de l'ère chrétienne, une littérature abondante, les apocryphes de l'Ancien Testament (les textes intertestamentaires), nous présente ce messianisme sous de multiples formes qui se ramènent généralement au schéma suivant:

* monde présent
-- 1ère fin du monde
* monde intermédiaire
-- 2eme fin du monde
* monde futur

Le Messie est d'abord le prophète annoncé par Moïse "Yahvé te suscitera un prophète tel que moi""(Deutéronome XVIII, 15). Voir l'Assomption de Moïse.

Le Messie est le nouveau grand prêtre:
- Testament des Patriarches,
- Qum'ran, (la Règle IX, 11).

La forme la plus répandue est celle du Messie royal, celui qui sera le roi légitime et définitif:
- Hénoch éthiopien, les Oracles Sibyllins, les Psaumes de Salomon, le Baruch syriaque, le Quatrième Esdras.

Apparaît enfin un Messie céleste s'inspirant de Daniel (VII, 13), l'Élu de Dieu, le Fils de l'Homme, comme dans les Paraboles d'Hénoch. C'est un sauveur transcendant, d'origine céleste, caché auprès de Dieu et révélé pour le jugement eschatologique. Il est proche de Dieu et connaît tous les secrets divins.

Toutes ces notions d'origine juive font partie des croyances judéo-chrétiennes et se retrouvent dans les textes canoniques, car lorsque ceux-ci seront écrits, la tradition en aura conservé l'essentiel et les auteurs des Évangiles ne pourront y échapper. Cette tradition se retrouvera à l'arrière plan de la tradition synoptique, et même de la tradition johannique.

Si le judéo-christianisme n'a pas survécu en tant qu'Église organisée, sa pensée a marqué les autres courants chrétiens.

Le judéo-christianisme est né en Galilée, patrie de Jésus, mais nous n'avons pas de texte qui nous permette de le décrire exactement. Selon certains exégètes, une première version de l'Évangile de Marc, "l'Urmarcus" aurait été rédigée dans cette ambiance galiléenne, avant d'être remanié plus tard à Rome pour donner notre Évangile actuel. Celui-ci n'en conserve pas moins des traces importantes de ce christianisme galiléen, antérieur sans doute au christianisme judéen.

Le message essentiel de Jésus est d'annoncer l'imminence du "Royaume de Dieu" en qualité de prophète (Marc VI, 15, 8, 28), mais aussi en qualité de "Seigneur" (VII, 28, XI,3), titre qui conserve ici son sens d'origine, à savoir "Maître". Jésus recevra également trois titres messianiques:
- Fils de David (X, 47-48).
- Fils de Dieu, à maintes reprises, au sens sémitique des Livres de Sagesse, à savoir une relation d'intimité entre le Juste et le Père créateur.
- Fils de l'homme, au sens de Messie transcendant selon Daniel (VII, 13).

Deux personnages sont à mettre en exergue pour comprendre la pensée judéo-chrétienne, il s'agit de Jacques et de Pierre.


A) Jacques

Il y a trois Jacques dans le Nouveau Testament:

- Jacques le majeur, frère de Jean, apôtre, mis à mort en 44 sur ordre d'Hérode-Agrippa Ier. (Actes XII, 1).

- Jacques, fils d'Alphée et de Marie, frère de Joseph, également cité comme apôtre par Matthieu (XXVII, 56).

- Jacques le mineur, frère de Jésus (Gal. I, 19), cité dans Marc (VI, 3) et dans Matthieu (XIII, 55) et dont il est ici question car il apparaît comme le chef des Douze à Jérusalem. C'est lui, au côté de Pierre, qui défendra le point de vue des Hébreux contre Paul. Nous le connaissons également par Eusèbe (Histoire ecclésiastique, II, 23) qui l'appelle Jacques, "le Juste" et "le rempart du peuple". C'est Eusèbe qui nous apprend qu'il fut jeté du haut du Temple par les Pharisiens, vers 61-62, détail confirmé par Flavius Josèphe dans "Antiquités Juives" (XX, 2, 1).

Le Nouveau Testament fait peu de place à Jacques, afin de mettre en valeur les positions de Paul et de Pierre. Par contre Clément d'Alexandrie (vers 190) affirme dans les Hypotyposes que Jacques reçut avant Pierre et Jean, la doctrine secrète du Christ ressuscité. Jacques est aussi le personnage le plus important de l'Église de Jérusalem, selon les Écrits pseudo-clémentins.

Dans l'évangile de Thomas, nous trouvons cette parole de Jésus (logion 12): "Vers qui irons-nous, quand tu ne seras plus là ?", demandent les disciples. "Allez vers Jacques le Juste, à cause de qui le ciel et la terre ont été faits" répond Jésus.

Eusèbe nous dit que Jacques est au centre d'un parti, les Hébreux, qui selon Daniélou a tendance à accaparer l'Église.

Le Nouveau Testament contient une Épître de Jacques qui ne peut être attribuée qu'à un groupe de Judéo-Chrétiens sinon à Jacques lui-même. Les données vraiment chrétiennes y sont rares (seulement deux mentions de Jésus, I, 1 et II, 1). C'est une synthèse de la doctrine des livres de Sagesse pour un groupe de pauvres qui répudient la richesse et doivent vivre selon le modèle de Job. C'est par les oeuvres qu'il faut réaliser son salut, ce qui s'oppose aux doctrines pauliniennes où c'est la foi qui sauve avant tout. Cette lettre pourrait dater de 45-50, c'est-à-dire après le "concile" de Jérusalem ou de 55-60, comme une réponse aux lettres aux Galates et aux Romains. C'est en tout cas, un témoignage à l'influence judéo-chrétienne, qui a fini par trouver sa place dans le Nouveau Testament, sans doute parce qu'au IIIe et au IVe siécles, le judéo-christianisme est encore influent en Égypte et en Syrie ainsi que l'attestent des textes apocryphes. C'est à la suite de la proclamation du christianisme comme religion d'état par Théodose en 380 que la tendance judéo-chrétienne sera rejetée.


B) Pierre

Pierre représente, sans doute, un judéo-christianisme moins radical que celui de Jacques. Il a porté la parole en dehors de Jérusalem, du moins selon les Actes X, (Conversion du centurion Corneille). Lors de sa visite à Antioche avant que n'arrivent les gens de Jérusalem, il mange avec les païens. Les Actes veulent le montrer sous un jour favorable. Selon cet ouvrage, Pierre est le fondateur de l'Église de Jérusalem. C'est lui qui prend le commandement et organise l'élection d'un douzième apôtre pour remplacer Judas et c'est lui qui tient les discours devant les juifs. Plus loin, on découvre qu'il n'est pas le seul et que la primauté revient plutôt à Jacques.

Dans le canon du Nouveau Testament, nous avons deux Épîtres dites de Pierre. Elles sont pseudépigraphes. L'une est "paulinienne", l'autre est modérément antipaulinienne. Elles sont tardives et il y eut beaucoup de réticences à les admettre dans le canon du Nouveau Testament.

Ce sont des écrits apocryphes qui nous parleront surtout de Pierre, comme l'apocalypse de Pierre ou les écrits pseudo-clémentins qui nous racontent les luttes que Pierre doit soutenir contre Simon de Samarie, qui n'est qu'un prête-nom pour Paul. Dans ces écrits, Jésus n'apparaît pas comme Fils de Dieu mais comme le Prophète dernier et définitif.

Ces écrits ont eu une grande influence sur l'iconographie et l'hagiographie et ont laissé bien des souvenirs, comme le voyage de Pierre à Rome, le "Domine, quo vadis", la crucifixion la tête en bas, alors que les textes canoniques des Actes, en ce qui concerne Pierre, s'arrêtent en l'an 50 à l'occasion de la rencontre avec Paul à Jérusalem (le Concile de Jérusalem).

Les trois discours de Pierre dans les Actes sont de toute manière un témoignage intéressant et reflètent sans doute, une tendance archaïque car ils vont à l'encontre de la tendance déjà admise en matière de christologie au moment où les Actes sont rédigés. Le premier discours a lieu immédiatement après la Pentecôte (Actes II, 14-36), le second se déroule dans le Temple (Actes III, 12-26) et le troisième devant les chefs du peuple d'Israël (Actes IV, 8-12). Ces discours reflètent la même christologie que celle contenue dans les écrits pseudo-clémentins: "Jésus le Nazoréen, cet homme à qui Dieu a rendu témoignage devant vous par les miracles, les prodiges et les signes qu'il a opérés par lui" (II, 22)... "Le Dieu de nos pères a glorifié son Serviteur Jésus... Vous avez refusé le Saint, le Juste" (III, 13-14).

Le judéo-christianisme n'est pas resté limité à la Palestine. Paul, son grand adversaire, le rencontre partout sur son passage. Le judéo-christianisme se manifesta à Rome où il eut une grande influence, comme nous l'avons déjà vu dans les écrits pseudo-clémentins. Un autre ouvrage en témoigne, le "Pasteur d'Hermas". Cet ouvrage sans doute commencé vers 95 sous le Pape Clément et terminé vers 140 ou 150, sous le Pape Pie Ier, selon le canon de Muratori, a fait partie des écrits inspirés. Il se trouve encore repris comme tel dans le Codex Sinaïticus. Il reflète un christianisme primitif, très sévère. Le nouveau converti, purifié de ses péchés, ne doit plus y retomber sous peine d'exclusion. Ceux toutefois qui sont "tombés" durant la persécution pourront bénéficier d'une "pénitence" unique et exceptionnelle qui leur permettra de rentrer en grâce.

L'ouvrage comprend:
- cinq visions durant lesquelles Hermas reçoit le message d'une matrone vénérable, qui se transforme en merveilleuse mariée, qui se révèle être l'Église ;
- douze commandements qui résument les exigences de la vie chrétienne ;
- dix paraboles où l'on trouve la christologie du Fils de Dieu appliquée au plus grand des Archanges ou à l'Esprit saint.


C) Conclusion

Le judéo-christianisme est représenté par une série de tendances qui tente d'expliquer la vie et la mission de Jésus. Les plus juives d'entre ces tendances disparaîtront assez rapidement car elles n'avaient aucun avenir. Les autres se chargeront de plusieurs nuances à cause de leur contact avec le monde hellénisé. Toutes ces "aïrésis" (au sens étymologique d'école et non au sens moderne d'hérésie) feront l'objet d'écrits rejetés plus tard comme apocryphes, mais influenceront aussi les textes canoniques. Ils seront le point de départ des Évangiles synoptiques, notamment chez Marc, témoin du judéo-christianisme galiléen, chez Matthieu, témoin du christianisme judéen, avant d'être marqué par des traits pauliniens dans l'Évangile de Luc et dans les Actes. Se propageant en terre grecque, ce judéo-christianisme devra s'adapter pour donner le courant johannique avec sa théologie plus philosophique. Enfin, il se manifestera de multiples façons dans les courants gnostiques en se chargeant d'éléments étrangers au christianisme.


IV. Les Évangiles synoptiques

Papias, Evêque d'Hiérapolis en 140, déclare, selon le témoignage d'Eusèbe (Histoire Ecclésiastique): "Marc a rassemblé des faits, mais ne les a pas classés dans l'ordre chronologique véritable. Mathieu aurait rassemblé en araméen les paroles du Seigneur, puis, avec l'aide des traditions verbales dont il disposait, les aurait interprétées aussi bien qu'il pouvait". Quant à Papias lui-même, il cherche encore à connaître les faits et le discours de Jésus en interrogeant les anciens de sa génération: "Mais, lorsque quelque homme de la suite des Aînés venait, j'avais coutume de m'enquérir des paroles des Aînés. Qu'avait dit André, ou Pierre, ou Philippe, Thomas, Jacques, Jean, Matthieu, ou quelque autre disciple du Seigneur ? Après, je demandais ce que disaient Aristion ou le Presbyteros Johannes, disciples du Seigneur".

De ces déclarations de Papias, on retiendra qu'il cite Marc comme étant l'auteur de récits concernant Jésus. La tradition voit dans ce Marc, Jean-Marc, le compagnon de Barnabé et de Paul dans le premier voyage missionnaire qu'ils firent ensemble. Dans son second voyage, Paul prit encore Marc avec lui, mais il s'en sépara rapidement car les deux hommes furent rapidement en désaccord quant à la doctrine à enseigner. Marc passe pour avoir défendu les idées de Pierre. Ce lien entre Pierre et Marc est attesté par Irénée, évêque de Lyon et par Clément d'Alexandrie qui ajoute cependant que Pierre n'a ni cautionné, ni désapprouvé, le travail de Marc. "Après leur mort (celle de Pierre et de Paul), Marc, disciple et interprète de Pierre, nous a transmis par écrit ce qui avait été prêché par Pierre" (Irénée, Adv. Haer. III, 1, 1).

Papias cite également Matthieu en qui la tradition voit un disciple de Jésus. À l'origine, il s'appelait Levi et était le collecteur d'impôts qui suivit Jésus. Ce Matthieu, selon Papias, s'est surtout occupé de rassembler les paroles de Jésus dans la langue de celui-ci, l'araméen, et d'en faire une interprétation, c'est-à-dire une traduction en grec.

Quant à Jean, Papias mentionne deux personnages distincts: Jean l'apôtre et Jean le presbytre. Lequel est l'auteur du quatrième Évangile et lequel est l'auteur de l'Apocalypse ? En sont-ils d'ailleurs les auteurs ? Les questions restent posées.

Selon la tradition, c'est Matthieu qui aurait écrit le premier Évangile. Cette thèse, attestée chez Irénée de Lyon vers 180, n'a plus guère de partisans aujourd'hui, depuis les travaux de l'école de la "Formgeschichte" née en Allemagne. Karl Ludwig Schmidt écrit que les Évangiles ne sont pas de véritables biographies de Jésus, car le cadre des Évangiles est artificiel et secondaire. Pour Martin Dibélius, il s'agit de retracer "l'histoire des formes" littéraires qu'ont prises les petites unités de la tradition évangélique. C'est surtout Rudolf Bultmann qui en est le principal théoricien.

Les petites unités dont il est question sont:
- les récits de miracles,
- les dires (logia),
- les prophéties,
- les lois et les règles de la communauté,
- les paraboles (histoires racontées à des fins pédagogiques).

Entre les années 30 et 50, ces éléments sont transmis oralement, encore que certains aient déjà pu être mis par écrit. Entre 50 et 70 apparaissent les premiers textes, mais qui ne nous apprennent rien sur la vie de Jésus, comme les Épîtres de Paul. Par la suite, des auteurs rassemblent les sources existantes pour en faire des récits qui s'appelleront Évangiles.

Selon la plupart des historiens et des exégètes actuels, il existait deux types de sources:

- D'une part, une série de petits récits que Marc aurait rassemblés, selon Papias, pour écrire une histoire de la prédication de Jésus, mais qui ne respecterait pas l'ordre chronologique. Certains situent cet événement aux environs de l'an 66. Il pourrait être l'oeuvre d'un Galiléen écrivant pour des Galiléens. Cette première version serait ce qui est appelé l'Urmarcus. On n'a malheureusement aucun manuscrit avec ce texte. C'est donc une hypothèse. Dans ce cas, notre Évangile actuel en serait une version remaniée, peut-être simplifiée, rédigée en grec à Alexandrie selon certains, en Syrie selon l'hypothèse la plus admise actuellement, ou à Rome selon la tradition. L'Urmarcus ou le texte actuel a été utilisé par Matthieu et par Luc comme base de leur Évangile.

- D'autre part, une série de paroles du Seigneur (les logia) qui auraient existé en araméen, ensuite traduites en grec. Peut-être existait-il plusieurs traductions quelque peu différentes.

C'est ce que l'on appelle la source Q utilisée par Matthieu et par Luc, de façon indépendante. Matthieu et Luc ont inséré dans le texte de Marc, mais de manière différente, des éléments venant de cette source. Cela explique les passages semblables chez Matthieu et chez Luc qui ne se trouvent pas dans Marc. De plus, les deux évangélistes ont ajouté au récit de Marc une introduction et une fin. L'introduction concerne la naissance de Jésus, et son enfance chez Luc et la fin concerne les récits de la résurrection. De cette source Q, nous n'avons pas non plus de témoignages écrits. C'est cependant une hypothèse généralement admise aujourd'hui.

En plus de ces deux sources principales, Matthieu et Luc connaissent des traditions qui leur sont propres à chacun. Il existe, en effet, des éléments insérés de-ci de-là par Matthieu et par Luc dans leur Évangile et qu'ils sont les seuls à connaître.

La tradition synoptique montre également une évolution dans l'idée que l'auteur se fait de la personne de Jésus, au fur et à mesure que l'on change de milieu pour lequel l'Évangile est rédigé. Nous sommes, en effet, en présence de deux communautés qui existent l'une à côté de l'autre. La première communauté est celle des judéo-chrétiens qui sont persuadés que la fin du monde est proche. Il faut donc convertir à l'entour de soi en enseignant comment Jésus est venu, comment il est mort selon les Écritures. Pour être digne du Royaume qui va arriver, il faut vivre selon la loi et les obligations juives. L'autre communauté est constituée de pagano-chrétiens qui pensent que l'Ancien Testament doit être compris allégoriquement et qu'il n'y a pas lieu de suivre les obligations et les interdits de la loi juive. Ce sera un point de discorde entre Paul et les douze. Les Évangiles seront écrits en fonction du groupe prépondérant dans la communauté que l'auteur côtoyait.


