Le courage
d'aimer
Shoghi Ghadimi
2. L'amour universel
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2.7. Le jardin de délices n'est pas une chimère
Le paradis existe-t-il? Si oui, où est-il?
Qui peut nous donner la réponse? Faut-il attendre la vie future pour le voir?
Ce sont des questions que chacun de nous se pose, impatient d'avoir une réponse
satisfaisante.
Je crois que rien ne répond à ces questions aussi bien que l'histoire suivante,
racontée par un médecin (Résumé d'un article du périodique Sélection).
Une femme atteinte de dépression nerveuse, après s'être adressée aux médecins
de sa ville natale, arrive dans une autre ville pour essayer le traitement d'un
grand spécialiste. Elle se met à la recherche d'un hôtel confortable et bien
tranquille.
Elle le trouve, s'y installe, et commence le traitement chez le spécialiste.
Celui-ci, malgré le recours aux meilleurs calmants et tranquillisants qu'il
pouvait prescrire, n'arrive pas à améliorer son état. Quelques jours après la
femme vient auprès du patron de l'hôtel et lui dit:
- Je suis venue dans votre ville pour suivre le traitement de votre grand spécialiste.
Celui-ci a tout fait pour calmer mes nerfs, mais sans succès. Je crois que c'est
à cause du bruit que fait mon voisin, qui tape toute la journée sur les touches
de son piano et m'empêche de me détendre. Avouez que c'est un enfer pour une
malade des nerfs. Ne pourriez-vous pas me changer de chambre?
- Madame, lui répond le patron de l'hôtel, je croyais vous faire plaisir en
vous faisant entendre d'avance, le concert que va donner le célèbre pianiste
Paderewsky.
Vous voulez dire que c'est bien lui qui est mon voisin.
- Mais parfaitement, Madame.
Alors vous êtes un ange, et votre hôtel est mon paradis, car là où descend Paderewsky,
c'est mon paradis, tellement je l'admire.
Et le lendemain le médecin constate une nette amélioration dans son état.
La conclusion que nous tirons de cette histoire vécue, c'est qu'en un clin d'oeil
ce qui était enfer un instant avant, est devenu paradis, et ceci rien que par
changement d'état d'esprit.
Le paradis n'est donc pas un lieu où l'on va après la mort, c'est un état d'esprit
que l'on doit acquérir en ce monde pour continuer dans l'autre.
La question qui se pose maintenant est celle-ci: Cet autre monde existe-t-il,
autrement dit, la vie continue-t-elle après la mort du corps, cette forme apparente
de l'homme?
Ce qui nous fait penser que la vie continue après la mort, avant tout, c'est
le bon sens.
Je m'explique.
Imaginons une immense usine fournissant tout ce qu'il faut pour la fabrication
et l'entretien d'une voiture. Cette voiture, une fois fabriquée marche pendant
un certain temps dans des conditions spéciales qui lui permettent d'être en
mesure de fournir son plein rendement. C'est la période qu'on appelle rodage.
Après le rodage la voiture entre dans le stade de sa "maturité". Serait-ce logique
que, précisément à ce moment, on la fasse disparaître? Sûrement pas. Bien au
contraire, c'est à ce moment-là qu'elle doit manifester toute la mesure de ses
capacités pour montrer sa vraie valeur.
Il en est de même en ce qui concerne l'homme. Cette immense usine qu'est l'univers
fait tout pour que l'homme prenne naissance, puisse vivre et progresser. Et
l'homme, une fois né, grandit aussi bien physiquement qu'intellectuellement
et moralement, au cours de son âge comparable à la période du rodage. Serait-ce
logique qu'une fois arrivé à la maturité, il soit condamné à disparaître? Sûrement
pas. Bien au contraire, c'est précisément à ce moment-là qu'il doit manifester
toute la mesure de ses capacités pour montrer sa vraie valeur.
Si donc apparemment on l'enterre, c'est comme l'enterrement d'une graine qui
permet à celle-ci de manifester sa vraie valeur par l'apparition d'une plante
et, avec le temps, de fleurs et de fruits. Sans cet enterrement, la manifestation
des capacités latentes de la graine aurait été impossible.
Une autre considération qui fait penser que la vie continue après la disparition
apparente de l'homme, c'est la conclusion à laquelle on arrive après observation
du monde de l'existence.
En effet, quand nous étudions le monde de l'existence, nous voyons que c'est
un monde de progrès.
Le monde minéral n'est-il pas assimilé par le monde végétal? Par ce processus,
le monde minéral, après la disparition de sa forme apparente, après la mort
de son corps, ne progresse-t-il pas vers un autre monde, le monde végétal, qui
lui est supérieur?
