Le courage
d'aimer
Shoghi Ghadimi
1. La Foi et l'Amour
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1.4. La Foi et l'Amour
Les Japonais disent: "Une image vaut dix
mille mots". Si c'est ainsi, ne vaut-il pas mieux illustrer, autant que possible,
dix mille mots par une image. C'est ce que je vous demande de me permettre de
faire dès le début.
Un fermier fournissait le lait d'un ménage. Au début, tout allait bien. Mais
avec le temps, la femme qui servait d'intermédiaire pour livrer le lait commença
à y ajouter de l'eau. La maîtresse de maison s'en apercevait, mais tant qu'il
y avait peu d'eau dans le lait, elle ne disait rien. Or, la quantité d'eau augmentait
de plus en plus jusqu'au jour où la maîtresse de maison, ne voyant que de l'eau,
s'écria:
"Mais dites donc, c'est de l'eau que vous m'apportez aujourd'hui."
"Oh, pardonnez-moi, Madame, j'ai oublié d'y ajouter du lait", répondit la livreuse.
Cette anecdote illustre bien ce qu'on constate quand on étudie l'histoire des
civilisations des peuples. En effet, d'âge en âge, à l'heure la plus critique
pour un peuple, nous voyons apparaître un homme génial, un Prophète (ou "Mutant"
pour utiliser le terme des historiens matérialistes). Ce prophète apporte le
"Lait d'Amour". Il instille l'Amour dans le coeur des hommes, qui s'unissent
pour fonder une nouvelle civilisation. Et cette Nouvelle Civilisation, cet "enfant
nouveau-né" grandit, s'épanouit tant que le lait reste pur.
Mais avec le temps, on y ajoute de l'eau sous forme de toutes sortes de rites
et de superstitions. Alors commence l'affaiblissement de l' "Enfant" ou, si
vous voulez, la décadence de la Civilisation. Cette décadence aboutit finalement
à l'agonie lorsque, de la religion, il ne reste qu'un ensemble de rites et de
superstitions. Et c'est à l'heure de l'agonie que vient un autre "Fermier" avec
le "Lait Pur d'Amour" et le processus recommence.
Ainsi, par exemple, vient un Abraham avec le "Lait Pur d'Amour". Une nouvelle
civilisation prend naissance. Elle s'épanouit tant que le "Lait d'Amour" reste
pur; c'est-à-dire tant qu'on voit la FOI dans l'AMOUR et non pas dans les rites
et les cérémonies. Mais, à partir du moment où l'on voit la FOI dans l'observance
des rites et l'attachement aux cérémonies, autrement dit, à partir du moment
où le "Lait d'Amour" perd sa pureté, l' "Enfant" commence à faiblir: la décadence
de la civilisation commence et finit par l'agonie.
Une fois de plus, c'est à l'heure de l'agonie que vient un autre "Fermier" avec
le "Lait d'Amour". C'est le tour de Jésus-Christ. Et le même processus recommence.
Mais cette fois, c'est une civilisation sans précédent qui est fondée, et une
décadence sans précédent qui est enregistrée. Décadence sans précédent, parce
que les guerres les plus meurtrières ont eu lieu précisément parmi ceux qui
se disaient Chrétiens. D'où la nécessité du renouvellement du "Lait d'Amour"
afin de rebâtir une nouvelle civilisation.
Ce "Lait d'Amour", déclarent solennellement les Baha'is, est aujourd'hui apporté
par la Foi Baha'ie. Et c'est là-dessus que je voudrais dire quelques mots.
Voyons d'abord ce qu'il faut entendre par l' "Amour". Cherchons à COMPRENDRE
ce qu'est l'AMOUR. Est-ce un commandement religieux auquel il faut obéir sans
en comprendre la raison? Alors l'homme d'aujourd'hui ne le suit pas, car, pour
lui, la FOI doit être intelligible. Il y a 2000 ans, quand il traversait son
enfance, il acceptait, il obéissait, peut-être dans l'espoir d'une récompense
au paradis. Mais aujourd'hui, l'homme entre dans le stade de sa MATURITÉ et,
avant tout, il veut COMPRENDRE, comprendre pourquoi il doit aimer. S'il le comprend,
alors, même si la récompense de cet amour est le feu de l'enfer et non pas les
délices du paradis, il accepte, il AIME. C'est comme lorsqu'il comprend pourquoi
il doit se lever contre les agresseurs de son pays: vaillamment, comme partisan
ou résistant, il se jette dans ce feu infernal qu'est la guerre. C'est pour
cela qu'on a dit COMPRENDRE c'est AIMER. Et il veut comprendre parce qu'il est
entré dans le stade de sa maturité.
