Le courage d'aimer
Shoghi Ghadimi

7. Les Prodiges de ces temps merveilleux
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7.8. L'argent fait-il le bonheur ?

Un homme riche vient trouver un sage pour lui demander pourquoi il est si égoïste. Le sage le conduit près de la fenêtre:

- Regarde - lui dit-il - et dis moi ce que tu vois.

- Des gens - répondit l'homme riche

Le sage le conduit alors devant une glace

- Et maintenant qu'est-ce que tu vois?

- Je ne vois que moi-même.

- Et bien - lui dit le sage - la vitre est en verre, et le miroir aussi. Mais le verre du miroir est recouvert d'un peu d'argent et sitôt qu'intervient un peu d'argent, tu cesses de voir les autres et tu ne vois que toi-même.

Indiscutablement d'une manière générale la richesse entraîne l'égoïsme. C'est l'aspect négatif de l'argent. Mais voyons-en pour le moment l'aspect positif.

Si j'ai raconté cette histoire ce n'est pas pour en déduire que pour ne pas être égoïste, il ne faut pas avoir d'argent, il faut rester pauvre. Loin de là. Pour nous nourrir, nous avons besoin d'argent. Pour nous habiller, nous avons besoin d'argent. Pour avoir un logement, nous avons besoin d'argent. Pour nous distraire, nous avons besoin d'argent. Pour guérir en cas de maladie, nous avons besoin d'argent. Pour nous faire des relations, nous avons besoin d'argent.

Arrêtons-nous là pour remarquer tout de suite qu'il est vrai que l'argent donne des remèdes, mais pas la santé, qu'avec l'argent on a des distractions mais pas la joie, qu'avec l'argent on se fait des relations, mais pas des amis.

Or pour être heureux on a besoin de la santé, de la joie et des amis.

Ne serait-il pas possible qu'on ait tout cela, qu'on soit heureux, tout en ayant de l'argent. Autrement dit, l'argent peut-il faire le bonheur? C'est la question à laquelle nous allons essayer de répondre.

Pour les baha'is la réponse se trouve dans les Écrits de leur foi. Nous allons donc y recourir en nous rappelant quelques extraits.

Baha'u'llah dit:

"Chacun est enjoint de s'occuper d'une manière ou d'une autre: art, commerce, etc. Nous avons décidé d'identifier votre labeur avec un acte d'adoration de Dieu."

Ou encore:

"Ne gaspillez pas votre temps en paresse, en indolence et occupez-vous de ce qui est avantageux pour vous et pour les autres " Ou encore " Le plus méprisable des hommes devant Dieu est celui qui s'assied et qui mendie".

Il s'en suit que pour un baha'i, le travail est obligatoire. Ce qui fait que personne n'a le droit de ne rien faire sous prétexte qu'il a un héritage de son père. Il n'a pas le droit non plus de recourir à la mendicité. Dans le cas où il s'agit d'une question d'incapacité, c'est à la communauté de s'en charger. Mais en aucune façon la communauté ne doit tolérer la mendicité comme occupation pour qui que ce soit.

De plus, puisque le texte dit que le travail doit être avantageux pour tous ce n'est donc pas n'importe quel travail qui est prescrit à l'homme mais un travail utile.

A ce propos le Docteur Esslemont écrit:

"Que d'énergie gaspillée aujourd'hui dans le monde en luttes stériles et en compétition qui détruisent et neutralisent les efforts des autres ! Et que d'efforts perdus d'une manière plus néfaste.

Si tous les humains travaillaient et si tous leurs efforts manuels ou intellectuels étaient profitables, comme le recommande Baha'u'llah, alors les ressources nécessaires à une vie saine, confortable et digne suffiraient amplement pour tous. Il n'y aurait plus ni taudis, ni famine, ni misère, ni servage industriel, ni surmenage qui mine la santé."

On en est bien loin encore . Et la meilleure preuve c'est cette armée de travailleurs intellectuels et manuels qui perdent leur temps et notre argent pour faire des armes de guerre ou pour en inventer de plus en plus terribles.