Le monde végétal, par la désintégration de sa forme apparente, par la mort de
son corps, ne progresse-t-il pas vers un autre monde, le monde animal, qui lui
est supérieur?
Le monde animal (contenu en abondance dans l'air, l'eau et la nourriture), par
la désintégration de sa forme apparente, par la mort de son corps, ne progresse-t-il
pas vers un autre monde, le monde humain, qui lui est supérieur?
Ainsi chaque monde inférieur, par la mort de son corps, progresse vers un autre
monde, un monde qui lui est supérieur.
Pourquoi voulez-vous que ce progrès s'arrête pour l'homme après la mort de son
corps? Est-ce parce que l'homme sait raisonner et qu'il n'arrive pas à conclure,
que cet autre monde supérieur n'existe pas? Est-ce parce que l'homme ne peut
pas le comprendre que ce monde n'existe pas? Mais le monde animal aussi ne comprend
pas le monde humain où il progresse après sa "mort". Comme c'est le cas du monde
végétal par rapport au monde animal. Chaque monde inférieur ne comprend pas
le monde supérieur où il progresse après sa "mort".
Et ce qui est remarquable c'est précisément ce progrès après la "mort" qui donne
un sens à la vie de chaque monde.
Ainsi, par exemple, c'est le progrès après la "mort" (conséquence de l'assimilation
par le monde animal) qui donne un sens à la vie du monde végétal. Autrement,
si les plantes poussaient pour pourrir et disparaître, quel serait le sens de
leur existence'? De même c'est le progrès après la "mort" (conséquence de l'assimilation
par le monde humain) qui donne un sens à la vie du monde animal. Autrement,
si ces milliards de bactéries que nous absorbons ne prenaient naissance que
pour vivre quelques instants et disparaître sans être utiles à l'homme, quel
serait le sens de leur existence?
Et logiquement il en est de même en ce qui concerne le monde humain: c'est son
progrès vers un autre monde, un monde supérieur, qui donne un sens à sa vie.
C'est ce progrès vers un monde supérieur, qui symboliquement est présenté sous
la forme de "récompense du paradis".
D'une manière générale, pour que ce progrès soit possible, il faut que chaque
espèce commence par rester elle-même, quant à son essence.
Ainsi, par exemple, pour qu'une plante puisse progresser vers le monde animal,
il ne faut pas qu'elle pourrisse mais, bien au contraire, qu'elle ait la possibilité
de croître et de porter des fruits; et pour cela, il faut que ses besoins soient
satisfaits. Parmi ces besoins il y a la chaleur du soleil. Si la plante la reçoit,
elle a la possibilité de croître et de porter des fruits, ce qui est sa "récompense".
Si elle ne la reçoit pas, elle ne peut pas croître, elle meurt. C'est son "châtiment".
Il en est de même en ce qui concerne l'homme. Pour qu'il ait sa "récompense
du paradis" il faut qu'il reste lui-même quant à son essence.
Or l'essence de l'homme c'est la capacité affective, comme l'essence de la plante,
c'est la capacité de croissance. Pour que cette capacité latente de l'homme
puisse se manifester l'homme a besoin de la "chaleur du soleil".
Cette "chaleur". c'est l'éducation que lui donnent ces hommes géniaux appelés
prophètes par les spiritualistes, ou mutants par les matérialistes. Les uns
comme les autres sont unanimes pour reconnaître le rôle qu'ont joué ces grands
éducateurs dans l'histoire de l'humanité.
Zoroastre n'a-t-il pas uni les tribus de la Perse (avec leurs roitelets) pour
en faire un empire (avec un "Roi des Rois")! Jésus n'a-t-il pas uni les tribus
sauvages constamment en guerre qui ravageaient l'Occident?
Muhammad n'a-t-il pas uni les Arabes qui s'entre-tuaient?
Et ce ne sont que juste quelques exemples de l'éducation qu'ont donnée ces éducateurs
à leurs contemporains, de la "chaleur" qu'ont apportée ces "soleils spirituels".
Ce qui est essentiel de retenir, c'est que cette "chaleur" est apportée en conformité
avec la capacité réceptive de l'homme. Comme pour la plante, l'intensité de
la chaleur du soleil du matin n'est pas la même que celle du midi. Le matin,
la plante ne peut pas supporter la chaleur du midi. Voilà pourquoi, il y a deux
mille ans, Jésus, en faisant allusion à ce qui restait à dire, reconnaissait
qu'il ne pouvait pas le faire à son époque.
"Vous ne pouvez pas le porter maintenant" (Jean 16/12) précisait-il, tout en
assurant ses disciples qu'il reviendrait (Jean 14/28) et qu'alors, un autre
consolateur "enseignera toutes choses" (Jean 14/25) et "conduira dans toute
la vérité" (Jean 16/13).