Or, tous les enseignements baha'is sont précisément basés sur cette maturité
de l'homme à notre époque, et il est temps que l'on en prenne conscience. C'est
pour cela qu'avant de parler de l'amour, essayons de comprendre ce qu'est l'amour.
Les enseignements baha'is disent que l'AMOUR est l'essence même de l'homme,
autrement dit, que l'homme quant à son essence est fait d'AMOUR. C'est comme
un temple en béton, il est fait essentiellement de béton: mais sans ciment.
le temple ne tient pas, il s'écroule. Sans l'amour, l'homme ne tient pas non
plus; il s'écroule, il meurt; pas brusquement, mais lentement et sûrement. Ce
qui fait qu'inconsciemment, l'homme est à la recherche de l'amour. Il va voir
des films d'amour. Il écoute les chansons d'amour, il lit les romans d'amour.
Mais il échoue toujours en amour. Pourquoi? Parce que ce qu'il prend pour l'amour
n'est que pseudo-amour.
C'est comme un assoiffé qui court vers un mirage et souffre toujours de la soif.
L'explication en est simple. En effet, toute notre société étant basée sur l'idée
d'un échange profitable, l'homme applique cette idée en matière d'amour, et
il ne veut pas donner son affection tant qu'il n'en reçoit pas.
C'est comme une fontaine dont le réservoir est rempli. Cette fontaine pourrait-elle
recevoir de l'eau avant de faire jaillir la sienne? Non. Il en est de même en
ce qui concerne l'amour. L'homme est pour ainsi dire rempli d'amour par sa création
même. S'il n'en donne pas, il n'en reçoit pas. Mais quand il en donne, il ne
peut pas éviter d'en recevoir. C'est ce fait que l'homme doit connaître, et
il ne veut pas le connaître. Il est comme un commerçant méfiant, qui ne donne
ce qu'il a qu'en échange d'un équivalent. Qu'il donne, et il recevra. L'homme
ne veut pas être le premier à donner et, par conséquent, il n'est pas aimé.
Il échoue en amour.
Ceci dit, voyons ce qu'il fait pour tenter d'être aimé, pour recevoir l'amour.
Il a recours à tous les artifices. Si c'est une femme, elle prend soin de son
corps, de sa toilette, elle se maquille. Si c'est un homme, il cherche la popularité,
la richesse. Dans les deux cas, il s'agit d'un mélange de popularité et de sex-appeal
(L'art d'aimer", par E. Fromm). Dans les deux cas, il a recours à tout, sauf
au courage d'aimer, qui est la seule façon pour arriver à être aimé.
Remarquons qu'il y a des cas où l'homme n'attend pas d'être aimé pour aimer
(aimer bien entendu selon sa conception d'amour). C'est lorsqu'il rencontre
une personne qui lui plaît, un bon objet à aimer. Comme si aimer signifiait
s'approprier. En tout cas, il faut qu'il découvre ce bon objet à s'approprier.
Et il attend la découverte de ce "bon objet" pour aimer, ignorant que préalablement
il doit apprendre à aimer pour arriver à démontrer qu'il sait aimer. C'est comme
lorsque quelqu'un prétend savoir peindre, et demande qu'on lui laisse découvrir
un "bon objet" pour qu'il montre qu'il sait peindre. Cet homme ne perd-il pas
son temps? Arrivera-t-il un jour à peindre? Sûrement pas. Il en est de même
en amour. L'homme qui passe son temps à attendre la découverte d'un "bon objet"
pour l'aimer, sans apprendre préalablement "l'art d'aimer", échoue toujours
en amour ("L'art d'aimer", par E. Fromm).
En quoi consiste cet "art d'aimer"? Selon les enseignements baha'is, tout "l'art
d'aimer" pourrait se résumer en deux mots: "devenir tel qu'on a été créé", revenir
à son essence qu'est l'amour comme nous l'avons dit dès le début. Car l'homme
par sa création même est un être aimant. Il a été créé pour aimer, comme l'aimant
a été créé pour attirer. Si un objet épais s'interpose, l'aimant n'attire plus,
n'est plus aimant, n'aime plus. Il en est de même en ce qui concerne l'homme
qui est un aimant spirituel. S'il n'aime pas, s'il n'est pas aimant, c'est que
des voiles se sont interposés. Et "l'art d'aimer" consiste à déchirer ces voiles
pour devenir SOI-MÊME; tel qu'on est en réalité, par sa création même.