A. L'Évangile selon Marc

Dans l'Évangile selon Marc, Jésus est présenté de manière à être compris à la fois par les judéo-chrétiens qui voient en lui, surtout un prophète et un Messie et par les pagano-chrétiens qui voient en lui un homme divin, c'est-à-dire un homme adopté par Dieu. Il semble que l'auteur écrit dans une communauté qui n'est pas encore sûre de son destin, car il insiste beaucoup sur le secret messianique. Tout ce que Jésus fait ne doit pas être raconté, mais doit être tenu secret. L'influence du judéo-christianisme est encore très présente dans cet Évangile, ce qui ne doit pas étonner puisque Marc passe pour avoir été le compagnon de Pierre, personnage important, sinon principal, dans les documents judéo-chrétiens. Mais le rédacteur du texte que nous connaissons vit dans la diaspora juive, à Alexandrie ou plus probablement en Syrie ou même à Rome. Il est donc déjà marqué par le fait que le christianisme primitif a pénétré en terre grecque et se trouve influencé par des éléments venant du milieu grec dans lequel il se développe. Néanmoins la figure de Jésus reste assez fidèle à la conception juive:
1°. Il est un "homme divin", adopté par Dieu au moment de son baptême: La voix qui descend des cieux dit: Tu es mon fils bien-aimé, il m'a plu de te choisir (Mc, 1,11). Sa mission est simple. Elle se passe en Galilée et se résume en ces mots: Le temps est accompli et le règne de Dieu s'est approché: convertissez-vous et croyez à l'Évangile (la bonne nouvelle) (Mc 1,15). L'attente de la parousie y est particulièrement développée. Le thème du Royaume apparaît une quinzaine de fois, soit de manière directe pour les disciples ou en paraboles pour les autres. (Parabole du semeur, IV, 33-34 ; du grain de blé, IV, 26 ou du grain de sénevé, IV, 30-32).

2°. Il est "Prophète" (VI,15 ; VIII, 28) et "Seigneur" (VII, 28 ; XI, 3) traduction grecque du mot araméen "maître".

Il reçoit en outre trois titres messianiques:

- il est Fils de David, encore que ce titre ne lui est donné qu'une seule fois (X, 47-48) ;
- il est le Fils de Dieu. (I, 11 ; III, 11 ; V, 7 ; IX, 7 ; XV, 39). Sans doute Marc conçoit-il ce titre dans le sens sémitique originel, à savoir le saint et le juste, qui fait de l'homme un fils de Dieu ;

- il est aussi le Fils de l'homme (II, 10 et XXVIII, 14-62) et surtout dans le chapitre XIII, appelé l'apocalypse des synoptiques, véritable résumé du message galiléen de Jésus. Ceci montre que Marc est influencé par les courants eschatologiques d'un certain judaïsme, car le fils de l'homme est plus qu'un homme divin, c'est un personnage céleste, une sorte d'archange existant au côté de Dieu pour venir à la fin des temps servir de modèle à l'humanité.

Pour Marc, les disciples de Jésus n'ont guère compris ce que Jésus a voulu leur dire. Cette ignorance est attestée en plusieurs occasions. Marc a voulu, sans doute, souligner que ce qui n'avait pas été compris au temps de Jésus est maintenant compris par lui et par la communauté dans laquelle il vit.

C'est un christianisme simple, peu culturel, mais radical et exigeant, surtout par l'abandon des biens matériels (X, 17-31) et le renoncement à toutes choses (X, 34-38). C'est donc un christianisme populaire, qui n'a pas eu beaucoup de défenseurs ni d'écrivains. Il s'est répandu dans les régions voisines de la Galilée, Transjordanie, Phénicie, et s'est noyé dans les autres formes de christianisme, tout en conservant à celles-ci l'eschatologie et le radicalisme de ses origines.

La présentation de Marc est très importante car elle est le pivot des trois Évangiles synoptiques et l'on peut diviser l'Évangile en quatre grandes sections:

- 1. L'Évangile du Royaume (I, 1 - IV, 34).

A. Proclamation de l'Évangile (I,1 - 45).
B. Acceptation de l'Évangile (II,1 - III, 35).
C. Enseignement sur cette acceptation (IV, 1 - V, 34).

- 2. L'inauguration du Royaume (IV, 35 - VIII, 26).

A. Le royaume déjà présent (IV, 35 - V, 43).
B. Le Royaume rejeté (IV, 1 - 29).
C. Le Royaume anticipé (IV, 30 ; VII, 37 ; VIII, 1 - 26).

- 3. Jésus reconnu comme étant le Christ (VIII, 27 - IX,13).

- 4. Sa victoire à travers la mort (IX, 14 - XIV, 8).

a. Le chemin de croix (IX, 12 - X, 52).
b. Le Christ à Jérusalem (XI, 13).
c. La Passion (XIV, XV).
d. La Résurrection ( XVI, 1 - 8).

Ainsi structuré, l'Évangile de Marc suit donc une logique qui est autre que l'enchaînement chronologique des faits (cf. Papias).

Le canevas de l'Évangile de Marc sera repris par Matthieu et par Luc pour constituer la base de leur Évangile [17].


B. Évangile selon Matthieu

Le texte que nous connaissons actuellement est sans doute un remaniement d'une version antérieure déjà connue par Ignace vers 110. C'est sans doute à ce texte que Papias fait allusion lorsqu'il écrit: "Matthieu a réuni les oracles dans un dialecte hébreu, et chacun les a interprétés (traduits ?) comme il pouvait" (Eusèbe, III H. E., XXXIX, 17). Le texte connu par Ignace serait peut-être une des traductions en grec de ce document araméen.

Le texte actuel contient beaucoup de répétitions (une douzaine de logia cités deux fois, ainsi que quatre passages narratifs). Comme on les retrouve aussi chez Marc, l'hypothèse la plus vraisemblable est que l'auteur de Matthieu les a repris une fois de Marc et une deuxième fois d'une autre source (peut-être le texte dont parle Papias ou la source Q).

Notre Évangile présente le christianisme comme un judaïsme réformé, perfectionné. Matthieu écrit pour les Juifs d'abord, mais ensuite pour les Grecs, car les Juifs n'ont pas répondu à l'appel de Jésus. C'est pourquoi, ceux qui étaient les "fils du Royaume" seront jetés dans les ténèbres du dehors (VIII, 12) ; le Royaume sera enlevé aux Juifs et donné à une nation qui rendra les fruits (XXI, 43). Le Jésus de Matthieu est agressif, il condamne les pharisiens de maniérer assez virulente. Pourquoi uniquement les pharisiens et pas les autres tendances juives comme les esséniens, les baptistes ? À l'époque où l'auteur rédige son Évangile et dans le milieu où il vit, ces sectes juives ne sont plus connues, seuls les pharisiens ont survécu dans les massorètes (les rabbins qui compileront la Bible juive).

Le Royaume est pour l'Église. Matthieu est le seul des Évangélistes à utiliser le mot "Église" (Ecclésia). Matthieu connaît donc une communauté organisée et le secret messianique n'est plus nécessaire. De plus, le message de Jésus doit être porté à toutes les nations. Ce souci universaliste est reflété par les grandes paraboles apocalyptiques qu'il est le seul à transmettre. Matthieu aime le merveilleux, les récits légendaires, les miracles. Il reprend donc les miracles de Marc et les amplifie. Il en ajoute d'autres. Il est surtout quantitatif plutôt que qualitatif. Matthieu ajoute aussi, dans les récits, des traits légendaires ou des précisions d'ordre géographique, tous détails qui ne viennent pas de sources authentiques. Souvent, il ajoute une conclusion au récit. Il écrit donc pour des gens qui ne sont pas en contact immédiat avec le milieu d'origine du christianisme et à qui il faut expliquer davantage.

Le Jésus de Matthieu est différent de celui de Marc. D'abord, Matthieu s'abstient de reproduire neuf passages où Marc fait allusion à des sentiments humains de Jésus. Il donne aussi une place particulière à Pierre qui est capable de marcher sur les eaux comme Jésus (XIV, 28-31). Matthieu place Jésus dans une double généalogie. Il est de la lignée de David, ce qui est indispensable pour qu'il soit le Messie, mais il est aussi l'enfant-dieu. Nous ne sommes donc plus dans un schéma d'adoption comme chez Marc, mais dans un schéma de filiation, ce qui correspond à la mentalité grecque. Un tel schéma, chez les Grecs, symbolise le lien qui existe entre l'invisible et le visible. Le souffle (pneuma) au sens cosmique a une fonction d'encensement, ce qui est encore davantage exprimé dans l'Évangile de Luc: "L'Esprit saint viendra sur toi (Marie) et la puissance du Trés-Haut te couvrira de son ombre" (Lc I, 35). Ces textes sont crédibles pour les anciens qui en comprennent le symbole. À partir du IVe siècle, on les lira autrement, de manière plus littérale. Le même symbolisme de relation entre l'invisible et le visible se retrouve dans les récits d'apparition où interviennent des anges qui sont les intermédiaires entre le Royaume de Dieu et le Royaume terrestre.

Tous ces éléments iront en s'amplifiant en pénétrant dans le monde grec avec les Évangiles de Luc et de Jean, les apocryphes et les textes gnostiques. Il y a donc une sorte de syncrétisme qui s'opère entre les traditions primitives d'origine juive, où tous ces concepts sont impensables, et les croyances qui ont court parmi les peuples hellénisés et qu'il faut convaincre. La personne de Jésus acquiert une autre dimension par la résurrection. Jésus devient le pantocrator, investi du pouvoir divin. "Tout pouvoir m'a été donné au ciel et sur la terre" (Mt, XXVIII, 18).

On ignore où le texte a été rédigé, bien que l'on ait pensé à Antioche ou à Damas. On discute aussi sur la date de rédaction, sans doute dans les vingt dernières années du premier siècle, les éléments repris de diverses sources (comme la source Q) étant évidemment bien antérieurs. Matthieu reprend le canevas général de Marc, mais en y insérant de grands blocs (comme le montre une synopse des trois Évangiles) venant soit de la source Q, quand on les retrouve aussi chez Luc (ex.: les Béatitudes) ou de traditions connues uniquement par lui (ex.: les paraboles de l'ivraie dans les emblavures, du trésor caché ou du filet au ch. XIII).

L'auteur, en tout cas, semble être un lettré capable d'écrire un grec élégant et limpide, contrairement à Marc qui a un style maladroit et peu raffiné. Ceci est utilisé comme argument pour réfuter l'hypothèse que le texte grec serait une traduction d'un évangile de Matthieu en araméen, évoqué par Papias.


C. Évangile selon Luc

Avec ce troisième Évangile, nous quittons le monde juif de plus en plus, pour pénétrer dans le monde greco-romain, tout en conservant de nombreuses traces des origines juives du christianisme, par des sémitismes et des réminiscences de la "Septante". Nous sommes dans une période où la nouvelle religion est rejetée à la fois par le judaïsme, les religions à mystères et l'autorité civile.

L'auteur commence son récit par une préface, ce qui atteste un niveau de culture que l'on ne trouve pas dans les autres textes du Nouveau Testament. "Plusieurs ayant entrepris de composer un récit des événements qui se sont accomplis parmi nous ... il m'a semblé bon ... de te les exposer par écrit d'une manière suivie"

Selon la tradition, Luc était un médecin, compagnon de Paul. Cette tradition s'appuie, une nouvelle fois, sur Irénée qui cite un passage de l'Épître de Paul aux Colossiens. Ce Luc ne serait pas seulement l'auteur du troisième Évangile, mais aussi celui des Actes où les passages à la première personne du pluriel (Wirstücke) seraient la preuve du vécu par Paul et Luc des récits rapportés par ces passages (voir 2e partie des Actes). Cette opinion est déjà contestée au IIIe siècle par Origène et au IVe par Ephrem le Syrien. Une fois de plus, nous ne pouvons rien affirmer de définitif. Sans doute y a-t-il eu un texte primitif dont Luc aurait pu être l'auteur. Ensuite, ce texte aurait été remanié en deux morceaux, l'un devenant notre troisième Évangile, l'autre devenant le texte connu sous le nom de "Actes des Apôtres". Le remaniement est presque certain en ce qui concerne les Actes. On constate d'importantes différences dans le texte qui nous est donné par le Codex de Bèze et par d'autres manuscrits. Le Codex de Bèze supprime de nombreux passages. Il semble donc qu'il y ait eu une version longue et une version courte. Si c'est le cas, rien ne nous permet de dire laquelle est l'originale. La seule conclusion qui est certaine, c'est qu'il y a eu d'importants remaniements du texte.

Cet Évangile se veut historique malgré son manque de sources à ce sujet. Luc est donc forcé d'inventer. Il ajoute beaucoup au canevas de Marc et à la source Q. Presque la moitié de son Évangile provient d'une mosaïque de sources écrites et orales. Il augmente le merveilleux par l'intervention des anges, des démons et des miracles. Il fait un parallèle entre l'histoire de Jean-Baptiste, qui est présenté par Luc comme le cousin de Jésus, et celle de Jésus lui-même.

Les événements sont datés: Jean-Baptiste commence à prêcher la 15e année du règne de Tibère (soit en 28/29), quand Ponce Pilate est gouverneur de Judée (26-36), Hérode, tétrarque de Galilée (-4 à 39) etc. Mais Luc ne vérifie pas toujours ses références. C'est ainsi qu'il place la naissance de Jésus à la fois sous Hérode le Grand (mort en l'an 4 av.) et lors du recensement ordonné par Quirinus (qui ne fut gouverneur de Syrie qu'à partir de l'an 6 ap. J.C.).

Luc nous présente un récit en trois parties. La première concerne le Jésus en vie (protos logos). Luc ajoute des épisodes "historiques" pour justifier la mission de Jésus, comme la lecture du texte d'Isaïe dans la synagogue de Nazareth. Le message de Jésus est davantage social. Il condamne et même maudit les riches et ceux qui ne manquent de rien (VI, 24). Il n'hésite pas à modifier le texte des béatitudes que nous connaissons par Matthieu. C'est ainsi que "les pauvres selon l'esprit" (Matt.V, 3) deviennent "les pauvres" (VI, 21) ; "ceux qui ont faim et soif de justice" (Matt. V, 6) deviennent "les affamés" (VI, 21). La mission de Jésus ne s'adresse pas qu'aux seuls Juifs (Mc VII, 24-30), mais aussi aux Samaritains. Luc reprend la tradition selon laquelle les disciples n'ont pas compris Jésus, mais ce n'est pas pour les mêmes raisons que pour les autres évangélistes. Pour Luc, les disciples avaient de fausses conceptions eschatologiques. C'est à tort qu'ils croyaient que le Royaume était proche (XIX, 11). Luc appartient à une nouvelle génération, la troisième, pour qui la perspective du retour immédiat du "Fils de l'homme" et de l'instauration du Royaume de Dieu sur la terre commence à s'estomper. Certes, la fin viendra, mais c'est pour plus tard car l'Esprit doit d'abord être donné à l'Église qui rendra témoignage à Jésus "jusqu'aux extrémités de la terre" (Actes I, 8).

La deuxième partie du récit concerne le Jésus ressuscité (deuteros logos). Luc nous présente un récit différent de celui de Matthieu. La résurrection ne se fait pas en Galilée, mais à Jérusalem, d'où l'épisode des disciples sur le chemin d'Emmaüs, inconnu des autres Évangiles. Ces disciples rejoignent les onze (les douze moins Juda qui a trahi) qui connaissent déjà la résurrection car Jésus était apparu à Simon. Jésus leur apparaît alors qu'ils étaient rassemblés, donc en présence de Thomas. Il leur fait constater la réalité matérielle de sa résurrection en leur disant: "touchez-moi ; et rendez-vous compte qu'un esprit n'a pas de chair ni d'os comme vous constatez que j'en ai" (Lc XXIV, 39). Jean reprendra cette tradition, mais en l'absence de Thomas en faisant apparaître Jésus une deuxième fois pour convaincre Thomas. Quant à Luc, il termine son Évangile sur le discours que Jésus ressuscité tient à ses disciples selon lequel il ouvre l'intelligence de ses disciples pour leur permettre de comprendre les Écritures (l'Ancien Testament) qui annoncent ce qui vient de s'accomplir. Alors Jésus les emmène en Béthanie où il disparaît à leurs yeux, en s'élevant dans le ciel.

La troisième partie du récit sera l'histoire de la naissance de l'Église dans ce qui est maintenant un texte distinct: les Actes des Apôtres.

Ce troisième Évangile est plein de contradictions, sans doute à cause de la multiplicité des sources:
- L'Évangile de Marc que Luc redistribue autrement pour composer son récit.
- La source Q, sans doute une version grecque différente de celle de Matthieu, également distribuée différemment.
- Les nombreuses traditions écrites et orales, propres à Luc, et qui sont parfois une répétition de ce qui provient des deux autres sources, mais avec des différences.

C'est en raison de cela qu'on a avancé l'hypothèse très controversée chez les historiens, d'un proto-Luc qui aurait été plus structuré et plus concis et que l'auteur du texte que nous connaissons aurait profondément et maladroitement remanié, donnant ainsi notre troisième Évangile et le récit des Actes. En tout état de cause, l'auteur est un pagano-chrétien qui a une bonne connaissance du judaïsme, surtout de la "Septante" qui, rappelons-le, est le texte sacré pour le christianisme naissant et hellénisé. On ignore où il a écrit et à quelle date, bien que l'on avance 80 pour l'Évangile et 90 pour les Actes. On trouve très peu de traces des doctrines pauliniennes, ce qui milite en faveur de ceux qui ne font pas de l'auteur de nos textes, le compagnon de Paul. Il est possible qu'il connaisse les lettres pauliniennes. Mais lesquelles ? À cette époque, il y avait beaucoup plus de lettres de Paul avec des doctrines très diverses selon le milieu que Paul côtoyait.