Apparemment, il y a contradiction: comment est-ce lui qui reviendra, et est-ce
un autre qui parlera? En réalité il n'y a pas de contradiction, si nous interprétons
le terme "retour" en tant que retour quant à l'esprit, et non pas quant à la
chair, car:
"la chair ne sert à rien, c'est l'esprit qui donne la vie" (Jean 16/61) et l'esprit
c'est sa parole:
"Ma parole est esprit" (Jean 6/6 1).
Nous arrivons donc à cette conclusion que, selon l'Évangile, la parole du Christ
sera renouvelée par une autre personne comme lui, pour dire ce qu'il ne pouvait
pas dire, il Y a deux mille ans.
Cette personne, selon les baha'is, c'est Baha'u'llah, fondateur de la foi baha'ie,
et qui, il y a près de cent ans, a annoncé solennellement sa mission aux rois
de la terre. L'image du soleil nous fait comprendre facilement cette revendication.
En effet, le soleil d'aujourd'hui ne peut-il pas dire qu'il est le soleil d'il
y a deux mille ans, bien entendu par sa chaleur et sa lumière, tout en n'étant
pas matériellement le même soleil qu'il y a deux mille ans?
Il reste à répondre à cette question: mais qu'est-ce que ne pouvait pas être
dit, ni fait, il y a deux mille ans?
`Abdu'l-Baha, l'interprète des enseignements baha'is, nous l'enseigne en ces
termes (Extrait des Écrits d`Abdu'l-Baha):
"Bien que la concorde régnât au cours des cycles passés, le manque de moyens
de communication appropriés rendait impossible l'organisation de l'unité de
toute l'humanité. Les continents demeuraient largement séparés. Même entre les
peuples d'un même continent, l'entente et les échanges de pensées étaient pour
ainsi dire impossibles.
En conséquence, les rapports, la compréhension mutuelle et l'unité entre les
peuples et les races ne pouvaient pas être envisagés. Par contre, de nos jours
les moyens de communication se sont développés de telle sorte que les cinq parties
du monde se sont virtuellement fondues en une seule.
De même, tous les membres de la famille humaine, peuples et gouvernements, villes
et villages dépendent de plus en plus les uns des autres. Il n'est plus loisible
à aucun d'entre eux de s'isoler avec la prétention de pouvoir se suffire à soi-même.
D'autant plus que les liens politiques qui unissent tous les peuples et nations,
ainsi que les attaches du commerce, de l'industrie, de l'agriculture et de l'éducation
sont tous les jours renforcés. Il paraît donc évident que l'unité de l'humanité
peut être réalisée en cette époque.
Ceci n'est véritablement rien d'autre qu'un des prodiges de ces temps merveilleux,
de ce siècle admirable. Le passé en a été privé, parce que ce siècle, celui
de la lumière, a été favorisé de gloire, de puissance, de splendeurs uniques
et jamais égalées. Cela explique le développement quotidien de nouvelles merveilles.
La suite montrera avec quel éclat ses flambeaux éclaireront l'assemblée des
hommes.
"Contemplez la lumière qui se lève sur l'horizon obscurci du monde.
Le premier flambeau est l'unité dans l'ordre politique, ses faibles lueurs sont
déjà discernables.
Le deuxième flambeau est l'unité de pensée dans les entreprises mondiales. à
l'accomplissement de laquelle on assistera avant qu'il soit longtemps.
Le troisième flambeau est l'unité dans la liberté qui sûrement se réalisera.
Le quatrième flambeau est l'unité dans la religion, c'est la pierre angulaire
de la fondation en elle-même; la puissance de Dieu la révélera dans toute sa
splendeur.
Le cinquième flambeau est l'unité des nations, unité qui sera sûrement établie
dans le courant de ce siècle, elle amènera tous les peuples du monde à se considérer
comme les citoyens d'une même patrie.
Le sixième flambeau est l'unité des races, qui fondra tous les habitants de
la terre, peuples et races, en une seule race.
Le septième flambeau est l'unité de langue, elle consistera dans le choix d'une
langue universelle qui servira à l'instruction de tous les peuples. C'est en
cette langue qu'ils converseront tous.
Chacune aussi bien que toutes ces réformes s'accompliront inévitablement car
la puissance du Royaume de Dieu leur portera aide et secours en vue de leur
réalisation."
Un monde uni du point de vue de la politique commune à adopter, des entreprises
à réaliser, de la conception de la liberté, de la religion à professer, de la
citoyenneté, de l'égalité raciale à pratiquer et enfin de la langue à parler
n'est-ce pas le paradis sur terre?
Précisons-le bien. Cette fois, il ne s'agit pas seulement du paradis individuel
que nous avons expliqué au début de cet exposé, paradis réalisé par les messagers
du passé dans les esprits des hommes. Il s'agit en plus du paradis à l'échelon
mondial, paradis qui ne pouvait pas être réalisé dans le passé, paradis pour
la réalisation duquel Jésus nous a appris à prier.