Le problème d'amour n'est donc pas un problème d'échange profitable de sentiments,
pas plus qu'un problème de recherche de sex-appeal, ni celui de la découverte
d'un "bon objet," qui plaît. C'est un problème d'attribut, de faculté innée
à manifester.
Une image illustre bien cette idée d'attribut à manifester. Pour une fleur,
l'attribut essentiel est son parfum.
Elle donne son parfum aussi bien à celui qui en prend soin qu'à la main qui
l'écrase, parce que répandre un parfum est son attribut et cet attribut se manifeste
tant qu'il n'y a pas de voile interposé. Il en est de même en ce qui concerne
l'homme. Son attribut essentiel est l'amour. Et il doit le manifester aussi
bien à l'égard de celui qui prend soin de lui que face à un ennemi. Je dis "ennemi"
et je dois rectifier.
En effet, dans le langage baha'i, on évite autant que possible le mot "ennemi",
car parler de l'amour pour l'ennemi avec le sentiment que c'est quelqu'un qui
cherche à nous nuire, c'est faire un compromis avec ses sentiments et ce compromis
est de l'hypocrisie. Tandis que si l'on considère ce même soi-disant ennemi
comme quelqu'un qui, par son comportement, nous fournit l'occasion de nous entraîner
au pardon, à la tolérance, à la patience, comme quelqu'un qui nous donne des
leçons particulières d'entraînement à ces vertus, il devient tout naturel et
sincère d'aimer cet "entraîneur bénévole".
Ceci dit, revenons à notre conception de l'amour. Du fait que l'amour est un
ATTRIBUT de l'Homme, il découle qu'il est essentiel qu'il soit doté du caractère
UNIVERSEL; autrement dit, que si l'on aime, on doit aimer toute l'humanité,
sans distinction de race, de classe, d'origine religieuse, de pays de résidence
et en toutes circonstances, comme le rayonnement du soleil, qui se fait pour
tous et partout.
Un tel amour ne peut se manifester que par l'application d'un certain nombre
de principes que je voudrais mentionner et qui, chez les Baha'is, ont un caractère
sacré.
Le premier de ces principes baha'is, par l'application duquel on manifeste le
caractère universel de son amour, c'est le principe de l'UNITÉ DU GENRE HUMAIN.
En effet, si notre amour est universel comment pouvons-nous le manifester si
ce West qu'en aimant tous les hommes tels qu'ils sont et non pas tels que nous
voulons qu'ils soient.
Qu'ils soient croyants ou soi-disant incroyants, nous devons les accueillir
tous, les bras ouverts. Alors pouvons nous admettre qu'il y en a que Dieu rejette,
et que nous devons accueillir? Ça ne serait pas logique. On arrive donc à cette
conclusion que Dieu aime tous Ses enfants, qu'à Ses yeux tous ne font qu'UN.
Ce principe connu sous le nom du Principe de l'Unité du Genre Humain efface
la frontière qui existait dans le passé entre les deux familles: la famille
des sauvés et la famille des rejetés, pour les unir en une seule famille, la
famille humaine.
Ce principe nous interdit de porter le moindre jugement sur qui que ce soit.
D'abord parce qu'on ne connaît pas la fin, étant donné que les Saül - renégat
- deviennent des Saint Paul, et les Judas -apôtre finissent par la trahison.
Et puis, nous voyons aujourd'hui beaucoup de personnes qui se disent incroyantes
mais qui, par leurs actes, peuvent servir d'exemple à ceux qui se disent croyants.
Un second principe par l'application duquel on manifeste le caractère universel
de l'amour c'est le Principe de l'Unité des Prophètes.
En effet, si nous aimons tout le monde, nous devons aimer d'un amour égal les
Bien-Aimés de tous les peuples. Or ces Bien-Aimés, vénérés depuis des milliers
d'années, sont les Moise, les Bouddha, les Jésus, les Muhammad, etc. Et je dis
bien "aimer d'un amour égal" sans les comparer les uns aux autres comme supérieurs
ou inférieurs, car comparer de cette façon, ce n'est plus aimer.