Luc nous présente donc une théologie nouvelle. Ce qui compte ce n'est pas l'épisode galiléen de la vie de Jésus. C'est à Jérusalem que l'important se passe. Ce que Jésus est venu annoncer, ce n'est pas tellement l'arrivée du Royaume de Dieu, quoique l'idée en soit maintenue. Mais elle ne doit pas se produire immédiatement. Jésus n'est donc pas seulement le prophète annonçant le Royaume, il est un être divin, mais aussi un être-charnière entre le temps des prophètes et celui de la parousie. C'est en ce sens qu'il faut comprendre la fonction messianique de Jésus. Il est le Fils de Dieu par filiation et non par adoption, comme on l'a déjà vu chez Matthieu, mais de manière moins catégorique. Il est aussi l'homme divin, mais pas comme chez Marc. Il est l'homme divin parce qu'il est en contact avec les puissances célestes. Il est le Seigneur, mais pas au sens commun du terme. On ne se contente pas de l'interpeller par le vocatif (Kyrie), comme dans les deux autres Évangiles. Il est "le Seigneur" (Ho Kyrios), comme dans la "Septante" où Yaveh est Adonaï.

Luc veut sans doute rédiger une histoire évangélique de Jésus et de l'Église pour remplacer l'Évangile de Marc qui ne satisfait plus l'Église qui commence à sortir de l'ombre et à affirmer son indépendance vis-à-vis du judaïsme. Luc est certainement un des acteurs principaux de la mytholisation de Jésus, ainsi que le soulignait Bultmann.


D. Conclusion

Les trois Évangiles synoptiques ont longtemps été considérés comme convergents et complémentaires. Tous les détails concernant la vie, la prédication, la mort et la résurrection de Jésus devaient s'additionner pour constituer un tout, chaque évangéliste n'ayant retenu qu'une partie des informations selon ses goûts et son objectif. Très tôt, on a fait des parallèles entre eux, on les a mis en tableau comparatif (synopse). Aujourd'hui cette comparaison fait davantage ressortir leur différence. Aussi sont-ils davantage étudiés de manière indépendante avec l'idée que chacun répond à une communauté précise et qui évolue dans le temps. La communauté judéo-chrétienne de la Palestine, avec ses extensions vers les régions immédiates et vers Rome, marque surtout l'Évangile de Marc. Les développements du Christianisme en Égypte, à Chypre, en Syrie annoncent la rupture avec le judaïsme, ce qui marque l'Évangile de Matthieu. Enfin, le christianisme triomphe surtout en Grèce où l'homme Jésus ne peut s'imposer que s'il est supérieur à l'homme ordinaire, comme tous les dieux du Panthéon gréco-romain, et même s'il est supérieur à ceux-ci. L'homme Jésus doit être remplacé par le mythe Jésus, et l'Évangile de Luc est une étape importante dans cette direction.


V. Le Johannisme

Pour examiner cette tendance, nous devrions nous intéresser à trois types de textes repris dans le Nouveau Testament:
- L'Évangile selon Jean.
- Les Épîtres de Jean
- L'Apocalypse.


A. L'Évangile selon Jean

L'Évangile selon Jean est sans doute le plus intéressant du point de vue de la pensée chrétienne et de son influence sur la formation du dogme essentiel du christianisme: le dogme de la Trinité. Il est aussi celui qui a soulevé le plus d'interrogations quant à son auteur et à la date où il fut rédigé.

Papias parle de deux personnages appelés Jean: "Jean l'Apôtre et Jean le Presbytre". Dans les Actes de Jean (apocryphe datant de 150 à 180), il n'y a plus qu'un seul Jean, de même que chez Irénée de Lyon (180-200), ainsi que chez Polycrate d'Ephèse dans une lettre adressée au Pape Victor en 190. Denys, évêque d'Alexandrie vers l'an 250, reprend l'hypothèse de deux auteurs distincts pour l'Évangile et l'Apocalypse. Dès le IIIe siècle, plus aucun auteur chrétien ne met en doute que l'Évangile a été écrit par un Apôtre et finalement la thèse de l'auteur unique pour l'Évangile, les Épîtres et l'Apocalypse a été adoptée par la tradition. Ce n'est que récemment que le débat est rouvert.

Le texte de l'Évangile est déjà évoqué, sinon dans son état actuel, du moins dans ses idées, par Ignace, évêque d'Antioche vers l'an 115. On peut supposer que l'origine du milieu dans lequel un tel Évangile a pu se développer est Jérusalem même où, selon les Actes, un groupe distinct des Apôtres apparaît dès les premiers temps. Il s'agit du groupe des hellénistes, conduit par Etienne qui fut lapidé (vers 36/37) parce qu'il se plaçait radicalement en marge du judaïsme officiel. Accusé devant le Sanhédrin, Etienne prononce un discours qui est une véritable provocation.
Toute l'histoire d'Israël doit être refaite ; elle n'est pas liée à la terre d'Israël, et si Moïse est le législateur, les juifs ne lui ont pas obéi alors qu'il était la préfiguration du Christ. Le Temple n'est pas le lieu du Seigneur qui n'a jamais demandé sa construction. Le sanctuaire de Dieu est le monde entier. Pour Etienne, Jésus est un personnage céleste. Après le martyre d'Etienne, les hellénistes sont chassés de Jérusalem et deviennent les premiers missionnaires chrétiens, ils portent l'enseignement du Christ dans la diaspora juive, à Antioche, à Damas, à Chypre et en terre grecque. Paul les suivra avec son propre évangile et les judéo-chrétiens représentant les Douze feront de même, mettant ainsi en présence trois courants rivaux qui entreront parfois en confrontation.

Oscar Cullman (Le milieu Johannique, Paris 1976) voit un lien étroit entre l'Évangile de Jean et ces hellénistes. Cette perspective ferait remonter le quatrième Évangile beaucoup plus tôt dans le temps que ce que l'on croyait au XIXe siècle, où l'on fixait sa date de rédaction aux environs de l'an 90. Selon cette tradition, l'Évangile aurait été écrit par Jean dans sa vieillesse à Ephèse où il se serait réfugié en compagnie de Marie, la mère de Jésus. L'Évangile était déjà répandu dans sa forme définitive au début du IIe siècle. Des fragments importants de papyrus ont été retrouvés comme le papyrus Rylands qui date de 125 environ ou le papyrus Bodner II qui se situe entre 175 et 225, avec tous les chapitres I à XIV et d'importants fragments des chapitres XV à XXI, nous restituant le texte ancien.

Le quatrième Évangile oppose fréquemment Pierre, le chef des Douze, au "disciple que Jésus aimait". C'est sans doute moins une opposition entre deux hommes, qu'une opposition entre deux milieux du christianisme primitif. Le "disciple que Jésus aimait" apparaît à plusieurs reprises dans l'Évangile. Pour Irénée, il s'agissait de Jean, l'Apôtre, fils de Zébédée et auteur de l'Évangile. Toutefois, dans le chapitre XXI de l'Évangile, le disciple en question apparaît nettement comme un personnage différent des Fils de Zébédée. On peut tenir pour certain que le chapitre XXI a été rédigé dans l'entourage de ce personnage car contrairement à ce que disent Bultmann, Goguel et Loisy, il n'est pas la simple personnification du milieu johannique. Il n'en reste pas moins vrai que le chapitre XXI est un ajout tardif à l'Évangile et qui attribue sa rédaction au "disciple que Jésus aimait".
Quant à l'auteur du texte ancien, il vaut mieux reconnaître notre ignorance et accepter seulement qu'il faisait partie des hellénistes [18] C'est, en tout cas, un juif judéen, voire un judéo-chrétien, même s'il professe un autre type de judéo-christianisme que celui de Pierre et des Douze. Il s'agit de concepts se rapprochant de ceux des esséniens de Qum'ran, de ceux du christianisme alexandrin proche de Philon d'Alexandrie ou encore de ceux des écrits juifs intertestamentaires (Ben Sira, Baruch, Sagesse de Salomon, Testaments des Douze Patriarches). Ces similitudes ne permettent pas pour autant de conclure que l'auteur, sans doute un judéo-chrétien palestinien très cultivé, ait été un essénien converti comme on l'a prétendu.

Si le texte primitif est originaire de Judée, il a ensuite été transporté en Asie pour y recevoir sa forme définitive. Il se peut aussi qu'il ait été écrit par un judéen déjà établi dans la diaspora (peut-être à Antioche), avant d'être édité à Éphèse. Outre l'auteur du texte primitif, on pense à un "éditeur" ou même à "un groupe d'éditeurs" qui aurait remanié le texte et terminé par cette finale qui n'est certainement pas de la main de l'auteur: "C'est ce disciple qui rend témoignage de ces choses, et qui les a écrites. Et nous savons que son témoignage est vrai. Jésus a fait encore beaucoup d'autres choses ; si on les écrivait en détail, je ne pense pas que le même monde pût contenir les livres qu'on écrirait" (XXI, 24-25).

Bultmann a aussi démontré que l'Évangile n'est pas dans son ordre authentique et que certains chapitres ou versets ont été déplacés, rendant le récit totalement incohérent à certains endroits.

Le style et le vocabulaire sont très différents du style et du vocabulaire des Évangiles synoptiques. On a pris argument de certaines obscurités ou du grec médiocre pour avancer l'hypothèse que le texte grec serait une traduction d'un texte araméen. La critique moderne montre cependant que la langue de l'Évangile est celle de nombreux ouvrages grecs de l'époque, "la koiné [19]". Ce qui caractérise aussi le vocabulaire, c'est sa variété. L'auteur utilise souvent plusieurs mots différents pour une même chose, ou lorsqu'il cite un logion (dire) de Jésus deux fois, il le cite avec de légères variantes. Il aime innover, éviter la monotonie [20].

Le quatrième Évangile est en tout cas très différent des trois synoptiques, non seulement par sa théologie, mais aussi par sa structure et par de nombreux détails sur la vie de Jésus que les trois autres Évangiles ne connaissent pas. Il y a néanmoins des similitudes. Il faudrait donc choisir entre trois hypothèses:

1. Jean ne connaissait pas les traditions synoptiques, ni les Évangiles synoptiques eux-mêmes, mais utilisait des traditions indépendantes.

2. Jean a connu certaines traditions synoptiques et les a utilisées.

3. Jean connaissait tout ou partie des Synoptiques, mais a consciemment réécrit ses sources afin soit (a) de les interpréter, soit (b) de les compléter, soit (c) de les remplacer. Rien ne permet de choisir entre ces réponses diverses [21].

En ce qui concerne la structure, nous constatons que le ministère public de Jésus consiste en plusieurs voyages entre la Galilée et Jérusalem, alors que dans les synoptiques, tout se passe en Galilée, Jésus ne venant à Jérusalem que pour y être crucifié. Ce seul voyage de Jésus à Jérusalem à l'occasion de la Pâque, suppose que le ministère de Jésus dura moins d'un an. Pour Jean, Jésus vient célébrer la Pâque au moins trois fois, donc son ministère se serait étendu sur quelque trois ans.

Des événements importants de la vie de Jésus, mentionnés par les synoptiques, se retrouvent aussi chez Jean, mais pas nécessairement au même moment. Par exemple, dans les synoptiques, Jésus purifie le Temple juste avant le récit de la passion. Jean place cet événement au début du ministère de Jésus.

Mais là n'est pas l'important en ce qui concerne ce quatrième Évangile. Il faut signaler sa théologie particulièrement, celle du prologue et celle de l'Évangile lui-même.


a. Le Prologue

L'Évangile est introduit par un prologue (I, 1-18). La différence de style entre le prologue (en vers, sauf les ajouts dont question ci-après) et l'Évangile lui-même (en prose), de même que la notion de Verbe (Logos) qui se trouve dans le prologue et qui ne se retrouve plus dans le reste de l'Évangile, ont amené certains exégètes à penser que le prologue est un texte qui existait indépendamment de l'Évangile, un poème antérieur que l'évangéliste aurait utilisé.

Ce prologue nous introduit dans une théologie nouvelle, celle de la préexistence du Verbe, un Verbe qui est le véritable Fils unique de Dieu (monogénès, l'unique engendré). Les deux mots grecs, "monogénès" (l'unique engendré) et "uios" (fils), traduits en français par Fils unique et Fils, provoquent une confusion dans les textes traduits, confusion qui n'existait pas dans les originaux grecs. Avec le Dieu (ho Theos), de toute éternité, existe le Verbe qui n'est pas le Dieu, mais seulement dieu (theos), Ce Verbe est donc au-dessus de la nature humaine, il est de nature divine (Jn. I,1-2).

De plus, (le) Dieu n'a engendré que le Verbe, car toutes les autres créatures, Il les a créées (faites) en se servant du Verbe (I, 3).

Le Verbe est la vie et la lumière des hommes, lumière qui brille dans les ténèbres qui ne veulent pas la comprendre (I, 4-5). On peut voir ici une pensée semblable à celle des gnostiques sur la dualité de la lumière et des ténèbres. S'intercalent ensuite les versets 6 à 8 qui concernent Jean-Baptiste.

Le Verbe est la vraie lumière du monde qui a été créé par lui, mais qui ne le reconnaît pas (I, 9-10).

Le Verbe-lumière doit venir dans le monde parmi les siens qui, cependant, ne l'accueillent pas (I, 11), (sauf ceux qui ont cru en lui et qui deviennent les enfants de Dieu, versets 12 et 13, versets sans doute ajoutés).

Il faut donc que le Verbe se fasse chair et demeure parmi nous pour que nous puissions voir sa gloire, "cette gloire que, comme Fils unique, il tient du Père" (I, 14).
Le qualificatif, "plein de grâce et de vérité" que l'on trouve dans les traductions à la suite de ces versets, est à l'accusatif dans le texte grec et ne peut donc pas se rapporter à Fils unique ou à Père qui sont des génitifs. Il faut chercher un substantif accusatif qui pourrait être Dieu du verset 18, car les versets 15 à 17 seraient des interpolations (le verset 15 est d'ailleurs la répétition du verset 30: "après moi vient un homme qui m'a devancé, parce que, avant moi, il était").

Personne n'a vu Dieu. C'est le (dieu,) Fils unique, qui nous (le) dévoile (I,18). Les traducteurs ajoutent ici le pronom personnel "le" car le verbe "dévoile" n'a pas de complément direct dans le texte grec. Ils supposent donc que ce complément direct est le mot Dieu qui est déjà le complément direct du verbe "vu" dans la phrase qui précède. De plus, le mot "dieu" (theos) ne se trouve que dans le manuscrit Bodner II (le plus ancien de nos manuscrits du IVe Évangile). Dans les autres manuscrits, il est remplacé par Fils (uios). "Dieu" est-il la version primitive, incomprise par les scribes ultérieurs qui l'ont remplacé par "fils" ? C'est peut-être aussi une interpolation, car partout ailleurs "le Fils unique" (ho monogénès) est toujours employé seul.

Dans tous ces versets, Fils unique traduit le mot grec monogénès. Il se rapporte au Verbe et non à Jésus comme on le comprend habituellement. Certes, pour l'auteur du quatrième Évangile, c'est Jésus qui incarne le Verbe. C'est par Jésus que la grâce et la vérité ont été apportées (I, 16-17). Ces derniers versets pourraient aussi être un ajout inséré par l'auteur ou l'éditeur du quatrième Évangile dans le prologue si celui-ci est un texte antérieur. D'aucuns pensent que le prologue n'avait rien de chrétien, car si nous excluons tous ces versets qui sont en prose, il n'est nulle part fait mention de Jésus. Il s'écarte toutefois de l'idée que Philon se faisait du Verbe, car chez Philon, le Verbe demeure une notion impersonnelle ; il n'y est pas question d'incarnation, notion chrétienne, à moins que celle-ci ne vienne de l'hellénisme dans lequel baignait le judaïsme de la diaspora.

Nous laisserons le soin aux exégètes de continuer à débattre de cette question, pour nous intéresser à la doctrine développée dans le corps de l'Évangile lui-même.


b. L'Évangile

L'Évangile aurait réellement débuté par les versets 6 à 8: "Il y eut un homme, envoyé de Dieu, son nom était Jean" qui n'est cependant pas la lumière, mais vient seulement rendre témoignage à la lumière. Il se continue par le verset 19 qui explique le témoignage de Jean.
(I, 19-51). Jean-Baptiste rend témoignage à Jésus comme étant "l'agneau de Dieu" attendu, ce qui convainc André, un disciple de Jean-Baptiste. André va chercher son frère Simon (Pierre) qui suit Jésus à son tour. Jésus rassemble ensuite d'autres disciples (Philippe, Nathanaël) et commence sa vie publique.

Cette introduction semble indiquer que l'auteur vise un groupe de personnes qui croient que Jean-Baptiste est le Christ, des chrétiens qui n'ont reçu que le baptême de Jean (le baptême de l'eau) et n'ont pas reçu le baptême de Jésus (le baptême de l'Esprit). Aussi insiste-t-il sur le fait que c'est bien Jésus qui est le Christ et la lumière du monde et non pas Jean-Baptiste. Nous savons que de tels groupes ont existé, notamment par les Reconnaissances clémentines ou par les textes mandéens qui, bien que tardifs, mais sans doute basés sur des traditions anciennes, mettent en scène des gens qui vénèrent Jean-Baptiste comme étant le Christ.

