Le courage
d'aimer
Shoghi Ghadimi
4. L'amour et l'amitié
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4.5. Les droits de l'homme à l'ère de l'atome
Quelqu'un a dit non sans raison:
"De nos jours, quand on ne peut pas changer les choses on change les noms".
Un jour voyant tout un groupe d'hommes bien équipés en train d'arracher impitoyablement
les arbres d'un pare publie, je leur ai demandé quel est le service qui s'occupe
de l'arrachage des arbres, et sans se gêner, ils m'ont répondu:
"Le service des plantations".
Qu'ils arrachent les arbres pour faire des parkings - je me suis dit - c'est
leur affaire, mais au moins ils pourraient appeler le service qui en a la mission
le service d'arrachage et non pas de plantations. Ne pouvant pas changer les
choses on a changé le nom.
Il en est de même en ce qui concerne nos devoirs et nos droits. Comme il est
difficile de remplir nos devoirs, on aime parler de nos droits. J'entends déjà
l'objection:
- Et votre exposé ne porte-il pas le titre "Les droits de l'homme"?
je n'avais pas le choix, car aujourd'hui nous célébrons la Journée des droits
de l'homme, et c'est à cette occasion qu'on m'a demandé de prendre la parole
à cette réunion.
Peu importe le titre de mon exposé, vous me permettrez de parler simultanément
des devoirs et des droits de l'homme, car ces deux questions sont indissolublement
liées l'une à l'autre.
Vous savez sûrement qu'en décembre 1948 l'O.N.U. a approuvé ce qu'on appelle
la Déclaration universelle des droits de l'homme, rédigée en une trentaine d'articles.
Ce n'est pas nouveau pour vous. Mais ce qui est nouveau, du moins pour la plupart
d'entre vous, c'est qu'il y a plus de 100 ans un Prisonnier condamné à perpétuité
dans la prison-forteresse de St-Jean d'Acre a écrit aux dirigeants du monde
des Lettres, où parmi bien d'autres sujets, Il parle des droits et de devoirs
de l'homme, ce que les futurs historiens considéreront comme la charte des droits
et des devoirs de l'homme pour l'Ère Nouvelle. C'est cela qui est nouveau et
c'est là-dessus que je vais dire quelques mots.
D'abord pour être précis, permettez-moi de mentionner le nom du Prisonnier en
question. C'est Baha'u'llah, le Fondateur de la Foi baha'ie dont le but est
d'accorder à l'homme ses droits, tout en définissant ses devoirs.
Ces droits et ces devoirs de l'homme découlent de plusieurs considérations dont
nous allons citer quelques-unes.
1) - L'homme est une créature sociale, par opposition à celles qui ne le sont
pas. Un arbre, par exemple n'a pas besoin de vivre ensemble avec les autres
arbres; planté dans le désert, il y pousse tout en restant seul.
Ce qui n'est pas le cas de l'homme qui a besoin de vivre en société avec ses
semblables. Il y a ce qu'on appelle interdépendance. Cette interdépendance implique
des devoirs et des droits pour l'homme. Et comme cette interdépendance se manifeste
aujourd'hui beaucoup plus que dans le passé, les devoirs et les droits qui en
découlent sont beaucoup plus nombreux que dans le passé.
2) - L'homme dans son évolution entre aujourd'hui dans le stade de sa maturité,
ce qui une fois de plus entraîne pour l'homme plus de devoirs et droits que
dans le passé quand il traversait le stade de l'enfance.
3) - Les droits et les devoirs de l'homme ne sont pas des valeurs créées par
les circonstances et par les hommes mais ce sont les dons de Dieu, et les dons
de Dieu ne sont pas limités. En conséquence les devoirs et les droits de l'homme
sont bien plus nombreux qu'on ne le pense.
4) - Tous ces droits et devoirs ont pour but la réalisation de l'Unité dans
la diversité.
Etudions dans l'ordre chacune de ces quatre considérations.
1) - D'abord le fait que l'homme est un être social implique pour chacun le
droit à la possibilité du travail harmonieux avec les autres et le devoir de
travailler harmonieusement avec les autres.
Quand ce droit est accordé à chaque membre de la communauté et ce devoir rempli
par chacun d'eux, groupés ensemble tous les membres de cette communauté peuvent
travailler harmonieusement. L'image d'un tel travail harmonieux est offert par
l'organisme humain où chaque membre a la possibilité de jouer son rôle, et le
remplit effectivement. Il en résulte que l'organisme se porte bien. Et si un
jour l'organisme est malade c'est que, soit cette possibilité de jouer son rôle
avec les autres n'est pas offerte à un membre, soit que le devoir de jouer son
rôle n'est pas rempli par ce membre.