Essayez de comparer la beauté d'une femme avec celle d'une autre femme. Vous
aurez beau vous efforcer de la convaincre que vous l'aimez, vous n'y parviendrez
pas, à, moins d'être psychologue comme ce mendiant qui demandait la charité
à une dame sortant d'un institut de beauté.
"Mais voyons, lui dit-elle, je vous ai déjà donné en entrant."
"Excusez-moi, fait le bonhomme, vous êtes devenue tellement plus belle que je
ne vous ai pas reconnue." Inutile de dire que le bonhomme a reçu une seconde
pièce. Le compliment était bien à propos et juste; car il comparaît la femme
à elle-même, qui indiscutablement était devenue plus belle.
Il en est de même en ce qui concerne les Messagers de Dieu lorsqu'on les compare
du point de vue de ce qu'ils ont révélé en conformité avec la réceptivité de
leurs contemporains. Si, par exemple, nous disons que Jésus était plus grand
que Moise, c'est un compliment que nous adressons à Moise; car Jésus est le
retour de Moise, ce qui est confirmé par le Nouveau Testament (voir Actes 15/16
où il est parlé du retour du Seigneur en la personne de Jésus).
Avec une telle façon de penser, un Baha'i aime les Fondateurs des Religions
autant que leurs adeptes, et d'un amour égal puisque tous à ses yeux ne font
qu'UN. Cette unité des Prophètes entraîne comme conséquence l'Unité des Religions.
En effet, si c'est toujours la même Personne qui parle, Sa Parole est la même.
Autrement dit, toutes les Religions sont les mêmes; avec cette nuance - qu'il
faut les considérer comme les différents stades d'une même Religion, la Religion
de Dieu toujours en évolution, et les différents Livres exposant ces Religions,
comme les différents chapitres d'un même Livre: le Livre de Dieu. Indiscutablement,
il y a des différences entre ces chapitres successifs. Mais ces différences
ne concernent que le côté matériel de la vie, tel que le mariage, le jour du
repos, etc. Mais sur le plan spirituel, ils sont identiques, tous enseignant
l'amour du prochain. A ce point de vue, le meilleur exemple est fourni par l'Ancien
et le Nouveau Testament.
Pour le premier, l'inobservance du sabbat et la non-circoncision constituent
deux cas de condamnation à mort. Pour le second, tous les deux sont abolis.
Ce qui n'a pas empêché nos ancêtres de considérer les deux comme deux chapitres
d'un même Livre le Livre de Dieu (la dénomination "Bible" signifiant Livre).
Ce principe de l'unité des Religion, fait qu'on considère les adeptes des différentes
religions comme nos coreligionnaires, comme nos frères dans la Foi. Et son application,
une fois de plus, manifeste le caractère universel de l'amour.
Un troisième principe par l'application, duquel on démontre qu'on aime toute
l'humanité, c'est l'accord de la Religion avec la Science et la Raison. En effet,
l'une des principales causes des différends et des désaccords entre les hommes,
c'est l'attachement d'un grand nombre de croyants à certains rites et formes
extérieures que la Science et la Raison rejettent. Ainsi, par exemple, les ZOROASTRIENS
continuent d'adorer le soleil comme Dieu ce qui est contraire à la Science et
à la Raison et de plus, dresse contre eux les adeptes des autres religions.
De même les Chrétiens, en prenant l'hostie, continuent de croire qu'ils mangent
"réellement et substantiellement" la chair de Jésus ce qui révolte les savants
et dresse contre eux les adeptes des autres religions.
Par conséquent, tant qu'il y a désaccord entre la Religion d'un côté et la Science
et la Raison de l'autre, la désunion actuelle persiste et ceux qui contribuent
à la réconciliation de la Religion avec la Science et la Raison, travaillent
pour l'entente universelle, manifestant ainsi le caractère universel de leur
amour.
Un quatrième principe baha'i par l'application duquel on démontre qu'on aime
tout le monde, c'est la collaboration entre le Travail et le Capital, par la
solution spirituelle des problèmes économiques.