La vie publique de Jésus est émaillée de miracles dont certains sont inconnus des synoptiques (Noces de Cana, le paralytique de Bethzatha, Résurrection de Lazare p.e.). Jésus traverse la Samarie et parle à la Samaritaine lui annonçant que "l'heure vient ... où les vrais adorateurs adoreront le Père en esprit et en vérité" (IV, 23).
Ces nombreux épisodes de la vie publique de Jésus sont entrecoupés de discours théologiques. "Le Fils ne peut rien faire de lui-même, mais seulement ce qu'il voit faire au Père ; car ce que le Père fait, le Fils le fait pareillement" (V, 19). Comme le Père opère des résurrections, le Fils le fait également (V, 21). Cependant, c'est le Fils seul qui est instauré juge afin d'être honoré et de donner ainsi la vie éternelle. C'est le Père qui possède la vie, mais il l'a donné au Fils car celui-ci est le Fils de l'Homme (Le Messie) et le Fils peut donc la donner à ceux qui croient en lui. "Car le pain de Dieu, c'est celui qui descend du ciel et qui donne la vie au monde" (VI, 33).
Toutes ces notions (résurrection, vie éternelle, pain de vie) nous introduisent dans un climat de gnose, non pas une glose intellectuelle, mais une gnose mystique, ce qui est une caractéristique du quatrième Évangile. C'est la connaissance que le Messie apporte aux hommes, qui est source de salut bien plus que le sacrifice de la vie de Jésus.
La connaissance, c'est la chair qui doit être mangée et le sang qui doit être bu. Cela provoque l'ironie des juifs qui ne comprennent pas que manger la chair du Christ et boire son sang est une allégorie qui signifie croire à ce qu'il enseigne. Ce pain nouveau est bien différent de celui que "vos pères ont mangé ; ils sont morts, eux, mais celui qui mangera du pain que voici vivra pour l'éternité" (VI, 58). C'est une perspective toute différente de celle qui est enseignée par Paul. Ce qui diffère aussi de Paul, c'est l'absence de démonstration. L'auteur du quatrième Évangile n'est donc pas un philosophe qui manie la dialectique comme Paul savait le faire. À toute contradiction des juifs, il répond par des affirmations de foi. Le milieu dans lequel l'Évangile est écrit est encore un milieu juif, mais un milieu hostile. On est au bord de la rupture entre judaïsme et christianisme. Les juifs sont des frères, mais des frères ennemis qui n'ont pas compris que Moïse préfigurait le Christ.

Jésus se présente comme l'envoyé du Père auquel il est entièrement subordonné: "Lorsque vous aurez élevé le Fils de l'homme, vous connaîtrez qui Je suis et que je ne fais rien de moi-même. Celui qui m'a envoyé est avec moi (VII, 28).Qui croit en moi, ce n'est pas en moi qu'il croit, mais en celui qui m'a envoyé et celui qui me voit, voit aussi celui qui m'a envoyé" (XII, 44).
C'est à la lumière de ces versets et de nombreux autres versets semblables dans l'Évangile qu'il faut comprendre les passages qui affirment que Moi et le Père, nous sommes un (X, 30), Il n'y a cependant pas de contradiction, les versets qui affirment l'identité entre le Père et le Fils sont souvent précédés d'une évocation de la subordination du Fils par rapport au Père: "Mon Père qui me les a données est plus grand que tout" (X, 29). (NB. Ce verset tel qu'il se trouve dans certains manuscrits - ceux qui ont servi à la traduction oecuménique du Nouveau Testament - a semblé incongru à des scribes. Nous trouvons donc une variante dans d'autres manuscrits "Ce que mon père m'a donné est plus grand que tout").

"Le Père est en moi, comme je suis dans le Père" (X, 38)", est précédé du commentaire suivant: "Je vous ai fait voir tant d'oeuvres belles qui venaient du Père" (X, 32)... "Mais si je les fais, quand bien même vous ne me croiriez pas, croyez en ces oeuvres, afin que vous connaissiez et que vous sachiez que le Père est en moi, comme je suis dans le Père" (X, 38). Le Fils est donc ce qui manifeste le Père dans le monde et c'est par lui que le Père peut être connu. Le Fils est subordonné au Père quant à sa nature (il ne lui est pas consubstantiel comme l'affirmera le dogme de Nicée en 325), mais il est l'image parfaite du Père dans le monde. Sa puissance et sa gloire lui viennent du Père.

Dans les discours des adieux, lorsque Jésus annonce sa mort prochaine, l'action de l'Esprit est particulièrement soulignée. Cet Esprit est l'intermédiaire entre Dieu et les hommes, le Paracletos (Paraclet). Le terme est ambigu. S'agit-il simplement du pouvoir que Jésus possède de son vivant et par-delà la mort pour continuer à vivifier et instruire ceux qui croient en lui ? S'agit-il d'une autre personne qui doit venir dans le monde comme Jésus est venu et qui sera porteuse de ce pouvoir ? Les deux interprétations sont possibles.
D'une part, la promesse de la Rédemption par l'accession à la vie éternelle est déjà réalisée "En vérité, en vérité, je vous le dis, l'heure vient - et maintenant elle est là - où les morts entendront la voix du Fils de Dieu et ceux qui l'auront entendue, vivront" (V, 25).
D'autre part, la promesse se réalisera aussi dans le futur: "L'heure vient où tous ceux qui gisent dans les tombeaux entendront sa voix et ceux qui auront fait le bien en sortiront pour la résurrection qui mène à la vie ; ceux qui auront pratiqué le mal, pour la résurrection qui mène au jugement" (V, 28-29).

Il y une juxtaposition des deux conceptions. D'une part, il est dit: "En vérité, en vérité, je vous le dis, celui qui écoute ma parole et croit en celui qui m'a envoyé, a la vie éternelle ; il ne vient pas en jugement, mais il est passé de la mort à la vie (V, 24). D'autre part il est dit aussi: Or la volonté de celui qui m'a envoyé, c'est que je ne perde aucun de ceux qu'il m'a donnés, mais que je les ressuscite au dernier jour. Telle est en effet la volonté de mon Père ; que quiconque voit le Fils et croit en lui, ait la vie éternelle ; et moi, je le ressusciterai au dernier jour" (VI, 39-40).
La conception primitive que le jugement dernier est à venir (à l'occasion du retour du Fils de l'homme, selon les synoptiques) n'a pu être entièrement oubliée - la tradition était encore trop forte à l'époque - au profit de l'idée que la résurrection est déjà opérée pour le croyant.


B. Les Épîtres

a. Première Épître de Jean

Pour certains exégètes, dont Bultmann, il ne s'agit pas d'une épître, mais d'une homélie commentant un texte antérieur écrit en vers et disséminé dans le texte de l'Épître. On ajoute même que ce texte antérieur ne serait que la continuation du prologue du quatrième Évangile. Nous avons vu, en effet, que dans le prologue, le verbe "dévoile" n'a pas de complément direct. Comme il est difficile d'admettre que celui-ci est un mot de la phrase précédente, on a cherché une autre solution et proposé que ce complément direct soit le début de la première Épître qui peut-être un accusatif aussi bien qu'un nominatif. Si cette hypothèse est exacte, il faut encore pouvoir reconstituer le texte de ce poème qui est un hymne au Verbe créateur. Les avis diffèrent évidemment. Dans l'hypothèse d'un texte antérieur, il faudrait aussi pouvoir identifier son auteur. Est-il le même que l'auteur de l'Évangile et de l'homélie ?

Pour les partisans d'auteurs différents, on relève les arguments suivants:

1. Le texte antérieur est en vers, l'Évangile et l'homélie sont de la prose. Rien n'empêche
cependant de penser qu'un même auteur ne puisse mélanger de la poésie et de la prose dans un même texte.

2. Le texte antérieur est centré sur le concept du Verbe (Logos), terme que l'on ne trouve que dans le prologue de l'Évangile et dans la première Épître, du moins dans sa signification spéciale d'ensemble de mots, constituant une pensée, une raison, le tout personnifié pour pouvoir s'incarner dans une personne. Dans le reste de l'Évangile, ce concept est représenté par un autre mot "onoma" (les noms), noms par lesquels il faut croire. Les signes opérés par Jésus "l'ont été pour que vous croyiez que Jésus est le Christ, le Fils de Dieu, et pour que, en croyant, vous ayez la vie en son nom" (XX, 30).

3. Dans le prologue, la fonction du Verbe est notamment d'être créateur du monde où se trouvent les siens à qui il doit apporter la lumière. Cette fonction de créateur n'est plus évoquée dans les autres textes johanniques où le Christ apparaît comme révélateur et rédempteur.

Rien n'empêche un même auteur d'écrire plusieurs textes sur des thèmes différents sans devoir nécessairement les évoquer tous dans chaque texte. Néanmoins, beaucoup de commentateurs retiennent l'existence de plusieurs textes écrits dans un même milieu de pensée: des communautés chrétiennes d'Asie d'origine juive mais hellénisées. Ces textes auraient été recueillis par un "éditeur" qui aurait, par inadvertance, mal remis à leur place plusieurs fragments et auraient ainsi donné l'ordre fort peu logique de certains versets, voir placer le "prologue" en tête de l'Évangile, plutôt que de le placer au début de la première Épître comme un tout servant de base à l'homélie constituée par le commentaire.

Le vocabulaire et le style sont très semblables à ceux du quatrième Évangile. Toutefois, pour certains, il semble que les mots n'ont plus tout à fait la même signification. On se trouve non plus dans l'ambiance théorique d'une gnose à l'intention d'une certaine élite intellectuelle, mais dans le quotidien d'une Église où apparaissent des problèmes causés par des gens qui mettent en cause des éléments fondamentaux. Il y est question de "faux prophètes" (IV, 1) ou "antéchrists" (II,18), Ces gens nient que Jésus soit le Christ (II, 22), ou que Jésus-Christ se soit incarné (IV, 2 et ss). Ils se disent sans péché (I, 8) et connaître Dieu (II, 4). Il est bien sûr difficile de définir qui sont ces adversaires qui perturbent l'Église, sans doute des ébionites et des gnostiques.

Quoi qu'il en soit, le thème central est exposé en III, 23: "Et c'est ici son commandement: que nous croyons au nom de son fils Jésus-Christ, et que nous nous aimions les uns les autres, selon le commandement qu'il nous a donné". L'Épître évoque aussi la notion du péché, d'une manière plus pratique que dans l'Évangile. Certains péchés mortels excluent définitivement le salut au point qu'il est vain de prier pour ceux qui les commettent. D'autres, bien qu'incompatibles avec la vie chrétienne, seront pardonnés grâce à l'intercession de l'Église (V, 16-17).

Que faut-il penser des ressemblances avec l'Évangile d'une part et des nombreuses différences d'autre part ? Sans doute que l'Évangile et la première Épître n'ont pas le même auteur, mais appartiennent à un même milieu avec une certaine évolution dans le temps. Il y a des préoccupations semblables, comme affirmer la foi en l'incarnation du Verbe par Jésus, en opposition aux disciples de Jean-Baptiste dans l'Évangile et d'autres hérétiques dans la première Épître.


b. IIe et IIIe Épîtres de Jean

La situation évoquée dans ces deux Épîtres est la même que dans la première. La deuxième Épître où l'auteur se présente comme étant Jean l'Ancien (le presbytre) s'adresse à une communauté particulière, sans que nous sachions laquelle. Mais dans cette communauté, il y a ceux qui "suivent la vérité" et sont invités à s'aimer les uns les autres et à confesser que Jésus-Christ est venu dans la chair et ceux qui professent une autre doctrine et qui doivent être rejetés. Cette Église est donc en proie à un mal précis: le docétisme [22].

La troisième Épître est adressée par l'ancien à un certain Gaius pour le mettre en garde contre les agissements d'un certain Diotrèphe qui cause des ennuis. Le mal à combattre ici est donc une certaine jalousie génératrice de schismes.

La similitude des situations ne prouve pas que les trois Épîtres soient l'oeuvre d'un seul et même auteur, mais simplement qu'elles proviennent d'un même milieu. L'évocation de Jean l'ancien est peut-être à mettre en rapport avec ce que nous dit Papias au sujet d'un Jean le Presbytre qu'il a connu. Cela nous place donc dans le deuxième quart du IIe siècle.


C. L'Apocalypse

C'est le livre le plus mystérieux du Nouveau Testament. Il comprend (1) une préface concernant une révélation accordée à Jean par Jésus-Christ, par l'intermédiaire de son ange, (2) des lettres adressées aux sept Églises d'Asie Mineure, (3) la révélation proprement dite, et (4) un épilogue.

Le débat se place d'abord sur la question de l'unité de l'oeuvre. Y a-t-il un seul auteur ou plusieurs auteurs? Quant à la partie centrale, s'agit-il d'une seule révélation ou de plusieurs révélations qui ont été amalgamées ? Cette question est ainsi résumée par le R.P.Boismard: "Au siècle dernier, la mode était aux méthodes de dissection ; la quasi-totalité des commentateurs voyait dans l'Apocalypse la fusion de deux ou même trois écrits primitifs différents, le plus souvent d'origine juive, assez maladroitement compilés par un rédacteur chrétien. Mais au début du siècle, frappés par l'unité de style qui se dégage de l'ensemble de l'ouvrage, les exégètes ont dû modifier leurs positions ; l'Apocalypse, ont-ils dit alors, a été rédigée par un seul auteur; mais celui-ci s'est inspiré de sources différentes qu'il a complètement réassimilées, sans éviter toutefois certaines incohérences dues à la diversité de ces sources" [23].
Cela a amené Henri Stierlin, un historien des civilisations, à étudier l'oeuvre et à voir dans la partie centrale la combinaison de quatre apocalypses:
Apocalypse des deux témoins.
Apocalypse de l'adoration de l'Image.
Apocalypse des fléaux s'abattant sur la Grande cité.
Apocalypse du trône et des vingt-quatre sages.

Toutes ces visions ont pour but de soutenir les chrétiens dans les moments difficiles qu'ils connaissent lors des grandes persécutions et de leur promettre que la victoire finale est assurée.

Les commentateurs sont évidemment divisés quant à savoir de quelles persécutions il s'agit. L'énigme serait résolue si l'on pouvait déchiffrer le nombre de la bête, 616 selon certains manuscrits, 666 selon d'autres. L'interprétation repose sur la gématrie, procédé qui consiste à traiter comme des nombres les lettres d'un mot. Faut-il utiliser l'alphabet grec ou l'alphabet hébreu si l'on admet que la source est d'origine juive ? Nul ne sait. On pense à Caligula (37-38) ou à Néron (54-68) ou encore à Domitien, car selon Irénée, l'Apocalypse aurait été écrite vers la fin du règne de Domitien (81-98).

Ce type d'interprétation est partagé par ceux qui ne voient dans les apocalypses que des allusions voilées à des événements survenus. Pour d'autres, les apocalypses sont de réelles visions sur l'avenir plus ou moins lointain, que l'auteur reçoit sans bien les comprendre.

La grammaire est tout à fait étrange avec de nombreuses fautes. On a donc pensé à une traduction d'un texte rédigé d'abord en hébreu car il y a de nombreuses constructions grammaticales normales en hébreu, mais inhabituelles en grec. Cela est sans doute dû au fait que l'auteur avait l'hébreu comme langue maternelle et le grec comme langue secondaire.

L'Apocalypse a connu bien des difficultés pour être admise dans le canon des Écritures, peut-être à cause de son incohérence, de ses nombreux non-sens, de ses désordres et de ses contradictions, rendant toute interprétation difficile. En tout cas, l'Église orientale a eu beaucoup de peine à l'accepter. La Syrie et la Palestine y voyaient un apocryphe, les Pères grecs ne le citent que très rarement, le prêtre romain Caïus l'attribue à un hérétique, adversaire de Paul. Au IVe siècle, Cyrille de Jérusalem, Grégoire de Naziance et Jean Chrysostome ne le comptent pas parmi les livres inspirés. Ce n'est qu'en 1330 qu'il est admis dans le canon des Églises orientales.


D. Conclusions

De tous les textes johanniques, l'Évangile occupe une place de première importance. Sa théologie sera interprétée en faveur de la consubstantialité entre le Père et le fils lors des grandes controverses christologiques qui aboutiront à la définition du dogme de la Trinité au cours du IVe siècle.

La tradition d'un seul auteur qui, selon Irénée et Justin, était Jean, le Fils de Zébédée, s'est imposée dans l'Église, bien qu'au IIIe siècle déjà, Denys d'Alexandrie la récusait. Puisque Jean était l'auteur de l'Évangile, il ne pouvait être celui de l'Apocalypse en raison de la différence flagrante de style et de vocabulaire, mais aussi en raison de la différence d'idées. Aujourd'hui, il est préférable de reconnaître notre ignorance et de simplement admettre qu'une série de textes ont été rassemblés dans un même milieu et placés sous la paternité d'un apôtre afin de leur donner toute l'autorité nécessaire. Ils ont, en tout cas, concouru, avec les autres courants du christianisme primitif à former le proto-catholicisme d'où sont issues les grandes Églises chrétiennes.


VI. Le Paulinisme

De tous les acteurs du début du christianisme, Paul est le personnage que nous connaissons le mieux. Il nous a laissé des lettres dans lesquelles il nous donne lui-même quelques indications le concernant. Une partie de ces lettres a été reprise dans le Nouveau Testament à côté de quelques lettres qui lui sont attribuées, mais qui sont de ses disciples. Les Actes lui consacrent également 15 chapitres sur 28.

A. La Personne de Paul

Les divergences assez importantes entre les lettres et les Actes nous indiquent qu'il faut être prudent avant de déduire tel ou tel trait de caractère chez Paul ou tel ou tel événement de sa vie.