Mais quand ce paradis sera-t-il établi sur terre? La question a été posée à
Abdu'l-Baha, et il a répondu en ces termes:
"Cela dépend combien ardemment chacun de vous et vous tous ensemble, vous allez
travailler..."
Ceux qui travaillent séparément sont comme des gouttes. Unis ensemble ils deviennent
une immense rivière dont les eaux apportent la vie aux déserts stériles du monde,
et dont les flots puissants balaient toute peine et affliction.
Soyez donc unis. Soyez donc unis.
L'établissement du paradis sur terre est donc le fruit et la récompense de nos
efforts pour la réalisation de l'unité mondiale.
Cette récompense, disent les Écrits baha'is, ne s'arrête pas là. Car en travaillant
pour la réalisation de l'unité, de l'harmonie et de la paix entre les hommes
et les peuples, notre esprit s'y entraîne de mieux en mieux. Cet entraînement
pour l'unité et l'amour procure à l'esprit une joie et un bonheur ineffables,
qui l'accompagnent toujours, comme la chaleur accompagne le feu, et qui continuent
dans la vie future où l'esprit progresse vers un monde supérieur. Et c'est ainsi
qu'il faut concevoir le paradis pour toute personne qui aime tout le monde et
qui travaille pour la fraternité et la paix universelles.
Or il n'y a qu'en ce monde que l'homme a toutes les possibilités, tous les pouvoirs
pour cet entraînement qui lui garantit la joie ineffable et éternelle.
Il n'y a que durant cette très courte période de la vie terrestre qu'il est
pour ainsi dire le roi avec les pleins pouvoirs; à lui d'en profiter pour assurer
son avenir.
Pour mieux illustrer cette idée, permettez-moi de vous rapporter l'histoire
suivante racontée par Abdu'l-Baha.
Un étranger arrive dans une ville où il voit les habitants rassemblés sur la
place du marché, les yeux fixés vers le ciel. Il en demande la raison à un homme
qui était à côté de lui.
Tous les ans, répond celui-ci, à cette époque, les habitants de notre ville
se rassemblent sur cette place. Et ceci parce qu'un oiseau apparaît dans le
ciel pour faire quelques tours et se poser sur la tète de l'un de ses habitants,
lequel devient alors notre roi pour un an. Restez et vous allez voir.
Après cette explication l'étranger voit effectivement un oiseau apparaître dans
le ciel, et peu de temps après, se poser sur sa tête.
Il est alors acclamé comme roi et amené au palais royal.
Un jour l'homme qui lui avait conseillé de rester lui dit:
- Puisque c'est moi qui vous ai conseillé de rester, et que vous êtes devenu
roi, prenez moi comme premier ministre. Le roi accepte et lui donne ce poste.
Devenu premier ministre, et voyant avec quelles bonté et justice le roi se comporte
à J'égard du peuple, il lui dit un jour:
- Venez avec moi, j'ai quelque chose à vous montrer.
Il amène donc le roi au bord de la mer, d'où il lui montre sur une île abandonnée,
un homme tout nu, mourant de faim et appelant au secours.
- Qui est ce misérable? demande le roi.
- C'est notre roi de l'an dernier, répond le premier ministre. A la fin de chaque
année, nous exilons celui qui a régné pendant un an, sur une île isolée où il
est condamné à périr.
Le roi, horrifié, dit qu'il n'aurait jamais accepté de devenir roi pour finir
ses jours si misérablement.
- Puisque maintenant vous êtes roi, et que vous avez tous les pouvoirs, lui
conseille le premier ministre, choisissez une île abandonnée. Dépensez vos richesses
pour sa prospérité, faites cultiver ses terres stériles, abritez-y les sans-abri,
et faites ériger un superbe palais. Ainsi, le jour où vous y serez conduit,
vous allez y mener une vie royale et même meilleure que celle d'aujourd'hui,
puisque vous n'aurez plus d'ennui, ni souci, et vous serez roi pour toujours.
Ce que fit le roi, et ce qui lui permit de continuer de vivre comme un roi.
`Abdu'l-Baha raconte cette histoire pour faire comprendre que tout être humain,
en ce monde, est comme un roi, en ce sens qu'il a tous les pouvoirs de se faire
construire un palais pour le jour où il quittera ce royaume terrestre.
Nous pouvons donc conclure ainsi :
Le jardin de délices n'est pas une chimère. A nous de le préparer en ce monde
par la fraternité universelle, et pour l'autre par une joie éternelle. Nous
pouvons le faire tant que nous sommes rois.
A NOUS LE CHOIX.