Une deuxième condition pour le travail selon les enseignements baha'is, c'est qu'il soit consciencieux. Un tel travail équivaut à l'adoration de Dieu, autrement dit, à une prière, et, par conséquent, le lieu d'un tel travail devient une sorte de temple symbolique. Si donc l'éducation religieuse, chrétienne ou islamique, inculque qu'en principe on ne vole pas son prochain dans le lieu de prière (temple, mosquée) l'éducation baha'ie fait qu'étant donné que le lieu du travail devient une sorte de lieu de prière, un baha'i ne vole pas son prochain dans le lieu de son travail.

Chaque seconde il y a trois naissances. Si tous, ou la majorité des gens s'engageaient à éduquer leurs enfants dans cet esprit, d'ici une vingtaine d'années l'humanité serait débarrassée de ce fléau qu'est le vol généralisé par le travail malhonnête.

Deux financiers conversent:

- Mon cher, on peut gagner de l'argent de mille façons, mais il n'y en a qu'une qui soit honnête. - Laquelle? - Ah! Je savais bien que vous ne la connaissiez pas.

Une troisième condition pour le travail c'est qu'il soit fait avec modération.

Ce qui n'est malheureusement pas le cas de nos jours où l'homme gâche sa santé pour construire une fortune. Puis, dépense sa fortune afin d'essayer de recouvrir sa santé. Et il constate, avec tristesse, que c'est trop tard.

Ce n'est pas ainsi que doit agir un baha'i, car pour lui, veiller au maintien de sa santé est un devoir religieux qu'il est tenu de remplir.

En résumé, chez les baha'is l'argent est gagné par un travail utile, consciencieux et accompli avec modération.

Et si l'on ajoute à ces trois conditions une quatrième qui dit qu'on doit faire, dans la mesure du possible, le travail pour lequel on est fait et qu'on aime (ce qui pour le moment est un idéal lointain) alors un tel travail peut nous faire gagner la santé, la joie et les amis.

Autrement dit, l'argent gagné par un tel travail peut faire notre bonheur.

Remarquez que j'ai utilisé le terme " peut", - "peut faire notre bonheur".

C'est qu'il y a encore une condition qui doit être remplie. Et quelle est cette condition?

C'est que l'argent ainsi gagné soit dépensé pour le bien des siens et de tous.

Car il ne faut pas oublier qu'il y en a qui amassent l'argent sous prétexte d'économiser pour leurs vieux jours.

Un centenaire avait gagné à la loterie nationale

- Que ferez-vous de cet argent - lui demanda un reporter.

- Je vais le mettre de côté pour mes vieux jours - répondit-il.

D'autres amassent cet argent par crainte de devenir un jour pauvres et dans le besoin.

Etre économe et penser aux jours où l'on pourrait être dans le besoin, c'est bien, mais l'essentiel c'est de profiter du présent en dépensant l'argent pour le bien des siens et de tous.

A ce propos permettez-moi de vous citer un extrait des Écrits du Gardien de la foi baha'ie:

"Nous devons être comme la fontaine ou la source qui continuellement se vide de tout ce qu'elle a, et qui sans cesse est réapprovisionnée par une source invisible. Le secret d'une vie juste c'est de donner sans discontinuité pour nos semblables, sans que la crainte de la pauvreté ne nous arrête et avec confiance en la bonté inépuisable de la Source de toute richesse et de tout bien" ("Directives du Gardien")

Nous pouvons donc nous résumer en disant que l'argent gagné par un travail utile, consciencieux, accompli avec modération et dans la mesure du possible un travail pour lequel on est fait, l'argent gagné de cette façon peut contribuer à notre bonheur à la condition qu'on le dépense pour le bien des siens et de tous.

Concernant ce dernier point il est opportun de nous rappeler ce que dit Baha'u'llah ("Les Paroles Cachées").

"Les hommes les meilleurs sont ceux qui gagnent leur vie dans leur métier et, par amour de Dieu, le Seigneur de tous les mondes, qui dépensent leur argent pour eux-mêmes et pour leurs semblables".

Ou encore:

"La libéralité et la générosité sont mes attributs, heureux celui qui se pare de mes vertus".

Mais entendons-nous bien sur le mot "générosité". La générosité ne consiste pas à donner aux autres ce dont on n'a pas besoin, mais au contraire, ce dont on peut avoir besoin.

La petite fille dit à sa mère:

- Maman, Monsieur le curé nous prie de donner une boite de conserves pour les pauvres"

- Tu pourrais peut-être prendre des sardines à la moutarde qu'aucun de nous ne veut manger - lui répond la mère.