Les lettres nous présentent un personnage qui est continuellement en conflit avec ceux qui enseignent un autre évangile que le sien. Il s'agit des gens de Jérusalem, mais aussi de chrétiens venus d'Alexandrie.

Paul est vraisemblablement né à Tarse, en Cilicie, selon les Actes (IX,11 ; XXI, 39 ; XXII, 3), ce que nous confirment des écrits judéo-chrétiens (Ebionites, Esséens et Elkasaïtes) où on l'appelle "le Tarsiote".

On ne peut situer sa naissance. Dans les Actes (VII, 58) il est présenté comme un jeune homme (neanias) et, en Philémon IX, comme un vieillard (presbytès). Il est vrai que ces notions sont très élastiques dans l'Antiquité. L'épisode des Actes (le jeune homme qui garde les vêtements de ceux qui persécutent Etienne) pourrait se situer vers 32-33 (deux ou trois ans après la crucifixion). Si, à ce moment Paul est un jeune homme entre 16 et 25 ans, il serait né entre 8 et 17. Rien ne peut nous permettre de le confirmer avec certitude.

Son nom juif est Saül (Saulos) ; son nom de citoyen romain est Paul (Paulos), ce qui est un "cognomen". On ignore son "nomen" et son "praenomen" si toutefois il s'est conformé à l'usage romain. Il est citoyen romain par "droit de naissance" (Actes XXII, 28). On ne sait rien de sa famille, sauf qu'il se montre fier d'être de pure lignée juive: "Circoncis à huit jours, de la race d'Israël, de la tribu de Benjamin, Hébreu, fils d'Hébreux" (Philip. III, 5). Il a appris un métier manuel, ce qui l'aidera à subsister dans son activité missionnaire. Il aurait été un tisserand de tentes. Selon les Actes, il a été envoyé à Jérusalem pour étudier chez le rabbin Gamaliel (Actes XXII, 3), ce qui ne concorde pas avec sa propre affirmation dans l'Épître aux Galates (1,22) où il nous dit que lorsqu'il vient à Jérusalem, trois ans après sa conversion, il est inconnu de visage aux communautés de Judée.

Ayant vécu à Tarse toute sa jeunesse, il a côtoyé les adeptes des religions à mystères, notamment le culte de Sandam, nom tarsiote d'Héraclès. Sandam est un dieu censé mourir tous les ans et monter au ciel, donc de ressusciter tous les ans pour revenir sur la terre. Dans quelle mesure connaît-il ces religions à mystères? Il ne nous le dit pas. On ne peut que faire des suppositions. À Tarse, on est en terre grecque. Quelque chose de l'hellénisme a dû imprégner Paul comme les concepts de Dieu, de l'Esprit, du Seigneur, de la raison, de l'âme etc. certes il ne parle pas un grec classique. Il parle plutôt la langue vernaculaire, la "koiné", comme beaucoup d'auteurs de cette époque, ce qui a corrigé le jugement sur Paul et sa langue. Il n'en est pas moins foncièrement juif de caractère: "discuteur, ergoteur, subtil, retors dans la polémique, âpre et tenace" [24]

Comment Paul s'est-il converti ? Sans doute a-t-il rencontré des chrétiens qu'il a commencé par persécuter (1 Cor. XV, 9 et Gal. I, 13), probablement en exagérant lui-même cette attitude pour bien la faire contraster avec son zèle d'après sa conversion. Dans les Actes, la persécution par Paul prend encore une dimension plus ample. J'ai persécuté cette secte jusqu'à la mort (Actes XXII, 4). Paul ravageait la communauté, entrant de maison en maison ; et traînant hommes et femmes, il les livraient à l'emprisonnement (Actes VIII, 3).

Puis un jour, il a été "saisi" par le Christ (Philip. III,12). Aussi évangélise-t-il, non par choix, mais par nécessité (1 Cor., IX, 16). Il nous raconte lui-même sa conversion. "Il faut s'enorgueillir ! C'est bien inutile pourtant j'en viendrai aux visions et révélations du Seigneur. Je connais un homme en Christ qui, voici quatorze ans, était-ce dans mon corps, je ne sais, était-ce hors de mon corps, je ne sais, Dieu le sait - cet homme fut enlevé jusqu'au troisième ciel... jusqu'au paradis et entendit des paroles inexprimables qu'il n'est pas permis à l'homme de redire" (II Cor. XII, 1-5).
Ce passage confirme ce que Paul a déjà écrit quelques années auparavant: "Cet évangile que je vous ai annoncé n'est pas de l'homme ; et d'ailleurs ce n'est pas par un homme qu'il m'a été transmis ni enseigné, mais par une révélation de Jésus-Christ" (Gal. XIII, 11).
Tel est son orgueil: "Paul, apôtre, non de la part des hommes, ni par un homme, mais par Jésus-Christ" (Gal. I, 1). Ou encore: "Paul, serviteur de Jésus-Christ, appelé à être apôtre, mis à part pour annoncer l'évangile de Dieu" (Rom. I, 1).
Son orgueil, toutefois, il doit le tempérer. C'est pour cela que Dieu l'a créé faible et souffreteux dans sa chair. De quoi souffle-t-il ? Nul ne le sait, encore qu'on ait imaginé de l'épilepsie aux hémorroïdes en passant par la lèpre, l'ophtalmie purulente ou simplement les rhumatismes. Tout ce qu'il nous dit, c'est que sa santé est parfois ébranlée: "nous avons été accablé au-dessus de nos forces, au point que nous désespérions de vivre" (II Cor. I, 8-11).

Le récit de sa conversion prend une tout autre allure dans les Actes. Le merveilleux s'en mêle. Le rédacteur des Actes, consciemment ou inconsciemment, n'hésite pas à nous décrire trois fois cette conversion. Dans la première version, la conversion se passe sur le chemin de Damas - précision absente dans les Épîtres - Paul voit une lumière que ses compagnons ne virent pas, entend une voix que ses compagnons entendirent aussi: "Saoul, Saoul, pourquoi me persécutes-tu ?"
Paul en devint aveugle et il ne recouvrera la vue qu'après avoir reçu à Damas l'imposition des mains par Ananas (Actes, IX, 1-9). La deuxième version est semblable à la première, sauf que, cette fois, les compagnons voient la lumière, mais n'entendent pas la voix (Actes XXII, 6-16). Enfin il y a une troisième version selon laquelle la lumière ne rend plus Paul aveugle et où il est précisé que la voix s'exprime en hébreu. De plus le Seigneur lui annonce qu'il lui apparaîtra encore dans l'avenir (Actes XXVI, 13-16). Comment expliquer cette répétition, sinon par la règle générale que les rédacteurs des Évangiles et des Actes reproduisent les traditions orales assez fidèlement et ne se rendent pas compte que c'est la même tradition qui leur parvient par plusieurs sources différentes avec les modifications qu'implique toute transmission orale.

Dans l'Épître aux Galates, Paul nous raconte ce qu'il a fait après sa conversion, à savoir son séjour en Arabie (Idumée), son retour à Damas, sa première visite à Jérusalem après trois ans, son installation à Antioche et enfin sa visite après 14 ans à Jérusalem en compagnie de Barnabé et de Tite. Paul se rend à Jérusalem parce qu'il est en but avec "les intrus, ces faux frères qui se sont glissés pour espionner la liberté que nous avons dans de Christ Jésus... gens auxquels nous refusâmes de céder, fût-ce un moment" (Gal. II, 4-5).
Tite est venu du paganisme, il n'est donc pas circoncis et Paul entend ne pas imposer les lois juives à ces pagano-chrétiens. À Jérusalem, Paul rencontre les "notables' , Jacques le Mineur, le frère de Jésus, Képhas (Pierre) et Jean qu'il appelle un peu ironiquement "les colonnes". Il ne leur cède rien et obtient même leur accord pour continuer son activité envers les gentils à condition que les nouveaux convertis se souviennent des pauvres, c'est-à-dire les "saints" de Jérusalem. Tout semble réglé et lorsque Pierre vient à Antioche, celui-ci mange avec les païens convertis au christianisme jusqu'à l'arrivée de gens de l'entourage de Jacques. Pierre change d'attitude envers les païens convertis, comme d'ailleurs les autres juifs convertis dont Barnabé. Cela provoque la colère de Paul qui n'hésite pas à écrire: "Quand Pierre vint à Antioche, je lui résistai en face et à tenir un violent discours à son égard" (Gal. II, 11 et ss).
Ces adversaires, Paul les rencontrera à plusieurs reprises. Il s'agit de judéo-chrétiens qui ont organisé une mission dans des régions non évangélisées par Paul, mais aussi dans les régions qu'il a lui-même évangélisées, comme par exemple à Corinthe. Manifestement, ces judéo-chrétiens professent un autre évangile que celui de Paul.


B. L'évangile de Paul

Paul n'a pas connu Jésus en personne. Il s'intéresse donc fort peu à ce qu'il a fait ou à ce qu'il a dit, par exemple au baptême, car il l'a connu d'une autre manière: en esprit. Ce qui l'intéresse, c'est le Christ ressuscité qui s'est révélé à lui dans sa vision extatique.

L'homme Jésus est mort et son sang a apporté le salut à l'humanité, soumise au péché depuis le péché d'Adam, mais seulement consciente du péché depuis la révélation de la loi par Moïse. La révélation de la loi n'a pas suffi pour libérer l'homme du péché.
"Que dirons-nous donc ? La Loi est le péché ? En aucune façon. Mais je n'ai point connu le péché, sinon par la Loi. Car je n'aurais pas connu la convoitise, si la Loi ne m'avait pas dit: Tu ne convoiteras pas... Car, sans la Loi, le péché est mort. Car autrefois, sans la Loi je vivais ; le commandement une fois venu, le péché prit vie, mais moi je mourus... Car nous savons que la Loi est spirituelle, mais je suis charnel, vendu au péché. Car je n'approuve pas ce que je fais parce que je ne fais pas ce que je voudrais, mais je fais ce que je hais. Or, si je fais ce que je ne voudrais pas, je reconnais que la Loi est bonne. Ce n'est pas moi qui le fais, mais le péché qui habite en moi." (Rom. VII, 7 et ss.).
La mort de Jésus a été une rançon pour faire surabonder la grâce qui a vaincu le péché. C'est pourquoi, les hommes sont sauvés par la foi en Christ car c'est la foi seule qui les sauve et leur permet de ne plus pécher.

Quant à Jésus, qui est mort sur la croix, Dieu, en le ressuscitant, l'a fait Christ, c'est-à-dire Seigneur, digne de siéger à ses côtés. Il est le premier à avoir connu la résurrection qui sera la condition de tous ceux qui croient en lui. Lorsqu'il viendra, et sa venue est attendue avant même que Paul ne meurt, il ressuscitera ceux qui sont morts et nous ressuscitera, nous les vivants, avec eux. Jésus n'est donc pas un prophète, ni même un Messie comme celui qui était conçu dans le judéo-christianisme. Par sa résurrection, il est devenu un être céleste, Seigneur du monde, après avoir accompli l'oeuvre de salut en tant que second Adam.

Paul présente son évangile comme si c'était un nouveau mystère: "Voici, je vais vous dire un mystère (1 Cor. XV, 51). Je ne veux pas vous laisser ignorer ce mystère" (Rom. XI, 25).

C'est peut-être l'influence du milieu dans lequel Paul a vécu, mais le mystère qu'il nous propose est d'une autre nature que les mystères païens, même s'il leur emprunte leur langage et leur mythe, comme le mythe du sang rédempteur (voir mystère de Dionysos) ou la distinction entre les charnels et les parfaits. "Mais moi, frères, je n'ai pas pu vous prêcher comme à des spirituels, mais comme à des charnels" (1 Cor. III, 1-2).

Cette doctrine aura une influence considérable pour l'avenir du christianisme. Elle triomphera sur l'opposition du christianisme primitif de type judéo-chrétien, centré essentiellement sur l'attente imminente du Royaume de Dieu. Elle fera au cours du Ve siècle l'objet d'un débat passionné entre St Augustin et Pélage.

À côté de notions qui sont sans doute étrangères à la prédication de Jésus, comme celle de la Rédemption par le sang de Jésus, nouvel Adam venant parfaire l'oeuvre de Dieu ou la croyance en une résurrection globale et imminente par laquelle les corps terrestres seront changés en corps célestes (1 Cor. XV, 40 et ss), nous trouvons dans les Épîtres de Paul des passages remarquables pour présenter une christologie soulignant la dimension divine du Christ sans faire du Christ, Dieu lui-même.

"Il n'y a pour nous qu'un seul Dieu, le Père, de qui tout vient et vers qui nous allons, et un seul Seigneur, Jésus-Christ, par qui tout existe et par qui nous sommes" (1 Cor. IV, 6).
Ce Jésus-Christ que Paul appelle Seigneur est certes le Jésus de l'histoire, mais il est surtout celui que Dieu a élevé au rang de Christ (oint-Messie) par la résurrection. Paul prêche, en effet, l'évangile de Jésus, "issu selon la chair de la lignée de David, établi, selon l'Esprit Saint, Fils de Dieu avec puissance par sa résurrection d'entre les morts" (Rom, I, 3-4).
Il n'est pas Dieu, mais son image ; L'évangile est voilé pour les incrédules "afin qu'ils ne perçoivent pas l'illumination de l'évangile de la gloire du Christ, lui qui est l'image de Dieu" (2 Cor. IV, 4). "Nous prêchons un Messie crucifié, scandale pour les juifs, folie pour les païens mais pour ceux qui sont appelés, tant juifs que païens, il est Christ, puissance de Dieu et sagesse de Dieu" (1 Cor. I, 24).

Cette compréhension très importante de la nature du Christ sera encore renforcée dans des lettres attribuées à Paul, mais qui lui seraient postérieures selon beaucoup d'historiens. "Il est l'image du Dieu invisible, Premier né de toute créature.... Trônes et Souverainetés, Autorités et Pouvoirs... Car il a plu à Dieu de faire habiter en lui toute la plénitude" (Col. I, 15 et Ss.).
Cette lettre aux Colossiens, qu'elle soit de Paul ou non, est remarquable à bien des égards. Elle est en tout cas une évolution par rapport à la pensée primitive de Paul, lui qui croyait en une transformation des corps matériels en corps spirituels. Pour l'auteur de la lettre aux Colossiens, la résurrection a eu lieu, mais elle est la résurrection de la foi.
"En lui vous avez été circoncis d'une circoncision où la main de l'homme n'est pour rien et qui vous a dépouillés du corps charnel... Et vous, qui étiez morts à cause de vos fautes et de l'incirconcision de votre chair, Dieu vous a donné la vie avec lui" (Col. II, 11 et ss.).
"Du moment que vous êtes morts avec Christ, et donc soustraits aux éléments du monde, pourquoi vous pliez à des règles" (Col. II, 20).
"Du moment que vous êtes ressuscités avec le Christ, recherchez ce qui est en haut, là où se trouve le Christ" (Col. III, 1).

Remarquable aussi l'hymne cité dans la première lettre à Timothée:
"Au roi des siècles, au Dieu immortel, invisible et unique, honneur et gloire pour les siècles des siècles" (1 Tim. 11).
"Car il n'y a qu'un seul Dieu,qu'un seul médiateur aussi entre Dieu et les hommes, un homme: Christ Jésus" (1 Tim. II, 5).

Les lettres de Paul ont pris place dans le canon des Écritures et son évangile a supplanté les doctrines judéo-chrétiennes qui n'ont laissé que des traces dans les écrits canoniques. Les quelques textes typiquement judéo-chrétiens, qui ont survécu, ont été relégués au rang d'écrits apocryphes, et suggèrent une christologie qui a été appelée "en mineur", tandis que les lettres de Paul annoncent déjà une christologie "en majeur" qui s'imposera surtout grâce à la tendance johannique.


VII. Les dogmes

A. Formation du dogme de la Trinité


a. Introduction


Le thème de la Trinité est, pour les baha'is, d'un intérêt évident. Comment comprendre qu'il y a continuité de révélation entre Jésus, Muhammad, le Bab et Baha'u'llah et par conséquent, convergence de leurs doctrines respectives lorsque, dans le christianisme, on évoque le dogme de la Trinité comme une spécificité chrétienne plaçant cette religion sur un plan supérieur. Jésus-Christ, selon ce dogme, n'est pas un prophète comme les autres, ni un simple apôtre de Dieu, car il est partie intégrante de la réalité divine.

Afin de tenter une élucidation de cette question, il m'a paru utile de présenter, dans une première partie, une étude historique montrant comment le contenu de la révélation de Jésus, tout à-fait conforme à la théologie juive, s'est, peu à peu, imprégnée de concepts philosophiques d'origine grecque pour aboutir après trois et quatre siècles d'interprétations souvent divergentes, à un énoncé dogmatique, sous forme de symbole de foi, définissant la nature et les rapports des trois entités de la Trinité. Il a fallu, pour cela, créer une institution qui n'existait pas à l'origine et qui s'est donné le droit de trancher entre le vrai et le faux, de dire ce qui était orthodoxe et ce qui était hérétique. Cette institution fut celle du Concile des évêques, convoqués en 325, pour la première fois en concile oecuménique, par l'empereur romain qui, à l'époque, n'était pas chrétien, mais entendait mettre fin aux querelles qui opposaient les Églises chrétiennes sur les questions doctrinales. De nombreux ouvrages d'historiens chrétiens et non-chrétiens ont été consacrés à une telle étude avec une foule de détails qu'un simple exposé ne peut retenir. Un exposé ne peut être que très sommaire et réduire la réalité à un minimum de notions [25].


b. La croyance actuelle

Le dogme de la Trinité concerne la croyance en un Dieu en trois personnes, la deuxième personne ayant une double nature: la nature divine et la nature humaine. La deuxième personne, Dieu le Fils, a été engendrée, mais non créée par la première personne, Dieu le Père. Ces deux personnes sont consubstantielles, c'est-à-dire partagent une seule et même nature ou substance. La deuxième personne, Jésus-Christ, n'en possède pas moins une nature humaine complète, c'est-à-dire un corps et une âme. Quant à la troisième personne, le Saint Esprit, elle procède uniquement du Père selon les Églises orthodoxes, du Père et du Fils selon l'Église catholique.