En effet, le conflit entre le Travail et le Capital, connu sous l'appellation
de la lutte des classes par ses théoriciens militants, est une autre cause de
la désunion actuelle qui pèse si lourdement sur l'humanité. Il faut donc mettre
fin à ce conflit, ce qui ne peut se faire que par une collaboration sincère
et spirituelle. Et pour que cette collaboration puisse se réaliser, il faut
que les deux mondes (celui du Travail et celui du Capital) se rencontrent régulièrement
afin de se consulter sur les questions d'intérêt commun.
Cette consultation implique que chacun parle. Ce qui n i 'est malheureusement
pas le cas de nos jours où aussi bien le Capital que le Travail parlent de moins
en moins. En effet, n'est-il pas vrai que les vrais fournisseurs du Capital,
je veux dire les actionnaires, ne sont pas au courant de ce qui se passe à l'intérieur
des grandes entreprises? Et ce n'est qu'une bureaucratie directoriale qui dirige
tout. Et cette bureaucratie directoriale ne pense qu'à augmenter son pouvoir
plutôt qu'à augmenter la part des bénéfices des actionnaires en intéressant
par exemple les ouvriers aux bénéfices de l'entreprise.
De même en ce qui concerne le monde du Travail, n'est-il pas vrai que ce sont
les chefs des syndicats qui parlent, qui négocient, qui décident? Et les chefs
des syndicats pensent à monter dans la hiérarchie politique plutôt que d'amener,
par exemple, les patrons au partage des bénéfices avec les travailleurs, c'est
ce que, récemment, les syndicats français ont baptisé de "duperie gouvernementale".
Bien qu'à l'état embryonnaire cette collaboration entre le monde du Travail
et celui du Capital a commencé chez les Baha'is, par les rencontres régulières
mensuelles entre ceux qui fournissent le travail et ceux qui possèdent le capital.
Tout Baha'i a le devoir de prendre part à ces réunions mensuelles sans classes
où après les prières et la lecture des Écrits sacrés (lesquels nous exhortent
à l'entente et à la concorde), on procède à la consultation sur les questions
d'intérêt commun. Ces réunions sans classe fournissent le meilleur moyen pour
apprendre à se rencontrer et à se consulter dans un esprit de compréhension
mutuelle, et, en définitive, à collaborer.
A noter que toute suggestion qui, ultérieurement, prendra la forme d'une LOI,
émane de ces réunions sans classe.
Un cinquième principe baha'i par l'application duquel on manifeste le caractère
universel de l'amour, c'est la valeur religieuse du travail. En effet, comment
peut-on manifester son amour à l'égard de toute l'humanité et plus particulièrement
à l'égard de ceux qui se trouvent à des milliers de kilomètres de nous, si ce
n'est par la bonne qualité du produit de notre travail qui leur est destiné?
Un pharmacien occidental, qui met toute sa conscience dans la préparation des
produits pharmaceutiques destinés aux pays en vole de développement, fait un
acte essentiellement religieux parce que,- de cette façon, il manifeste son
amour à l'échelle universelle. Aujourd'hui, ce n'est malheureusement pas le
cas, non seulement à l'échelle mondiale mais même à l'échelle locale: on en
souffre et tout le monde se plaint. Le cas des plombiers est même devenu proverbial
et les histoires traduisant le sentiment populaire sont abondantes. Permettez-moi
de vous en raconter une.
On sonne. Madame va ouvrir. Devant elle, se tient un plombier souriant et chargé
d'outils.
- "Bonjour, Madame", dit le plombier.
- "Bonjour" répond-elle, un peu étonnée. "Mais je n'ai pas besoin de plombier.
Vous êtes sûr que vous ne faites pas erreur."
- "Je suis bien chez Madame Dupont?" déclare il plombier.
- "C'est bien ici, dit la dame, mais Madame Dupont a déménagé il y a trois mois."
- "Ce n'est quand même pas sérieux, dit le plombier. Elle me fait appeler pour
un travail urgent et elle déménage."
D'après les enseignements baha'is, le travail fait honnêtement et consciencieusement
équivaut à un acte d'adoration. Et comme pour tout croyant sincère l'acte d'adoration
est un devoir sacré où il engage sa conscience, le travail devient pour lui
un devoir sacré où il doit également engager sa conscience; ce qui est la plus
belle manifestation de l'amour à l'égard de ceux à qui le travail est destiné.
Un sixième principe baha'i par l'application duquel on manifeste le caractère
universel de l'amour, c'est l'acquisition d'une conscience universelle.