- Mais alors - dit la petite d'un air consterné - ça veut dire que nous serons aidés par les pauvres.

La générosité consiste à venir en aide à son prochain dès qu'on le voit dans le besoin. Et ceci sans tarder. On dit: "qui donne vite, donne deux fois".

Pour que sa générosité ne soit pas simplement la manifestation d'un élan de sentiment, mais qu'elle fasse partie intégrante de sa vie, un baha'i contribue volontairement et régulièrement au fonds local de sa ville, au fonds national de son pays et au fonds international, ou bien à l'un de ces fonds et cela suivant ses possibilités et sans la moindre contrainte. Ces fonds sont régis par les Institutions correspondantes (Locales, Nationales ou Mondiale) qui les dépensent, soit conformément aux désirs spécifiques du donateur, soit en conformité avec les besoins prévus par les budgets établis d'avance.

Si chez les baha'is ce sont les institutions qui sont chargées de dépenser les contributions des membres de la communauté, c'est qu'en principe, une institution grâce à la consultation, est plis qualifiée que l'individu pour savoir comment dépenser, autrement dit BIEN dépenser. Et bien dépenser est tout un art qui n'est pas à la portée de tous.

C'est tellement vrai qu'on pourrait dire que la vraie richesse ce n'est pas avoir de l'argent, mais d'en dépenser sagement.

Jusqu'ici nous avons parlé de l'argent en tant qu'un bon serviteur qui contribue à notre bonheur.

Mais n'oublions pas que ce serviteur est capable de devenir un maître, et qu'alors c'est un mauvais maître. Et c'est cela qui est triste. Car de nos jours il devient de plus en plus un maître puissant qui dicte ses lois aussi bien au sein de la famille qu'en société.

D'abord pour former une famille par le mariage, ce qui compte avant tout c'est l'argent.

- Ce jeune homme qui est venu me demander ta main, est-ce qu'il a de la fortune? demande papa à sa fille. - C'est drôle, il m'a posé la même question à ton sujet -répond la fille.

L'amour entre les époux une fois mariés dépend encore de l'argent.

- Si je t'aime ma chérie? Ecoute je veux bien te répondre, mais je voudrais d'abord savoir ce que cela me coûtera - demande Monsieur à Madame.

Et s'il pose cette question c'est que sûrement par expérience il en voit la nécessité.

Les relations entre les enfants et les parents dépendent aussi de l'argent.

La belle-mère de Carnegie avait deux grands fils à l'université, et ceux-ci lui causaient beaucoup de tourments, car ils ne répondaient jamais à ses lettres. Carnegie paria un jour 100 dollars qu'il recevra une réponse sans même la demander. Il écrit une lettre très gaie à ses neveux, leur annonçant incidemment qu'il leur envoie à chacun un billet de 5 dollars. Il omit toutefois de mettre l'argent dans la lettre. La réponse arriva par retour du courrier.

Remarquez qu'il ne faut pas trop accuser les jeunes, car dès leur enfance tout les encourage à aimer l'argent.

Un professeur navré confiait à l'un de ses collègues:

- ces jeux radiophoniques sont déplorables pour la jeunesse. Maintenant chaque fois qu'un élève répond bien à une question, il s'attend à recevoir de l'argent.

L'argent est devenu le passeport le plus apprécié. Avec de l'argent vous pouvez même changer l'opinion qu'on se fait de vous.

Le Maréchal Delafer entre victorieusement à Metz et ne veut pas recevoir les juifs " déicides". Son ordonnance n'arrive pas à le faire changer d'idée. Alors les juifs lui font savoir qu'ils voudraient lui offrir un cadeau.

- Au fond - dit alors le Maréchal à son ordonnance - sont-ils responsables de ce que leurs ancêtres ont fait? Et il les reçoit.

Ce qui est triste c'est que cet amour pour l'argent s'intensifie de plus en plus en portant préjudice à l'amour conjugal, à l'amour filial, à l'amour du prochain, lesquels s'anémient de jour en jour. Et lorsque le vrai amour s'anémie, tout s'anémie. Les principes les plus élémentaires s'oublient. Ce qui n'empêche que le mot " principe " s'emploie de plus en plus, au point que si l'on vous dit: "ce n'est pas pour l'argent, c'est pour le principe " vous pouvez être sûr que c'est pour l'argent.