Cette doctrine s'est élaborée progressivement au cours des quatre premiers siècles de l'ère chrétienne et n'a été définitivement formulée qu'en 451 lors du concile de Chalcédoine, sauf en ce qui concerne le "filioque" [26] qui sera introduit plus tard par l'Église romaine et qui sera refusé par les Églises orthodoxes.

Le concile de Chalcédoine consacre la division du monde chrétien sur la question trinitaire car les décisions doctrinales de Chalcédoine ont été contestées par la plupart des évêques ralliés autour de Jérusalem, d'Alexandrie et d'Antioche qui ont adopté le monophysisme [27].

Entre-temps, en 424, les Églises d'Osrhoène et d'Adiabène [28] s'étaient déjà séparées du patriarcat d'Antioche en adoptant une doctrine issue du nestorianisme. Nestorius, évêque de Constantinople, soutenait que dans le Christ, il y a deux natures: une nature humaine, l'homme-Jésus né de Marie, et une nature divine. Ces deux natures sont unies indissolublement mais "sans confusion et sans changement de l'une à l'autre". Marie ne peut donc pas être appelée la mère de Dieu (Theotokos), mais seulement la mère du Christ (Christotokos). Le patriarche d'Alexandrie, Cyrille, qui était monophysite, obtint de Rome la condamnation de Nestorius par un synode [29] romain qui ne prit pas la peine d'examiner le dossier. Rome cherchait à s'allier avec Alexandrie contre Constantinople.

Comment le monde chrétien en est-il arrivé à cette situation ? C'est le résultat des confrontations doctrinales entre les différents courants de pensées nés de l'interprétation des éléments contenus dans la révélation de Jésus. Il est donc nécessaire de repartir de ces éléments pour suivre l'évolution.


c. Textes neo-testamentaires [30]

Ce sont les textes les plus anciens que nous possédions et ils doivent donc retenir notre attention. Ils sont encore suffisamment proches de l'époque à laquelle Jésus a enseigné pour y trouver la trace des courants primitifs et être considérés comme inspirés par l'enseignement originel. Néanmoins il faut se rendre compte qu'à l'époque de la rédaction de ces textes, plusieurs traditions étaient déjà en cours d'élaboration dans les communautés primitives de Jérusalem, d'Antioche, de Damas, d'Alexandrie de même qu'en Grèce et à Rome.

En ce qui concerne les matériaux qui formeront le dogme de la Trinité, trois éléments doivent être examinés. Dieu, Jésus et l'Esprit saint.

* Dieu: Il semble que le problème de Dieu ne se pose pas. Il est le Père, créateur du ciel et de la terre, des choses visibles et invisibles. C'est une réponse constante aux tendances gnostiques qui posent le problème de la création par un démiurge [31] opposé au Dieu bon. Ces tendances ont, en effet, une origine orientale issue des concepts dualistes opposant les principes du bien et du mal. Nous retrouverons la même formule dans les symboles successifs qui seront rédigés au cours des conciles pour affirmer la croyance chrétienne en Dieu, Père créateur.

* Fils: La question essentielle concerne le Fils, incarné par Jésus. Dans les textes neo-testamentaires, la christologie est abordée dans une optique binaire car l'Esprit saint n'y apparaît pas comme une personne distincte.

Qui est Jésus ? C'est la question que se posent d'abord les Juifs dans les quelques années qui suivent sa crucifixion. Ils ne répondent pas tous de la même façon à cette question. On peut déceler au moins sept courants de pensée qui montrent une progression et une majoration dans la perception que les Juifs, devenus chrétiens, ont de Jésus.

À l'origine, Jésus leur apparaît comme un prophète, celui qui était annoncé par Moïse [32]. Ce prophète parle au nom de Dieu car il est animé par un esprit prophétique, un esprit de puissance et de guérison qui lui vient du Père et qui continuera à agir sur le monde après sa mort. Pour effacer l'échec de la mort, il est nécessaire de triompher de cette mort par la résurrection qui est un mythe présent dans tous les cultes à mystères [33] de l'époque. Cela est possible, car Jésus n'est pas seulement un prophète, il est aussi le Seigneur (Kyrios), c'est-à-dire celui qui a le pouvoir.

Le pouvoir que possède Jésus en tant que Seigneur est d'abord de révéler la volonté de Dieu ainsi que les commandements auxquels il faut obéir. C'est l'objet de l'Épître de Jacques qui eut pour auteur sinon Jacques lui-même, identifié par la tradition comme le frère de Jésus, en tout cas un juif ayant accepté Jésus comme le Messie à une époque où la frontière entre judaïsme et christianisme était à peine franchie. Ce pouvoir est encore plus grand aux yeux de Paul. C'est le pouvoir d'affranchir l'humanité du péché car la loi révélée par Moïse n'avait fait que "proliférer le péché" sans apporter la grâce qui peut triompher du péché (Épître aux Romains, V, 20).

Pour les chrétiens d'origine juive, Jésus est avant tout le Messie, celui qui a reçu l'onction divine, investi tantôt du pouvoir royal, tantôt du pouvoir sacerdotal (voir Ière Épître de Pierre et Épître aux Hébreux). Ce Messie est parti pour revenir bientôt instaurer le royaume de Dieu sur la terre. La traduction grecque du mot hébreux "Mashiah" est "Christos", d'où l'appellation Jésus-Christ qui perdra sa signification originelle chez les Grecs auxquels le concept du Messie est étranger.

À l'époque de la naissance du christianisme, des courants spécifiques s'étaient formés en marge du judaïsme officiel, comme le courant essénien. Pour certains de ces juifs, l'attente d'un Messie terrestre, royal ou sacerdotal, avait fait progressivement place à l'idée d'un Messie céleste, soit un ange ou un archange, tantôt Michel lui-même, tantôt plus grand que Michel [34], soit un personnage céleste agissant pour le compte de Dieu et que l'on appelle le "Fils de l'Homme" dans le judaïsme tardif (Daniel, Hénoch). Ces tendances survivront longtemps et seront à l'origine de croyances selon lesquelles Jésus n'était pas un homme véritable, mais un personnage céleste ayant pris l'apparence d'un homme.

Très rapidement, Jésus a été perçu comme "Fils de Dieu". Ce n'est pas un concept nouveau car Dieu est avant tout le créateur, c'est-à-dire le père de toutes choses. La destinée véritable de l'homme est de devenir enfant de Dieu en accomplissant sa volonté. Celle-ci nous est transmise par les prophètes qui sont des fils de Dieu par excellence. Le récit de la naissance miraculeuse renforce cette idée comme s'il était nécessaire d'apporter une preuve matérielle à une croyance qui est d'ordre spirituel. Dans l'Évangile de Marc, qui, selon les exégètes [35], est le plus ancien des Évangiles, Jésus est le Rabbi (maître) et le Nabi (prophète), mais plus que le Messie, il est "ho huïos tou theou", le Fils de Dieu au sens sémitique de "Ben Elohim". Pour affirmer cette tradition, Marc n'a pas besoin de recourir au récit de la nativité, pas plus que Jean d'ailleurs, ce que feront Matthieu et Luc après lui.

Le concept de Fils de Dieu est renforcé par le quatrième Évangile qui introduit la notion du "Verbe incarné", ce Verbe (Logos) qui est fils unique (monogénès) de Dieu. On ne peut s'empêcher de chercher un parallèle avec le logos de Philon d'Alexandrie [36] sans pour autant conclure que Jean s'en est inspiré. Dans ce judaïsme philonien, le monde n'est pas le seul fils de Dieu, ainsi que l'enseignaient les stoïciens. Il a un fils aîné, le Logos qui est l'intermédiaire entre Dieu et le monde et qui est le créateur de celui-ci.

De toutes ces conceptions de Jésus, une idée importante se dégage. Jésus n'est pas seulement un personnage humain, il a en lui quelque chose de divin qui le place au-dessus de l'humanité et lui donne le pouvoir tantôt de sauver les hommes comme chez Paul, tantôt de préparer le monde à recevoir le royaume de Dieu ou même à déjà y entrer lorsque ce royaume est conçu comme spirituel dans les coeurs des hommes (voir Évangile de Jean). Car pour Jean, le salut se trouve bien plus dans la connaissance que nous apporte Jésus que dans sa mort et sa résurrection. Tous les matériaux sont réunis pour spéculer sur la nature du Christ Jésus. Les textes neo-testamentaires ne le font pas car leur but est de témoigner de la vie et du message de Jésus. Les spéculations viendront au cours des siècles suivants lorsque la foi fera place à la réflexion doctrinale.

Quant au Saint-Esprit, il n'apparaît pas comme une troisième personne. Le mot "personne" ne figure d'ailleurs pas dans les textes neo-testamentaires. Le Saint-Esprit est la puissance qui émane de Dieu ou de Jésus car Jésus l'a reçue de Dieu. C'est rarement un sujet qui agit par lui-même.

On peut donc conclure qu'il n'est pas explicitement question de Trinité dans les textes neo-testamentaires. Mais il y a une triade qui s'articule sur Dieu, Jésus et l'Esprit saint et qui fournira des données à la spéculation ultérieure. Celle-ci se réfère plus particulièrement à des passages comme: "La grâce du Seigneur Jésus, la charité de Dieu et la communion du Saint-Esprit soient toujours sur vous" (Fin de la 2e Épître aux Corinthiens) ou la formule baptismale donnée par Matthieu, "au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit" (XXVIII, 19).


d. Le deuxième siècle

Ce deuxième siècle ne sera pas encore celui de la préoccupation trinitaire. Les penseurs chrétiens, les Pères apostoliques [37], du début de ce siècle sont toujours concernés par deux grandes questions: la cosmologie et la christologie. On est donc encore dans la mouvance néo-testamentaire par la rédaction de textes de même nature et dont certains sont acceptés comme inspirés au même titre que ceux qui seront retenus par le canon des Écritures [38] pour former plus tard le Nouveau Testament.

Les uns inclineront, à l'instar des Évangiles synoptiques [39], vers une christologie en mineur que l'on appellera "adoptianiste" qui fait de jésus un homme adopté par Dieu soit à sa naissance, soit à son baptême. Tel est le cas du "Pasteur d'Hermas" où Jésus apparaît comme un homme qui a mérité d'être élevé par son maître - Dieu le Père - au rang de fils par adoption, à côté de l'Esprit saint, fils par nature [40].

La christologie en majeur (ou haute christologie ou christologie pneumatique) est mieux représentée. Elle suit davantage les traditions des écrits johanniques ou pauliniens. C'est une christologie de la préexistence: "Le Seigneur Christ, qui nous a sauvés, est devenu chair, alors qu'il était d'abord esprit, ou encore Il est à la fois charnel et spirituel, engendré et inengendré ; dans l'homme: Dieu ; dans la mort: la vie véritable ; à la fois de Marie et de Dieu ; passible et en même temps impassible ; Jésus-Christ, notre Seigneur" [41].
La haute christologie finira par l'emporter car "il faut que nous pensions de Jésus-Christ ce que nous pensons de Dieu... Car, si nous pensons bassement de lui, nous n'aurons que de petites espérances" [42].

À cette époque, les systèmes gnostiques vont se développer. Ces systèmes posent avec audace la question de la pluralité du divin [43]. Du Dieu transcendant et inconnaissable, le Dieu-qui-n'est-pas de Basilide ou l'Abîme de Valentin, émanent une série de couples d'éons [44] avec, au bas de l'échelle, le dieu de l'Ancien Testament, créateur d'un monde mauvais. Tous ces éons constituent le monde divin, le "plerôme".
Ces spéculations amorcent la question trinitaire, mais elles sont trop aventureuses pour ne pas être rejetées avec vigueur par les Pères apologistes [45]. Ceux-ci empruntent à Philon sa théorie du Logos créateur. Dieu a créé le monde non point directement, mais par l'intermédiaire du Logos qui est sa raison subsistante. Le Logos n'a pas été créé car il existe de toute éternité, mais il a été engendré par Dieu. La distinction stoïcienne est maintenue entre le Logos immanent (endiothétos) et le Logos proféré (prophoricos), c'est-à-dire la pensée préexistante, prête à être formulée et la parole qui l'exprime au-dehors de Dieu en vue de la création. Leurs réflexions centrées sur la nature des relations entre Dieu et le Logos qu'ils ne distinguent pas du Saint-Esprit les éloignent déjà du prologue du quatrième Évangile par ce recours à la philosophie qui suppose l'idée d'un commencement pour le Verbe proféré.


e. Fin du deuxième siècle

Un groupe d'Orientaux fait son apparition à Rome. Ils sont appelés les "alogès" car ils rejettent le Logos qui, à leurs yeux, soutient une christologie bithéiste ; ils entendent défendre le pur monothéisme, la monarchie divine [46]. On peut séparer ces "monarchiens" en deux tendances: le monarchisme dynamique et le monarchisme modaliste.

Pour le monarchisme dynamique, Jésus n'est qu'un homme accrédité par Dieu (Actes II, 22). C'était remettre en question les acquis de la haute christologie. Cette doctrine n'avait donc aucune chance d'être acceptée, elle fut rapidement condamnée par le pape Victor (189-198). Par contre le monarchisme modaliste avait plus de chances. La divinité s'est incarnée dans le Christ qui n'est autre que Dieu devenu chair. Cette doctrine affirmait d'une part un pur monothéisme et d'autre part la pleine divinité du Christ. Aussi fut-elle populaire auprès des masses car elle ne s'embarrassait pas de formules philosophiques compliquées. Ce schéma fut, semble-t-il, complété par Sabellius qui présente pour la première fois une formule vraiment trinitaire. Dieu agit sous trois "prosôpa" successifs (figures, ou visages ou formes transitoires): Comme créateur et législateur, Dieu agit en tant que Père ; quand Il naît de Marie et meurt sur la croix, Il agit en tant que Fils et quand Il sanctifie et vivifie, Il agit en tant qu'Esprit. Il n'y a donc qu'un principe unique qui agit sous trois modes [47].

Une telle conception s'éloigne des textes neo-testamentaires. Elle sera combattue par deux grands noms du troisième siècle, Tertullien et Origène.


f. Le troisième siècle

* Tertullien en revient à la règle de foi traditionnelle selon laquelle le Fils procède du Père et envoie à son tour l'Esprit. Il y a donc une économie divine avec une organisation interne de l'unité divine, donc une certaine pluralité, avec un développement qui en découle. La grande contribution de Tertullien est d'avoir inventé le vocabulaire qui sera retenu pour élaborer le dogme de la Trinité. Tertullien est aussi le premier Père à parler le latin. Pour parler de la nature constitutive de Dieu, il utilise le mot "substantia" (substance) qui traduit les mots grecs "ousia" et "hypostasis". C'est l'unité divine. Celle-ci n'est cependant pas ramassée sur elle-même, elle s'organise, elle se déploie mais sans division ni opposition en la Trinité du Père, du Fils et du Saint-Esprit [48], car Tertullien est aussi le premier à utiliser le mot "Trinitas". Ce déploiement aboutit à la formation de trois "personae" (le masque, le rôle, la personne juridique, le sujet personne). C'est donc "trois formes individuelles découpées dans le tissu commun de la divinité" [49].
Le déploiement ne signifie pas qu'il y a une chronologie car il a toujours été. La source en est le Père de qui procède le Fils et le Saint Esprit. Le Fils est donc consubstantiel au Père car il en est la parole que le Père ne profère cependant qu'au moment et en vue de la création. Le Fils est toutefois subordonné au Père car il n'est qu'une portion de la substance divine qui peut faire des choses que la transcendance divine ne peut pas faire, c'est-à-dire se rendre visible.

* Origène commence par la trinité des hypostases, contrairement à Tertullien qui partait de l'unité de la substance. Hypostase n'a donc pas, chez Origène, le même sens que chez Tertullien. Origène parle aussi de deux réalités concrètes (pragmata) lorsqu'il évoque le Père et le Fils. Le Père est l'être absolu et incompréhensible qui ne devient connaissable et intelligible que par son Logos. Le Christ, en tant qu'incarnation du Logos, a une personnalité propre, mais le divin en lui ne résulte pas d'un partage de la substance divine, car celle-ci est immatérielle et ne peut donc pas être partagée. Il y a donc génération spirituelle sans commencement. La nature divine du Logos est celle du Père car le Fils et le Père sont un par "l'ousie" [50], mais autres par hypostase. En tant qu'hypostase, le Fils est subordonné au Père, car il est causé par lui ; le Fils apparaît donc comme un "second dieu". Cette subordination est encore plus marquée lorsque Origène évoque l'Esprit saint. Il y a donc une hiérarchie entre les trois hypostases. Le Père agit pour tous les êtres, le Fils pour les êtres raisonnables et l'Esprit uniquement pour les saints, c'est-à-dire l'Église (De Principiis I, III, 5).