C'est le cas du monde d'aujourd'hui: il est malade parce que la possibilité
de travailler harmonieusement avec les autres n'est pas offerte à l'homme et
que l'homme ne sait pas travailler avec ses semblables. Il faut donc une organisation
qui offre cette possibilité et où l'on apprend à travailler en groupe.
C'est précisément le cas de l'organisation baha'ie où cette possibilité de travailler
harmonieusement avec les autres est offerte à tous les membres de la communauté.
Ce travail harmonieux ne vise pas un but technique, ce qui est le rôle de la
science et non pas de la religion. Le travail en question vise le bien-être
de tous et à tous les points de vue.
Cette possibilité de s'entraîner à travailler harmonieusement avec les autres
est offerte avant tout aux réunions mensuelles sans classe qui font partie intégrante
de la Foi baha'ie.
Etant donné que les membres de chaque communauté baha'ie s'invitent mutuellement
et se rencontrent régulièrement, ils deviennent de plus en plus amis les uns
envers les autres, ce qui est la première condition pour arriver à travailler
harmonieusement ensemble.
La deuxième condition après l'harmonie et l'amitié sincère entre les membres,
condition non moins essentielle, c'est le recours à Dieu par la prière. C'est
la raison pour laquelle ces réunions sans classe commencent par des prières.
Après les prières on procède à la consultation. Et là, chacun, quel que soit
son degré d'instruction ou son rang social, a le droit et le devoir d'exprimer
son point de vue, ses idées, les considérant comme un "cadeau" à la communauté.
Un cadeau une fois offert n'appartient plus à celui qui l'a offert. par conséquent,
que son point de vue soit accepté ou rejeté, il ne doit plus dire mon point
de vue. Non, c'est le point de vue de la communauté. Autrement dit, tout en
manifestant sa personnalité, il doit s'effacer devant la communauté, comportement
qui contribue si puissamment à l'acquisition de la capacité de travailler harmonieusement
avec les autres.
Un "cadeau" on ne l'offre pas plusieurs fois. Ce qui veut dire qu'on ne doit
pas revenir sur sa proposition, s'obstiner dans son point de vue. Savoir se
consulter est tout un art dont les règles sont exposées dans les Écrits baha'is.
A titre d'exemple, permettez-moi de citer ce court extrait.
"Ils doivent exprimer leurs vues avec la plus grande dévotion, la plus grande
courtoisie, la plus grande dignité, le plus grand soin, et la plus grande modération.
Ils doivent pour tous les cas qui se présentent, tendre à la vérité, et ne pas
insister sur leur propre opinion, parce que l'obstination et la persistance
dans un point de vue personnel conduirait finalement à la discorde et aux querelles
et la vérité resterait cachée. Les membres doivent exprimer leurs propres pensées
en toute liberté; il n'est permis en aucun cas de minimiser l'avis d'autrui..."
Abdu'l-Baha.
C'est en procédant de cette façon qu'on s'entraîne en l'art de se consulter,
et, par voie de conséquence, à parvenir à travailler harmonieusement sur les
problèmes d'intérêt général, ce qui est le droit et le devoir de chaque membre
de la communauté.
2) - Concernant les droits et les devoirs de l'homme nous avons dit que la deuxième
considération à retenir c'est que l'homme dans son évolution entre aujourd'hui
dans le stade de sa maturité.
L'une des implications de ce stade de maturité c'est que l'homme pense indépendamment
et cherche personnellement la vérité. Comme le destin du monde dépend de l'union
de tous et qu'il n'y a qu'une et seule vérité qui peut unir tout le monde, si
chacun la cherche personnellement et indépendamment il arrive à la découvrir,
et une fois cette vérité découverte l'union de tous deviendra une réalité.
C'est comme l'ascension vers le sommet d'une montagne. Comme il n'y a qu'un
sommet, si chacun continue de monter finalement tous se rejoindront au sommet.
Une autre conséquence de la maturité de l'humanité c'est le droit à un travail
conforme à sa capacité et utile pour la société et le devoir de faire ce travail
consciencieusement. Ce qui fait précisément partie intégrante de la Foi baha'ie,
au point qu'elle ne parle pas seulement du droit au travail, mais du devoir
de travailler. Car pour un baha'i le travail est obligatoire. De plus, fait
dans un esprit de service, le travail équivaut à un acte d'adoration.