Cultiver en soi une conscience universelle, c'est s'efforcer d'arriver à considérer
tous les pays comme sa patrie et tous les hommes comme ses compatriotes. Et
par voie de conséquence, placer l'intérêt de la planète tout entière au-dessus
de l'intérêt de son pays natal. C'est, comme au stade actuel de son évolution,
où l'homme place l'intérêt de son pays au-dessus de l'intérêt de sa ville natale,
ce qui n'était pas le cas dans le passé et qui semble si naturel aujourd'hui.
C'est d'ailleurs la raison pour laquelle il n'y a plus de conflit entre les
différentes villes. Il en sera de même lorsqu'on placera l'intérêt de la planète
tout entière au-dessus de l'intérêt de son pays natal, et ceci tout naturellement.
Alors la guerre entre les différents pays sera bannie pour toujours.
Deux remarques à faire concernant la prise d'une conscience universelle.
1. La prise d'une conscience universelle demande beaucoup de maturité et ce
n'est nullement le fruit d'un phénomène instantané, mais la conséquence de tout
un entraînement permanent.
2. Une telle maturité n'aboutit à l'abolition de la guerre que si elle est atteinte
à l'échelon planétaire et non pas à l'échelon isolé, à l'échelon d'un ou de
quelques pays seulement.
Concernant la première remarque, il faut avouer que si l'humanité a mis des
milliers d'années pour arriver à acquérir une conscience nationale grâce à laquelle
elle a eu la maturité suffisante pour placer l'intérêt national au-dessus de
l'intérêt de la ville natale, ce n'est pas en quelques années qu'elle arrivera
à acquérir une conscience universelle grâce à laquelle elle placera l'intérêt
mondial au-dessus de l'intérêt du pays natal. Il lui faut du temps et de l'entraînement.
Pratiquer cet entraînement, c'est l'engagement que prend tout Baha'i. Et cet
entraînement est pratiqué par la participation à la vie sociale organisée, connue
sous le nom de l'Administration Baha'ie. Et l'Administration Baha'ie commence
par les réunions mensuelles sans classe que nous avons déjà mentionnées. A ces
réunions sans classe, on se consulte non seulement sur les affaires d'intérêt
local ou national, mais également d'intérêt mondial, et, souvent même, on apporte
des contributions financières volontaires de caractère mondial. Ce qui permet
à chaque participant de s'intéresser à l'univers tout entier et, par vole de
conséquence, de s'entraîner à l'acquisition d'une conscience universelle.
Comme le but suprême de la Foi Baha'ie est l'établissement de la PAIX MONDIALE,
et que cette PAIX MONDIALE implique la prise d'une conscience, universelle par
tous, et qu'on n'y arrive que par une participation active à la vie sociale
organisée (Administration), cette Administration fait Partie intégrante de la
Foi Baha'ie et, sans elle, selon les textes, la Foi est mutilée.
Concernant le second point, c'est-à-dire le fait que l'acquisition d'une conscience
universelle doit se faire à l'échelon de tous les pays et non pas à l'échelon
d'un ou de quelques pays seulement, remarquons que dans ce dernier cas, la chance
d'une paix universelle ne serait nullement augmentée. En effet, si par exemple,
quelques pays, par suite d'une prise de conscience universelle, décident comme
première mesure de procéder au désarmement au moment où les autres pays s'arment,
cela ne peut qu'enhardir ces derniers et augmenter les risques de guerre.
Il faut donc que l'entraînement à l'acquisition d'une conscience universelle
se fasse à la fois dans tous les pays. Et c'est l'une des raisons pour lesquelles
les Baha'is ne cherchent jamais à former une collectivité nombreuse où que ce
soit. Bien au contraire, ils se dispersent dans tous les pays afin de présenter
aux hommes de bonne volonté leur modèle d'organisation sociale. Grâce à celle-ci,
ils apprennent à travailler ensemble et à cultiver en eux une conscience universelle,
sans laquelle on ne peut compter sur une paix durable.
Une mise au point avant de finir. Il ne faut pas croire que rien que par l'application
de ces principes, on arrive à l'établissement de la Paix Universelle. Il y a
bien d'autres principes. dans la Foi Baha'ie. Ce qu'on peut dire concernant
tous ces principes, c'est que leur application demande beaucoup de courage,
et surtout le plus grand courage: le COURAGE d'AIMER.