C'est donc dans le courant de ce troisième siècle que l'idée trinitaire triomphe en prenant place dans les symboles ou credos des Églises. Ces formules de foi du IIIe siècle cherchent toutefois à se débarrasser des aspects trop ouvertement philosophiques pour se rapprocher de la tradition. De plus, elles n'ont pas encore le caractère d'un dogme car elles différent d'Église à Église et tous les théologiens n'ont pas nécessairement adopté la doctrine du Logos. Les courants modaliste et adoptianiste existent toujours. Il faudra une crise grave provoquant l'intervention de l'autorité impériale pour concevoir une réunion de théologiens responsables qui se donneront le droit de trancher entre "le vrai et le faux". Ce ne sera pas chose facile car ces réunions, appelées conciles, se succéderont au cours des IVe et Ve siècles dans un climat de confrontation.


g. Quatrième et cinquième siècles

La crise grave qui déclencha tout le processus est la crise arienne. Il n'est pas
question ici de décrire les motifs et les péripéties de cette crise. Pour en faire un bref procès, l'arianisme reprend l'idée qu'il y a en Dieu un Logos immanent, propriété de Dieu. Le Fils n'est Logos que par participation. Les natures du Père et du Fils sont donc dissemblables (anomoioi). Pour régler le conflit qui oppose Arius à son évêque Alexandre, l'empereur Constantin convoque en 325 le concile de Nicée. Celui-ci condamnera l'arianisme et rédigera un nouveau credo qu'il est intéressant à comparer avec les symboles utilisés jusqu'alors, comme le symbole de Césarée.

* Symbole de Césarée :

Nous croyons en un seul Dieu, Père tout-puissant, créateur de toutes choses visibles et invisibles.

Et en un seul Seigneur Jésus-Christ, le Verbe de Dieu, lumière de lumière, vie de vie, Fils unique, premier-né de toute la création engendré du Père avant tous les siècles, par qui tout a été fait, lequel pour notre salut s'est fait chair et a habité parmi nous, a souffert, est ressuscité le troisième jour, est monté vers son Père, reviendra dans la gloire pour juger les vivants et les morts.

Nous croyons en un Saint-Esprit.

Nous croyons que chacun de ceux-ci existe véritablement, le Père, qui est véritablement Père, le Fils qui est véritablement Fils, le Saint-Esprit, qui est véritablement Saint-Esprit, ainsi que le Seigneur l'a dit en envoyant ses disciples pour la prédication: "Allez enseigner toutes les nations".

* Symbole de Nicée :

Nous croyons en un seul Dieu, Père tout-puissant, créateur de toutes choses visibles et invisibles.

Et en un Seigneur, Jésus-Christ, Fils de Dieu, "seul engendré du Père, c'est-à-dire de la substance du Père, Dieu de Dieu" ; lumière de lumière, "vrai Dieu de vrai Dieu", engendré, non créé ; "consubstantiel au Père", par qui tout a été créé dans le ciel et sur la terre, qui est descendu du ciel pour nous et notre salut, s'est incarné ; s'est fait homme, a souffert, est ressuscité le troisième jour, est monté aux cieux, et viendra juger les vivants et les morts.

Et au Saint-Esprit.

Ceux qui disent: il y a eu un temps où il n'était pas, et il n'était pas avant d'être engendré, il est né du néant, ou qui soutiennent qu'il est né "d'une autre hypostase ou d'une autre substance", ou que le Fils de Dieu a été créé, qu'il n'est pas immuable, mais soumis au changement, l'Église catholique et apostolique les anathématise

Sur le premier alinéa concernant Dieu le Père, il n'y a aucun changement car il y a continuité de doctrine en opposition avec le gnosticisme.

Le symbole de Césarée ne comporte que des données neotestamentaires soulignant que Jésus-Christ est le Verbe de Dieu qui est la lumière, le Fils unique, le premier-né, l'agent créateur, qui s'est fait chair. Le symbole de Nicée introduit une série de mots et de concepts qui sont soulignés dans le texte ci-dessus et qui ne se trouvent pas dans les Écritures. De plus, le Verbe de Dieu est remplacé par le Fils de Dieu. De ce fait c'est Jésus lui-même qui devient le Fils unique, le premier-né de la création, l'agent de la création. Jésus n'est plus seulement l'incarnation du Verbe éternel, mais un être éternel, consubstantiel au Père. Ce sont là, des interprétations découlant des écrits et des études de certains Pères, comme Tertullien. Il est donc naturel que les évêques ne se soient pas ralliés unanimement à cette nouvelle formulation.

Le symbole de Nicée, pas plus que les symboles précédents, ne s'intéresse pas encore à la nature de l'Esprit saint.

La fin du symbole de Nicée remplace radicalement la quatrième partie du symbole de Césarée qui exprimait la croyance déjà bien établie qu'il y avait trois êtres distincts sans introduire de concepts philosophiques pour les définir, comme le fait le symbole de Nicée en ce qui concerne le Fils. Il introduit dans le symbole une condamnation précise des propositions ariennes, mais aussi la notion d'identité entre hypostase et substance. Pour Nicée, il n'y a qu'une substance et qu'une hypostase, porte ouverte aux confrontations ultérieures.

Cette introduction dans un credo de notions étrangères au Nouveau Testament était loin de satisfaire les évêques orientaux à qui l'empereur et son conseiller, Ossius de Cordoue, avaient quelque peu forcé la main pour adopter les canons du concile. Aussi, furent-ils nombreux à adopter des positions nuancées une fois rentrés chez eux. Ils digéraient mal le mot "consubstantiel" (homoousios) d'autant plus que ce mot avait été condamné en 264-268 au concile d'Antioche lors du procès de Paul de Samozate. Ce mot avait en effet un parfum de modalisme.

On peu dire que le monde chrétien se divisa en quatre tendances:

- les "nicéens radicaux" qui souscrivaient entièrement à la formule de la consubstantialité et qui eurent pour un temps la faveur de l'empereur.

- les nicéens modérés, appelés "homéousiens", qui suggéraient de remplacer "homoousios" par "homoiousios" qui signifie de substance semblable et non de substance unique.

- les ariens radicaux, appelés "anoméens" (anomoios, dissemblable) et partisans des doctrines ariennes.

- les ariens modérés ou semi-ariens, appelés les "homéens", et qui suggéraient d'utiliser le mot "homoios" (semblable, mais sans référence à la substance).

Ces derniers reçurent l'appui en 360, de l'empereur Valence, après la convocation d'un concile à Constantinople qui adopta cette formule. Ce concile n'est plus reconnu par l'Église catholique parce que "hérétique". La formule fut néanmoins imposée à tous les évêques de l'empire et l'évêque Wulfila, formé à cette doctrine, partit évangéliser les peuples de langues germaniques (Ostrogoths, Wisigoths, Vandales, Burgondes) qui adoptèrent ainsi un christianisme arien qui finit par se répandre plus tard dans tout l'Occident, y compris à Rome.
À l'empereur Valence, succéda Julien, l'apostat, qui rétablit la pluralité des cultes, avec une préférence pour les cultes païens et amnistia les évêques qui avaient refusé la formule homéenne. Alors régna la plus grande confusion, car dans plusieurs villes il y avait plus d'un évêque et donc plusieurs églises chrétiennes. C'est pour mettre fin à cette situation que l'empereur Théodose, nicéen convaincu, décréta en 381 que toutes les églises devaient revenir aux évêques nicéens. Comme l'empereur se rendit compte qu'un édit ne suffirait pas, il convoqua le concile de Constantinople où les évêques de Cappadoce [51] jouèrent un rôle de conciliation. Ils proposèrent de conserver la notion de consubstantialité, chère aux nicéens, mais en la corrigeant par l'idée de trois hypostases, chère aux évêques orientaux. Cette formule fut acceptée et un nouveau symbole de foi fut adopté qui ne se trouve pas dans les actes du concile mais qui sera rappelé plus tard à Chalcédoine. Comme le texte qui suit se trouve déjà dans un écrit de 374, on doit en conclure que le concile a adopté un texte rédigé 7 ans plus tôt.

* Symbole de Constantinople (381) :

"Nous croyons en un seul Dieu, le Père tout-puissant, créateur du ciel et de la terre et de toutes les choses visibles et invisibles ;

et en un Seigneur Jésus-Christ, le Fils de Dieu, l'Unique engendré du Père avant tous les siècles, lumière de lumière, vrai Dieu de vrai Dieu, engendré, non fait, consubstantiel au Père, par qui tout a été fait, qui pour nous les hommes et pour notre salut, est descendu des cieux, s'est incarné par le Saint-Esprit, est né de la Vierge Marie, s'est fait homme, a été crucifié sous Ponce-Pilate, a souffert, a été enseveli, est monté aux cieux et siége à la droite du Père, il reviendra en gloire pour juger les vivants et les morts, son règne n'aura pas de fin ;

et en l'Esprit saint, Seigneur, qui vivifie, qui procède du Père, qui avec le Père et le Fils est conjointement adoré et glorifié, qui a parlé par les Prophètes ;

et en une Église sainte, catholique et apostolique.

Nous confessons un baptême pour la rémission des péchés.

Nous attendons la résurrection des morts et la vie du siècle à venir. Amen
."

Pour la première fois, le symbole de foi définit l'Esprit saint comme un Seigneur distinct du Seigneur Jésus-Christ. On peut donc dire qu'enfin le dogme de la Trinité est instauré. Remarquons qu'à ce stade, la formule ne contient pas le "filioque" qui sera ajouté par les chrétiens espagnols à la fin du VIe siècle et qui sera une des causes de la rupture entre l'Orient et l'Occident. À part ce "filioque", la formule ne sera plus modifiée et sera adoptée progressivement par toutes les Églises. Les derniers à s'y rallier furent les latins: au VIIIe siècle dans l'empire de Charlemagne, au Xe siècle en Allemagne et au XIe siècle à Rome.

Si la formule est unanimement adoptée, y compris chez les futurs monophysites, c'est parce qu'il n'y est pas explicitement question de la double nature du Fils. Cette question prolongera les confrontations christologiques pendant quelque 70 ans. Trois thèses sont en présence: celle des Alexandrins, qui soutiennent la thèse de la nature unique, autrement dit le monophysisme, celle des Nestoriens qui soutiennent que le Fils est fait de (ek) deux natures et que par conséquent Marie ne peut être la mère de Dieu, et celle qui établit que le Christ est unique en (en) deux natures qui sont sans confusion (asunchytôs), sans changement (atreptôs), sans division (adiairétôs) et sans séparation (achoristôs). La thèse Nestorienne fut à nouveau condamnée en 449 à Ephèse, quant au monophysisme, il fut rejeté en 451 à Chalcédoine qui adopta la thèse de la double nature de Dieu le Fils.

Rome s'opposera au 28e canon du concile, car ce canon accordait à Constantinople les mêmes privilèges qu'à Rome alors qu'au concile de Constantinople, on s'était contenté de donner une primauté d'honneur à l'évêque de Constantinople, capitale de l'empire. Par ailleurs les monophysites, soit les Églises arménienne, égyptienne et jacobite, ainsi que les Nestoriens qui s'étaient déjà séparés d'Antioche en 424 se coupèrent définitivement des Églises de Rome et de Constantinople.


h. Conclusion

On se rend compte que le dogme de la Trinité qui est une des bases essentielles du christianisme est l'aboutissement d'une longue réflexion philosophique qui s'est éloignée progressivement de la foi simple du début. C'est pourquoi aujourd'hui, on assiste à des tendances qui remettent en question ces formulations trop spéculatives et trop intellectuelles, mais qui sont strictement contrôlées, sinon combattues par la politique actuelle du Vatican en matière de dogme. À titre d'exemple, citons Hans Küng, théologien catholique: "L'oeuvre des conciles, tout comme sa théologie sous-jacente, représente donc un travail incessant de traduction. Tout ce qu'on appelle la doctrine des deux natures est une interprétation, formulée dans la langue et les concepts hellénistiques, de ce que Jésus signifie réellement.
Ne minimisons pas l'importance de cette doctrine: elle a fait l'histoire. Elle exprime une authentique continuité de la foi chrétienne et fournit des lignes directrices importantes pour l'ensemble de la discussion et pour toute interprétation future. Mais, d'un autre côté, il ne faudrait pas donner l'impression que le message relatif au Christ ne peut ou ne doit se formuler aujourd'hui que par le truchement des catégories grecques, inévitables à l'époque, mais désormais insuffisantes ; que par le moyen de la doctrine chalcédonienne des deux natures ; que grâce, par conséquent, à la christologie dite classique" (Hans Küng, Etre chrétien, page 141).

Par ailleurs, le symbole de Nicée-Chalcédoine semble trop subtil avec des notions peu compréhensibles par le commun des mortels, comme "Jésus, fils unique de Dieu, est consubstantiel au père". C'est pourquoi l'Église préfère se référer à un symbole élaboré entre le IIe et VIe siècle, appelé "symbole des apôtres".
"Je crois en Dieu, le Père tout-puissant, créateur du ciel et de la terre ; et en Jésus-Christ, son fils unique, notre Seigneur, qui a été conçu du Saint-Esprit, est né de la Vierge Marie, a souffert sous Ponce Pilate, a été crucifié, est mort, a été enseveli, est descendu aux enfers ; le troisième jour, est ressuscité des morts, est monté aux cieux, est assis à la droite de Dieu le Père tout-puissant, d'où il reviendra pour juger les vivants et les morts. Je crois au Saint-Esprit, à la sainte-Église catholique, à la communion des saints, à la rémission des péchés, à la résurrection de la chair, à la vie éternelle. Amen".
Cette formulation a le mérite de n'employer aucune des subtilités sémantiques et théologiques dont use le symbole de Nicée-Chalcédoine. Mais il laisse l'homme moderne assez sceptique devant les réaffirmations de la descente aux enfers, de la montée corporelle au ciel pour trôner à la droite du Père et de la résurrection de la chair.


B. Le péché originel et la rédemption

L'idée que l'homme était une créature spirituelle supérieure, façonnée à l'image de Dieu, est partagée par de nombreux courants gnostiques bien avant le christianisme. Cet Esprit a perdu sa condition première et s'est laissé emprisonner dans la chair. Sa destinée est de retrouver sa condition première par la gnose [52] qui lui apportera la délivrance. La doctrine chrétienne orthodoxe a rejeté tous ces courants gnostiques en les déclarant hérétiques. Elle a intégré le récit de la Genèse sur la chute d'Adam et Eve, qui ont été séduits par une voix opposée à Dieu. "Vous deviendrez comme Dieu" (Gen III, 5).
Cette voix est celle d'un ange déchu (Satan ou le Diable) qui a choisi de désobéir à Dieu et pour qui il n'y aura pas de pardon. Ce n'est cependant pas un dualisme total, car seul Dieu est créateur et tout ce qu'il a créé est bon. Mais quelques êtres spirituels, des anges, se sont révoltés et sont devenus source de mal, tout en restant des créatures. Ils ont entraîné le premier homme dans le péché et avec lui toute sa postérité. Pour le christianisme, ce récit correspond à "un fait qui a eu lieu au commencement de l'humanité" [53].
Le premier homme a péché et son péché a rejailli sur toute sa descendance, c'est-à-dire toute l'humanité. Cette doctrine est professée par Paul dans son Épître aux Romains: "Voilà pourquoi, de même que par un seul homme le péché est entré dans le monde et par le péché la mort, et qu'ainsi la mort a atteint tous les hommes: d'ailleurs tous ont péché" (Rom. V, 12).
La question principale qui est ici soulevée est celle de la responsabilité de l'homme devant le péché. Pour Paul, la connaissance du bien et du mal ne suffit pas. "Effectivement, je ne comprends rien à ce que je fais ; ce que je veux, je ne le fais pas, mais ce que je hais, je le fais" (Rom. VII, 15).
Avant que ne soit révélée la Loi par Moïse, l'homme ne pouvait porter la responsabilité du péché. "Car, jusqu'à la loi, le péché était dans le monde et, bien que le péché ne puisse être sanctionné quand il n'y a pas de loi, pourtant, d'Adam à Moïse la mort a régné, même sur ceux qui n'avaient pas péché par une transgression identique à celle d'Adam" (Rom. V, 13, 14).
La loi révélée par Moïse avait donc fait accroître le péché. Cependant la loi, en elle-même, n'est pas mauvaise. C'est l'homme qui est mauvais car il est pécheur. Nous savons, certes, que la loi est spirituelle ; mais moi, je suis charnel, vendu comme esclave au péché (Rom. VII, 14). La loi, elle, est intervenue pour que prolifère la faute, mais là où le péché a proliféré, la grâce a surabondé. (Rom. V, 20). Il fallait donc un rédempteur qui vienne donner à l'homme la possibilité de s'affranchir de la malédiction originelle. "Bref, comme par la faute d'un seul, ce fut pour tous les hommes la condamnation, ainsi par l'oeuvre de justice d'un seul, c'est pour tous les hommes la justification qui donne la vie" (Rom. V, 18).
Jésus devient donc le sauveur (sôtèr). Dans les Évangiles, il ne reçoit ce titre que chez Luc et chez Jean (Luc, II, 11 ; Jean IV, 42), sans toutefois qu'il soit fait allusion au péché originel.

Pour Pélage [54], l'homme a le pouvoir de sortir du péché par la force naturelle de sa volonté libre. St Augustin s'opposa de façon radicale: l'homme n'a pas ce pouvoir, il doit être aidé par la grâce qui est un don gratuit de Dieu même si l'homme est responsable du fait qu'il est doué du libre-arbitre.