Dans un cas comme dans l'autre, c'est un remède contre le mal dont souffre la
société d'aujourd'hui. Ne sont-ils pas nombreux ceux qui préfèrent profiter
de l'allocation du chômage, et rester inactifs au lieu d'accepter le travail
qui leur serait proposé? Ce qui a amené une revue à faire cette remarque:
"Tout le monde voudrait manger à la table du gouvernement, mais rares sont ceux
qui acceptent de laver la vaisselle".
Quant à ceux qui font consciencieusement et honnêtement leur travail leur nombre
diminue de jour en jour. Seulement on s'efforce de sauver les apparences. Ce
qui est si bien illustré par cette histoire.
Un entrepreneur voulait offrir à un fonctionnaire "honnête" une voiture de sport.
- Monsieur, mon honneur ne me permet pas d'accepter un tel cadeau - dit ce dernier.
- je comprends très bien votre point de vue. Mais voici ce que je vous propose.
le vous vends cette voiture pour 100 dollars - reprit l'entrepreneur.
- Dans ces conditions j'en achèterai deux - s'empresse de répondre le haut fonctionnaire.
3) - Et nous arrivons à la troisième considération dont découlent les droits
et les devoirs de l'homme. C'est que ces droits et ces devoirs ne sont pas les
dons de la société ou les valeurs morales créées par les circonstances, mais
que ce sont les dons de Dieu.
Ainsi, par exemple, le droit à la vie, à la nourriture, à la santé, au logement,
à la libre circulation etc. sont les dons de Dieu à l'homme, aussi bien qu'à
l'animal. Ne pourrait-on pas dire qu'en réalité les animaux jouissent de ces
droits plus que les hommes. Un oiseau, par exemple, ne se nourrit-il pas sans
peine dans n'importe quel champ, ne circule-t-il pas là où il veut, sans passeport,
ni visa, ne fait-il pas son nid là où il veut, sans avoir besoin de titres,
ni de l'assistance d'un entrepreneur ou d'un architecte? Dans le meilleur des
cas l'homme ne jouit pas à ce point de tels droits.
Parlons donc plutôt d'un droit qui distingue l'homme de l'animal.
Ce droit c'est le sentiment de la dignité personnelle inhérente à tout être
humain. Son importance est vitale aussi bien pour l'individu que pour la société.
C'est surtout sur ce droit que la Foi baha'ie insiste, étant donné que ce droit
est le fondement même de la JUSTICE, vertu qui, pour un baha'i est le principe
directeur de toute activité individuelle ou sociale.
C'est l'acquisition de ce droit qui donne un sens à la vie. En effet selon les
Écrits baha'is Il l'homme est une mine riche en gemmes d'une valeur inestimable
Il. La recherche de ces gemmes et la prise de conscience de leur valeur, c'est
cela qui donne un sens à la vie.
Ce droit, ce besoin du respect de la dignité humaine est inhérent à la nature
humaine et sa manifestation, comme pour toute faculté inhérente, implique que
certaines conditions soient remplies.
Illustrons cette idée par une image.
La manifestation du pouvoir de croissance inhérent à toute plante implique l'intervention
des effets bienfaisants de la terre, des agents atmosphériques (chaleur, humidité)
de la pluie, du Soleil, cet ensemble s'appelant environnement.
Il en est de même en ce qui concerne l'épanouissement de la personnalité humaine
qui dépend de plusieurs facteurs.
Parmi ces facteurs citons plus particulièrement les suivants:
1. la famille
2. le milieu social
3. la culture
4. la foi religieuse
Ainsi:
1. la famille. Pour l'homme c'est comme la terre pour la plante. C'est non seulement
un abri pour l'homme, mais c'est également la première école où il reçoit sa
formation. Or le meilleur maître pour la formation de l'enfant c'est l'EXEMPLE
donné par ses parents. Dans une famille où les parents ne se respectent pas,
ne s'aiment pas, comment voulez-vous qu'un enfant apprenne à respecter, à aimer.
Dans une telle famille les parents perdent absolument leur autorité, situation
triste qu'on constate de plus en plus de nos jours.
jackie après avoir soupé quitte la famille. Son père lui demande:
- A quelle heure vas-tu rentrer?
- A l'heure où je veux.
- Bon, mais pas plus tard.
Dans une famille, où le père, pour un rien, traite son fils de nigaud, comment
voulez-vous que l'enfant apprenne à avoir confiance en ses capacités, ce qui
lui sera nécessaire pour son succès dans l'avenir.