On sacrifie tout pour amasser de l'argent. Et plus on en amasse, plus on en veut, plus on s'oublie.

Baha'u'llah dit:

"Sachez que la richesse est une lourde barrière entre le chercheur et son désir, entre l'amoureux et son bien-aimé. Bien peu, parmi les riches, abordent aux rives de l'Approche et entrent dans la Cité du contentement et de la résignation. Il a du mérite, véritablement, le riche que son opulence ne prive pas du Royaume éternel et des richesses impérissables..."

Que signifie "aborder aux rives de l'Approche et entrer dans la Cité du contentement et de la résignation"?

Il s'agit de s'approcher de Dieu. Peut-on s'approcher d'un Roi si on refuse de faire ce qui lui plaît, si on évite de faire sa volonté?

Non. Il faut donc faire la volonté du Roi pour se permettre de s'approcher de lui, pour être compté parmi ses proches. Or la volonté de ce Roi se résume en deux mots:

AIMER SON PROCHAIN

Et on aime son prochain quand on s'efforce d'acquérir le sentiment qu'on ne fait qu'un avec lui. Comme c'est le cas entre la mère et son enfant.

Sentir qu'on ne fait qu'un avec son prochain, c'est très difficile, sinon impossible pour un égoïste. Et il arrive que l'égoïsme soit le premier effet néfaste de l'opulence.

Afin donc de nous faire éviter l'égoïsme et, par voie de conséquence, chercher à faire la volonté de Dieu, Baha'u'llah dit encore:

"Toi, tu recherches l'or, et moi je désire que tu t'en libères. Tu crois que la richesse est de posséder de l'or, et moi je sais que la richesse est de t'en détacher".

Et comment peut-on se détacher de l'argent si ce n'est qu'en en gagnant et en le dépensant pour le bien de tous. Il s'agit donc pour un baha'i de gagner de l'argent afin de pouvoir montrer qu'il est capable de s'en détacher par sa libéralité. Autrement , s'il ne gagne pas d'argent, s'il n'en possède pas, comment peut-il montrer qu'il en est détaché: on ne peut pas se détacher de ce qu'on n'a pas.

On peut donc résumer le point de vue baha'i concernant l'argent en disant qu'il faut gagner de l'argent par un travail utile, consciencieux, fait avec modération et conforme à nos capacités (dans la mesure du possible) et de dépenser cet argent pour le bien des siens et de tous.

L'argent ainsi gagné contribue à notre bonheur.

Puisque nous parlons de la contribution au bonheur, faisons une mise au point.

Jusqu'ici nous avons parlé des bienfaits et des méfaits de l'argent, de son aspect positif et de son aspect négatif. A proprement parler, il n'y a ni bienfait, ni méfait, il n'y a ni aspect positif, ni aspect négatif, pour qu'on puisse parler d'un changement d'aspect.

Parlons plutôt d'un changement d'attitude.

Le responsable de ces soi-disant bienfaits et méfaits ce n'est pas l'argent.

C'est la VALEUR que nous lui attribuons et l'attitude que nous adoptons à son égard. Le même montant d'argent peut faire croire à un homme qu'il est heureux alors qu'il fait croire à un autre qu'il est malheureux; dans les deux cas aucun n'est heureux s'il ne sait que faire de ce montant d'argent et comment le dépenser.

A ce propos, rappelons-nous l'histoire de ces deux noyés qu'on repêche le même jour dans une rivière. Le premier un pauvre homme qui était tombé accidentellement à l'eau parce qu'ayant gagné 10000 F. à la Loterie Nationale il s'était senti si heureux que pour fêter sa chance il avait trop bu. L'autre, un financier malchanceux qui s'était suicidé parce qu'il ne lui restait plus que 10000 F. à son compte bancaire et qui se croyait malheureux de ne plus pouvoir mener le train de vie auquel il était habitué.

L'un comme l'autre, pour le même montant d'argent, ont perdu la tête et la vie.

Conclusion, ce n'est pas à proprement parler l'argent qui peut contribuer ou ne pas contribuer à notre bonheur, c'est la conception vraie ou fausse que nous nous en faisons. Tout dépend de notre façon de penser qui est le fruit de notre FOI.

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