Le concile d'Orange (529) a adopté un augustinisme modéré: Dieu prédestine au bien, mais le mal naît du libre-arbitre de l'homme: "Dieu génère en l'homme de nombreuses bonnes actions dont l'homme n'est pas responsable... L'homme, par lui-même, n'est responsable que de ses péchés" (canons 20 et 22). La position de l'Église a finalement été tranchée au Concile de Trente en 1546. Le libre-arbitre est incapable du bien sans le secours de la grâce. Mais l'homme doit coopérer avec celle-ci en vue de son salut. "Quand Dieu touche le coeur de l'homme par l'illumination de l'Esprit saint, l'homme n'est pas sans rien faire en recevant cette inspiration, qu'il peut d'ailleurs rejeter ; et cependant il ne peut pas non plus, sans la grâce de Dieu, se porter par sa volonté libre vers la justice devant Lui" [55].

Jansenius (1585-1638), évêque d'Ypres, influencé par la réforme, nourrit une vision pessimiste de l'homme, qui ne peut être sauvé que par la grâce accordée par Dieu aux seuls prédestinés. Cette doctrine a été condamnée par Rome.

Le catéchisme actuel réaffirme la doctrine du semi-augustinisme: "Tout notre salut vient de la grâce de Dieu et notre réponse de foi est elle-même un don de grâce... Justifiés par la grâce venue du Christ, nous n'en sommes pas moins sauvés librement. La grâce vient libérer notre liberté, pour lui permettre de répondre aux prévenances divines... La coopération de l'homme à son salut, tout en étant un don de grâce, demeure un acte de liberté" [56].

Ainsi donc, l'homme naît en état de péché. Ce n'est pas un péché commis, mais un péché contracté [57]. S'il meurt dans cet état, il est condamné à l'enfer. Afin d'être lavé de cette tache, il doit être baptisé.

Le "baptême" [58] est un rite ancien sous la forme d'ablutions qui permettent le passage du monde profane au monde sacré. Les pharisiens utilisèrent ce mot après l'Exil lorsque les rites d'ablution se multiplièrent. Le mot est inconnu des esséniens bien que ceux-ci connaissaient de nombreuses ablutions rituelles, notamment en préparation du repas sacré quotidien. Au Ier siècle de notre ère, le baptême fut administré aux prosélytes après la circoncision afin de leur permettre l'accès aux sacrifices du Temple. Jean-Baptiste lui donne une dimension particulière en le pratiquant dans l'eau vive du Jourdain: Le baptême de Jean-Baptiste appelle à la conversion pour le pardon des péchés.
"Jean le Baptiste parut dans le désert, proclamant un baptême de conversion en vue du pardon des péchés" (Marc, I, 4). Jésus abandonne le "baptême d'eau" pour instaurer le "baptême de l'esprit". Jean répondit à tous: "Moi (Jean-Baptiste), c'est d'eau que je vous baptise ; mais il vient, celui qui est plus fort que moi, et je ne suis pas digne de délier la lanière de ses sandales. Lui, il vous baptisera dans l'Esprit Saint et le feu" (Luc III, 16). "Je me suis souvenu alors de cette déclaration du Seigneur: Jean, disait-il, a donné le baptême d'eau, mais vous, vous allez recevoir le baptême dans l'Esprit Saint" (Actes, XI, 16).
Cela n'empêcha pas la communauté chrétienne de continuer le rituel de l'immersion dans l'eau. Cet acte signifie pour celui qui se convertit dans la foi du Christ une adhésion à la communauté chrétienne. Il se substitue en cela à l'ancien rite de la circoncision. Mais pour Paul, ce baptême signifie la participation à la mort et à la résurrection de Jésus et fait du chrétien un "fils de Dieu". Car tous, vous êtes, par la foi, fils de Dieu, en Jésus-Christ (Gal. III, 26).

Le baptême doit être confirmé par le sacrement de "confirmation". Dans les premiers temps, les deux sacrements étaient administrés en même temps, car on baptisait des adultes. À partir du IIe siècle, la pratique du baptême s'étend aux enfants. Dans l'Église occidentale, les deux sacrements ont été séparés. Le baptême est donné à l'enfant nouveau-né par le prêtre et la confirmation, vers l'âge de 12 ans, par l'évêque. Dans l'Église orientale, on a conservé la pratique des deux sacrements conjoints. Au début, le baptême se pratiquait par "l'immersion". C'est toujours le cas dans les Églises orthodoxes et les Églises "uniates", ainsi que dans certaines sectes protestantes. À partir du XIIe siècle, l'Église catholique donne le baptême par "affusion (eau versée sur la tête)". L'Église anglicane baptise et les principales sectes protestantes pratiquent le baptême par "aspersion".

Les sacrements du baptême et de la confirmation confèrent la vie éternelle à la condition de ne pas retomber dans le péché, du moins dans le péché mortel. Si c'est le cas, il faut recourir au "sacrement de la pénitence et de la réconciliation". La remise des péchés appartient à Dieu qui l'a conféré à son Messie: "Eh bien afin que vous sachiez que le Fils de l'homme a autorité pour pardonner les péchés sur la terre" (Marc II, 10).
À son tour Jésus confère cette autorité à ses apôtres: "Ceux à qui vous remettrez les péchés, ils leur seront remis. Ceux à qui vous les retiendrez, ils leur seront retenus" (Jean XX, 23).
L'Église en a donc fait un sacrement qui a évolué au cours des siècles. Dans les premiers temps, ceux qui avaient commis des péchés particulièrement graves (idolâtrie, adultère, homicide...) devaient faire une pénitence publique et attendre souvent de longues années avant de recevoir la réconciliation. C'est à partir du VIIe siècle que s'introduit la pratique "privée" de la pénitence. Elle se réalise par la confession devant le prêtre qui peut accorder la réconciliation (absolution) immédiate. Cette réconciliation concerne tous les péchés, tant les péchés graves que les péchés véniels. Celui qui a omis de recourir à ce sacrement avant sa mort, est condamné au feu éternel de l'enfer, sauf si un prêtre lui administre un autre sacrement appelé "extrême-onction".
Cette pratique est basée sur le verset suivant de l'épître de Jacques: "L'un de vous est-il malade ? Qu'il fasse appeler les anciens de l'Église, et qu'ils prient après avoir fait sur lui une onction d'huile au nom du Seigneur. La prière de la foi sauvera le patient ; le Seigneur le relèvera et, s'il a des péchés à son actif, il lui sera pardonné" (Jc V, 14-15).
On pratiquait cette onction d'huile à ceux qui étaient gravement malades dans l'esprit de l'épître de Jacques. Mais au cours des siècles, cette onction a été conférée presque exclusivement à ceux qui étaient sur le point de mourir dans l'espoir qu'ils guérissent, mais surtout pour leur conférer le pardon de leurs péchés et leur éviter la damnation éternelle en enfer.

Il est vrai qu'aujourd'hui les théologiens ont quelque peu gommé les références à l'enfer. Le "Bilan de la théologie du XXe siècle", publié en 1970 chez Casterman consacre 18 pages à l'eschatologie, mais rien en particulier sur l'enfer: "Maintenant l'objectif n'est plus de thématiser, dans un discours de style informatif, l'essence de la mort et du jugement du ciel, de l'enfer et du purgatoire" [59].


C. L'Eucharistie (du grec "eucharistein", rendre grâce)

L'Eucharistie trouve son origine dans les repas sacrés pratiqués avant le christianisme. Dans le récit de l'exode, Dieu envoie la "manne" pour soutenir son peuple pendant la traversée du désert. Cette nourriture est le signe de l'Alliance. La nourriture symbolise la Parole de Dieu. "Fils d'homme, mange-le, mange ce rouleau ; ensuite tu iras parler à la maison d'Israël" (Ezéchiel, III, 1).
La Sagesse elle-même invite les croyants en ces termes: "Allez, mangez de mon pain, buvez du vin que j'ai mêlé" (Prov. IX, 5). Jésus prit un dernier repas (la dernière Cène) avec ses disciples avant son arrestation :
Pendant le repas, il prit du pain et, après avoir prononcé la bénédiction, il le rompit, le leur donna et dit: "Prenez, ceci est mon corps". Puis il prit une coupe et, après avoir rendu grâce, il la leur donna et ils en burent tous. Et il leur dit: "Ceci est mon sang, le sang de l'Alliance, versé pour la multitude" (Marc XIV, 22-24).
Dans son Évangile, Luc ajoute: "Faites cela en mémoire de moi" (Luc, XXII, 19). Il est très curieux de constater que Jean dans son Évangile ne reproduit pas ces paroles de Jésus lorsqu'il évoque la dernière Cène. Jésus réunit ses disciples pour ce dernier repas, au cours duquel il annonce la trahison d'un des disciples et sa mort prochaine. Il fait ensuite un résumé de son enseignement. C'est au cours du récit de la multiplication des pains que Jean, dans son Évangile (chapitres V et VI), évoque la nourriture céleste qui descend du ciel par l'intermédiaire du Christ. Celui-ci se présente comme le pain de vie, et offre son corps et son sang comme une véritable nourriture et un véritable breuvage. "Car ma chair est vraie nourriture, et mon sang vraie boisson" (Jean, VI, 55). Le corps et le sang de Jésus ne sont-ils donc pas le symbole de ses enseignements ?

Dans les premiers temps, les disciples se rassemblaient pour rompre ensemble le pain. "Ils étaient assidus à l'enseignement des apôtres et à la communion fraternelle, à la fraction du pain et aux prières" (Actes II, 42).
Par la suite, le rite a associé à cette action de grâce, la notion du renouvellement du sacrifice de Jésus. De même qu'il a offert son corps sur la croix, il l'offre à nouveau par le sacrifice de la messe à tous ceux qui prennent l'hostie. Celle-ci rappelle le pain du repas. "Paschase Rabert, un moine de Corbie, définit explicitement le premier l'identité du corps historique du Christ et de son corps eucharistique, jetant les bases de la doctrine catholique de la transsubstantiation, c'est-à-dire de la présence réelle et substantielle du corps et du sang du Christ dans le pain et le vin consacrés [60]".
Bérenger de Tour (+ 1088) a contesté cette interprétation de l'Écriture. Pour lui la présence du corps du Christ dans l'hostie n'est qu'une présence figurée. Il fut condamné par un Concile tenu à Paris et forcé de récuser sa conception lors d'un autre Concile, tenu quelques mois plus tard (1079) à Rome. Le Concile de Latran (1215) fit une déclaration solennelle confirmant la présence réelle du Corps du Christ dans l'hostie.
Le Protestant Jean Calvin, à son tour, récusa la doctrine ; il y voyait une incompatibilité avec le sacrifice unique de la Croix, ce qui amena le Concile de Trente (1562) à confirmer ce dogme: "Parce que le Christ, notre Rédempteur, a dit que ce qu'Il offrait sous l'espèce du pain était vraiment son Corps, on a toujours eu dans l'Église cette conviction, que déclare le saint Concile à nouveau: par la consécration du pain et du vin s'opère le changement de toute la substance du pain en la substance du Corps du Christ notre Seigneur et de toute la substance du vin en la substance de son Sang ; ce changement, l'Église catholique l'a justement et exactement appelé "transsubstantiation" [61].
La croyance dans la présence réelle du Corps du Christ dans l'hostie consacrée est donc la doctrine officielle de l'Église catholique qui la pratique sous la forme du pain sans levain. Elle est partagée par les Églises orthodoxes qui recourent à la double forme du pain avec levain et du vin. Les protestants font plus ou moins de réserves selon les sectes. Les luthériens admettent une "consubstantiation" plutôt symbolique. D'autres pratiquent une simple commémoration de la Cène.


D. Le retour du Christ

"Car le Fils de l'homme va venir avec ses anges dans la gloire de son Père ; et alors il rendra à chacun selon sa conduite" (Matth. XVI, 27). Selon Pierre Teilhard de Chardin, cette attente du retour du Christ est "la fonction chrétienne par excellence, et le trait le plus distinctif peut-être de notre religion... Hélas, la hâte un peu enfantine, jointe à l'erreur de perspective, qui avait fait croire la première génération chrétienne à un retour imminent du Christ, nous a laissés déçus, et rendus méfiants" [62].
Cette erreur de perspective dont parle le Père Teilhard peut se lire en Matthieu: "En vérité, je vous le déclare, parmi ceux qui sont ici, certains ne mourront pas avant de voir le Fils de l'homme venir comme roi" (Matth. XVI, 28).
"De même, vous aussi, quand vous verrez tout cela, sachez que le Fils de l'homme est proche, qu'il est à vos portes. En vérité, je vous le déclare, cette génération ne passera pas que tout cela n'arrive" (Matth. XIV, 33-34).
Pour Paul, ce retour est non seulement imminent, il se fera de son vivant: "Je vais vous faire connaître un mystère. Nous ne mourrons pas tous, mais tous, nous serons transformés, en un instant, en un clin d'oeil, au son de la trompette finale. Car la trompette sonnera, les morts ressusciteront incorruptibles, et nous, nous serons transformés" (I Cor. XV, 51-52).
Comme cet avènement n'a pas eu lieu avant la mort de Paul, la notion d'une date incertaine prit de plus en plus de place dans l'esprit des fidèles. L'auteur des Actes a donc suggéré: "Vous n'avez pas à connaître les temps et les moments que le Père a fixés de sa propre autorité" (Actes I, 7).
La perspective du retour s'éloigne considérablement pour l'auteur de la deuxième épître de Pierre: "Il y a une chose en tout cas, mes amis, que vous ne devez pas oublier: pour le Seigneur un seul jour est comme mille ans et mille ans comme un jour. Le Seigneur ne tarde pas à tenir sa promesse, alors que certains prétendent qu'il a du retard, mais il fait preuve de patience envers vous, ne voulant pas que quelques-uns périssent mais que tous parviennent à la conversion" (2 Pierre III, 8-9).

Les disciples avaient pourtant interrogé Jésus pour qu'il leur précise le moment de cette seconde venue. L'Évangile de Marc consacre son chapitre XIII à cette réponse. Matthieu reproduit cette réponse en son chapitre XXIV et Luc en son chapitre XXI, tous deux avec les variantes d'usage. Les principaux enseignements de ces textes sont:

- Le temps du retour sera celui qui est annoncé par la prophétie de Daniel sur l'abomination de la désolation, 2300 jours après la reconstruction du Temple de Jérusalem (Daniel, XII).

- L'heure exacte est tenue secrète et connue du Père seulement, mais le retour se fera comme le passage d'un voleur dans la nuit.

- Il importe donc de veiller car les signes avant-coureurs seront terribles.

L'annonce d'un nouvel intermédiaire, envoyé par Jésus lui-même et porteur de l'Esprit de vérité est pourtant bien évidente chez Jean: "Lorsque viendra le Paraclet que je vous enverrai d'auprès du Père, l'Esprit de vérité qui procède du Père, il rendra lui-même témoignage de moi" (Jean XV, 26).

Pour le christianisme romain, l'Église doit passer par une épreuve finale qui ébranlera la foi de nombreux croyants avant l'avènement du Christ. L'imposture religieuse de l'Anti-Christ, "c'est-à-dire celle d'un pseudo-messianisme où l'homme se glorifie lui-même à la place de Dieu et de son Messie venu dans la chair" [63] sera le signe avant-coureur du retour attendu. Que penser des nombreuses professions de foi que l'on rencontre aujourd'hui chez ceux qui déclarent ne plus avoir besoin de révélation religieuse, mais prétendent entretenir des rapports directs avec Dieu !


VIII. Conclusion

Le christianisme est en fait une nébuleuse d'Églises et de sectes, qui n'ont qu'un élément commun: la référence à Jésus en tant que Messie (Christ). Lorsqu'il s'agit de définir la nature de la personnalité de Jésus, nous nous trouvons devant un éventail de conception allant d'un homme choisi par Dieu pour délivrer un message jusqu'à l'incarnation pure et simple de Dieu. La division en Églises et sectes ne s'est pas seulement opérée en raison de la diversification des doctrines, mais aussi pour des questions de pouvoir. Lorsqu'un groupe de personnes, suivant souvent un évêque, contestait l'autorité de la hiérarchie, il en résultait parfois un nouveau schisme et donc une nouvelle secte qui devenait une nouvelle Église lorsque le nombre des schismatiques devenait important.

Un chrétien ne peut donc pas dire qu'il suit l'enseignement de Jésus. En réalité, il suit l'interprétation particulière de son Église ou de sa secte. Beaucoup de personnes, surtout en Occident, sont en désaccord avec l'interprétation officielle de l'Église à laquelle ils appartenaient ou simplement doutent de la pertinence de cette interprétation, car celle-ci apparaît comme peu compatible avec les connaissances scientifiques actuelles. En conséquence, ils rejettent l'idée même de la révélation religieuse quand ils ne nient pas carrément l'existence d'une réalité divine. Certains ne vont pas jusque-là, ils se contentent de se forger leur propre interprétation ou leur propre système de croyance et rejettent l'appartenance à une Église. Ce phénomène, appelé déchristianisation, a pris de plus en plus d'ampleur au cours des derniers siècles.

Cela démontre bien qu'une révélation, comme celle de Jésus, est soumise aux aléa de l'histoire et requiert un renouvellement de l'Alliance. Jésus ne se présentait-il pas comme le médiateur d'une nouvelle alliance: "Voilà pourquoi il est médiateur d'une alliance nouvelle, d'un testament nouveau" (Hébreux, IX, 15).

La rechristianisation et la réunification des Églises chrétiennes ne semblent donc pas découler du pouvoir des hommes, mais nécessiteront une nouvelle révélation qui est sans doute la véritable compréhension de l'attente eschatologique des premiers temps, aujourd'hui quelque peu oubliée. Avant d'en arriver à cela, il fallait une étape intermédiaire, celle de la révélation musulmane qui fait l'objet du chapitre suivant.


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