Concernant toutes ces considérations nous avons des références explicites dans
les Écrits baha'is qui attachent la plus grande importance au foyer familial,
en tant que petit monde où l'enfant reçoit sa formation.
2. Après la famille, vient le milieu social, en tant que facteur contribuant
à la prise de conscience de la dignité personnelle inhérente.
Or le milieu social actuel ne favorise nullement cet épanouissement de la personnalité,
étant donné que l'argent, au lieu de rester serviteur, est devenu maître et,
par voie de conséquence l'homme est considéré comme une marchandise appréciée
seulement en raison des bénéfices qu'on peut en tirer.
Pour illustrer cette triste situation un journal humoristique racontait cette
anecdote: Un commerçant va à la police et déclare qu'un escroc a encaissé, en
son nom, toutes les factures impayées.
- Bon, - dit le chef de la police - on va le rechercher et l'arrêter.
Ah, non, je ne veux pas qu'on l'arrête - je vous demande de le trouver pour
que je l'embauche.
Le mal est tellement profond que ce n'est pas par un coup de baguette magique
qu'on peut l'éliminer afin d'inculquer à l'individu le sentiment de la dignité
humaine. Cela exige tout un processus d'entraînement où le rôle du milieu social
est prépondérant. Non seulement la lecture des Écrits sacrés baha'is qui comparent
l'individu à la "Lumière" au "Soleil", à la "Forteresse, mais pratiquement la
participation active aux réunions mensuelles sans classe, à la gestion des affaires
sociales avec des droits égaux et sans distinction de classe, de degré d'instruction
ou de rang social, tout, absolument tout, aussi bien dans la vie individuelle
que sociale, inculque à l'homme le sentiment de sa dignité personnelle inhérente.
De même que la plante pour manifester son pouvoir de croissance a besoin de
la chaleur du soleil, l'homme pour son épanouissement, par suite de la prise
de conscience de sa dignité personnelle, a besoin de la chaleur, de l'ambiance
sociale telle qu'elle est décrite dans les Écrits baha'is.
3. - le troisième facteur qui forme l'environnement nécessaire pour l'épanouissement
de l'homme est la culture, c'est-à-dire les arts et la science. Quelques puissantes
et immenses que soient les capacités latentes de l'homme, c'est par la science
et les arts qu'il peut les développer. L'homme a donc le droit à l'instruction
et il a le devoir de s'instruire. Ce droit et ce devoir portent un caractère
sacré dans la Foi baha'ie.
L'importance de ce droit et de ce devoir est telle qu'elle pourrait amener la
communauté à mettre la main sur la propriété privée (c'est d'ailleurs l'unique
cas permis) et c'est lorsque les parents privent leur enfant de l'instruction.
Alors les institutions dirigeantes ont le droit de prélever sur les biens des
parents ce qui est nécessaire pour instruire leur enfant. Autrement sous aucun
prétexte personne n'a le droit de toucher les biens de qui que ce soit honnêtement
gagnés.
Le rôle de la culture pour l'homme est comparable au rôle de la pluie pour la
plante. Une plante non arrosée sèche, c'est-à-dire ne manifeste pas son pouvoir
latent de croissance.
L'homme qui ne reçoit pas d'instruction n'arrive pas à manifester toutes ses
capacités latentes.
4. - Et nous arrivons au quatrième facteur qui est nécessaire pour l'épanouissement
de la personnalité, c'est la religion.
Qui dit religion dit éducation car les plus grands Éducateurs étaient les Fondateurs
des religions. Éducation ne veut pas dire instruction, car l'instruction nous
est donnée par la science, et l'éducation - par la religion.
Si la science est comparable à la pluie arrosant cette plante qu'est l'esprit
humain, la religion est comparable au soleil, source de toute énergie, source
de la vie pour l'homme.
Ce soleil, comme cela a été prédit par les Écritures du passé, se trouve aujourd'hui
obscurci par les nuages de la décadence morale, cette décadence, à laquelle,
selon Einstein le monde s'est habitué lentement. Malheureusement, cette habitude
qui a commencé par être comme des fils d'araignée est devenue aujourd'hui comme
un câble. N'est-il pas temps de rompre ce câble. Et pour le rompre connaît-on
une autre force que celle de la foi religieuse, puisque d'un côté il y a le
témoignage de 6000 années d'expérience et de l'autre la constatation de l'impuissance
de la science.
Voilà la question que chacun a le droit et le devoir de se poser en ce jour
des Droits de l'Homme.